The Red Bulletin FR 03/22

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FRANCE MARS 2022

HORS DU COMMUN

SPIDER RIDER

BAS KEEP, l’acharné du BMX, fait tomber les murs pour mieux les rouler

Votre magazine offert chaque mois avec




Éditorial

« Que feriez-vous si vous étiez capable de surmonter les choses dont vous avez peur ? », demande Michelle, mère de l’alpiniste Marc-André Leclerc, page 68. Rares sont ceux qui réussissent à vraiment faire preuve de courage face à des défis terrifiants. On en trouve pourtant quelques exemples dans nos pages, ce mois-ci. En couverture, Bas Keep, page 40, est l’un des BMXers les plus audacieux au monde, mais il lui a fallu presque toute sa vie pour réaliser sa plus grande figure, comme on peut le voir dans son nouveau film, More Walls. En chemin, il a découvert autre chose de vital : la paternité. Et dans le cas du snowboardeur Pierre Vaultier, page 50, ce n’est pas la peur qu’il a dû surmonter, mais des blessures qui, pour certaines, auraient pu l’exclure de sa discipline depuis des années. Mais trop passionné, trop acharné, il n’a jamais voulu s’y résoudre. Et si, pour éveiller nos consciences sur l’écologie, il fallait se jeter à l’eau pour dériver dans un fleuve tel un déchet humain, alors Yann Scussel, page 80, n’hésiterait pas. Et il l’a fait. Bonne lecture ! Votre Rédaction

Le Canadien Marc-André Leclerc sous les étoiles. Pour connaître son histoire unique et étonnante, telle que relatée dans The Alpinist, allez page 68.

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CONTRIBUTEURS NOS ÉQUIPIERS

EISA BAKOS

« J’ai été le témoin de certaines des performances les plus folles réalisées sur un BMX », déclare le photographe anglais qui a documenté la production du projet More Walls pour notre article de couverture. De grands éloges de la part d’un homme qui photographie de grosses ­actions à vélo depuis une décennie, dirige son propre magazine dédié au BMX (Endless) et considère volontiers le rider Bas Keep comme un ami proche. « Le photographier est toujours facile. » Page 40

MARK JENKINS

Collaborateur de notre édition américaine, l’auteur et explorateur s’est rendu dans certaines des régions les plus hostiles de la planète, écrivant notamment pour le magazine Outside et le National Geographic. Son expérience rend son regard sur l’alpiniste au profil unique Marc-André Leclerc d’autant plus saisissant. « En évoluant dans le monde de l’alpinisme, vous, ou quelqu’un qui vous est proche, mourrez, dit-il. ­Michelle Kuipers a profondément compris la passion de son fils. » Quand bien même elle impliquait une haute dose de risque. Page 68 THE RED BULLETIN

EISA BAKOS (COUVERTURE), SCOTT SERFAS, THOMAS SENF

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Rayon blanc : le ski comme en vrai avec Grant Gunderson.

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Marc-André Leclerc, une passion ultime pour l’élévation.

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THE RED BULLETIN


CONTENUS mars 2022

8 Galerie : votre dose m ­ ensuelle

de folie photographique

14 Des vies en face à face, pour

voir les nôtres différemment

15 Playlist : Sean Paul revient aux

origines du dance-hall

16 Les illusions de Shane Fu 17 Un habitat lunaire pliable 18 La vie en plan séquence du 22 24

jeune réal’ Jonathan Steuer L’homme qui devint un ours La force de Skin face à l’ignoble

26 D ans l’action

Vous n’avez pas pu skier cette saison ? Séance de rattrapage avec le photographe Grant Gunderson

40 B ask keep

Pas un mur ni un livreur de pizza ne résiste à la volonté du BMXer

50 L’inarrêtable

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Découvrez l’incroyable Thundercat, un artiste mutant !

GRANT GUNDERSON, WOLFGANG ZAC, JONATHAN GRIFFITH

Rien, vraiment rien, ne peut stopper Pierre Vaultier, l’icône française du snowboardcross

56 C hat perché

L’histoire, le style et le son si copieux de l’artiste Thundercat

68 T he Alpinist

L’histoire de Marc-André Leclerc, l’incarnation d’un esprit libre, à découvrir dans un documentaire saisissant

80 À la dérive

Trop de déchets à l’eau : Yann s’y est jeté pour nous alerter !

THE RED BULLETIN

87 Voyage : à la recherche de

l’arbre magique, le baobab

92 Culture gaming : pourquoi le jeu

vidéo dure, encore et toujours 93 Matos gaming : blastez vos potes comme dans Halo Infinite 94 Vie : les bienfaits du pardon 96 Ils et elles font The Red Bulletin 98 Photo finale : objectif pyramides 7


DUBAÏ, ÉMIRATS ARABES UNIS

Espèce rare La préparation du pilote anglais Sam Sunderland pour le rallye Dakar 2022 fut… particulière. Le vainqueur en 2017 s’est vu remettre les clés de sa ville d’adoption, Dubaï, et a saisi l’occasion de faire la course jusqu’au sommet du plus haut bâtiment au monde, le Burj Khalifa et ses 828 m, en passant par les incontournables de la cité, dont des lieux improbables. « C’était un vrai défi, déclare le photographe Naim Chidiac, à propos du tournage dans l’aquarium de Dubaï, au Dubai Mall. La lumière était très faible, les plongeurs ne pouvaient communiquer que par des signes de la main, et les poissons… ne répondaient pas aux indications. » La vidéo de Sunderland au sommet de la tour Burj Khalifa à voir sur les réseaux Red Bull


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NAIM CHIDIAC

DAVYDD CHONG


RIGA, LETTONIE

Session privée Une rue infinie, rien qu’à soi. Le rêve. Ce cliché d’Arturs Bogdanovics ridant une ville déserte au lever du soleil a atteint la demi-finale dans la ­catégorie Playground by WhiteWall du concours photo Red Bull Illume 2021. « La vue sur les toits et l’angle unique en valaient la peine, malgré une grimpe délicate pour shooter, dit le photographe Volodya Voronin. » volodyavoronin.com


UTAH, USA

Triste ligne

VOLODYA VORONIN/RED BULL ILLUME, BOB PLUMB/RED BULL ILLUME

DAVYDD CHONG

Au printemps, au milieu de nulle part, une maigre parcelle de neige ­résiste à la fonte, bordée par des terres arides. Bob Plumb, photographe, et Griffin Siebert, snowboardeur, savent où aller pour témoigner visuellement du réchauffement climatique. Cette ­image a remporté une place en demi-finale dans la catégorie Innovation by EyeEm du concours Red Bull Illume. bobplumbphotography.com

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DISENTIS, SUISSE

S’il y avait des heures d’affluence dans le monde du parapente, voici à quoi elles pourraient ressembler : hautement plus attrayantes que nos embouteillages terrestres. Cette image édifiante, une autre demi-finaliste dans la catégorie Playground by WhiteWall de Red Bull Illume, a été capturée par Andreas Busslinger au début de la Superfinale de la Coupe du monde de parapente, en août 2021. « On me demande souvent s’il est dangereux de ­voler avec autant de parapentes dans le même thermique, admet le photographe suisse. C’est ­effectivement exigeant, et souvent stressant… Je regarde partout en même temps, pour éviter le risque de collision. » andreasbusslinger.ch

ANDREAS BUSSLINGER/RED BULL ILLUME DAVYDD CHONG

Heure de pointe


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Imaginez-vous à la place d’une personne moins fortunée que vous. L’œuvre poignante de cet artiste vous aidera à le faire, et peut-être à l’aider aussi. Un matin de septembre 2015, Uğur Gallenkus˛, artiste visuel basé à Istanbul, se réveille avec une image choc aux infos. Ce jour-là, la couverture de la crise des réfugiés syriens était centrée sur la photo d’Alan Kurdi, un garçon de trois ans noyé dans la mer Méditerranée. Le corps d’Alan s’est échoué sur une plage près de Bodrum, en Turquie, après que le bateau dans lequel il fuyait avec sa famille a chaviré en route vers l’île grecque de Kos. Pour l’artiste turc, il était impossible d’observer la 14

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LOU BOYD

De quel côté ?

YASIN AKGUL, GMB AKASH

UĞUR GALLENKUŞ

t­ ragédie de cette image et de ne pas agir. Uğur Gallenkus˛ a trouvé une photo Stock d’un enfant jouant avec un seau et une bêche sur une plage, a remplacé son sujet par l’image du corps allongé d’Alan et a mis le collage en ligne dans l’espoir qu’il inciterait davantage de personnes à agir face à l’urgence actuelle. « C’était la chose la plus importante que je pouvais faire, dit-il. J’ai utilisé l’art visuel pour attirer l’attention sur leurs problèmes. » Six ans plus tard, Gallenkus˛, âgé de 31 ans, a créé près d’une centaine de collages de la même manière, mêlant des images de la vie quotidienne dans les pays plus développés à des photos de personnes luttant dans des régions ravagées par la guerre, la faim et les conflits. Son objectif : mettre en évidence le fossé grandissant entre les privilégiés et les opprimés. « Nous ne comprenons pas les problèmes que nous voyons dans les nouvelles venant d’autres parties du monde, et ce que ces gens ­traversent, surtout si nous vivons dans un pays développé, explique Gallenkus˛.. L’un de mes collages montre des enfants qui travaillent comme ouvriers avec un revenu mensuel de quelques dollars. Ils ne mangent qu’un morceau de pain pour le déjeuner. De l’autre côté, on voit un enfant obèse et son hamburger. Cela peut et doit nous rappeler les grandes inégalités de notre monde, avec empathie. » Uğur Gallenkus˛ espère attirer spécifiquement l’attention sur les droits de l’enfant ; en novembre dernier est sorti Parallel Universes of Children, un recueil de ses collages, pour la Journée mondiale de l’enfance. « Pour que les gens des pays favorisés réalisent la valeur des belles vies qu’ils ont, dit-il. En espérant que cela suscite une action sociale collective afin d’améliorer la vie des autres.» ugurgallenkus.com


SEAN PAUL

Riddims de dingue Le hitmaker jamaïcain parle des morceaux de dancehall qui ont ­façonné le genre, et sa carrière.

CHARLOTTE RUTHERFORD

WILL LAVIN

Le dancehall est apparu en Jamaïque à la fin des années 1970, mais c’est à la fin des années 1980 que ce sous-genre du reggae a vraiment pris son envol, lorsque la production numérique a transformé le son avec des rythmes plus rapides et une forte concentration sur les instruments, ou riddim. L’un de ses plus grands représentants est le chanteur-compositeur-­producteur Sean Paul Ryan Francis Henriques, plus connu sous le nom de Sean Paul, qui a percé en 2002 avec son deuxième album Dutty Rock, récompensé par un Grammy. Ce Jamaïcain de 49 ans a popularisé le dancehall grâce à un style novateur, des clips accrocheurs et ses collaborations avec Beyoncé, Sia et Nicki Minaj. Il partage ici quatre titres dancehall qui lui ont montré la voie. allseanpaul.com

Little Twitch

Buju Banton

Louie Culture

Beenie Man

Respect Due (1987)

Bogle (1992)

Ganga Lee (1994)

Old Dog (1996)

« Respect Due est sorti un peu avant l’âge d’or du dancehall. Le riddim, c’est un style de reggae avec une ligne de basse lourde et des phrases folles par-dessus. Il souligne l’importance du respect des manières et de l’honnêteté, ce qui était très important quand j’étais au lycée. J’ai toujours été respectueux. Alors quand j’ai entendu cette chanson pour la première fois, j’ai su que j’étais sur le bon chemin dans la vie.»

