Abecedaire

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(un) abécédaire des friches

laboratoires fabriques squats espaces intermédiaires tiers-lieux culturels

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(un) abécédaire des friches, laboratoires, fabriques, squats, espaces intermédiaires, tiers-lieux culturels Coordonné par Marie-Pierre Bouchaudy & Fabrice Lextrait Lauren Andres Hugues Bazin Raphaël Besson Patrick Bouchain Bruno Caillet Étienne Capron Gilles Clément Emmanuelle Gangloff Gwénaëlle Groussard Gabrielle Halpern Philippe Henry Isabelle Horvath Arnaud Idelon Cassandre Jolivet Luc de Larminat

Sens&Tonka

Fabrice Lextrait Alain Lipietz Matina Magkou Léa Massaré di Duca Isabelle Mayaud Hélène Morteau Pascal Nicolas-Le Strat Cécile Offroy Fabrice Raffin Marta Rosenquist Laurence Roulleau-Berger Dominique Sagot-Duvauroux Colette Tron Emmanuel Vergès Joëlle Zask


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© 2023 Sens&Tonka © Les auteurs pour le texte © Les éditeurs pour l’édition française © Les éditions pour la présente parution www.sens-tonka.net


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Avant-propos Entre 2000 et 2002, des démarches multiples et diverses, bouleversant les fondamentaux des politiques culturelles, sont repérées, valorisées et analysées grâce au travail d’un secrétaire d’État au patrimoine et à la décentralisation culturelle atypique, Michel Duffour, qui réalise un pas de côté en s’intéressant aux initiatives artistiques et culturelles portées par la société civile en dehors des institutions consacrées. Il commande alors un rapport afin de documenter ces aventures aux multiples appellations. Dans la lettre de commande, Michel Duffour prend acte d’un « foisonnement de projets posant de manière originale et singulière la question des conditions de production et donc de réception de l’acte artistique ». Il s’agit « d’appréhender et de rendre plus explicites les fondements communs de ces initiatives singulières, leurs déterminants artistiques, économiques, éthiques et politiques ainsi que leurs modes d’organisation » pour « construire une approche raisonnée afin que les services du ministère de la Culture puissent mieux les repérer, les écouter et les accompagner sans pour autant les institutionnaliser, les enfermer dans des catégories ou créer un nouveau label ». La situation et les enjeux décrits dans cette lettre sont toujours d’actualité et le rapport Friches, laboratoires, fabriques, squats, projets pluridisciplinaires : une nouvelle époque de l’action culturelle… contribue encore aujourd’hui à préciser, identifier, formuler l’engagement politique et artistique de ces lieux intermédiaires. En 2002, l’organisation des rencontres Nouveaux territoires de l’art à la Friche la Belle de Mai à Marseille témoigne de la dimension internationale du mouvement. 7 (un) abécédaire des friches


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Ce qui nous intéresse vivement à l’époque, c’est le lien, réactivé par ces expériences, entre l’art et la société, la revendication par les artistes eux-mêmes d’un rôle singulier dans le renouvellement des pratiques démocratiques. Ils souhaitent alors s’impliquer dans les territoires où ils travaillent, en s’adressant non pas à des publics captifs mais à des populations, et, pour cela, revendiquent la maîtrise de leurs modes de production, de création et de transmission. Une nouvelle époque de l’action culturelle s’ouvre, loin des notions d’autonomie de l’art et de démocratisation culturelle. Nous étions persuadés (et nous le sommes toujours) que la place essentielle de l’imaginaire, du sensible, du symbolique, des récits, devait et pouvait être davantage prise en compte dans la construction de la cité, aussi bien sur le plan urbanistique que politique. Vingt ans plus tard, le paysage est contrasté. Les lieux intermédiaires ne sont toujours pas reconnus pour ce qu’ils sont par le ministère de la Culture. Celui-ci n’a pas su tirer les enseignements des expérimentations de production et de création artistiques partagées, des modes collectifs de gouvernance, des nouveaux usages parfois éphémères d’espaces délaissés, de la permanence artistique, de la pluridisciplinarité… Certaines collectivités territoriales ont su davantage accompagner, voire s’approprier ces démarches, leur permettant de réinventer l’espace public, d’expérimenter des pratiques participatives, d’occuper transitoirement des espaces vacants. Les initiatives se sont multipliées et les formes sont toujours plus diverses. Si, dans les années soixante-dix et quatrevingt, les friches industrielles étaient majoritairement utilisées, depuis, les bâtiments agricoles, gares, friches commerciales, bâtiments publics ont été investis. De nombreux appels d’offres lancés par des entreprises, des aménageurs, des promoteurs, des collectivités locales ont permis des expérimentations de durées variables, obligeant à des regroupements d’acteurs d’univers éloignés, regroupements qui se sont révélés très productifs. Le mouvement ne s’est donc pas essoufflé, malgré sa précarité persistante. Au contraire, il s’est diversifié en mobilisant de 8 (un) abécédaire des friches


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nouveaux acteurs culturels s’inscrivant davantage dans les champs sociaux, éducatifs, alimentaires, économiques, écologiques. Il s’est ainsi enrichi des approches de nouvelles générations. De nouveaux projets ont vu le jour que l’on nomme aujourd’hui, en France, à la suite de Ray Oldenburg, les tierslieux. Ils ont le vent en poupe et font l’objet de programmes de soutien de l’État. Le rapport de France tiers-lieux qui les décrit utilise nombre de notions et principes déjà repérés dans les lieux intermédiaires : dimension collective et collaborative, décloisonnement, ancrage dans un territoire, innovation sociale et économique… Cette nouvelle dynamique réunit espaces de coworking, FabLabs, makerspaces… issus en partie du monde du numérique et du mouvement hacker (du faire). Les moteurs sont ceux de la ville créative : innovation et créativité, maillage entre création artistique, production industrielle et développement technologique au service du développement économique. Cette émergence, là encore très riche et diverse, permet de nouvelles expérimentations, des recherches sur les transitions climatiques, accueille des réflexions sur de nouveaux rapports au travail, à la nature, à l’urbanité, à l’hybridation… Toutefois, ces tiers-lieux ne développent que très rarement des projets artistiques, contrairement aux lieux intermédiaires et indépendants le plus souvent initiés par et avec des artistes. Devant une telle diversité d’acteurs et face à des confusions multiples entre enjeux économiques, politiques, culturels, sociaux ou artistiques, il nous a semblé nécessaire de revenir visiter cette histoire des trente dernières années. Pas de manière linéaire mais à travers les concepts, notions, constats, vocabulaire, récits… qui sont nés de cette histoire. Pas en rassemblant des travaux de recherche épars et nombreux, mais en demandant à leurs auteurs d’en extraire des « mots » qui leur paraissent importants. Par ailleurs, depuis quinze ans, la multiplication de mémoires et de thèses de jeunes étudiants sur ce champ est paradoxale. Elle témoigne de l’actualité des thématiques portées par les espaces intermédiaires. Mais elle montre également la méconnaissance 9 avant-propos


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des travaux existants et donc une insuffisance d’accès à ces ressources. Ce constat a aussi été l’une des motivations de notre démarche. (Un) abécédaire des friches, laboratoires, fabriques, squats, espaces intermédiaires, tiers-lieux culturels souhaite donc constituer une contribution plurielle à la réflexion sur l’histoire, le présent et l’avenir de ces expériences artistiques, culturelles, sociales, économiques et politiques et contribuer encore et toujours à rendre plus lisibles, à valoriser et légitimer ces expérimentations pour « faire autrement ». La diversité des contributeurs offre une multiplicité d’approches et leur bibliographie commune pourra alimenter les réflexions d’étudiants (et de chercheurs). Nous souhaitons aussi que cet abécédaire soit utile aux artistes, opérateurs culturels, sociaux, économiques et éducatifs, aux élus et populations engagés dans ces aventures. *** Nous avons choisi la forme ouverte de l’abécédaire, illustration d’une pensée infiniment plurielle et évolutive et de l’importance qu’elle a aux yeux de chercheurs issus de disciplines diverses et hétérogènes. L’ambition n’est pas de réaliser une synthèse exhaustive des recherches mais de multiplier les points d’accès d’une pensée collective en train d’émerger. À l’inverse d’une encyclopédie ou d’un dictionnaire, l’abécédaire joue de l’aléatoire des entrées et de l’arbitraire des lettres pour mettre au défi, à chaque fois, les notions et voir en quoi elles sont un levier de questionnement et de perspectives nouvelles. Chaque entrée est conçue le plus souvent non pas comme une synthèse rétrospective mais comme une interrogation prospective. Grâce au format singulier de l’abécédaire, les friches culturelles se retrouvent au croisement des enjeux les plus cruciaux, vitaux de nos approches contemporaines : l’écologie, les mutations urbaines, le renouvellement démocratique, le commun et le collectif… ***

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Philosophes, économistes, sociologues, architectes, paysagistes, nourrissent cet abécédaire, souvent à travers des approches hybrides, transversales, se définissant elles-mêmes comme étant « en friche ». Ils tentent tous d’expliciter et préciser le vocabulaire et les concepts initiés ou développés par et autour de ces démarches singulières. Ces trente contributeurs sont tous des observateurs et des analystes de ces initiatives, ils ont produit des articles, des ouvrages et transmis leurs travaux sur le sujet. Certains sont des compagnons de longue date de ce mouvement, font partie de son histoire et ont contribué à construire, avec des points de vue divers, une réflexion collective. Plusieurs d’entre eux ont été les premiers à analyser ces expériences et ont « établi » certaines notions, incluant dans leur démarche intellectuelle ce que les artistes et les acteurs culturels exploraient. D’autres sont de jeunes chercheurs considérant ces thématiques comme essentielles dans la construction des « communs ». Nous les remercions vivement de s’être prêtés avec enthousiasme à un exercice difficile de synthèse, en quelques lignes, d’une pensée riche et complexe. Cent vingt mots et fragments langagiers se sont imposés à la suite des échanges pour croiser les axes de réflexion sur des concepts qui demeurent au centre des recherches les plus actuelles et les plus vives. Ils n’épuisent évidemment pas tout le vocabulaire significatif de ces espaces et chaque définition ne couvre pas la polysémie de chaque mot. Le champ est infini. D’autres abécédaires sont à écrire par des artistes, des acteurs culturels, des élus, des usagers de ces espaces, des habitants de ces territoires. Cette première tentative se veut métaphorique des aventures que leurs initiateurs inventent et développent en cultivant le multiple et la multitude, véritable réseau de singularités. Nous souhaitons qu’elle génère de nombreux échanges et de nouvelles contributions pour la prolonger et l’élargir. Marie-Pierre Bouchaudy et Fabrice Lextrait

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A Accompagnement [19] Adaptation [20] Appellations (multiplicité d’) [21] Appropriation (des espaces) [23] Appropriation (des propositions culturelles) [24] Architecture [25] Art(s) [27] Artistes [28] Artist-run space [30] Association [31] Atelier (arts visuels) [32] Autogouvernement [34]

Cécile Offroy, Luc de Larminat Lauren Andres Philippe Henry Marta Rosenquist Philippe Henry Fabrice Lextrait Colette Tron Isabelle Mayaud Fabrice Lextrait Cécile Offroy, Luc de Larminat Isabelle Mayaud Joëlle Zask

B Bricolage/Invention [35]

Colette Tron

C Commun [36] Communauté [38] Coopération (culture de la) [39] Coopération (modalités de) [41] Coopération (principes de) [42] Crise [43] Culture (conception émancipatrice de la) [45] Cultures urbaines [47]

Pascal Nicolas-Le Strat Etienne Capron Raphaël Besson Philippe Henry Philippe Henry Emmanuel Vergès Philippe Henry Hugues Bazin

D Décloisonnement [48] Digital [50]

Marta Rosenquist Emmanuel Vergès

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Dissémination (khôra) [51] Diversité culturelle [52] Droits culturels [54]

Fabrice Raffin Matina Magkou Cécile Offroy

E Économie créative [55] Économie sociale et solidaire (origines) [56] Économie sociale et solidaire (principes) [58] Économique (modèle) [59] Écosophie (d’un projet) [60] Engagement social (par le faire artistique) [62] Entrepreneuriat [63] Équipe [64] Erreur [65] Espace intermédiaire [67] Espace transitionnel [69] Esthétique (de la rencontre) [70] Esthétisation (modes d’) [71] Expérience [73] Expérimentation [74] Externalités (valeur vaporeuse) [75]

Matina Magkou Alain Lipietz Alain Lipietz Philippe Henry Pascal Nicolas-Le Strat Philippe Henry Isabelle Horvath Arnaud Idelon Léa Massaré di Duca Laurence Roulleau-Berger Raphaël Besson Philippe Henry Philippe Henry Joëlle Zask Pascal Nicolas-Le Strat Dominique Sagot-Duvauroux

F Faire [77] Festival [78] Fête [79] Fixation [81]

Fabrice Raffin Cassandre Jolivet Arnaud Idelon Bruno Caillet

G Génie naturel [82] Gentrification [83] Gouvernance collégiale [85] Ground (modèle des) [86]

Gilles Clément Fabrice Raffin Philippe Henry Dominique Sagot-Duvauroux

H Hybridation [88]

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Gabrielle Halpern


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I Individuation et subjectivation [89] Institutionnalisation [90] Intermédiaires [92] International [93] Interstice [95]

Laurence Roulleau-Berger Fabrice Raffin Isabelle Mayaud Matina Magkou Pascal Nicolas-Le Strat

L Latéralité (montée en) [96] Liberté [97] Localisation (faubourgs) [99]

Pascal Nicolas-Le Strat Marta Rosenquist Fabrice Raffin

M Maîtrise d’usage [100] Fabrice Lextrait Micropolitique (versus macropolitique) [101] Pascal Nicolas-Le Strat Mixité [103] Marta Rosenquist Modèle d’affaire [104] Cassandre Jolivet Monde(s) [106] Léa Massaré di Duca Monde commun [107] Emmanuel Vergès Multitude [109] Fabrice Lextrait Mur [110] Marta Rosenquist Mutabilité [112] Lauren Andres

N Négociation [113] Fabrice Raffin Nomadisme [114] Gilles Clément

O Occupation temporaire [115] Isabelle Mayaud Opportunisme [117] Gilles Clément Organisation [118] Arnaud Idelon Origines-Phylum [119] Fabrice Raffin

P Paradoxe [120] Isabelle Horvath Partenariat public-commun [122] Fabrice Lextrait Participatif (projet artistique) [123] Philippe Henry

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Participation [124] Joëlle Zask Passeur (broker) [126] Etienne Capron Périphéries [127] Emmanuel Vergès Permanence [129] Lauren Andres Permanence artistique [130] Fabrice Lextrait Pluridisciplinarité [131] Isabelle Horvath Polyvalence [133] Marta Rosenquist Populaire (l’art et le peuple) [134] Colette Tron Précaire [135] Isabelle Mayaud Process [137] Bruno Caillet Processus [138] Pascal Nicolas-Le Strat Processus (de création artistique) [140] Fabrice Lextrait Production [141] Gwénaëlle Groussard Proximité [143] Raphaël Besson

R Rave-party [144] Arnaud Idelon Réciprocité [146] Cécile Offroy, Luc de Larminat Récit (faire) [147] Pascal Nicolas-Le Strat Reprise (des lieux délaissés) [148] Patrick Bouchain Résidence-atelier [150] Hugues Bazin Résonance [151] Dominique Sagot-Duvauroux Ressource (territoriale) [153] Raphaël Besson Restauration [155] Cassandre Jolivet Rural [156] Cassandre Jolivet

S Sensible [157] Colette Tron Singularité [159] Gilles Clément Singularité (des lieux) [160] Gwénaëlle Groussard Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) [162] Fabrice Lextrait Squat [163] Fabrice Lextrait Subvention [165] Dominique Sagot-Duvauroux

T Temporaire [166] Lauren Andres Tiers de confiance culturel [167] Bruno Caillet Tiers-espace [168] Hugues Bazin

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Tiers-paysage [170] Gilles Clément Tiers-quartier culturel [172] Fabrice Lextrait Trajectoire [173] Lauren Andres Transitoire [175] Lauren Andres Travail en friche [176] Laurence Roulleau-Berger Travailler/œuvrer [177] Colette Tron

U Urbanisme culturel [178] Emmanuelle Gangloff Urbanisme transitoire [179] Hélène Morteau Usagers (gouvernance impliquant des) [181] Philippe Henry

V Valeur [182] Cassandre Jolivet Ville créative [184] Raphaël Besson

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Accompagnement L’accompagnement des artistes et des acteurs culturels est une activité centrale des lieux intermédiaires. Convoquant deux figures, celle du compagnon et celle du guide, il conjugue également deux idées : être avec et se déplacer en commun. Soutien ou appui à la réalisation d’un projet ou d’une action, l’accompagnement est communément désigné, dans les lieux intermédiaires, par la formule « accueil en résidence », qui insiste d’emblée sur la centralité des ressources physiques et matérielles – la mise à disposition d’espaces de travail et d’équipements mutualisés – mais tend à dissimuler les ressources relationnelles qu’il implique. Permanent ou temporaire, l’accueil en résidence recouvre en effet une grande diversité de pratiques, susceptibles de mobiliser des apports artistiques (conseil, regard extérieur...), administratifs (aide aux démarches, appui à la production...), communicationnels (promotion, mise en réseau...) ou encore financiers (bourse, commande, coproduction...). Le cheminement spatial, relationnel et temporel de l’accompagnement peut ainsi se décliner à travers de nombreuses activités, mais aussi des jeux et postures, allant du conseil au coaching et de la médiation au mentorat (Paul, 2014). Les accompagnements qui se déploient dans les lieux intermédiaires se caractérisent par la grande autonomie d’organisation et la vaste liberté d’expérimentation et de création laissées aux résidents. Non interventionnistes et informels, privilégiant l’horizontalité des rapports, ils s’ancrent dans les dynamiques collectives des lieux, lesquelles favorisent l’entraide, les mouvements réciprocitaires et les échanges entre résidents, premiers vecteurs d’acculturation, de transmission et de coformation. Ils requièrent en retour une contribution responsable et 19 (un) abécédaire des friches

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active des résidents au fonctionnement et à la vie, voire à la gestion du lieu. Ces spécificités peuvent les rapprocher des modèles du compagnonnage et de la pair-aidance, d’autant qu’une complémentarité de disciplines et de parcours se niche dans ces espaces qui s’agencent et se réagencent au gré des projets. La démarche d’accompagnement dans les lieux intermédiaires, fondée sur la proximité relationnelle, l’hospitalité, la convivialité et la disponibilité discrète des équipes accueillantes, guidée par une éthique affirmée de la sollicitude, passe encore trop souvent inaperçue. Ces espaces, telles des ruches, encouragent pourtant la coopération des résidents, soutiennent leur insertion vers une économie de filières institutionnalisée et participent à l’émergence de nouveaux écosystèmes artistiques et culturels. Cécile Offroy et Luc de Larminat

Adaptation Le terme « adaptation » est par essence lié aux temporalités de la friche, au caractère temporaire des usages qui la caractérisent, à sa relation avec la permanence mais aussi à ses processus de mutabilité. L’adaptation ne se résume pas à une transformation plus ou moins linéaire, composée de plusieurs cycles. Elle est itérative, souvent non linéaire et éminemment complexe. Toute adaptation se déroule au gré de dynamiques diverses, liées aux différentes formes d’interactions qui émergent des pratiques développées sur les espaces en friche et/ou en réaction à celles-ci. L’adaptation des espaces en friche est donc un processus dynamique qui permet de comprendre comment la friche – comprise ici d’un point de vue systémique – va être soumise à de nombreux processus de transformation nécessitant des ajustements progressifs. Ces ajustements – ou adaptations – peuvent être mineurs ou plus importants, être liés à des modifications nécessitant peu d’investissements humains et financiers, ou, au contraire, se révéler plus significatifs et remettre en cause différents facteurs et piliers constitutifs de la friche comme système. 20 (un) abécédaire


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Le processus d’adaptation est de trois natures. Il peut être simple et technique, lié à l’adaptation d’un espace à de nouveaux usages. Il est aussi stratégique : il s’agit alors de faire évoluer l’espace et le projet pour qu’ils s’insèrent dans un processus – négocié – de transformation à long terme. Il peut enfin être improvisé pour répondre très rapidement à un besoin d’adaptation urgent. Dans ces trois cas de figure, c’est une corrélation entre l’espace physique de la friche, ses acteurs et son projet qui s’adapte de manière systémique, soit de façon relativement incrémentale (avec peu d’impacts sur le long terme), soit de façon beaucoup plus structurée (au sein d’un processus de gouvernance négocié). L’adaptation de la friche et des espaces en transition s’inscrit dans des approches qui incluent non seulement la durabilité mais aussi la résilience, en particulier vis-à-vis des contraintes et challenges qui caractérisent tous les projets élaborés et les initiatives menées sur ces terrains en devenir. L’adaptation est une manière de reconnaître que tout espace se doit d’évoluer afin de pouvoir continuer d’exercer un certain droit d’être, d’exister, mais aussi d’impacter, par ses activités, un espace urbain. L’adaptation est enfin cruciale comme mode de production artistique, d’expression et d’utilisation agile de l’espace, mais aussi en tant que stratégie mise en place par les collectifs pour continuer à exercer créativité et pratiques artistiques. Lauren Andres

Appellations (multiplicité d’) Dès les années 1970 en Europe, en résonance avec les mouvements contestataires, alternatifs et autogestionnaires de l’époque, des groupes d’artistes et des porteurs de projets culturels et/ou sociaux ont réinvesti des bâtiments abandonnés, souvent en périphérie de centres urbains. Ce mouvement a touché la France à la fin des années 1980, en lien avec une demande croissante de lieux de travail, en particulier pour les jeunes artistes et dans une volonté d’inventer de nouveaux rapports entre l’art, la société et les territoires. Pour nommer ces aventures, les acteurs français ont mis en avant le terme 21 des friches


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de « friches culturelles », mais d’autres ont aussi été employés tels que « squats », « laboratoires » ou « fabriques artistiques » (Lextrait, 2001). Le réseau Trans Europe Halles (1983) a longtemps parlé de « centres culturels indépendants », qu’il qualifie aujourd’hui d’« enracinés » (grassroots). En France, l’unique réelle prise en compte par l’État de ces initiatives, entre 2000 et 2002, a conduit à l’appellation « Nouveaux territoires de l’art » et à une mission correspondante, jusqu’en 2010, au sein de l’Institut des villes. Les rares et modestes politiques régionales de soutien ont repris cette formule (Midi-Pyrénées, au début des années 2000) ou employé celle de « fabriques de culture » (Île-de-France, à partir de 2010). Le qualificatif métaphorique d’« intermédiaires » a été mis en avant lors du colloque international organisé en 2002 à la Friche la Belle de Mai à Marseille, grâce au soutien de Michel Duffour, secrétaire d’État au Patrimoine et à la Décentralisation culturelle. Il a ensuite été repris dans un sens plus fonctionnel pour souligner les dimensions d’intermédiation à l’œuvre dans ces espaces-projets artistiques (Henry, 2013). En 2014, le premier forum des « lieux intermédiaires », largement organisé sur les forces des acteurs civils, a abouti à la constitution d’une Coordination nationale des « lieux intermédiaires et indépendants » (Cnlii). À la suite de multiples actions de ces acteurs, cette appellation a été inscrite dans la loi de 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP), le ministère de la Culture s’en tenant à un soutien au fonctionnement d’« ateliers de fabrique artistique ». La Cnlii est qualifiée de réseau de référence pour le domaine culturel dans le rapport de 2021 portant sur les « tierslieux » (FTL, 2021). Avant de faire l’objet de politiques tant régionales que nationales, cette dénomination est apparue en France d’abord à propos des bibliothèques (Servet, 2009), avant de s’étendre à des réalités elles aussi très diverses (Burret, 2015). Le colloque pluridisciplinaire sur les « tiers-lieux culturels », en 2022 à Toulon, a repris cette terminologie sans interroger suffisamment son contenu et son histoire. Cette variété terminologique renvoie donc d’abord à des luttes d’identification et d’appropriation entre acteurs des 22 (un) abécédaire


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mondes de la culture, et plus largement entre acteurs civils et pouvoirs publics. Philippe Henry

Appropriation (des espaces) Afin de saisir l’appropriation des friches et espaces intermédiaires culturels, examinons d’abord les processus d’installation des acteurs qui s’approprient de tels lieux. À la suite de la cessation des activités industrielles auxquelles ces sites étaient destinés, leurs formes brutes attirent surtout les artistes multidisciplinaires tels que les musiciens, les plasticiens ou les artistes du spectacle vivant. Leur installation dans les lieux prend souvent la forme d’un squat ou d’un bail précaire. Les anciens espaces industriels se prêtent facilement à une appropriation par les artistes et acteurs culturels grâce à leurs grands volumes et leur flexibilité. Ce sont des espaces à redessiner, à modeler, et les conditions spécifiques de l’installation dans ces sites permettent une grande liberté quant à leur utilisation. Dans les premières années qui suivent la reprise d’un ancien site industriel par des acteurs culturels, les artistes peuvent souvent se permettre de dessiner et de fabriquer euxmêmes les périmètres de leurs ateliers, à l’intérieur des immenses espaces bruts. L’appropriation s’effectue à travers un échange avec ce morceau d’industrie abandonné, où les nouveaux acteurs sont à la fois influencés et inspirés. Quand l’appropriation est réussie, nous pouvons évoquer un mariage entre le vieux bâti et les artistes ou acteurs culturels qui ont choisi d’œuvrer dans cette friche. Michel Crespin (1940-2014), metteur en scène et scénographe de l’espace public, désigne les « accroches intellectuelles » que les friches incitent, chez lui, comme des « aspérités urbaines » : des « pointes physiques comme des pointes mentales pour inventer une action, un événement, une démarche » (Rosenquist, 2019). Ces réflexions nous aident à saisir la complexité et l’étendue de l’appropriation des friches : il ne s’agit nullement de simples espaces de travail, mais d’un environnement bâti avec 23 des friches


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ses caractéristiques singulières, et qui joue, à sa façon, un rôle actif dans l’acte de créer. La manière dont les artistes, tels les plasticiens, utilisent et modifient ces lieux ne reste pas forcément éphémère ni provisoire. Souvent, leurs activités finissent par influencer la façon dont différents acteurs et publics conçoivent le site. Les utilisations spécifiques des éléments architecturaux de ce patrimoine industriel peuvent ensuite être pérennisées, à l’aide d’une transformation de l’ancien espace industriel menée par des architectes. Les méthodes et outils de travail qui naissent de l’appropriation réussie d’une friche peuvent, par ailleurs, contribuer à déclencher sa pérennisation. Marta Rosenquist

Appropriation (des propositions culturelles) Par leur volonté d’explorer de nouvelles relations entre l’art, la société et les territoires, les espaces-projets artistiques se trouvent directement confrontés aux nouveaux modes d’appropriation culturelle de nos concitoyens. Ceux-ci relèvent désormais plus nettement du désir de chacun – ou pour le moins de l’injonction croissante – à (re)devenir davantage acteur de ses propres expériences culturelles et de la construction de son identité. Dans le même temps, le numérique ouvre une capacité décuplée pour chacun de se faire relais d’information ou d’opinion, aussi bien que d’entrer en relation avec une diversité de personnes au sein de réseaux qui ne recoupent plus les anciennes délimitations communautaires (Cardon, 2019). Cette évolution tend à valoriser des relations plus personnalisées et équilibrées entre, d’une part, les artistes – et plus largement les acteurs culturels professionnels – et, d’autre part, les publics concernés ou potentiels, et plus particulièrement les populations d’un territoire donné. Elle nécessite aussi une interaction plus serrée entre fonctions de production, de médiation et de réception, participant ainsi à une reconfiguration globale des métiers culturels. On passe alors de plus en plus des notions de réception et de publics à celles d’appropriation et d’usagers. 24 (un) abécédaire


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Ce changement prend aujourd’hui une intensité nouvelle, tant dans l’élaboration et la conduite des projets culturels que dans les incidences organisationnelles qu’il implique. Pour être opérant, il implique la production de nouveaux contenus et modes de diffusion, hors d’une simple visée promotionnelle, avec des langages plus directs pour les usagers et plus ouverts à une interaction avec eux. C’est aussi considérer ces derniers comme partie intégrante des processus proposés et en capacité de participer à la constitution de leur propre parcours de découverte et d’appropriation. Une adaptation des outils de médiation aux différents profils s’en trouve d’autant plus renforcée que chacun est désormais demandeur d’une reconnaissance individualisée de son pouvoir d’agir sur sa propre vie (Arnaud, 2018). En découle l’importance donnée par les espaces-projets aux démarches participatives, mais aussi à l’implication bénévole dans l’organisation des activités ou dans les instances décisionnelles de la structure, le plus souvent associative. On se trouve alors loin de l’idée fondatrice du ministère de la Culture d’une capacité, par la seule force d’une mise en relation directe avec des œuvres d’art remarquables, de participation commune et de rassemblement partagé entre personnes vivant dans une même communauté de destin, et au premier chef la communauté nationale. Le temps d’une adresse à des publics spécifiques – parmi lesquels figurent les plus « éloignés » de l’offre culturelle instituée –, qui s’est développée depuis le dernier quart du siècle dernier, apparaît lui aussi comme devant être dépassé. Philippe Henry

Architecture Les artistes sont naturellement en dialogue avec l’architecture, et les architectes ont toujours considéré les programmes culturels comme des sujets privilégiés de leur art. Depuis cinquante ans, avec les friches, un autre rapport au construit se développe et combine trois approches. La première approche est celle des utilisations scénographiques. Les représentations d’Orlando Furioso de Luca Ronconi au Pavillon Baltard quelques jours avant sa démolition 25 des friches


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(1970), celles de Frank Castorf dans une friche en Autriche ou dans l’usine Babcok à la Courneuve (2016), la lumière démultipliée, filtrée et projetée de Daniel Buren à Emmetrop à Bourges (2001), les rave-parties dans les hangars de la British Rail à Manchester (1985), le repli des tagueurs dans les usines abandonnées photographiées par Antonin Giverne (2012), révèlent des possibles que les espaces délaissés permettent d’écrire. La deuxième approche est celle de l’usage de transition. En stoppant la dégradation de lieux devenus improductifs, des artistes se donnent les moyens de travailler et de rencontrer populations et publics. Des architectures existantes, sortant de la norme volumétrique des programmes architecturaux conventionnels, donnent la possibilité de lieux de travail, de diffusion et de convivialité qui sont, pour Philippe Foulquié, fondateur de la Friche la Belle de Mai, libres, souples, ouverts, possibles et infinis. Pour Patrick Bouchain, « une autre voie est ouverte avec les lieux intermédiaires, car des gens qui n’étaient pas impliqués dans la fabrication de la ville, des artistes, des intellectuels, des habitants, s’engagent et proposent de nouveaux modes de fabrication de l’urbain, qui anticipent sans programmer, sans figer » (Bouchain, 2006). La troisième approche est celle des nouvelles écritures architecturales. En 1977, Lina Bo Bardi, architecte italienne installée au Brésil, a cultivé l’idée centrale d’une architecture conçue comme un corps vivant, vibrant, pouvant être « un petit bonheur dans une ville triste ». Le Pompeia, « l’usine à rêves » de São Paulo, témoigne de « la gaieté d’une usine préservée malgré ses fuites ». Lors des Rencontres sur la modification architecturale en 1999, Hubert Tonka qualifiait « le provisoire et le nomadisme » comme « une réalité et une force, qui s’imposent pour affirmer des architectures contemporaines alternatives aux architectures de patrimonialisation ». Dans les lieux imprévus, « l’architecture s’exprime dans la rencontre entre des qualités spatiales préexistantes et un processus organique de transformation qui n’a de sens que s’il répond aux besoins de tous et aux désirs de ceux qui s’y engagent avec courage et détermination » (collectif Encore Heureux, 2018). 26 (un) abécédaire


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« S’inscrire dans le contexte, connaître la règle, ne pas agir mais transformer, faire le moins possible pour donner le plus possible, entraîner tout le monde, interpréter, donner du temps, transmettre, ne jamais faire pareil » (Bouchain, 2006) permet de construire autrement, pour habiter autrement avec comme principe la « Haute Qualité Humaine ». Pour « l’architecte frichier » de la Belle de Mai, Matthieu Poitevin, une friche est un vrai lieu-manifeste, une expérimentation dans un principe de réalité qui offre des possibles là où un bâtiment neuf n’offre que des solutions définitives. « Ces lieux ne nous disent pas comment penser, ajoute-t-il, ils s’offrent à l’imagination. Ils respectent la liberté de ceux qui les visitent. Tout est trop grand, trop haut, abîmé parfois par le temps, trop profond..., mais tout est là. » Fabrice Lextrait

Art(s) Les conceptions, les usages et les sens du mot art, autant que ce qu’il désigne concrètement, varient au cours de l’histoire, de l’évolution des pratiques, des mouvements artistiques, des inventions techniques, des économies, des multiples facteurs d’art, de son statut social, etc. Aussi, plutôt qu’une position essentialiste, généralisante ou originelle, l’idée d’art, la théorie, serait à relier à la réalité des pratiques, mouvantes, contextuelles, singulières, qui configurent et (re)dessinent les arts, échappant aux catégories et aux définitions. Marque d’un antagonisme entre ontologie et matérialisme historique, « L’art et les arts », une conférence du philosophe Theodor Adorno (1966), interrogeait ainsi l’idée d’art (théorie) en relation avec la réalité des pratiques concrètes et actuelles (pratique) : la possibilité d’une unification, le sens de celle-ci et de ce qui la formerait – l’art, la variété et multiplicité des arts, leurs débordements des frontières, leurs mouvements voire leurs mutations, leur devenir. Correspondances, synesthésies, hybridations, inspirations, transpositions, inter ou transdisciplinarité, d’un art (à) l’autre, ou bien séparation, hétérogénéité, dispersion, « effrangement » des arts, selon sa terminologie. Ce 27 des friches


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qu’il y a à interpréter, ou du moins à comprendre, écrivait Adorno, c’est ce qui fait jaillir cet « effrangement », ou quelque autre « brouillage des catégories », depuis la pratique, ou les pratiques. Il précisait que « l’évidence perdue de leurs objets et de leurs procédures » engage à cette réflexion, autant qu’à l’observation de l’évolution des arts, et des forces historiques qui y sont à l’œuvre. Il commentait : « Toutefois, alors même que le brouillage des catégories artistiques bien rangées donne des angoisses quant à la civilisation, cette tendance, à l’insu des angoissés eux-mêmes, coopère au mouvement de la raison et de la civilisation dont l’art a toujours participé. » L’art et les arts se transforment donc historiquement, socialement, esthétiquement, économiquement, et les relations, sens, formes de vie, formes et fonctions de l’art et des artistes coévoluent et créent un milieu, une société, une culture. Aussi flottants et inassignables que soient les arts qui se pratiquent dans les friches industrielles, les espaces intermédiaires et les tiers-lieux culturels, ils échappent à toute catégorisation et définition par leur caractère vivant, actuel, contextuel, historique. Une histoire des arts qui est aussi une histoire des pratiques, des hommes et, pour reprendre le mot d’Adorno, de la civilisation. Colette Tron

Artistes Le « squat d’artistes » a longtemps opéré comme un repoussoir, un marqueur stigmatisant, renvoyant les artistes aux marges refoulées de la ville, de la société et du monde de l’art. Assimilés, de façon classique, à des populations déviantes (Becker, 1963), « les artistes » sont désormais appréhendés par nombre d’acteurs économiques, politiques, scientifiques ou médiatiques comme des instruments privilégiés de régénération urbaine (Andres, 2011 ; Arab, Özdirlik, Vivant, 2016). Ce renversement des regards est à resituer dans un contexte plus large de transformation des sociétés contemporaines, et de ce que certains nomment le « nouvel esprit du capitalisme » (Boltanski, Chiapello, 1999). 28 (un) abécédaire


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Les espaces de vie et de travail mutualisés par les artistes, considérés de façon générique comme des agents de la gentrification urbaine et/ou des objets phares d’une forme renouvelée de tourisme culturel international, gagnent à être appréhendés d’une manière située et nuancée. Il ressort, de l’enquête récente portant sur les lieux mutualisés par les artistes visuels en France (Mayaud, 2019), plusieurs enseignements allant dans ce sens. Si les expériences de mise en commun s’expliquent en partie par des nécessités matérielles indéniables, a fortiori dans un contexte d’envolée des prix de l’immobilier et d’augmentation du nombre d’artistes en situation de grande précarité (Mayaud, Jeanpierre, 2020 ; Patureau, Sinigaglia, 2020), elles ne peuvent toutefois s’y réduire. Ces espaces sont importants pour les artistes car ils répondent également aux exigences de leur métier. L’organisation en ateliers techniques, qui permet le travail de différents médiums (peinture, bois, métal, textile, etc.), ainsi que l’ouverture à des artistes formés à différentes pratiques (arts visuels, spectacle vivant, cinéma, etc.), constituent autant de spécificités correspondant aux pratiques esthétiques contemporaines et les rendant possibles. Ces espaces partagés ont également un rôle structurant dans le développement de certaines carrières artistiques. Particulièrement prisés par les jeunes artistes en début de carrière, durant cette période transitoire, parfois longue, dite de sortie d’école, ils s’avèrent souvent déterminants dans la poursuite de l’exercice de l’activité artistique. Ces espaces de socialisation multidimensionnelle, tout à la fois lieux de monstration, de formation et de transmission de savoirs comme de savoir-faire, viennent ici pallier un défaut d’infrastructures professionnelles dans ce domaine d’activité. Ils constituent ainsi, pour beaucoup d’artistes, une alternative – économique, politique et sociale – qui justifie un engagement fort et revendiqué. L’approche empirique des espaces mutualisés révèle certaines des difficultés structurelles de l’économie de l’art. Elle invite, en définitive, à dépasser la grille de lecture territorialisée, et à substituer une approche sectorielle de ces expériences à celle, sectorisée, ordinairement privilégiée. Isabelle Mayaud

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Artist-run space Ouverts à la fin des années 1960 avec des lieux emblématiques tels que The Kitchen, P.S.1, 112 Greene Street (Rosati, Staniszewski, 2012), ou des expériences françaises comme celle de La Cédille qui sourit, montée par Robert Filliou et Georges Brecht en 1965, le mouvement, ou plutôt la qualification des lieux artist-run spaces, repose sur les principes du collaboratif et de l’indépendant. « Autonomy, Solidarity, Participation » sont les mots par lesquels Gabriele Detterer définit quant à elle « the spirit and culture of Artist-Run Spaces » (2012). Ces espaces d’art alternatifs offrent des sites de réappropriation et d’expérimentation permettant aux artistes de se produire et d’exposer en dehors du circuit commercial, des galeries et des musées, avec et dans un engagement total pour le processus artistique. Ils cassent aussi les logiques disciplinaires en permettant de croiser des disciplines. Les run spaces permettent, pour Cédric Teisseire, président de La Station à Nice, de combler un manque dans le schéma professionnel artistique, où la parole et la position de l’artiste dans la société et le milieu dans lesquels il vit sont enfin considérées, réfléchies. L’artist-run space idéal est, selon Alun Williams, fondateur de Triangle France, quelque chose où structure et activités forment une parfaite alternative aux iniquités du monde de l’art : il agit en dehors du marché ; il est une alternative aux institutions ; quoique public, il est indépendant des politiques locales ; il échappe à la bureaucratie ; il est en dehors des centres en vue ; il n’est pas un instrument de gentrification ; il aide les artistes locaux en même temps qu’il fait partie d’un réseau plus global ; il est heureux, désirable, le programme en est remarquable et diversifié, et il agit en dehors des formes pyramidales de décision. Il vit près de la fontaine de jouvence. Dans les artist-run spaces, la dimension du « do it yourself » ne concerne pas uniquement l’auto-monstration, mais aussi les phénomènes de validation et de légitimation auparavant réservés aux expertises institutionnelles. La participation y est un principe, les artistes cultivent une prise en charge par « eux30 (un) abécédaire


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mêmes » de leurs moyens de diffusion et de production, alors que traditionnellement ils s’en remettaient à d’autres. Ce mouvement d’autogestion artistique travaille aujourd’hui à sa consolidation et à son redéploiement pour, d’une part, trouver des lieux et des financements pour les plus fragiles et, d’autre part, éviter « le risque d’enkystement institutionnel synonyme de perte de vitalité et de pertinence artistique » (Joly, 2013). Comme dans les autres formes d’espaces intermédiaires, la connivence critique avec l’institution est un exercice de style, mais aussi un dialogue politique. Pour Elena Tzotzi de Signal (Centre d’art contemporain, Malmö, Suède), l’axe qui était utilisé comme une division pratique entre l’établi et l’émergent, le commercial et l’alternatif a depuis longtemps disparu. Il a été remplacé par un enchevêtrement des catégories précédentes qui convergent dans une aptitude à se frayer un chemin dans le monde de l’art. Dans ce contexte, « il y a une course poursuite entre la désinstitutionalisation de l’institution et l’alternatif sommé de réinventer constamment de nouvelles fonctionnalités » (Joly, 2013). Fabrice Lextrait

Association Nés en marge des institutions dans les années 1970, les fabriques artistiques et lieux intermédiaires s’apparentent à un ensemble d’initiatives de la société civile, de collectifs et de groupes d’artistes, liés aux mouvements culturels alternatifs et indépendants, et largement constitués sous forme associative. L’association, définie par l’article 1 de la loi du 1er juillet 1901 comme « la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices », s’affirme comme un contrat par lequel des individus peuvent se réunir et s’organiser librement, mais aussi agir collectivement et solidairement sur le monde social et économique. À ce titre, les lieux intermédiaires s’inscrivent dans un ensemble vaste, hétérogène et dynamique, en forte croissance 31 des friches


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depuis plusieurs décennies et riche de plus de 350 000 associations culturelles, dont 40 000 sont employeuses. Longtemps invisibilisées, considérées comme des acteurs mineurs ou au mieux subversifs du champ culturel, assimilées tantôt à des entreprises privées au rabais, tantôt à un sous-service public vivotant à l’ombre des institutions légitimes, ces associations culturelles employeuses recensent pourtant en 2018 plus de 300 000 travailleurs et travailleuses, 130 000 emplois en équivalent temps plein, 50 000 autoentrepreneurs et entrepreneuses, auteurs et autrices, et 7 milliards d’euros cumulés de budget (enquête Opale 2020). 5 % d’entre elles sont des fabriques artistiques et représentent plus de 2 000 lieux intermédiaires, répartis sur tout le territoire français. Généralement pluridisciplinaires et pluriactifs, ces derniers interviennent plus souvent que les autres associations culturelles dans les différentes étapes de la réalisation et de la mise en circulation des œuvres : production bien sûr, par les espaces de travail et les outils qu’ils offrent aux artistes qui les fréquentent, mais aussi création et diffusion de travaux originaux, éducation artistique et culturelle ou encore administration et accompagnement. La gouvernance de ces espaces par excellence de la mutualisation, fortement engagés dans les démarches de communalité, reste empreinte des racines autogestionnaires qui continuent d’irriguer leur fonctionnement au quotidien : ils sont 87 % à disposer d’instances collégiales, contre 49 % de l’ensemble des associations culturelles employeuses. Ces associations adhocratiques donnent ainsi le pouvoir non seulement à ceux qui les représentent, mais aussi à ceux qui les font vivre, à commencer par leurs résidents. Cécile Offroy et Luc de Larminat

Atelier (arts visuels) Avoir un atelier constitue une gageure pour la majorité des artistes visuels (arts plastiques et graphiques), d’une part parce que les revenus issus de l’activité artistique demeurent à un niveau très bas, d’autre part parce que les investissements nécessaires à l’exercice de cette activité sont en 32 (un) abécédaire


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constante augmentation : le marché de l’immobilier évoluant à la hausse depuis plusieurs décennies, l’espace de création représente, pour les artistes, l’un des principaux pôles de dépense récurrents. Faute de ressources suffisantes, nombreux sont celles et ceux qui travaillent à leur domicile. Depuis l’époque moderne, ce modèle de type « domicile atelier » coexiste avec un autre modèle de type « atelier mutualisé ». L’atelier collectif est ainsi le lieu où l’art se fabrique, s’expose, s’enseigne et se vend (Lafont, 2014), le lieu aussi où l’artiste moderne puis contemporain se définit. En France, ce modèle apparaît aujourd’hui en expansion. Le rapport inspiré par la Friche la Belle de Mai (Lextrait, 2001) représente une étape importante dans cette perspective, puisqu’il a contribué à repositionner l’atelier de production au cœur des « nouveaux territoires de l’art ». Impulsés par des artistes, des acteurs publics ou privés, ces « lieux en commun » (Mayaud, 2019) présentent des caractéristiques hétéroclites qui renvoient à une multitude d’histoires collectives. Ils rassemblent des artistes qui partagent leur lieu de travail avec d’autres artistes du domaine des arts visuels (DOC! et le Wonder en Île-de-France), souvent aussi avec des personnes en exercice dans d’autres secteurs artistiques ou culturels (La Cherche en Normandie) et d’autres secteurs d’activité. Les lieux que ces artistes partagent regroupent deux, dix, ou parfois des centaines de personnes. Ces espaces, gérés par des entreprises, des associations ou des coopératives, indépendants ou subventionnés et soutenus par l’État, sont régis par des conditions d’occupation diverses, plus ou moins précaires. Autorisés ou illégaux, de tels lieux de production artistique existent depuis plusieurs années (Les Moyens du Bord en Bretagne et le Syndicat Potentiel en Grand Est) ou quelques mois seulement (Les Ateliers de la pouponnière en Occitanie). Ils sont situés en zone rurale, urbaine ou périurbaine, et leur superficie (de moins de 150 m2 à plus de 5 000 m2), ainsi que le type d’architecture auquel ils s’apparentent (bâtiments industriels requalifiés, châteaux, ateliers-bureaux) sont hétérogènes. La plupart disposent d’ateliers techniques – bois, vidéo, métal, peinture, sérigraphie, son, 33 des friches


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graphisme, photographie, céramique, textile, etc. – qui renvoient à la multiplicité des pratiques contemporaines de création. Ne se revendiquant généralement d’aucun courant artistique, les collectifs regroupés au sein de ces espaces partagent ainsi des outils et du matériel, mais aussi des savoirs et des savoir-faire. « Troisième lieu de l’art » à instituer aux côtés des espaces de formation et de diffusion, l’atelier des artistes est en définitive, en France comme dans la plupart des pays du monde, toujours plus qu’un atelier. Il s’apparente à un hyperlieu : un espace d’expérimentation sociale, économique, esthétique et politique. Isabelle Mayaud

