Le pâturage pour les vaches laitières : mythes et réalités

À l’exception des troupeaux en gestion biologique, il y a peu de vaches laitières aux pâturages dans les fermes du Québec. Ailleurs dans le monde, c’est pourtant encore pratique courante. Pourquoi pas ici?
Y aurait-il des perceptions négatives basées sur l’utilisation des pâturages à une autre époque? Ces perceptions tiennent-elles du mythe ou de la réalité face aux pratiques modernes? Explorons les faits vérifiés par la recherche et selon la pratique de producteurs d’ici.

Mythe

« Dans nos conditions climatiques, les pâturages ne durent pas assez longtemps pour que ça vaille la peine. Mais ça peut faire l’affaire pour les taures et les vaches taries. »

Réalité

Dans la plupart des régions du Québec, la saison de pâturage peut facilement durer de quatre à six mois par année. Dans une gestion intensive, le pâturage est subdivisé en petites parcelles, pour un broutage en séquence. Ainsi, l’herbe bénéficie d’un temps de repos pour croître entre les passages. Cela assure un apport en herbe d’une grande qualité, tout à fait adéquate pour des vaches en lactation, peu importe le niveau de production.

Pour un bon rapport qualité/quantité, les vaches en lactation reçoivent de l’herbe d’une hauteur de 20 à 25 cm (8 à 10 pouces) dans chacune des parcelles. À cette hauteur, un mélange de graminées et légumineuses contient en moyenne 20 % de protéines brutes et 1,50 Mcal/kg d’énergie nette de lactation. En termes d’énergie, c’est presque équivalent au maïs ensilage, mais avec beaucoup plus de protéines!

Mythe

« Ça ajoute du travail et ça prend beaucoup trop de temps. »

Réalité

On suppose souvent que déplacer les animaux au pâturage prend beaucoup de temps et ajoute du travail. En fait, tout dépend des installations. Dans un système de pâturage intensif avec un chemin d’accès et des parcelles bien établies, le temps requis est minime, car les vaches s’habituent vite à la routine de la saison de pâturage. L’autre partie qu’on oublie, c’est le temps de travail économisé dans l’étable et aux champs, parce que les vaches s’alimentent, récoltent leur fourrage et épandent leur fumier elles-mêmes pendant tous ces mois de pâturage. Plus la part d’alimentation à l’herbe est grande, plus on gagne du temps. Les producteurs d’ici qui ont fait la transition au pâturage ont tous observé une diminution du nombre d’heures passées à l’étable et dans le tracteur en été.

Mythe

« La valeur de mes terres est trop élevée pour du pâturage. »

Réalité

Pour les fermes où on cultive déjà des plantes fourragères, il s’agit de remplacer des surfaces de prairies par des pâturages. En gestion intensive, les rendements des pâturages améliorés (ensemencement régulier ± tous les 5 ans) sont comparables aux prairies récoltées mécaniquement. Ainsi, la proportion des surfaces consacrées aux plantes fourragères peut demeurer équivalente.

De plus, la gestion intensive des pâturages permet aux vaches de brouter de l’herbe jeune et riche de 4 à 6 fois par saison, sur une même parcelle. En faisant une rotation des parcelles, on améliore les rendements par rapport à un pâturage traditionnel et on évite les refus. On peut difficilement assurer une telle constance dans la qualité des fourrages d’une coupe mécanique à l’autre.

Puisque l’herbe est récoltée et fertilisée par les vaches, le coût de production des fourrages en pâturage représente environ 50 % de celui des fourrages récoltés mécaniquement, dont la moyenne se situe à 235 $/TM1. Cette différence majeure s’explique par une diminution des dépenses d’achat de certains intrants et surtout par l’économie des coûts de machinerie de récolte (achat, maintien, opération, etc.).

Avec des coûts de production si bas et des rendements élevés grâce à la gestion intensive, les pâturages sont vraiment les champions des fourrages, autant pour la qualité que les coûts!