« Les mouvements de danse sont une partie importante de la culture dancehall. Elle s’inspire d’un type appelé Bogle (alias Gerald Levy), qui a créé cette danse étrange et folle, mouvement du corps en forme de vague et des bras de haut en bas, qui a influencé massivement notre genre. La première fois que je l’ai vu, je me suis dis : “Qu’est-ce que c’est que ce truc que tout le monde fait ?” La suite, c’est l’explosion. »

« Un morceau unique, parce qu’à l’époque, le dancehall était destiné à faire la fête. C’était une chanson engagée sur un riddim de fête. Louie Culture parlait de vouloir être libre de tout ce qui vous retient attaché. Enfants, nous ne savions pas exactement ce qu’était un “ganga lee” (un rebelle, ndlr), mais nous avons compris le message : il s’agit de forger son propre chemin. C’est un morceau très puissant. »

« Les sections de riddim dans le dancehall, c’est ce que j’aime. Dans ce titre, il y en a à profusion. C’est un disque tordant qui se moque de ceux qui se moquent des hommes à femmes : “Old dog like we/ We haffi have dem inna two’s and three’s.” Je me souviens d’une fois où cette chanson a été jouée et les trois selectors se sont mis à quatre pattes et ont commencé à remuer. C’était une bonne petite vibe. »

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L’illusionniste Les installations de ce créateur d’œuvres en 3D ont surpris des millions de Terriens. Mais en y regardant de plus près, sa réalité s’avère trompeuse. Un bassin rempli de pingouins lumineux géants rebondissant sur le mur d’un passage souterrain, la vitrine d’une gare de New York renfermant une explosion de paillettes, une énorme bulle remplie de lumières flottantes et de cœurs translucides dans une rue de Brooklyn, ce n’est là qu’un florilège du travail de Shane Fu, artiste digital basé à New York dont les œuvres expérientielles mystérieuses et fantastiques ont voyagé via Internet tout au long de l’année 2021, incitant les internautes à 16

partir à leur recherche in situ. Une recherche vaine, car les « installations » de Fu n’existent que sur écran. Natif de Wuhan, en Chine, Fu se lance dans l’art 3D hyperréaliste après l’obtention de son diplôme de l’université de Boston en 2019. Il y voit un moyen de mêler ses compétences en design à sa passion pour la physique et les mathématiques. Mélange d’images de synthèse et de vidéos de décors réels, les objets d’art publics de Fu brouillent la frontière entre fiction et réalité en

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SHANE FU

SHANE FU

donnant l’impression d’être des œuvres d’art tangibles, mais n’existent en réalité que dans des vidéos mises en ligne. « J’utilise beaucoup d’éléments tangibles que j’intègre ensuite à ma vision virtuelle, confie-t-il. Le résultat donne à croire qu’il s’agit plus que de simples objets digitaux. » Si Fu n’est pas le premier à créer ce type d’œuvres d’art animées, il est l’un de plus doués pour créer l’illusion d’un art public tangible à partir d’éléments oniriques. « Beaucoup d’artistes ont recours à des objets volants dans leurs vidéos, sans pouvoir cacher que ce sont des images de synthèse, explique-t-il. Ce n’est pas le cas avec mes créations. J’ai découvert que la préservation du cadre de l’exposition publique augmente le réalisme de l’œuvre. » Et ça marche : la marque de vêtements Zara a récemment chargé Shane Fu de transformer la façade d’un de ses magasins new-yorkais, et le résultat a fait un tabac sur les réseaux sociaux, les internautes n’en revenant pas d’avoir été dupés. « Leur réaction m’a surprise, je ne cherchais à duper personne, explique Fu, mais cela m’a tout l’air d’un compliment. Tout compte fait, c’est une orientation que je souhaite poursuivre, car plus c’est réaliste, mieux c’est. » Son compte TikTok affiche plus de 3,4 millions de likes, des collaborations avec d’autres grands noms sont dans les tuyaux et la réputation de Fu grandit de par le monde. Les personnes qui se laissent bluffer lui en tiennentelles rigueur ? « Une fois, les propriétaires de l’un des sites que j’ai utilisés m’ont contacté pour me demander de diffuser un démenti pour la vidéo à cause du nombre élevé de visiteurs qui s’y pointaient, dit-il en riant. Marrant, non ? » TikTok : @3dshane

LOU BOYD

Trompe l’œil : le Polar Museum avec ses pingouins géants ; (en bas) le distributeur de coraux.


LUNARK

Espace vital

SAGA

LOU BOYD

Les architectes Sebastian Aristotelis et ­Karl-Johan Sørensen se sont inspirés de la culture hygge (bienêtre) nordique pour créer un habitat lunaire pliable. À quoi ressemblera la vie sur la Lune ? Les architectes Sebastian Aristotelis et Karl-Johan Sørensen ont consacré ces dernières années à répondre à cette question. Cofondateurs du cabinet d’architecture spatiale SAGA, basé à Copenhague, ils ont conçu et construit Lunark, un abri pliable permettant aux humains de survivre sur l’astre de la nuit. D’un poids de 1 738 kg pour un volume compact de 2,2 m³, l’abri offre une fois déployé, un espace de 17,2 m³ capables de résister à des températures allant jusqu’à - 45 °C et à des vents atteignant 88 km/h. Grâce à sa conception en origami, il est ainsi transportable tout en offrant un généreux espace de vie. En septembre dernier, Aristotelis et Sørensen l’ont posé au nord du Groenland, où les conditions sont parmi les plus hostiles de la planète, pour y séjourner en totale autonomie pendant trois mois et mettre ainsi leur création à l’épreuve. « Nous voulions une simulation qui soit la plus réaliste possible, explique Aristotelis. Le froid, l’isolement extrême et la luminosité du Groenland sont comparables à l’environnement sur la Lune et donc un lieu idéal pour l’expérience. » Durant la conception de leur abri lunaire censé assurer l’intégrité physique et mentale des astronautes, les membres de l’équipe ont puisé leur inspiration dans leur propre pays. THE RED BULLETIN

Lunark : et si c’était sur la lune que se jouait le futur du mobil-home ?

« Certaines pratiques en design des pays nordiques s’adaptent bien à l’espace, explique Aristotelis. Les hivers rudes et l’absence de lumière du jour poussent les gens à se cloîtrer chez eux. Mais ils ont su adapter leur intérieur pour le rendre agréable à vivre. »

En s’inspirant du hygge, art danois du bien-être, l’équipe a doté l’abri d’un système d’éclairage circadien reproduisant la lumière du jour. « Nous pouvons ainsi simuler une journée du lever au coucher du soleil qui améliore grandement le moral et les fonctions cogni-

tives, explique Aristotelis. La réduction de la lumière bleue et de l’intensité lumineuse le soir venu déclenche la production d’hormones naturelles du sommeil, comme sur Terre. » L’installation du Lunark dans l’espace n’est pas pour tout de suite. Selon Aristotelis, l’expédition au Groenland a montré que des améliorations doivent encore être apportées pour que l’abri soit opérationnel. « Beaucoup reste à faire, poursuit-il. Développer l’éclairage, mais aussi enrichir la stimulation des sens avec des odeurs et des sons terriens. La combinaison de l’ensemble des éléments rendra le lever de soleil de Lunark similaire à celui de la Terre. Bientôt, nous serons même capables d’imiter un orage. » saga.dk 17


Jonathan Steuer

Qui est véritablement ce réalisateur de 18 ans dont la vie ressemble à un plan séquence ? Entre scolarité ennuyeuse et fausse identité, il a façonné sa vision de la vidéo de danse. Texte MARIE-MAXIME DRICOT

Depuis quelques mois, son pseudo s’affiche sur les smartphones de tous les danseurs à la recherche de contenus vidéo pour leurs réseaux sociaux. En décembre 2021, il réalise Wheels of Freedom, pour The Red Bulletin, un short film à la croisée du documentaire traditionnel et de l’édito de mode. Sa particularité ? Son approche et la manière dont il a su s’imposer dans le monde de la danse, alors que luimême ne sait pas se mouvoir. S’il assume complètement avoir plagié certains vidéastes comme Lamine (vidéaste et danseur de breakdance) à ses débuts, puis cumulé les artifices quant à son identité, pour pouvoir travailler de sa passion, Jonathan est parvenu, en une année, à affirmer un style unique et asseoir sa position dans le monde de la danse. Pour sûr, sa timidité et ses expressions bancroches laissent transparaître à l’image une sensibilité qui n’a pas fini de nous éblouir. Du haut de ses 18 bougies, le jeune réalisateur déjà à la tête d’une compagnie de danse nommée Outsider, nous raconte son parcours atypique. the red bulletin : Comment vous est venue l’envie de filmer la danse ? jonathan steuer : Pour deux raisons. La première, c’est que je ne savais pas danser, mais que j’avais envie de faire partie de cette communauté. J’aime entrer dans une intimité avec les danseurs, que les spectateurs ne peuvent pas atteindre. On ne peut pas regarder

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la danse avec une d ­ istance de dix centimètres, mais moi si, grâce à ma caméra. La seconde raison pour laquelle je filme la danse est assez significative. J’ai énormément de lacunes en écriture, non pas que je ne sache pas écrire, mais j’ai du mal à poser mes idées sur le papier, à écrire une histoire. La vidéo était un moyen d’échapper à cela. En travaillant avec les danseurs, j’ai découvert que l’histoire existait déjà, je pouvais alors me consacrer à 100 % sur le visuel et délaisser un peu cet aspect narratif. Mais un beau visuel ne suffit pas, il faut être complet, donc je travaille beaucoup. Quand on vous observe, on remarque que vous bougez en permanence, comme un besoin, que ça soit avec ou sans votre caméra, pourquoi ? Parce qu’on m’a empêché de bouger (rires). Pendant 17 ans, comment dire… j’ai fait un truc assez relou qui s’appelle l’école. J’y ai développé une claustrophobie à cause de la salle de classe. Quand j’étais en cours, j’étais assis et j’imaginais absolument toutes les manières de filmer cette situation pour rendre le truc dynamique. J’étais dans le cadre le plus chiant du monde, où un mec te raconte quelque chose qui ne te servira jamais… En classe, j’imaginais la caméra qui tournait autour du prof, qui tournait derrière les élèves, qui passait à travers des trousses, etc. En septembre 2021, vous avez présenté sur scène votre premier spectacle de danse filmé, avec votre compagnie Outsider, un aboutissement et le début d’un nouveau chapitre dans votre vie professionnelle. Ça fait quoi de donner naissance à son rêve ?

Quel âge aviez-vous au moment de votre première vidéo ? J’avais 15 ans. Je filmais avec un appareil photo qu’on m’avait offert et mon pseudo était Maurice Wall­ Stein, un personnage fictif. J’avais écrit une fausse biographie sur Wikipédia, car je cherchais un nom avec un enjeu. Il venait d’un village polonais qui avait subi un pogrom, puis il était parti aux États-Unis en passant par Ellis Island pour pouvoir créer son truc à lui. À l’époque je mentais sur mon âge, je disais que j’avais 22 ans… Vous souvenez-vous du premier danseur que vous avez filmé sous ce pseudo ? Oui, c’était le plus fort de mon cours de breakdance ! Un jour il a balancé une story Instagram : « Qui est chaud pour faire des vidéos » et je lui ai répondu : « Mec, j’ai fait ça toute ma vie, je m’y connais à fond, vient on le fait ! », ce qui était complètement faux. Du coup, la veille du jour J, j’ai regardé absolument toutes les vidéos de Lamine, j’ai tout analysé, pour faire au mieux à mon tour. Honnêtement, mes premières vidéos c’était du copier-coller. Et depuis, vous avez imposé votre style dans le milieu de la vidéo de danse, même les plus grands vous ont remarqué, comme Les Twins

THE RED BULLETIN

LITTLE SHAO

Bluffant

J’ai toujours voulu faire de la mise en scène, j’ai toujours voulu devenir réalisateur, même si j’avais d’autres petits rêves. Quand j’étais gamin, j’étais hyperactif, je faisais énormément de choses qui avaient pour vocation de faire rêver les gens autour de moi, comme la magie. J’ai aussi fait du piano, pendant plus de dix ans, du théâtre… J’avais intégré le conservatoire en classique et jazz mais je ne savais pas lire les notes. Ça rendait mes parents perplexes, mais ça m’a aussi permis d’avancer. Quand j’avais 12 ans, je ne savais pas faire mes lacets mais je savais jouer la Fantaisie-Impromptu de Chopin. Pour moi, c’est une question de volonté !