Autogouvernement Au lieu de parler de démocratie, un terme qui prête à confusion tant son sens varie, je propose de parler d’autogouvernement (self-government). Que ses formes soient politiques, sociales, artistiques ou encore économiques, ce dernier exprime un principe de base, une inspiration, une intuition originelle qui insufflent une vie propre à la démocratie. S’autogouverner, c’est « se conduire sans un maître » (Jefferson), prendre des initiatives, s’engager librement dans une entreprise, en être responsable et bénéficier de ses résultats, ou les endurer s’ils sont mauvais. L’autogouvernement s’applique à toute échelle, de l’individu à l’humanité entière. Individuellement, il advient lorsque ma conduite n’est pas contrôlée de l’extérieur, mais dépend de mes choix, de mes préférences, de mes efforts, de mes perspectives. Cela ne va pas de soi. Me gouverner moi-même suppose par exemple que j’organise mes pulsions, mes passions qui souvent me tiraillent, mes calculs et mes idées, afin de les équilibrer et de les rassembler. L’autogouvernant agit un peu comme un chef d’orchestre. Il ne cherche ni à dominer ni à supprimer tel ou tel penchant, mais à harmoniser l’ensemble. Gouverner, c’est tenir le gouvernail, et non dominer ou contraindre. L’autogouvernement s’applique également à l’expérience du monde extérieur. Lorsque je cultive des plantes, planifie mon transport, participe à un dîner entre amis, j’ai affaire à un envi34 (un) abécédaire


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ronnement dont la logique diffère de la mienne et je dois l’observer, identifier ses lignes de force et sa dynamique, afin d’y ajuster mon plan d’action. Le paysan par exemple forme avec ses plantes, sa terre, ses bêtes, ses outils, etc., une communauté dans laquelle chaque réalité exerce une influence. Il sait, comme le disent tous les paysans, que la nature ne fait pas ce qu’il veut et qu’il en est plus l’élève que le maître. Élève, mais pas esclave. « Ses manières de faire sont celles de la nature elle-même », écrivait le philosophe Emerson, ce qui n’empêche pas qu’il transforme la nature et crée un nouveau paysage. À plus vaste échelle, l’autogouvernement s’applique à des regroupements d’individus qui font des choses ensemble et se répartissent les fonctions, les tâches, les rôles, sans amputer les individus de leur personnalité. Les communautés autogouvernées sont émancipées de relations d’obéissance à l’égard d’une autorité dite supérieure. Dans la mesure où elles rassemblent les libertés individuelles, le soin et la préservation des données de l’expérience qui constituent nos conditions de vie, et des individus dont les besoins et les intérêts sont pluriels, elles sont les formes les plus avancées de la démocratie et, en même temps, de l’écologie. Joëlle Zask

Bricolage/Invention L’anthropologue Claude Lévi-Strauss situait le bricolage entre la science et l’art, entre la pensée abstraite et la pensée concrète. Il développait cette approche dans La pensée sauvage (signifiant plutôt non domestiquée que primitive) en décrivant les modalités de la pensée magique dans leurs différences avec la science contemporaine : deux modes distincts de sciences, l’une « ajustée à la perception et l’imagination, proche de l’intuition sensible, et l’autre décalée », objectivant la relation à la réalité, rationalisant le rapport à la nature, alors que la « science du concret » découvre et organise « le monde sensible en termes de sensible ». Sous forme de substrat civilisationnel de cette dernière modalité, Lévi-Strauss désigne tel le bricolage, composant avec 35 des friches

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un ensemble hétéroclite et diversifié mais fini d’éléments, d’instruments, les disposant, les arrangeant et les organisant et réorganisant sans cesse, les détournant, les réemployant, dans une perspective signifiante et fonctionnelle. Et « chaque élément représente un ensemble de relations, à la fois concrètes et virtuelles : ce sont des opérateurs [...] » de la réorganisation. Le bricoleur use de signes, l’ingénieur de concepts. « Dans cette perspective, écrivait Lévi-Strauss, l’art s’insère à mi-chemin entre la connaissance scientifique et la pensée magique » et « l’artiste tient à la fois du savant et du bricoleur » : il tient une « position intermédiaire », confectionnant des objets matériels en tant qu’objets de connaissance. Dans un fragile équilibre entre « structure et événement, nécessité et contingence, intériorité et extériorité », ces modes de création, ou d’invention, ces modus operandi, « à la manière du bricolage (que les sociétés industrielles ne tolèrent plus) », soulignait Lévi-Strauss, « décomposent et recomposent des ensembles événementiels [...] en vue d’arrangements structuraux ». Cette forme de pensée, de culture, qui expérimente en dégageant et renouvelant du sens, par réorganisation des éléments, par permutation des signifiants et des signifiés, est « aussi libératrice, par la protestation qu’elle élève contre le non-sens ». C’est là aussi une manière de rendre (toujours) vivante et vivace la réalité du monde, monde sensible comme ensemble d’éléments à observer pour devenir système de signes. L’artiste, bricoleur de signes et inventeur de sens. Les friches industrielles et tiers-lieux culturels, espaces et instruments pour l’artiste-bricoleur-inventeur : vers la réalisation de projets ou pour la possibilité de « s’arranger avec les moyens du bord ». Imaginer ou concevoir, fabriquer ou détourner, bricoler ou/et inventer. Colette Tron

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Commun Une ressource naturelle, comme l’eau, peut être reconnue comme un commun, et répondre ainsi aux besoins de 36 (un) abécédaire


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toutes et tous dans le respect de chacun, égalitairement. Un savoir peut l’être aussi, comme peut y prétendre pareillement un « lieu ». Qu’est-ce qui fait commun ? Quelles sont les règles et les pratiques qui contribuent à instituer une « chose » en commun, à la faire respecter comme telle et à l’administrer dans cette perspective ? Ce qui fait commun, c’est principalement une façon (démocratique) de prendre soin d’une ressource qui importe à toutes et tous et qui apportera à chacun. Ce peut être une réalité immatérielle (une création, un savoir...) comme une réalité matérielle (un équipement, un bâti...). Tout peut possiblement, potentiellement, faire commun dès lors que des personnes considèrent que cette « chose » mérite d’être protégée d’une éventuelle appropriation par un seul et qu’elle doit rester disponible pour le plus grand nombre. Ces personnes vont alors s’assembler, constituer une communauté d’usage ou de pratique afin de prendre soin de ce commun, de le protéger des « prédateurs », de ceux qui voudraient l’accaparer pour leurs intérêts égoïstes, et afin, aussi, d’en assurer la pérennité et de le préserver dans le temps. « Commun » est donc en premier lieu un geste d’imagination (politique). Par exemple, un bâti ou un terrain laissé en friche, tiraillé entre une multiplicité d’usages peu ou pas régulés, peut apparaître pour des personnes (des voisins, des activistes urbains, des artistes hors les murs...) comme un commun potentiel. Elles l’imaginent, le désirent, possiblement le rêvent comme un commun, et en conséquence vont s’organiser pour que ce lieu ou ce terrain commence à être vécu et pratiqué selon les principes d’organisation qui gouvernent les communs. Ces principes sont relativement simples à énoncer, mais souvent plus difficiles à exercer. Un commun correspond donc à un acte d’imagination immédiatement prolongé en actes d’institution (d’administration). Comment s’organiser pour que cette « réalité » (une friche culturelle, par exemple) que nous désirons et imaginons « commune » le devienne authentiquement et soit réellement investie, au quotidien, comme une richesse partagée, sans privilège d’usage ? « Commun » est donc un acte d’imagination qui appelle une créativité d’organisation, une audace de 37 des friches


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pensée qui adresse un défi démocratique. Car un commun est indissociable d’une démocratie radicale, indispensable pour que l’écologie du lieu (une friche culturelle) soit respectée, pour que la communauté d’usage concernée se développe dans des rapports égalitaires, pour que l’avenir de ce lieu soit préservé en considération d’autres usages à venir. Pour que survive un commun, il s’agit de s’assurer que les utilisations et emplois du moment présent n’en épuisent pas les qualités, que les pratiques en cours n’en obèrent pas l’avenir, que le potentiel qu’il réserve reste vivant et disponible, pour les personnes à qui il importe aujourd’hui et à qui il importera demain. Pascal Nicolas-Le Strat

Communauté La notion de communauté renvoie à un ensemble d’individus qui échangent régulièrement et volontairement des connaissances à propos d’un intérêt partagé. Ces groupes informels, autonomes et non hiérarchisés sont généralement structurés autour d’un noyau de passionnés. L’intérêt pour les communautés vient notamment du constat que leurs activités, effectuées généralement en dehors des frontières de l’entreprise, participent à générer des idées nouvelles et à faire circuler de bonnes pratiques que les organisations peuvent ensuite capter. À l’intérieur d’une communauté, des connaissances, des idées, des expériences individuelles sont partagées, validées et codifiées, permettant aux participants d’améliorer leur compréhension ou leur maîtrise de la pratique, de la passion ou du sujet qui les unit. Au fil du temps, les membres de la communauté créent des relations fortes. Ils développent des normes, une identité collective et un système de valeurs qui leur sont propres, facilitant les échanges et la compréhension mutuelle. Sans limites clairement identifiables, les communautés ne sont pas non plus des collectifs stables et suivent un cycle de vie : elles évoluent selon l’entrée ou la sortie des membres, leur engagement plus ou moins prononcé, les changements d’intérêts individuels et collectifs. 38 (un) abécédaire


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Les activités initiées par les communautés peuvent être des sources d’innovation majeures : les interactions entre les membres stimulent leur créativité, la réinterprétation des idées et l’ouverture de perspectives nouvelles. Le collectif devient une ressource pour imaginer des solutions originales, pour bricoler et innover. Les communautés de sport urbain (skateboard, BMX, etc.) en sont de bons exemples : les pratiquants partagent des connaissances informelles sur les spots, le lieu de pratique jouant un rôle majeur de rencontre pour la communauté, se transmettent les meilleures techniques à adopter et façonnent un imaginaire commun. Les tiers-lieux, FabLabs, friches ou autres espaces de rencontre participent à la formation et au développement des communautés, agissant comme des aimants pour des acteurs développant des visions proches d’une même pratique : ceux-ci peuvent se rencontrer, échanger des idées, participer à des projets collectifs, rendre visibles leurs innovations, créer un climat favorable à la mixité sociale et à la création artistique. De même, les hackatons et festivals sont autant d’espaces temporaires où les communautés se construisent et s’expriment. La vision développée par le groupe prend fréquemment la forme d’un manifeste, traduisant les principes directeurs du collectif et la manière dont se différencie la communauté vis-à-vis d’autres groupes évoluant dans le même domaine : les communautés derrière les lieux comme Les Grands Voisins, Les Frigos (Paris) ou la Friche la Belle de Mai (Marseille) valorisent des cultures alternatives aux politiques culturelles classiques et sont l’héritage des croisements d’idées et d’expériences. Étienne Capron

Coopération (culture de la) L’analyse de l’état des coopérations culturelles départementales et intercommunales, conduite récemment par le Laboratoire d’usages culture(s)-arts-société (LUCAS), nous montre que la coopération culturelle s’invente d’abord par le haut, par les politiques culturelles, par les dispositifs contractuels, par l’État et les collectivités publiques, avant 39 des friches


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de se tourner vers les territoires, les usages, les expériences, les besoins et les aspirations d’acteurs non institutionnels et non culturels (Besson et al., 2020). Pour l’heure, l’approche de la politique culturelle reste « diffusionniste » vis-à-vis de territoires et d’une société civile relativement passifs. Les limites des coopérations culturelles nous incitent à ouvrir une réflexion autour de la construction d’une culture de la coopération, qui place la culture au cœur de l’édification d’une société coopérative. Cette culture de la coopération induit notamment une extension du cadre de coopération. Elle ne limite pas l’engagement coopératif à des formes de mutualisation (mise en commun d’outils, de moyens et de méthodes), de collaboration (travail en commun pour atteindre un objectif ou accomplir une tâche) ou de contractualisation (plans, conventions, contrats, etc.). Elle implique que les partenaires soient placés sur un pied d’égalité afin de « faire œuvre commune » autour de finalités, de valeurs partagées mais aussi de savoirs communs qui rendent possible cette coopération. La mise en œuvre d’une culture de la coopération implique également un changement de posture de la part des institutions, qui doivent moins chercher à imposer un programme culturel décidé depuis le haut qu’à coconstruire une offre culturelle avec les territoires, selon des logiques institutionnelles multi-acteurs et multi-niveaux. Par ailleurs, les dynamiques de coopération nécessitent l’intervention d’un tiers acteur culturel, en capacité d’assurer des fonctions d’intermédiation, de régulation, d’expérimentation et de création de nouveaux imaginaires. Ce tiers peut prendre des formes multiples (collectif d’artistes ou d’architectes-urbanistes, centre d’arts numériques, agence parapublique départementale ou régionale, etc.), mais son rôle est primordial dans la mise en œuvre de dynamiques coopératives. Une culture de la coopération doit également inciter les individus et les organisations à agir dans leurs espaces du quotidien, dans une diversité de lieux et de situations sociales, éducatives ou culturelles ordinaires. Cette tactique du quotidien se fonde sur l’hypothèse que les micropolitiques culturelles et les microexpérimentations issues de ces processus coopératifs auront 40 (un) abécédaire


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cette capacité, par accumulation successive, de transformer progressivement les régimes dominants de production et de diffusion culturelles. Raphaël Besson

Coopération (modalités de) Les pratiques de coopération des espaces-projets artistiques recouvrent toute une palette de modalités opératoires, qui s’ancrent d’abord dans des formes de collaboration et de mutualisation de ressources entre acteurs relevant d’organisations différenciées. Cette dynamique est particulièrement visible dans les lieux qui regroupent plusieurs entités, comme la Friche Lamartine à Lyon, Mix’Arts Myris à Toulouse, les Ateliers du Vent à Rennes, Pol’N à Nantes... Que ce soit entre organisations résidentes ou en lien avec des entités externes aux lieux, on retrouve un même gradient de ces modalités (Henry, 2023). On ne saurait trop insister sur l’importance vitale des échanges interpersonnels d’information ou de compétence – pour une part largement informels et au sein de réseaux affinitaires –, sur la base desquels se créent et se nourrissent une proximité et une confiance entre acteurs, aussi bien que des opportunités d’une collaboration plus développée. Le registre des collaborations simples entre acteurs, sur des projets limités dans leur objet et leur durée, représente un autre niveau de grande importance pour l’activité à court terme des organisations, autant que pour détecter des partenariats possibles de plus long terme. Il s’agit d’un registre très étendu dans le secteur culturel, en particulier pour réaliser des projets conjoints. Quand plusieurs acteurs s’engagent sur le partage de fonctions support – comme des locaux, des veilles d’information, des emplois partagés ou des stratégies communes –, les risques pris deviennent plus importants, mais les bénéfices attendus également. Cette montée en coopération participe à la pérennisation du modèle économique des organisations qui s’y impliquent. Elle nécessite des objets sociaux compatibles, mais 41 des friches


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également souvent une évolution des gouvernances des différentes entités impliquées. Comme dans les exemples cités, cette coopération renforcée entre acteurs peut aboutir à la création et à la gestion d’un réel commun, dont les expériences historiques montrent qu’au moins trois impératifs sont à respecter : un projet matériel ou immatériel partagé, auquel chacun est libre d’adhérer ; des règles définissant assez clairement les droits et les devoirs des divers associés ; une gouvernance garantissant la place et le pouvoir de décision de chacun au sein du commun. Ce gradient d’échanges entre acteurs vise à leur faire gagner en autonomie, au moins relative, au sein de leur propre environnement. Il se réfère aussi à un idéal de relations sociales plus coopératives, voire plus démocratiques (Fischbach, 2015). On retrouve ainsi constamment dans les espaces-projets un mixte de mobiles instrumentaux – comment nous y prendre mieux, ensemble, pour arriver à nos fins pratiques ? – et de mobiles idéologiques – comment nous y prendre mieux, ensemble, pour donner un sens plus satisfaisant à nos actions, si ce n’est à nos vies ? Philippe Henry

Coopération (principes de) La coopération est au fondement de la multiplicité des expériences qui nous intéressent et que nous avons désignées, il y a déjà vingt ans, du terme générique d’espaces-projets artistiques (Henry, 2002). Ces démarches signalent toujours des situations où des acteurs culturels, poursuivant chacun des objectifs particuliers, se trouvent face à des conditions ou des contraintes de fonctionnement telles qu’ils ont volontairement opté pour des collaborations renforcées avec d’autres acteurs. Ceux-ci relèvent souvent d’abord de la même filière ou branche d’activité, mais s’élargissent aussi à d’autres personnes ou organisations partageant les mêmes valeurs. S’ils veulent avoir quelque chance d’exister ou de se développer, les acteurs culturels – notamment de petite taille ou de notoriété naissante ou fragile – se trouvent en effet face à la nécessité de se 42 (un) abécédaire


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coordonner et de coopérer de manière plus ou moins intense, entre eux et avec d’autres agents économiques et institutionnels. Dans le même temps, on observe une réticence constante de chacun de ces acteurs à s’engager ou à s’intégrer dans des agencements collectifs qui seraient, à leurs yeux, par trop formalisés et contraignants pour l’expression de leur propre singularité (Henry, 2023). Dans leur économie de projets successifs, les acteurs se développent en effet grâce à un regroupement provisoire de moyens et de compétences, dont chacun ne dispose que d’une partie, d’où aussi une diversité de formes de collaboration à partir d’une mise en commun plus ou moins étendue de ressources, matérielles et immatérielles. Les espaces-projets ne font pourtant guère référence aux sept principes de la coopération, édictés dès 1895 et à nouveau amendés et validés en 1995 par l’Alliance coopérative internationale (Draperi, 2012 ; Liret, 2016). Néanmoins, sans forcément connaître ces principes, de nombreux espaces-projets en mettent en œuvre des déclinaisons pragmatiques et à chaque fois particulières, en particulier au titre de : 1. l’engagement volontaire des personnes dans la coopération et son ouverture potentielle à chacun ; 2. la démocratie dans les prises de décision, par égalité politique des voix des membres coopérants ; 3. la participation des membres à une réelle activité économique, où tous sont traités de manière équitable ; 4. l’autonomie et l’indépendance de décision vis-à-vis des institutions environnantes, qu’elles soient privées ou publiques ; 5. l’engagement envers la communauté, au-delà même des intérêts mutuels des membres coopérants. Deux autres principes peuvent être moins directement perceptibles dans les espaces-projets, sans doute parce qu’ils renvoient d’abord au mouvement institutionnalisé de la coopération : 6. l’information des membres et leur éducation à la coopération ; 7. la pratique de l’intercoopération entre organisations partageant ces principes. Philippe Henry

Crise Différents faits et analyses récents laissent à penser que nous vivons une « crise » dans la culture : fermeture des lieux 43 des friches


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culturels pendant la crise sanitaire de la Covid-19 qui a interrogé les professionnels sur le caractère « essentiel » de la culture, transformation profonde des pratiques des publics et non-renouvellement générationnel mis en exergue par les études décennales qui pointent que la démocratisation culturelle marque le pas (DEPS, 2020), explosion des pratiques numériques et de l’offre des plateformes en ligne, crise des financements publics, perte ou recherche de sens, difficultés de recrutement... Les analyses d’Hannah Arendt pourraient aider à comprendre l’origine des ferments de cette crise dans la confusion possible entre culture et loisir et dans la massification des formes et des pratiques à l’échelle mondiale, depuis les années 1960, sous le double effet d’outils de production et de diffusion puissants des industries culturelles et de dynamiques concurrentielles de soft power des États. Mais ce serait oublier un peu vite que les soft powers sont éminemment fragmentés (Martel, 2014), et que les outils médiatiques permettent une décentralisation des expressions culturelles et une très forte contribution dans leur production (Cardon, 2019). Les contours de l’échellemonde paraissent beaucoup plus divers et contributifs qu’un espace de surconsommation généré par des industries hégémoniques. Les outils de l’ingénierie culturelle pourraient être à nouveau mobilisés pour chercher, une fois de plus, les ressorts du développement culturel afin de continuer à concerner le plus grand nombre. Mais « la production de sens n’est pas au programme de l’ingénieur » (Mattelart, 2017), et la culture ne se trouve vraisemblablement pas dans les dispositifs ou les méthodes, les schémas ou les labels, le management ou les ressources. Il faut aussi tenir compte des critiques qui apparaissent dans la notion même de développement (Pluriversel, Wildproject, 2022) face aux enjeux de soutenabilité et de durabilité de notre monde. Cette crise révèle des tensions au sein des politiques culturelles en France, tensions dues à l’utilisation même du terme « culture ». Ce dernier essaie de se définir à travers un ensemble de choix qu’il faudrait faire entre des pratiques amateur ou 44 (un) abécédaire


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professionnelles, entre des œuvres ou des biens culturels, entre une approche élitiste ou populaire, permettant de dessiner un espace de valeurs communes mais qui, au fond, relèvent plus du dilemme ou de la mise en concurrence. Ensuite, ce terme s’envisage comme l’ensemble des disciplines artistiques passées et actuelles, permettant de discipliner par là même une approche qualitative et quantitative de la mise en œuvre des politiques culturelles à travers les labels, commission d’aides à la création... Une autre approche de la culture la considère comme constituée par un ensemble de formes et de signes, prenant leur sens dans un ensemble de relations entre celles et ceux qui les pratiquent et les expriment. De ce fait, elle construit un espace politique en soi (Arendt, 2014). Les principes de diversité et d’égale dignité des expressions et des paroles, portés par les droits culturels, ouvrent un vaste chantier démocratique à la culture, ses formes et ses pratiques. Au cœur de la crise actuelle, ils semblent pouvoir constituer non pas une solution mais un espace de travail, ouvrant d’autres pistes pour retisser le lien entre artistes, praticiens et praticiennes, œuvres, publics, contributeurs et contributrices, lieux, équipements, arts... Un espace de travail autour de la culture comme commun, sans discipline ni lieu dédié, mobilisant à la fois une communauté et une manière de la nourrir, de l’enrichir, de l’animer, ensemble, comme on peut le vivre dans des friches et des lieux intermédiaires, des tiers-lieux ou tout simplement des salles des fêtes ou des places, des rues. Un espace pour trouver comment « la culture pour tous » est en soi une culture par tous et toutes. Emmanuel Vergès

Culture (conception émancipatrice de la) Les espaces-projets artistiques participent au projet historique qui tient pour essentiel que chacun (re)trouve une capacité de choix vis-à-vis de modalités de socialisation jusque-là subies, et s’engage dans de nouvelles opportunités relationnelles et de vie. Promouvoir un sujet émancipé de ses tutelles familiales, religieuses ou sociales fait en 45 des friches


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effet partie du projet intellectuel et politique – certains diront de la croyance – formulé par les philosophes des Lumières. Il faut néanmoins attendre en France la Révolution, et plus largement le XIXe siècle et la solidification de la République, pour que cet idéal, pour lequel la culture est fortement sollicitée, connaisse ses véritables concrétisations à une échelle élargie. Cela n’empêche pas de considérer qu’on se trouve toujours dans une dialectique entre le registre individuel et celui des institutions, tant une complète émancipation individuelle de tout cadre collectif relève au mieux d’une utopie libertaire. Dans cette approche, « la culture et ses usages se doivent d’être saisis au travers de l’ensemble des initiatives individuelles ou collectives [...] qui font des pratiques culturelles un instrument de changement social » (Arnaud, 2018), soit ce qu’on peut appeler un « agir culturel » où interagissent une pluralité d’acteurs, privés ou publics, et de niveaux, du plus individuel au plus collectif. Mais depuis les années 1960, des césures s’agrandissent entre, d’une part, les mondes de l’art et du patrimoine et, d’autre part, des mondes sociaux tels que le sport, l’éducation ou l’action sociale, pour ne citer que les coupures dont nous avons hérité au moins depuis la création du ministère des Affaires culturelles en 1959. Dès lors et à partir des années 1970, l’agir culturel comme volonté de changement social a été nettement édulcoré – pour ne pas dire détourné. Dans ce mouvement, les arts de faire populaires et leurs pratiques culturelles spécifiques – dont les fêtes et jeux traditionnels – ont trouvé de moins en moins leur place, tandis que la remise au premier plan, dans les mêmes années, de la créativité, de l’initiative et de l’autonomie de chacun a surtout donné naissance à divers mouvements de « contre-culture » dont les impacts sociétaux ont pu être contrastés, avant que ces notions ne deviennent l’emblème du néolibéralisme (Boltanski et Chiapello, 1999). Les espaces-projets se trouvent au cœur de cette tension historique, d’autant que l’agir culturel, fortement dévalorisé mais sous-jacent à la politique culturelle nationale, a repris une nouvelle vigueur et une meilleure visibilité dès la fin du siècle dernier, en concomitance avec le développement du numérique. Valorisation du bricolage et du soutien de pair à pair, de la 46 (un) abécédaire


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logique du faire, le do it yourself, DIY (Lallement, 2015), éclosion d’une multitude de lieux de fabrication, promotion d’une « doocratie »... qui se retrouvent dans les démarches qui nous intéressent, quelle que soit l’appellation choisie pour les désigner. Philippe Henry

Cultures urbaines Originellement, les cultures urbaines sont le propre des grandes cités régionales dont le pouvoir d’échanges économiques et culturels se dérobe progressivement au pouvoir tutélaire de la royauté, des églises et des corporations. C’est ce qui motiva les migrations issues du monde rural et les immigrations cherchant de meilleures conditions de vie. Ce fut aussi, pour des minorités, la volonté de s’affranchir de rapports d’oppression, à l’instar des Noirs des États-Unis migrant des champs esclavagistes du Sud vers les pôles industriels du Nord. Ils apportèrent avec eux une culture de résistance (work song, gospel, blues, danse...) terreau du jazz, du R&B, de la soul ou encore du rap. La concentration et l’attraction d’une diversité intensifient les échanges. Les quelques kilomètres carrés du Bronx à New York forgèrent le creuset, dans les années 1970, de ce qui devint une culture mondiale, le hip-hop (Bazin, 1995), bénéficiant du savoir-faire des différentes minorités (spoken word, beat box, MC’s, DJing, break, graffiti...) et des supports audiovisuels d’une culture de masse puis de la culture numérique. En se diffusant sur la planète, ces formes sont appropriées et recomposées, toujours aujourd’hui, par celles et ceux qui, « au coin de la rue », bricolent, se forment, se conscientisent, s’émancipent avec les matériaux transmis ou récupérés qui sont à leur disposition. L’originalité des cultures urbaines tient à cette manière autodidacte d’articuler particularisme et universalisme, dont il manque toujours aujourd’hui une prise en compte politique (Bazin, 2000). Elles sont à la fois une réponse locale cherchant à s’adapter et transformer un environnement difficile et une façon d’envisager un rapport au monde, un imaginaire dans lequel chacun peut se reconnaître et développer sa créativité, quel que soit son pays d’appartenance ou d’origine. 47 des friches


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Issues d’un déracinement, les cultures urbaines font pousser leurs racines flottantes (culture rhizome) dans les interstices. Elles ne puisent pas dans une identité fixe mais dans une identité-relation, à l’exemple de la pratique du parkour, cet art du mouvement qui explore toutes les possibilités d’un lieu, se joue du mobilier urbain et des verticalités au point d’en faire une architecture fluide. C’est une autre façon d’habiter et de pratiquer la ville, rendant poreuses les frontières, déplaçant les lignes entre espaces publics et privés, redessinant le territoire par l’expérience du geste juste et l’esprit de la rencontre. Cette jubilation physique et philosophique de la déambulation et de l’exploration est à l’origine des pratiques de glisse freestyle, bien que les réglementations conduisent à les cloisonner dans des catégories sportives. Plus généralement, la récupération des cultures urbaines par le milieu institutionnel ou l’industrie culturelle tend à une chosification selon des champs esthétiques vidés de leur sens (« musiques urbaines », « danses urbaines », « sports urbains », etc.). Plutôt que de se figer sur le label « urbain », nous devrions évoquer un art total ou un art populaire (Bazin, Slimani, 2011) qui dépasse les catégories sectorielles pour couvrir l’ensemble du spectre d’une culture : art de vivre et vivre un art, le sensible (forme) et l’intelligible (sens), le physique et la pensée, le social et le politique. Hugues Bazin

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Décloisonnement Les friches doivent souvent faire l’objet de deux types de décloisonnement, à la fois vers l’extérieur du site et à l’intérieur de celui-ci. Dans le premier cas de figure, grâce à cette initiative de dégagement, une connexion vers le reste du quartier se crée. Le second laisse apparaître de nouvelles ouvertures et voies de circulation à l’intérieur de la friche, qui permettent une meilleure appropriation du site. Si les anciens espaces industriels se prêtent facilement, par suite d’un déclin d’une industrie, à une adoption par des créateurs de culture contemporaine, leur décloisonnement peut s’avérer nécessaire pour maximiser le potentiel des volumes qui 48 (un) abécédaire


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accueillaient autrefois une autre activité. L’ancienne industrie de tels sites peut avoir impliqué des espaces très volumineux, mais sans les exigences de luminosité des artistes, ni de circulation dans un lieu destiné à recevoir du public lors des concerts, spectacles et expositions. Dans le cas de la Friche la Belle de Mai à Marseille, les magasins de 10 000 m2 ont été décloisonnés par de grandes cours coupées dans les trois niveaux du toit et par des rues intérieures qui traversent désormais ces immenses espaces. Ce dégagement permet les résidences d’artistes et autorise le public du site à mieux l’appréhender, car les espaces sont désormais à une échelle plus accessible et plus accueillante. Ils sont également mieux éclairés. Les friches se situent souvent le long d’une voie ferrée, là où les sites industriels ont été construits pour affréter la marchandise vers les clients ou la matière brute vers l’usine. Leur accès s’avère souvent difficile, car l’entrée est telle que le lieu semble « tourner le dos » à son quartier. Dans ce cas, il est utile de prévoir de nouveaux accès au site afin de l’ouvrir vers son environnement urbain. Le décloisonnement d’une friche ou tiers-lieu culturel peut également prendre la forme d’un art contemporain hors les murs, afin de créer une connexion avec son quartier. C’est dans cette optique que Tramway, qui se situe dans l’ancien terminus du tramway de Glasgow, a proposé l’œuvre Everybody’s House. Au cours de quatre mois de l’année 2013, celle-ci, construite en aluminium trempé avec des murs de plexiglas, était déplacée dans le quartier de Tramway, sur l’Albert Drive, plusieurs jours par semaine. Lors de ces déplacements, l’œuvre devenait un mini-salon de thé, une scène ouverte et même un pop-up disco. Curieux de découvrir cette minimaison transparente, des membres de différentes communautés présentes dans le quartier s’installaient dans Everybody’s House pour prendre le thé ensemble. En plus d’encourager les riverains à sortir de leur zone de confort habituel et à aller à la rencontre des habitants d’autres groupes culturels, cette œuvre poussait certains d’entre eux à franchir les portes de Tramway afin de découvrir le lieu (Rosenquist, 2019). Marta Rosenquist

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Digital En 1995 l’Internet devient public ! Ou, tout au moins, il devient accessible via un abonnement à un fournisseur d’accès à Internet (FAI). Le ministère de la Culture s’en mêle et crée le label des Espaces culture multimédia (ECM) pour légitimer, installer et développer plus d’une centaine d’expériences de lieux d’accès publics à Internet dans des sites culturels, bibliothèques, maisons des arts, friches... À la Friche la Belle de Mai, le cyber s’invente en cybercafé C.A.F.E. pour Common Access For Everybody. Bref, en ce milieu des années 1990, tout s’emballe. Au début de 2000, on comprend qu’Internet est un séisme culturel (Le Glatin, 2007), que ce réseau de réseaux n’est pas seulement un outil technique d’information et de communication, mais une révolution culturelle en soi, transformant profondément les modes de production et de diffusion des savoirs, des contenus ou de la culture, de pair-à-pair, sans centre, et à l’échelle-monde depuis n’importe quel point de la planète. Depuis, un Internet et un numérique artistique et culturel expérimentent et produisent chaque jour une diversité d’œuvres, de contenus et de pratiques qui bousculent les mondes culturels, comme l’onde de choc du séisme. Cela prend trois formes : - C’est d’abord l’évolution des modes de fonctionnement et des fonctions des lieux culturels que le numérique et les réseaux accompagnent. Des « Nouveaux territoires de l’art » aux tiers-lieux, la place des publics est différente, comme sur le Web 2.0 : la participation devient contribution, la pratique culturelle devient un usage et le public un usager. La culture se pense interou trans- tout comme sur les réseaux où elle est multi- et maintenant hybride. Hors ligne ou en ligne, les espaces et les lieux de l’art et de la culture sont aussi des lieux de fabrication, à l’image des FabLabs, des lieux d’apprentissages et d’éducation où la résidence devient une forme de production, et la coopération, voire la coopérative, le mode de gestion de ces expériences communes. - Si l’on parle de la contribution culturelle, le numérique est un outil qui concerne les droits culturels (Vergès, 2016). On pourrait presque dire que TikTok permet la mise en œuvre de 50 (un) abécédaire


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droits culturels, parce qu’Internet et le Web rendent possible l’expression des diversités à l’échelle monde, comme avec Wikipédia. Internet devient un outil de production et de diffusion des diversités, de production de multiples communautés et communs numériques, qui doit permettre la participation et la contribution du plus grand nombre. On passe d’une culture pour tous à une culture par toutes et tous. - Pour cela, il va falloir prendre en compte le séisme de la désintermédiation de la prescription, propulsée par les plateformes en ligne où l’algorithme devient le média. Henri Verdier, ambassadeur du numérique pour la France, nous enjoint de « ne pas confondre l’Internet et les entreprises qui se sont posées dessus » (Verdier, 2022). Il y a forcément des biais algorithmiques aux expressions en ligne, comme dans la programmation en coprésence. L’Internet et le Web ouvrent un chantier sur la gouvernance 2.0 des programmations artistiques et culturelles, ainsi que leur accessibilité, qu’elles soient dans nos lieux ou en distanciel. Permettre l’accès, et au-delà, rendre découvrables les créations dans un monde d’abondance, et soutenables les productions dans un monde fini. Est-ce que coopérer suffira ? Emmanuel Vergès

Dissémination (khôra) Entre mimesis poétique et mimétologie rationnelle se joue la puissance disséminatrice, le déplacement des marges (Derrida, 1993). Les friches culturelles s’inspirent d’un ailleurs incertain, un passé. Les États-Unis, puis Berlin, Amsterdam : ce sont les pionniers. Un modèle qui s’étend, de proche en proche, d’abord du nord au sud de l’Europe. Imitation, inspiration, refaire : la mimesis n’est pas une simple copie. Elle naît d’une force locale qui répond à des manques culturels irrépressibles. Une mimesis mobile, qui évolue en contenus, selon les contextes, au fur et à mesure de la transmission. Il faut alors suivre les personnes et leurs réseaux. Entre fin 1970 et début 1990, du nord vers le sud. Le réseau Trans Europe Halles est créé en 1984 à Bruxelles. 51 des friches


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Linéaire, la dissémination emprunte les grandes voies de communication et se retrouve dans les grandes villes capitales : Bruxelles, Zurich, Genève, Marseille, Barcelone. Cependant, tourbillonnaire et imprévue, elle bifurque. Elle fait irruption dans des villes plus inattendues, à Lund au sud de la Suède, à Poitiers où émerge le Confort Moderne en 1985, à Mezzago, petite ville de quatre mille habitants de Lombardie où le Bloom ouvre ses portes en 1987. Des modèles qui font tache d’huile au niveau national et parviennent aujourd’hui dans le monde rural. Nous sommes en 1989 et le mur tombe à Berlin, le rideau de fer s’ouvre à l’est. Déjà, d’autres lieux apparaissent à Leipzig, Zagreb, Ljubljana, jusqu’à Moscou. La mimesis touche un simple touriste marqué, inspiré par sa visite d’un lieu, qui ramène dans sa ville ce qu’il a vu ; un artiste en collaboration dans un autre lieu, qui veut ouvrir sa friche à son retour chez lui ; un membre d’une équipe qui décide d’aller ouvrir un lieu ailleurs, apportant son expérience. Rien n’est possible sans un terreau local favorable, tous s’appuient sur un tissu associatif, des énergies artistiques, des publics. Reproduire des principes non écrits, une ambiance, un mode de fonctionnement, un modèle économique : une entreprise incertaine, mais l’incertitude génère l’originalité. Chaque lieu qui ouvre, tout en mobilisant les expériences qui ont fait leurs preuves, prend à la fois les traits de l’équipe à l’œuvre et l’inflexion d’un contexte. Mondialisation des années 2000 : l’Afrique, Dakar, Kër Thiossane, Marion Louisgrand Sylla, l’Asie, Séoul, Geumchon art Centre : le modèle se répète, expansion d’un réseau qui produit ce sentiment étrangement familier, être à l’autre bout du monde, mais rester dans l’archipel mondialisé des friches culturelles. Fabrice Raffin

Diversité culturelle La notion de diversité culturelle fait écho à un état résultant de la présence de cultures différentes sur un territoire ou dans une société donnée. La rencontre des civilisations 52 (un) abécédaire


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a toujours été une réalité et fait partie de l’histoire humaine. En revanche, la globalisation et l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication ont multiplié ces croisements culturels et posé plusieurs questions de coexistence. Au-delà de sa richesse, la diversité culturelle et le « choc de civilisations » ont été souvent à l’origine de conflits, voire de guerres. La notion de diversité culturelle a pris plus d’importance durant ces trois dernières décennies, résultat d’une volonté politique de promouvoir, au niveau international, le dialogue entre les cultures comme moyen de coexistence pacifique. Plusieurs initiatives reflètent ce changement, dont témoignent les documents de l’Unesco, en particulier la Déclaration universelle sur la diversité culturelle de 2001 et la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005. Adoptée à l’unanimité par les États membres de l’Unesco au lendemain des événements du 11 septembre 2001, la Déclaration est considérée comme une expression de la conviction, au niveau mondial, que le dialogue interculturel doit prévaloir sur les conflits et guerres de cultures et de civilisations. Dans les deux textes, la diversité culturelle est reconnue comme source d’échanges et de créativité et constitue le patrimoine commun de l’humanité. La diversité culturelle vise à combler le fossé entre les cultures dites dominantes et les cultures dites dominées. Bien qu’elle se prétende universelle, la diversité culturelle se manifeste principalement au niveau local, dans les villes et les quartiers, pour mieux répondre aux défis posés par l’immigration. Elle fait souvent partie des politiques publiques visant à la cohésion sociale. Mais au-delà de cette approche, elle a permis la reconnaissance, la protection et la promotion de la diversité des expressions. La reconnaissance des lieux intermédiaires en tant qu’espaces d’inclusion sociale, de libre expression et de participation culturelle renvoie à la notion de diversité culturelle à deux niveaux. Du point de vue des droits culturels et du droit de chacun à participer à la vie culturelle, la programmation et la logique d’intervention de ces lieux s’adaptent aux quartiers dans lesquels ils opèrent. D’autre part, en proposant une program53 des friches


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mation qui privilégie la diversité des pratiques artistiques – tant des professionnels que des amateurs –, ces lieux contribuent à la promotion et à la diffusion de la multiplicité des expressions artistiques et culturelles. Matina Magkou

Droits culturels Bien qu’ils soient inscrits dans différents traités internationaux ratifiés par la France depuis 1948, les droits culturels ont attendu 2015 pour faire leur entrée dans l’appareil législatif français avec la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite loi NOTRe), qui établit le respect des droits culturels dans l’exercice des responsabilités conjointes des collectivités et de l’État. Renvoyant autant à la protection de la diversité culturelle qu’à la transmission des patrimoines matériels et immatériels, autant à la participation et à l’accès qu’à la contribution à la vie culturelle, les droits culturels se réfèrent à une définition ouverte de la culture, recouvrant certes les savoirs, les arts et les lettres, mais aussi les valeurs, les convictions, les langues, les traditions, les institutions et les modes de vie (Déclaration de Fribourg, 2007). Ils se déploient selon un principe d’universalité, d’indivisibilité et d’interdépendance entre eux et avec les autres droits humains, dessinant un horizon éthique qui ne peut ignorer les rapports de domination culturelle, qu’ils soient économiques, sociaux, raciaux, post-coloniaux, générationnels ou encore liés au genre. Ils invitent ainsi à penser les processus sociaux et historiques intériorisés qui construisent les références et les identités culturelles et tendent à invisibiliser certains acteurs, à minorer certaines disciplines, à mettre à l’écart certaines formes ou certaines pratiques. Dans la mesure où coexistent au sein des lieux intermédiaires des expressions, des démarches, des parcours et des statuts très différents, ces espaces interrogent de facto les approches normatives ou hiérarchisantes de l’art et de la culture. Engagés par nature dans l’instauration de « transactions multiples [entre] acteurs sociaux hétérogènes », ils sont aussi « constamment impliqués – et plus que d’autres établissements 54 (un) abécédaire


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artistiques – dans toutes les problématiques de l’interculturalité » (Henry, 2010), au sens large du terme, cherchant à développer leur action en symbiose avec leur milieu et à tisser des échanges plus symétriques, horizontaux et collaboratifs avec les personnes et les communautés. Espaces conviviaux de confrontation, de reconnaissance, de partage, d’expression voire de résistance de cultures plurielles et parfois dépréciées, les lieux intermédiaires apparaissent comme des acteurs de premier plan dans la redéfinition des politiques publiques au prisme des droits culturels. Cécile Offroy

Économie créative Depuis le début des années 2000, le terme « économie créative » a été introduit dans le vocabulaire de plusieurs organisations internationales dans un effort de démontrer que la culture a une valeur économique et le potentiel d’être reconnue comme moteur de développement. La publication des rapports sur l’économie créative, élaborés par l’Organisation des Nations Unies en coopération avec d’autres institutions, a été aux racines de ce changement de paradigme. L’expression a vite trouvé son écho dans les politiques et discours publics de divers acteurs, à tous les niveaux (international, régional, local), et a été associée à un nouveau type d’activité, celui des industries créatives, concept élaboré en premier lieu au Royaume-Uni dans les années 1990. En Europe, à la suite du traité de Lisbonne (2007) qui définit l’économie de la connaissance comme son objectif principal, l’Union Européenne prend une série de mesures pour favoriser le développement des industries créatives et culturelles, publie le Livre Vert Libérer le potentiel des industries culturelles et créatives (2010) et met en place différents programmes visant à appuyer la création, la circulation et l’exportation des biens culturels, permettant à toutes les expressions culturelles et aux domaines connexes de bénéficier d’un soutien accru de la part des institutions européennes. Pendant les dernières décennies, de nombreux pays et collectivités locales se sont positionnés en faveur du soutien et 55 des friches

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de la promotion de l’économie culturelle et créative. Non seulement celle-ci contribue significativement à la création de richesse, mais elle favorise le développement social en étant source de cohésion et d’identité. Le changement de paradigme introduit par l’économie créative a permis la reconnaissance de la culture et des industries culturelles et créatives comme catalyseurs de l’attractivité régionale et du développement urbain, mais aussi du positionnement d’une nation ou région au niveau international. Souvent, cela a exigé des autorités locales et des politiques nationales une meilleure compréhension des mécanismes qui alimentent le développement de la culture, notamment par l’appui sur des structures comme les tiers-lieux et les espaces culturels. De nouveaux concepts ont été introduits dans le vocabulaire des politiques et pratiques culturelles : villes créatives, clusters créatifs, quartiers créatifs, hubs créatifs... Dans d’autres cas, ce changement de paradigme a contribué à effacer les conceptions de la culture qui ne sont pas liées à des considérations économiques, permettant ainsi de légitimer des politiques de baisse des subventions publiques qui soutenaient le secteur. Matina Magkou

Économie sociale et solidaire (origines) L’économie sociale et solidaire (ESS) s’est longtemps appelée « tiers-secteur », entre le public et le privé, entre le marchand et le non-marchand. En 1984, la Commission européenne, sous la gouvernance de Jacques Delors, crée une « direction du tiers-secteur ». En 1998, la ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Martine Aubry, initie une mission sur « le cadre juridique des entreprises à but social ». Un travail de définition positive se construit au cours de cette large enquête à laquelle participent 4 000 personnes. On s’accorde alors sur le terme « économie sociale et solidaire » (Lipietz, 2001 ; Fourel, 2001). Les origines de l’économie sociale et solidaire peuvent être identifiées dès la Révolution française qui condamne, par la loi Le Chapelier, les formes d’organisation intermédiaires entre 56 (un) abécédaire


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l’État et le marché, à l’exception de la famille et de l’Église. Mais des formes associatives se développent, dès les années 1830, pour répondre collectivement aux besoins des ouvriers et métayers. Les bourses du travail ne seraient-elles pas les premiers tiers-lieux ? Cet « associationnisme ouvrier » est progressivement reconnu à la fin du XIXe siècle : mutuelles, coopératives, syndicats, associations... Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la création d’un vaste système de sécurité sociale et d’entreprises nationales de service public permet de couvrir largement les mêmes besoins. Les structures associationnistes se voient néanmoins reconnaître une vocation subordonnée (le médico-social pour les associations, la production et la banque pour les coopératives, les assurances pour les mutuelles...). On parle de « l’économie sociale instituée », que la loi Rocard définira par deux traits : le principe « une personne, une voix » et l’affectation des résultats économiques au but social. La crise du modèle de développement de l’après-guerre (fordisme) provoque une montée du chômage et une régression de la couverture sociale. En réaction, de jeunes post-soixantehuitards décident de consacrer une partie de leur épargne au financement d’activités nouvelles d’utilité sociale, environnementale ou culturelle, susceptibles d’embaucher des chômeurs tout en les formant. Défiantes à l’égard de l’économie sociale instituée, mais reprenant ses formes associatives ou coopératives, elles se regroupent sous l’enseigne de « l’économie alternative et solidaire ». Par le travail réalisé avec la mission initiée par Martine Aubry de 1998 à 2002, notamment lors d’une rencontre à la Friche la Belle de Mai, les deux branches se réconcilient. Le rapport final sur l’entreprise à but social et le tiers-secteur (Lipietz, 2001) précise leurs demandes : assouplissements juridiques et contrôle par les pairs, règles pérennes de financement par l’État, etc. La loi Hamon (2014) se contentera d’offrir un cadre juridique et une reconnaissance à l’ESS. Alain Lipietz

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Économie sociale et solidaire (principes) De nombreuses recherches historiques et théoriques ont été produites sur « l’économie alternative » (Lipietz, 1988). Du point de vue philosophique, la référence est Karl Polanyi qui définit trois notions : l’échange, la redistribution et la réciprocité. L’économie d’échange : « Je te donne pour que tu me donnes. » L’économie de la redistribution : « Je donne à la structure gouvernante pour qu’elle donne à ceux qui en ont besoin. » L’économie sociale et solidaire, c’est l’économie de la réciprocité : « Je donne à la collectivité, je suis en confiance. Au moment où j’en aurai besoin, elle me donnera. » À cela se combine le principe de l’activation des dépenses sociales du chômage afin qu’il y ait production de quelque chose d’utile pour la société : pour soutenir des activités qui ne peuvent exister que si elles sont subventionnées, activons ces dépenses passives. La logique de l’économie sociale et solidaire repose ainsi sur quatre idées. Premièrement, les besoins ne sont couverts ni par le privé, ni par le public, faute d’un financement adéquat, alors que des actifs sont au chômage. Deuxièmement, les dépenses passives du chômage (indemnisation et couverture sociale) pourraient être mobilisées pour financer ces activités. Troisièmement, pour éviter le détournement de ces subventions, les structures de l’Économie sociale et solidaire doivent respecter les principes de l’économie sociale (au sens de la loi Rocard). Quatrièmement, si les effets utiles de l’Économie sociale et solidaire ne peuvent être financés par le marché, c’est qu’ils prennent souvent la forme d’externalités positives, ce qu’on appelle parfois « halo sociétal » : un ensemble d’effets positifs qui ne se résument pas à un échange exclusivement marchand. 58 (un) abécédaire