Mythe

« Il fait souvent trop chaud pour les vaches dehors l’été, elles sont beaucoup plus confortables à l’abri dans l’étable. De toute façon, elles ne veulent pas sortir! »

Réalité

Plusieurs solutions existent pour prévenir le stress de chaleur au pâturage. La plus simple est de sortir les vaches la nuit, tout de suite après la traite du soir. Ainsi, elles peuvent profiter de l’herbe et faire de l’exercice, sans souffrir de la chaleur du jour. Au petit matin, elles peuvent revenir à l’étable et profiter de l’ombre et de la ventilation offerte par le bâtiment. C’est le meilleur des deux mondes! Chez les producteurs qui utilisent les pâturages de jour aussi, les vaches peuvent sortir le matin seulement ou bien toute la journée si on peut fournir de l’ombre (ex. : avec des haies brise-vent).

Dans des études2 où on a donné le choix à des vaches déjà habituées d’aller au pâturage, ces dernières ont passé en moyenne 62 % de leur temps au pâturage et le reste du temps dans l’étable. Cela démontre une préférence des vaches envers le pâturage, et ce, même si elles avaient accès à de l’ensilage et des concentrés à l’étable. Il semble donc que le confort, l’herbe et l’environnement fournis par le pâturage soient un attrait plus fort pour les vaches.

Mythe

« C’est possible pour les petits troupeaux, mais c’est impensable pour les grands. » (La circulation de centaines de vaches détruira le pâturage et ça prendra beaucoup trop de temps pour manipuler les animaux.)

Réalité

Si on se fie aux troupeaux de plusieurs centaines ou même milliers de vaches en pâture qu’on retrouve respectivement en Europe et en Nouvelle-Zélande, la taille des troupeaux n’est pas un facteur limitant. Même ici, des troupeaux de quelques centaines de vaches utilisent les pâturages. Pour réussir, il est nécessaire d’adapter les installations à la dimension du troupeau, comme on le fait en étable.

Un des éléments les plus importants est le chemin d’accès au pâturage, qui doit être adapté à une circulation plus élevée. Les chemins doivent être bien drainés et solides en tout temps grâce à des solutions appropriées. Selon le type de sol, ça pourrait être simplement un chemin avec des pentes de drainage, l’ajout de sable ou dans les cas plus problématiques, un géotextile recouvert de gravier et une couche de finition fine pour éviter de blesser les onglons. Pour les grands troupeaux, dans les sections du chemin les plus utilisées, on voit même des allées en béton pour éviter qu’elles ne se transforment en tranchées boueuses.

Pour un troupeau de plus de 400 vaches, dans un pays comme l’Angleterre (où il pleut souvent), avoir une partie du chemin d’accès au pâturage en béton est nécessaire.

C’est bien connu, les bovins laitiers sont des animaux grégaires et d’habitudes. Ce comportement facilite le déplacement de grands troupeaux au pâturage. L’expérience des propriétaires de ce type de troupeaux est claire à ce sujet. Les vaches apprennent très vite que les déplacements au pâturage sont récompensés par une nouvelle parcelle d’herbe. La même chose se produit au retour à l’étable quand elles savent que cet effort sera récompensé par des concentrés, par exemple. Il suffit de mettre en place de telles conditions pour que la manipulation de petits ou grands troupeaux soit facilitée!

Mythe

« Ça apporte des maladies et des problèmes de pattes. En plus, on ne peut pas voir les chaleurs. »

Réalité

Selon une revue de littérature² récente, c’est plutôt le retrait complet ou partiel des pratiques de pâturage qui est associé à une augmentation du risque de certains problèmes de santé. Notamment les boiteries, celles de causes infectieuses (ex. : dermatite digitale/piétin d’Italie) et non infectieuses (ex. : ulcères de sole), la mammite clinique, le CCS élevé, la métrite et l’endométrite. On note également un taux de mortalité plus bas chez les troupeaux au pâturage. En contrepartie, le risque de parasites internes est plus élevé au pâturage.