« Rater c’est trop cool, c’est hyper enrichissant ! » THE RED BULLETIN

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Jonathan Steuer

« J’entre en immersion avec les danseurs. » fait d’utiliser une caméra n’apporte rien, autant voir de la danse en vrai, car c’est un art vivant. En 2020, vous avez lancé la compagnie Outsider en faisant le pari d’être aussi bon sur scène qu’à l’écran. Plus que l’ambition, le risque et le challenge vous animent. L’échec, ça vous parle ? En terminale, mon prof de maths m’appelait le chômeur, maintenant je paye plus d’impôts que lui (rires). Rater c’est trop cool, c’est hyper enrichissant ! Ce n’est pas grave de rater. Une fois ce cap dépassé, tu peux te permettre de prendre des risques. Plus tu les prends tôt, plus tu es inconscient, moins tu vois leur ampleur, mieux c’est.

(jumeaux français danseurs de Beyoncé, ndlr) par exemple. Oui, un an après m’être lancé à fond, ils m’ont envoyé un message en me disant qu’il fallait que je les filme. Alors depuis, je fais presque toutes leurs vidéos. C’était hyper enrichissant de travailler avec eux ! Ils ont un point de vue commercial qui est brillant. Comment définir votre style, quand vous tournez une vidéo ? Une petite mouche qui vole au-­ dessus du danseur, puis qui se rapproche. C’est très organique. Tu ne me verras jamais avoir des mouvements robotiques, je trouve ça ennuyant et épileptique. Je fais quelque chose de flottant pour entrer en immersion avec le danseur. Si le 20

La compagnie Outsider (les deux photos du dessus) montée par Jonathan. Ci-dessus : en pleine réflexion lors d’une répétition.

Pourquoi ne pas leur avoir dit ? Parce qu’ils sabotaient mon projet par peur que je m’éloigne du chemin conventionnel, que j’ai fini par complètement rejeter. Ils sont assez conservateurs. Mais je pense que ça m’a donné une grande force, ça m’a poussé à être toujours meilleur. J’ai découvert que mon travail, je le faisais aussi par frustration, par envie de démontrer des choses. Si je n’avais pas fait ça, j’aurais peutêtre terminé en fac de médecine ou en école de commerce...

Instagram : @newartinsta THE RED BULLETIN

OUTSIDER DANCE COMPANY

Y a-t-il des personnes en particulier qui vous ont soutenu ? J’ai été entouré par les danseurs. Mes parents ne me soutiennent pas. Ils ont découvert ce que je faisais par le biais d’une interview sur France Inter… Quand je dis que j’ai fait de nombreuses vidéos pendant cinq mois, c’était dans leur dos. Quand on me posait des questions à l’époque sur ma plus grosse difficulté, dans mon développement, je répondais que c’était mes parents…


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Bearsun

Dans la peau de l’ours Jesse Larios a marché de L.A. à New York déguisé en ours. Son but : « égayer la vie des gens » . Mais avec la popularité grandissante de Bearsun, où s’arrête le rôle de la bête ? Texte TOM WARD

Photo LUIS RODRIGUEZ

Échanger avec un ours géant via Zoom est pour le moins insolite. C’est pourtant ce qui est arrivé au journaliste de The Red Bulletin en novembre 2021, en se retrouvant face aux yeux bruns et creux de Jesse Larios. L’homme de 33 ans s’est fait connaître en marchant de Los Angeles à New York vêtu d’un costume d’ours géant conçu par ses soins. Les yeux plats et poilus appartiennent en vérité à Bearsun, le personnage que le Californien a adopté pour sa longue marche, un avatar qui selon Larios, prend l’ascendant sur sa propre identité. En avril dernier, Larios (aka Bearsun) fait la Une des journaux pour son coup d’essai, une marche de deux semaines de Los Angeles à San Francisco. Trois mois plus tard, il récidive, cette fois de Los Angeles à New York qu’il atteint le 14 novembre. Désormais, sa popularité acquise sur les routes est mise au service d’associations caritatives. Des centaines de sympathisants ont soutenu Larios le long de son itinéraire de près de 4 500 km. Si tous ont vu Bearsun, rares sont ceux qui ont connu l’homme derrière l’ours. « Je retirais mon costume uniquement à l’abri des regards, expliquet-il. Nul ne savait à quoi je ressemblais. L’âge, l’origine ethnique, la religion n’avaient pas d’importance. L’art me sert à rassembler les gens. Révéler mon identité créerait des barrières. » Le succès de Larios est retentissant. À l’instant où j’écris ces lignes, son compte Instagram compte

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139 000 abonnés. Beaucoup voient en lui une célébrité et une source d’inspiration pour l’aventure. « Mon but est d’égayer la vie des gens, de leur donner le sourire », confie Larios, qui auparavant enchaînait les jobs sans intérêt avant de découvrir en Bearsun l’expression de sa fibre artistique. Larios est conscient que Bearsun prend peu à peu l’ascendant sur lui, aussi nous avons voulu savoir où se situait la limite le séparant de son alter ego et comment il envisage la suite du duo. the red bulletin : Comment Bearsun est-il né ? jesse larios : J’ai toujours aimé les films d’animation et je voulais créer mon personnage original. Bearsun est le résultat d’une collaboration avec un ami illustrateur japonais. Mon vieux chien Bear en a été l’inspiration initiale. Vous avez marché de Los Angeles à New York en 2021, et en janvier 2022, Bearsun reprend la route pour rallier cette fois Miami à Seattle. Pourquoi ? Je souhaitais un triple défi : mental, physique et spirituel. Je voulais réaliser quelque chose hors-norme. J’ai pensé que l’aventure serait ainsi amusante et exaltante à la fois. Peu de gens peuvent se targuer d’avoir littéralement traversé le pays à pied. L’idée de me connaître davantage est une autre de mes motivations.

pour 48 km de plus ! » Seuls deux ou trois pour cent des gens étaient négatifs. Je m’y attendais en portant un tel déguisement. Le costume mis à part, de quoi avez-vous souffert le plus ? De la douleur mentale et physique. La marche consumait mon corps. Je brûlais trop de calories et n’étant pas un gros mangeur, je n’arrivais pas à éviter la perte de poids. Je me forçais à ingurgiter de la nourriture. De plus, les 32 kilos de la combinaison pesaient sur mes épaules qui saignaient sous la pression du poids. Par chance, l’extérieur joyeux du déguisement empêchait les gens de voir les souffrances sur mon visage ! Quels ont été les moments de réconfort ? Beaucoup de gens m’invitaient à loger chez eux. Surtout les autochtones de la nation Navajo à qui il est impossible de dire non. Ils m’ont accompagné sur leur territoire pendant près de 640 km tout en me contant leur histoire. Où s’arrête Jesse Larios et où commence Bearsun ? Bonne question. Un animal, ça ne parle pas, ça agit. Mais moi je peux parler et je ne vais pas m’en priver. La seule règle que je m’impose est de ne jamais retirer le costume ; je dois incarner ma création. Mais à présent, le personnage a quasi englouti ma personnalité. Comment voyez-vous la suite ? Quel futur pour l’ours Bearsun ? J’aimerais réaliser un film d’animation. Mais pour ce qui est de l’aventure, je veux aller au bout de mon périple pour Seattle. J’envisage d’effectuer entre 100 et 130 km par jour. Je ne suis pas un athlète, mais je sais désormais que mes capacités sont supérieures à l’idée que je m’en fais. Je veux continuer à créer, à me dépasser et à aider les autres.

Instagram : @iambearsun

Et qu’avez-vous découvert en cours de route ? J’ai découvert que les gens bienveillants sont plus nombreux que ceux qui ne le sont pas. Le fait de les croiser m’amène à me dire : « C’est parti THE RED BULLETIN


« Je ne retire jamais mon costume. »

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Skin

« Nous étions des pionniers » Trahie par Johnny Rotten, adoubée par la Queen, conspuée par les réacs : à 54 ans, dont 25 passés à écumer les scènes, la chanteuse de Skunk Anansie est plus d’attaque que jamais. Texte WILL LAVIN

Photo TOM BARNES

Skin est de bonne humeur. Il faut dire que la chanteuse, de son vrai nom Deborah Anne Dyer, a de quoi se réjouir : son groupe Skunk Anansie se réunit pour la première fois après 19 longs mois de pause, pandémie mondiale oblige. Les quatre Anglais se sont donné rendez-vous au studio de Voltaire Road, au sudouest de Londres, pour travailler sur de nouveaux morceaux et préparer leur prochain album. Groupe phare des années 90, Skunk Anansie a marqué l’histoire du rock-pop britannique de l’époque, aux côtés de Blur et d’Oasis, tant par l’éclectisme de ses productions musicales que par la dimension volontairement engagée et politique de ses textes. Comment faire autrement avec une chanteuse aussi charismatique ? Depuis la formation du groupe en 1994, Skin séduit toujours le public avec son look androgyne, sa boule à zéro et sa voix d’écorchée vive.

Des réactions violentes

Rebelle dans l’âme, celle qui a grandi dans un quartier pauvre de Londres a toujours assumé son engagement pour les minorités opprimées : « Quand on est leader d’un groupe de rock, ça peut déplaire à beaucoup de monde », résume-t-elle aujourd’hui. « Déplaire » est ici employé comme un euphémisme poli, quand on sait toutes les critiques, les insultes, voire carrément les réactions de haine que la chanteuse a dû endurer depuis le début de sa carrière. Car le simple fait d’être

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noire, ouvertement bisexuelle et de chanter du rock a été perçu comme une provocation par certains à l’époque. Loin de se laisser intimider, Skin a sauté dans l’arène, ne cessant de dénoncer dès qu’elle en avait l’occasion – souvent dans ses chansons et en public – le racisme, le sexisme ou les injustices de toutes sortes. Les réactions furent parfois violentes : dans son autobiographie It Takes Blood and Guts (trad. « Il faut du sang et du courage ») parue en 2020, Skin raconte notamment un épisode effroyable survenu pendant la tournée australienne en 1996 avec les Sex Pistols : dans le public, des skinheads les avaient « accueillis » par un salut hitlérien en hurlant « Dégage de la scène, salope noire ! ».

Toujours au front

Au-delà de ce déversement de haine, ce qui l’a le plus marquée ce jour-là fut le silence coupable du leader des Sex Pistols, Johnny Rotten. « Je crois qu’il peut y avoir une forme de violence dans le silence » poursuit-elle, avant de s’exclamer, comme frappée par la muse : « Oh mais c’est bon, ça ! Vas-y, note-le ! » lance-t-elle à son batteur, Mark Richardson, les yeux brillants d’inspiration. Son caractère volontiers frondeur et anti-conformiste a, certes, fait d’elle une icône de la lutte pour les droits des minorités, mais n’est-ce pas épuisant, à long terme, d’être toujours au front ? Non, répond-elle, car elle n’a fait que rester fidèle à elle-même : « Je ne me suis jamais posée en victime. C’est important de rester positif, parce qu’au bout du compte, toute l’opposition que nous avons rencontrée est devenue l’une des raisons de notre succès. »

Pourquoi s’arrêter ?