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Par exemple, une « régie de quartier » installée dans une boutique en friche d’un quartier populaire, et recrutant des chômeurs pour les former à l’entretien d’un parc HLM, fait beaucoup plus que repeindre les escaliers. On peut parler d’une réintroduction de la « réciprocité » aux côtés de l’échange (marchand) et de la redistribution (étatique). Le halo sociétal des effets positifs suppose bien sûr la proximité physique : l’Économie sociale et solidaire a partie liée avec les tiers-lieux, qui sont souvent gérés par elle. Alain Lipietz

Économique (modèle) Les espaces-projets artistiques renvoient à une économie socialement encastrée (Polanyi, 1944), c’est-à-dire à un mode d’entrepreneuriat et de développement en lien avec le vivre en société, les territoires et leurs habitants. Ils posent donc d’emblée la question de l’articulation, pour chaque démarche, entre son objet social, sa gouvernance et son modèle économique. Loin d’être réductible à un tout marchand, cette économie relève surtout d’une pluralité d’« entreprises associatives » ou de microsystèmes socio-économiques, à chaque fois singuliers et pourtant identifiables selon six traits liés. Il s’agit en effet toujours : 1. du développement d’un système d’action collectif ; 2. construit autour de la production-diffusion de biens ou services, pour partie inédits mais toujours à forte dimension symbolique ; 3. souvent sous l’impulsion d’une ou de quelques personnes très motivées et investies dans le portage du projet ; 4. à partir d’un désir, d’une opportunité de besoin ou de circonstance – opportunité pressentie ou repérée dans l’environnement – et de moyens disponibles ; 5. de manière à générer d’abord une valeur esthétique, culturelle et sociale – on peut aussi dire une utilité sociale particulière –, plus ou moins rapidement reconnue ; 6. qui génère autant que possible une valeur financière apte à assurer une viabilité au moins minimale du système d’action considéré. Le modèle économique des espaces-projets est donc foncièrement relationnel, partenarial et réticulaire, d’où des agence59 des friches


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ments dont la référence constante est la coopération, mais qui varient largement au fil du temps. Cela implique également une hybridation récurrente entre trois types de ressources économiques : les ressources réciprocitaires résultant des apports ou échanges en biens et compétences non financiarisés entre acteurs, qui s’impliquent dans un projet particulier ou dans la vie d’ensemble de l’organisation ; les recettes financières propres issues de la vente de biens ou services à des usagers directs ou indirects ; les ressources financières redistribuées provenant d’aides privées ou publiques à la démarche – à son projet global ou à des projets plus spécifiques –, au titre de ses objectifs d’intérêt social ou public. La précarité dans laquelle se trouvent nombre d’espacesprojets tient à la difficulté à entretenir dans le temps ce type d’équilibre, d’autant que ces démarches sont largement fondées sur des processus expérimentaux et des dynamiques émergentes. Cette fragilité se lit aussi quand ils ne disposent que d’un bail précaire pour leurs lieux supports ou que les propriétaires – privés ou publics – de ceux-ci décident d’une autre affectation. On voit ainsi apparaître des tentatives de maîtrise directe du foncier par le biais d’un fonds de dotation (Grange à danser dans le Puy-de-Dôme), d’une Société civile immobilière (Le LIEUFerme de Trézenvy dans le Finistère) ou d’une foncière culturelle solidaire (La Main 9.3.0 en Seine-Saint-Denis). Philippe Henry

Écosophie (d’un projet) Une vision dominante de la conduite de projet laisse penser qu’une action embarque avec elle, dès sa conception, l’essentiel de ses ressources. Elle est supposée se développer dans la droite ligne du diagnostic qui a présidé à son lancement et des objectifs qui légitiment ce lancement. Un projet ne se développe pourtant jamais dans une continuité aussi cohérente. Il se décale inévitablement par rapport à ses attendus initiaux. Ces écarts et bifurcations sont consubstantiels à son évolution et lui sont profitables. Un projet d’action ne reste donc pas figé dans un horizon limité de possibilités. Au 60 (un) abécédaire


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contraire, il se construit car il se montre réactif et réceptif aux multiples événements qui ne manquent pas de survenir. Il est donc possible de distinguer deux conceptions du projet : soit le projet se décline à partir de la logique qu’il « embarque » avec lui dès son lancement, soit le projet s’agence pas à pas et ne donne sa pleine mesure qu’au final, en fonction des interactions qu’il sera parvenu à nouer avec les situations rencontrées, souvent inattendues. Dans le premier cas, la réalisation du projet s’apparente à une sorte de récapitulation ou de déclinaison de ce qui le constitue initialement : les objectifs secondaires succèdent aux objectifs principaux, les valeurs fondatrices se traduisent en valeurs d’action, les moyens accordés sont mobilisés en fonction d’échéances préétablies. La deuxième conception privilégie au contraire une logique écosophique (Guattari, 1989). Dans ce cas, le projet ne « tient » pas de lui-même et par lui-même, par simple inertie, mais grâce aux nombreux rapports qu’il entretient avec son environnement. Le projet existe alors en fonction d’une écologie propre, c’est-à-dire en fonction de tous les dehors auxquels il se confronte et qui le mettent à l’épreuve (un nouveau partenaire, un changement de contexte, une décision imprévue). La première conception suppose que le projet se déplie progressivement, logiquement, à partir des ressources qu’il a incorporées lors de son lancement. Dans la deuxième, qualifiée d’écosophique, à l’inverse, le projet se déploie, sur un mode évidemment plus processuel, en fonction des événements qui surviennent et des rapports qui se nouent avec le contexte et avec les autres acteurs. Félix Guattari nomme écosophie la multiplicité des interactions qui sont (ou devraient être) constitutives de n’importe quelle action et qui relèvent autant d’un rapport aux autres (écologie sociale), d’un rapport à soi (écologie mentale), que d’un rapport à un environnement de vie (par exemple, une écologie urbaine). Une action collective implique donc nécessairement une multiplicité de modes d’« entrer en rapport » (avec les autres acteurs, avec le voisinage, avec soi-même dans sa relation aux autres) et se développe nécessairement à leur entrecroi61 des friches


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sement. La conduite d’un projet est donc d’autant plus pertinente qu’elle renforce sa qualité écosophique. Pascal Nicolas-Le Strat

Engagement social (par le faire artistique) L’ancrage dans le faire et la création artistiques est un déterminant majeur des espacesprojets artistiques (Henry, 2022). Ce fondement se renforce par les dimensions d’expérimentation et de créativité processuelle qui lui sont intimement associées. Celles-ci se déclinent également en termes de créativité relationnelle et de rapport avec une diversité d’acteurs, directement liés ou non aux mondes de l’art et de la culture, et notamment avec ceux actifs sur le territoire où les démarches agissent ou sont domiciliées. Cette double valence – productive et relationnelle – constitue le cœur de leur identité, à partir duquel d’autres enjeux qu’artistiques vont être diversement pris en compte, en premier lieu au niveau d’activités ou de projets particuliers. C’est en effet à ce niveau d’action que se donnent d’abord à voir en France les combinatoires qui s’explorent entre enjeux d’une part artistiques, d’autre part sociétaux ou/et territoriaux. Mais cette dialectique peut également se lire dans l’organisation structurelle des démarches. De Derrière le Hublot, scène conventionnée art et territoire à Capdenac-Gare et fortement inscrite dans la tradition de l’éducation populaire, à la fabrique d’art du 3bisf située au sein d’un centre hospitalier psychiatrique à Aix-en-Provence, en passant par l’activité plurielle du pôle culturel en milieu rural Bouillon Cube et son tiers-lieu La Grange dans l’Hérault, les cas de figure sont tout à la fois multiples et à chaque fois singuliers. L’engagement des espaces-projets dans les questions de transformation et de transition auxquelles se trouve confrontée notre société se fait donc d’abord via un chemin qui s’élargit à partir des pratiques artistiques. Depuis la Renaissance, celles-ci sont en effet considérées comme particulièrement aptes à engendrer du décadrage et de la reconfiguration – aussi modestes soient-ils – de nos modes de perception sensible et de nos capacités d’agir par nous-mêmes. L’examen du fonctionne62 (un) abécédaire


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ment des démarches conduit alors à considérer la question du régime esthétique qu’elles mettent en œuvre comme une pierre de touche de leur identité spécifique. Quelle que soit la très grande diversité des choix particuliers à cet égard, le terme d’esthétique de la rencontre peut être avancé. Philippe Henry

Entrepreneuriat Parler d’entrepreneuriat, c’est d’emblée se situer dans une approche processuelle, dans une activité de création organisationnelle pour de nouveaux biens et services et d’exploitation d’opportunités (Chabaud, Messeghem, 2010). L’entrepreneuriat se situe dans un espace où « l’entreprendre » (Germain, 2017) s’incarne dans des réalités de pratiques aussi diverses que les espaces qu’il investit. Fort de ce constat, quid de l’entrepreneuriat dans les tiers-lieux culturels ? Annoncé dans sa plus simple expression, il se fracasse contre la représentation romantique de la création où la dimension marchande s’efface au profit des valeurs symboliques et de l’intérêt général, d’où l’introduction de l’entrepreneuriat artistique, créatif et culturel dans le champ lexical depuis une quinzaine d’années, atténuant le choc tout en posant la problématique de l’articulation de la logique de création avec la logique économique. La relation entre ces deux pôles peut être vécue comme contradictoire ou tout au moins comme une tension. En effet, la crainte de « l’étiolement d’une densification artistique » (Greffe, 2012), en réponse à l’injonction de la performance et de la rentabilité, est au cœur des préoccupations tant des professionnels que des chercheurs. Il ne s’agit donc pas de « transposer les pratiques du monde des affaires aux activités culturelles et créatives » (Chapain, Emin, Schieb-Bienfait, 2018), mais plutôt de les identifier à partir du terrain observé et de construire une relation dialectique entre les deux logiques. Les tiers-lieux sont des espaces entrepreneuriaux de production et de diffusion. Ils soutiennent voire accompagnent, comme dans une mise en abyme, des créatifs entrepreneurs, qu’ils soient artistes, designers ou opérateurs 63 des friches


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culturels, eux-mêmes inscrits dans un processus de création, de diffusion et par là même de commercialisation. Bien que l’entrepreneuriat artistique, créatif et culturel ne soit pas une forme figée ou un modèle (Horvath, Dechamp, 2021), nous pouvons dégager deux conditions essentielles sur lesquelles les tiers-lieux peuvent s’appuyer pour le développer : d’une part, le primat de la créativité au cœur de l’activité (Heusch, Dujardin, Rajabaly, 2011), car le travail de création est le premier facteur de production ; d’autre part, l’apprentissage mutuel et collectif pour croiser les compétences par accumulation ou complémentarité (Horvath, Dechamp, 2020) et réinventer de nouvelles formes esthétiques à partir d’un processus collectif. Dans sa dimension communautaire, où la trajectoire individuelle des acteurs entre en dialogue avec la trajectoire collective du lieu, le tiers-lieu culturel peut élaborer des outils et des supports pour dynamiser l’entrepreneuriat artistique, créatif et culturel, qui est une forme réconciliatrice des logiques de création et économique car elle syncrétise les deux éléments en tension. Isabelle Horvath

Équipe S’il n’est pas de lieu sans génie de lieu, peut-on concevoir une friche culturelle réussie sans ses équipes ? La question est rhétorique, dès lors que les équipes habitent ces lieux, leur donnent corps (en miroir de lieux suréquipés bien souvent coquilles vides), devenant parfois même leurs « âmes » – comme sont surnommés en ces lieux les travailleurs et travailleuses historiques. Nos lieux vivent parce qu’ils agrègent des communautés intentionnelles dont le premier cercle est bien souvent, par l’attachement au lieu, le quotidien collectivement éprouvé et le temps disponible, celui de l’équipe gestionnaire. Parfois bénévoles au départ, se professionnalisant au fil du temps et s’augmentant d’autres profils, les équipes qui vivent et animent ces lieux tiers agrègent des compétences, expériences et expertises complémentaires, combinant les métiers de la culture (de la pro64 (un) abécédaire


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grammation à l’administration, en passant par la régie) et d’autres compétences et trajectoires (architecture, travail social, activisme...) en mesure de tenir ce corps-à-corps constant avec un lieu qui accueille et qui mute. Ce corps-à-corps, l’urgence constante et parfois romantisée de ces « aventures » dans lesquelles on s’embarque à corps perdu, le sens que l’on trouve à « faire culture » autrement sont les adjuvants d’un esprit communautaire et d’un sentiment d’appartenance à des collectifs parfois horizontaux, ou qui en empruntent les traits malgré des formes pyramidales résiduelles, conscientes ou tues, dans l’organisation du travail au quotidien (les figures charismatiques de fondateurs polarisant autour d’eux la gouvernance sont légion, ce qui ne va pas sans poser, quand le récit du lieu est autant attaché à ces personnalités historiques, la question du legs et de la transmission). On ne quitte pas le navire d’un projet construit ensemble. Vie professionnelle comme vie publique fusionnent de la même manière que s’étiolent, parfois, les frontières entre travail salarié et bénévolat, menant souvent à reproduire les rapports de domination du dehors dans des lieux qui, pourtant, cherchent à expérimenter des formes alternatives de société où l’attention et le soin sont au cœur du projet, et conduisant bien souvent les équipes à l’épuisement – rien de nouveau, ici, pour ce qui est l’un des fléaux du secteur associatif dans son ensemble. Et parce que l’expérimentation doit rester reine, le turnover devient parfois un accord tacite pour que ces lieux ne se figent pas : condition du renouvellement constant de ces lieux ou autoprécarisation de celles et ceux qui les font ? Arnaud Idelon

Erreur Droit à l’erreur. Apprendre de ses erreurs. Joie de l’erreur. Le sens que l’on prête à l’erreur est le fruit d’une culture donnée. Chez nous, elle prend des accents de faute dont il faudrait se prémunir. Pourtant, à y regarder de plus près, error, l’origine latine du mot, nous parle d’une errance, d’un détour. Déjà se profile l’idée d’une recherche, d’un chemin sans certitude, de 65 des friches


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sentiers à tracer pour la première fois. Si l’on fait des erreurs, c’est qu’on essaie, qu’on contribue à faire émerger d’autres possibles. Alors qu’il nous parle de l’acte de « penser », Alessandro Baricco décrit sans le vouloir le processus d’exploration à l’œuvre au sein des tiers-lieux : « Il faut savoir que l’on travaille avec quelque chose qui n’existe pas encore... le pressentir, en fait, comme le pressentaient les premiers explorateurs qui allaient découvrir l’Amérique. Ils avaient le dessin des rivages, et à l’intérieur : terra incognita » (Barrico, 2002). Défendre un droit à l’erreur au sein des tiers-lieux, c’est avant toute chose ouvrir la voie à l’exploration, à l’expérimentation, à l’inconnu. En statistique, l’erreur est la différence entre la valeur calculée et l’observation réelle. C’est donc la part imprévue du réel, celle qui n’entre dans aucun diagramme. Les tiers-lieux nous enseignent déjà que nous pouvons dépasser le modèle de planification traditionnelle, des prévisions en monochrome de chiffres, pour embrasser une vision dynamique du monde. Il s’agit des premiers signes d’une possible évolution socio-culturelle de fond, un potentiel changement de paradigme, impactant nos manières de travailler, de penser, de construire la ville, de concevoir nos vies : le passage d’une posture de sachant barricadé de certitudes à celle, plus humble et exposée, d’observateur permanent du réel, acceptant de se tromper et se réadaptant en permanence. La pensée du design nous parle d’« innovation itérative ». L’erreur y devient une boussole, un acte créateur issu du terrain, nous aidant par ses apprentissages à éclairer la voie. Défendre le droit à l’erreur n’est pourtant pas synonyme de « déresponsabiliser » ou de « déprofessionnaliser ». Les compétences et l’exigence sont bien là, dans l’écoute du réel et la capacité d’interaction avec lui. Plutôt que d’enseigner une lecture du monde et une réponse soigneusement pensées pour éviter les erreurs, il faudrait apprendre à lire le réel tel qu’il est, au présent, à travailler notre capacité à imaginer des solutions, à communiquer en groupe et à s’adapter rapidement. L’erreur est affaire d’apprentissage et de résilience, après tout. Réhabiliter l’erreur, c’est aussi laisser place au doute, parfois nécessaire, celui qui nous conduit à reconsidérer ce que 66 (un) abécédaire


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nous avions cessé de questionner : vers quoi souhaitons-nous aller, par quels moyens, avec quels outils de mesure, selon quelle vision du monde et à la lumière de quels indicateurs ? Porter un tiers-lieu implique de lâcher prise, d’accepter de ne pas avoir toutes les réponses et de ne pas céder au diktat du trajet supposément le plus court, le plus efficace, le plus rentable, mais choisir plutôt celui, plus tortueux et plus incertain, de l’expérimentation ; ne plus voir les détours comme une perte de temps, mais se reconcentrer sur le processus, sur ce que cette errance collective nous apprend. Léa Massaré di Duca

Espace intermédiaire Depuis les années 1980, les villes contemporaines concentrent de plus en plus de situations d’alarme et de violences qui rendent visibles les malaises, les souffrances, les inégalités et les injustices qui habitent nos sociétés locales et la société globale. Ces situations révèlent des ruptures économiques, culturelles et sociales à travers des formes d’abandon et de mépris de groupes sociaux faibles et vulnérables. La ville se fragmente là où les individus et les groupes ignorés des États et des démocraties affrontent ceux à qui elle reconnaît une identité sociale et publique ; elle concentre des situations d’urgences structurelles, des zones d’anomie dans la cité où naissent des peurs, des insécurités vis-à-vis de l’Étranger, du Pauvre, du Migrant. Mais la ville contemporaine est aussi habitée par des grammaires d’hospitalité qui font tenir ensemble les « régions morales » (Park, 1926). Se sont alors multipliés, dans des interstices urbains, des espaces intermédiaires où des grammaires de la reconnaissance sont élaborées par des groupes sociaux tenus à distance – voire marginalisés – des lieux de légitimité sociale et politique (Roulleau-Berger, 1991). En 1990, à Marseille, la Friche la Belle de Mai est apparue comme un espace intermédiaire faisant « centre » dans les périphéries des quartiers nord. Située sur un nœud de réseaux culturels et artistiques dans l’espace marseillais et méditerranéen, elle a généré des façons de refaire société et de réinventer la ville. 67 des friches


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En même temps que des dispositifs biopolitiques ne cessaient de se renforcer dans le cadre des politiques urbaines face aux risques d’exclusion sociale, se sont formées des « communautés affectives » (Halbwachs, 1950) qui rassemblaient et rassemblent des artistes, des acteurs et militants de l’action culturelle, artistique, urbaine et sociale, mobilisés pour créer une justice globale avec les citoyens des quartiers et des solidarités de circonstance dans des espaces de recomposition culturelle. Des « géographies du care » (Roulleau-Berger, 2016) et des espaces d’hospitalité se construisent à l’égard de populations marginalisées, ségréguées dans la ville. À la marge de systèmes de redistribution, à distance plus ou moins grande des politiques publiques de solidarité, des artistes, des professionnels et des militants de l’action culturelle vont vers des populations abandonnées pour réinventer la ville, refaire la cité. La Friche la Belle de Mai s’est d’abord construite dans des accumulations d’écarts avec les espaces de forte légitimité pour s’inscrire entre des institutions sociales, urbaines, économiques et politiques. Elle contenait des cultures de l’aléatoire qui se développaient a partir des compétences d’acteurs individuels et collectifs tentant de faire face à des risques sociaux, économiques et moraux de désaffiliation et de marginalisation (Roulleau-Berger, 1999). Elle produisait alors de la création culturelle, c’est-à-dire de la production de normes minoritaires partagées par des petits groupes en situation d’insécurité sociale et morale. Elle est apparue comme un espace à la fois de recomposition et de création culturelle. Elle a représenté et représente une forme emblématique de ces espaces intermédiaires où se développe de l’« interactional citizenship » (Colomy, Brown, 1996) à partir de solidarités de résistance silencieuse et bruyante à des normes majoritaires. La Friche la Belle de mai est devenue une scène sociétale privilégiée de mise en récits subpolitiques producteurs de cosmopolitismes culturels, esthétiques et politiques. Laurence Roulleau-Berger

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Espace transitionnel En 2017, lors d’une étude conduite pour le commissariat général au développement durable (CGDD) du ministère de la Transition écologique et solidaire (Communauté Explor’ables), nous avions conclu à un impact limité des tierslieux sur le volet écologique (Besson, 2018a). L’identification des tiers-lieux comme vecteurs de transition s’était avérée particulièrement difficile. Seuls quelques-uns d’entre eux portaient dans leur ADN des objectifs, des valeurs et des projets en lien avec les transitions. Depuis, force est de constater que la donne a changé. De plus en plus de tiers-lieux sont porteurs d’une dynamique collective, incarnant les valeurs du développement durable en termes de gouvernance, de développement économique, d’engagement écologique et social, de solutions innovantes pour lutter contre le réchauffement climatique, d’innovation ascendante provenant des territoires, de stimulation de l’innovation verte collaborative, ou encore de promotion de modes de vie et de consommation durables. Les chiffres-clés issus du rapport Nos territoires en action (France Tiers-Lieux, 2021) montrent que de nombreux tiers-lieux mènent des actions concrètes en faveur de l’écologie : 81 % d’entre eux assurent des actions de collecte de tri de déchets, 51 % conduisent des projets de sensibilisation du grand public, 49 % sont en lien étroit avec les acteurs de la transition écologique sur leur territoire, etc. Surtout, de plus en plus de tiers-lieux portent dans leur ADN des objectifs en lien avec les transitions. Ils contribuent à développer des activités de proximité, à lutter contre l’obsolescence programmée, à favoriser l’alimentation durable, à encourager les circuits courts et la préservation des ressources, à développer des projets autour du réemploi, du recyclage ou de la réparation d’objets. On pense à L’Hermitage (Hauts-de-France), L’Effet Papillon (Bretagne), Ecopya (Normandie), E-Graine (Grand Est), mais aussi à L’Usine végétale (Nouvelle-Aquitaine), La Myne (Auvergne-Rhône-Alpes), Le 100e singe (Occitanie), Le Château de Nanterre (Île-de-France), Luma Arles (Sud), 69 des friches


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Fab’Lim (Occitanie), etc. Ces espaces transitionnels présentent des spécificités, puisqu’à la différence de nombreux tiers-lieux qui agissent de manière périphérique sur les transitions, ces espaces transitionnels tentent d’agir de manière structurelle, continue et systémique (Besson, 2018b). À l’image des « objets transitionnels » de Donald Winnicott (Winnicott, 2010), ils permettent aux individus et aux organisations de sortir de l’illusion, et d’atténuer l’angoisse liée à la prise de conscience de l’incapacité de nos institutions à trouver des solutions globales aux défis des transitions. Ils cherchent à donner à tout un chacun les capacités techniques et intellectuelles pour agir, avec cette conviction : les micro-innovations et expérimentations déployées au sein des tiers-lieux transitionnels auront ces capacités, par effet d’accumulation, de transformer les régimes dominants. Raphaël Besson

Esthétique (de la rencontre) « Notre terreau poétique [ce] sont les écritures du réel. Des écritures d’aujourd’hui, en interaction avec la société dans lesquelles elles s’inventent. Des écritures de la relation, de personne à personne. En se frottant à l’expérience du réel, nous fouillons les zones de mystère et d’invisible en chacun de nous » (Théâtre La Cité, Marseille). Les espaces-projets artistiques se situent loin d’une perspective de simple production culturelle, à écouler sur un marché concurrentiel aspirant à conforter les habitudes de consommation de biens symboliques du plus grand nombre. Par ailleurs, même si l’expérimentation hors cadre ou norme usuels est souvent revendiquée, les démarches n’en parlent pas moins toutes de dynamiques productrices d’effets d’appréhension sensible, d’émotion, de sens, de vécu, qui les démarquent également des pratiques d’art contemporain plus réticentes à l’égard de telles dimensions (Morizot et Zhong Mengual, 2018). L’idéal-type qui se dégage relève ainsi plutôt d’une « esthétique de la rencontre », où ce qui compte vraiment est moins l’œuvre, l’artiste ou ceux qui les apprécient que l’interaction dynamique et à constamment faire vivre entre ces trois pôles. 70 (un) abécédaire


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Par-là, on retrouve l’appétence des espaces-projets vis-àvis de pratiques d’ouverture à qui veut s’inscrire dans une telle approche d’hospitalité et de compagnonnage, de relation horizontale ou d’échange en partie informel, de libre contribution et coopération... D’où également la place souvent donnée aux projets artistiques et culturels participatifs, véritablement codéveloppés par les divers acteurs qui s’y engagent. Plus largement, ce régime esthétique de la rencontre se trouve fondé sur des processus spécifiques d’expérimentation conjointe, où chacun poursuit sa propre individuation au sein d’une action commune avec d’autres, dont une part est toujours un tant soit peu émancipatrice et transformatrice. Cela tisse alors des liens particuliers avec les territoires dans lesquels les démarches agissent ou sont domiciliées. Mais cette relation se développe moins par volonté entrepreneuriale ou désir d’apporter des réponses pratiques à des problèmes locaux que par espoir que les expériences relevant d’une esthétique de la rencontre apportent chacune leur pierre, modeste mais réelle, aux reconfigurations personnelles et collectives que notre temps appelle. Philippe Henry

Esthétisation (modes d’) « Feindre, fabriquer, mettre en récit et en fiction, produire des artefacts permettent de forger et d’élaborer des structures sensibles et désirables afin de reconfigurer le territoire du pensable, du faisable, du visible, du possible à vivre et du devenir à imaginer. » (Collectif La Luna, Nantes.) Les espaces-projets artistiques sont constitués autour d’une double préoccupation : le soutien déterminé à la création artistique et aux artistes contemporains, mais aussi le souci permanent des populations et du contexte de proximité. Cette gageure conduit à s’interroger sur les modes de symbolisation que leurs activités promeuvent, soit, puisqu’il est question d’art, sur la nature des expériences esthétiques proposées. Les démarches sont toutes en opposition aux modes actuels d’esthétisation de nos sociétés, gouvernés par les logiques de l’agrément, du profit financier et du moralement correct telles que 71 des friches


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promues, entre autres, par les industries de la publicité et du luxe (Michaud, 2021). A contrario, les espaces-projets se situent du côté des expériences esthétiques où chacun découvre de nouvelles capacités d’individuation et de développement de sa sensibilité. Cette dernière s’enrichit de s’ouvrir à des propositions jusque-là non connues, aussi bien qu’à des rencontres et des discussions imprévues. Ce type d’expérience est très présent dans les jeux de l’enfant et continue d’advenir dans des situations de la vie ordinaire. Il s’est progressivement imposé comme un fondement de ce que nous appelons les œuvres d’art qui, en retour, favorisent et intensifient ces expériences porteuses de dimensions émotionnelles, cognitives et relationnelles spécifiques (Kerlan, 2021). Mais la pluralisation contemporaine des modes d’esthétisation conduit à de nouvelles manières de faire, dont les espaces-projets déclinent une option commune remarquable. Pour la totalité de ces démarches, les modes d’esthétisation exprimés ou implicites renvoient en effet à un double registre : 1. Une expérimentation à vivre, qui implique et mobilise chacune des personnes qui y participe, à partir de gestes, d’actions et de projets concrets que les uns et les autres se révèlent en capacité d’assurer. Des moments de doute, d’incertitude, de difficulté sont inévitables dans de tels processus, où le point de départ ne détermine en rien ni le parcours exact, ni le point d’arrivée. 2. Une situation au moins pour partie composite, aussi bien par la diversité des êtres humains impliqués que par celle des matériaux utilisés et travaillés. On se trouve alors constamment plutôt dans un univers de bricolage et d’artisanat, du faire et du fait à partir des désirs et compétences de chacun, dans l’émulation individuelle et relationnelle, dans un rapport interindividuel où la prise de risque implique tout autant attention réciproque et hospitalité que convivialité. Au bout du compte, une école aussi bien de mutualisation et de coopération que d’individuation et de singularisation personnelle (Henry, 2022). Philippe Henry

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Expérience « L’expérience n’est pas quelque chose qu’on a mais quelque chose qu’on fait » (Dewey, 1915). Cette phrase résonne avec une autre du musicien John Cage : une expérience, avait-il écrit, « est une action dont l’issue n’est pas prévue » (Cage, 1961). Et de fait, il est impossible de posséder quelque chose d’imprévisible. Il y a au contraire dans l’imprévu une dimension de dépossession de soi, de lâcher prise, d’ouverture au monde. L’expérience suppose en effet une disposition à s’exposer à quelque chose que nous ne maîtrisons pas et dont nous ignorons les effets. Pour Cage et l’éducation progressiste en général, le développement d’une telle disposition, par l’intermédiaire d’un entraînement des perceptions, des observations et des pensées corrélatives, constituait l’alpha et l’oméga d’une véritable philosophie de l’éducation, tant les habitudes ancrées, les peurs, la jouissance du jargon, la sécurité du bien connu, l’entre-soi, etc., leur semblaient, à juste titre, répandus. La célèbre allégorie de la caverne de Platon ne parlait pas d’autre chose ! Il existe de nombreux systèmes de croyance dont la perturbation est vécue comme un danger par ceux qui les soutiennent. Avoir de l’expérience est donc une expression qui va en sens opposé. En la prononçant, on met l’accent sur la maîtrise, la répétition d’un geste, le contrôle permanent d’une situation bien cadrée qui permet d’accumuler un savoir sans avoir à le remettre en cause. Selon Dewey, faire de l’expérience une forme de propriété revient à ruiner non seulement sa dimension d’exploration, mais aussi l’engagement actif du sujet de l’expérience. C’est ce qui se passe avec l’empirisme classique, sensualiste : les objets extérieurs frappent nos sens et engendrent des impressions sensibles contre lesquelles on ne peut rien. L’expérience est alors entièrement passive. En réalité, si l’on y regarde de plus près, seule est passive une première phase qui consiste à être affecté par quelque chose pour la raison que cette chose perturbe le continuum de notre existence, comme un nid-de-poule dans le trottoir perturbe 73 des friches


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notre marche. Afin qu’il y ait expérience, il faut que la perturbation soit d’une ampleur raisonnable (non mortelle par exemple) et qu’elle soit aussi suffisamment perceptible pour qu’une réaction soit possible. En effet, une seconde phase qui accomplit « l’expérience » consiste à ajuster une réponse à la perturbation ressentie, de manière à la dépasser. On peut appeler trouble, doute, inconfort, anxiété, situation problématique, le vécu de cette perturbation. L’expérience est complète lorsque cette dernière est effectivement surmontée et que le sujet peut reprendre le cours de ses activités indépendamment des préoccupations dans lesquelles il a été plongé malgré lui. Expérience rime donc avec invention et liberté. Joëlle Zask

Expérimentation S’il existe un motif majeur qui caractérise l’engagement critique contemporain, c’est bien la volonté de se prouver d’abord à nous-mêmes, réunis en communauté d’expérience, de lutte ou de création, qu’un autre monde est possible, de le vérifier ensemble dans nos vies, concrètement, effectivement, avant de le proposer à d’autres et de l’opposer aux fonctionnements dominants. Les friches culturelles sont emblématiques de ce désir de faire pour pouvoir espérer, de réaliser concrètement en vue d’ouvrir les possibles, de matérialiser l’espoir afin de s’autoriser à le vivre. Expérimenter traduit cette volonté d’incarner dans une pratique effective ce à quoi on aspire, d’éprouver dans un faire ce que l’on désire, de tester dans et par des actes ce dans quoi on espère. Expérimenter, c’est lancer une hypothèse, la prendre pour guide et tenter de déployer nos alternatives dans l’horizon qu’elle dessine. Expérimenter, c’est donc indexer son action sur les possibles que l’hypothèse esquisse et entrebâille. Et si on occupait ce lieu ? Et si on y inscrivait un fonctionnement démocratique ? Et si on y écrivait concrètement nos aspirations égalitaires ? Les hypothèses sont à la fois des têtes chercheuses – elles explorent, farfouillent, furètent – et des têtes foreuses. Elles opè74 (un) abécédaire


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rent des percées et des traversées. Elles nous permettent de porter notre regard au-delà de la réalité présente et d’ouvrir des chemins de traverse, de renverse ou de contre-verse au sein d’une réalité urbaine (pour ce qui préoccupe les friches culturelles) qui trop souvent nous immobilise et nous décourage par ses pesanteurs, sa gestion technocratique et ses emprises spéculatives. L’expérimentation manifeste donc, en premier lieu, une puissance créative, une puissance positive – faire, tenter, éprouver – avant de fonctionner comme contre-pouvoir, ce qu’elle assume aussi. Elle agit bel et bien « contre », contre les conservatismes et les dominations, mais un contre qui œuvre de l’intérieur des situations, de l’intérieur de la ville, en puisant sa force du côté de ce qui a été collectivement réalisé et de ce qui, finalement, a déjà fait ses preuves. Ce qui est opposé aux fonctionnements établis, ce ne sont pas uniquement des déclarations et des manifestes, même s’ils restent fondamentaux, mais des transformations dès à présent engagées, à savoir un « autre monde » dont la possibilité se vérifie au jour le jour en multipliant les tentatives, des tentatives pour écrire dans le réel nos aspirations démocratiques et écologistes et pour les inscrire, matériellement, substantiellement, dans des normes et principes d’organisation. Expérimenter, c’est déployer des questions à l’endroit même où les institutions dominantes imposent leurs réponses, c’est ouvrir des possibles là où ils ne sont pas nécessairement attendus, c’est indexer l’action sur des hypothèses qui décalent le regard et dégagent l’horizon en dérogeant aux programmations qui stérilisent le faire. Pascal Nicolas-Le Strat

Externalités (valeur vaporeuse) Les fondements économiques du soutien public aux structures culturelles sont multiples, mais le plus important est la présence d’externalités. On parle d’externalités si l’activité d’une structure génère un surplus ou une perte de bien-être auprès d’autres acteurs que ses seuls usagers ou clients, sans que cette variation de bien-être ne soit compen75 des friches


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sée par un prix. Lorsqu’on est en présence d’une perte de bienêtre (par exemple les dégâts environnementaux de l’activité économique), le libre jeu du marché aboutit à une surproduction car les entreprises n’intègrent pas dans leurs calculs l’indemnisation des nuisances qu’elles engendrent à autrui. La crise climatique est le résultat d’externalités négatives massives produites par la croissance. À l’inverse, lorsqu’une structure génère un surplus de bien-être à d’autres acteurs que ses clients, le risque de sous-production est important. Par leurs interventions, les collectivités publiques compensent ces variations de bien-être par des taxes ou des contraintes de production ou de consommation pour les externalités négatives, par des subventions ou des planchers de production ou de consommation pour les externalités positives. Il est généralement admis que les activités culturelles génèrent des externalités positives, une « valeur vaporeuse » qui se dépose sur le territoire sur lequel elles se développent. Elles débordent sur leur environnement. De nombreuses études mesurent les effets induits de la culture, notamment des festivals, sur l’activité économique des territoires. À Nantes, le rapprochement entre culture et tourisme à travers la structure Voyage à Nantes internalise en quelque sorte ces liens économiques. Mais friches et tiers-lieux, par leur enracinement dans leurs quartiers, contribuent aussi à transformer ceux-ci, à en modifier l’image et à produire du lien social avec les autres acteurs présents. Au-delà des effets induits, la culture est un élément déterminant de l’attractivité des villes. Le modèle urbain de la ville créative repose sur sa capacité à attirer la « classe créative » (Florida, 2002), cette catégorie de main-d’œuvre qui occupe des fonctions non routinières. Les études montrent que cette classe créative est particulièrement sensible à la densité des activités artistiques sur le territoire. Les collectivités publiques sont alors encouragées à soutenir ces activités. Attention, cependant, à ne pas construire des villes faites uniquement pour ces travailleurs créatifs au détriment des autres catégories de population. Le risque de gentrification guette. Aux quartiers néobohèmes et lifestyle, dans lesquels on 76 (un) abécédaire


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retrouve indifféremment les mêmes cafés, restaurants et food trucks, FabLabs et espaces de coworking – autant de lieux de l’entrepreneuriat créatif qui sont devenus les sésames éculés du succès –, répondent souvent la promotion et la spéculation immobilières, l’inflation du foncier et ses phénomènes de relégation spatiale, les colocations obligées. Attention aussi à ce que cette stratégie d’attractivité des villes n’ait pas comme seul objectif la croissance de l’activité de la ville, peu compatible avec les contraintes imposées par le dérèglement climatique mais aussi parfois avec le bien-être des habitants. Il s’agit en fait de construire une ville créative à la fois durable et habitable. Dominique Sagot-Duvauroux

Faire « On fait ce que l’on fait et l’on fait ce que l’on dit faire. » Cette citation d’un membre de la Ufa-Fabrik enregistrée en 1997 est significative du rapport aux pratiques culturelles mobilisé dans de nombreux tiers-lieux dès leur origine, et encore aujourd’hui. L’inflation redondante du terme « faire » exprime l’attachement à ce qui, dans la pratique considérée pour elle-même, conduit à produire dans le sens le plus strict du terme : « faire apparaître quelque chose là où il n’y a rien ». Faire quoi qu’il en coûte, faire avec peu, faire culture collectivement. Les valeurs du « faire », et du faire culturel en particulier, s’articulent autour de deux axes : le réalisme et le pragmatisme. « Nous faisons ce dont nous rêvons, on y va concrètement (Praktisch), selon la devise (Motto) : en une heure de faits, d’actions (Tat), nous mettons plus de réalité (Wirklichkeit) que dans des années de discussions. » Se retrouve, dans ce slogan, ce que Pierre Bourdieu qualifiait de « réalisme populaire », qui consiste à « réduire les pratiques à la vérité de leur fonction, à faire ce que l’on fait » (Bourdieu, 1979). La notion de faire se rapporte à une activité, aux notions de pratiques, de techniques. Mais ce qui est en jeu dans ce pragmatisme est peut-être moins le travail en lui-même 77 des friches

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que ce qu’il implique, à savoir le fait de réaliser, de produire, d’accomplir la culture. Ce besoin de faire n’est pas sans faire écho au besoin de culture, au besoin de s’exprimer dans la pratique culturelle ou son organisation, besoin collectif essentiel, besoin individuel existentiel : s’épanouir dans la pratique. Ici se joue une bonne partie du sens de l’engagement culturel qui va au-delà de la production artistique. Se retrouve alors dans l’action collective un besoin de faire commun, de faire en commun, de faire selon une perspective communautaire, l’enjeu des communs. S’engager dans le faire culturel, l’organisation, c’est faire en groupe, mais apporter plus largement « quelque chose » au-delà du lieu, au-delà du site culturel, à son quartier, à sa ville. Fabrice Raffin

Festival À l’origine du festival, il y a un côté spontané, éphémère, avec pour but de partager un temps fort avec un public sur quelques jours, autour d’un art ou d’une thématique chers aux organisateurs. Lancé par des associations, groupes d’amis ou d’artistes, lieux culturels ou institutions, le festival apporte une effervescence dans un lieu. De quel ordre le lien entre festival et lieux culturels intermédiaires relève-t-il ? Le festival comme forme d’occupation temporaire peut être le point d’entrée à la revalorisation d’un lieu. Par sa forme spontanée, il peut s’installer facilement dans un espace et lui donner vie le temps de quelques jours, et cela peut devenir une source d’inspiration pour la suite. En 2016, à La Courneuve, la scène nationale de Bobigny alors en travaux propose une saison hors les murs, investit la friche Babcock pour quelques représentations et y installe une scène de théâtre, un bar, bref, aménage le lieu pour y accueillir du public. Accueillant encore de nombreux projets éphémères, le lieu est aujourd’hui en cours de reconversion, à la suite du concours « Inventons la métropole du Grand Paris », pour devenir à terme un lieu culturel hybride, La Fabrique des Cultures. 78 (un) abécédaire


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Le festival, c’est aussi un moyen de revendiquer son art et de le rendre visible sur un territoire. On pense notamment aux musiques actuelles, qui se sont emparées en nombre des espaces disponibles pour s’exprimer, célébrer. Un exemple édifiant est celui du travail de l’association Arty Farty à Lyon, à l’origine du festival – aujourd’hui annuel – de musiques électroniques et indépendantes Nuits Sonores. La première édition a eu lieu en 2003, avec la volonté d’utiliser la forme festivale pour rassembler et faire découvrir ces musiques. C’était précurseur et surtout osé à l’époque. Résultat : un festival urbain ouvert, qui investit plusieurs espaces industriels notamment autour du quartier de La Confluence, mettant l’architecture et la scénographie au cœur de l’expérience. Aujourd’hui pôle culturel et créatif, Confluence est le lieu de rendez-vous incontournables des Nuits Sonores. Il accueille au quotidien, depuis quelques années, les têtes pensantes de ce festival devenu une référence en Europe, puisque ses équipes sont installées au sein d’Hotel71, hub créatif. Enfin, pour les lieux existants et installés sur un territoire, le festival est un temps fort de la programmation, faisant collaborer ses parties prenantes : artistes, organisateurs, bénévoles... engagés pour le même projet, tissant des liens, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance au lieu. Toutes ces personnes font vivre le territoire en travaillant avec le tissu local : partenariats avec les services de restauration, associations, écoles, etc. N’ayons pas peur de dire que le festival contribue à ancrer un lieu dans son territoire. Cassandre Jolivet

Fête La fête est indissociable des lieux dans lesquels elle se déploie. Warehouses, friches, clubs, caves : autant de lieux et de temps tiers, de configurations sociales alternatives émergeant en creux des hiérarchies traditionnelles – celles du travail et de l’espace domestique, pour reprendre la définition que donne Ray Oldenburg du tiers-lieu (Oldenburg, 1989). La fête, au travers des sociabilités qu’engendre le dancefloor, est un espace de réflexion de configurations sociales alter79 des friches


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natives. Elle participe à une reconfiguration de réflexes sociaux diurnes au prisme de la disponibilité, la bienveillance, la tolérance, la fluidité, en s’inscrivant dans une logique communautaire. Espace-temps de redéfinition d’une posture à l’autre ainsi que d’une posture à soi, la fête est un espace fertile en sociabilités alternatives. Elle est en cela foncièrement politique. Du moins la fête offre-t-elle le potentiel de réappropriation du politique en son sens premier : être ensemble, se socialiser, fédérer la communauté d’une nuit. Elle facilite en ces lieux la fédération de communautés soudées autour d’un courant artistique (les chapelles musicales des années 1990-2000), d’une identité sociale ou sexuelle marginalisée. Communautés queer, LGBTQI+, féministes ou transféministes accèdent ainsi à des espace-temps où elles réinventent leur propre mode d’être en collectif, contribuent aux savoirs communautaires, et font corps visibles et discours dans des espaces safe. Issue des luttes pour les droits civiques, et notamment les mouvements LGBT et féministes, la notion de safe space est construite autour de l’idée d’un espace réparateur, une zone neutre permettant aux personnes marginalisées de se réunir. Les safe spaces consacrent des communautés depuis la marge, et se font les chambres d’écho des revendications de minorités, souvent invisibilisées et rendues inaudibles. Ils se fondent sur le vœu d’une certaine étanchéité face au monde – les safe spaces sont avant tout des refuges, des parenthèses salvatrices en creux du quotidien –, et se définissent par l’édiction de règles propres, permettant d’organiser des micro-sociétés. Les safe spaces en tant qu’utopies réalisées permettent l’accès au discours et à la reconnaissance pour un certain nombre de communautés mises à la marge du système, ils sont des espaces d’empowerment. Dans les tiers-lieux, cette vision performative d’une fête inclusive contribue à faire du dancefloor un cheval de Troie vers des mutations sociétales plus larges. De nombreux lieux, tels que La Mutinerie ou La Station-Gare des Mines à Paris garantissent ainsi à des minorités un accès à des plateformes d’expression, de revendication et d’encapacitation. Elles jouent le rôle d’interface entre l’underground communautaire et le mainstream, 80 (un) abécédaire


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condition d’inclusivité progressive. La fête, l’ultime tierce du tiers-lieu. Arnaud Idelon

Fixation Comment faire face aux bouleversements qui viennent ? Certains, tels Bernard Stiegler ou Aurélien Barrau, affirment un changement de civilisation. Ce qui vient suppose, dans tous les cas, de réinterroger nos pratiques, et le milieu culturel n’y échappe pas. On peut même penser qu’il est le premier à devoir faire preuve d’une créativité particulière ! Hélas, l’institution culturelle n’est pas agile : elle compose avec de nombreux freins et peurs, alors qu’elle doit inventer de nouvelles pratiques, de nouveaux espaces d’échanges et d’appropriation. Innover, faire autrement, construire une vision qui anticipe demain : ces temps nouveaux sont en rupture avec le connu, appellent de nouveaux paradigmes (civilisation « postanthropocène » ?). Il ne faut pas craindre de le constater : innover, en France particulièrement, est un impensé, trop souvent réduit à de nouveaux dispositifs, à des solutions « clé en main ». Par ailleurs, l’innovation intègre rarement les conditions propres à un équilibre social nécessaire pour qu’elle soit soutenable. L’une des raisons pour lesquelles innover est effectivement complexe réside dans le principe de fixation, décrit et expérimenté par le Centre de Gestion Scientifique de Mines ParisTech : nombre de sujets sont posés de telle manière qu’ils ne permettent aucune réponse en rupture. Au contraire, leur étude ne fait que conforter les caractères phénoménologiques déjà décrits, liquidant la volonté de « faire autrement » en relayant des imaginaires de postures, de stratégies de rentes, propres au monde d’avant. Par exemple, la question « Comment faire venir plus de publics dans mon théâtre ? » révèle trois freins à une conception réellement innovante : parler de « publics », c’est déjà poser le statut de personnes réunies en assemblée, attentives à une proposition top-down – prescription et assentiment obligatoires implicites ; « plus » impose une approche quantitative – la billet81 des friches


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terie et le taux de remplissage imposent des résultats chiffrés ; « théâtre » arrête la fonction du lieu à une posture symbolique dont le potentiel excluant n’est plus à prouver. A contrario, se demander, par exemple, comment devenir « l’espace créatif et partagé d’un récit contemporain de territoire » permet une défixation conceptuelle capable d’ouvrir des approches sociales, sociologiques, politiques, c’est-à-dire authentiquement culturelles, dans lesquelles des personnes engagées et les artistes également trouveront une nouvelle voix. Cela dissout tout référent connu, donc toute capacité de copiercoller. De plus, chaque terme étant propice à une acquisition de connaissances nouvelles et à une exploration fine, la proposition fédérera le plus grand nombre autour de problématiques sociales contemporaines. Ce qui importe, dans une telle approche, n’est pas tant de poser autrement les conditions de conception d’un lieu capable de travailler à nos espaces contemporains de représentation et de socialisation, qu’à décrire, par le questionnement partagé sur des bases totalement nouvelles, les conditions efficientes pour « faire autrement ». Bruno Caillet

