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TRAJECTOIRES - Les Chenevière

Une famille dans l’histoire de Genève

21 Juin 2023 | Culture, histoire, philosophie

Les hommes et les femmes font l’histoire. Et certaines familles jouent un rôle éminent dans la vie de nos cités. C’est le cas de la famille Chenevière, dont plusieurs membres se sont illustrés dans l’histoire de Genève dès 1582. Un livre richement illustré de l’historien Christophe Vuilleumier, paru voilà quelques mois chez Slatkine, vient l’évoquer en rappelant l’histoire familiale des Chenevière qui s’est parfois confondue avec celle de la Cité de Calvin. Parcourons l’arbre généalogique.

Préfacé par Ivan Pictet, «Les Chenevière» s’ouvre aussi sur une introduction d’Antoine Chenevière, qui rappelle que ce livre «met en lumière des fragments d’un monde révolu que l’on imagine encore palpable». L’intérêt pour les généalogies n’a jamais été aussi répandu qu’aujourd’hui: de nombreuses personnes fréquentent les archives publiques pour y retrouver leurs racines et raviver la mémoire familiale. La famille Chenevière a la chance d’avoir conservé des archives privées très importantes, sur laquelle s’est fondé l’historien suisse Christophe Vuilleumier pour écrire son ouvrage. De celui-ci, trois grandes figures, parmi de nombreuses autres, se détachent particulièrement: Laurent Chenevière, Jean-Jacques-Caton Chenevière et Jacques Chenevière, toutes particulièrement liées à l’histoire de la ville du bout du lac.

Laurent Chenevière, premier
du nom

Originaire de la commune de L’Arbresle près de Lyon, les Chenevière vont quitter ce centre économique et commerçant drapier pour s’installer à Genève à la fin du XVIe siècle. C’est en la personne de Laurent Chenevière, né catholique en 1582, qui est envoyé à Genève auprès de la veuve huguenote Sara de Montchal, que commence la saga familiale en terre genevoise. Laurent va épouser Debora de Montchal et abjurer en même temps le catholicisme. Il s’établit comme tireur d’or «dont les maîtres constituaient la couche sociale supérieure des artisans dans le domaine de la fabrication des dorures sur broderies, passementeries, galons». En moins de cinquante ans, Laurent Chenevière hissa, avec son fils, sa «maison» au rang des lignées les plus respectées de la ville. Entre la fin du XVIe siècle et la seconde partie du XVIIIe, les Chenevière développèrent leurs activités dans le domaine de l’horlogerie et du commerce, leur sphère d’influence et leur renommée leur permettant de bâtir une fortune.

Jean-Jacques-Caton Chenevière, théologien et pasteur libéral

Peut-être la figure la plus connue de l’histoire familiale, Jean-Jacques-Caton Chenevière naquit en 1783. Après des études de théologie et avoir été ordonné pasteur, il accomplit un séjour à Marseille avant de réintégrer en 1814 la Cité de Calvin, en proie alors à des évènements clefs de son histoire, notamment son rattachement définitif à la Confédération en mai 1815. Opposant à la réintroduction du suffrage censitaire, adversaire du Réveil qu’il accusait de faire le jeu du catholicisme, défenseur du Jeûne genevois, professeur de théologie dogmatique à l’Académie de Genève dès 1817, Jean-Jacques Caton Chenevière publia de nombreux livres et opuscules. Ami de James Fazy, devenu une référence religieuse internationale, correspondant des puissants de son temps, très populaire dans le peuple genevois – moins dans sa Compagnie des pasteurs -, Jean-Jacques-Caton Chenevière participa aux débats et disputes théologiques de son époque tout en étant au service des petits et des pauvres. Il mourut en 1871.

Jacques, Marc et Guillaume

Au XXe siècle se détache la belle figure de Jacques Chenevière (1886-1976), écrivain et ami de toute l’intelligentsia parisienne des années vingt et trente, qui voyagea à travers le monde en effectuant des reportages photographiques fascinants. Jacques Chenevière fut surtout un acteur prépondérant du Comité international de la Croix-Rouge, dont il fut directeur général dès 1923. On ne manquera pas de signaler aussi Marc Chenevière (1911-1993), petit-fils de Jean-Jacques-Caton, qui fut rédacteur en chef de «La Suisse» de 1941 à 1975. Il est considéré comme l’un des plus grands patrons de presse helvétique d’après-guerre. Clin d’œil: c’est lui qui engagea pour la première fois notre directeur Thierry Oppikofer, qui devint à 21 ans le plus jeune éditorialiste romand de politique étrangère.
Son fils Guillaume, né en 1937, est bien connu des téléspectateurs romands, puisqu’il dirigea la Télévision suisse romande de 1992 à 2001.
Si les Chenevière sont restés moins connus que d’autres familles bourgeoises genevoises, plusieurs des membres de cette famille ont contribué à construire la Genève d’aujourd’hui. Le livre-album de Christophe Vuilleumier, en évoquant par la plume et l’image plusieurs destins personnels, vient combler un manque et rendre un juste hommage à cette importante dynastie de notre pays.

 

Laurent Passer