Mieux encore : c’est justement sur cette authenticité, cette intégrité ­incorruptible qu’elle a bâti sa carrière. « Cela ne sert à rien de s’écraser devant un public ou des critiques juste pour avoir du succès. D’ailleurs, c’est quoi le succès ? Faire de la musique et la faire écouter – voilà ce que cela signifie, pour moi, ­réussir. » Et pour venir consacrer de la manière la plus officielle possible ce succès tant mérité, l’ancienne gamine de Brixton a reçu le titre d’« Officer of the British Empire », un ordre du mérite, décerné par la Reine en juin 2020. Elle-même se considère-t-elle comme une figure de la lutte féministe et LGBT+ ? « Rétrospectivement, c’est vrai qu’on a eu une certaine influence. Mais à l’époque, on n’en avait pas conscience, c’était juste quelque chose de complètement fou, une femme noire et lesbienne qui chante dans un groupe de rock, qui n’est pas sexy ni dans son attitude ni dans ses tenues. Alors qu’aujourd’hui, c’est cool d’être woke et de montrer du soutien aux LGBT+. Ce qui est évidemment génial ! Donc oui, je comprends maintenant que nous avons été des pionniers, dans cette histoire. » La voilà qui se lève déjà pour retourner en studio : manifestement, elle n’a pas envie de laisser traîner le projet. Quand on lui demande si elle a déjà pensé à arrêter un jour, Skin nous corrige, dans un large sourire : « La question est plutôt : quand faut-il arrêter, et comment ? Et puis franchement, pourquoi est-ce que je devrais m’arrêter un jour ? »

Skunk Anansie en concert en France, au Casino de Paris, le 29 mars 2022 ; skunkanansie.com

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« Ne vous écrasez devant personne. » THE RED BULLETIN

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Dans l’action

GRANT GUNDERSON est l’un des photographes de sports de montagne les plus talentueux. Au-delà d’un certain niveau en ski, cette activité exige une relation de travail saine avec trois collaborateurs essentiels : l’appareil photo, l’athlète et la nature. Texte TRISTAN KENNEDY

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Grant Gunderson

Page précédente : Bryce Philips à Alta, Utah, mars 2008

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rant Gunderson est natif de l’État de Washington, aux ÉtatsUnis, une région réputée pour ses abondantes chutes de neige. Il a pratiquement appris à skier avant de savoir marcher. Ainsi, lorsqu’à l’adolescence il a pris un appareil photo, le thème des montagnes s’est imposé à lui comme une évidence. Aujourd’hui, à 42 ans, avec plus de 250 couvertures de magazines à son actif, sa fascination pour celles-ci n’a pas diminué. Pour une raison simple : « Il n’y a jamais deux jours pareils, dit Gunderson. La photo de ski est soumise aux conditions météorologiques. » Le rédacteur en chef fondateur du ­magazine The Ski Journal et photographe principal de Powder aime aussi mélanger ses techniques : recourir aux flashs de ­studio dans des environnements alpins ­impitoyables ou trouver des angles que d’autres photographes n’oseraient pas, dans le but de créer des images exclusives et saisissantes. Relax. Laissez cet expert vous plonger dans des moments de montagne parmi les plus intenses jamais documentés.

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« Cette photo a été prise en combinant le flash – pour saisir en une fraction de seconde le passage du skieur – et une exposition de trois heures pour obtenir ces traînées d’étoiles. Elle a été réalisée dans le cadre du concours Ski Salt Lake Shootout où des photographes de tout le pays sont invités à prendre des photos dans des stations proches de Salt Lake City pendant une semaine. Cette photo a remporté le premier prix et est devenue une couverture de Ski Magazine. Le défi avec une photo comme celle-ci est que vous n’avez qu’une seule chance. Vous restez là pendant trois heures, par des températures très froides, et vous ne savez pas si vous avez réussi. »

Cody Townsend à Seward, Alaska, avril 2013 « Je travaillais avec la société de films de ski Matchstick Productions et cela s’est avéré être un voyage unique, mais pas forcément pour les bonnes raisons. Nous avions les meilleures conditions que j’ai jamais eues en Alaska : une neige stable, de bonnes températures. Tout était parfait. Puis, les deux premiers jours, deux skieurs sur trois, dont Cody, se sont blessés. Le lendemain de la séance photo, il s’est blessé au genou. Ce qui ressemble à une avalanche est en fait la neige remuée par un skieur. En Alaska, les pentes parcourues par ces types sont si énormes que ce qui n’est qu’un remous devient très important lorsqu’il arrive en bas. Je me suis assis sur une autre crête pour photographier cela. C’était génial, parce que j’ai pu descendre en skiant après. » THE RED BULLETIN




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Mark Abma à Revelstoke, Colombie-Britannique, février 2013 « Lorsque j’ai commencé à faire de la photo de ski, je me suis dit que tant que je pourrais créer des images qui donnent envie aux gens de passer du temps en montagne, je serais pertinent. Lorsque l’équipe et moi avons vu ces coussins de neige, j’ai su qu’elles seraient de celles-là : nous voulions tous les parcourir. J’ai pris la photo en noir et blanc car elle fait très bien ressortir la texture de la neige. Pour moi, cette photo était assez simple à réaliser, mais pour Mark, c’était une autre ­affaire : la trajectoire tourne beaucoup sur elle-même et il ne voyait donc rien en la parcourant. Il a lancé plusieurs balles de neige pour que nous puissions voir dans quelle direction il pensait aller, mais avec de tels coussins, une fois que les athlètes s’y lancent, ils deviennent comme une boule de flipper. »

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« Les amis perdus à cause des avalanches au fil des ans ne m’ont jamais quitté. »

the red bulletin : Qu’est-ce qui vous a attiré vers la photographie de ski ? grant gunderson : J’ai commencé à photographier mes amis en train de skier au lycée, quand j’avais 16 ou 17 ans. Ce qui m’a attiré à l’époque est ce qui m’attire encore aujourd’hui. Chaque fois que je sors, même si c’est une piste de ski que j’ai photographiée des milliers de fois, c’est toujours différent. La neige est différente, le vent est différent, les températures sont différentes, donc cela représente toujours un nouveau défi. Votre ski influence-t-il votre photo ? Je crois fermement qu’il faut participer activement à ce que l’on veut photographier. C’est une affaire de collaboration plus qu’autre chose. Il faut une grande confiance entre l’athlète et le photographe d’autant que, la plupart du temps, le rider se trouve sur une falaise ou une pente et ne sait pas où il va, il est aveugle. Il doit faire confiance au photographe pour déterminer une trajectoire et ne pas le faire passer à un endroit où il risque de se blesser.

j’ai perdu pas mal d’amis dans des avalanches au fil des ans. Leurs souvenirs ne m’ont jamais quitté. Quand je regarde les risques que je prends maintenant par rapport à mes débuts, il est beaucoup plus ­facile maintenant de dire non et de laisser tomber. Il est aussi plus facile pour moi de dire aux riders : « Non, on ne le fait pas. » Comment votre façon de travailler a-t-elle changé au fil des ans ? Lorsque je suis passé de la photo argentique au numérique, je n’arrivais pas à ­obtenir les mêmes effets qu’avec mon « livre de recettes » pour l’argentique, alors j’ai commencé à apporter ces flashs de studio dans le backcountry. J’ai vraiment aimé ça, mais avec l’évolution du marché, ce n’est plus aussi payant qu’avant.

Avez-vous vécu des situations délicates en suivant des skieurs ? J’ai été pris dans une avalanche il y a quelques années, le jour de l’ouverture de la saison à ma station locale, au mont Baker. J’aidais la station de ski à s’installer, je me suis rendu sur le bord d’une falaise et tout a cédé sous moi. J’ai fait une sacrée chute à travers les escarpements et les rochers. Environ trente mètres. Je n’ai été enterré que jusqu’à la taille, mais j’ai eu la cheville fracturée en sept endroits. Cela a-t-il changé votre façon d’évaluer les risques ? C’est un rappel brutal des dangers. Je ­pratique le ski depuis si longtemps que 32

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Avez-vous l’impression que les goûts ont changé ? Oui, mais aussi le marché lui-même. Quand j’ai commencé, tant que j’avais une ou deux très bonnes photos par semaine, je m’en sortais bien, parce que c’était de la publicité haut de gamme pour les magazines. Aujourd’hui, le marché, c’est du volume : je vends plus de photos que jamais, mais on ne parle que de quelques centaines de dollars pour les réseaux sociaux contre quelques milliers pour une publicité dans un magazine. Cela a-t-il influencé le temps que vous passez sur une photo ? Oui, et aussi sa qualité. À l’époque, quand je prenais un magazine, je pouvais après coup me souvenir de presque toutes les photos qu’il contenait. Maintenant, quand je parcours Instagram, je THE RED BULLETIN

fais défiler mille photos et je ne sais pas si je me souviendrai d’une seule. Un contenu sélectionné est toujours bon, car il sépare le déchet. C’est la ­raison pour laquelle beaucoup de gens sont épuisés par les réseaux sociaux, parce qu’il faut passer par beaucoup de choses pour voir ce qui, à mon avis, vaut la peine d’être vu. Aimeriez-vous pouvoir simplement skier sans avoir à faire des photos ? Ça n’arrive pas aussi souvent que je le voudrais. Je ne peux pas vraiment me plaindre. Quand on me demande ce qu’il y a de pire dans mon travail, je réponds : « Je dois skier avec un sac photo. » Mais la première partie de cette phrase est « je dois skier », ce qui est plutôt bien.

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Mission amphibie à Portillo, Chili, ­septembre 2012 « Portillo est haut perché dans les Andes, sur le col entre le Chili et l’Argentine. En 2019, le lac était gelé, nous pouvions donc accéder à tout ce terrain de ski de rando en arrière-plan. Mais cette annéelà, il n’y avait pas de neige et le lac n’était pas gelé, donc nous n’avions de toutes façons aucun accès… sauf ces kayaks ! Lorsque j’ai pris cette photo le matin, ce n’était pas si mal, mais au retour, le temps s’était réchauffé et il y avait de grosses avalanches qui ­finissaient dans le lac et créaient des vagues. Un peu chaud, avec tout mon matos photo à bord. » 33


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James Heim et ­ ichelle Parker à M ­Bariloche, Argentine, août 2012 « Ce jour-là, notre objectif était de faire une randonnée jusqu’à ce chouette refuge de montagne, mais les nuages se sont séparés et je me suis dit que je devais prendre une photo. La perspective de James et Michelle, de la montagne, puis de la station avec les skieurs minuscules sur les pistes en contrebas, c’est ce qui fait la différence. J’aime les stations de ski, mais ce qui est encore mieux, c’est de s’en servir pour accéder à d’autres lieux et de s’éloigner des foules. »

Mark Abma au mont Baker, État de Washington, ­février 2011

Joe Schuster à Whistler, Colombie-­ Britannique, décembre 2012 « Ski en traîneau avec une motoneige afin d’accéder à un backcountry autrement inaccessible lors d’une rare journée de poudreuse Bluebird ensoleillée et sans nuage dans le Nord-Ouest. Ces journées sont rares, et spectaculaires. Comme nous sommes proches du Pacifique, il y a un manteau neigeux maritime, très chargé d’humidité. La neige adhère ici à des pentes plus raides que partout ailleurs. Vous pouvez skier sur des pentes dont vous n’auriez jamais rêvé en Europe ou à l’intérieur des États-Unis. »

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« Les teams de snowboard ont l’habitude de créer des kickers à cet endroit, et beaucoup de skieurs le font aussi à présent. La zone est habituellement ­appelée “Grandma’s”, mais à chaque fois qu’un nouveau groupe de kids vient rider par ici, les noms changent. Nous avons construit ce saut une ­semaine auparavant et sommes partis à la chasse aux tempêtes. Nous étions de l’autre côté de l’État quand nous avons vu qu’il était prévu que le ciel soit dégagé à Baker. Nous avons alors fait demi-­ tour et sommes arrivés juste au moment où le soleil passait derrière la montagne. Je n’ai pris que cette photo, le lendemain, c’était encore plus fou. » THE RED BULLETIN