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Génie naturel Le génie naturel se traduit par un comportement qui ne résulte pas de la déduction mentale mais d’une expérience sensible. Le vivant non-humain exploite son « génie » en utilisant différents moyens. Pour de nombreux animaux, le marquage du territoire est associé à l’odorat. Si un lapin vient faire son terrier dans votre potager, vous pouvez lui demander de partir sans le menacer avec des armes ou des poisons : il suffit de faire pipi dans le trou. La perception olfactive détermine l’identité des êtres présents dans l’environnement, qu’ils soient visibles ou non. Ce n’est pas évident pour les humains car ils semblent avoir perdu une grande part de cette sensibilité, mais c’est banal pour beaucoup d’autres espèces. Si le recours au « génie naturel » se perçoit facilement dans le rapport qui existe d’un animal à l’autre, on ne peut en 82 (un) abécédaire


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dire autant des échanges existant d’une plante à l’autre. Depuis longtemps, on se doutait de l’importance des possibles communications entre les végétaux. L’empirisme jardinier en donnait des exemples mais cela n’était pas scientifiquement prouvé. Le poireau préfère les fraises de Hans Wagner, paru en 2001, aborde le sujet de la synergie positive ou négative existant entre les végétaux proches les uns des autres. La communication passe par les racines ou les parties aériennes des plantes, parfois aussi en utilisant un médiateur tel le mycélium des champignons. Les substances chimiques émises jouent un rôle important. Elles se combinent parfois aux émissions gazeuses, électriques, vibratoires ou sonores. Ces rapports entre les espèces ne concernent pas les règnes du vivant d’une façon séparée. Tout est lié. Il existe aussi des modes de communication entre les plantes et les animaux. Le cas de l’acacia karroo, en Afrique, en est un exemple. Lorsque l’arbre refuse d’être brouté par l’impala, il émet des toxines dans son feuillage et l’animal s’en va. Dans le même temps, il produit un gaz éthylène qui prévient les autres acacias alentour. Ceux-ci émettent immédiatement la toxine dans leur feuillage. Si, par malheur, l’impala s’y intéresse, il risque sa vie. Au jardin, en climat tempéré et en sol sableux, on peut voir des piloselles, petites plantes herbacées au ras du sol. Elles se développent en cercle et en éliminant les graminées alentour. C’est un parfait désherbant : aucun besoin d’intrant chimique, idéale assistance. Mais on ne sait pas vraiment jardiner avec la piloselle, on manque d’expérience. La science peut nous aider. Il serait très important que toutes ces découvertes sur le génie naturel à l’œuvre dans la communication entre les plantes et les animaux soient portées à la connaissance de tous, afin de procéder au meilleur maintien de la biodiversité dans les projets d’aménagement et de culture. Gilles Clément

Gentrification La culture est souvent accusée d’être responsable des phénomènes de gentrification urbaine. Ce concept sociolo83 des friches


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gique, né dans les années 1960, désigne l’« embourgeoisement » des centres-villes jusqu’alors ouvriers. Aujourd’hui, le concept renvoie toujours à l’accaparement de quartiers « populaires » par les classes supérieures, mais selon un mouvement inversé, du centre-ville vers les quartiers périphériques. De fait, parmi les pionniers de la gentrification, les artistes, à faible capital économique mais à fort capital culturel, trouvent dans les quartiers les plus pauvres la possibilité de se loger à moindre coût et d’acquérir des surfaces suffisantes pour installer leurs ateliers. Déjà cependant, ils apportent avec eux un autre mode de vie. Rejoints ensuite par leurs relations, souvent issues des classes et des professions intellectuelles supérieures, ils constituent une tête de pont de la gentrification. De la même manière, les projets culturels qui ne trouvaient pas d’espace dans les centres-villes, saturés et quadrillés par les aménageurs à partir des années 1980, trouvent une opportunité spatiale dans les usines abandonnées, principalement situées dans les périphéries. Bien qu’ils soient porteurs d’un discours d’ouverture, les acteurs des friches culturelles font potentiellement partie des acteurs de la gentrification, le lieu culturel pouvant devenir le point d’ancrage visible, symbolique, de la présence des « envahisseurs ». Les façons de gentrifier ne sont cependant pas homogènes. Ce n’est pas la culture en elle-même qui est moteur de gentrification, mais certaines formes culturelles. Des projets privilégiant des formes artistiques qui parlent principalement aux classes supérieures, comme l’art contemporain, le théâtre, les musiques électroniques, des lieux surtout ouverts en journée ou fermant tôt le soir, ne proposant pas d’activités commerciales connexes, n’auront pas le même rôle dans la dynamique urbaine que des projets pouvant proposer, certes, de l’art contemporain ou du théâtre, mais surtout orientés vers les concerts en soirée, intégrant une programmation clubbing toute la nuit, proposant plusieurs bars, attirant les fêtards et les dealers, comme L’Usine à Genève. Ce sont ainsi les qualités des projets artistiques des équipes qui vont ériger ou non un lieu en acteur de la gentrification, selon les formes et les disciplines que ces projets plébis84 (un) abécédaire


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citent, les types de pratiques, la programmation et les publics qu’ils attirent ou non, les formes de médiation mises en place, ainsi que les modes de fonctionnement. Fabrice Raffin

Gouvernance collégiale De nombreux espaces-projets artistiques sont initiés et portés par un collectif. C’est, parmi tant d’autres, le cas de la Fabrique Pola à Bordeaux, des Ateliers du Vent à Rennes, de la Déviation à Marseille, du 108 à Orléans, de la Friche de Mimi à Montpellier ou encore de L’image qui parle à Paimpol ou du théâtre La Roncette en Ille-et-Vilaine. Au-delà du statut très souvent associatif sous lequel ces démarches sont gérées, s’exprime d’autant plus le désir d’une gouvernance collégiale qu’on se trouve à chaque fois dans un contexte où les ressources – notamment en information et en connaissance –, mais aussi le pouvoir, sont distribués entre plusieurs mains, sans qu’aucune d’entre elles puisse imposer sa propre gouverne aux autres (Paquet, 2014). La question est alors de coordonner une pluralité de pouvoirs (hétérarchie), sur la base d’une autonomie et d’une implication responsables de chacun. Ce mode de pilotage implique des contrats moraux auxquels les acteurs adhèrent, des formes de délibération qui leur conviennent et, au moins à terme, un ensemble de valeurs communes. En pratique, il apparaît comme un bricolage le plus astucieux possible de dispositifs de coordination jouant sur un mélange, à chaque fois inédit, entre relations hiérarchiques, marchandes, idéologiques et coopératives, avec néanmoins un accent sur les deux derniers modes, ce que les espaces-projets illustrent tout particulièrement. Une grande importance est alors à accorder aux échanges et moments de délibération informels, aux réunions ou groupes de travail et de réflexion sur des thématiques données, à l’élaboration progressive d’une approche commune facilitant des prises de décision par consentement mutuel. Mais la diversité constitutive des enjeux et des acteurs impliqués conduit également à être très attentif aussi bien aux modalités explicites de 85 des friches


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résolution des tensions et incompréhensions qui se font jour, qu’aux compétences de médiation que l’un ou l’autre a la capacité de mobiliser dans de telles situations. Une information fiable, exacte et à laquelle chaque acteur peut facilement accéder, une écoute réciproque et une réactivité visant l’efficacité concrète, une juste distribution des fruits de la collaboration dans laquelle chacun s’est engagé, constituent aussi des caractéristiques à constamment cultiver La complexité de ce type d’approche induit une part non évacuable d’imprécision et de flou, qui se déplace au fil du temps – notamment dans un va-et-vient entre la définition de l’objectif commun et ses réalisations concrètes. Soit autant de traits dont les acteurs impliqués ont à faire l’apprentissage et à intégrer, ce qui exige une réflexivité loin d’être simple à enrichir et faire perdurer. L’entrée par la notion de gouvernance permet également de n’en pas rester à celle trop vague d’auto-organisation, et d’explorer de plus près les contours et les difficultés de la conduite des agencements coopératifs que se veulent être les espacesprojets artistiques. Philippe Henry

Ground (modèle des) Le modèle des grounds a été imaginé par une équipe de chercheurs pilotée par Patrick Cohendet, à partir de l’observation des dynamiques d’innovation à Montréal dans le domaine du jeu vidéo (Cohendet, 2010). Ils constataient que Montréal était devenue une place centrale de l’industrie mondiale du jeu vidéo grâce à une connexion originale entre l’énergie créative diffuse des amateurs de jeux vidéo et les bureaux de recherche et développement des grandes sociétés du secteur, en particulier Ubisoft. Le modèle des grounds fait l’hypothèse que la dynamique des idées créatives apparaît comme encastrée au sein d’un espace (ou milieu) créatif. Elle repose sur un processus permettant de relier un underground informel d’individus créatifs avec un upperground institutionnel d’organisations privées ou publiques. 86 (un) abécédaire


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Par définition, l’underground est peu visible et nécessite proximité et interaction entre les acteurs pour permettre aux idées créatives de mûrir, se développer et devenir appropriables par les organisations de l’upperground (entreprises, collectivités...). Ces interactions sont favorisées par la concentration des acteurs créatifs sur des territoires limités (quartiers ou clusters créatifs). Mais cela ne suffit pas. Entre les individus créatifs et les organisations productrices de valeur, les auteurs mettent en avant l’importance de lieux, d’événements, de projets, de systèmes de valeurs qui permettent progressivement de faire mûrir, transformer les idées créatives pour qu’elles puissent être appropriables par les forces du marché ou les institutions. C’est ce qu’ils appellent le middle-ground. Au-delà de la lecture managériale et verticale de cette analyse, consistant à connecter la créativité diffuse d’un territoire aux structures produisant de la valeur ajoutée ou développant des politiques publiques, le concept de middle-ground permet d’éclairer les mécanismes d’innovation reposant sur le rapprochement d’acteurs appartenant à des champs de connaissance et d’activité éloignés. Dans la lignée des travaux d’AnnaLee Saxenian (Saxenian, 1996) sur le rôle des communautés dans l’écosystème d’innovation de la Silicon Valley, le middle-ground met l’accent sur l’ensemble des dispositifs dont la particularité est de rapprocher des acteurs susceptibles, s’ils travaillent ensemble, de produire des innovations dites disruptives, c’est-à-dire des innovations qui créent des bifurcations dans les processus standards de construction de la connaissance, innovations technologiques mais aussi sociales ou esthétiques. Patrick Cohendet et Laurent Simon ont d’ailleurs utilisé leur analyse pour expliquer pourquoi et comment Montmartre fut, au début du XXe siècle, le cœur de la création artistique mondiale (Cohendet, 2014). Hackatons, tiers-lieux, festivals sont autant d’exemples de middle-grounds au sein desquels circulent des idées et des compétences propices à l’innovation. Pour être efficaces, ces dispositifs doivent être animés par des passeurs (brokers) capables de réunir et faire travailler ensemble des populations qui n’ont pas naturellement vocation à se croiser. Dominique Sagot-Duvauroux

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Hybridation L’hybridation se définit comme l’art de faire un « mariage improbable », c’est-à-dire mettre ensemble des choses, des arts, des sciences, des métiers, des générations, des compétences, des droits, des matériaux, des activités, des secteurs, des identités qui, a priori, n’ont pas grand-chose à voir ensemble, voire qui pourraient sembler contradictoires, mais qui, réunis, vont donner lieu à quelque chose de nouveau : un tiers-lieu, un tiers-service, un tiers-secteur, une tierce-économie, un tiersmodèle, un tiers-matériau... De nouveaux mondes, en somme ! L’hybridation remet en question les frontières artificielles que nous avons créées entre les mondes. Elle n’est ni une alternance, ni une juxtaposition, ni une fusion, ni une assimilation d’un élément sur l’autre : elle se définit comme une « métamorphose réciproque » (Halpern, 2020). Par exemple, dans les villes, les projets de végétalisation se multiplient, les fermes, les potagers et les élevages urbains se développent au point que la frontière entre ville et campagne tend à devenir de plus en plus ténue. Cette hybridation de la nature et de l’urbanisme se fait parallèlement à celle des univers professionnels, des formations et des métiers : les universités, les laboratoires de recherche, les entreprises, les administrations publiques commencent à collaborer de manière plus étroite, ce qui enrichit et entrecroise les formations et les métiers, accroît la créativité, permet une meilleure collaboration entre des mondes qui jusqu’à présent ne « parlaient pas la même langue » et met un terme à ces terribles silos au travers desquels nous avions une vision morcelée du monde. Désormais, on se sent plus libre d’être juriste-designer, philosophe-startuper ou physicien-avocat ! Par ailleurs, de nouvelles manières d’habiter s’installent avec le coliving où l’on mutualise une buanderie, une chambre d’amis, une cuisine ou encore une voiture à l’échelle d’un immeuble. Des écoles rurales transforment leur cantine en brasserie pour tout le village et ouvrent leurs portes aux personnes âgées pour leur apprendre à se servir d’un ordinateur. Des gares se transforment en musées pour donner au plus grand nombre 88 (un) abécédaire


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l’accès à l’art, tandis que des pianos sont installés dans des magasins, sans parler des maisons de retraite qui accueillent en leur sein des crèches, comme Les jardins d’Haïti à Marseille, ou des expositions et des résidences de jeunes artistes, comme La Maison des artistes de Nogent-sur-Marne. Nous voyons aussi se multiplier les tiers-lieux : des endroits inédits qui mêlent industrie, artisanat, numérique, recherche ou culture... La Friche la Belle de Mai en est un bel exemple et participe ainsi à l’hybridation sectorielle, générationnelle, territoriale, professionnelle et sociale. Gabrielle Halpern

Individuation et subjectivation L’injonction à l’autonomie doit permettre aux plus pauvres, aux plus faibles, aux plus vulnérables d’entrer dans la compétition et de s’y maintenir (Ehrenberg, 2010). Les individus doivent se montrer autonomes, capables d’action et de réflexivité sur différentes scènes du social où sont mis en place des dispositifs de restauration de l’estime de soi qui permettent la captation des subjectivités et la confiscation des « selves » des individus. Les individus, inscrits malgré eux dans ces dispositifs, sont contraints à des relations de compétition et de concurrence interindividuelle pour accéder à des économies morales légitimes. Ils vivent ici des épreuves de double bind (double contrainte) où il y a injonction à être soi et captation des subjectivités, donc difficultés d’accès au « self ». La capacité à gérer ces épreuves détermine leur aptitude à passer ces frontières morales où, d’un côté, ils bénéficient de peu de reconnaissance sociale et publique et, de l’autre côté, ils reçoivent estime et reconnaissance sociale et publique. Dans les parcours de frichistes apparaissaient de manière répétitive des carrefours biographiques (Bidart, 2010) dans lesquels les lieux, les événements... influent sur les répertoires de ressources individuelles qui se réagencent pour recomposer les statuts, places et identités sociales des individus. Plus les ressources économiques, sociales et symboliques des individus sont faibles, plus les parcours professionnels contiennent des 89 des friches

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pluriactivités, polyactivités et réversibilités qui produisent des bifurcations biographiques (Bidart, 2010) ; à chaque bifurcation, les répertoires de ressources individuelles économiques, sociales et symboliques sont réagencés pour recomposer des places et des identités professionnelles. Et, dans la vie de la Friche la Belle de Mai, les bifurcations biographiques contiennent la question de la propriété et de la perte de soi. C’est autour de biens sociaux et moraux, respect social et respect de soi, estime sociale et estime de soi dans le travail que se réorganisent de manière brouillée les concurrences et les inégalités sociales et ethniques sur les marchés de l’emploi. Confrontées aux remaniements, réajustements et conflits identitaires, les populations en situation précaire, notamment issues des immigrations, éprouvent de plus en plus de difficultés à ajuster leurs différents « selves » ; elles oscillent entre propriété de soi et perte de soi, entre estime de soi et honte de soi selon les rôles qu’elles jouent dans les différents espaces sociaux (Roulleau-Berger, 2010). Mais il y a des seuils de saturation où les travailleurs en situation précaire perdent toute capacité réflexive ; les phénomènes de répétition et de redoublement de situations de disqualification, d’humiliation, peuvent produire l’irréversibilité du sentiment de honte de soi. L’espace intermédiaire peut alors favoriser des réconciliations entre identités sociales et identités pour soi. Les situations de double bind fragmentent des subjectivités et produisent des altérations identitaires qui peuvent faire l’objet d’un travail de réparation subjective et intersubjective dans les espaces intermédiaires ; les compétences individuelles et collectives réflexives des individus à localiser les ordres normatifs s’affaiblissent mais sont mobilisées dans les espaces intermédiaires pour gérer ces situations de double bind sur des modes différenciés dans les différents contextes sociétaux (Roulleau-Berger, 1999). Laurence Roulleau-Berger

Institutionnalisation Le terme est complexe et l’idée sonne comme un repoussoir pour les acteurs des friches culturelles. 90 (un) abécédaire


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Action collective portée par des personnes parfois très jeunes, sur un mode souvent contestataire, l’installation dans les friches s’est faite en distinction d’institutions culturelles locales et souvent en opposition aux instances politiques. Avec le temps, les conventions d’occupation et les financements publics, beaucoup sont devenues, trente ans après leur installation, des institutions culturelles incontournables de leur commune. Pour les autres, les conflits internes liés à l’acceptation ou non de subventions – perçue comme une compromission –, les difficultés d’inscription dans les réseaux culturels locaux et l’affirmation d’une autonomie totale ont été la cause de la fin de l’aventure. La pérennisation des projets est passée par la négociation d’une place dans la ville, d’une collaboration avec les pouvoirs publics et les autres acteurs culturels, et aussi d’une prise en compte des riverains. Souvent mal vécue, source de remise en cause constante, l’institutionnalisation indique pourtant l’essence même de l’action des friches : celles-ci sont un dispositif de reconnaissance de disciplines, de formes et de styles artistiques non pris en compte par l’action publique, ainsi qu’un mouvement de légitimation d’une autre manière de vivre la culture, plus joviale et festive, largement fondée sur l’affirmation du plaisir. Elles sont aussi une mise en avant de modes de fonctionnements socioéconomiques précurseurs, déjà orientés dans les années 1990 vers une économie sociale et solidaire. Le lieu, la friche, a constitué l’espace de rencontre de pratiques nomades, de petites associations jusque-là dispersées dans les villes. Ces pratiques et leurs porteurs, souvent très différents, avaient pour point commun de ne pas être pris en considération par les pouvoirs publics et de ne pas avoir de lieu. L’espace en friche sera le point de leur rencontre, de la stabilisation de leur pratique, de l’articulation de leurs différences. L’institution est un événement qui se répète, nous dit Andrew Abbott (Demaziere, Jouvenet, 2016), et le lieu est le socle de cette répétition. Sans lui, le risque de dispersion persiste. Sans lui, pas de visibilité, pas de repère, pas de consistance. Les pouvoirs publics savent désormais à qui parler, la négociation peut commencer. Le lieu est le point de départ d’un processus d’institutionnalisa91 des friches


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tion de plusieurs décennies, au bout duquel les friches sont devenues des institutions nouvelles. De fait, elles ont fait évoluer toute l’institution publique et le paysage culturel. Là se trouve l’origine du concept de tiers-lieu, qui tente d’en reprendre la substance. Impulsé cependant par le haut, il peine à y parvenir. Fabrice Raffin

Intermédiaires Commissaire d’exposition, éditeur et éditrice, agent artistique, programmateur et programmatrice de salle de concert... : différentes professions s’apparentent aujourd’hui à des intermédiaires des secteurs artistiques et culturels. En position d’interface, entre les artistes et les publics, ces intermédiaires constituent des acteurs clés de l’économie dite « des singularités » (Karpik, 2007). Endossant tour à tour un rôle de gatekeeper et/ou de tastemaker, ils assurent des activités prescriptives de sélection, de financement, de diffusion, de promotion et de consécration des œuvres et des artistes (Lizé, Naudier, Roueff, 2011 ; Jeanpierre, Roueff, 2014 ; Lizé, Naudier, Sofio, 2014). Dans le secteur des arts visuels, certaines professions voient ainsi le jour au cours du XIXe siècle : les activités de critique, de marchand d’art, de galeriste, de conservateur et de conservatrice s’instituent en même temps qu’émerge la figure de l’artiste moderne et que se développe un marché des artistes vivants (White H., White C. A., 1965 ; Moulin, 1967). Plus récemment, les collectionneurs et les collectionneuses, les commissaires d’exposition, ainsi que les opérateurs de ventes volontaires, se sont également positionnés pour assurer cette fonction d’intermédiaire (Jeanpierre, Mayaud, Sofio, 2012). Dans tous les secteurs culturels, les systèmes d’intermédiation se sont en définitive transformés depuis l’époque moderne, à mesure que de nouveaux acteurs se sont imposés et que les attributions des uns et des autres ont évolué. Les artistes visuels ont, de longue date, assumé ce rôle. Leur pouvoir de prescription s’avère toutefois très inégal d’une décennie à l’autre. En position de force dans l’Europe du 92 (un) abécédaire


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XVe siècle, ils regagnent de l’influence à partir des années 19601970, à la faveur d’un essor des collectifs d’artistes. En ce sens, le développement contemporain des lieux de production mutualisés participe d’une dynamique de reconquête, par les artistes, d’une autonomie relative. Mais la montée en puissance de ces lieux s’explique aussi par l’émergence de nouveaux acteurs, tels que des agences qui, à l’instar de Manifesto en France, assurent la gestion et la promotion d’un nombre croissant d’espaces de création artistique réunissant temporairement plusieurs dizaines d’artistes (POUSCH à Clichy, par exemple). Partant, l’hypothèse d’une recomposition en cours du monde de l’art (Becker, 1982), qui passerait et se traduirait par une relocalisation des activités d’intermédiation en amont de la chaîne productive, peut être ici formulée. Ces transformations entérinent en effet un reflux du rôle de certains acteurs historiques de l’intermédiation, positionnés depuis le XIXe siècle en aval de la chaîne, et qui œuvrent principalement au sein des espaces de diffusion. La période actuelle apparaît ainsi marquée par l’affirmation de nouvelles scènes et instances de consécration, des espaces de production au sein desquels des artistes et de nouveaux opérateurs s’investissent dans les activités de l’intermédiation et où s’expriment des visions concurrentes des échelles de valeur de l’art. Isabelle Mayaud

International Quelles que soient leurs histoires respectives, les espaces intermédiaires et les tiers-lieux culturels participent à un mouvement de plus grande ampleur, quasi-global mais certainement européen, qui reflète les transformations sociétales de nos temps, spécialement les mutations dans le monde du travail, l’émergence de la société de la connaissance, la transition numérique et le changement climatique. Pensant aux espaces intermédiaires à l’international, on constate qu’il existe des enjeux sur l’usage des différentes terminologies utilisées pour décrire ces espaces, souvent liées à des politiques nationales spécifiques. Le terme de tiers-lieu culturel, 93 des friches


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utilisé en France, n’est pas employé à l’étranger, même si des espaces aux caractéristiques similaires existent. Ces espaces culturels intermédiaires sont aussi au cœur des différents projets européens (Cultural Creative Cities and SpacesCreative Europe, CORAL-Marie Curie ITN, Eureka-Erasmus+, Centrinno-Horizon 2020), montrant un intérêt généralisé pour leur rôle dans les sociétés contemporaines. On constate qu’ils sont aussi entrés dans les politiques de développement, par exemple avec le travail du British Council sur les creative hubs en Asie, en Afrique et au Brésil, ou plus récemment celui de l’Agence Française du Développement sur les tiers-lieux culturels en Afrique. Leur essor témoigne principalement d’une évolution des pratiques culturelles dans nos sociétés contemporaines. Mais concernant l’international, le plus intéressant est le développement des connexions et des échanges entre acteurs basés sur des intérêts communs mais ne se trouvant pas dans le même territoire. Ces échanges sont facilités par les technologies de l’information et de la communication. Plus particulièrement en Europe, ces échanges se formalisent dans des réseaux culturels qui rassemblent des organisations ayant des traits similaires. Par exemple, le réseau Trans Europe Halles, créé en 1983, regroupe des centres culturels de proximité qui transforment des bâtiments abandonnés en centres dynamiques pour les arts et la culture. Le réseau européen des centres culturels (European Network of Cultural Centers), fondé en 1994, a pour mission de promouvoir le dialogue et la coopération entre centres culturels à vocation sociale en Europe, qui sont en interaction directe avec les communautés du territoire et les citoyens. Plus récemment, durant les années 2010, est apparu le Creative Hubs Network, un réseau dont la mission est d’améliorer l’impact créatif, économique et social des hubs en Europe et dans les pays voisins. Le réseau regroupe des organisations qui fonctionnent comme des points focaux pour les professionnels et les entreprises créatives, en offrant les moyens de soutenir la croissance des industries culturelles et créatives. Les principales lignes d’action de ces réseaux sont la mise en relation entre acteurs, le renforcement des capacités et le plaidoyer. Matina Magkou

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Interstice Avant d’être espace, l’interstice est geste. Il est d’abord un geste de résistance, et correspond à la tentative pour contourner, détourner ou retourner les obstacles, en particulier les fonctionnements urbains dominants, qui, attaqués frontalement, apparaissent insurmontables et découragent les initiatives. Interstice nomme cette intelligence pratique et cette ingéniosité qui consistent à se glisser, à se faufiler, à ruser et, finalement, à ne jamais se laisser immobiliser ou ralentir. Le geste est vif et réactif. Il s’agit d’un geste de création. Un interstice n’est jamais donné ; il n’existe pas « déjà-là », prêt à l’emploi (prêt à l’occupation), comme s’il suffisait de s’en saisir et de l’investir. Il est à imaginer, à deviner et à découvrir. Il émerge par exemple quand, à l’occasion d’une dérive ou d’une déambulation, dans l’un des détours de la ville, le marcheur, que Michel de Certeau nomme le « marcheur innombrable » (De Certeau, 1990), prend conscience d’un possible en « découvrant » un délaissé urbain, un terrain vaguement abandonné ou un intervalle laissé vacant entre deux bâtis, interstices qui, les uns et les autres, invitent à bifurquer pour partir en exploration. L’interstice, parce qu’il est avant tout potentialité, possibilité, parce qu’il réserve du possible, donne envie de tenter, aiguise le désir de faire et avive le besoin d’expérimenter. Ce potentiel, inhérent à un lieu ou à un bâti, est alors investi sous la forme d’une occupation, d’une appropriation libre et autonome ou d’un détournement d’usage. L’interstice devient alors espace, espace accueillant pour des pratiques qui trouvent difficilement à s’exprimer ailleurs et autrement, au sein d’un milieu urbain très normalisé. Espace bienveillant pour expérimenter d’autres modes de vie et d’activité. Il gagne progressivement en densité. Il s’enrichit de nombreuses tentatives. Il laisse advenir de nouvelles pratiques. Chaque personne qui a franchi le seuil d’une friche culturelle, par exemple, a ressenti cette multiplicité et cette diversité, en fait ce potentiel devenu réalité(s), ces espoirs se matérialisant dans un faire, cet imaginaire transformant le quotidien. L’inter95 des friches


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stice s’apparente à un contre-pouvoir, mais un « contre » qui conjugue une volonté de rupture et une capacité d’invention, un acte d’opposition associé immédiatement à un faire. Il est antagonique et instaurateur (instituant). Il desserre les contraintes, mais toujours dans une intention de faire. Le terrain vague se transforme en jardin commun. L’usine abandonnée devient lieu de création. La dent creuse urbaine se déploie comme microespace de socialité et de voisinage. L’expérience interstitielle signe une opposition à l’ordre urbain dominant et, en même temps, elle écrit, concrètement, matériellement, une autre manière de faire ville, au rez-de-chaussée, par le bas. Il s’agit d’un « contre » qui ouvre le possible – une critique portée de l’intérieur et par l’intérieur, qui se traduit, derechef, en expérimentations et en réalisations. Pascal Nicolas-Le Strat

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Latéralité (montée en) Nul ne doute de l’intérêt de partager les enseignements que réserve une expérimentation, mais la méthode le plus couramment proposée pour y parvenir est celle d’une « montée en généralité ». Elle est posée comme le passage obligé si les actrices et acteurs souhaitent que leur expérience soit entendue et reconnue. Il est pourtant possible de procéder autrement, en promouvant des formes de transmission et de partage qui préservent au maximum les traits singuliers de l’expérience, son caractère très situé et, conséquemment, son originalité. La « généralisation » opère par « abstraction » ; il s’agit de sélectionner des traits marquants, de les isoler de la texture d’ensemble de l’expérience et de les formaliser le plus possible. Ce procédé facilite effectivement la circulation d’informations à propos de l’action concernée mais il appauvrit grandement le contenu de ce qui est transmis et, en conséquence, apporte peu de connaissances. Informer n’est pas connaître. Une autre démarche peut être tentée – une montée en latéralité – qui s’oppose quasiment terme à terme à la première. Elle s’appuie sur l’hypothèse que le récit d’une expérience est inspirant pour celui et celle qui l’écoutent ou le lisent ; ce récit 96 (un) abécédaire


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accroche l’intérêt, invite à explorer les proximités et les différences, incite au débat, parfois à la controverse et, finalement, fait penser, aide à penser collectivement en s’appuyant sur une diversité d’expériences, solidement documentées et joyeusement racontées. Nul besoin, dès lors, d’élaguer ou d’amputer ; nul besoin de généraliser, en fait de « verticaliser », en resserrant l’expérience autour de quelques caractères dignes d’être « haussés » à la valeur d’une information pertinente. Une « montée en latéralité » invite à un effort soutenu et créatif de « formulation » (une narration), en contrecarrant l’hégémonie méthodologique de la « formalisation ». Elle table sur la capacité des expériences à apprendre les unes des autres, à s’informer réciproquement : j’apprends de l’expérience de l’autre, de sa singularité, car, par contraste, convergence, affinité, désaccord, elle m’incite à faire retour sur la mienne, à la (re)découvrir grâce au décalage que m’a permis la découverte de l’autre, par l’étonnement qu’elle aura provoqué, par la curiosité qu’elle aura suscitée. Ce motif est profondément démocratique ; il relève d’un idéal de commun (un commun des expériences, qui peut se développer à l’échelle d’un territoire, d’un lieu ou d’une institution) à travers une diversité d’expériences qui entrent en correspondance les unes avec les autres et qui se « découvrent » réciproquement, dans la double acception du terme. Cette montée en latéralité suppose évidemment l’instauration de microespaces démocratiques au sein desquels les expériences peuvent être racontées, où chaque expérience est à l’écoute des autres, et où chacune devient le meilleur instrument de recherche pour partir à la découverte des autres. Pascal Nicolas-Le Strat

Liberté La liberté donne place à une grande latitude d’expérimentation et une fusion des forces qui laissent s’épanouir la création. Dans une « jeune friche », les espaces bruts inoccupés et indéterminés, ainsi que la souplesse des politiques, permettent la réalisation et l’exposition des œuvres d’un éclatement créatif qui dépassent largement le cadre d’une galerie du type 97 des friches


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white cube. La liberté de ces sites permet également la création des connexions et des mouvements artistiques qui continuent bien au-delà des premières années d’une friche. Les conditions particulières d’installation de nouveaux occupants culturels dans les anciens sites industriels, souvent consécutives aux baux précaires ou à des squats, sont propices à une prise de risque créative. Les artistes et acteurs culturels saisissent cette fenêtre d’opportunité et se servent des espaces inoccupés pour tenter des expérimentations et réalisations pendant ces premières années, durant lesquelles la friche est en train de se structurer. La disposition des espaces reste alors encore à définir. Ce fut le cas à la Friche la Belle de Mai. Sandra Patron, la première directrice de l’association internationale des arts visuels Triangle France, installée sur le site depuis 1995, observe pourquoi elle appréciait les conditions spécifiques du lieu à cette époque : « Cela représentait la liberté ! Liberté de travailler dans des espaces vastes aux loyers modiques » et « liberté d’expérimenter dans tous les recoins de la Friche ! » (Rosenquist, 2019). La liberté d’une jeune friche peut également se traduire par l’appropriation des éléments architecturaux d’une ancienne usine, qui servent désormais aux activités artistiques ou associatives. La façon dont Astérides, une autre association des arts visuels de la Friche la Belle de Mai, s’est approprié le toit au-dessus du 5e étage du plus ancien bâtiment du site, connu comme « la Tour » pour les fêtes des années 1990, en est un exemple. Grâce à cet emplacement isolé, avec vue sur la Méditerranée d’un côté et sur la voie ferrée de l’autre, les moments festifs étaient des moments de convivialité déchaînés, bruyants et ludiques, qui pouvaient durer toute la nuit et qui renforçaient les liens entre les artistes. Selon l’artiste Gilles Barbier, ancien président de l’association, ces fêtes jouaient un rôle essentiel de « mortier » du groupe, « ce qui liait tout » (ibid., 2019). Au-delà du rôle qu’ils jouent dans la création des liens et du renforcement des connexions, les moments festifs débridés dans les lieux alternatifs sont parfois à l’origine du folklore autour des mouvements culturels ou musicaux. Pendant les années 1980, Les Frigos, qui se situent dans le 13e arrondisse98 (un) abécédaire


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ment de Paris, deviennent un haut lieu symbolique pour une génération de Parisiens à travers leurs fêtes, concerts et spectacles. D’autres sites arrivent même à dépasser la communauté artistique liée à leurs soirées et moments festifs, et deviennent des légendes associées à des mouvements nés dans leur ville, telle L’Hacienda à Manchester, où l’essentiel de la musique house britannique est né (Vivant, 2007). Marta Rosenquist

Localisation (faubourgs) De manière métonymique, l’appellation de « friches culturelles » provient du type d’espace dans lesquels les collectifs et associations prennent place, des espaces littéralement en friche, abandonnés : d’anciens sites industriels ou marchands, parfois militaires, voire des hôpitaux. Bon nombre d’observateurs ont pu souligner l’adéquation entre ces espaces et des pratiques de création ou de diffusion culturelle. Cette vision romantique obère les inconvénients de tels sites pour la culture : l’impossibilité de les chauffer, le froid en hiver, la fournaise en été, l’acoustique déplorable, l’absence totale de plateau technique au moment de l’installation et tout simplement l’insalubrité générale. Si cette localisation des projets ne doit rien au hasard, elle ne saurait certainement pas être comprise comme un choix délibéré. À un autre niveau, il faudra plutôt mobiliser la conjonction entre les projets et les contextes urbains et économiques depuis la fin des années 1970. L’accentuation de la mondialisation et le transfert, au tournant des années 1980, de la production des biens manufacturés en Asie, a conduit à la fermeture de kyrielles d’usines dans toute l’Europe. D’innombrables lieux de production industrielle laissés vacants ont pu apparaître comme autant d’opportunités pour des collectifs à la recherche d’espace pour organiser des concerts, des expositions, des fêtes, et trouver des ateliers de création et de production – opportunités par défaut, pourrait-on dire, vu l’état des friches investies à leur arrivée. Par défaut, surtout, parce que les collectifs, pour la plupart, cherchaient à leur création à s’installer en centre-ville où se 99 des friches


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concentrait la vie culturelle pour des jeunes gens. Et c’est là un point crucial : ils en furent refoulés. Si la ville est la concurrence pour l’espace, les espaces du centre sont accaparés historiquement et de longue date. Et c’est plutôt le manque de légitimité culturelle qui les conduisit dans les faubourgs de leur ville, où se trouvent les usines abandonnées. Si certains faubourgs peuvent aujourd’hui apparaître géographiquement proches du centre, à y regarder de plus près, ils constituent toujours des quartiers qui en sont socialement ou symboliquement distincts : des faubourgs distincts qui restent l’espace de « ceux qui ne peuvent pas se payer la ville », et que, néanmoins, dans de nombreux cas avec le temps, les collectifs contribuent à faire évoluer, « vers le haut » cette fois, parfois jusqu’à la gentrification, à mesure, aussi, que les formes artistiques qu’ils portent apparaissent toujours plus légitimes. Fabrice Raffin

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Maîtrise d’usage « La maîtrise d’usage est un moyen de donner une place active et décisive aux usagers en postulant que la pratique génère un savoir » (Vulbau, 2014). Le concept de maîtrise d’usage apparaît en 1985 avec la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique, où il est considéré que les futurs habitants doivent être au cœur du processus d’élaboration des projets urbains et architecturaux car « la pratique conduit au savoir ». Il aura fallu près de vingt ans pour que la maîtrise d’usage intègre réellement le jeu des acteurs dans la conception de projets urbains et d’équipements, jusqu’alors limitée au binôme de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre. La pratique de la maîtrise d’usage avait été incarnée, dès les années 1960, par les explorations de l’architecte Lucien Kroll, associant les habitants à la conception du bâti. La participation d’une maîtrise d’usage à la transformation urbaine et architecturale génère ainsi « une œuvre chorale » (27e région, 2020), permettant de dépasser le symbole et la pratique des conceptions architecturales démiurgiques, celles, utilitaristes, des programmistes, et celles, mercantiles, des promoteurs pri100 (un) abécédaire


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vés ou publics. La maîtrise d’usage participe à un processus d’écriture des programmes et de conception architecturale par itération. Elle est ainsi aujourd’hui « un domaine d’activités et de missions professionnelles visant à intégrer les besoins et les aspirations des usagers en associant ceux-ci à certains choix/décisions du cadre de vie bâti » (Le livre blanc de l’AMU, 2020). Des projets portés par exemple par le Collectif Etc, Les Saprophytes, Bellastock ou Exyzt illustrent ce principe qui permet, par la mise en place de démarches participatives, de favoriser la mobilisation et le croisement des populations en produisant un urbanisme démocratique, au travers de projets comme Made in Vitrolles dans le cadre de Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture. Dans ces démarches, les citoyens sont engagés dans les processus de transformation urbaine et architecturale, de la définition des programmations (que fait-on et où dans les espaces ?) jusqu’aux principes de leurs gouvernances futures, en passant par leurs modes de réalisation. La maîtrise d’usage ne concerne pas seulement la transformation des bâtiments, elle concerne plus globalement l’association des usagers à la gouvernance des friches, espaces intermédiaires, tiers-lieux... par de multiples outils et procédures. Les populations, les usagers, les publics porteurs d’un « savoir vivre » des lieux, ne sont ainsi plus cantonnés à un rôle de consommateurs, mais acquièrent une position de coproducteurs de l’espace public. Fabrice Lextrait

Micropolitique (versus macropolitique) Micro et macro sont souvent opposés terme à terme, l’un étant posé comme le contraire ou l’inverse de l’autre. Cette polarisation excluant – soit l’un, soit l’autre – s’accompagne aussi, fréquemment, d’une hiérarchisation symbolique, le micro et le macro n’étant pas reconnus à la même valeur, n’étant pas considérés d’égale pertinence. Une politique engagée à un niveau macro est louée pour son enver101 des friches


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gure alors que, développée à son niveau micro, elle est suspectée de manquer d’ambition, de se montrer trop timorée. Il n’y aurait pas long à découvrir, derrière cette opposition, une vision particulièrement masculiniste de ce que recouvre une « puissance de faire » en politique, puissance qui relèverait avant tout d’un enjeu quantitatif, à travers un imaginaire du nombre, de la taille ou de la stature. Les pratiques politiques qui ont émergé au sein des friches culturelles, et de nombre d’expérimentations urbaines, ont contribué, avec d’autres développées lors des luttes féministes ou écologistes, à défaire cette idéalisation du macro et à accorder ses lettres de noblesse à une multiplicité de manières de « faire politique » au plus près du vécu, dans la vie quotidienne d’un lieu, au cœur des relations (Vercauteren, 2011). Micro n’est pas le « moins », le peu ou le moindre du macro. Il convient donc de se défaire de ce face-à-face intimidant et disqualifiant. Celui qui fait politique à un niveau macro se voit reprocher d’agir hors-sol, d’une manière trop abstraite, et celui qui fait politique à un niveau micro est soupçonné de penser petitement et d’occulter des enjeux décisifs. Il est pourtant facile de montrer que c’est souvent sur le plan d’une micropolitique que l’on prend le plus clairement conscience de la prégnance des rapports de genre dans la vie des groupes, à l’occasion, par exemple, du constat que la parole « publique » reste encore majoritairement une parole masculine, ou du fait sans cesse réitéré que les préoccupations de care restent fortement, parfois exclusivement, portées par les femmes. De même, c’est à un niveau micro que l’on touche du doigt certains enjeux globaux d’une métropole. L’expérience d’une friche offre une bonne lecture de la dynamique d’une ville, à travers les résistances, les incompréhensions et les oppositions qu’elle rencontre. Le plus fin, le plus proche, le plus quotidien donnent souvent à voir, très concrètement, nombre de questions qui se posent à la société prise comme ensemble. Faire politique à un niveau micro, ce n’est pas miniaturiser ou amoindrir les enjeux, ce n’est pas les rabattre uniquement sur un plan tactique, c’est avant tout les « lire » et les « agir » de plain-pied avec l’expérience vécue, sur un mode donc plus intense et plus impliquant, en 102 (un) abécédaire


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tout cas sur un mode différent, mais nullement antagonique, de celui que permet, par exemple, un mouvement social. Le niveau micro aiguise les prises de conscience ; il joue des intensités et permet de faire politique au plus près de l’expérience. Pascal Nicolas-Le Strat

Mixité Il existe peu de types de lieux de culture pouvant offrir une si grande mixité de disciplines et de populations que les friches, espaces intermédiaires et fabriques culturelles. La diversité d’activités que les vastes espaces bruts et flexibles d’anciens sites industriels peuvent accueillir dépasse largement ce que nous pouvons attendre des lieux culturels plus standardisés et formatés. Que ce soit pour des activités sportives, des ateliers créatifs pour enfants, des cours et stages pour adolescents, des musiques et spectacles, ou des espaces extérieurs pour se réunir en famille ou entre voisins le week-end, ces sites tiennent souvent les clés d’une mixité souvent recherchée mais rarement atteinte par des politiques culturelles municipales. C’est avec cet objectif que l’adjoint à la culture de la ville de Marseille, Christian Poitevin, aborde les sites privilégiés de sa politique des Friches Nomades en 1990. Il considère que les anciennes usines sont des lieux optimaux pour mélanger non seulement les disciplines et origines culturelles représentées dans la population marseillaise, mais également les différentes classes sociales de la ville phocéenne (Rosenquist, 2019). Ce principe oriente le développement de la Friche la Belle de Mai dans une ancienne manufacture des tabacs à partir de 1992. La mixité peut s’appliquer également à la création des œuvres collectives montées ou exposées dans les friches. Un exemple assez remarquable d’une œuvre collective réalisée par un groupe issu de cultures, d’âges et de milieux très variés est Les drapeaux de prières, premier volet des Cheminées : totems roubaisiens, ensemble de manifestations montées par l’association Le NonLieu dans le cadre de Lille 2004, Capitale européenne de la culture : au mois de mars de cette année, plusieurs milliers de drapeaux de prière multicolores étaient hissés en multiples 103 des friches


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guirlandes sur deux cheminées de brique roubaisiennes de trente-cinq mètres. Chaque drapeau exprimait le vœu que son artiste souhaitait voir exaucer, à travers des mots, des couleurs ou un dessin. Les artistes de ces drapeaux provenaient, entre autres, des écoles maternelles et primaires roubaisiennes, de l’Association des paralysés de France (APF France handicap), des collèges et lycées des villes de Lille et de Lomme, de diverses associations roubaisiennes et des maisons d’arrêt de Loos et de Douai. Cependant, la mixité des populations dans les friches, espaces intermédiaires et fabriques est souvent plus présente dans les discours que dans les actions, et demeure un grand défi pour nombre d’entre eux. Même si les anciens lieux industriels devenus friches culturelles se situent fréquemment dans des quartiers populaires, leurs activités attirent le plus souvent les classes moyenne et supérieure, et les habitants de leur propre quartier les ignorent ou se sentent étrangers dans leurs espaces. Aux coordinateurs de ces lieux de trouver les activités – notamment sportives ou adressées à des jeunes du quartier – qui facilitent une ouverture vers le territoire qui les accueille, sans qu’elles compromettent pour autant leur dynamique culturelle contemporaine qui peut attirer des publics de toute la ville et bien au-delà. Marta Rosenquist

Modèle d’affaire Certes, cela semble être un terme à connotation très économique pour définir des lieux qui, justement, rejettent la logique capitaliste de faire du profit. Alors que de nombreux lieux se déclarent « à but non lucratif », pourquoi utiliser ce terme qui évoque la rentabilité ? On parle ici de lieux qui existent physiquement, avec la gestion d’un bâtiment, l’accueil de publics et d’artistes. Ces activités génèrent des coûts de maintenance du lieu ou de fonctionnement. Même sans visée non lucrative, il faut bien couvrir ces coûts, atteindre le « point d’équilibre » afin de pouvoir assurer le bon fonctionnement du lieu, et surtout lui permettre de mener 104 (un) abécédaire


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à bien sa « mission ». Propre à chaque lieu, cette mission est sa raison d’être. On la retrouve souvent dans la définition première donnée par ses fondateurs : « chantier culturel d’expérimentations artistiques, sociales et écologiques » pour le Moulinage à Chirols en Ardèche, ou encore « lieu de rencontres et d’échanges, dédié à la création et à la diffusion des arts sous toutes ses formes » pour le projet de la Taverne Gutenberg à Lyon, pour ne citer que deux exemples. Diffusion artistique, création de lien social : on note que faire du profit n’est pas du tout le but de ces lieux. Ils doivent tout de même définir leur modèle d’affaire, celui qui liste les activités proposées et les revenus générés, pour au moins couvrir les dépenses. Proposant des espaces aux configurations et activités différentes, chaque lieu doit trouver son modèle de fonctionnement. Pour cela, on peut se baser sur le cadre théorisé par Alexander Osterwalder en 2005, un outil qui propose neuf blocs composant une entreprise et leurs interactions. Parmi ces blocs, certains éléments ayant une importance particulière pour les lieux qui nous intéressent se distinguent : la proposition de valeur ; les partenaires, ressources et activités clés ; les coûts ; les revenus. S’il propose une bonne base, ce cadre est toutefois l’objet de récentes remises en question par certains chercheurs et économistes. D’une part, il est désormais nécessaire de proposer des modèles d’affaire durables, adaptables aux différentes crises. D’autre part, les acteurs de l’économie sociale et solidaire, de plus en plus nombreux, et dont certains lieux émergents se revendiquent, ont besoin d’un modèle plus précis, adapté à leurs spécificités. Par exemple, leur proposition de valeur repose sur les notions de solidarité, de collaboration et de valeur sociale, et ils utilisent de nouveaux moyens de financement, comme le financement participatif. L’accent est mis sur la proximité et le partage de valeurs éthiques. Ils évoluent dans une logique d’écosystème, et il faut également prendre en compte leur impact global au sein de cet écosystème. Cassandre Jolivet