En matière de reproduction, les études tendent à démontrer une meilleure fertilité en général chez les troupeaux au pâturage. Toutefois, d’autres recherches dans le domaine seraient nécessaires pour tirer des conclusions.

Mythe

« Les vaches ne produisent pas assez de lait au pâturage, ce n’est pas rentable. »

Réalité

La recherche² démontre que les performances des vaches dont les fourrages proviennent à 100 % du pâturage sont comparables à celles observées en système de confinement à l’année, et ce, pour une même quantité de concentrés. On obtient les mêmes résultats si on compare les systèmes en confinement total aux systèmes en pâturage partiel (demi-journée au pâturage), une pratique qu’on rencontre plus souvent chez nous.

Fait intéressant à ajouter, le lait produit par les vaches au pâturage contient par exemple jusqu’à deux fois plus d’ALC (acide linoléique conjugué), considéré comme l’un des meilleurs gras pour la santé des humains.

Mythe

« Les clôture électrique, ça ne marche jamais, les vaches sortent toujours. »

Réalité

Les équipements de clôture électrique se sont perfectionnés au fil des années. Les nouveaux électrificateurs compensent les pertes de tension et ils sont reliés à une télécommande qui permet de détecter les pertes de courant ou d’arrêter l’électrificateur de n’importe quel point sur le réseau de clôture en touchant simplement au fil.

Pour la clôture permanente, des fils d’aluminium (plus légers et meilleurs conducteurs) peuvent être utilisés avec des poteaux d’acier ou de fibre de verre, plus faciles d’installation, d’entretien et ayant une meilleure durée de vie que des poteaux de bois. Pour la clôture temporaire qui permet de subdiviser les parcelles en bandes, les moulinets, piquets et fils légers sont très efficaces.

Un électrificateur avec sa télécommande permet de faciliter la gestion de la clôture électrique.

Mythe

« Avec un robot de traite, on ne peut pas faire de pâturage! »

Réalité

Les pays comme l’Irlande et la Nouvelle-Zélande montrent clairement  qu’il est possible d’utiliser les robots de traite  dans  un système 100 % pâturage. En situant le robot convenablement à l’étable et en donnant jusqu’à trois parcelles de pâturage par jour, on peut entraîner les vaches à passer au robot presque aussi souvent qu’en système de confinement total. Au Québec, plusieurs producteurs de lait biologique démontrent qu’on peut combiner robot de traite et pâturage avec succès.

Une réalité toujours actuelle

À la lumière des plus récentes recherches et de l’expérience concrète de producteurs d’ici et d’ailleurs, on peut affirmer que certaines perceptions négatives face au pâturage tiennent davantage du mythe que de la réalité. Autant sur le plan technique qu’économique, le pâturage mérite une place grandissante dans nos fermes laitières.

À l’heure où les consommateurs et les producteurs se préoccupent toujours plus du bien-être animal, cette pratique peut contribuer à répondre aux exigences de tous. Aussi, les gens expriment souvent le désir de voir des vaches aux champs durant la belle saison. C’est donc dire qu’en plus des avantages pour la ferme elle-même, c’est toute l’image de la production laitière d’ici qui bénéficie de la pratique des pâturages. Finalement, les pâturages offrent aussi de nombreux avantages sur le plan environnemental et pour la biodiversité!

1 Coût de production moyen du foin et de l’ensilage d’herbe, Agritel, 2016-2018.
2 Arnott G, Ferris C. et O’Connell N. (2015). A comparison of confinement and grazing systems for dairy cows: What does the science say?, Agri Search (revue de littérature de 196 articles scientifiques).

Partager

Par François Labelle, agr.
François s’est joint à l’équipe de innovation et développement de Lactanet en 2010 à titre d’expert en production laitière biologique. Il est responsable de différents projets d’innovation technologique en production laitière biologique et du soutien technique pour l’équipe de conseillers en production laitière biologique.