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Adam Ü à Revelstoke, Colombie-­ Britannique, décembre 2009 « Comme le domaine skiable est situé au-dessus de la vallée du fleuve Columbia et qu’il y a beaucoup de dénivelé, les conditions météorologiques sont différentes selon que l’on se trouve en haut ou en bas de la vallée. En sept jours, nous avons généré quelque chose comme trente couvertures de magazines. Cette seule photo a figuré sur quinze d’entre elles environ. Adam et moi avons une très bonne relation – et, oui, son nom de ­famille est bien un U avec un tréma. ­Apparemment, son arrière-grand-père était un importateur d’opium et il en avait assez d’écrire son nom de famille aux douaniers, alors il a commencé à ­dessiner un happy face. »


Dana Flahr au mont Baker, État de Washington, janvier 2008 « Le road gap (une route à franchir en ski, ndlr) du mont Baker est un endroit super connu de ma montagne natale. Pour ­autant que je sache, la seule autre fois où il a été photographié avec un skieur de nuit, c’était par mon copain Sean ­O’Gorman. Il l’a fait pendant la pleine lune et s’est cassé la hanche. Cette fois-ci, nous venions d’avoir une journée de poudreuse exceptionnelle, Dana était en pleine forme et il voulait faire un autre big air. Nous avons installé les flashs au moment où tous les véhicules du domaine skiable redescendaient. Le fait que le pick-up en mouvement se trouve à l’endroit parfait n’est attribuable qu’à la chance. »

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Mattias Evangelista à North ­ ascade Heli-Skiing, État de C ­Washington, mars 2016

KC Deane au mont Baker, État de Washington, avril 2011 « J’ai scotché mon appareil photo à la main de mon copain KC, je l’ai envoyé sur le road gap du mont Baker et je l’ai déclenché à distance. Il a réussi à atterrir, mais ses mains sont allées en avant et ont heurté sa genouillère, ce qui m’a coûté une lentille. Le remplacement a coûté environ 800 dollars, mais cela ne m’a pas empêché de réessayer. KC est également un vététiste professionnel, et j’ai fait un truc similaire avec lui et le vététiste anglais Sam Pilgrim sur le parcours de Nine Knights, en Autriche. Cette photo a fait la couverture d’un magazine en Europe, mais n’a jamais été publiée aux États-Unis. Cela m’a étonné mais je pense que c’est probablement parce que les mags américains n’aimaient pas les autocollants des marques sur son casque. » THE RED BULLETIN

« Il y a des couloirs vraiment cool à North ­ ascade, et Mattias poursuit ici l’un de ses C potes dans l’un d’eux. Il n’y avait pas de bon angle pour le photographier, alors j’ai pris mon Canon EOS 1DX et je l’ai attaché à sa poitrine. J’ai skié derrière, en déclenchant l’appareil à distance. On voit des angles vidéo similaires avec les GoPro, mais je n’avais jamais vu une bonne photo comme celle-ci, du moins pas à la résolution que je voudrais. Le 1DX est assez lourd (1,34 kg, plus l’objectif, ndlr), il est donc plus lourd pour l’athlète qu’une GoPro. C’est aussi un investissement plus important pour le photographe : il faut faire confiance aux athlètes pour ne pas tout faire foirer. »

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Faire tomber les murs La peur, le stress, les chutes, l’ennui, les rampes trop courtes et les livreurs de pizza mal placés : autant d’obstacles que BAS KEEP, légende anglaise du BMX, a affrontés pour sa dernière aventure filmée. Texte MATT RAY et TOM GUISE

Photos EISA BAKOS


Bas Keep en mode « More Walls » dans un parking de Birmingham en septembre 2019.

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Bas Keep

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uand il avait 11 ans, Sebastian « Bas » Keep a fait une découverte qui allait changer sa vie : « J’avais un BMX plutôt old school, un Raleigh Burner, et j’étais toujours en quête de nouvelles pentes à dévaler à toute berzingue, parce que c’était ce qu’on faisait à l’époque sur un BMX, se rappelle le pilote britannique, aujourd’hui âgé de 38 ans. Et puis mon frère et ses potes ont débarqué un jour à la maison, tout excités. Ils venaient de tomber sur un machin dément, et nous sommes tous partis voir ce que c’était. » Ce « machin » se trouvait dans les environs de sa ville natale, Hastings (au sudest de l’Angleterre) et Keep se souvient avoir été scotché par ce qu’il découvrit ce jour-là : « Au détour d’une petite route de campagne, au beau milieu d’une arrièrecour d’usine, il y avait cette énorme structure faite de bois et de métal qui ressemblait à la coque d’un gros bateau. Ce truc était là depuis plus de trente ans et on ne s’en était jamais aperçu. À 11 ans, je

croyais tout savoir du monde qui m’entourait, mais là, j’avais l’impression qu’on avait voulu nous cacher ça. Pour quelle raison ? Pourquoi on n’en avait pas parlé à la télé ? Bref, on venait de découvrir un OVNI. » Il ne s’agissait évidemment pas d’un vaisseau spatial mais d’une rampe, baptisée Crowhurst Bowl : « Un type du village voisin, Dennis, l’avait construite pour occuper les gamins du coin qui voulaient faire du skate, se souvient-il. Même vide, c’était quelque chose de très impressionnant. Je ne sais pas si vous avez déjà vu une vert ramp (une rampe verticale, ndlr), mais celle-ci faisait trois mètres de haut et elle était vraiment verticale, du genre à faire peur. Impossible d’imaginer des mecs monter là-dessus. » Ce que le jeune Sebastian Keep ne savait pas alors, c’est que cette découverte était le début d’un long voyage, qui allait le mener au sommet du BMX et faire de lui l’un des plus grands riders

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Le BMX selon Bas Keep : « J’aime les tricks bien faits, bien hauts, et qui terminent en douceur. »


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Bas Keep

Hey, Bas Keep, ça fait quoi, de se prendre un mur ? « Après le saut, il y a un instant où le vélo s’arrête, juste avant de plonger – cette sensation dans le ventre, c’est comme sur des montagnes russes. » Voilà comment Bas Keep explique un wall ride, qu’il semble maîtriser sans effort… en apparence. Car on s’en doute, le jump-to-vert est évidemment un processus complexe. 1. La lancée « C’est là que le plus difficile se fait : à savoir la décision, dans ta tête, de surmonter la peur. Tu ne peux pas regarder en-dessous, donc tu te concentres sur le mur au-­ dessus et tu te fais confiance. C’est un véritable défi mental. » 2. En l’air « À ce stade-là, tu peux déjà ­deviner l’issue de ton saut : soit tu termines en beauté, soit tu te vautres. »

de cette discipline. Mais pour le moment, en 1994, « on ne savait même pas qu’on pouvait faire des backflips avec nos vélos. À cette époque, je m’ennuyais ferme et pour passer le temps, je jouais au foot et j’allais énerver les gars qui bossaient sur le parking du supermarché du coin. J’avais besoin d’un truc qui vienne étancher ma soif d’aventures : cette rampe est venue combler quelque chose qui manquait dans ma vie et m’a ouvert un autre univers social. J’ai rencontré des types qui nous ont ouvert leur monde, nous ont encouragés, nous ont appris à maîtriser une rampe. Les autres gamins du coin n’étaient pas aussi sympas ». Au bout d’un an, « Bas » maîtrise son premier backflip. « On n’avait jamais vu ça à l’époque, un gosse de mon âge capable de faire un trick comme ça. Je suis devenu une petite célébrité locale. Et puis à partir des années 2000, le BMX a explosé. »

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etour vers le futur, en 2019 plus exactement, par une matinée froide de septembre : il est 8 heures du matin et nous retrouvons Bas Keep à ­Birmingham, au deuxième étage de S ­ elf­ ridges, un parking à étages. Son BMX en main, il est en train d’observer une petite rampe qui part vers l’extérieur. De l’autre côté : un espace pas plus grand que son spot de lancement, puis un pilier en béton qui s’élève du niveau inférieur. L’homme est comme en transe, guettant des yeux l’instant où les voitures s’ar-

rêtent, puis le silence se fait et le seul bruit qui reste à entendre est celui du battement de la barrière rouge et blanche qui monte et s’abaisse au rythme des bagnoles. Tout à coup, il s’élance, le regard toujours fixé devant son objectif. Propulsé au-dessus du vide, son BMX tournoie sur lui-même à 360 °, atterrit dans un claquement retentissant sur le pilier, où il reste prostré un court instant avant de dévaler la vert, la descente à pic qui se déroule devant lui. Une fois en bas, une autre rampe est censée ramener le pilote dans l’autre sens, mais la course ne se passe pas comme prévu : tout à coup, le pilote semble perdre le contrôle de sa monture et vient s’écraser en bas comme un sac de ciment trop lourd. Aussitôt, l’équipe accourt vers le champion de BMX qui reste allongé sur le sol, encore surpris de sa chute. « Merde, je ne m’y attendais pas ! », s’exclame-t-il en se relevant, visiblement sonné. Passé la surprise, il reprend vite ses esprits. Une petite rotation des épaules, quelques tours à travers le garage, et le voilà reparti comme si de rien n’était.

« Je veux mettre mes roues là où ­personne ne les a jamais mises. »

3. La verticale, ou vert « Une fois tout en haut, il faut se préparer pour l’atterrissage en alignant le vélo face au mur. Sans être trop proche, mais sans le rater non plus, au risque d’aller s’aplatir en bas. » 4. Et voilà ! « Un sentiment bizarre de soulagement et de déception : c’est déjà fini ! »

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« Gamin, je passais mon temps à me ­jeter en vélo : ça m’a coûté pas mal de fractures. »


Bas Keep

Quand on lui demande ce qu’il s’est passé, il répond sans hésiter : « Le set-up a mal été évalué, il y avait presque un mètre de plus que prévu, et ça m’a surpris. Du coup, j’étais trop tendu, avec une verticale qui en plus tombait vraiment à pic… Bref, le cocktail idéal pour une catastrophe. » Si Bas Keep surprend par sa finesse d’analyse, c’est qu’il a de l’expérience en la matière : en 2017, il a sorti Walls, une vidéo tournée à l’arrache et sans permis, balancée comme une claque à un public qui n’avait jusqu’alors rien vu de semblable. On y voyait Bas Keep faire glisser sa monture sur toutes sortes d’obstacles et de reliefs dans le décor urbain des villes britanniques. Deux ans et quatorze millions de vues plus tard, le rider anglais veut remettre le couvert en passant à la vitesse supérieure : avec More Walls, il a voulu quelque chose d’encore THE RED BULLETIN

« Avoir peur est normal. Il faut apprendre à en faire une force. » plus fou, d’encore plus audacieux. « Les gens me disent : “Tu ne peux pas refaire ça, on peut pas aller plus loin”, mais je leur réponds qu’on peut toujours aller plus loin – il y a tellement de bâtiments qui attendent d’être explorés ! Ce que je veux, c’est aller mettre mes roues là où personne ne les a encore jamais mises. » Ce nouveau film n’est pas là pour prouver au monde ce que son auteur est capable de faire : la consécration ultime, Bas Keep l’a déjà reçue en décembre