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Monde(s) Le monde est un terme subjectif et abstrait, renvoyant à un ensemble de réalités géographiques, mémorielles et anthropologiques se transformant dans le temps (« aux quatre coins du », « la fin du », « changer le », « citoyen du », « le nouveau »). Notre monde est fait de mots, d’idées et de paysages du présent, et s’arrête aux limites de ce que nous connaissons. Le mot « tiers-lieu », qui est mis aujourd’hui en France sous le feu de la rampe, est né dans les années 1980, de l’autre côté de l’Atlantique (Oldenburg, 1989). Ray Oldenburg, sociologue urbain, analyse le lien entre l’aménagement des villes étatsuniennes et leurs manières contemporaines de faire société. Il imagine un nouveau mot à partir duquel penser et agir pour protéger les lieux de vie collective échappant au tout-marchand : third-place, que nous avons choisi de traduire par tiers-lieu. Ce terme, loin d’être universel, renvoie cependant à des dynamiques observées internationalement, comparables dans leurs intentions et leurs effets. Placemaking project, grassroot cultural center, comunidad, autonomía local, occupaciones, projetos de revitalização... : ce sont des milliers de lieux et de communautés éparses aux quatre coins du monde. Entre 2017 et 2019, le projet Wide Open Project permet d’explorer plus d’une centaine d’entre eux, sur quatre continents. Villa Itororo à São Paulo, Tabacalera à Madrid, Ponyride à Détroit, Woelab à Lomé, Casa B à Bogota, Villa Flores à Porto Alegre... Sont-ils les fruits du même arbre ? Les signaux faibles d’une conscience collective arrivée à maturité ? Doit-on y voir un mouvement de sociétés, par-delà les frontières ? Si les projets prennent chacun les formes de leur territoire, les couleurs et les valeurs de leurs communautés, ils sont autant de ripostes localisées aux conséquences délétères de la mondialisation. Dans ces villes-mondes régies par des mécaniques capitalistes, nos perspectives sont déformées et les espaces communs aussi menacés que la biodiversité. L’essence de tous ces lieux des possibles n’est pas faite de mots : elle se sent dans l’immatériel, dans les corps, dans leurs 106 (un) abécédaire


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mouvements, dans le ton des voix, dans la beauté de leur énergie collective, de création et de vie. Autant de réponses contextualisées à des besoins éternels : tisser des liens, développer une relation avec son territoire, se sentir humain parmi les humains, grandir et évoluer au contact de la diversité. Elles révèlent, en somme, notre interdépendance et notre besoin universel de faire humanité. Cette soif massive d’utopies peut aussi se lire comme une réaction au cumul des crises sociétales planétaires, une envie de croire que d’autres mondes, plus souhaitables, sont possibles, ici et maintenant, un besoin de s’organiser collectivement pour les faire advenir : certains y verront peut-être les prémices d’une rupture anthropologique. Dans ce mouvement mondial qui prend progressivement conscience de lui-même, aucun modèle ne doit être placé comme horizon unique, aucune doxa du tiers-lieu ne doit nous faire converger. Notre harmonie sera polyphonique et nos nouveaux mondes pluriels, ou ne seront pas. Léa Massaré di Duca

Monde commun Nous sommes en train de vivre un double mouvement qui transforme profondément notre environnement et fait évoluer nos conditions de vie quotidiennes. En creux, il y a celui des classes dirigeantes qui ont décidé de se mettre à l’abri, considérant qu’il n’y aurait pas assez de place pour elles et nous sur cette terre (Latour, 2022). En plein, il y a celui d’une mondialisation des cultures et d’une circulation de plus en plus importante des diversités culturelles. Loin de produire une homogénéisation, cette diversité révèle la limite du modèle occidental de colonisation du monde, dans toutes ses dimensions : limite de la dissociation du lien entre nature et culture ; limite de l’apologie de la compétition comme seul mode d’évolution ; limite de la consommation et de la croissance comme seul horizon social et écologique. Nous devons alors, librement, faire émerger des modèles d’organisation de nos sociétés et proposer des espaces com107 des friches


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muns pour agir. Nous pouvons, librement, construire ces mondes communs qui nous manquent par « la tyrannie de l’absence de structure » (Freeman, 1970) des élites. Et, pour construire ces mondes communs, il est nécessaire à la fois de coopérer et de collaborer, de savoir, faire et penser, ensemble, et désirer et croire que cela est possible. Coopérer, ce n’est plus organiser le pouvoir, mais libérer du pouvoir d’agir. La coopération n’est pas politique ou idéologique, mais faire de la politique, c’est aujourd’hui coopérer, parce que l’organisation de la société, les organisations, sont complexes et s’inscrivent dans des environnements à multiples échelles. Mais « passer à l’échelle » n’a plus de sens, parce que cette massification ne prend plus en compte les enjeux environnementaux et la singularité de la territorialisation des actions. La coopération devient une nécessité pour penser et construire les choix politiques, afin de donner aux institutions actuelles la capacité d’accompagner la construction d’un monde commun, en régime numérique et dans une société à l’échelle monde. On retrouve cela aujourd’hui dans le travail mené sur les droits culturels au sein de directions collectives de structures comme le Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne, de coopératives d’artistes ou de lieux comme à GentiouxPigerolles, Marseille ou Grenoble, de foncières culturelles comme Mains d’Œuvres à Saint-Ouen-sur-Seine ou le Quartier Libre des Lentillères à Dijon, d’espaces de construction complexe des identités et des communautés culturelles comme le Musée dauphinois ou l’ADCK à Nouméa, etc. : des actions qui vont mettre en leur cœur « l’œuvre commune », qui n’appartient à personne mais à toutes et tous. Ces organisations mettent en œuvre des principes coopératifs qui résonnent avec ceux de l’éducation permanente, des entreprises libérées et de la sociocratie, des cultures libres ou de la chambre des communs. Elles articulent les méthodes du design de service, l’agilité informatiques, la gestion par consentement... Elles ne datent pas d’hier, prennent racine dans l’éducation populaire du XIXe siècle, le community organizing de Saul Alinski aux États-Unis et le mouvement des communs, et se déploient jusqu’aux outils numériques depuis la fin des années 1960 (Tuner, 2014). 108 (un) abécédaire


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La coopération n’est alors ni une nouvelle technique de management fonctionnelle et efficace, ni un idéal moral pour un travail 2.0, mais le moyen de recréer les conditions d’un dialogue de pair(e) à pair(e) qui permet d’agir dans la complexité. Emmanuel Vergès

Multitude De nombreux espaces intermédiaires, friches ou tierslieux utilisent le terme « multitude » pour qualifier leurs identités. Lors des rencontres internationales Nouveaux territoires de l’art en 2002 à Marseille, Toni Negri insistait sur le fait que « les acteurs des nouveaux territoires de l’art sont une multitude de corps singuliers déterminés, en quête de relation dans le projet qu’ils produisent ensemble », illustrant ainsi la définition donnée dans Empire (Hardt, Negri, 2000) : « La multitude est un ensemble de singularités conservant leurs différences et néanmoins capables de penser et d’agir en commun. » Les tiers-lieux sont l’une des incarnations de la multitude, multitude issue d’une pratique collective qui, dans un contexte spécifique, produit une création culturelle où se mêlent plusieurs dimensions : artistique, éducative, sociale, urbaine, économique et bien sûr aujourd’hui écologique. « Dans un monde global à tendance impériale, créer et générer deviennent des gestes de résistance, réinventant constamment des singularités (objets, signes) prises dans le commun. Le désir d’expression artistique est partout présent quand la multitude agit de manière créative. L’art investit la vie, là où elle se reproduit parce que notre puissance est plus grande que notre capacité à nous exprimer » (Negri, 2004). Les friches sont la multitude car elles ont un ensemble de spécificités mais conservent leurs différences en étant capables de générer du commun. De fait, « les espaces intermédiaires travaillent à ce que la production artistique soit rendue à sa multitude et ne soit pas mobilisée au profit du capitalisme contemporain qui essaie de mobiliser à son profit cette créativité diffuse dans le cadre de l’industrie culturelle, urbaine et touristique. La multitude est une fabrique du sensible qui 109 des friches


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contribue à l’indispensable fusion entre l’art et la vie. » (Nicolas-Le Strat, 2000.) La multitude incarne un profond désir de liberté et de démocratie, qui s’exprime tout autant dans les approches de direction artistique que de développement culturel ou d’exploitation économique. La multitude dans les espaces intermédiaires incarne, dans une relation constituante non conclusive, un humanisme renaissant avec des notions révolutionnaires de singularité, d’égalité, de communauté, de coopération. Avec les fabriques artistiques ouvertes sur l’espace public, la production artistique contemporaine se génère, se produit et se partage aujourd’hui sur le mode d’une créativité diffuse, sur le mode d’une multitude/multiplicité « multiple qui reflète ce qui est lié de mille façons » (Deleuze, Guattari, 1980). Les espaces intermédiaires sont bien des espaces qui permettent à la multitude de générer une nouvelle société, en permettant et en démultipliant la coopération des singularités qui les fondent et les nourrissent, dans un universel concret où la multitude peut passer d’un lieu à l’autre et se l’approprier. Dans les friches, les espaces intermédiaires, le désir de la multitude est « une espèce commune, un ensemble d’individualités, un jeu ouvert de relations, qui n’est ni homogène, ni identique à lui-même et qui porte une relation indistincte, inclusive à ceux qui sont en dehors de lui » (Negri, Hardt, 2000). Fabrice Lextrait

Mur Les murs des friches possèdent une grande flexibilité propice à des usages et pratiques uniques, spécifiques à ces lieux. Les artistes et acteurs du site peuvent se permettre d’utiliser un mur comme de la matière à travailler, ce qui serait plus difficile dans des lieux culturels plus standardisés. Ainsi, il peut être illuminé, graffé, percé par une fenêtre, troué, escaladé, traversé, franchi... De tels murs ont la capacité d’ouvrir sur un univers d’infinies possibilités. Ce sont souvent des murs extérieurs qui sont destinés à recevoir les graffs. Comme ces lieux sont, au départ, fréquem110 (un) abécédaire


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ment considérés comme éphémères, ils se prêtent à une grande ouverture quant à la forme de créativité permise sur leurs parois. L’allure, les nuances, les héros dépeints et la définition détaillée de ces images nous entraînent dans un imaginaire qui transcende facilement les différentes générations qui se croisent sur un tel site. Au moment où les plasticiens s’installent dans une ancienne usine, les vastes murs invitent à une myriade de possibilités, mais les espaces peuvent paraître très sombres ; il est ainsi essentiel d’y insérer des fenêtres ! Cela entraîne les questions inévitables : où les insérer ? Des fenêtres de quelle forme et de quelle dimension ? Si ces questions sont, habituellement, strictement encadrées à l’intérieur du domaine des architectes et maîtres d’ouvrage, dans une « jeune friche » où les artistes et acteurs culturels ont récemment pris possession du lieu, les plasticiens ont souvent leur mot à dire quant aux spécifications des fenêtres qui laissent entrer la lumière afin d’éclairer leurs ateliers. Les murs industriels fraîchement récupérés par la création contemporaine peuvent également permettre des œuvres inattendues de la part des plasticiens, et même la création de « murs intérieurs ». Tel a été le cas à la Friche la Belle de Mai en 2000, quand l’artiste new-yorkais Ward Shelley a construit un tunnel d’acier, bois et carton serpentant entre les colonnes industrielles, perçant les portails et murs sur son chemin. Pendant les trois semaines de cette performance-installation, qui durait vingt-quatre heures sur vingt-quatre, l’artiste habitait dans son tunnel. L’avancée de la construction était suivie en direct à travers des moniteurs connectés à des caméras de vidéosurveillance, parsemées tout au long de la structure, grâce à de petites ouvertures qui y étaient disséminées. Enfin, les budgets limités des friches culturelles ne permettent pas toujours des murs entiers, mais plutôt des « cloisons » qui ne montent pas jusqu’au plafond et délimitent les périmètres des ateliers d’artistes. Tel était le cas à Gasworks, galerie et site de résidences d’artistes créés à Londres en 1994. C’est également le hub du réseau international Triangle. Or, les murs légers et réduits de ces ateliers peuvent apporter des atouts inattendus. L’une des artistes, qui entendait les échanges ayant 111 des friches


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lieu dans les ateliers avoisinants – ce qui est souvent le cas dans les friches – a souligné un aspect très positif de cette « promiscuité » subie : chaque fois que ses voisins recevaient des galeristes, elle entendait toute la conversation, ce qui a fini par l’aider à découvrir comment parler elle-même avec les galeristes ! Marta Rosenquist

Mutabilité La mutabilité désigne l’ensemble des processus forgeant l’aptitude de la ville à être l’objet de mutations, c’est-à-dire de changements radicaux et profonds. Les friches et espaces en transition sont non seulement les espaces privilégiés de cette mutabilité urbaine, mais leur trajectoire propre de transformation constitue en elle-même un processus de mutabilité. À l’origine, cette notion émerge dans le langage technique des études foncières. Elle caractérise les démarches de diagnostic et de planification spatiale visant à maximiser la gestion foncière des espaces urbains potentiellement mutables, à court ou moyen terme. L’utilisation de la notion de mutabilité s’étend ensuite à la terminologie scientifique et urbanistique. Par son objet, la mutabilité interroge les causes des mutations observées et opère éventuellement des prévisions et anticipations. Elle questionne les impacts de ces changements et la manière dont les espaces urbains s’adaptent et évoluent. Derrière mutabilité, il faut entendre adaptabilité. Ce passage d’un état à un autre, véritable période de bifurcation, peut être aisé et rapide, ou, au contraire, long et laborieux. La mutabilité peut se résumer soit à un simple transfert d’usage et de fonction, soit à une transformation plus durable de l’espace ; elle est alors productrice de tènements abandonnés à la suite de la cessation de leurs fonctions originelles, c’est-à-dire de friches urbaines. Les friches urbaines sont au cœur de cette problématique de la mutabilité, et donc de la ville mutable. La transformation des friches urbaines renvoie à la question de la recomposition et de la requalification des territoires urbains et à la manière dont, progressivement, ces espaces se réinsèrent dans la ville. Lauren Andres

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Négociation C’est avec un certain idéalisme que les collectifs associatifs s’installent dans un lieu, mus par l’énergie et le besoin culturels, animés par une certitude positive quant à la force rassembleuse de la culture. Leurs membres revendiquent la reconnaissance des formes culturelles, une place dans la ville et, à partir des années 1990, l’intérêt public de leurs démarches. La radicalité de l’interpellation des pouvoirs publics est un dénominateur commun à de nombreuses initiatives. Surtout, c’est une méconnaissance mutuelle conflictuelle ou caricaturale qui prédomine souvent dans les échanges. Dépasser une fin de non-recevoir d’un côté comme de l’autre, et, pour ce faire, instaurer un dialogue est une clef incontournable à la pérennisation des projets. Mais cette clef, la volonté de communiquer, n’est pas présente dans tous les collectifs. À chaque fois, la compétence de négociation est incarnée par une ou deux personnes au parcours singulier : un membre de leur famille a été élu, elles ont fait des études politiques ou en communication. Diplomates, elles parlent le langage des collectifs et celui des institutions. D’une manière ou d’une autre, elles deviennent des passeurs à même de dépasser les clivages et les a priori, d’instaurer une réelle communication. De plus et surtout, les pouvoirs publics ne sont pas les seuls protagonistes de la négociation et de la pérennisation des projets. Prendre place dans la ville signifie également négocier avec ses acteurs, ceux qui sont la ville, les riverains, les habitants, les commerçants, les entreprises, les institutions locales, ici une église, là une prison. Et là, apparaissent les limites consensuelles de la culture, loin de créer systématiquement du « lien social ». Bien au contraire, les formes artistiques portées par les collectifs se révèlent conflictuelles à bien des endroits, parce que pour beaucoup elles sont nocturnes, parce qu’elles portent avec elles des nuisances sonores, des pratiques illicites, une somme d’excès dont les reliefs persistent à l’aube dans les rues aux alentours des lieux, après la fête. 113 des friches

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Là encore, les collectifs qui parviendront à prendre place dans la ville, à s’y inscrire à long terme, sauront également négocier avec leur environnement, les riverains, et s’inscrire dans l’équilibre urbain qui les précède. Ils parviendront à se faire connaître, à rassurer, à raisonner certains riverains rétifs, à les inviter. En interne, ils réussiront à contenir les excès dans leurs murs, usant de pédagogie, parfois de coercition, et surtout de beaucoup de dialogue. Ceux qui ne négocieront pas disparaîtront très vite. Fabrice Raffin

Nomadisme C’est par « opportunisme biologique » que l’espèce humaine s’est développée sur la planète en donnant au nomadisme un statut de mode de vie ordinaire. On ne reste pas en place lorsque les conditions de vie deviennent trop difficiles à supporter. Avec le changement des saisons, on change de lieu. Les Néandertaliens n’avaient pas de quoi chauffer leurs habitats en hiver, ils migraient vers un territoire accueillant en attendant que le printemps revienne. Les animaux procèdent de la même façon, à l’exception de ceux qui ont la capacité de diminuer leur consommation énergétique en dormant à l’abri dans un bon terrier. La sédentarisation oblige à inventer un cadre de vie acceptable en permanence. Elle donne naissance au jardin. Le premier jardin est créé par les premiers humains se sédentarisant. Il est le lieu des premières importations. Dans le petit enclos destiné à protéger le plus précieux – les plantes vivrières –, ils installent les espèces qu’autrefois ils cueillaient le long de leurs parcours. Avec l’accroissement des performances technologiques destinées notamment au voyage, ils vont faire venir les plantes de contrées de plus en plus lointaines. Les tomates et les pommes de terre ne viennent pas d’Europe... Il s’agit là d’une accélération du voyage des espèces par assistance humaine. En réalité, les plantes et les animaux ne cessent de se déplacer sans avoir besoin d’un transport assisté. Par essence, les êtres vivants sont nomades. Le vent, les courants 114 (un) abécédaire


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marins et les animaux transportent les graines. Celles-ci voyagent et s’installent dans les zones climatiques qui leur conviennent. Certaines plantes, par simple isolement géographique, demeurent pendant des siècles, voire des millénaires, dans un même lieu où elles acquièrent le statut d’endémiques. Les îles sont des territoires privilégiés de l’endémisme. Mais comment l’endémique Acacia heterophylla de l’île de la Réunion, née du volcanisme en plein océan, est-il arrivé là ? Par un oiseau, dit-on, sans doute venu d’Australie... Même les plus endémiques des plantes sont des nomades. On ne connaît pas l’origine géographique du cocotier. La noix de coco, la plus grosse graine du monde, flotte très bien. Emportée par les cyclones et les tornades, elle circule sur la couronne tropicale et se pose dès que possible sur une île favorable, où elle s’installe. Avec les conditions actuelles du changement climatique, nous devons accepter la migration des espèces et cesser de dire que celles qui proviennent d’ailleurs sont des « invasives ». Ce sont d’intelligentes opportunistes. Elles ont envie de vivre. Gilles Clément

Occupation temporaire Depuis une dizaine d’années, les initiatives d’occupation dites « temporaires » ou « transitoires » de sites métropolitains se sont multipliées dans plusieurs pays du monde. En France, l’expérience révolue des Grands Voisins illustre ce renouveau des formes contemporaines d’occupation. Entre 2015 et 2020, Plateau Urbain, Yes We Camp et l’association Aurore ont obtenu une autorisation d’occupation temporaire de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul, situé en plein cœur de Paris, à quelques encablures du très chic jardin du Luxembourg. À l’instar de l’organisme Entremise, instigateur du Projet Young à Montréal, de l’association Communa en Belgique et d’autres acteurs réunis au sein du réseau européen The Social Temporary Use Network (STUN), ces opérateurs présentent certaines spécificités : 1. ils investissent légalement, pour un 115 des friches

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temps limité, de grandes surfaces inoccupées dans des zones urbaines centrales ; 2. ils contractualisent avec différents types d’acteurs (élus municipaux, bailleurs, coopératives, etc.) ; 3. ils mettent ces espaces à disposition d’autres individus et collectifs moyennant une contribution financière pensée comme « abordable » et/ou une participation d’un autre type ; 4. ils conjuguent action sociale (places d’hébergement d’urgence pour les personnes demandeuses d’asile et/ou sans domicile fixe) et soutien au travail indépendant (artistes, artisans et artisanes, entrepreneurs et entrepreneuses) ; 5. ils se présentent comme des militants de l’occupation urbaine transitoire ; 6. ils conçoivent les lieux d’occupation comme des laboratoires ouverts du changement social. Dans la mesure où elles sont rendues possibles par une alliance conjoncturelle avec certaines élites politiques, ainsi qu’avec certaines élites économiques, ces initiatives sont effectivement susceptibles d’être envisagées comme autant d’« utopies interstitielles » (Wright, 2017). Elles participent, quoi qu’il en soit, d’une montée en puissance de l’urbanisme transitoire (Bishop, Williams, 2012) et du renouvellement contemporain du gouvernement des villes (Aguilera, 2017). Elles contribuent aussi largement à une « normalisation des squats » (Verdier, 2019) et à leur légalisation. Alors que, depuis des décennies, les occupations sans droit ni titre de friches industrielles, commerciales ou agricoles situées en marge des villes, se soldent quasi inévitablement par des expulsions impliquant le recours à un magistrat et aux forces de l’ordre, l’évacuation des sites désaffectés d’occupation temporaire se déroule sans encombre. L’occupation induit désormais un déplacement spatial, d’un site à un autre : Coco Velten à Marseille, ou les Cinq Toits – surnommé les « Petits Voisins » – à Paris, comptent ainsi parmi les nombreux épigones des Grands Voisins. Pour ces opérateurs, la fin d’une utopie ne serait en définitive que le début d’une autre. Isabelle Mayaud

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Opportunisme L’opportunisme est une réaction de bon sens, consistant à opter pour la situation la plus simple dans un contexte donné. Prendre le métro en ligne directe d’un point à l’autre est plus simple que de changer trois fois de bus pour le même trajet. Il est opportun de prendre le métro si l’on est pressé, il est opportun de prendre le bus si l’on veut voir le paysage extérieur. Le terme « opportunisme » est souvent mal interprété dans le monde humain. Il est assimilé à un calcul favorisant l’action de l’opportuniste au détriment de tous les autres. Doit-on opposer bon sens et opportunisme ? Pour le vivant non-humain, l’opportunisme est avant tout biologique. L’arrivée du chevreuil dans le champ est une logique d’accès au restaurant gratuit le plus proche de sa niche. Les abeilles n’ont pas choisi par goût d’habiter les villes, elles se sont résolues à y vivre à partir du moment où les services publics urbains ont abandonné les pesticides. Les espaces ruraux soumis aux pires traitements insecticides ne permettent pas aux abeilles de s’installer paisiblement. Les végétaux s’installent partout où le terrain est libre. Les interstices, les délaissés sont des territoires d’accueil privilégiés. Les délaissés récents, souvent nus, offrent un espace d’accueil total saisi par les plantes pionnières, celles qui ont besoin du vide pour s’installer. Les pionnières sont les premières à occuper les espaces vacants. Elles ont des cycles courts et disparaissent dès que leur mission, se reproduire, est accomplie. C’est le cas des annuelles, des bisannuelles et de ce que l’on nommait autrefois les messicoles (plantes des moissons) apparaissant sur les sols retournés par les machines à labour – espèces devenues rares dans les territoires ruraux soumis aux exploitations industrielles, et dont sols sont morts. Par opportunisme biologique, les rudérales et les messicoles se réfugient dans les friches et tous les délaissés. Certains arbres ont des comportements de pionniers, tels les bouleaux que l’on voit conquérir les terrils et qui finissent 117 des friches


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par céder la place aux chênes ou aux hêtres correspondant au climax forestier, c’est-à-dire à un optimum de végétation dans le sol et le climat déterminé. L’opportunisme biologique n’est rien d’autre qu’une manière intelligente de vivre. Dans le contexte du changement climatique, l’opportunisme biologique pousse les espèces inféodées à un climat précis à migrer en se dirigeant vers les zones climatiques appropriées à leurs conditions de vie. Il en est de même pour les humains. Gilles Clément

Organisation Laboratoires, les tiers-lieux culturels le sont par l’expérimentation de nouvelles formes d’organisation, dont certaines sont à l’avant-garde des réflexions sur le futur du travail ou de la notion de droit d’auteur. Parmi ces réflexions, figurent la gouvernance horizontale, la circulation des ressources et des savoir-faire ou encore les communs. Au-delà d’une refonte de nos réflexes issus d’une économie néolibérale, les tiers-lieux culturels misent sur l’expérimentation, l’itération constante, les communs comme mode d’organisation et d’interaction au sein d’un collectif devenu écosystème, mixant là encore des individus aux statuts très divers (artisans/artistes, entrepreneurs/acteurs culturels, professionnels/amateurs, indépendants/travailleurs associatifs/collectifs d’artistes ou de curateurs). De là découlent, d’une manière la plus souvent informelle et organique, échanges, dialogue, mutualisations et, bien souvent, projets en commun et mutualisation des espaces de production et des machines. C’est le cas de DOC!, artist-run space de Télégraphe (Paris, 19e) et de ses ateliers bois/métal ouverts aux résidents et au quartier, ainsi que du Wonder, où le travail au jour le jour sur les mêmes outils de production mène à des projets communs (expositions, événements, publications), voire à des œuvres collectives qui dynamitent l’usage classique de la propriété intellectuelle. De quoi inspirer de belles métaphores à Nelson Pernisco, 118 (un) abécédaire


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artiste plasticien et co-fondateur du collectif Wonder : « Pour bien comprendre le Wonder, il faut imaginer un moteur thermique. Chacun des membres du collectif est une pièce détachée, une initiative d’autonomie. Le bâtiment, c’est le carénage. S’il manque une bougie ou un piston, le moteur ne démarre pas. Mécanique et organique, c’est un principe d’autocorrélation : si toutes les pièces du moteur interagissent ensemble le moteur fonctionne. » Le tiers-lieu culturel expérimente ainsi les communs au plus près de la réalité de terrain et invente des communautés de travail sur le mode du réticulaire : collaboration au projet, mutualisation, géométries variables dans le collectif (statuts, rôles, postures), préservant l’individualité artistique de chacun au sein d’une organisation horizontale (Marguin, 2019). Arnaud Idelon

Origines-Phylum Le Melkweg à Amsterdam (1970), les Halles de Schaerbeek à Bruxelles (1974), Leon Cavallo à Milan (1975), Ateneu Popular 9 à Barcelone (1977), la Ufa-Fabrik à Berlin (1979), le Confort Moderne à Poitiers (1985) : voilà les lieux emblématiques, les plus anciens, ceux que l’on retient. Il y en eut bien d’autres, plus éphémères, tombés dans l’oubli ou trop rapidement évacués par les autorités. Le lien avec mai 1968 est direct pour les protagonistes des lieux qui y participèrent, héritage personnalisé qui donne aux projets, jusqu’aux années 1980 un caractère extrêmement politisé. Culture et politique sont entremêlées selon une tendance radicale révolutionnaire, l’autogestion en étendard. Si la tendance est européenne, elle concerne également l’Amérique du Nord. L’expérience de The Farm à Summertown (1971) est mobilisée en Europe comme référence. L’autogestion d’inspiration marxiste se nourrit d’une tendance communautaire hippie assumée, surtout dans le nord de l’Europe. Avec les années 1980, la politisation se fait plus thématique, radicale toujours, mais variée : écologie, égalité de genre, anti-nucléaire. La dimension artistique prend de plus en plus de 119 des friches


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place, mais toujours selon le même mode, affirmant des liens avec la quotidienneté, la ville, la vie. La multidisciplinarité, l’expérimentation, le tâtonnement font principes artistiques communs. Tous ces lieux mettent en avant leur communauté de projet et, en 1983, naît le réseau Trans Europe Halles qui les rassemble à travers l’Europe. Les années 1990 verront surtout, en France, s’estomper de plus en plus la dimension politique. Long passage de la radicalité à la citoyenneté. Les anciens comme les nouveaux lieux, qui apparaissent en nombre dans les années 1990, passent de l’opposition aux institutions publiques à la coopération négociée. Ils mettent en avant un rôle de service public, revendiquant toujours, néanmoins, une autonomie d’organisation et de programmation. Voilà pour les faits, les dates, les lieux. Mais si l’on parle d’une origine commune à tous ces projets, il faut insister sur cette conception de la culture qui les rassemble : une culture qui, continûment, dans l’action des lieux elle-même, tisse et retisse les liens entre les arts et la vie. Une culture enracinée, mais qui ne se laisse pas enfermer dans les mailles institutionnelles ou les apories de la reconnaissance artistique. Une culture qui irrigue et rejaillit sporadiquement dans toute la société, où les penseurs policés ne s’y attendent pas. Une culture non autorisée, mais qui s’est immiscée et cristallisée, cette fois, dans les espaces laissés vacants par le monde de l’industrie moribonde. Fabrice Raffin

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Paradoxe La déambulation dans les tiers-lieux culturels fait surgir une image protéiforme où les activités et les discours se croisent et s’entrechoquent, faisant naître, tel un kaléidoscope, de nouvelles propositions. Lieux de création et lieux de production de valeurs économiques, lieux de mutations et lieux d’institutionnalisation, les fragments semblent parfois s’opposer jusqu’au paradoxe. Le Centre national de ressources textuelles et lexicales définit ce concept comme une « affirmation surprenante 120 (un) abécédaire


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en son fond et/ou en sa forme, qui contredit les idées reçues, l’opinion courante, les préjugés », nous renvoyant à l’étymologie grecque para, contre, et doxa, opinion. Il traduit la présence simultanée de deux états a priori incompatibles. Pourtant, les éléments contradictoires sont interreliés (Lewis, 2000) dans une logique de dialogue. Le processus dialectique (Josserand, Perret, 2003) transforme les tensions conflictuelles en tensions dynamiques entre des éléments opposés qui, ensemble, forment une unité. Vus sous cet angle, les tiers-lieux culturels ne sont-ils pas précisément la terre du paradoxe indispensable à la fertilité de nouvelles idées ? Ils interrogent les pratiques existantes à la fois sociales, technologiques, écologiques, artistiques et culturelles pour en créer de nouvelles en s’appuyant sur la coopération et le partage. Ils proposent par exemple tout à la fois des résidences artistiques, des espaces de coworking, des jardins partagés ou des marchés de producteurs locaux. L’enjeu réside dans le dépassement d’une approche quadrillée du monde où, dans un même espace, les activités variées se juxtaposent, où la logique artistique fait grise mine à la logique d’entreprise (Dechamp, Horvath, 2021), où la temporalité longue de la création se heurte aux résultats immédiats des politiques culturelles. Les résidents peuvent alors conduire des projets communs, les habitants du quartier être associés à des ateliers artistiques. L’apprentissage d’une part de la structuration collaborative de l’organisation, d’autre part de la diversification des ressources pour développer le tierslieu ou ses entités, permet d’instaurer un dialogue avec les pouvoirs publics et de peser dans le débat des politiques culturelles. La situation est inédite, voire paradoxale ! Les tiers-lieux culturels n’ont pas été créés à l’initiative de l’État mais par les acteurs eux-mêmes. Considérant qu’il s’agit d’un « phénomène de société » qu’il est important d’accompagner (Huffpost, 27 août 2021), les pouvoirs publics s’en emparent en les soutenant par la création de labels, tels que la Fabrique de Territoire ou la Fabrique Numérique, ou encore par des plans de développement territorial. Mais il ne faudrait pas que le paradoxe se retourne sur lui-même en abandonnant sa dimension dialectique au profit du « piège de l’institutionnalisation » (Nessi, 121 des friches


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2022), et du sacrifice de l’essence même des tiers-lieux culturels comme espace de liberté de création. Isabelle Horvath

Partenariat public-commun Le partenariat public-commun (PPC) est souvent présenté comme une alternative, une riposte aux partenariats public-privé (PPP) qui, depuis le début des années 1990, ont accéléré la privatisation de l’action publique et sont devenus des modes de contractualisation essentiels de la société libérale. Plus profondément, le partenariat public-commun interroge la définition, le champ d’application et le mode d’organisation de la production du commun, qui ne peut se résumer à la définition actuelle de l’intérêt général et du service public. Le partenariat public-commun n’est pas un slogan simplificateur et commode. « Il désigne bien plutôt un espace de problèmes. Il n’est pas une réponse, mais un champ de questionnement. Il veut dire tout à la fois un refus et une intention. Il est une idée neuve » (Séminaire du Collège international de philosophie, 2011). Les partenariats public-commun sont des approches permettant de dépasser le binôme simpliste du marché et de l’État, en renversant l’approche libérale. En lieu et place de la délégation à des opérateurs mus par le profit de services, souvent mal définis, il s’agit de réunir, pour concevoir, produire, gérer et étendre les biens communs, des individus, des communautés, des opérateurs, des administrations publiques et des élus. Le partenariat public-commun repose sur un principe de partage entre les différentes parties prenantes, avec une inclusion des volontés multiples et diverses. L’autorité publique, politique et administrative peut être dans une posture d’incitation et/ou dans une posture d’écoute et d’accompagnement des mouvements d’acteurs de la société civile, afin que s’écrive et se conduise une politique partagée. Le modèle du partenariat public-commun se présente comme une série de principes et de processus dont la conception et la mise en œuvre seront en grande partie propres à chaque contexte. 122 (un) abécédaire


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La vitalité de la démocratie contributive est indispensable à ce mouvement. Les pactes de coopération sont les instruments par lesquels l’ensemble des acteurs peut œuvrer à des projets, des actions, des équipements, fruits de ce partenariat. Ce sont notamment les plateformes « en-commun » que sont les friches culturelles, les espaces intermédiaires, les tierslieux, qui permettent de générer les partenariats public-commun culturels assurant la redéfinition et la garantie de créations, d’expressions, d’accès et de partage de la culture. Les sociétés coopératives d’intérêt collectif sont incontestablement l’un des outils rendant possible cette gouvernance public-commun (Coriat, 2021), mais les cadres juridiques doivent évoluer pour confirmer et augmenter les financements publics attribuables dans ces montages. Avec les partenariats public-commun, l’État, les collectivités locales et la société civile cultivent une gouvernance des communs basée sur un principe de coopération, permettant l’émergence d’alternatives « à la domination d’un modèle économique extractiviste et propriétariste qui a contribué à nous précipiter dans le nouvel âge de l’Anthropocène » (Dau, Krausz, 2022). Fabrice Lextrait

Participatif (projet artistique) Dans le contexte des nouvelles formes d’appropriation des propositions culturelles et dans le cadre d’une conception émancipatrice de la culture, les espacesprojets artistiques ont multiplié les projets construits autour d’une participation pleine et entière de personnes « occasionnelles de l’art » pour reprendre l’expression du groupe des Pas Perdus, basé à Marseille. Si les artistes professionnels conservent un rôle essentiel dans l’impulsion et le développement de tels projets, les imaginaires et les préoccupations des différents participants sont amenés à se combiner, dans une relation de réciprocité qui est loin d’être de tout repos (Liot, 2010 ; Bordeaux et Liot, 2012). Ces processus exigent en tout cas du temps – certains nécessitent une à plusieurs années pour se réaliser –, des 123 des friches


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compétences relationnelles et un savoir composer à partir d’apports divers, conditions dont on peut comprendre qu’elles ne conviennent pas à tous les artistes. L’introduction de la notion de droits culturels dans la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) de 2016 marque un moment décisif sur cette question de la participation de chacun à la vie culturelle. Les droits culturels posent en effet la relation libre et réciproque entre personnes d’égale dignité comme fondement de la socialité humaine, du développement de la personne et – sans le formuler explicitement ainsi – d’une possible culture commune respectant l’individualité singulière de chaque être humain (Lucas, 2017). Cette approche laisse néanmoins largement dans l’ombre aussi bien la complexité relationnelle et organisationnelle qu’impliquent les projets artistiques participatifs, que la force propre de la dynamique communautaire qu’ils permettent de mobiliser. L’identité propre des espaces-projets les amène à largement accueillir les artistes – en particulier des nouvelles générations – qui s’investissent dans de telles situations. Une des difficultés récurrentes est d’arriver à trouver pour ces projets, à durée souvent limitée, des moyens financiers suffisants pour qu’ils puissent se réaliser. Cela passe souvent par des partenariats avec des structures locales permanentes et pérennes relevant du domaine de la culture ou d’autres secteurs d’activité, notamment ceux de l’éducation ou de l’action sociale. L’artiste est en tout cas amené à endosser plus explicitement la dimension sociale, culturelle et territoriale de ses projets artistiques, ce qu’illustrent par exemple les nombreux processus initiés par le collectif La Luna à Nantes ou encore La Chambre d’eau dans le département du Nord. Philippe Henry

Participation Participer, au sens social ou politique, implique beaucoup plus que de s’engager dans un cours d’action auquel on est convié de l’extérieur. Lorsqu’un individu est limité à actionner un dispositif, par exemple à appuyer sur le bouton 124 (un) abécédaire


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qu’on lui indique, à répondre à une demande expresse, à faire acte de présence à une réunion dont les objectifs et les modalités lui échappent, on ne peut dire qu’il participe véritablement. Pour que ce soit le cas, j’ai proposé de distinguer trois phases de la participation : prendre part, apporter une part (ou contribuer) et recevoir une part (bénéficier). Bien que ces phases n’existent que rarement à l’état pur, elles peuvent être à la fois isolées pour les besoins de l’analyse et recombinées afin de définir un idéal de justice et de démocratie. En effet, leur dissociation pose une série de problèmes spécifiques. Par exemple, on dira de quelqu’un qui contribue sans rien recevoir qu’il est exploité ou trompé. Quant à qui reçoit sans contribuer, il s’agit d’un profiteur, et ainsi de suite. Le « prendre part » n’est pas très exigeant : on prend part comme public, comme audience, comme témoin, comme citoyen, à toutes sortes d’événements. Mais il est particulier car à ce « prendre part » s’oppose un « faire partie ». La modalité d’association est fort différente dans les deux cas. Dans le premier, je me tiens dans mon quant-à-soi, je garde une distance et fais une expérience personnelle. Dans le second, j’abdique de mon individualité, je deviens l’élément d’un tout que ma présence, selon les cas, active ou légitime. Il est par exemple fort différent de prendre part à un cours ou de se fondre dans une foule hurlante. Du point de vue de la participation bien comprise, jamais le sacrifice de l’individualité ne pourrait être requis. Il y va d’ailleurs de la possibilité même de la seconde phase, celle qui consiste à apporter une part. Il s’agit alors de contribuer en fonction de ce que nous avons en propre et, même, de retirer de cette contribution un élargissement de notre personnalité. La contribution est ordinaire mais plus exigeante. Un étudiant « actif » en cours apporte quelque chose d’unique au groupe sans pour autant miner son intégrité. On ne pourrait dire qu’il participe s’il chahute, rendant le cours impossible, ou s’il exprime des propos sans rapport avec le cours, ou sans aucun intérêt. Contribuer suppose donc de s’ajuster à la situation donnée, d’en comprendre la dynamique et de la renforcer. Tout ceci n’arrive cependant pas naturellement. Afin d’apporter une part, il est nécessaire que nous ayons reçu une part, matérielle ou 125 des friches


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morale, c’est-à-dire que les groupes auxquels nous sommes reliés nous aient procuré les éléments sans lesquels nous serions incapables de nous ajuster à leurs attentes ou de faire jouer les possibilités qu’ils recèlent. C’est là que se situe la nécessité d’un « recevoir une part ». Joëlle Zask

Passeur (broker) broker Le terme passeur – notre traduction du concept de broker – désigne à la fois la position d’un acteur au sein d’un réseau de relations dans lequel il connecte deux individus qui ne seraient autrement pas liés, et son rôle actif d’intermédiation. L’origine de ce concept se trouve dans les analyses relationnelles initiées par Georg Simmel, et son observation que les individus ne sont généralement pas membres d’un seul cercle social, mais que leur appartenance à de multiples groupes participe à une intégration plus large à la société (Simmel, 1950). Ces intuitions ont par la suite été augmentées par la sociologie des réseaux sociaux et l’étude des processus d’innovation. Parce qu’il relie des individus qui ne se connaissent pas, le passeur peut envisager de maintenir séparés deux individus afin d’exploiter l’absence de relations et jouir de manière exclusive des idées que ces acteurs produisent (stratégie du tertius gaudens, le troisième qui bénéficie). Dans ce cas, le passeur peut choisir de faciliter ou d’empêcher la circulation d’idées, les collaborations entre deux personnes, l’introduction d’un individu dans un collectif d’acteurs dont il est membre... À l’inverse, le passeur peut chercher à faire se rencontrer différents acteurs par son entremise (stratégie du tertius iungens, le troisième qui connecte). Dès lors, ses actions peuvent dépasser largement ses intentions initiales et les effets escomptés : les nouvelles relations qui sont créées peuvent entraîner des conséquences inattendues et à différents niveaux. Bien qu’il n’exerce qu’un contrôle partiel sur les relations entre les acteurs qui l’entourent, le passeur peut cultiver une influence forte grâce à sa position. Il est au croisement des flux d’information, et peut choisir de faciliter le transfert ou l’inter126 (un) abécédaire


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prétation d’idées nouvelles, l’accès à des ressources nécessaires pour créer ou promouvoir une œuvre. Andy Warhol a été un passeur adoptant une démarche tertius iungens. Au sein de sa Factory, il a fait se croiser différents univers sociaux et artistiques (l’art contemporain, la mode, le graffiti, la musique, etc.), participant ainsi à défricher de nouveaux territoires de création et à créer les conditions d’un espace innovant. De même, les friches culturelles sont autant de figures contemporaines de passeurs, produisant les « Nouveaux territoires de l’art » par les croisements de différents champs de création. Par exemple, l’écosystème Darwin à Bordeaux rassemble en un lieu du skateboard, un espace de cotravail et des commerces, en portant des valeurs de transition écologique et sociale. Le 109 à Nice croise les musiques actuelles, la danse contemporaine, les écritures multimédia, le théâtre et les arts plastiques, mélangeant différentes formes d’écriture et des publics variés. Aujourd’hui, l’identification de passeurs permet de repenser comment se créent et se diffusent les innovations : programmateurs et animateurs de lieux, facilitateurs lors d’événements, critiques, influenceurs, sont autant de passeurs potentiels. Par l’intermédiaire des lieux dont ils ont la charge ou qu’ils fréquentent, ces acteurs participent aux rencontres de différentes communautés et initient des collaborations, mais contribuent également aux démarches d’expérimentation, au partage d’idées, à la création d’un état d’esprit créatif. Les passeurs ne sont pas de simples connecteurs : ils apportent l’énergie dont les communautés ont besoin pour créer des dynamiques collectives innovantes. Étienne Capron

Périphéries Pour se rendre à la Friche la Belle de Mai, il faut s’engouffrer dans de longs tunnels qui passent sous les voies des trains de la gare Saint-Charles. Arriver à Mains d’Œuvres à Saint-Ouen-sur-Seine, c’est passer le périf. Le 109 est presque au bout du tram à Nice. Les usines qui sont devenues des friches 127 des friches


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étaient logiquement situées à la périphérie des villes. Et puis les villes ont grandi et elles ont absorbé les usines, avant de les fermer et de les vider. Mais ces quartiers restent aujourd’hui des périphéries. Il faut y aller, s’y rendre. Et en même temps, ces périphéries restent des espaces « potentiels ». Elles sont ces « délaissés » du Manifeste du tiers paysage de Gilles Clément (Clément, 2020). « Tiers paysage renvoie à tiers-état (et non à Tiersmonde). Espace n’exprimant ni le pouvoir ni la soumission au pouvoir. [...] Qu’a-t-il fait jusqu’à présent ? – Rien. Qu’aspire-til à devenir ? – Quelque chose. » Ces périphéries restent des périphéries et ne deviennent pas des centres – et heureusement ! Parce que l’intelligence est aujourd’hui dans les périphéries. Dominique Cardon et Laurence Lessig donnent cette qualité à l’Internet, pour décrire la décentralisation de la gestion de la circulation des messages par la distribution, à chaque nœud du réseau, de la capacité à les orienter. Tout comme les friches culturelles. C’est vraisemblablement dans cette distribution que se niche le potentiel des friches et des espaces périphériques. Dans les faits, ils accueillent les disciplines délaissées. Ils se nourrissent et génèrent des flux d’activités, de publics, d’artistes, de professionnels, d’entrepreneurs... qui trouvent là, loin des centres et loin des yeux, des terrains de jeux et d’expériences. Ces lieux sont nécessairement « innovants », en ce sens qu’ils renouvellent les cadres et les actions artistiques, sociales, urbaines, culturelles. Ils participent à transformer les quartiers dans lesquels ils s’implantent, et la gentrification viendra plus tard, le plus souvent par des projets de promotion immobilière. Ce ne sont pas des lieux de proximité mais des lieux dans la proximité, qui composent différemment ce qui nourrit un territoire, des flux entrants, des flux internes. Ils sont intermédiaires. Comme les nœuds d’un réseau culturel beaucoup plus vaste, du local à l’international, et à toutes ces échelles. Des nœuds de réseaux qui n’organisent pas le pouvoir, mais libèrent du pouvoir d’agir. Cela implique, pour le fonctionnement de ces lieux, d’intégrer une approche distribuée de l’autorité, et demande de nouveaux modes d’organisation. Cela se retrouve par exemple dans les principes des coopératives, mais pas seulement. On 128 (un) abécédaire


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retrouve ces approches dans les méthodes de projets agiles en informatique, dans la gestion par consentement ou la sociocratie. Ce sont des principes et des méthodes qui font se croiser les processus de l’éducation permanente, les méthodes de projets centrées sur les usagers, les principes des cultures libres, la diversité des « communs » et les principes des entreprises nodales ou libérées. Ils ouvrent la perspective d’organiser l’intelligence dans les périphéries, sans subordination. Emmanuel Vergès

Permanence Alors que les friches s’inscrivent dans des dynamiques de transformation marquées par des rythmes fondés sur le temporaire et l’éphémère, elles entretiennent une relation privilégiée avec la « permanence ». Cette permanence peut se définir comme un rapport symbiotique avec le durable et le long terme, qu’il soit matériel ou immatériel. Elle s’exerce de quatre façons : une permanence liée au passé et au bâti (l’histoire d’un site) ; une permanence stratégique liée au questionnement sur l’évolution d’un projet s’étant installé sur une friche et à une réflexion quant à sa pérennisation ; une permanence de l’état de friche et en particulier de celui du temps de veille dans une configuration de transformation plus planifiée de l’espace en transition ; une permanence imaginative auquel un projet artistique peut se rattacher. La permanence du passé est un critère important car elle influence les friches de différentes manières. La friche n’est jamais un espace neutre mais un espace avec une histoire (souvent industrielle) qui s’inscrit dans la morphologie urbaine, dans les caractéristiques architecturales des bâtis, dans les matériaux qui la composent mais aussi dans l’histoire du quartier dans lequel elle s’insère. Cette permanence matérielle et mémorielle a pour incidence des contraintes techniques (par exemple isolation, sécurisation du site), environnementales (pollution) mais aussi socio-économiques (réaction des habitants des quartiers environnants ayant travaillé dans l’ancienne usine, maintenant en friche). Cette permanence impacte le projet et les différents 129 des friches


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usages qui s’installent sur l’espace transitoire, et mérite l’attention de ceux qui ont « investi » l’espace. La permanence stratégique est constitutive de la gouvernance du projet, et de la manière dont les instigateurs des usages « temporaires » intègrent (ou non) et négocient une ou plusieurs façons de transformer des utilisations non pérennes en un projet au devenir plus certain. Cette position par rapport à la permanence peut être, dans certains cas, revendicative et liée à des rapports de force ; elle peut au contraire être plus consensuelle et liée à des négociations et ententes avec ceux qui ont en main le devenir foncier et urbanistique de l’espace. La permanence de l’état de friche constitue un facteur important dans le cas où un projet initialement temporaire se pérennise. Ici, il est question de : comment l’aspect « friche », en tant qu’espace à part, peut-il être conservé d’un point de vue physique et matériel, mais aussi d’une manière plus symbolique, en tant que projet et vision propices à la flexibilité et l’expérimentation ? Enfin, n’oublions pas l’importance de la permanence imaginative, en d’autres termes la manière dont un rapport au temps d’avant, à la mémoire et à l’histoire d’un lieu et de ses habitants, aux traces inscrites dans le bâti et au-delà, stimule l’imaginatif artistique et se traduit dans des manifestations créatives extrêmement variées. Lauren Andres

Permanence artistique La permanence artistique dans les friches est à la fois une possibilité de travail permanent pour les artistes et une possibilité de rencontrer en permanence le travail artistique pour les publics. Pour se détourner des modes de production imposés par les systèmes publics et privés, des artistes et des mouvements sociétaux ont revendiqué et expérimenté de nouveaux espaces, physiques et symboliques, dans lesquels « l’art d’habiter » (Illich, 1978-1990) un espace, un territoire, permet de refonder la place de l’artiste dans la société et de générer de nouvelles écritures, 130 (un) abécédaire


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comme celles associées aux principes de l’esthétique relationnelle (Bourriaud, 1998). L’expérience warholienne de la Silver Factory, en 1964, avec « l’usine à produire de l’art » à New York, s’inscrit bien sûr dans cette histoire de la permanence artistique, tout comme celle de la Cartoucherie investie par Ariane Mnouchkine en 1970. Le projet de 4 200 m² que François Tanguy, avec le Théâtre du Radeau, initie au Mans en 1985, confirme l’impérieuse nécessité de constructions de « fabriques » pouvant relier les espaces dédiés au travail, à la vie quotidienne et à l’expérimentation. La démultiplication de ces expériences, à la fin du XXe siècle, a été rendue possible par la disponibilité d’espaces abandonnés aux fonctions initiales souvent industrielles (et maintenant commerciales), permettant à cette nécessité de la permanence artistique d’investir des lieux vacants. La nature et la taille des espaces disponibles vont permettre des configurations multiples et plurielles, rapprochant des disciplines et des pratiques que les politiques culturelles ont tendance à thématiser. Ateliers, salles de répétition, studios, plateformes... sont ainsi (ré)inventés, par des collectifs et des institutions, pour offrir de nouveaux moyens de production pour des écritures multiples, multiples et transversales. La permanence artistique doit aujourd’hui également se définir au-delà des espaces physiques qui l’incarnent. Dans les processus pédagogiques ou sociaux, par exemple, elle symbolise une autre place de l’artiste dans la société. En étant associé aux processus éducatifs, il est au cœur des possibles transformations sociétales. Fabrice Lextrait

Pluridisciplinarité La pluridisciplinarité est présentée comme une évidence dans les tiers-lieux culturels, jusqu’à s’ériger comme critère définitionnel. Elle pose comme principe que la diversité des disciplines est propice aux idées nouvelles, et que la multiplicité des activités est un moyen de répondre aux attentes des différents publics participant ainsi au maillage du territoire. 131 des friches


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L’objectif est de s’émanciper d’une logique catégorielle (danse, musique, théâtre, vidéo, arts plastiques...), qui transformerait ces lieux de coopération en espaces segmentés et en hôtels d’entreprises, car « la pluridisciplinarité est vitale à la création artistique » (Lextrait, Bonnin, 2018). Cependant, le terme « pluridisciplinarité » n’a aucune dimension pragmatique. Autrement dit, il ne suffit pas de l’exprimer pour qu’elle s’opère. Il mérite donc de s’attarder aux conditions de sa mise en action. Selon le Dictionnaire de l’Académie française, la pluridisciplinarité est définie comme « mode de travail, méthode d’étude, de recherche fondés sur l’association et la confrontation de différentes disciplines ». En ce sens, elle s’inscrit dans une approche interactionniste selon laquelle l’action collective se construit grâce à une relation dialectique entre des acteurs. On pourrait penser qu’il suffit d’une proximité spatiale pour que le dialogue naisse et que de nouvelles perspectives en émergent. Or, si elle s’avère un facilitateur relationnel, elle est insuffisante à la pluridisciplinarité en action. À l’instar des espaces de coworking qui donnent l’opportunité d’élargir ses relations professionnelles, la collaboration n’est pas systématique (Scaillerez, Tremblay, 2019). Des résidents, par exemple, peuvent avoir leur atelier les uns à côté des autres sans pour autant croiser leurs moyens matériels ou leurs connaissances et envisager un projet en commun. La proximité cognitive et de ressources (BoubaOlga, Grossetti, 2008) et la proximité de valeurs définie comme la défense de convictions, d’idéaux et de pratiques (Chesnel, 2015), sont essentielles. La construction d’un espace partagé ne se fait pas à partir d’un empilement d’informations ou de savoirfaire mais à partir de leur combinaison. C’est à ce point précis que la pluridisciplinarité entre en action, grâce à la confrontation des idées. Organiser des espaces en fonction de leur nature tels que la restauration, les loisirs, les habitats partagés, les zones de production et de diffusion artistique et culturelle offrira une proposition variée et foisonnante. Mais la pluridisciplinarité sera, pour ainsi dire, statique. Les tiers-lieux culturels risqueront de devenir un multiservices et non plus un espace de créativité protéiforme pour « transformer son mode de pensée afin de produire un objet physique ou intellectuel innovant » 132 (un) abécédaire


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(Dechamp, Horvath, Faucheu, 2015). C’est pourquoi il paraît nécessaire de réfléchir à des projets qui permettent d’associer des compétences et des ressources, non en les juxtaposant mais en les tressant. Isabelle Horvath

Polyvalence La polyvalence joue un rôle essentiel dans le développement de la richesse et la diversité des activités culturelles d’une friche. Quand un élément de culture multidisciplinaire est introduit dans des espaces bruts industriels, ceux-ci permettent de nombreuses possibilités et configurations. La polyvalence est également un terme qui s’applique aux acteurs des friches qui doivent se débrouiller pour optimiser ces surfaces très alléchantes, mais dont l’affectation pose souvent des défis à contourner. La polyvalence peut permettre l’utilisation d’une seule et unique halle industrielle comme lieu de grande exposition, foire d’art, marché vintage, salle de projection, lieu de colloque ou journée d’études. Une friche ou fabrique entière peut même être transformée en site d’installations d’art contemporain, où des œuvres sont présentes dans presque toutes les pièces, sortent dans les couloirs et descendent les escaliers pour remplir tous les espaces le temps d’un week-end. Cette mutualisation des espaces/maximisation du potentiel des volumes d’un lieu aide à augmenter la multiplicité des différentes propositions culturelles qu’il peut offrir au public. Les acteurs culturels et coordinateurs des friches font également preuve d’une grande polyvalence, surtout dans les premières années, quand ces lieux sont en train de se construire et qu’ils sont parfois dans la précarité. Le sociologue Fabrice Raffin décrit certains de ces opérateurs culturels comme des « entrepreneurs », qui savent croiser leurs intérêts et objectifs et arrivent à tenir l’ensemble des activités d’un lieu « à flot » en « jouant des unes pour aider les autres et inversement ». Ces individus développent également la capacité d’adapter leur discours selon leur interlocuteur, et, grâce à leur polyvalence et 133 des friches


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leur esprit débrouillard, leurs projets ont tendance à aboutir (Raffin, 2007). La mutualisation et la polyvalence multidisciplinaire des espaces peuvent être remises en question au fur et mesure que ces derniers deviennent plus normatifs. Si, par exemple, une galerie d’une friche commence à monter des expositions de grande envergure, son équipe pourrait éventuellement souhaiter jouir d’un espace d’exposition aux murs bien lisses. Tandis qu’il est essentiel de pouvoir monter des propositions culturelles dans des conditions optimales, quand il s’agit d’anciens espaces d’usine, les éléments architecturaux peuvent également être perçus comme des atouts à conserver. Qu’il s’agisse des colonnes, d’une halle cathédrale, de cheminées de brique ou même de machines à vapeur, la juxtaposition de la création contemporaine et des composants industriels crée des œuvres singulières, et il s’agit souvent d’éléments clés à préserver et à mettre en valeur. Marta Rosenquist

Populaire (l’art et le peuple) Quel est ce « peuple qui manque et qui ne manque pas », selon les mots de Gilles Deleuze dans Qu’est-ce que l’acte de création ? (1987), lui-même commentant Paul Klee dans Théorie de l’art moderne (1964) ? « Le peuple manque, écrit Deleuze, cela veut dire que cette affinité fondamentale entre l’œuvre d’art et un peuple qui n’existe pas encore, n’est pas, et ne sera jamais claire. » Art populaire, social, démocratique... Que désignent ces termes et ces conceptions ? Et quelles pratiques ? Quelles en sont les formes actuelles ? Quelles sont leur singularité, leur fonction ? Comment se fabriquent-elles et se partagent-elles ? Leur objet en est-il l’objet ? Ou bien l’expérience (Dewey, 2010) et la relation (Bourriaud, 1998) ? Quelles en sont les circulations et en quoi font-elles société ? Doit-on distinguer ces variétés d’art populaire et vernaculaire, ou bien ne pas les catégoriser, comme l’écrivait l’artiste Jean Dubuffet dans L’homme du commun à l’ouvrage (Dubuffet, 1973) à propos de ces inventions, toutes 134 (un) abécédaire


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bricolées soient-elles, dont l’apparition est « de ne pas sembler être de l’art » ? Car c’est bien « le caractère d’un art inventé » que « de ne pas ressembler à l’art en usage ». À cet art discret ou modeste, « banal », « ordinaire », « commun », à percevoir ou apercevoir, à ces « autres cheminements » de l’art, traçant « librement leur parcours dans les immenses territoires que la grandroute que la culture a laissés péricliter au point d’oublier qu’ils existent », Dubuffet engageait à porter attentivement ses yeux, à devenir « inventeurs des inventions ! » À les activer, ainsi qu’à valoriser ces « arts mineurs », dont le poète Charles Baudelaire demandait déjà qu’on y prête attention. Par-delà la dichotomie entre amateur et professionnel, savant et populaire, mineur et majeur, ancien et nouveau, tradition et modernité, dans ces espaces intermédiaires que sont les friches industrielles et les tiers-lieux culturels, l’on tente de favoriser les espaces et les temps, les matières et les manières, les poétiques et les politiques, pour de possibles et véritables démarches d’un art du peuple, ou d’arts populaires, dans les mouvements de l’histoire du monde actuel. Il s’agirait de donner les capacités à chacun d’être créatif, d’exprimer, d’inventer, dans un contexte actualisé, de permettre l’accès et la visibilité aux pratiques sans les déterminer ou les catégoriser. Un contexte que pourraient ouvrir ces tiers-lieux, et peut-être est-ce déjà le sens de l’occurrence des « lieux libres, souples et ouverts » d’une friche industrielle comme potentialité régénérante, démocratique, inventive, comme hospitalité à toutes les formes d’art et de culture, comme droits culturels et artistiques. De celles et ceux d’un peuple qui vient. Colette Tron

Précaire L’écrasante majorité des artistes se trouve aujourd’hui dans une situation économique et sociale qui peut être qualifiée de précaire. Les formes instables d’emploi, de rémunération, de gratification et de carrière dominent en effet dans ce secteur (Menger, 2009). Dans l’ensemble des pays du monde, l’incertitude est la norme (Unesco, NEIL, 2019). En France, plusieurs 135 des friches


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études informent sur les conditions de vie et de travail des artistes visuels contemporains (Ministère de la Culture, 2017 ; Mayaud, Jeanpierre, 2020 ; Patureau, Sinigaglia, 2020), et plus largement des artistes-auteurs (Racine, 2020). Bien documentée à l’échelle des individus, la précarité dans les secteurs artistiques et culturels peut également s’envisager à l’échelle des collectifs d’artistes. La plupart des lieux recensés en France, dans le cadre d’une enquête récente portant sur les espaces de production artistique mutualisés, ont moins de vingt ans d’existence (Mayaud, 2019). Certains espaces actifs au début des années 2000, tels que L’archipel des squats à Grenoble ou Alternation à Paris (Lextrait, 2001), ont à présent disparu. Ces difficultés à perdurer s’expliquent par plusieurs raisons qui constituent autant d’indicateurs d’une précarité structurelle. Premièrement, la propriété est ici l’exception : la plupart des collectifs sont locataires de leurs espaces. Deuxièmement, l’occupation est généralement accordée pour une courte, voire une très courte durée (baux et conventions de six mois à trois ans). Troisièmement, la reconduction de l’occupation est tributaire des intérêts des bailleurs privés d’une part, et/ou du bon vouloir des collectivités d’autre part. Des conceptions divergentes de l’intérêt général sont ainsi susceptibles de s’exprimer, à la faveur des changements de majorité et d’orientation politique. Elles se traduisent parfois par des baisses du montant des subventions allouées ou des décisions de fermeture administrative (Mix’art Myris à Toulouse). Nombre de collectifs se voient aussi régulièrement contraints de déménager (la Friche Lamartine à Lyon, le Wonder en Île-deFrance). La pérennisation des outils et des espaces de création des artistes visuels constitue en définitive un défi, adressé aux responsables politiques aux niveaux local, régional, national et international. Plusieurs leviers sont dès à présent disponibles. Certains outils et dispositifs, déjà éprouvés dans d’autres types de lieux et/ou dans d’autres secteurs d’activité, pourraient être mobilisés (labellisation, aide à l’accession à la propriété, bail d’occupation de longue durée, conventionnement, etc.). Un large éventail de lieux patrimoniaux – des anciens sites indus136 (un) abécédaire


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triels (Usine Carmichael d’Ailly-sur-Somme) aux monuments historiques (Collectif du Château de Verchaüs à Viviers) – pourrait par ailleurs être investi. La précarité des lieux et des collectifs de travail révèle finalement un sous-équipement, qui renvoie à un défaut d’investissement durable dans l’appareillage productif de ce secteur. Isabelle Mayaud

Process La grande confrontation œuvres/publics, éclairée par une médiation savante et prescriptrice, a fait long feu : il n’est pas possible de réduire « l’expérience culturelle » à la rencontre avec l’œuvre et l’artiste. La société d’hyperconsommation culturelle conduit chacun et chacune à créer son univers de références qui l’intègre dans une communauté de goûts et de communication (les réseaux sociaux y jouent un rôle majeur). Un changement de posture suppose de réinterroger la relation des personnes (plus que des publics) aux espaces culturels et à leurs besoins. Au cœur de cette question complexe, la notion d’expérience nous semble importante : expérience non de la proposition artistique elle-même, mais du lieu culturel qui l’accueille. L’expérience est le fruit d’une combinaison d’éléments : valeurs et raison d’être du lieu, partage de ses marqueurs (un travail en soi), objet et périodicité des rencontres, architecture et décoration, qualité de l’accueil, tarification... : une posture globale. Partager un projet, des idées, un horizon de rêves suppose de créer un espace de concertation, de débats, d’initiatives, qui affirme la nécessité assumée de partager le risque et l’accident de cette confrontation – la rencontre avec l’artiste étant un des éléments de rencontre – hors toute posture de prescription. L’expérience, c’est faire groupe autrement, c’est inventer un espace de dissensus. Là, l’usager trouve alors une place qui ne lui est pas assignée a priori, par un lieu paradoxalement supposé être en charge d’une dynamique d’émancipation. Les opérateurs des cultures immatérielles questionnent depuis une vingtaine d’années une expérience simplifiée mais concurrente ; 137 des friches


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sur les plateformes numériques, l’expérience ne se résume pas à la simple interaction avec les usagers mais à une forme d’événement permanent, à une contextualisation et surtout à une capacité d’appropriation qui fait que l’usager devient lui-même prescripteur de ces propositions et de tout ou partie du récit proposé. Au cœur de la bataille se trouve le passage d’une logique de stock de propositions à diffuser à celle d’un flux d’imaginaires à partager. Penser flux, c’est déjà se détacher du programme, ouvrir les interstices à la prise de parole, au changement de place et de relation. L’expérience est donc le récit coconstruit d’un lieu et d’une équipe sur un territoire, avec ses habitants et ses habitantes. Penser dans cette perspective, c’est aussi libérer les artistes de la charge de séduire à tous crins (l’épreuve du remplissage) en les repositionnant dans un jeu de relations équitables entre usagers. Les lieux intermédiaires et les tiers-lieux, aujourd’hui, intègrent ces possibilités de faire autrement, certainement parce que les artistes s’y inscrivent souvent dans un work in progress et que l’esprit FabLab ou DIY (do it yourself) y est très présent. La friche est processuelle, elle pose la possibilité d’une appropriation et d’un germe, en cela elle est vivante. Penser process, c’est penser une méthode, une organisation qui dépasse la simple programmation/relation aux publics. Le process est un commun, un mouvement en réinvention permanente qui ne peut se réduire à un objet. C’est alors poser la possibilité de construire un espace social au XXIe siècle. Bruno Caillet

Processus Habiter, créer, travailler autrement, c’est transformer aussi notre « écologie de l’attention » en portant considération à de nombreuses réalités qui passent souvent inaperçues ou qui suscitent peu d’intérêt. En particulier, il convient de se montrer « autrement » plus attentif aux processus qui œuvrent silencieusement, un peu oubliés, au cœur des activités et des pratiques. En effet, aucune d’entre elles ne se développe dans le droit fil de ses attendus de départ, ni dans la stricte mise en 138 (un) abécédaire


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œuvre de moyens et de ressources savamment choisis. Le regard se focalise trop souvent sur les résultats les plus tangibles (le produit fabriqué, l’œuvre réalisée...) ou sur les procédés les plus apparents, ceux qui ont été formalisés, alors que toute activité incorpore un véritable gisement d’arts de faire : des logiques mineures (des accommodations entre personnes qui agissent en bonne intelligence, sans en faire le sujet d’une négociation), des dynamiques de faible intensité (des compromis d’usage propres à la vie quotidienne que personne ne prend le temps de nommer), des lignes de force agissant en souterrain (un idéal partagé, si bien accepté qu’il ne se « dit » plus), des principes d’action non formulés (issus d’expériences antérieures, qui restent dans l’implicite car fortement incorporés), des moyens et ressources mobilisés chemin faisant, occasionnellement, sans être ni décomptés ni référencés (un objet récupéré et réemployé, une idée que l’on attrape au détour d’une conversation). Une activité se caractérise aussi par sa richesse temporelle, largement masquée par la vision linéaire et finalisée associée aux objectifs à atteindre. Toute activité représente un équilibre complexe de rythmes et de durées, et chacune mériterait d’être l’objet d’une authentique rythmanalyse, ainsi que le proposait Henri Lefebvre (Lefebvre, 2019). Certaines ressources mobilisées relèvent d’un temps long ; dans le langage courant, on parle alors d’un investissement (une formation, par exemple, qui mettra nécessairement du temps avant de montrer ses effets). D’autres ressources sont à effets rapides et fonctionnent comme des impulsions. Elles possèdent une portée événementielle ; ce peut être le cas lorsqu’une nouvelle technique est introduite, qui stimulera fortement la fabrication. Porter attention aux processus, c’est accorder la meilleure considération à tous ces « invisibles » qui contribuent pourtant centralement à faire advenir ce que nous tentons. Derrière cette attention aux processus, c’est une nouvelle écologie de l’activité qui voit le jour, une activité plus respectueuse de ses rythmes, de ses savoirs, de ses ressources, et qui, surtout, apprend à les découvrir et à les connaître, pour enfin les reconnaître. Les friches culturelles ont souvent été l’occasion, pour des artistes, de se rapporter différemment à leur propre pratique, de s’en mon139 des friches


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trer meilleurs « connaisseurs » et, en conséquence, d’en revendiquer la créativité dans ses multiples dimensions et variations. Pascal Nicolas-Le Strat

Processus (de création artistique) Les friches culturelles et artistiques sont les laboratoires des processus de désindustrialisation et de dématérialisation, des processus de reconnaissance du patrimoine industriel, des processus de reconversion, des processus de régénération urbaine, des processus d’inscription territoriale, des processus innovants d’accompagnement, des processus d’appropriation, des processus d’apprentissage, des processus d’approbation, des processus de reconnaissance, des processus de valorisation, des processus créatifs, des processus sociétaux... Dans les espaces intermédiaires, friches, fabriques... le processus est un élément de vocabulaire essentiel au dessein du mouvement. La base de l’appropriation et de l’utilisation de ce vocabulaire tient à l’idée de mouvement, de changement d’un état à un autre, avec l’appropriation et la redynamisation d’espaces, physiques et symboliques, par la création artistique. « Avec ce processus, la spécialité de chacun est une manière d’ouvrir de nouvelles portes » (Lucchini, 2016). Les acteurs de ces expériences du champ de l’interstitiel, en cherchant à pallier des déficits en moyens de création et de production, proposent d’interroger les multiples processus qui traversent la société et, surtout, d’en revaloriser la place. Le processus est un sujet, un objet en soi, dont le non-aboutissement en un produit, une œuvre. Ce n’est pas un échec. Dans les expériences pionnières comme La Friche la Belle de Mai, le projet se définit comme un processus pluriel et singulier (Lextrait, 2017), avec un enchaînement désordonné de faits, de phénomènes, de rencontres, d’échanges, de volontés, d’opportunités associant artistes, opérateurs culturels, propriétaires fonciers, politiques et bien sûr populations. Avec ces dynamiques, le processus de création ne se résume pas à la production de l’œuvre, « il s’agit même dans ces 140 (un) abécédaire


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espaces de privilégier les processus aux formes, en interagissant afin que chaque territoire génère ainsi son propre processus actif » (Rencontres Arts et Aménagement, Plaine Commune, 2016). En s’appropriant le terme de processus, les « Nouveaux territoires de l’art » entendent casser les procédures imposées par le marché privé et public de production de l’art, qui enferment, encadrent et marchandisent à la fois la place de l’artiste dans la société et les modes relationnels que les populations peuvent entretenir avec l’art. Avec la culture expérientielle, « le spectateur est invité à vivre des expériences dont il est luimême acteur, qui lui permettent d’intensifier son rapport aux autres, à lui-même et au monde, tout en le déplaçant, en le réinventant, et en donnant une place centrale à son corps, à son libre arbitre. [...] Cet investissement du spectateur-acteur lui confère une capacité à produire du récit, tout comme le fait l’artiste, ce qui conforte sa position centrale dans le projet participatif » (Le Brun Cordier, 2013). Le processus est ainsi requestionné avec ces nouvelles approches, en mettant en jeu la question des espaces de travail et de diffusion, la question des temps de travail et de socialisation des artistes et des œuvres, et les modes de rapport aux publics et aux populations. Fabrice Lextrait

Production Les lieux intermédiaires sont fondamentalement des lieux de production par l’expérimentation qu’ils permettent, au croisement des arts, des sciences et des techniques, des usages et des politiques publiques sur leur territoire. Ils sont acteurs de leur époque par la présence longue et la contribution des artistes, mais aussi par celles de tous ceux qui y travaillent ou y passent : scientifiques, artisans, acteurs du territoire, voisins, curieux... C’est dans cette relation qu’émergent un geste artistique possible, une œuvre, mais aussi un espace critique, un espace de pensée ou de fabrication. C’est elle qui permet de forger un 141 des friches


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creuset pour accompagner et contraindre les processus de création, les inscrire dans leur temps. Par leurs propres tentatives, les artistes sont tacitement invités à poursuivre les récits qui sont à l’œuvre dans ces lieux, à en prendre le temps, à participer à la pensée et à l’action qui les fondent. Ces lieux contribuent à l’élaboration d’une pensée en mouvement, une pensée qui s’agrège, une pensée du monde d’aujourd’hui. C’est le cas de la Maison forte, à Monbalen (Lotet-Garonne), qui rassemble usagers, coopérateurs, artistes, voisins, autour de la mise en œuvre d’un laboratoire de l’innovation sociale, culturelle et agriculturelle. À cette fin émergent des espaces qui favorisent des usages partagés : jardins collectifs, lieux de restauration ou de pratique sportive, chantiers éducatifs, chemin, crèche... Ces espaces s’élaborent pour générer de la rencontre, de la conversation. Ils deviennent une sorte de « champ communal », pour reprendre les termes de Paul Virilio (journal du colloque Nouveaux territoires de l’art, Marseille, 2002), où il devient possible de découvrir une œuvre en cours comme finalisée, d’en discuter simplement ou même de ne pas en discuter. Par exemple, l’Alimentation générale, expérience impulsée et portée par Henri Devier et son équipe à la Gare mondiale de Bergerac, est animée par un groupe de femmes du quartier, qui réinventent une forme d’économie et de vie sociale, dans un dialogue avec les artistes invités. Ces sortes d’« espaces publics » donnent à ces lieux et aux projets qui s’y abritent une capacité à s’élaborer dans l’altérité, l’engagement, la participation, la transmission... La démarche des artistes se déploie alors au cœur d’un espace qui contribue à penser le monde, à faire émerger la confrontation, la complexité et « d’autres formes de subjectivité », pour reprendre l’expression de Toni Negri (ibid.). Si l’accompagnement de production se fait moins à l’endroit des moyens financiers, qui ne sont souvent pas suffisamment réunis, il a lieu à l’endroit du processus artistique luimême, qui est interrogé, mis en discussion, inscrit dans un chantier plus vaste et porté par lui.

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Ces « Nouveaux territoires de l’art » sont fondamentalement des lieux de production d’œuvres, d’innovation et de sens critique, nécessaires aux artistes, à la société et aux territoires. Gwénaëlle Groussard

Proximité La proximité se définit comme « une relation spécifique dans un système d’action organisé, qu’il s’agisse d’individus ou d’organisations, quelles que soient leurs natures » (Adam-Ledunois, 2007). La notion de proximité a été particulièrement mobilisée dans le champ de l’économie spatiale, depuis le milieu des années 1990, pour comprendre et analyser les processus d’innovation et de créativité. Ces travaux ont identifié différentes catégories de proximité comme les proximités spatiale, organisationnelle ou institutionnelle (Torre et Rallet, 2008 ; Pecqueur et Zimmerman, 2004). La proximité spatiale renvoie a la distance physique concrète qui existe entre les acteurs. Elle se fonde sur l’idée que la concentration spatiale stimule les processus d’innovation en créant des liens a travers des relations de face-à-face. Les proximités spatiales peuvent fonctionner selon différents périmètres, à l’échelle de villes, de clusters, de quartiers créatifs, de friches culturelles, de centres d’innovation ou encore de tiers-lieux. La proximité organisationnelle met l’accent sur la capacité des acteurs à s’organiser et à se fixer des règles, des normes et des projets communs, à en mesurer les interactions et les échanges d’informations tacites. La proximité institutionnelle s’intéresse au « système commun de représentations, voire de valeurs » (Gilly et Lung, 2004) que se fixent les acteurs autour de règles explicites ou implicites. La proximité institutionnelle doit favoriser le sentiment d’appartenance des acteurs à un espace commun de représentations, d’actions et de modèles de pensée (Boschma, 2005). Plus récemment, de nouveaux travaux ont exploré la notion de proximité relationnelle. Selon l’économiste Raphaël Suire, les relations personnelles sont de plus en plus décisives pour comprendre les processus créatifs. « Il ne faut désormais 143 des friches


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plus tant s’intéresser aux interactions inter-organisationnelles qu’aux interactions inter-personnelles entre les individus qualifiés et créatifs. Ce sont eux les porteurs d’idées qui par combinaisons originales ou par échange en face a face forment les futures innovations » (Suire, 2007). Dans ce contexte, on comprend que les proximités induites par des lieux culturels comme les friches culturelles ou les quartiers créatifs soient particulièrement étudiées en économie territoriale. Ces recherches permettent de réinterroger une conception de l’économie pensée comme une sphère autonome et débarrassée des contraintes socio-culturelles. Les dynamiques d’échange, de don/contre-don, de confiance ou de coopération se situent au cœur des processus de création de valeur de l’économie contemporaine (Laurent, 2012), la question étant de savoir comment évaluer la valeur des externalités produites par ces lieux culturels « hors marché ». Raphaël Besson

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Rave-party Châteaux, tours de refroidissements, moulins, forges, imprimeries, usines de chaudières, entrepôts... : autant d’objets du recueillement d’une génération devant un monde qui n’est plus ou de rituels tramés jusqu’au petit matin : raves, free parties et autres fêtes libres. Les briques, verrières et lourdes portes de ces friches en décomposition sont l’objet du fantasme d’une génération pour la majesté de grands volumes vides, théâtres de longues nuits de danse, portées par un son alors nouveau et une foule secouée de son rythme. Ces friches, apparues dans les années 1980 à la suite du mouvement de désindustrialisation en Europe, sont restées hors du radar des politiques publiques ou du marché, laissant le champ libre tant aux rave-parties qu’aux friches culturelles pour s’y faire une place, le temps d’une nuit (Zones Autonomes Temporaires d’Hakim Bey) ou bien plus. C’est même le désintérêt de la puissance publique et des promoteurs pour ces espaces qui a permis à la scène free party, aux raves et autres interventions artistiques pirates de pouvoir se développer. À ces dates, les 144 (un) abécédaire


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friches ne semblent pas infuser l’imaginaire collectif ; elles sont plutôt les vestiges bancals d’une époque que l’on oublie sans peine, puisqu’héritant de la mauvaise image de l’industrie dans la société française. En revanche, le phénomène progressif de patrimonialisation et de protection de certaines de ces friches, au cours de ces dernières années, contribue peu à peu à considérer ces espaces comme des « lieux de mémoire » (Nora, 1997), et exprime l’attachement de l’opinion publique à une époque révolue, qui se donne à voir – ou à entendre – par des jeux analogiques, à l’instar de la techno industrielle, ses rythmes mécaniques, ses soubresauts de vapeur, de métal et de soupapes. Née dans la Rust Belt américaine (la house prend ses sources dans les warehouses de Chicago et Détroit), la musique techno est sans doute le courant esthétique qui exprime le mieux cette résurgence de l’univers industriel dans les mythologies contemporaines. Le paradoxe mérite d’être souligné. Alors que la patrimonialisation de bâtiments rime bien souvent avec une muséification aux allures de déterritorialisation, ce sont les interventions pirates de ces espaces et les dynamiques de réemploi qu’elles intègrent (une anti-patrimonialisation, en somme) qui, trouvant une résonance dans des cercles de plus en plus larges de publics, ont contribué (à leur échelle) à susciter une prise de conscience de la présence et de la valeur de ces friches. Leur appropriation par le mouvement techno et les rave-parties s’articule à un imaginaire biface : d’une part une dimension hédoniste, négative mais jouissive, de danser au crépuscule d’une ère, dans un monde en fin de règne, parmi ses ruines, dans le fantasme de sa propre fin, et d’autre part le champ des possibles ouvert en marge des mutations sociétales et notamment la tertiarisation de l’économie, et la capacité collective, à partir de ces ruines, de penser une régénération à part de l’existant, d’imaginer de nouvelles vies et voies à des rebuts urbains. Fin du monde et recyclage « à l’endroit même de la ruine, là où s’était achevé le monde d’hier [...]. La ligne du XXe siècle s’achevait là, dans cette usine hantée. Ici, s’était échoué le vieux rêve de transformation, un rêve qui avait défiguré l’Histoire et laissé le terrain à la pluie. Nous allions nous occuper des restes, 145 des friches


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inscrivant notre geste sur le lieu même de l’épuisement » (de Toledo, Imhoff et Quiros, 2016). Arnaud Idelon

Réciprocité Il y a un siècle, dans son Essai sur le don, Marcel Mauss démontrait que le don n’existe pas en l’absence de contre-don et qu’il s’inscrit dans une triple obligation, celle de donner, de recevoir et de rendre. S’abstenir de donner, refuser de prendre ou négliger d’inviter, c’est en effet se soustraire à l’engagement mutuel, à l’alliance, bref, au lien social dont la réciprocité est à la fois l’origine et la condition. Ni commerce déguisé, ni simple geste de générosité désintéressée, la réciprocité est un échange économique à part entière, comme l’a décrit Karl Polanyi (Polanyi, 1944), mais dans lequel les prestations ne prennent sens que dans la volonté de manifester une relation sociale. Elle constitue d’ailleurs l’un des trois piliers de l’économie solidaire, au côté des échanges marchands et de la redistribution (aides, subventions...). À ce titre, la réciprocité joue un rôle clé dans le fonctionnement des lieux intermédiaires, presque toujours initiés sous forme associative. Leur création ne répond en effet ni aux injonctions de la puissance publique, ni à celles de la maximisation des profits : elle repose sur une impulsion réciprocitaire, imprimée par leurs fondateurs et fondatrices, premiers bénéficiaires et premiers contributeurs de ces espaces partagés entre artistes et travailleurs et travailleuses culturels. Elle nous rappelle que la création artistique, les échanges culturels se réfèrent ici à une ambition de solidarité, de dignité, de respect, de soutien mutuel et de partage d’une communauté de visions entre des personnes et/ou des groupes. La proximité spatiale – et bien souvent disciplinaire – des résidents et résidentes qui les habitent ouvre ensuite à la possibilité du troc, du prêt, de l’entraide, de la mutualisation et de la coopération administrative, technique et artistique. La réciprocité permet ainsi de réaliser des économies d’échelle et de compenser partiellement le sous-financement chronique qui pèse sur la création artistique (Opale, 2020). 146 (un) abécédaire


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Enfin, la réciprocité n’est pas un simple retour à l’envoyeur. Principe social fondamental, elle excède toujours le cadre bilatéral de l’échange originel. Elle renvoie à l’implication des acteurs associatifs dans la mise en œuvre de projets citoyens, à l’ouverture des lieux intermédiaires aux territoires et aux populations qu’ils côtoient, au bénévolat qui s’y déploie, c’est-à-dire à la liberté dont disposent les personnes – artistes, spectateurs et spectatrices, habitants et habitantes du quartier ou d’ailleurs – de faire don de leur temps, de leur énergie, de leurs connaissances, de leur savoir-faire, en somme de leur participation à une aventure collective. Cécile Offroy et Luc de Larminat

Récit (faire) Les expériences minoritaires et alternatives peinent à se faire connaître. En faire le récit est donc un enjeu politique majeur, pour ses actrices et acteurs. Ce « faire récit » représente l’une des micropolitiques indispensables au développement de ce type d’expérimentation. Faire récit d’une expérience repose sur un art de raconter une histoire et de la scénariser, en articulant entre eux des faits significatifs et en retenant des événements révélateurs (Roux, 2018). Le récit est donc une manière de s’orienter au sein d’une expérience. Il est nécessairement sélectif. Il fictionne une réalité, mais en préservant son authenticité. Le récit d’expérience ne réinvente pas ce qui a eu lieu, mais il en propose une lecture, il en valorise un regard, il en défend un point de vue. Il assume la singularité de son écriture, d’où l’importance que l’énonciateur précise toujours à partir de quelle place il s’exprime. Un récit d’expérience est nécessairement impliqué (il est affecté par l’expression subjective des personnes qui le composent), situé (il est indissociable de la position de ceux et celles qui le portent) et contextualisé (il se rapporte à des faits caractérisés et avérés). Que peut un récit ? Il nous embarque dans une aventure temporelle. Il restitue une histoire qui articule un passé, un présent et un futur (et, parfois, en fonction de sa durée, plusieurs présents, passés et futurs), selon un rythme (accélération, 147 des friches


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pause...), une densité (continuité, récurrence...) et une finalité (de plus ou moins longue portée). Il invite à réfléchir aux rapports qui ont pu se vivre entre des faits (ce qui les a causés et les conséquences qui en ont découlé), des événements (ce qui les a provoqués et ce qu’ils ont occasionné) et des situations (telles qu’elles ont été vécues et appropriées). Cette (re)construction temporelle provoque inévitablement des distorsions dans la compréhension et l’interprétation de l’expérience. C’est la raison pour laquelle il n’existe de récit que « réceptionné », reçu et donc discuté et, finalement, sans cesse reformulé pour tenir compte de faits qui auraient pu être négligés, pour reconsidérer la signification d’une situation ou, encore, pour prendre la complète mesure d’un événement. Ce n’est que dans et par sa réception, et donc par les discussions et les controverses qu’il suscite, que le récit acquiert sa valeur. Ce risque de mésinterprétation ou de surinterprétation peut néanmoins être limité si la construction du récit respecte la pluralité des acteurs concernés et le pluralisme des points de vue, et qu’il évite tout révisionnisme, à savoir la « réinvention » des faits au regard de ce qui est connu après-coup. En ce sens, les collectifs doivent non seulement éduquer leur capacité à faire récit mais à le faire aussi dans un cadre et une culture authentiquement démocratiques. Pascal Nicolas-Le Strat

Reprise (des lieux délaissés) « L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a faits pour lui », écrivait Dubuffet. C’est parce qu’ils se sentaient contraints dans les lieux soi-disant dessinés pour eux que des artistes et artisans ont repris, depuis une cinquantaine d’années, les abandonnés de l’industrie et des services publics : usines, fabriques, hôpitaux, casernes... Les lieux que l’on dit « tiers » sont nés, pour la plupart, de « reprises » – on peut préférer ce mot à celui aux résonances militaires d’ « occupations » – de bâtiments par des artistes et des 148 (un) abécédaire


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artisans en quête d’abris, de liberté, d’espaces où vivre et créer. Ce faisant, ces collectifs, consciemment ou non, inscrivaient leurs pas dans ceux des précédentes générations, qui, dans le sillage du Front populaire, s’emparaient de grandes maisons bourgeoises délaissées pour les transformer, qui en auberge de jeunesse, qui en fabrique de théâtre et de musique. Au commencement de ces friches, squats, fabriques, il y a l’art, le collectif et la jeunesse : l’art, parce que c’est l’un des rares espaces où s’exerce une liberté de faire ; le collectif, parce qu’investir un lieu, c’était aussi porter une utopie d’autogestion ; la jeunesse, parce que ces niches d’autonomie temporaires portaient en elles les germes de possibles futurs désirables. Occuper une friche, c’est d’abord agir : transformer un édifice à la mesure de ses usages, fabriquer un espace de liberté et d’égalité en actes dans l’ancienne place du travail contraint et hiérarchisé. On s’y installe sans programme, le plus souvent sans permission, pour précisément s’autoriser à créer, à faire, à expérimenter. On substitue à la civilisation du jetable une façon de conserver, on garde les traces de l’activité passée sans la muséifier. À la violence des démolitions, on oppose un joyeux recyclage, à l’instar de Tinguely et Niki de Saint-Phalle faisant valser des vestiges de l’industrie. On prend des lieux bruts de béton, on aménage de bric et de broc avec de la récup’, on s’accommode de l’inconfort et de la frugalité, compensés par l’ingéniosité collective et l’appropriation du temps. Dans les anciennes usines où le travail répétitif était la règle, on revendique la non-spécialisation et un partage des tâches qui chamboule les rôles entre femmes et hommes, brasse les générations et les origines sociales. Il y avait quelque chose d’une écologie en actes, plus ou moins consciente, dans ces expériences, toutes singulières, mais reliées par le désir de faire autrement et mieux avec moins. Reliées, aussi, par un fil d’Ariane de la contestation, aux mouvements qui se sont réapproprié l’espace public avec le slogan « Occupy », de Madrid au Caire en passant par Wall Street. Depuis quelques années, c’est d’ailleurs vers les espaces délaissés des campagnes qu’une nouvelle génération d’occupants s’oriente ; à l’instar de la nouvelle génération d’agricul149 des friches


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teurs – et parfois en complicité avec eux –, des collectifs d’artistes inventent le circuit court culturel. De l’usine occupée à la ferme réorientée, ça expérimente, ça fabrique et ça crée. Attention à ne pas trop vite modéliser ces zones d’autonomie temporaire ! Leur quête de liberté et d’expérimentation est irréductible à une labellisation, même sous l’étiquette « tiers-lieux ». Ces collectifs essuient, littéralement, les plâtres de la transformation inéluctable de nos modes de vie. Persister à créer des œuvres, de la relation, de l’organisation sociale, de nouveaux modes d’habiter et de travailler, du pouvoir d’agir, c’est peut-être tout simplement faire de la politique. Patrick Bouchain

Résidence-atelier L’atelier-résidence crée un rapport particulier entre la présence d’artistes et un territoire menant à une réalisation avec des habitants (Bazin, 1997, 1998, 2000, 2001). Ce trait d’union entre atelier (processus de production) et résidence (le lieu de cette production) constitue l’originalité d’un art social. C’est une manière d’habiter qui ne se résume pas à un lieu culturel. Les matériaux de l’œuvre sont procurés par l’environnement et la finalité n’est pas l’œuvre en soi, mais un développement culturel du territoire. L’artiste ne vient pas sensibiliser des personnes pour un meilleur accès à l’œuvre (démocratisation culturelle) : c’est le milieu dans sa diversité (modes de vie, pratiques culturelles, modes de connaissance) qui sensibilise l’artiste pour enrichir l’œuvre commune (démocratie culturelle), donnant les moyens à chacun d’exprimer ses propres valeurs esthétiques dans une totalité qui fait sens (Bazin, 2013). Le choix des espaces sera donc conditionné par leur possibilité de développer une expérience à la fois de création et de transmission, de sensibilisation et de diffusion en rapport avec les expressions d’une population. L’atelier-résidence instaure un continuum entre la rue, l’atelier et la scène alors que ces espaces-temps sont habituellement séparés par l’institution culturelle en autant de 150 (un) abécédaire


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lieux, de secteurs professionnels et par conséquent de pouvoirs dans la manière de légitimer ce qui fait « art » ou pas. Les ateliers d’artistes en résidence créent un autre lieu ou un hors-lieu en produisant un déplacement autant spatial, mental que social. Ce décalage rend possibles une réflexivité et une créativité susceptibles d’accueillir sans condition une diversité dans une relation d’interdépendance. Ce sont en cela des espaces d’intermédiation et d’expérimentation se logeant dans les interstices à côté des formes instituées. Ils sont particulièrement adaptés pour se déployer dans les zones où il n’existe pas de lieux culturels dédiés et valoriser le patrimoine immatériel des cultures populaires. L’une des expériences fondatrices de ce mouvement, dans les années 1990, au travers d’« ateliers d’échanges internationaux de proximité » a été l’association Les gamins de l’Art-rue animée par Jacques Pasquier. Son originalité fut de mettre en relation mouvements artistiques et éducation populaire politique, cultures de résistance des pays du Sud et cultures populaires ou émergentes dans le Nord. Il fit venir de nombreuses compagnies comme les percussionnistes sénégalais Doudou N’diaye Rose, la fanfare de Santiago de Cuba ou la compagnie brésilienne hiphop Quilombo Urbano (Pasquier, 2002). L’atelier est souvent complété par des repas de quartiers et des « arbres à palabres » (assemblées citoyennes). Traverser le découpage des labels esthétiques (formes « actuelle », « traditionnelle », « world », « contemporaine »), les disciplines artistiques et leurs transmissions académiques est une manière de réinterroger le rôle de l’art comme « art total » reliant culture vivante, culture transmise et culture symbolique. Hugues Bazin

Résonance Le concept de résonance a été développé par le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa. Il s’inscrit dans sa critique de la société moderne : « Une société est moderne si elle n’est en mesure de se stabiliser que de manière dynamique, 151 des friches


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c’est-à-dire si elle a besoin, pour maintenir son statu quo institutionnel, de la croissance (économique), de l’accélération (technique) et de l’innovation (culturelle) constantes » (Rosa, 2020). Cette société moderne favorise une forme de relation au monde fondée sur son appropriation par la croissance continue de nos ressources, qu’elles soient économiques, sociales ou culturelles. On y soumet le fait de vivre à l’accumulation de ces ressources. Il s’agit d’un rapport intéressé au monde conçu comme un territoire à conquérir, qui limite notre capacité à développer des échanges équilibrés et horizontaux, c’est-à-dire à résonner avec notre environnement. Le rapport de notre modèle économique à la nature illustre bien cette relation. Le rapport de résonance qualifie au contraire un type de relation au monde qui repose sur une écoute réciproque, fondée sur une interaction. Entrer en résonance signifie d’abord être atteint, touché, affecté par un paysage, une œuvre, une personne, positivement ou négativement d’ailleurs. Ce contact doit ensuite permettre une réaction, une réponse propres. Il s’agit d’aller à la rencontre de ce qui nous a touchés. Troisièmement, les expériences de résonance ont la capacité de nous transformer. Chaque fois que nous entrons en résonance avec le monde, nous ne sommes plus les mêmes, dit Rosa. Enfin, et cela est essentiel, on ne peut prévoir dans quel sens nous allons être transformés, la résonance n’est pas totalement instrumentalisable, contrôlable. C’est ce que Rosa nomme l’indisponibilité. La résonance ne se décrète pas. Contrairement à un rapport au monde fondé sur son appropriation et sa maîtrise, un rapport de résonance au monde est un rapport dans lequel on s’intéresse aux êtres ou aux choses pour leur intérêt propre et non pour en tirer un avantage ou une ressource. Si nous tentons de transposer ce concept de résonance aux relations qu’une friche, un tiers-lieu peuvent entretenir avec le territoire dans lequel ils s’inscrivent, nous pourrions dire qu’ils seraient en résonance avec leur territoire/quartier si : ils sont touchés, marqués par ce territoire, affectés, animés par lui, ils ne pourraient être identiques ailleurs ; ils proposent une 152 (un) abécédaire


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réponse active qui s’exprime sur ce territoire, qui prend en compte ses particularités sociales, économiques, culturelles. Cette résonnance produit quelque chose d’original qui transforme la communauté et le quartier. Les trajectoires individuelles et collectives sont modifiées par les interactions entre le territoire et le lieu. Enfin, s’il existe des dispositifs qui prédisposent à la résonance (la configuration des lieux est par exemple un élément déterminant de sa capacité à résonner avec son environnement), aucun n’est infaillible. La résonance du lieu n’est pas complètement maîtrisable. Une trop grande instrumentalisation risque de casser la résonance. Il ne saurait donc y avoir un modèle figé de lieux ou événements culturels en résonance avec leur ville ou leur quartier. La résonance se construit par la multiplication des interactions et dessine une trajectoire en partie imprévisible. De même, son accompagnement politique doit se démarquer d’une instrumentalisation qui reviendrait à une relation d’appropriation. Dominique Sagot-Duvauroux

Ressource (territoriale) La notion de ressource territoriale s’impose comme une figure nouvelle du développement territorial (Colletis et Pecqueur, 2004 ; Gumuchian et Pecqueur, 2007). Contrairement aux méthodes traditionnelles du développement, qui présentent les territoires comme des stocks dotés de ressources figées, ces recherches font l’hypothèse que le territoire n’existe pas « en tant que tel », mais doit être révélé selon deux processus : « d’activation » et de « spécification » des ressources latentes. Dans cette perspective, la construction sociale de la vocation du territoire constitue un temps essentiel du développement local. Cette démarche peut s’appuyer sur des composantes matérielles (matières premières, environnement, patrimoine, etc.) et/ou idéelles (valeurs, histoire, identité, etc.). En tout état de cause, elle doit permettre d’ancrer le développement local dans les spécificités territoriales, tout l’enjeu étant d’échapper à la concurrence d’offres plus généralistes et de construire 153 des friches