2011 lorsque le magazine britannique Ride lui a décerné un prix pour « l’œuvre de sa vie », récompensant les nombreuses victoires qu’il a amassées pendant plus de dix ans. Il avait alors 29 ans. « C’était plutôt flatteur et en même temps un peu bizarre. Dans mon discours, j’ai dit qu’on essayait de se débarrasser de moi. Normalement, en sport, passés 30 ans, on vous fait comprendre qu’il serait temps de passer la main. C’est vraiment dommage d’avoir cette vue de l’esprit, parce qu’on n’est pas dans la Ligue des Champions, ici. Ce sport est avant tout un mode de vie, un moyen d’expression. Et c’est pour ça que je suis toujours là. » Raccrocher, passer à autre chose… La première fois qu’il y a sérieusement pensé, Bas Keep était encore adolescent, il venait de souffler ses 16 bougies. « J’ai dit à mes amis que j’allais laisser tomber le BMX et me trouver un vrai boulot. J’ai bossé dans une usine de meubles pendant quelques années, puis dans un centre de distribution de BMX, mais c’est aussi à cette période que j’ai commencé à être invité de plus en plus fréquemment à des compétitions. J’ai alors décidé de tout quitter pour m’y consacrer à plein temps. Mon rêve devenait réalité. » Avec une envie très forte que le BMX, sa passion, parle à davantage de gens. « Un peu comme ce que fait Brian Cox : ce scientifique vulgarise la théorie quantique et l’univers de telle façon que tout le monde est en mesure de les comprendre. Il met tout ça à notre niveau, et c’est ce que j’ai voulu faire avec le BMX : quand tu fais un saut, ça ne paraît pas forcément impressionnant, mais si tu le places dans un décor que les gens connaissent, par exemple sur un bus ou dans un centreville, ça a beaucoup plus d’impact. » L’année suivant celle du fameux prix du magazine Ride, il y eut une autre consécration, d’un tout autre genre : le grand événement BMX organisé par Red Bull au Grand Palais, à Paris, le Red Bull Skylines. Pour Bas Keep, ce fut une révélation : « On n’avait sans doute jamais autant investi dans une compétition de BMX, c’était vraiment magnifique à regarder. Nate Wessel, qui conçoit des parcours BMX géniaux, avait eu carte blanche pour faire tout ce qui lui passait par la tête. C’est là que j’ai eu l’idée du premier Walls. Je voulais faire la même chose, mais dans une vraie ville, et je savais que j’allais y arriver : la seule difficulté était d’installer des rampes à l’extérieur sans se faire choper. » 47


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hangement de décor : nous retrouvons Keep et son équipe dans leur QG, un entrepôt sombre infesté de rats, quelque part dans la banlieue de Birmingham. Entre les murs couverts de graffiti, exposée aux courants d’air, une déco spartiate : des sièges provenant d’un vieux Ford Transit et un énorme haut-parleur Bluetooth. Trônant au beau milieu de ce royaume improbable, une imposante plateforme d’où partent deux rampes. Sur l’un des murs de la rampe, une bande de ruban adhésif orange marque la limite à ne pas dépasser sous peine de terminer à la morgue : 5 mètres. Et c’est là que l’intuition du rider se conjugue à son expertise, même si Bas Keep avoue considérer la construction de rampes davantage comme un art que comme une science : « Personne ici ne s’y connaît en physique. On se repère en fonction des traces de pneus. » Une méthode qui peut sembler complètement bancale, même s’il faut bien reconnaître que la préparation de More Walls a été d’un professionnalisme exemplaire, en comparaison du bricolage improvisé que fut la réalisation du premier opus en 2017 : « Pour Walls, on portait des vestes de chantier, et du coup personne ne venait nous déranger. Ça a fonctionné à merveille, les gens ne nous regardaient même pas. » Un camouflage bienvenu, mais qui ne dispensait pas l’équipe de devoir arriver à l’aube pour tout installer le plus vite possible. Cette fois-ci, le rider anglais et son équipe ont préféré faire les choses dans l’ordre : « On a reçu l’autorisation de tourner quelques heures sur chaque spot, tout est en règle et je préfère ça, parce que la dernière fois, c’était beaucoup plus stressant. Il y a eu par exemple ce livreur de pizza qui est passé avec son scooter pile au moment où j’étais audessus de sa tête en train de faire un saut. Quand j’ai atterri devant lui, le mec s’est arrêté, il m’a regardé, et il est reparti, tranquille. Donc là, c’est cool de savoir que je ne vais pas devoir voler au-dessus d’un livreur de pizza. » La préparation en amont ne fut pas qu’administrative : « J’ai voulu consulter un psychologue du sport. Le projet me stressait un peu, compte tenu du défi que cela représentait. Tous les riders de BMX connaissent ça : cette peur de faire quelque chose qui pourrait potentiellement te blesser. » Le fait d’avoir un planning aussi peu flexible ajoute à la difficulté : « Il est prévu que tu sautes de ce 48

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Bas Keep

« Ado, je voulais laisser tomber le BMX et trouver un vrai boulot. »

« Cette lumière grise et maussade, ça me plaît. » Bas Keep a choisi de tourner toute sa vidéo au Royaume-Uni.

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pont le 25 octobre à telle heure, que tu le veuilles ou non. Or, ce n’est pas du tout comme ça que nous fonctionnons ! C’est comme de tirer un penalty : plus tu y penses, plus tu as de chances de le foirer. Mais le psy m’a dit que la peur est quelque chose de normal. Il faut juste comprendre qu’on peut s’en servir et en faire une force : oui, j’ai peur, mais je suis en même temps très excité et bien préparé. Cela m’a beaucoup aidé. » Une démarche qui lui a aussi permis de mieux accepter le coup d’arrêt brutal du projet et la pause forcée de toute une année, à cause de la pandémie et des confinements successifs. « Je l’ai plutôt bien pris. On ne peut pas gaspiller son énergie à s’inquiéter pour des trucs qui ne dépendent pas de nous. Je préfère tourner ce film en cinq ans plutôt que de le bâcler. » Cette pause inattendue a même été salutaire : papa d’un petit garçon – prénommé Wilson – depuis 2018, il a pu profiter de son nouveau rôle comme il le souhaitait. « On n’en apprend jamais autant sur soi-même que lorsqu’on devient père. Ça nous rend plus prudent. À présent, je n’ai plus peur de dire : “Les gars, je le sens pas.” Peut-être que c’est ce qui m’a détourné de ma carrière… ou c’est justement ce qui me fait apprécier mon travail encore plus, parce que je peux enfin m’en détacher de temps à autre. » Être papa est aussi l’occasion pour Keep de faire son introspection : « Ta propre enfance te revient à l’esprit, tu te souviens de comment tu étais. Pour mon fils, tout est nouveau, par exemple la ­première fois qu’il a vu une voiture de police, c’était un événement, et du coup, ça l’a été aussi pour moi. Tu réalises à quel point tu es capable d’aimer quelqu’un, et tu ressens aussi plus d’amour pour tes propres parents. C’est un réel apaisement. » Légende vivante du BMX, l’Anglais est bien décidé à préparer la relève, et c’est dans ce but qu’il a fondé sa propre compagnie, Tall Order BMX, en 2016 : « On conçoit des produits destinés uniquement

aux rampes et transitions, ce qui fait de notre business une toute petite niche. Là où il y a des sous, c’est dans le street, mais je n’ai jamais vraiment été un street rider. Et puis, contrairement à la plupart des boîtes qui préfèrent sponsoriser des grosses pointures, je choisis des gamins qui sont certes prometteurs mais qui n’en sont qu’à leurs débuts. Les gens sont surpris de voir à quel point on se soutient les uns les autres, et quand j’ai commencé, ça m’a fait le même effet. Mais c’est le propre de la communauté BMX : si tu te lances demain, je serai 100 % derrière toi, et tu feras exactement pareil. C’est très excitant de les voir s’éclater comme toi à leur âge. »

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l y a une vidéo sur YouTube qui illustre parfaitement le credo de Bas Keep et de sa communauté : on le voit avec un gosse, Connor, dans un bike park. « C’est un gamin génial qui adore faire du vélo, mais qui habite aussi dans l’un des endroits les plus pauvres du pays. Le vélo avec lequel il essayait de faire ses tricks était pété de partout, il aurait fallu le rafistoler mais c’est difficile, il faut des outils spéciaux. Je l’ai vu au bike park et je me suis dit qu’il fallait absolument l’aider. On lui a donné un vélo et quand on lui a demandé ce qu’il ferait de son vieux vélo, il a répondu qu’il le donnerait à sa sœur parce qu’elle a envie de s’y mettre. » La vidéo affiche aujourd’hui près de 3,5 millions de vues. « Mais je ne voulais pas que les gens croient que c’était dans ce but… Et puis j’ai contacté la mère du garçon pour m’assurer que cette action ne l’avait pas dérangée. » Retour au parking à étages du centre commercial Selfridges de Birmingham, où l’équipe de More Walls se prépare à une nouvelle tentative. Entre-temps, Bas Keep n’aura cessé d’enchaîner les tours à vélo, comme pour exorciser la douleur de sa chute : « Il ne faut pas laisser de place au doute », explique-t-il en reprenant son souffle. Presque aussitôt après, le voilà de nouveau sur la rampe, pour un nouvel essai. Cette fois-ci, tout est beaucoup plus synchronisé : on arrive à peine à distinguer les traces de pneus des différents essais, tant ils s’enchaînent au centimètre près. « Une fois que tu es dans l’action, tout va bien. C’est comme de la mémoire musculaire. »

Pour sauter avec Bas Keep dans More Walls, scannez le QR code. 49


Un flow : avec deux titres olympiques en snowboardcross, Pierre Vaultier est l’un des athlètes français sur neige les plus établis. Mais tout ne fut pas si facile.


L’inarrêtable PIERRE VAULTIER vient d’offrir au monde sa nouvelle performance en vidéo : le projet Reshapes. Le champion de snowboardcross raconte comment sa volonté de rider n’a jamais diminué, alors qu’on lui recommandait de tout stopper, ou qu’un genou quelque peu amélioré l’éloignait de la compétition. Et il révèle son secret : les micro-objectifs.

DOMDAHER/RED BULL CONTENT POOL

Texte PH CAMY

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Pierre Vaultier

« Je ne sais plus rider, c’est mort ! » Et vous avez repris la compétition, finalement ? Aux championnats du monde, je fais quatrième, bam ! Quelques mois plus tard, je remporte à nouveau une coupe du monde. C’était reparti : en avant ! J’ai réussi à reprendre, mais ça n’a pas été facile.

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ierre Vaultier n’aurait jamais dû remporter l’or aux JO de Sotchi en 2014 et de Pyeongchang en 2018. Ni certains de ses multiples titres (un mondial, et 6 fois le globe de cristal en coupe du Monde). En 2012, quand un chirurgien lui annonce que sa carrière de sportif de haut niveau est potentiellement foutue, le jeune natif de Serre ­Chevalier de 34 ans ne peut s’y résoudre. Comme il n’a jamais pu se résigner à remiser sa board quand des difficultés extrêmes se sont présentées durant toute sa carrière. Découvrez la méthode ­Vaultier pour toujours vous relever.

the red bulletin : Expliquez-nous pourquoi vous auriez dû vous retirer du sport de haut niveau en 2012 ? pierre vaultier : J’étais en Italie, sur une Coupe du monde, et je me fracasse la cheville. On me remonte sur Lyon, où je rencontre le chirurgien Bertrand Sonnery-­ Cottet, qui me dit : « Ta cheville n’est pas belle du tout. Tu auras de la chance si tu remarches normalement un jour. Tu fais encore des études ? C’est bien, parce que le sport, pour toi, c’est foutu. » Il a été cash. J’avais 24 ans, c’était désastreux. Pourtant malgré ce diagnostic dramatique, vous avez continué... Je me suis dit : « Ça ne va se passer comme ça ! » Ça a décuplé ma motivation 52

et ma persévérance : je me suis engagé à fond ! Depuis cette annonce jusqu’à mon retour sur la neige, j’ai gardé le cap. C’était l’approche à avoir. Que s’est-il passé concrètement ? Une opération, parfaitement menée par ce même chirurgien, qui a fait un boulot de fou. Et quatre mois et demi de béquille, avec interdiction de poser le pied par terre… Puis je me remets à marcher un peu, et une deuxième opération pour enlever les vis car il y en avait du bardas là-dedans ! Et enfin, j’entame six mois de rééducation, et je repars enfin sur la neige. Et là, je ne sais plus rider ! C’est mort ! Ça a fait très mal. Comme un débutant. Pas de sensations. Rien ! Comment le snowboardeur pro que vous étiez à l’époque ne pouvait-il plus rider ? Je ne savais plus faire un virage… J’étais avec mon coach physique qui me disait que c’était normal. C’est là qu’il faut souligner l’importance de l’entourage, se reposer sur des gens qui ont la compétence et l’expérience, c’est extrêmement important. Il m’a dit : « Tu vas voir, tu vas faire une piste, ça n’ira pas, et puis tu vas faire deux pistes et ça ira va un peu mieux, et dans trois jours tu n’imagines même pas le niveau que tu vas pouvoir reprendre. » Je me suis laissé guider.

Quand vous ressentez que vous ne savez plus rider, quels sont alors vos micro-objectifs ? Reprendre du feeling sous les pieds. Savoir apprécier la moindre petite information que tu peux récupérer, le petit saut en avant que tu vas arriver à faire, pas à pas. Vos galères auraient pu s’arrêter là, mais en 2013, vous remettez ça… En décembre 2013, je me fais une rupture du ligament croisé antérieur, deux mois avant les JO. Et là, c’est mal barré, évidemment. Si je me fais opérer, c’est parti pour 9 mois avant de rider à nouveau. Pas possible ! Mon chirurgien, le même qu’en 2012, me dit : « Tu as une rupture isolée de ton ligament, mais tu peux tenter d’aller aux Jeux avec une attelle… » Son histoire d’attelle me plaît à mort, je signe direct ! Quelles que soient les conséquences, j’y vais. Sans mauvais jeu de mots, ça paraissait bancal… Oui, mais ça fait quand même quatre ans que je me prépare pour ça. Et là, les règles du jeu changent totalement, je ne vais plus aux JO en mode « Je vais tout fracasser ». Je pars de zéro, en vrac, et il faut que je construise là-dessus en un temps vraiment très serré. Comment ? Dix jours avant de partir à Sotchi je ne savais pas si je partais, cinq jours avant THE RED BULLETIN

TEDDY MORELLEC/RED BULL CONTENT POOL, DOM DAHER/RED BULL CONTENT POOL

Rayonnant : malgré les embûches, Pierre est toujours resté un athlète positif.

Quel a été votre schéma mental depuis ce premier jour de béquille jusqu’à votre retour en compétition ? Chaque jour, il faut te fixer un objectif. Et t’en contenter, t’en satisfaire. C’est très important de capitaliser sur des petits épisodes, sur des micro-objectifs, et arriver à positiver à chaque étape réussie.


En 2012, pour revenir à son meilleur niveau, Pierre a dû réapprendre le snowboard, tel un débutant.

« Il n’y a que la victoire pour nous faire oublier que nous ne sommes pas parfaits. »


En haut : Pierre Vaultier à Serre Chevalier, en janvier 2019, sur le tournage de Shapes, une vidéo dans laquelle il a voulu transmettre l’essence du snowboard. Sa nouvelle vidéo, Reshapes, sort très prochainement. En bas : ce pourquoi Pierre a surmonté toutes les difficultés. Le plaisir du ride.

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Pierre Vaultier

de courir, je ne savais pas si je pouvais courir, deux jours avant de m’élancer j’étais sûr de ne pas être capable de faire le parcours de bout en bout… C’était plein d’incertitudes, mais c’est un travail que j’ai abordé dans le moment présent, avec des balises à respecter, des microobjectifs, encore une fois, à aller chercher pour arriver en finale avec un genou en vrac et une attelle. Personne ne m’y attendait, et j’ai remporté l’or.

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Que vous remportez aussi en 2018, à Pyeongchang, après avoir chuté en demi-finale. Encore une galère ?! En fait, c’est le genre d’événement de course propre à mon sport, le snow­ boardcross, dans lequel on part à plusieurs dans le même parcours, avec un départ et une ligne d’arrivée, et entre les deux, des sauts, des rollers, des virages, toutes sortes de mouvements de terrain qu’on adore, en veux-tu en voilà. En 2018, en demi-finale des JO, je suis dans le paquet, je me fais jeter par terre, tout le monde tombe, c’est un peu l’apocalypse… Je suis dans le nuage de neige, je déchausse, je repars en poussant en mode skateboard, et j’arrive en bas, je regarde sur le tableau : « Vaultier qualifié » ! Mon run de finale n’est que dans dix minutes, à ce moment-là, il y a un schéma mental qui se met en place. Lequel ? Se visualiser vainqueur en bas, ça n’a jamais marché. « Visualise-toi gagnant, et tu vas gagner », c’est faux ! Dans mes runs, je morcelle un petit peu l’objectif. Je me mets des balises, dont je visualise chacune en succès, en réussite, et ça m’amène à l’objectif final. Les demi-finales, les finales, c’est terminé pour vous à présent… Vous arrêtez la compétition, et ne participez pas aux prochains JO pour une raison assez particulière. Laquelle ? J’ai une prothèse au genou droit depuis un an environ. Une prothèse totale, généralement dédiée aux personnes plutôt âgées, sauf que mon genou est vraiment en vrac. Ça réduit le champ des possibles en termes de médico-légal, et pour avoir une licence dans une fédération, il faut être vu par un médecin qui tamponne : apte ! Comme à l’armée. Avec ma prothèse, ce n’est pas possible. Malheureusement, je n’ai pas passé l’étape de la commission médicale, plus de compétition pour moi, donc je ne vais pas en Chine. THE RED BULLETIN

Désormais éloigné des compétitions, Pierre est toujours déterminé à performer.

« Chaque jour, il faut te fixer un objectif. Et t’en contenter. » Sur quoi vous concentrez-vous à ­présent ? Sur mon nouveau projet vidéo, Reshapes. Il fait suite à Shapes qui a fait 35 millions de vues. Cette vidéo qui présentait l’essence du snowboard, de mon sport, avec ce flow, ces modules bien taillés, très géométriques… C’est un petit peu comme ça dans ma tête. Pour Reshapes, on s’est évidemment inspirés de cette essence, de ce flow, de la pureté, mais il fallait quand même revisiter la chose, ne pas proposer la même, faire mieux, et donc différent. Ces séquences vidéo très populaires mettent toujours en avant une performance remarquable. Pierre Vaultier arrête peut-être la compétition, mais pas d’être performant, exact ? Dans ma carrière, c’est la passion qui m’a toujours guidé et motivé, ma passion du sport, et ma passion de la performance. Je ne fais pas Reshapes juste pour faire de belles images, je fais ça pour que ça ait du sens niveau performance.

Dans une vie, perso ou pro, tout peut arriver, vous en êtes l’exemple. Alors comment, selon vous, faire face aux murs, aux « stop ! », aux moments down, pour se relever à chaque fois ? Tout peut arriver, oui. Si l’on prend l’exemple d’une blessure, c’est un peu la fin d’un système. Il faut repenser la chose, il faut dézoomer un petit peu, prendre un petit peu de hauteur. Pourquoi on a fait comme ça ? Est-ce qu’on peut faire autrement ? Observer… On dit souvent qu’un sportif blessé reviendra plus fort, c’est vrai : la déconstruction amène une reconstruction, avec de meilleures bases. On a beaucoup évoqué les difficultés que vous avez rencontrées, mais que vous ont appris vos moments au top ? Qu’il n’y a que la victoire pour nous faire oublier que nous ne sommes pas parfaits. Quand tu gagnes, tu es le maître du monde, tout va bien, tu effaces un petit peu tous tes défauts. Mais attention ! C’est quand on gagne, justement, qu’il faut analyser, pour faire encore mieux, pour aller chercher la progression sur les points forts. Mais surtout, se remettre en question sur les points faibles. Et ne pas hésiter à jeter un œil à ce que fait la concurrence.

Découvrez Reshapes de Pierre Vaultier, sur redbull.com 55



Chat perché

Virtuose de la basse, maître du jazz-fusion à la voix de velours, THUNDERCAT ondule avec bonheur dans ses multiples terrains de chasse musicaux. Maintes fois échaudé, jamais a ­ pprivoisé, voici l’itinéraire d’un félin qui r­ etombe toujours sur ses pattes. Texte WILL LAVIN

Photos WOLFGANG ZAC 57


Thundercat

« Savoir rire est l’une des plus belles choses qui existent, quelque chose d’essentiel à la vie, peut-être plus que la musique », nous confie Stephen Lee Bruner, alias Thundercat. Aveu qui peut surprendre, quand on sait l’importance que la musique occupe dans la vie de ce génie touche-à-tout au palmarès musical bluffant. Nous l’avons rencontré en novembre dernier, à SaintLouis dans le Missouri (USA), alors qu’il s’accordait une journée de repos bien méritée, en pleine tournée américaine – cinq mois de rush non-stop à enchaîner les dates : mais en bon matou hédoniste, Thundercat n’oublie pas de profiter de la beauté de l’existence. Après plus de quinze ans d’une carrière éclectique, en solo ou dans de multiples et fructueuses collaborations, Thundercat ne s’est jamais laissé enfermer dans une mode ou un style précis. Piochant avec bonheur dans le jazz-funk, l’électro, la soul, le hip-hop, le R&B, le jazz psychédélique et le soft rock (liste non exhaustive), il est tout simplement impossible de le mettre dans une case. À l’image de sa musique, sa personnalité allumée et délicieusement burlesque séduit d’emblée. Visuellement, c’est un patchwork de styles, de clins d’œil et d’humour : haute couture et accessoires Pokémon, look de geek puceau et dreads multicolores, ce « Los Angeleno » de 37 ans a déjà fait une jam session avec le rockeur canadien Mac DeMarco… complètement à poil. Après la sortie de son dernier album (2021) It Is What It Is – sans doute le plus abouti, le plus personnel et le plus complexe de ses bébés –, Stephen Lee Bruner a choisi d’annoncer le début de sa tournée en postant une vidéo qui le 58

montre en train de déguster la bouffe de son chat et de copuler avec sa peluche du pokémon Ronflex. Dix ans après la sortie de son premier opus solo, The Golden Age of Apocalypse, Thundercat se remémore les débuts de son voyage cosmique. « C’est dingue de réaliser que ça fait tout juste dix ans. Quand je pense à tout ce que j’ai vécu psychologiquement en une décennie, ça me fait halluciner. Je me souviens du temps où il n’y avait que moi et Austin Peralta, juste son clavier et ma basse. » Depuis l’époque où Bruner traînait ses sneakers et sa basse avec ce grand pianiste de jazz – dont le décès en 2012 donnera lieu à l’album-hommage cathartique Apocalypse, accouché dans les douleurs du deuil – les choses ont bien changé : Peralta disparu, son ami a connu la chute libre, le vide abyssal, puis a fini par retomber sur ses pattes… sans se calmer pour autant. Du moins, en apparence. Notre Thundercat est plus Garfield que Thomas O’Malley et préfère rester vautré sur son canapé à binge-watcher des cartoons plutôt que de fréquenter les pince-fesses d’Hollywood. « Je suis un vrai nerd », dit-il pour décrire l’obsession qu’il voue aux animés japonais. « Ça fait un bail que ça dure et ce n’est pas près de changer. La seule différence maintenant, c’est que je peux enfin me payer les trucs qui me font envie. Même si je dois faire attention à ne pas claquer tout mon fric là-dedans. » Thundercat est un personnage qui ne se prend visiblement pas au sérieux, mais il ne faudrait pas

Un style d’enfer : côté look, l’artiste Thundercat ne fait pas dans la sobriété. Pour notre séance photos, il a pioché dans sa propre garde-robe. Il porte ici une chemise ­Secret Heart, un pull Gucci et des lunettes de soleil customisées. Page précédente : lunettes de soleil Louis Vuitton ­Cyclone par Virgil Abloh ; colliers IF & Co, Gucci et RockLove (édition Star Wars) ; pull Pendleton ; chemise Lazoschmidl ; ­pantalon et chaussures Adidas. THE RED BULLETIN



Thundercat

« La musique transcende tout, et ça, je l’ai compris très tôt. »


Consistant : Bruner est plus heureux de mater des dessins animés chez lui que d’assister à des fêtes du showbiz. « Je suis un grand fan d’animés, dit-il. Cela ne changera jamais ! »