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les souches d’un développement pérenne, à partir d’un positionnement différenciant. Ces recherches proposent notamment d’inverser le regard sur les territoires dits de faible densité (CGET, 2015), comme les quartiers de la politique de la ville ou les territoires ruraux et périurbains, pour les appréhender du point de vue non pas de leurs handicaps mais de leurs atouts (Besson et Brouillard, 2018). L’hypothèse affichée réside dans la conviction qu’il existe des ressources liées aux territoires de faible densité, des ressources susceptibles d’induire un développement territorial vertueux. C’est le cas notamment dans les quartiers en politique de la ville, où de nombreuses études et réflexions actuelles, conduites par le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) ou l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), annoncent un rééquilibrage entre une lecture originelle de la politique de la ville (l’« exemplarité », le « laboratoire ») et celle développée depuis le milieu des années 1990 (le « handicap », le « risque »). Évoquons en particulier l’étude sur l’innovation dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville conduite par le CGET, ou des programmes Anru qui visent à renforcer l’innovation dans les projets de renouvellement urbain. Alors que les représentations associées aux quartiers sont souvent celles de territoires fragilisés, voire ghettoïsés, l’idée est de mettre la lumière sur d’autres dynamiques, tout aussi prégnantes, de créativité, de solidarité et d’invention de solutions alternatives vectrices de performance socio-économique. Tout l’enjeu d’un développement territorial par la ressource consiste par conséquent à identifier les ressources latentes, les acteurs et les actions informelles, les idées latentes et les innovations « en train de se faire » parmi la société civile, les acteurs économiques, culturels ou associatifs. Dans ce processus, l’activation des ressources artistiques, culturelles et patrimoniales des territoires constitue un enjeu majeur. Ces ressources permettent de rattacher le développement territorial à un capital matériel et immatériel, à un univers symbolique et imaginaire, essentiels à la mise en mouvement et la mise en récit des territoires. Raphaël Besson

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Restauration Restauration pour designer l’une des activités proposées par un lieu, qui fait partie de son modèle, sous la forme d’un restaurant, café ou bar, et représente une source de revenu régulière et non négligeable. Selon la définition donnée par Ray Oldenburg (Oldenburg, 1989), le lieu « tiers » est celui qui n’est ni domicile, ni lieu de travail, mais un autre espace, hybride, celui où l’on vient passer du temps de loisir : voir un spectacle ou une exposition, profiter du jardin... Il est donc important de pouvoir se restaurer sur place, pour des besoins vitaux, mais aussi car cela participe de l’expérience. En général, la restauration proposée est dans la veine du lieu : chefs et produits locaux, bière artisanale, fait maison, bio, etc. Des points de restauration fixes, intégrés au lieu, tels que restaurants, food trucks, cafés..., jusqu’aux activités ponctuelles autour de la nourriture, incluses dans la programmation, tels que food festivals ou ateliers culinaires, il y en a pour tous les goûts ! Qui dit restauration, dit cuisine. Quoi de plus naturel que la symbiose entre ces lieux de découverte pour tous les sens et la cuisine proposée sur place, dans un pays comme la France où cuisine rime avec culture et partage ? Elle est l’un des arts mis en lumière par le lieu. Ainsi, le travail des grandes Tables a commencé en 2006 à la Friche la Belle de Mai à Marseille, avec l’ouverture d’un restaurant pensé comme un lieu de rencontre, de partage et de réflexion autour de l’alimentation, et a depuis essaimé dans d’autres lieux culturels, où la démarche est à chaque fois pensée en fonction du lieu et de ses valeurs. Convaincus que la cuisine peut « faire culture », les porteurs du projet ont pour moteurs les notions de convivialité et d’accessibilité. Repenser notre façon de nous alimenter, c’est aussi l’un des volets du projet des grandes Tables, qui porte la réflexion sur la cuisine sous l’angle artistique, mais aussi politique, écologique et sanitaire. Une démarche que l’on retrouve dans certains lieux ruraux, où culture prend logiquement le sens d’agricul155 des friches


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ture, comme ce lieu en Ardèche, Le Plateau Sept situé à Montselgues, qui crée un espace de culture double : agricole et artistique. Le lieu propose déjà, en parallèle de la programmation autour du spectacle vivant et des arts visuels, un marché hebdomadaire de producteurs. De tiers-lieux culturels intégrant la restauration à tierslieux culinaires intégrant la culture, il n’y a qu’un pas ! En effet, ce modèle inspire le milieu de la restauration, qui s’en est emparé pour créer des lieux qui répondent à ses propres problématiques : durabilité, anti-gaspillage, nourrir tout le monde... Pour ne citer qu’un exemple, le lieu La Commune, à Lyon, a été créé afin d’offrir aux jeunes chefs un espace pour tester leur concept de restaurant avant de se lancer. Se définissant comme un lieu de vie à vocation de rassembler et transmettre, il propose en parallèle une programmation avec de nombreuses activités et concerts. Cassandre Jolivet

Rural Pour les tiers-lieux culturels, s’installer en milieu rural est un choix en opposition à la dynamique urbaine. Les artistes s’approprient des espaces abandonnés, en friche, par souhait de véhiculer des valeurs d’un temps plus lent, de lien social, et de montrer qu’on peut faire les choses autrement. C’est aussi l’opportunité de trouver des lieux peu coûteux, peu convoités, propices à la création. En témoigne le mouvement des friches culturelles observé dans les années 2000, qui a vu des artistes ou collectifs occuper d’anciens bâtiments industriels pour en faire des lieux de pratique et de diffusion. Depuis quelques années, l’installation de tiers-lieux, au sens général, en milieu rural, fait l’objet d’un fort intérêt politique. Outils phares du plan de relance postpandémie du Covid-19, ils bénéficiaient déjà depuis 2019 d’un soutien financier important, entre autres via le dispositif Fabriques des territoires, qui vise à motiver leur installation et leur pérennisation, et ce parce qu’ils sont considérés comme des vecteurs d’attractivité et de valeur pour les territoires, tout comme ceux qui, 156 (un) abécédaire


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parmi les tiers-lieux, dédient leurs activités aux pratiques artistiques. Situé en Ardèche à Chirols, commune de moins de 300 habitants, le projet du Moulinage de Chirols est porté par un collectif composé entre autres d’architectes et d’artistes. Il prévoit la réhabilitation d’une ancienne usine de soie en un lieu où les valeurs de mise en commun et d’écologie sont au premier plan, ainsi que les pratiques artistiques. Le lieu proposera à terme l’accueil des pratiques amateurs, une salle de spectacle, l’accueil d’artistes en résidence, du soutien à la création, mais aussi des ateliers partagés pour des artisans, ou encore un espace de coworking, afin d’offrir à de jeunes entrepreneurs ou indépendants les infrastructures nécessaires pour leur activité. Enfin, en complément des espaces de vie partagés, du jardin et de la cantine, près de 2 000 m2 seront rénovés en espace d’habitat participatif. On remarque ainsi que ces lieux en milieu rural ont une dimension sociale forte. Proposant un espace de travail, des pratiques artistiques pour tous, parfois des logements, ils permettent aux habitants de se rencontrer ou de se retrouver. Afin d’optimiser les ressources, par souci financier mais aussi dans une démarche écologique, ces lieux deviennent des « tout-enun », concentrant des activités qui avaient parfois disparu. Pour des communes où il peut être très difficile de faire ouvrir un commerce et où manquent certains services culturels, d’emploi et d’artisanat, leur présence peut motiver le maintien de plusieurs services (mobilité, écoles, etc.). Nuance, toutefois : l’environnement rural comporte quelques défis, liés à des ressources humaines et financières plus rares. La clé se trouve peut-être dans leur créativité : si le savoirfaire ou les moyens sont difficiles à trouver, alors on met en commun, et c’est aussi ce qui fait la dimension sociale et solidaire si importante en milieu rural ! Cassandre Jolivet

Sensible La sensibilité désigne la perception par les sens, par la sensation, signification du grec ancien aisthesis, et donnant en 157 des friches

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français le terme d’esthétique. L’expérience sensible, aussi intuitive et immédiate puisse-t-elle être, est constitutive de la connaissance : le sensible compose avec l’intelligible, comme formes de perception de la réalité, comme fondements de la génération d’un jugement, et par lequel s’organisent et se projettent des rapports au monde, individuels et collectifs, et même des « manières de faire des mondes » (Goodman, 2006). Avec et au-delà de l’histoire de la philosophie, des théories esthétiques, de leurs complexités et divergences, quid de l’expérience sensible dans notre environnement social, culturel et éducatif, dans notre perception, compréhension, relation à la réalité ? Dans quelle économie du sensible ? Et quelles possibilités pour l’advenir de la part sensible – qui ne soit ni une part maudite ni une part de marché ? Dans son essai De la misère symbolique (2004), le philosophe Bernard Stiegler s’inquiétait de la situation produite par l’hégémonie des technologies industrielles du sensible et du symbolique où, écrivait-il, « l’esthétique est devenue l’arme et le théâtre de la guerre économique. Il en résulte une misère où le conditionnement se substitue à l’expérience esthétique ». La « nécessaire singularité sensible » serait ainsi en lutte contre son opposé, l’an-esthésie générale (ou endormissement des sens) ; et la probable régression de cette vitalité appellerait à une « lutte pour l’organisation du sensible ». Avec ce constat d’une époque, il s’agissait de proposer des orientations pour l’« à venir » et l’avenir – comme Stiegler les distinguait – d’une « expérience esthétique par l’art », vers « une nouvelle époque du sensible », correspondant à la pratique des instruments contemporains (notamment technologiques et particulièrement numériques) et où la participation, comme passage à l’acte, et peut-être art de passer à l’acte, soit constitutive d’une expérience, elle-même individuante : transformation de soi autant que du corps social. Ceci passant par ce qu’il appelait le « circuit du sensible », consistant à reconstituer une expérience, organique, sensorielle, noétique (ou spirituelle), pour en produire un partage, « partage du sensible » selon la préoccupation de Jacques Rancière, et « expérience », ajoutait Stiegler, « qui passe par un déploiement de pratiques », « d’apprentissages », 158 (un) abécédaire


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dans un processus d’adoption des dispositifs et des technologies. « Quant à l’art, écrivait-il, il est l’expérience et le soutien de cette singularité sensible comme invitation à l’activité symbolique ». Ces expériences, inventions, pratiques, sont le sens de l’existence des tiers-lieux culturels, et de tous lieux culturels alternatifs, nouvelles organisations pour « une nouvelle époque du sensible » ajustée – plutôt qu’adaptée – à la possibilité, actuelle et à venir, d’émerger de la part sensible, dans un ensemble à la fois individuel et collectif, physiologique et mental, matériel et symbolique, social et économique. Colette Tron

Singularité La singularité est ce qui caractérise chaque individu, qu’il s’agisse de plantes, d’animaux ou d’humains. Sauf exception, chaque individu est singulier. D’un point de vue biologique les exceptions existent par le clonage. Le clonage est le résultat d’une multiplication végétative d’une espèce. Nul besoin de passer par la sexualité. Ce mécanisme est commun dans le règne végétal. Les végétaux se bouturent facilement. Faucher les renouées du Japon en espérant les éliminer revient à les multiplier : chaque fragment de tige tombé au sol se prête à former des racines et croître à nouveau. L’être vivant le plus grand sur la planète serait un peuplier américain (Populus tremuloïdes). Il se multiplie par les racines sans passer par la fécondation, créant une forêt gigantesque où chaque arbre apparent n’est qu’une partie de l’être vivant. Dans ce cas l’individu n’est pas l’arbre, c’est la forêt. Le clonage existe aussi dans le monde animal mais il est beaucoup plus rare. Chez les pucerons, la parthénogénèse vivipare facilite la multiplication de l’espèce sans recours à la fécondation. Il s’agit d’un véritable clonage. La singularité ne peut exister chez les clones, ils agissent tous de la même façon étant porteurs du même patrimoine génétique. Pratiquement toutes les autres espèces animales échappent à ce mécanisme de la répétition. La multiplication passe 159 des friches


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par la production de graines chez les plantes et d’ovules fécondés chez les animaux. Les œufs et les graines sont issus d’un croisement entre organes mâles et organes femelles. Les êtres naissants sont tous génétiquement différents. Ils sont tous singuliers. On ne peut exiger d’un individu issu de la fécondation qu’il se comporte exactement comme un autre individu, fût-il issu des mêmes parents. Chaque enfant est une invention. La fécondation génère la singularité. On ne peut demander à chaque être singulier de répondre aux questions posées selon un langage formaté et prévu. Les professeurs des écoles savent bien cela. L’exploitation industrielle déteste la diversité donc la singularité. Elle favorise le clonage et le crée par les OGM. L’hybridation est une source d’invention, le métissage une richesse de vie. Gilles Clément

Singularité (des lieux) Des expériences difficiles à décrire tant elles sont singulières à chacun de ces lieux, leur histoire, leurs habitants, leur localisation, leur voisinage..., au-delà du vocabulaire qu’on utilise aléatoirement, et qui pourrait suggérer des formats modélisables : tiers-lieux culturels, lieux de fabrique, friches, lieux intermédiaires... Une permanente quête de définition car, comme le disait Philippe Foulquié, tentant une définition de la Friche la Belle de Mai à son époque pionnière, « la friche n’est ni un modèle, ni une alternative ». Au début des années 2000, la tentative d’expliciter l’essence de ces aventures et de décrire leur « famille » était sans cesse sur le métier ; une définition tentait de s’esquisser à partir d’événements ou d’expériences singuliers. Finalement, il faut décrire chacun de ces lieux pour pouvoir en parler. C’est ce que Fabrice Lextrait a proposé dans son rapport au secrétaire d’État au patrimoine et à la décentralisation culturelle avec les monographies d’une trentaine de lieux 160 (un) abécédaire


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(Lextrait, 2001). C’est ce qu’il faut continuer à faire aujourd’hui, afin de mieux montrer l’importance et l’enjeu particulier de chacune de ces expériences. Pour autant, l’exercice s’avère complexe, car ces lieux sont dans le mouvement ; ils s’inventent chaque jour ; c’est leur marche qui les détermine. Leur dynamique émerge d’une aspiration, d’une tension, à la croisée de la pensée et de l’action, à l’endroit de la rencontre entre les artistes et les gens qui vivent ou travaillent là. Ces lieux sont vivants et fondamentalement inscrits dans leur époque par la présence longue et la contribution des artistes, mais aussi par la communauté qui s’y forge : usagers, voisins, qui pour des raisons professionnelles, de loisir ou d’engagement, les investissent durablement ou provisoirement. C’est dans la relation singulière entre les artistes et cette communauté qu’émergent une œuvre, un geste artistique possible, mais aussi un espace critique, un espace d’élaboration ou de fabrication. C’est dans cette relation aussi que ces espaces initialement dédiés à d’autres usages se réinventent au fur et à mesure, s’adaptent mais transforment aussi les projets et les pratiques professionnelles : il faut porter des chaises, construire une boîte noire, adapter, bricoler... Face à cette adversité, le fonctionnement en équipe s’horizontalise, dépendant d’un engagement militant de chacun et d’une complémentarité des équipes. Parfois, il n’y pas de lieu investi, comme à Villeréal où Samuel Vittoz et son équipe ont déployé un festival, Vous êtes ici, qui ressemble à l’antithèse d’un événement ou d’une vitrine tant il se construit dans un temps long, au plus près de chaque habitant, et dans des possibilités d’espaces que donnent le village et ses alentours : une grange, une cour, un champ, une maison en vente, un commerce, une chapelle éloignée... Dans tous les cas, la démarche interroge la façon d’habiter, d’investir des espaces. Elle déplace les pratiques professionnelles, les métiers qui y sont pratiqués. La production se pense au plus près du sens, l’action culturelle devient développement. 161 des friches


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Cette singularité est une richesse. Elle ne peut que nourrir un paysage culturel, une société dans sa pensée d’elle-même et dans sa lente transformation. Gwénaëlle Groussard

Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) Le statut des sociétés coopératives d’intérêt collectif est créé par une loi de juillet 2001. Issu des conclusions du rapport d’Alain Lipietz sur « l’opportunité en France d’un nouveau statut d’entreprise à but social », ce statut permet de réunir dans le capital de la société des salariés de la structure, des usagers, des publics, des clients, des fournisseurs, des associations, des fondations et des entreprises, ainsi que des sociétaires publics pouvant être concernés par l’objet de la structure. En 2021, il existe 1 200 sociétés coopératives d’intérêt collectif en France, avec plus de 13 000 emplois. La thématique culturelle représente près de 10 % des structures et plusieurs espaces intermédiaires ont choisi ce support (La Fabrique Pola, La Friche la Belle de Mai, La Main 93...). La démarche innovante de ce statut juridique tient dans la définition commune d’un intérêt collectif qui n’est plus délégué, mais partagé entre des sociétaires. Cet intérêt collectif se définit par « un projet de territoire ou de filière d’activité impliquant un sociétariat hétérogène, qualifié de multi sociétariat » (Draperi, Margado 2016). La loi de 2001, modifiée par celles de 2007, 2012 et 2014, a défini comment, dans ces coopératives, le sociétariat se composait et s’organisait. Désormais les puissances publiques, y compris l’État, peuvent détenir jusqu’à 50 % du capital. Le sociétariat est organisé en collèges afin que le principe de l’égalité des sociétaires (un homme ou une femme égale une voix, quel que soit le montant du capital), puisse être pondéré. Au moins trois collèges structurent la vie démocratique dans une société coopérative d’intérêt collectif. Les statuts de chaque société attribuent à chaque collège la pondération de leurs votes et le nombre de voix au conseil d’administration, pour lequel le principe d’égalité des votes s’impose. En termes 162 (un) abécédaire


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économiques, les SCIC voient leur subventionnement limité dans un cadre légal, sauf en cas d’application de conventions d’intérêt général. Usagers, producteurs et cofinanceurs assument la gouvernance en développant « une nouvelle forme de coopérative qui n’est plus ouvrière, mais de gouvernement » (Dardot, Laval, 2001). Une SCIC est « une société où le principe du commun prévaut, c’est donc une société dans laquelle la coproduction par les acteurs des règles de l’usage commun est l’élément prioritaire » (ibid.). L’esprit, le principe, le fondement de la SCIC est de cultiver « une démocratie active, une démocratie d’exercice dépassant la démocratie d’autorisation » (Rosanvallon, 2015). Avec les SCIC, il s’agit d’associer tous les acteurs, « pour cultiver un processus démocratique avec des relations sociales favorisant le respect et l’entretien du bien commun, pour partager les fondements du projet, pour nourrir et amender les bases de l’expérience, pour interroger les équilibres, les représentativités, pour travailler les modes relationnels des différents acteurs, pour croiser les gouvernances de chaque structure et de chaque thème, pour définir et renforcer l’identité et l’implication de chaque sociétaire » (Futurs communs, 2021). Fabrice Lextrait

Squat Le squat culturel et artistique est une forme d’auto-organisation pouvant être une réponse à la précarité des conditions de travail des artistes et un acte politique en rapport au statut de la propriété. Acte illégal, il peut être considéré comme une réquisition citoyenne de lieux vacants répondant à une situation de crise, afin de pallier un manque et d’empêcher les spéculations. Le squat est la réponse à une demande formulée non satisfaite, et souvent non écoutée, par les pouvoirs institutionnels. Les squats culturels et artistiques, souvent initiés par un groupe d’activistes, se multiplient dans les lieux où l’accessibilité au foncier est rare et chère. C’est un espace de vie en collectif permettant de partager les démarches artistiques et culturelles. Il nécessite et impose un 163 des friches


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investissement collectif dans l’aménagement, l’entretien, l’animation du bâti et de sa programmation. Il est, dans un contexte instable, l’un des exemples de l’exercice du principe de participation. Les squats peuvent être les territoires réservés à la production, mais ils jouent parfois, hors des cadres légaux, un rôle de diffusion. Ils peuvent être des happenings urbains, où la scénographie du lieu est en elle-même une démarche artistique. Les squats berlinois ou les aventures comme celles de Chez Robert, Alternation, Les Frigos à Paris, le Centre autonome d’expérimentation sociale à Ris-Orangis, ou le Brise-Glace à Grenoble, dans les années 1990, en ont été des symboles. Le mouvement Intersquat, qui rassemble une vingtaine de lieux, squats ou anciens squats, a négocié des conventions d’occupation précaire et avait baptisé F.o.u son festival des ouvertures utiles, insistant ainsi sur l’approche politique de la notion d’usage. Ces dernières années, les squats ont participé à des mobilisations politiques de solidarité, dans le champ culturel, mais hors d’un cadre artistique, pour répondre à des situations d’urgence notamment des migrants. L’oxymore « squat légal » recouvre aujourd’hui une pratique alliant artistes, aménageurs, propriétaires, politiques et publics. Ces squats reposent sur des contrats de confiance et des partenariats plus ou moins officiels. Depuis le début des années 2000, l’intérêt sociétal que le squat culturel représente quant à la valeur d’usage a été repéré par les grands propriétaires fonciers. Une charte en faveur du développement et de l’occupation temporaire a été initiée en 2019 par la Ville de Paris afin de les mobiliser en anticipant des occupations illégales d’intérêt collectif. Des conventions temporaires ont ainsi été signées entre des structures qui en ont fait leur métier et la SNCF, l’APHP, des aménageurs ou des promoteurs. C’est le cas, par exemple, de Yes We Camp pour Coco Velten, Sinny & Ooko pour la Cité Fertile, Plateau Urbain pour les Grands Voisins, La Lune Rousse pour Ground Control, etc. Parfois considérées comme des « ersatz de squats », ces conventions temporaires sont dénoncées par les mouvements 164 (un) abécédaire


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radicaux de squatteurs qui les considèrent comme un élément de la chaîne de spéculation immobilière, épargnant aux propriétaires les coûts de maintenance de leurs biens vacants. Fabrice Lextrait

Subvention La très grande majorité des tiers-lieux fonctionne selon des modèles économiques hybrides mixant différentes sources de revenus : cotisations des adhérents, formations, organisation d’événements, développement d’une économie contributive fondée sur le bénévolat ou le recours au crowdfunding, création de produits dérivés. Peu, cependant, peuvent se passer de subventions publiques, notamment durant la période de démarrage du projet. Dans une période où le dogme libéral est omniprésent, il est utile de rappeler les fondements multiples de ce soutien public. En premier lieu, la valeur créée par ces équipements dépasse celle retirée par les seuls usagers. Ils génèrent une « valeur vaporeuse » : animation et développement du quartier d’implantation, lien social, ambiance spécifique, attractivité que le marché ne peut pas prendre en compte. Deuxièmement, les activités proposées par ces structures sont des activités de main-d’œuvre ne générant pas de gains de productivité. Elles subissent une pression permanente à la hausse de leurs coûts comme l’avaient montré les économistes Baumol et Bowen dans les années 1960 à propos du spectacle vivant (Baumol, Bowen, 1966). Or, les tiers-lieux visent souvent des usagers en situation précaire ou des associations qui n’ont pas les moyens de payer le prix réel correspondant aux services rendus (formation, location de salles ou de matériel, assistance aux spectacles...). La répercussion dans les prix de l’augmentation des coûts est dès lors difficile à absorber. La fin des emplois aidés a particulièrement fragilisé le tissu associatif, notamment au niveau local, retrait qui s’est accompagné d’une injonction au développement de recettes propres, à la recherche de financements privés et de mécènes, au risque de menacer le projet d’intérêt général de la structure. 165 des friches


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Troisièmement, l’un des enjeux de ces espaces est de permettre le croisement de différents types de populations et de compétences. Ce sont des lieux de partage des savoirs, potentiellement créateurs d’innovations artistiques et sociales qui n’ont pas nécessairement de valeur marchande directe à court terme. Ce sont des lieux dont l’utilité ne peut se mesurer que dans une perspective longue. Les financements publics à destination des tiers-lieux et des friches se heurtent cependant au manque de transversalité des politiques publiques en général. Ces lieux apparaissent souvent comme des objets culturels mal identifiés, difficiles à évaluer et soumis en permanence à des arbitrages difficiles. Or, sans soutiens publics, les solutions sont connues : augmentation du prix supporté par l’usager, dégradation du service, précarisation de la main-d’œuvre, recherche de nouveaux financements se traduisant par une course effrénée aux appels à projet, ou tout simplement fermeture. Dominique Sagot-Duvauroux

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Temporaire Le temporaire est à la fois un statut, une condition, une ressource et un mode de pensée qui caractérise les friches et espaces en transition. En tant que statut, le temporaire peut être interprété comme l’état inhérent à l’attente ou période de veille. Ce statut est éminemment temporalisé, lié aux rythmes qui s’installent sur l’espace vacant et aux usages alternatifs qui l’investissent. Il est caractérisé par une certaine incertitude quant à des devenirs mal connus, mais aussi par une très grande flexibilité propre aux expérimentations qui vont se réaliser sur ces espaces en friche. En tant que condition, le temporaire constitue l’un des piliers de la vision à partir de laquelle une initiative, puis de nouveaux usages, s’installent sur les espaces en transition. Cette condition temporaire est constitutive de l’origine du projet (l’espace disponible étant propice à l’appropriation et à l’imaginaire créatif), de son montage (qui en fait partie et pourquoi ?) et de sa réalisation (tant d’un point de vue matériel que stratégique, en particulier si l’objectif du collectif ayant pris posses166 (un) abécédaire


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sion de la friche est de pérenniser le projet et de quitter le temporaire). En ce sens, le temporaire est aussi une ressource car il est sujet et porteur de scénarios alternatifs, de « possibles » qui s’opposent à une approche traditionnelle de planification rigide et structurée. D’un point de vue artistique, c’est aussi un mode de pensée propice aux imaginations, à différentes formes d’expressions et de visualisations poussées par le caractère et l’aspect éphémère du lieu. Le temporaire se doit d’être interprété sous différents angles. Le temporaire est connecté à la « durée » car la friche peut abriter des usages et des interventions temporaires, qui peuvent être relativement éphémères (plusieurs jours) ou, le plus souvent, beaucoup plus longs (plusieurs mois, voire plusieurs années). Cela renvoie au caractère « trajectoriel » de la transformation des espaces transitoires et à leurs temporalités. Le temporaire est néanmoins plus qu’une durée et constitue un mode dynamique de transformation qui inclut une forme d’activation de l’espace et aussi d’un projet. Le temporaire est donc un mécanisme essentiel constitutif de la transformation à venir de l’espace. Fondamentalement, le temporaire représente une opportunité pour ceux et celles qui souhaitent fabriquer la ville différemment et la réinventer. C’est pour cela, aussi, qu’il est le terrain temporel d’action privilégié pour les collectifs d’artistes qui y voient une scène d’expression et de mobilisation d’envergure. Lauren Andres

Tiers de confiance culturel Notre société choisit le cloisonnement des champs de connaissances, des sciences et des techniques, des classes sociales et des communautés d’affinités, reproduisant un imaginaire hyper-individualiste, majoritairement consumériste, qui valorise le pouvoir des spécialistes et des organisations en silo. Or, la nécessité du changement impose l’urgence de nouveaux imaginaires, une créativité tous azimuts, de rupture avec nos héritages symboliques. Les plateformes numériques de la culture sont assurément devenues le modèle culturel dominant, qui incarne cet 167 des friches


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isolement contemporain tout en facilitant la recommandation et la prescription de goûts (de produits) par l’usager. Réinventer une vision culturelle (horizon, motifs, objets, organisations) ne peut que s’opposer à cette injonction numérique. Mais quel espace, aujourd’hui, peut-il incarner ce changement, cette volonté de changement, qui suppose essais, confrontations, « encapacitation », échecs, leçons de l’échec... ? Il faut des espaces de confiance, des espaces tiers. Faut-il revenir à la définition proposée par l’Unesco dans la déclaration de Mexico ? Déclaration qui propose de penser la culture « dans son sens le plus large [...] comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ». Pour la mise en œuvre d’une acception si vaste, il faut inventer des espaces de confiance, des espaces « tiers », c’est-àdire capables de connecter de manière opérante l’espace du social à celui de l’art, celui du travail à celui de la souveraineté alimentaire, celui de la transition écologique à celui des mobilités... Bref, un nouvel espace de culture pourrait être l’espace du lien, de la mise en lecture et en un sens de la complexité du monde, pour une mise en capacité collective de construction d’un commun – et la redéfinition de politiques publiques. Décidément, confiance au cœur des dispositifs d’écoute et de coconstruction. Confiance entendue comme capacité non jugeante à inventer de nouveaux concepts opératoires, affirmant la production d’une réciprocité réelle entre les parties prenantes. Ces espaces, conçus pour une société du flux et non du stock, seraient ainsi émancipés de leurs tutelles – la tutelle étant alors le commun. Dès lors, en pensant la capacité à produire du lien politique, symbolique et social permanent sur un territoire, les lieux de culture n’auraient plus à justifier leur raison d’être sur des critères inopérants. Ils chemineraient vers la conception et la mise en œuvre d’espaces d’émergence et de rupture. À l’heure du traitement mathématique et objectivé de nos sociabilités et 168 (un) abécédaire


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de nos imaginaires, le « lieu de culture » ne servirait donc à rien par principe, il deviendrait ainsi essentiel. Bruno Caillet

Tiers-espace Les tiers-espaces sont des espaces autonomes temporaires qui dessinent une autre géographie humaine, socioculturelle et écologique du territoire, produisant des jeux d’influence, de capillarités, d’effets de bord, d’interface entre différents milieux (Bazin, 2015). Ces espaces sont souvent en déprise d’une activité fonctionnelle ou laissés à l’abandon. Viennent s’y loger des formes et de vie et d’organisation qui ne trouvent place ailleurs. Les friches et les squats questionnent une conception non marchande de l’aménagement urbain, basée sur le droit d’usage. Les Zad (zones à défendre) provoquent une contre-expertise d’un développement durable soucieux du vivant. Les campements nomades et les marchés informels soutiennent une économie populaire échappant aux réglementations de l’économie néolibérale. Certains ateliers-résidences, arts outsiders, arts bruts, arts de rue ont investi leurs propres espaces de création, d’exposition et de valorisation indépendamment du monde de l’art. Ce ne sont là que des exemples parmi les plus visibles d’endroits et de rapports sociaux propres aux tiers-espaces d’une grande créativité (Bazin 2023), mais rarement pris en compte dans les modes de validation ou certifications qui obéissent à des logiques utilitaristes, productivistes, extractivistes, conduisant à des gestions privatives et des enclosures. Espaces-temps de vie ou de refuge, de pause ou de bifurcation, les tiers-espaces sont à la croisée des parcours d’expérience individuels et des situations collectives. Moments intermédiaires de l’existence, milieux autonomes interdépendants, interstices territoriaux : la conjonction de ces facteurs est propice à l’instauration de contre-espaces et de contre-cultures comme nouvelles « centralités populaires » (Bazin, 2022), remplaçant la relation centre/périphérie par des modèles alternatifs de développement. 169 des friches


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Le « tiers » sort d’une conception binaire, il mène à une pensée de la complexité seule capable de valoriser une intelligence sociale, l’accueil inconditionnel d’une diversité, une économie du commun, un associationnisme où la société civile crée ses propres outils de recherche et d’action (tiers-espace de la recherche-action), développe un nouvel imaginaire de la société (hétérotopie) (Foucault, 1967). Nous retrouvons l’histoire de ce tiers sous la forme politique du « tiers état » et dans la prise en compte du vivant au travers d’une écologie politique du « tiers-paysage » (Clément, 2020). Le tiers-espace se comprend ainsi comme un fait total reliant de manière cohérente dimensions politique, sociale et écologique. L’implantation récente de « tiers-lieux » recoupe des réalités bien différentes, du coworking à la permaculture en passant par les FabLabs. Ils facilitent un regroupement de compétences transversales aux multiples champs d’activités professionnelles. Les tiers-espaces peuvent inviter ici à une réflexivité pour dépasser la matérialité du lieu en termes d’équipement territorial et instaurer une autre relation à l’espace, au vivant et aux institutions. Hugues Bazin

Tiers-paysage Espace d’accueil à la diversité chassée de partout ailleurs. Le tiers-paysage est composé de territoires que les humains ont délaissés et de ceux qu’ils n’ont jamais exploités. La notion de tiers-paysage naît à l’issue d’une étude paysagère commandée autour du lac de Vassivière, en Limousin, par le Centre d’art et du paysage. Paysage binaire, partagé entre les forêts sombres de douglas et les prairies claires où paissent les vaches. Y trouver la diversité animale et végétale telle qu’elle existait partout dans cette région, cinquante années plus tôt, n’est pas évident. L’exploitation industrielle des territoires ruraux exclut cette option. Il faut chercher ailleurs. 170 (un) abécédaire


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Ce n’est ni dans les forêts gérées, ni dans les pâtures que l’on trouve les espèces inattendues. On les découvre sur les pentes trop fortes pour être exploitées par les machines, sur les sommets squelettiques de landes à bruyères, au cœur des tourbières, dans les espaces rocheux et même sur les bords de routes gérés sans intrants. Partout où l’intervention humaine est faible ou nulle, cette richesse abonde. Ces territoires-refuges ne doivent plus être considérés comme des lieux d’abandon mais comme des trésors de vie. Quel nom donner à un ensemble aux figures diverses dont le seul point commun est de contenir une richesse d’espèces animales et végétales ? Troisième paysage après celui de l’ombre et celui de la lumière : celui de la richesse du vivant. Le nom choisi de « tiers-paysage » renvoie à tiers état. Il se réfère au pamphlet d’Emmanuel-Joseph Sieyès au moment de la révolution de 1789 : « 1º Qu’est-ce que le Tiers-État ? TOUT. » 2º Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? RIEN. » 3º Que demande-t-il ? À y devenir QUELQUE CHOSE. » Nous ne pouvons affirmer que le vivant non humain aspire à être reconnu mais nous savons que nous en sommes dépendants. Nous devons le protéger. Considérer la totalité des lieux prétendument abandonnés comme des trésors de vie suppose un changement de modèle culturel, nous permettant d’accepter ce qui est traditionnellement exclu des territoires de bienséance. Pour le tiers-paysage une « mauvaise herbe » n’existe pas. On peut parler d’une herbe mal placée. On peut aussi regarder l’herbe comme un être d’utilité majeure qui joue un rôle fondamental dans l’équilibre des écosystèmes. De cette herbe minuscule dépend un insecte qui va nourrir un oiseau, lequel va faire voyager une autre plante en transportant sa graine et ça peut faire le tour du monde. Le tiers-paysage est un lieu d’échanges et d’opportunisme biologique offert à tous les êtres vivants. Gilles Clément

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Tiers-quartier culturel Le dessein d’un tiers-quartier culturel est de produire le commun urbain, dans toutes ses dimensions économiques, écologiques, sociales, éducatives et culturelles. Pour le créer, il faut une volonté politique et sociétale de reconnaître l’incertitude en instaurant « une programmation ouverte qui permette de déprogrammer son obsolescence et de remettre le projet sur l’établi à chaque fois que c’est nécessaire, en multipliant les destinations temporaires mixtes » (Bouchain, Citron, Cottet, 2020). Les tiers-quartiers culturels, qui peuvent être développés dans des échelles et des contextes multiples et diversifiés, sont ainsi construits sur « des urbanités discrètes mais salvatrices qui génèrent des espaces d’appropriation, d’expérimentation et de discussion, en inventant des rapports économiques qui différent des rapports marchands habituels et qui produisent une rentabilité économique inférieure à celle de la production urbaine traditionnelle » (Delon, 2020). Les friches, les espaces intermédiaires et les tiers-lieux sont ainsi des sources, des potentiels d’aménagement à des échelles multiples de nouvelle programmation urbaine dépassant les approches souvent asservies des « quartiers culturels » ou des « districts culturels » aujourd’hui regroupés dans le Global District Network. « La disponibilité à l’inconnu » (Bouthors, Nancy, 2021) que les tiers-quartiers culturels portent et cultivent offre de nouveaux processus pour « bâtir et habiter la ville » (Sennet, 2019) différemment, en évitant notamment la privatisation systématique du foncier et des pratiques. Le tiers-quartier culturel est bien sûr fondé sur des bâtiments, des lieux, mais surtout sur des pratiques complémentaires de création, de conservation, de médiation, d’éducation, de récréation, de distraction. Il incarne en ce sens « la culture du quotidien » (Gorz, 2003), celle qui permet que des relations sociales favorisent le respect et l’entretien du bien commun. Pour cela, il faut une fabrique de la ville circulaire, appelant la mise en système, l’improvisation, les reconfigurations de rôles plus complexes entre sachants et non sachants, 172 (un) abécédaire


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résidents et visiteurs, nomades et sédentaires, concepteurs et consommateurs... Dans le tiers-quartier culturel doivent se réunir une multiplicité de nouvelles pratiques bousculant la conception linéaire de la fabrique de la ville. Le temps où chacun, du propriétaire foncier à l’usager, en passant par l’aménageur, le promoteur, l’investisseur, exerce ses compétences, les unes après les autres, est révolu. Ce modèle est obsolète. Le tiers-quartier culturel intègre les principes de « district culturel naturel » (Greenfield, Atlas, 2010), reposant sur les atouts culturels existants et sur un mouvement politique contemporain. Il pourrait s’écrire un manifeste des tiers-quartiers culturels en reprenant les termes de celui des tiers-lieux : « un tiersquartier ne se définit pas par ce que l’on en dit mais par ce que l’on en fait » ; « un tiers-quartier ne se crée pas, il se révèle » ; « le tiers-quartier est un bien commun entretenu par et avec un collectif dans un cadre de confiance où des individus hétérogènes se réunissent pour travailler et explorer », en générant « un langage commun et réappropriable entre des mondes différents et parfois contradictoires », et en développant « une approche intelligente de la gouvernance » (Manifeste des tiers-lieux, 2013). Fabrice Lextrait

Trajectoire Les friches ne constituent pas un simple état mais s’inscrivent au sein d’une dynamique de transformation trajectorielle. La trajectoire représente donc la manière d’appréhender et de comprendre le processus et les rythmes de transformation qui vont caractériser les espaces en transition. Par essence, les friches ont été écartées des dynamiques et fonctionnements urbains et sont devenues des espaces entre parenthèses, en attente, dont la mutation n’est pas dénuée d’intentions et de stratégies. Elles se trouvent dans une position atemporelle et, selon la durée de leur mutation, sont confrontées à l’évolution des modes de pensée en matière de recomposition des territoires urbains. Ces espaces en déshérence cumulent des 173 des friches


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jeux complexes de « temporalités » qui se combinent avec une diversité de jeux d’acteurs. Aux propriétaires de ces espaces en attente et collectivités locales s’ajoutent d’autres acteurs non institutionnels, individuels ou collectifs, qui développent un intérêt particulier pour ces espaces en transition et y voient une singularité propice à la créativité et l’expérimentation. Ces différents acteurs se positionnent, construisent un imaginaire autour de ces lieux et élaborent des stratégies de reconquête. L’appropriation par la culture et les formes artistiques est ici cruciale et constitue un des leviers principaux des processus de transformation. La durée de transformation d’un site en friche est une composante majeure d’un projet urbain de requalification et donc de sa trajectoire de transformation. Toute lecture d’un espace en friche ou en transition se doit d’intégrer une analyse par la trajectoire, qui n’est pas simplement linéaire mais peut aussi comporter de nombreuses itérations, liées à la complexité des processus de transformation. Fondamentalement, cette lecture est aussi pluridimensionnelle : micro et liée à l’espace friche, meso et associée à l’environnement urbain autour de la friche, et macro en lien avec l’espace urbain (ville et au-delà) dans lequel la friche s’inscrit. Elle est aussi éminemment socio-économique, culturelle mais aussi politique car empreinte des contraintes et atouts liés à certains portages et soutiens, qui voient dans l’espace en transition une nouvelle forme d’expression et de revendication. Fondamentalement, la trajectoire de mutation des friches est soumise à différents regards, intérêts et formes de valorisation. L’espace en friche, néanmoins, diffère des autres espaces dans la ville car il est riche d’une diversité de regards et sensibilités, particulièrement ceux posés par des collectifs artistiques qui y voient un espace à part et un lieu de possibles, dans lequel des nouvelles formes de création et manières de réinventer des pratiques et modes de faire sont possibles. Lauren Andres

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Transitoire Le transitoire entretient un lien fort avec les « temporalités » de la friche mais aussi avec son caractère « temporaire ». Le transitoire ici est un terme important si utilisé comme adjectif s’appliquant à l’espace friche en tant qu’espace « transitoire » mais aussi en tant que façon de penser la ville liée au concept d’« urbanisme transitoire ». Ce dernier peut d’ailleurs aussi constituer une ligne directrice pour le ou les projets artistiques s’installant sur ces espaces en devenir en tant que déclinaisons et interprétations d’une certaine sensibilité par rapport à un moment à part, ponctuel, et non pérenne. Le terme de friche peut être considéré comme restrictif quand il s’agit de nommer ces espaces en attente de transformation sujets à des utilisations temporaires. D’ailleurs, de nombreuses définitions ont été données au terme de « friche » et ces dernières oscillent entre des perceptions limitées aux anciens bâtiments et sites industriels ou à des terres agricoles non cultivées. La terminologie « espace en transition » a pour avantage de ne pas se focaliser sur la nature précédente de l’espace mais sur son caractère d’espace en transition, donc d’espace de potentialités et d’expérimentation. De ce constat a émergé, en France, l’utilisation du terme d’urbanisme transitoire. Ce dernier résulte de nombreuses itérations quant à la meilleure façon de nommer les manières d’utiliser les espaces en transition, en attente de devenir, d’une manière temporaire, afin de faciliter leur processus de transformation et d’activer différentes formes de valorisation. L’urbanisme transitoire reflète l’évolution de différentes formes d’urbanisme, tactique ou temporaire, comme on le dit dans les pays anglo-saxons. Ces formes de pensées urbanistiques s’inscrivent dans une reconnaissance de l’importance des processus de transformations temporaires ; l’urbanisme transitoire repose sur une volonté de diversifier les usages urbains et de combler des besoins existants dans la manière de pratiquer et faire la ville grâce à des utilisations temporaires. Il est perçu comme générateur et extracteur de valeurs. L’urbanisme transitoire, et la façon 175 des friches


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dont il a été intégré à des stratégies de gestion patrimoniale et de planification territoriale sur le long terme par certains grands propriétaires fonciers (par exemple la SNCF), reflètent sa reconnaissance en tant que pratique urbanistique cruciale permettant d’intégrer adaptabilité et agilité dans les formes de renouvellement des espaces urbains. Lauren Andres

Travail en friche Les nouveaux capitalismes dans les sociétés contemporaines ne cessent de produire de nouvelles frontières économiques entre les mieux dotés et les plus faiblement dotés en ressources matérielles, économiques, sociales. Les frontières économiques se construisent à partir de ségrégations dans l’accès à un emploi stable ou non, qualifiant ou disqualifiant, en produisant des épreuves de double bind où les individus les moins bien dotés en ressources économiques, sociales et symboliques vivent une injonction forte à travailler et une impossibilité d’accès à l’emploi auquel ils aspirent. Les individus en situation de vulnérabilité circulent de plus en plus dans des espaces sociaux traversés par des exigences et des contraintes contradictoires : ils sont alors mis à l’épreuve de situations de double bind qui brouillent les relations entre les identités sociales et les identités « pour soi ». Les espaces intermédiaires comme la Friche la Belle de Mai apparaissent comme des lieux de production de récits des transformations des sociétés salariales. On voit comment se développent et s’enchevêtrent une diversité d’activités perçues « aux marges de la société salariale », là où elles sont insérées dans les économies urbaines, articulées à des formes de travail salarié. Les espaces intermédiaires se connectent entre eux pour former des « mondes de la petite production urbaine » (Roulleau-Berger, 1999) où cohabitent travail marchand et travail non-marchand, travail artistique et travail matériel, travail digital et travail physique... Reconnaître ces formes de travail invite à s’émanciper d’une logique de productivité et de rationalité économique pour voir comment des espaces et des activités réagis176 (un) abécédaire


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sent les uns sur les autres, en montrant comment des mondes de la petite production et des mondes de la grande production – c’est-à-dire le monde interpersonnel, le monde marchand, le monde industriel, le monde immatériel (Salais, Storper, 1993) – s’encastrent là où ils sont le plus souvent pensés comme statiques ou disjoints, comment des connexions s’établissent entre eux (Roulleau-Berger, ibid.). Les mondes de la petite production urbaine sont nés de l’enchevêtrement d’une diversité d’économies urbaines, les unes plus visibles que d’autres : une économie de la proximité, une économie culturelle, une économie solidaire et une économie grise. Des populations précarisées, paupérisées, notamment des jeunes peu qualifiés des quartiers populaires des villes européennes, se mobilisent collectivement pour agencer et faire circuler des ressources culturelles, artistiques, sociales, symboliques à partir de formes de travail différenciées. Laurence Roulleau-Berger

Travailler/œuvrer Dans son ouvrage Condition de l’homme moderne (1958), Hannah Arendt décrivait et analysait l’histoire des notions de travail et d’œuvre, engageant une (re)définition des termes, de leurs relations et antagonismes. Un moment historique de leur distinction serait dû à la conception marxiste du travail, pour qui, écrivait Arendt commentant Marx, celui-ci « n’aurait d’autre but que d’entretenir le processus vital » par la fabrication de commodités utiles à la (sur)vie, consommables, mais d’usure, éphémères, sacrifiant la durabilité, la permanence, la « stabilité toujours menacée d’un monde humain ». Selon Arendt, et d’après Marx, l’idée de travail devrait aussi sa transformation à l’industrialisation, et avec elle l’automatisation, où les instruments, les outils, n’ont plus pour fin que d’augmenter la productivité, et non plus « d’édifier un monde ». Néanmoins, pour Marx, la fonction du travail est la production de vie, et tout travail est considéré comme productif, le travail étant la « productivité et l’expression de l’humanité même de l’homme » (Arendt d’après Marx). Arendt écrivait aussi que 177 des friches


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Marx, comme Locke et Smith, « considérait le travail comme la plus haute faculté humaine d’édification du monde », attribuant selon elle « au travail des qualités qui n’appartiennent qu’à l’œuvre ». Dans cette complexité des relations et distinctions entre travail et œuvre, dont « la notion est de part en part historique, qui n’a aucune dimension ontologique » (Stiegler), l’on peut ainsi rouvrir la question du travail – plutôt que de l’emploi –, qui ouvre et en cela œuvre, « s’il s’agit bien d’ouvrer, d’ouvrir et d’œuvrer » (Stiegler) : c’est là le sens d’un véritable travail. Et en accord avec la nécessité d’un monde, de son édification, Hannah Arendt soutenait que « la réalité et la solidité du monde humain reposent avant tout sur le fait que nous sommes environnés de choses plus durables que l’activité qui les a produites, plus durables que la vie de leurs auteurs. La vie humaine, en tant qu’elle bâtit un monde... » C’est en ce sens que les productions des lieux de travail et d’œuvre que sont les friches industrielles et les tiers-lieux culturels participent à la réinvention du travail et à la tentative d’œuvrer à l’édification d’un monde durable, soutenable, partageable, commun, porteur de signification, d’émancipation, de transmission, de civilisation, de culture. Colette Tron

U

Urbanisme culturel Depuis les années 1970, les artistes ont fait de la ville un terrain de jeu. Espaces de représentation, de création ou encore de réflexion, les projets artistiques et culturels qui prennent place sur un territoire urbain spécifique se sont multipliés depuis. Dans les années 2000, les friches et autres espaces délaissés ont fait l’objet d’occupations ponctuelles et/ou transitoires des artistes, permettant une redécouverte de ces lieux. Une décennie plus tard, Marcel Freydefont décrivait l’émergence d’un nouvel urbanisme culturaliste à partir de l’hybridation des pratiques artistiques et de l’imbrication des projets culturels dans la transformation des territoires (Freydefont, 2015). D’un 178 (un) abécédaire


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côté, les acteurs de l’urbain profitent régulièrement du temps de latence des sites en mutation pour programmer des projets d’occupation transitoire. De l’autre, les acteurs de la culture se mobilisent pour renouveler les méthodes d’urbanisme (Arab, Ozdirlik, Vivant, 2016). Récemment Maud Le Floc’h et l’équipe du pOlau-pôle arts & urbanisme ont mis en lumière l’expression d’« urbanisme culturel » pour définir des pratiques singulières entre art, culture et aménagement : « L’urbanisme culturel, écrit la directrice et fondatrice du pôle sur son site, qualifie des manières d’agir dans le projet urbain en ayant recours à l’outillage artistique et culturel. » Alors que les artistes sont souvent sollicités à la fin du processus de rénovation urbaine, l’urbanisme culturel considère le projet artistique comme l’un des volets stratégiques de l’urbanisme, avec un phasage en amont et des études préalables (Ferren, 2019). Avec la création de l’académie de l’urbanisme culturel (Pôle des arts urbains, pOlau, 2018), un champ professionnel se dessine autour d’une pluralité d’acteurs (artistes, designers, collectifs d’architectes et d’urbanistes, associations, citoyens, usagers, habitants) et d’enjeux variés : réversibilité des usages, préfiguration, coconstruction, mise en récit, etc. Des projets tels que l’occupation transitoire d’une friche (projet Transfert à Rezé, en Loire-Atlantique), l’ingénierie culturelle territoriale (Traversées et Escales, CUESTA), ou des interventions contextuelles (Ville sur le divan, ANPU) s’inscrivent dans cette démarche. En distinguant l’urbanisme culturel d’autres pratiques, les professionnels du secteur souhaitent faire entrer l’art et la culture dans la matrice du projet urbain. L’occasion, peut-être, de mettre les spécificités d’un territoire au centre de ses transformations et de lutter contre la cosmétisation des villes. Emmanuelle Gangloff

Urbanisme transitoire Longtemps considéré comme l’apanage des « bricoleurs » de la ville, l’urbanisme temporaire (ou transitoire) semble aujourd’hui se déployer partout, quitte à devenir un 179 des friches


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levier parmi d’autres dans la boîte à outils des aménageurs (Pinard, 2021). Que se cache-t-il derrière cette expression ? Depuis le tournant des années 2010, des projets d’occupation temporaire se multiplient aux quatre coins de la France. Les plus connus ? Ground Control, Les Grands Voisins, Le Fort d’Aubervilliers, la Cité Fertile, la Halle Papin (dans le Grand Paris), Transfert (à Rezé), Coco Velten (à Marseille), l’Hôtel Pasteur (à Rennes). Ils accueillent une multitude de projets culturels, artistiques, de maraîchage urbain ou d’économie sociale et solidaire, tout en recyclant d’anciens délaissés urbains (sites industriels, équipements publics, bureaux, souterrains). Les acteurs de l’urbanisme se renouvellent avec ces pratiques qui nécessitent des compétences spécifiques en accompagnement de projet, en gestion ou en événementiel. L’ouverture de ces lieux bénéficie d’un contexte particulier : ils permettent de composer avec le temps long de l’aménagement et, en même temps, ils offrent des espaces abordables pour certaines populations en peine sur un marché de l’immobilier souvent très tendu. De nombreux termes et définitions sont utilisés pour décrire des projets fort différents. La mention d’urbanisme « temporaire » insiste sur la dimension non pérenne de ces usages et du rôle des logiques événementielles et ludiques dans la production de la ville (Gravari-Barbas, Jacquot 2007 ; Matthey, 2016). Le terme « transitoire » sera préféré pour souligner la notion de transition. Il désigne les projets temporaires développés dans des sites faisant l’objet d’un projet urbain, dont les travaux n’ont pas encore débuté. L’ambition associée à l’urbanisme transitoire est d’engager la transformation d’un lieu en attente de mutation et de préfigurer les usages futurs d’une opération d’urbanisme, en testant de nouveaux usages en amont (Pinard, Morteau 2019). En 2018, l’exposition « Lieux infinis », proposée par le collectif Encore Heureux au pavillon français de la biennale d’architecture de Venise, offre une caisse de résonance inédite à ces pratiques urbaines. L’essor du « transitoire » reflète les évolutions récentes de la fabrique urbaine, qui font de l’activation des territoires une dimension à part entière de l’aménagement. 180 (un) abécédaire


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Parmi ces évolutions, on peut citer l’allongement des temporalités, la complexification des projets urbains et la nécessité d’y associer des citoyens. Ces pratiques contribuent au renouvellement des méthodes. Elles accélèrent, souvent contre le gré des premiers bénéficiaires, la valorisation du foncier. Enfin, elles concourent à l’évolution du milieu professionnel. La professionnalisation croissante des acteurs de l’occupation temporaire ne doit pas faire oublier les difficultés que rencontrent plusieurs de ces structures à vivre de cette activité. Une transformation des pratiques, stratégique et certainement dans « l’air du temps », mais qui témoigne d’une précarisation croissante des jeunes urbanistes (Vivant, 2014). Hélène Morteau

Usagers (gouvernance impliquant des) L’attention affirmée que les espaces-projets artistiques accordent à leurs usagers et à la coproduction d’activités tenant compte de leurs demandes amène à s’interroger sur les modes de participation de ces derniers aux processus de décision. Entre organisation guidée par les artistes (artist-led) et structure orientée vers sa communauté d’usagers (community-oriented), l’équilibre n’est jamais simple à trouver et nécessite des ajustements constants. De l’implication ponctuelle dans un projet participatif à l’engagement pour quelques années en tant que membre d’un Conseil d’administration, en passant par une présence active dans un groupe de travail ou de réflexion, la gamme des possibilités de chacun à contribuer à la dynamique délibérative et décisionnelle de la démarche est étendue. Une plus grande centration sur les usagers nécessite en tout cas tout un environnement organisationnel, qui engage pleinement tant la direction de l’espace-projet que les membres de son équipe salariée ou ses différents intervenants externes rétribués. Cette dynamique plus interactive et participative implique du temps, des compétences et des financements qui s’avèrent souvent limités. Elle nécessite pourtant une gestion au long cours, une continuité et une coordination de tous les instants. 181 des friches


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Les prises de risque sur de tels processus sont importantes, ce qui conduit fréquemment à un équilibre entre, d’un côté, des modes organisationnels expérimentaux sur certains projets, et de l’autre des niveaux de fonctionnement et modes décisionnels plus usuels ou déjà éprouvés. La qualité relationnelle recherchée aboutit aussi à s’adresser à des groupes de taille limitée, ce qui vient encore complexifier la gestion d’ensemble de l’organisation, dès que la taille de celle-ci se développe. Le numérique apparaît ici autant comme un outil de facilitation que comme une nouvelle dimension à intégrer. Autant dire que cette approche demande un positionnement le plus clair possible des démarches en termes de projet et de stratégie, aussi bien qu’une reconnaissance et un soutien explicites de la part de leurs principaux partenaires, notamment publics. Par ailleurs, la mesure des impacts d’une telle gouvernance impliquant mieux ses usagers reste délicate à établir, tant certains de ses effets peuvent être peu apparents sur le court terme, ou toucher des dimensions d’intimité subjective ou encore relever d’externalités sociales peu isolables d’autres influences. Le caractère collectif ou au moins collégial de la gestion des espaces-projets, aussi bien que le nombre et la diversité des membres de leurs conseils d’administration, sont des indices de l’engagement dans ce type d’approche. C’est le cas, par exemple, du Vesseaux-mère en Ardèche ou du Logelloù en Côtes-d’Armor pour le milieu rural, ou de La Générale à Paris pour le milieu urbain. Philippe Henry

V

Valeur Les statuts juridiques des lieux culturels intermédiaires varient énormément, mais on remarque une tendance forte autour des associations loi 1901, qui souvent se distinguent par la précision « à but non lucratif ». Au cœur du projet, le but premier n’est pas l’argent, mais plutôt la création de valeur pour le territoire : la présence d’une infrastructure culturelle, quelle qu’elle soit, génère une activité qui draine du public et participe 182 (un) abécédaire


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de la vie locale. Sur certains territoires, cela peut contribuer à attirer les habitants ou à enclencher la mise en place d’autres services, qui vont fonctionner en collaboration avec le lieu. De fait, ce dernier apporte au territoire une valeur ajoutée, qui va peser dans son attractivité au niveau régional, voire national. En témoigne la motivation gouvernementale à soutenir la création de ce type d’initiative, et la multiplication récente des lieux culturels intermédiaires dans des territoires ruraux. Créer, recréer du lien social, font souvent partie de leur raison d’être annoncée. Comment ? En offrant un accès à la culture, comme mission. Chaque lieu, par sa configuration unique, se prête parfaitement à offrir un espace d’accueil, d’échange et de partage pour tous, artistes et publics. Éducation artistique, pratiques amateurs, atelier... : de nombreuses formes existent. Installée de 2015 à 2019 dans un immeuble de la Guillotière, quartier prioritaire à Lyon, La Taverne Gutenberg était un projet éphémère dédié à la création et à la diffusion des arts sous toutes leurs formes, avec un accent mis sur les actions de médiation et l’insertion des jeunes. Travaillant avec des associations du quartier, il proposait par exemple des ateliers artistiques aux jeunes, mais aussi des rencontres, débats et moments de convivialité : une création de valeur sociale, grâce à la transmission par le biais de l’art, et de ces lieux qui jouent un rôle d’intermédiaire clé entre publics, artistes et acteurs sociaux. Cette création de valeur humaine, sociale et économique pour les territoires repose sur des modèles de fonctionnement non lucratifs. Autour de ces lieux, il y a en effet une logique du don. Ainsi, on ne s’étonne pas de voir qu’ils mobilisent par exemple des bénévoles très engagés à l’année, qui font partie de la communauté du lieu, et sont indispensables à leur fonctionnement. Par ailleurs, ils imaginent leur propre système économique. Dans la Drôme, la Gare à Coulisse, portée par la compagnie d’arts de la rue Transe Express, met l’accent sur l’émergence et un lien non conventionnel avec le public. Les compagnies qui se retrouvent dans ces valeurs et souhaitent être accueillies le sont selon un système de troc culturel : elles proposent un spectacle en échange d’un accueil en résidence sans frais de loyer. Un système qui s’inscrit dans le temps, avec 183 des friches


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des compagnies fidèles qui reviennent régulièrement, ce qui permet de faire vivre le lieu. Cassandre Jolivet

Ville créative La ville créative cherche à créer les conditions d’un environnement urbain susceptible d’attirer « un groupe de personnes censées, par leur présence et surtout leur occupation professionnelle, constituer un facteur prépondérant de la dynamique de croissance économique urbaine » (Darchen et Tremblay, 2008). C’est ici l’approche de Charles Landry ou de Richard Florida (Landry, 1995 ; Florida, 2002). Ces auteurs identifient les facteurs d’attractivité de la classe créative, composée autant d’artistes, informaticiens, que de bohémiens et scientifiques. Et c’est la formule des « Trois T » (« Talent, Technologie et Tolérance ») qui selon Richard Florida, serait la clé pour attirer cette classe ouverte, tolérante et essentielle à la production d’innovations et au développement économique des villes. Cette approche de la ville créative va notamment donner lieu au développement de nombreux quartiers d’artistes ou créatifs à SoHo (New York), Montreuil, Nantes, Hoxton ou Shoreditch à Londres. Elle va également inciter les métropoles à investir massivement dans la filière des industries créatives (publicité, architecture, design, mode, marche de l’art, cinéma, multimédia, numérique, jeu vidéo, etc.), une filière considérée comme jouant un rôle stratégique dans le développement des économies urbaines. La notion de ville créative fait face aujourd’hui à un ensemble de critiques. Des chercheurs analysent les phénomènes de gentrification observables au sein des quartiers d’artistes ou créatifs (Vivant, 2009 ; Ambrosino, 2009). Le développement des villes créatives à souvent pour effet d’attirer des classes sociales aisées, et d’inciter au départ des résidents exclus par l’augmentation du coût de la vie. Sur le volet socio-économique, les activités et les emplois induits par la dynamique des villes créatives laissent à la marge un tissu économique traditionnel, et des populations plus faiblement qualifiées (Besson, 184 (un) abécédaire


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2014). La creative city connaît en réalité des difficultés à induire un développement socio-économique et urbain intégré. Selon Guy Saez, le modèle de la ville créative renvoie « les groupes qui ne font pas partie de la creative class (soit 8 % de la population selon les comptes estimatifs de R. Florida) à vivre dans une autre ville » (Saez, 2009). Elsa Vivant souligne quant à elle le paradoxe des stratégies de planification de la ville créative, qui révèlent « la méconnaissance des ressorts de la sérendipité, condition d’expression de la créativité » (Vivant, 2009). Et Christine Liefoogue d’ajouter : « il ne suffit pas de planifier la mixité fonctionnelle et sociale pour qu’émerge un milieu créatif, et les opérations d’urbanisme créent souvent, en matière de ville créative, des coquilles vides » (Liefooghe, 2009). Des collectifs d’architectes-urbanistes comme Bruit du frigo, Bellastock, Basurama, le collectif Etc ou le Cabanon vertical défendent un urbanisme tactique ou transitoire en mesure de coproduire la ville créative, en immersion dans l’espace public et avec les citadins. D’autres auteurs et professionnels font référence à la littérature des « espaces interstitiels », des « tiers-espaces » ou des « tiers-lieux » pour défendre une plus grande souplesse dans la fabrique de la ville créative. Raphaël Besson

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BIBLIOGRAPHIE & BIOGRAPHIES


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Rosenquist Marta (2019). La Friche la Belle de Mai à Marseille : espaces industriels, politiques culturelles et art contemporain, Presses universitaires de Provence. Roulleau-Berger Laurence (1991). La Ville-intervalle : jeunes entre centre et banlieue, Meridiens Klincksieck. Roulleau-Berger Laurence (1999). Le Travail en friche. Les mondes de la petite production urbaine, Éditions de l’Aube. Roulleau-Berger Laurence (2010). Migrer au féminin, PUF. Roulleau-Berger Laurence (2016). « Life exposed, inequalities and moral economies in post-disaster societies : China, Japan, Indonesia », dans Peilin Li, Roulleau-Berger Laurence (dir.), Ecological risks and disasters in Europe and in China, Routledge Publishers, New York. Roux Benjamin (2018). L’Art de conter nos expériences collectives. Faire récit à l’heure du storytelling, Éditions du Commun. Roy-Valex Myrtille (2006). « La classe créative et la compétitivité urbaine. Culture et économie ou l’envers et l’endroit d’une théorie », dans Tremblay Diane-Gabrielle, Tremblay Remy (dir.), La compétitivité urbaine à l’ère de la nouvelle économie. Enjeux et défis, Presses de l’Universite du Quebec. Saez Guy (2009). « Une (ir)résistible dérive des continents. Recomposition des politiques culturelles ou marketing urbain ? », Revue de l’Observatoire des politiques culturelles, vol. 36, n° 1. Sagot-Duvauroux Dominique (2011). « Comment mesurer la valeur vaporeuse de la culture ? », Place Publique, n° 27. Salais Robert, Storper Michael (1993). Les Mondes de la production. Enquête sur l’identité économique de la France, Éditions de l’EHESS. Sansot Pierre (1998). Du bon usage de la lenteur, Payot. Saxenian AnnaLee (1996). Regional Advantage, Culture and Competition in Silicon Valley and route 128, Harvard University Press. Scaillerez Arnaud, Tremblay Diane-Gabrielle (2019). « Travailler et collaborer autrement : les espaces de coworking, une approche apparentée aux communautés de pratiques », dans Krauss Gerhard, Tremblay Diane-Gabrielle (dir.), Tiers-Lieux. Travailler et entreprendre sur les territoires : espaces de coworking, fablabs, hacklabs…, Presses universitaires de Rennes-Presses de l’Université du Québec. Sennet Richard (2021). Bâtir et habiter la ville, Albin Michel. Servet Mathilde (2009). Les Bibliothèques troisième lieu, mémoire de fin d’étude du diplôme de conservateur, Enssib.

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Sgourev Stoyan V. (2015). « Brokerage as Catalysis : How Diaghilev’s Ballets Russes Escalated Modernism », Organization Studies, vol. 36, n° 3. Simmel Georg (1950). The Sociology of Georg Simmel, The Free Press, New York. Stiegler Bernard (2004 et 2005). De la misère symbolique I et II, Galilée. Stiegler Bernard (2015). La Société automatique, Fayard. Suire Raphaël (2007). « Cluster “créatif” et proximité relationnelle : performance des territoires dans une économie de la connaissance », Canadian Journal of Regional Science, n° 28. Tchernonog Viviane, Prouteau Lionel (2019). Le Paysage associatif français, Dalloz Juris Associations. Toledo Camille (de), Quiros Kantuta, Imhoff Aliocha (2016). Les Potentiels du temps. Manuella Éditions. TransEuropeHalles, collectif (2001). Les Fabriques, lieux imprévus, Éditions de l’Imprimeur. Tremblay Diane-Gabrielle, Pilati Thoms (2008). « Les centres d’artistes autogérés et leur rôle dans l’attraction de la classe créative », Géographie, économie, société, vol. 10, n° 4. UNESCO, Neil Garry (2019). La Culture & les conditions de travail des artistes : mettre en œuvre la Recommandation de 1980 relative à la condition de l’artiste, ONU. Vanhamme Marie, Loubon Patrice (2001). Arts en friches. Usines désaffectées : fabriques d’imaginaires, Alternatives. Vercauteren David (en collaboration avec Thierry Müller et Olivier Crabbé) (2011), Micropolitiques des groupes. Pour une écologie des pratiques collectives (rééd.), Les Prairies ordinaires. Verdier Henri, Missika Jean-Louis (2022). Le Business de la haine : Internet, la démocratie et les réseaux sociaux, Calmann-Lévy. Verdier Margot (2019). « Les espaces de construction du collectif. La normalisation des squats. Le rôle de la Convention d’occupation précaire dans les mutations de l’organisation sociale de l’association Curry Vavart », Pratiques collectives. Pratiques du collectif, actes du colloque international des 9-11 mars 2016. Vergès Emmanuel (2016). « Quand la démarche des droits culturels rencontre le numérique et inversement », Neuf Essentiels « pour un numérique humain et critique », Culture et Démocratie, Bruxelles. Vivant Elsa (2007). « Les événements off : de la résistance à la mise en scène de la ville créative », Géocarrefour, vol. 82, n° 3.

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Vivant Elsa (2009). Qu’est-ce que la ville creative ?, PUF. Vivant Elsa (2014). « Entre subordination et indépendance : la difficile insertion professionnelle des jeunes diplômés auto-entrepreneurs », Connaissance de l’emploi, Centre d’études de l’emploi et du travail, Noisy-le-Grand. Viveret Patrick (2004). Reconsidérer la richesse, Éditions de L’Aube. Vulbeau Alain (2009). Légendes des tags, Sens & Tonka. Vulbeau Alain (2014). « La maîtrise d’usage, entre ingénierie participative et travail avec autrui », Recherche sociale, n° 209. Vulbeau Alain, Barreyre Jean-Yves (1994). La Jeunesse et la rue, Desclée de Brouwer. Wenger Etienne (2000). « Communities of Practice and Social Learning Systems », Organization, vol. 7, n° 2. White Harrison, Cynthia A. White (1965). Canvases and careers : institutional change in the French painting world, John Wiley and Sons, New York, London, Sydney. Winnicott Donald (2010). Les Objets transitionnels, Payot. Wright Erik Olin (2010). Envisioning Real Utopias, Verso, London, New York (traduction française : Utopies réelles, 2017, La Découverte). Zask Joëlle (2003). Art et démocratie. Peuples de l’art, PUF. Zask Joëlle (2011). Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation, Le Bord de l’eau. Zask Joëlle (2019). Quand la forêt brûle, Éditions Premier Parallèle. Zask Joëlle (2020). Zoocities, des animaux sauvages dans la ville, Éditions Premier Parallèle. Zask Joëlle (2022). Écologie et démocratie, Éditions Premier Parallèle.

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Quelques associations et réseaux (présentés à partir de leurs sites internet) Actes if Créé en 1996, Actes if, réseau de lieux artistiques et culturels indépendants en Île-de-France, réunit aujourd’hui quarante lieux. Ceuxci accompagnent la création contemporaine et défendent la diversité artistique et culturelle à travers une éthique du partage et des dynamiques collectives. Issus de la société civile et à but non lucratif, ils envisagent l’expérience artistique comme rapport entre les habitants, le territoire, les artistes et les cultures. actesif.com ARTfactories/Autre(s)pARTs ARTfactories/Autre(s)pARTs est un groupe d’acteurs réunis autour d’un projet commun de transformation de l’action culturelle a travers la recherche et l’expérimentation de nouveaux rapports entre populations, arts et territoires. C’est aussi un centre de ressources international pour les « espaces-projets » nés de projets artistiques citoyens et fondés sur un engagement avec les populations. Il est issu de la fusion en 2007 de Artfactories (artfactories.net), qui a notamment réalisé une cartographie internationale des friches artistiques et culturelles, et Autresparts, un groupe de recherche-action. autresparts.org Banlieues d’Europe Banlieues d’Europe était un réseau culturel européen créé par Jean Hurstel en 1989. L’association, faute de financements a été dissoute en 2015. Elle a réuni jusqu’à trois cents membres qui avaient pour point commun d’être porteurs de projets d’actions artistiques et culturelles menées avec des habitants dans des quartiers « défavorisés ». Elle a joué un rôle important dans la mise en réseau des projets européens.

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Coop des communs La Coop des communs a été créée en 2016 en tant qu’association de personnes physiques pour croiser les univers des communs et de l’économie sociale et solidaire, grâce notamment aux apports conjoints de la recherche et des initiatives mises en œuvre et à l’entretien d’une communauté apprenante et décloisonnée. coopdescommuns.org Coordination nationale des lieux intermédiaires et indépendants - CNLII La création d’une coordination nationale des lieux intermédiaires et indépendants a été votée le 29 janvier 2014 au Collectif 12 (Mantes-la-Jolie), lors du forum national des lieux intermédiaires proposé par Actes-If en partenariat avec l’Ufisc, le Synavi, la Fraap, Themaa, et ARTfactories/Autre(s)pARTs. Cette constitution en coordination répond au besoin urgent, exprimé pendant le forum, d’une reconnaissance de la place et du rôle de ces lieux intermédiaires dans le paysage culturel français et d’une organisation en réseau de leurs projets respectifs. cnlii.org Fédération des réseaux et associations d’artistes plasticiens - Fraap Créée en 2001, la fédération des réseaux et associations d’artistes plasticiens soutient, représente et fait reconnaître le travail des associations et collectifs d’artistes dans le secteur des arts visuels en France. fraap.org Syndicat national des arts vivants– SYNAVI Le Syndicat national des arts vivants est né en 2003 de l’association de plusieurs regroupements régionaux de compagnies et structures indépendantes de création, production ou diffusion du spectacle vivant, toutes disciplines confondues. Il compte parmi ses membres des équipes artistiques, festivals, lieux intermédiaires et indépendants et bureaux de production, qui ont tous en commun de se reconnaître du tiers-secteur du spectacle vivant et de mener des actions relevant de l’intérêt général. synavi.org

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L’Association nationale des tiers-lieux - ANCT L’association, créée en 2019, réunit les acteurs des tiers-lieux dans leur diversité, afin de définir les actions à mener et de porter les besoins du mouvement à l’échelle nationale et internationale. tiers-lieux.fr TransEuropeHalles Depuis 1983, le réseau TransEuropeHalles regroupe des acteurs culturels installés dans d’anciens sites marchands ou industriels. Chacun, à sa manière, choisit d’innover en offrant mille et une réalisations aux publics et mille et un plateaux aux créateurs. teh.net Union fédérale d’intervention des structures culturelles - Ufisc Créée en 1999, l’Ufisc représente plus de deux mille structures développant des projets artistiques et culturels qui conjuguent une pluralité d’activités : création et diffusion de spectacles ou d’événements, action culturelle sur un territoire en relation directe avec les populations, création par l’art d’un espace public et citoyen, transmission d’un savoir-faire et soutien au développement de la pratique amateur. ufisc.org

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Biographies des auteurs Lauren Andres est professeure d’urbanisme à la Bartlett School of Planning (University College London-UCL). Après des études de géographie et un doctorat d’urbanisme en France, elle a rejoint l’Université de Birmingham en 2009, puis UCL en 2020. Ses recherches portent sur les processus des transformations urbaines, leurs temporalités et modes de gouvernance, ainsi que leurs implications en matière de politiques urbaines et manières de produire la ville. Ses terrains d’étude sont internationaux (Europe, États-Unis, Hong Kong, Afrique du Sud et de l’Est, Brésil, Liban) et par essence comparatifs. Elle est l’auteure de plus de quatre-vingt-dix publications. Hugues Bazin est chercheur indépendant en sciences sociales. Fondateur du Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action (LISRA) et initiateur du portail www.recherche-action.fr, il a développé les principes de « laboratoire social » et de « tiers espace » pour mieux prendre en compte des populations invisibilisées et des mouvements émergents, contribuer à former des acteurs-chercheurs et légitimer leur production de savoir en matière d’innovation sociale et culturelle. Raphaël Besson est expert en socio-economie urbaine et docteur en sciences du territoire. En 2013, il a fondé à Marseille le bureau d’études Villes Innovations, spécialisé dans les stratégies d’innovation urbaine et les politiques de transition culturelle et territoriale. Il est également chercheur associeé au laboratoire PACTE-CNRS et cofondateur du Laboratoire d’usages culture(s)-art-societe (LUCAS). Ses travaux portent sur les urbanismes alternatifs (urbanisme tactique, transitoire, transitionnel, culturel), la transformation des politiques culturelles territoriales dans un contexte transitionnel et l’analyse des lieux hybrides, tiers-lieux culturels et autres lieux intermédiaires. Il est le cofondateur et l’animateur des émissions de radio « Villes renversées » et « Marseille renversée » et du podcast « Le podcast du LUCAS ».

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Patrick Bouchain est architecte, urbaniste, maître d’œuvre et scénographe pionnier du réaménagement de lieux industriels en espaces culturels, comme Le Lieu Unique à Nantes ou La Condition Publique à Roubaix. Il a été président de la Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) de la Friche la Belle de Mai depuis sa création en 2006 jusqu’en 2013. Il est l’initiateur de La Preuve par 7, une démarche expérimentale d’urbanisme, d’architecture et de paysagisme qui accompagne des porteurs de projets urbains, d’équipements ou d’habitat en cours de développement. Militant d’une méthode collaborative entre habitants, ouvriers et architectes pour définir une action collective, il a reçu en 2019 le Grand prix de l’urbanisme. Marie-Pierre Bouchaudy a occupé diverses fonctions au ministère de la Culture : chargée de mission à la délégation au développement et aux formations (1990-1998), conseillère technique chargée notamment des nouveaux territoires de l’art au cabinet de Michel Duffour (2000-2002), directrice adjointe de la DRAC Picardie (2002-2004), cheffe de l’inspection de la création artistique (2018-2021). Elle a été responsable de la culture à la Ligue de l’enseignement (1998-2000), directrice de la culture à la Région Bretagne (2004-2010), et chargée avec Nicolas Frize d’une mission d’accompagnement de Plaine Commune-Territoire de la culture et de la création (2011-2016). Bruno Caillet, historien d’art, porte son attention sur les liens entre création artistique et cybernétique. Fondateur de la plateforme Artishoc, il conseille des équipes culturelles dans les mutations liées aux « cultures immatérielles ». Après la publication du livre blanc Les relations aux publics connectés (2016) et la mise en œuvre de la rechercheaction « Tour de France, vers une culture des communs » (2018-2019), il expérimente ces propositions au sein d’un tiers-lieu : La Maison forte, fabrique coopérative des transitions à Monbalen dans le Lot-etGaronne. Étienne Capron est docteur en sciences de gestion et du management et actuellement post-doctorant à Mosaic-HEC Montréal. Ses travaux portent sur les questions d’innovation croisant création artistique et technologies numériques, abordant en particulier le rôle des territoires et des relations sociales dans l’émergence des dynamiques créatives.

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Gilles Clément est jardinier, paysagiste, botaniste, entomologiste, biologiste et écrivain. Ingénieur horticole et paysagiste de formation, il enseigne depuis 1979 à l’École nationale supérieure de paysage de Versailles, en parallèle de son activité de concepteur. Il est l’inventeur de plusieurs concepts comme « jardin en mouvement », « jardin planétaire » ou « tiers paysage ». À travers ses nombreuses interventions, depuis le parc André-Citroën à Paris jusqu’au vallon au sein duquel il réside dans la Creuse, en passant par le toit de la base sous-marine de Saint-Nazaire, Gilles Clément apporte et cultive un regard nouveau sur la nature et sa dynamique. Emmanuelle Gangloff est scénographe et docteure en aménagement du territoire et urbanisme, associée au laboratoire AAU (Ambiances Architectures Urbanités) et membre de l’ANR SCAENA (Scènes Culturelles, Ambiances Et TraNsformations urbAines). En 2022, elle a cofondé l’agence de prospective et de recherche urbaine Bien Urbaines. Ses recherches visent à montrer l’émergence de scènes culturelles à partir des ambiances urbaines. Depuis 2017, elle intervient auprès de partenaires variés (Nantes Université, Pick up Production, PUCA, etc.) et enseigne dans différents établissements (Université de Tohuku au Japon, École d’architecture de Nantes, École de design de Nantes). Elle s’intéresse plus globalement à l’action urbanistique, aux liens entre art et aménagement et aux effets des crises dans la fabrique urbaine. Gwénaëlle Groussard est actuellement conseillère théâtre et arts associés à la DRAC Nouvelle-Aquitaine (ministère de la Culture). Elle a pris part à l’aventure de la Friche la Belle de Mai de 1998 à 2002, puis a rejoint Wladyslaw Znorko et son Cosmos Kolej pour fonder la Gare franche, dans le quinzième arrondissement de Marseille, de 2002 à 2009. De 2009 à 2016, elle a également travaillé comme chargée de mission théâtre pour la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Elle a participé à la rédaction du rapport Friches, espaces intermédiaires, fabriques… une nouvelle époque de l’action culturelle en 2001. Gabrielle Halpern, docteure en philosophie et diplômée de l’École normale supérieure, a travaillé au sein de différents cabinets ministériels avant de codiriger un incubateur de startups sous forme de tierslieu et de conseiller des entreprises et institutions publiques. Elle est

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également experte associée à la Fondation Jean Jaurès et dirige la collection « Hybridations » aux Éditions de l’Aube. Ses travaux de recherche portent en particulier sur la notion d’hybridation. Philippe Henry est chercheur en socio-économie de la culture, maître de conférences en études théâtrales, habilité à diriger des recherches et retraité de l’université Paris 8-Saint-Denis depuis 2011. Il a en particulier contribué, à travers ses recherches, à réunir des approches souvent disjointes dans le monde de la culture, pour des raisons idéologiques et historiques : les dimensions esthétiques et artistiques d’une part, les dimensions organisationnelles et socio-économiques d’autre part. Son parcours de chercheur est marqué par de multiples collaborations avec des acteurs culturels, artistiques et politiques réunis autour d’expériences de renouvellement des rapports entre arts, populations et territoires. Il a auto-édité en accès libre plusieurs études et publié plusieurs ouvrages. Isabelle Horvath est maître de conférences à l’Université de HauteAlsace, habilitée à diriger des recherches. Elle est également intervenante à l’Institut de management public et de gouvernance territoriale d’Aix-Marseille Université, membre du GREGO (Centre de recherche en gestion des organisations) et chercheur associé du laboratoire Magellan-Recherche en management des organisations de l’IAE Lyon. Membre du groupe thématique « Entrepreneuriat créatif et culturel » de l’Académie de l’entrepreneuriat et de l’innovation, elle est par ailleurs chercheur associé à CREAMED, réseau interdisciplinaire de chercheurs. Ses travaux portent sur la transformation des organisations créatives, artistiques et culturelles et la conciliation entre les objectifs de création et la logique économique. Arnaud Idelon, acteur du mouvement des tiers-lieux, accompagne avec Ancoats le développement de tiers-lieux culturels en France. Il a cofondé Le Sample à Bagnolet. Il coordonne le diplôme universitaire « Espaces communs : conception, mise en œuvre et gestion » de l’Université Gustave Eiffel, en tandem avec Yes We Camp, ainsi que le Labo des Tiers-Lieux pour le groupement d’intérêt public France Tiers-Lieux. Il programme le PAM Festival, festival d’idées dédié aux tiers-lieux culturels. Il est enfin maître de conférences associé à l’Université Paris 1.

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Cassandre Jolivet a achevé en 2018 une thèse professionnelle sur les espaces culturels intermédiaires, dirigée par Elena Borin, au sein de la Burgundy School of Business (BSB). Elle en a proposé une synthèse dans une série d’articles publiés en mai 2018 par Profession Spectacle. Elle a également contribué à un chapitre de l’ouvrage Cultural Initiatives for Sustainable Development (Springer, 2021) aux côtés d’Elena Borin. Après une collaboration avec l’équipe du « Master of Science Arts & Cultural Management » de BSB pour un projet de recherche sur le secteur du spectacle vivant, son intérêt pour les médias et la communication l’a conduite à travailler en tant que consultante dans ce domaine. Luc de Larminat a rejoint en 1990 le Centre autonome d’expérimentation sociale (CAES) de Ris-Orangis, vaste friche artistique située en banlieue parisienne et ouverte en 1981 par des habitants de la ville. En 1988, il a cofondé Opale (Organisation pour Projets ALternatifs d’Entreprises), structure spécialisée depuis trente-cinq ans dans le soutien et la valorisation des initiatives artistiques et culturelles de proximité. Il en est le codirecteur. Fabrice Lextrait est l’un des cofondateurs de la Friche la Belle de Mai, dont il a été l’administrateur aux côtés de Philippe Foulquié de 1990 à 2000. Il est sociétaire de la SCIC qui assure la gestion du site depuis 2013. Il a été l’auteur, en 2001, du rapport Friches, laboratoires, fabriques, squats, projets pluridisciplinaires... : une nouvelle époque de l’action culturelle. Directeur général adjoint de l’agence Architectures Jean Nouvel de 2002 à 2012, il a notamment assuré le suivi de projets culturels et urbains. En 2006, il a créé avec Marie-Josée Ordener Les grandes Tables, restaurants culturels implantés à Marseille, Calais et ClermontFerrand, puis développé I.C.I, producteur de résidences et de manifestations culturelles culinaires. Alain Lipietz, économiste et écologiste engagé, député européen Europe Écologie Les Verts pendant près de dix ans, a publié en 2001 le rapport Pour le tiers-secteur. L’économie sociale et solidaire : pourquoi, comment, commandé par Martine Aubry et remis à Elisabeth Guigou, qui a succédé à la première à la fonction de ministre de l’Emploi et de la Solidarité. Directeur de recherche au CNRS de 1988 à 2002, il a enseigné à l’École nationale supérieure des beaux-arts, au Centre d’études

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des programmes économiques et dans les universités ParisVII, VIII et XIII. Passionné de poésie, il a publié en 2020 Ressusciter quand même : le matérialisme orphique de Stéphane Mallarmé (éditions Le Temps des Cerises). Matina Magkou est chercheuse post-doc au SIC.Lab Méditerranée (Université Côte d’Azur). Son travail porte sur les tiers-lieux culturels en France mais aussi au-delà des frontières françaises. Elle est également consultante pour la conception, la gestion et l’évaluation de projets internationaux, pour la recherche de fonds et pour la formation des professionnels dans les champs de la culture et de la communication. Ses thèmes de recherche sont les politiques culturelles, la coopération culturelle et les industries culturelles et créatives. Léa Massaré di Duca a construit son expertise « tiers-lieux » sur le terrain entre 2016 et 2018, dans le cadre d’un projet de rechercheaction qu’elle a initié et mené en tant qu’indépendante dans une dizaine de pays, sur quatre continents : le Wide Open Project. Depuis 2018, elle dirige WIDE OPEN, une agence de conseil, formation et mise en récit des tiers-lieux d’intérêt général. Elle défend une orientation humaniste et écologiste des tiers-lieux et accompagne collectivités, associations et porteurs de projets dans ce sens. En 2021, elle a cofondé L’Amarre, un tiers-lieu citoyen à Toulon. Elle est conférencière et ambassadrice française du réseau international Placemaking X. Isabelle Mayaud est sociologue et rattachée au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (UMR 7217), docteure spécialiste de sociologie des sciences, de sociologie de la culture et de sociologie historique du politique. Ses terrains de recherche croisent sciences et arts pour interroger les dynamiques d’innovation collective. Elle exerce actuellement à Universcience (Cité des sciences et de l’industrie / Palais de la découverte). Elle mène par ailleurs différents types d’études en tant que chercheure free-lance. Elle est notamment l’auteure du rapport Lieux en commun. Des outils et des espaces de travail pour les arts visuels, remis au ministère de la Culture en 2019. Hélène Morteau est docteure en aménagement du territoire et urbanisme, membre de l’ANR SCAENA. En 2022, elle a cofondé l’agence de prospective et de recherche urbaine Bien Urbaines. Ses recherches

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s’intéressent au lien entre art, culture et territoire et aux pratiques innovantes et participatives dans la fabrique urbaine. Depuis 2016, elle participe à des projets de recherche et effectue des missions auprès de différentes organisations (Nantes Métropole, PUCA, Pôle Cinéma Audiovisuel, etc.). Elle enseigne également auprès de différentes écoles (ESPI, Université d’Angers, et, ponctuellement, École d’Urbanisme de Paris et Université Grenoble Alpes). Pascal Nicolas-Le Strat est sociologue, professeur à l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, membre du laboratoire Experice et initiateur du projet « Territoires en expérience(s) » (Campus Condorcet). Il développe des recherches « en situation d’expérimentation », souvent en quartiers populaires, en coopérant avec les habitants et citoyens concernés et en associant des artistes, architectes, activistes et intervenants sociaux. Ses travaux s’inscrivent dans les réflexions actuelles sur les communs. Ses publications sont proposées en libre accès sur son site personnel www.pnls.fr. Cécile Offroy est sociologue, responsable d’études à l’association Opale (Organisation pour Projets ALternatifs d’Entreprises) et maîtresse de conférences associée à l’université Sorbonne Paris Nord, rattachée à l’IRIS-EHESS. Ses travaux portent principalement sur les enjeux qui traversent les organisations du monde artistique et culturel, notamment les associations et les lieux intermédiaires. Elle privilégie une recherche impliquée et impliquante pour les acteurs, dépositaires des savoirs expérienciels et des capacités d’action qui donnent sens à la démarche réflexive. Fabrice Raffin est socio-anthropologue, maître de conférences à l’Université de Picardie Jules Verne (laboratoire Habiter le Monde, UA4287) et Sorbonne-Nouvelle, université Paris-III. Après un premier rapport interministériel en 1998, intitulé La mise en culture des friches industrielles, il a publié en 2001 l’article « Espaces en friche - Culture Vivante ! » dans Le Monde diplomatique. Il est l’auteur de Friches industrielles. Un monde culturel européen en mutation (L’Harmattan, 2007) et l’un des coauteurs de l’ouvrage Les Fabriques, lieux imprévus (Éditions de l’imprimeur, 2000). Auteur historique depuis 2016 de The Conversation, il y a publié une trentaine d’articles relevant d’une socio-anthropologie des pratiques culturelles qui, à partir d’une perspective pragmatiste,

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permet de dépasser la question artistique, ainsi que les hiérarchies sociales et esthétiques. Marta Rosenquist, originaire de Californie, est chercheuse francoaméricaine, docteure en arts plastiques et sciences de l’art, diplômée d’Aix-Marseille Université et titulaire d’un master d’ethnologie à la Sorbonne. Ses recherches sont axées sur d’anciens sites industriels reconvertis en lieux de création contemporaine. Elle est l’auteure de La Friche la Belle de Mai à Marseille. Espaces industriels, politiques culturelles et art contemporain (Presses Universitaires de Provence, 2019). Elle possède également une pratique photographique développée lors de sa recherche de thèse et orientée, notamment, sur des perspectives d’anciennes usines. Laurence Roulleau-Berger est sociologue et directrice de recherche au CNRS, au sein du laboratoire Triangle (ENS de Lyon). Elle a dirigé pendant trente ans de nombreux programmes de recherche en sociologie urbaine, sociologie économique et sociologie des migrations, en Europe et en Chine. Depuis 2006, elle s’est engagée dans une réflexion épistémologique sur la fabrique du paradigme de la sociologie post-occidentale. Elle est la directrice française de l’International Associated Laboratory « Post-western Sociology in Europe and in China » (ENS Lyon, CNRS, Académie des Sciences Sociales de Chine à Pékin). Elle a publié une trentaine de livres et de nombreux articles. Elle dirige les collections « De l’Orient à l’Occident » d’ENS Éditions et « Post-Western Social Sciences and Global Knowledge » de Brill Publishers. Dominique Sagot-Duvauroux est économiste, professeur à l’université d’Angers et spécialiste des questions d’économie culturelle. Il a publié des ouvrages et articles scientifiques concernant notamment le marché de l’art, la photographie, le spectacle vivant, les fondements de l’intervention publique et les droits de propriété intellectuelle. Il travaille actuellement sur le rôle joué par les activités artistiques dans les dynamiques territoriales. Le fil rouge de ses travaux est le lien entre les formes de la création artistique et l’écosystème dans lequel elle s’insère.

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Colette Tron est auteur et critique, directrice artistique d’Alphabetville, laboratoire des écritures multimédia. Impliquée depuis près de vingt ans dans une pratique et une critique des arts et des technologies, notamment numériques, elle expérimente et explore les formes, les singularités et les hybridations qui y sont à l’œuvre. Dans la perspective manifeste de constituer un espace public critique, ses champs de recherche et de création tentent des articulations entre arts, technologies et culture, ainsi que la conception de nouvelles approches pratique(s) et théorique(s) de l’art et de la culture. Colette Tron a dirigé deux ouvrages et publié de nombreux articles. Elle est aussi membre de Ars industrialis-AAGT, association internationale pour des technologies de l’esprit fondée par le philosophe Bernard Stiegler. Emmanuel Vergès est ingénieur, auteur et docteur en informationcommunication. Il codirige L’office à Marseille et l’Observatoire des Politiques Culturelles à Grenoble. Il explore les cultures numériques et œuvre dans le champ de la coopération, en produisant des projets et en accompagnant la transition des métiers et l’émergence de modèles de gouvernance. Il est enseignant dans différentes universités (AixMarseille Université, Bordeaux Montaigne, Lumière Lyon 2, CELSA). Joëlle Zask est philosophe, traductrice, spécialiste de philosophie sociale et du pragmatisme. Membre de l’Institut Universitaire de France, elle enseigne au département de philosophie d’Aix-Marseille Université. Elle a traduit des ouvrages importants de John Dewey auquel elle a consacré sa thèse, rendant accessibles ses travaux en France. Elle a publié des ouvrages sur la démocratie participative et travaille également sur les enjeux politiques des pratiques artistiques contemporaines. Ses derniers ouvrages analysent les relations entre l’écologie et la culture de la démocratie.

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Jeanne-Marie Sens & Hubert Tonka (éditeurs) Création Typo-graphique de Jeanne-Marie Sens & Hubert Tonka Hubert Tonka & Yvan Cardona (fabricants) Mayalen Zubillaga (relecture) Cet ouvrage a été composé en Guardi (2001) de Reinhard Haus et en Yuzu (2016) d’Elliott Amblard Il a été achevé d’imprimer en août 2023 dans les ateliers de la Nouvelle imprimerie Laballery à Clamecy (France)


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Imprimé en Europe (France) Dépôt légal : 3e troisième 2023


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SENS&TONKA&CIE SENS&TONKA

(Un) abécédaire des friches Laboratoires – fabriques – squats – espaces intermédiaires – tiers-lieux culturels

Produire du Commun est une condition indispensable à la réussite de la transformation sociétale qui nous incombe. Des artistes, des acteurs culturels, des techniciens, des élus et des populations expérimentent quotidiennement des modes de création et de production artistiques, des démarches collectives et collaboratives et des formes de gouvernance qui contribuent à la réflexion sur cette mutation. En 2001, le rapport Friches, laboratoires, fabriques, squats, projets pluridisciplinaires... : une nouvelle époque de l’action culturelle, commandé par Michel Duffour, secrétaire d’État au patrimoine et à la décentralisation culturelle, avait permis de décrire et de rendre visibles ces espaces intermédiaires, physiques et symboliques, dessinant de nouveaux rapports entre art et société. Depuis, des chercheurs ont documenté ces initiatives et produit de nombreux ouvrages. Vingt ans après les Rencontres des nouveaux territoires de l’art à La Friche la Belle de Mai, trente d’entre eux – philosophes, économistes, sociologues, architecte, paysagiste – explicitent et précisent, sous la forme d’un abécédaire, le vocabulaire et les concepts initiés ou développés par et autour de ces démarches singulières.

Coordonné par Marie-Pierre Bouchaudy et Fabrice Lextrait

30 auteurs pour 120 mots

(un) abécédaire des friches

laboratoires fabriques squats espaces intermédiaires tiers-lieux culturels

Format 15 x 20 cm 216 pages ISBN 978-2-84534-306-1 22,50 euros (TTC) En librairie : août-septembre 2023 Rayon librairie : Sciences sociales

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Lauren Andres, Hugues Bazin, Raphaël Besson, Patrick Bouchain, Bruno Caillet, Étienne Capron, Gilles Clément, Emmanuelle Gangloff, Gwénaëlle Groussard, Gabrielle Halpern, Philippe Henry, Isabelle Horvath, Arnaud Idelon, Cassandre Jolivet, Luc de Larminat, Fabrice Lextrait, Alain Lipietz, Matina Magkou, Léa Massaré di Duca, Isabelle Mayaud, Hélène Morteau, Pascal Nicolas-Le Strat, Cécile Offroy, Fabrice Raffin, Marta Rosenquist, Laurence Roulleau-Berger, Dominique Sagot-Duvauroux, Colette Tron, Emmanuel Vergès, Joëlle Zask

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