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Thundercat

« Ce que j’ai vécu psychologiquement en une décennie, c’est hallucinant. » oublier qu’il est un artiste de génie, un instrumentaliste-collaborateur-producteur hors-pair à l’origine de pépites musicales pour le compte de grands noms : Snoop Dogg, Childish Gambino, Ariana Grande, Erykah Badu, Travis Scott, Keziah Jones… Les collaborations de Thundercat visent haut : la plus fructueuse jusqu’ici fut celle avec Kendrick Lamar pour son album To Pimp a Butterfly (2016), considéré comme le meilleur des albums de Lamar (le magazine Rolling Stone l’a classé à la 19e place des plus grands albums de l’Histoire). L’alliage jazz/hip-hop savamment distillé par Bruner tout au long de l’album en a fait un véritable chef-d’œuvre, notamment le fameux These Walls, qui lui aura valu son premier Grammy. « La façon dont Lamar a traversé les murs dans ses couplets et jusqu’où il est allé – passant de prison à pussy –, ça m’a complètement bluffé la première fois que je l’ai écouté, explique-t-il à propos de la complexité du morceau. Je ne savais pas par quel bout le prendre, d’autant plus qu’on le pressentait pour un Grammy. »

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Chouchou : les talents de bassiste et de producteur de Bruner sont très recherchés par d’autres artistes. Son travail avec Kendrick Lamar lui a valu un Grammy.

hundercat est un enfant de la musique : son père Ronald a été batteur pour The Temptations, Gladys Night et Diana Ross and The Supremes. Son frère aîné, Ronald Jr., fut le batteur du groupe metal Suicidal Tendencies et a reçu en 2011 le Grammy du meilleur album de jazz contemporain avec The Stanley Clarke Band. Idem pour la maman et le petit frère, Jameel « Kintaro » Bruner, respectivement flûtiste et musicien de R&B. C’est aussi un gosse des années 90 : même lorsque les trois frangins se battaient pour la télécommande – parce que lui voulait jouer à la console alors que ses frères préféraient regarder des VHS – il y avait toujours du jazz en bruit de fond : Jimmy Cobb, ­Vinnie Colaiuta, Tony Williams, Billy Cobham et tant d’autres. Le petit Stephen écoutait, discrètement. « Mes frères pensaient que je n’écoutais pas, que j’étais juste un petit merdeux, mais la musique transcende tout, et ça, je l’ai compris très tôt. Il y a toujours eu quelque chose dans la musique qui m’a touché psychologiquement, émotionnellement – voire même spirituellement. » À quatre ans, il découvre son instrument fétiche : la basse. Son premier modèle fut une Harmony toute noire, sur laquelle il jouait les accords du générique du film Les Tortues Ninja 2 : Les héros sont de retour, sorti en 1991. 63



Thundercat

Mutant : Bruner a perfectionné ses talents de bassiste en écoutant la bande originale du film Les Tortues Ninja 2, de 1991.

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En bon geek fou de dessins-animés, Bruner a choisi l’une de ses séries préférées pour son nom de scène : ThunderCats – les francophones qui ont grandi dans les années 80 se souviendront de ces Cosmocats, des superhéros à tête de chat qui se battent contre de diaboliques mutants. Sa carrière de bassiste débute aux côtés du groupe international No Curfew, puis il rejoint son frère Ronald pour jouer du thrash avec Suicidal Tendencies. Progressivement, Thundercat devient indissociable de la scène musicale de Los Angeles, grâce notamment à des amitiés (tenaces) comme celle avec son ami d’enfance Kamasi Washington, grand saxophoniste qui a joué pour des stars comme Herbie Hancock : ensemble, les deux potes écument les scènes de Los Angeles au volant de la vieille Ford Mustang de Kamasi. « C’est comme si on n’avait pas cessé d’être des gamins, se souvient-il. Comme si on avait encore quinze ans. On s’est toujours bien marrés ensemble, et quand on se voit, on rigole, on a toujours un truc à se raconter. » Une autre rencontre décisive va cependant le faire décoller à un niveau supérieur : celle avec le rappeur et producteur Steven Ellison alias Flying Lotus, au festival South by Southwest d’Austin (Texas). C’est la

« C’est comme si on n’avait pas cessé d’être des gamins, d’avoir quinze ans. » rencontre d’un chat et d’un lotus réunis par l’amour de la musique : la magie opère et les deux deviennent vite inséparables. Désormais sous le label indépendant de son acolyte, Thundercat sort ses premiers albums solo : « On est comme Batman et Robin : pendant que je peux partir à droite à gauche dans mes différents délires, lui fait tout le reste dans l’ombre. » C’est à ce génie de l’ombre que l’on doit donc la naissance du chanteur Thundercat, Ellison ayant un jour conseillé au bassiste de chanter. « Il a vu quelque chose que je ne voyais pas » : jusqu’alors si réticent à pousser la chansonnette, Stephen décide de suivre ce conseil. « J’ai discuté récemment avec J Cole (le rappeur US, ndlr ) : il essayait de me sonder et c’est là que j’ai réalisé à quel point je faisais confiance à Lotus. Quand je repense à ce jour-là, c’est exactement ça : j’ai fait confiance à mon pote. Et il avait raison. » Des récompenses, de l’argent, un cercle d’amis rempli d’artistes célèbres, des projets partout et un caractère qui n’a rien perdu de son espièglerie : bref, la vie semble sourire à Thundercat. Pourtant, il a dû, ces dernières années, encaisser quelques revers : la fin d’une longue relation, la sortie d’un album en pleine pandémie mais surtout la disparition d’un de ses plus proches amis – Mac Miller, rappeur et producteur de Pittsburgh, mort d’une overdose en 2018. Bruner perd non seulement un pote mais aussi l’un de ses plus proches collaborateurs. Leur plus belle session fut celle enregistrée en août 2018, un mois avant la mort de Miller, lors d’un « Tiny Desk Concert » pour la radio NPR. La genèse de ce concert est d’ailleurs tout aussi légendaire : alors que Bruner se trouvait en pleine tournée européenne, il reçoit un message de Miller lui demandant de traverser ­l’Atlantique pour venir jouer avec lui. Pour cette micro-­session de 30 minutes, Bruner devait annuler quelques dates et rejoindre Washington DC depuis l’Europe de l’Est… ce qu’il a fait. « Il voulait se sentir à l’aise au milieu des autres. C’est pour ça qu’il voulait que je sois là, à ses côtés. » Il suffit de les regarder jouer ensemble pour en être convaincu : les deux s’adoraient visiblement, l’harmonie est palpable aussi bien musicalement que personnellement. Mac Miller et sa gueule d’ange timide déclamant ses textes les yeux en l’air, oscillant entre le crooner à la Sinatra et l’artiste torturé, et derrière, comme un génie protecteur, comme le chat du Cheshire d’Alice, un Thundercat jovial qui balance ces dreads roses au rythme de sa basse Ibanez. « Ce fut un moment très spécial, se souvient-il. Je n’ai 65


jamais manqué une occasion de lui dire que je l’aimais. Parce que je le pensais vraiment. » Aujourd’hui, il a du mal à regarder cette session en vidéo : « C’est dur de se remémorer ces moments, ils peuvent être assez traumatisants. » Pour autant, Thundercat se réjouit de voir l’accueil positif que ce « Tiny Concert » a eu : « Quand je vois des photos ou des extraits de la session, ça me rend heureux. J’ai vu que quelqu’un s’était même fait tatouer ce moment où Mac dit “Thundercat au shaker !” et ça me fait sourire. Ce concert, c’est comme un album-photo, un moment que j’ai pu partager avec mon pote et que le monde entier peut voir aujourd’hui. »

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a douleur de la perte, Bruner a voulu la transcender en écrivant son quatrième album, It Is What It Is, un bijou suave et cosmique mêlant les sonorités jazz, funk, hip-hop et pop, produit par Flying Lotus et qui se conçoit comme une « lettre

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« J’allais disparaître moi aussi. J’ai décidé de me reprendre en main. » d’amour sans fin » à son défunt ami Mac Miller. « Sortir un album est toujours une expérience intense et douloureuse, mais celui-là a véritablement changé ma vie. » Le titre (que l’on pourrait traduire par Ainsi soit-il, ndlr) est un aveu de l’inexorable issue de l’existence mais aussi un hommage à Mac Miller, qui dit cette phrase dans What’s The Use? – l’un des morceaux enregistrés avec Bruner pour son dernier album, Swimming. Dans le morceau-titre de l’album, Bruner interpelle par un « Hey, Mac » son ancien frère de sang, qui lui répond THE RED BULLETIN


Thundercat

un « Woah » isolé. « C’était tout ce que j’avais, raconte Bruner aujourd’hui. J’avais des trucs à dire à l’époque, et pourtant, chaque fois que j’écoutais ce morceau, ça me mettait dans tous mes états. Mais bon, il a fallu en passer pour là pour aller jusqu’au bout de mes adieux à Mac. » Loin d’y puiser l’énergie nécessaire pour repartir de plus belle, Bruner l’orphelin ressort littéralement vidé – physiquement et mentalement – de la production de l’album. Il perd pied, se nourrit mal, manque de sommeil et tente de noyer sa tristesse dans l’alcool. Lui, le soleil en personne, le chat au sourire de clown devient alors méconnaissable. Or, la musique ne lui apparaît plus comme le refuge confortable vers lequel il a toujours trouvé réconfort et apaisement. « C’était comme s’il y avait eu un fantôme dans la machine, comme une mémoire musculaire. Je ne sais pas comment j’ai réussi à faire de la musique pendant cette période. C’est ma vie, et en même temps, j’avais beaucoup de choses à digérer. » Le musicien se voit alors contraint de remettre en question son mode de vie : « Je m’étais raccroché à la bouteille pendant toutes ces années, je buvais souvent pour oublier, dans une proportion qui faisait parfois peur. J’ai vu de nombreux amis mourir devant mes yeux, s’envoler d’un coup – comme Austin ou Zane Musa (saxophoniste américain mort d’une chute en 2015, à l’âge de 36 ans, ndlr), Tim Williams (qui avait remplacé Bruner dans le groupe Suicidal Tendencies, mort en 2014, ndlr) et puis Mac. Il fallait que je regarde la réalité en face, parce que je savais très bien ce qui allait m’arriver si je continuais comme ça : j’allais disparaître, moi aussi. J’ai donc décidé de me reprendre en main. »

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La bonne griffe : Stephen Lee Bruner montre la liste des marques qui composent son look déjanté. THE RED BULLETIN

runer commence alors à s’occuper un peu mieux de lui-même. Première étape : arrêter de boire. « J’avais deux options : boire, ou ne pas boire, résume-t-il. Et le choix que je devais faire était devenu évident. » Il devient ensuite végan, entame une thérapie et se met au sport : pendant la pandémie, Bruner, au lieu de se renfermer sur luimême, prend des cours de boxe et de kickboxing. « Je n’avais jamais été quelqu’un de sportif, mais c’est sans doute l’une des activités que j’ai prises le plus au sérieux, à part lire des BD et jouer de la basse. » La musique vient enfin lui apporter le réconfort tant désiré, sous la forme d’un album : celui de Drake, Certified Lover Boy, sorti en septembre 2021. Le jour de sa sortie, Thundercat poste sur son compte Tweeter : « Il suffit parfois d’un album de Drake pour remettre les choses en place. » Si la musique du rappeur de Toronto a souvent été jugée trop « soft » par les puristes du hip-hop et les amateurs d’un rap plus viril, Thundercat, lui, se retrouve parfaitement dans cette vulnérabilité. « Drake te rappellera toujours que tu n’es pas seul… Il déverse tout son cœur et toute son âme dans sa musique, et ça s’entend. C’est pour ça qu’on se moque de lui. » En écoutant Certified Lover Boy, Thundercat reprend goût à la vie. « Cet album m’a sorti de la torpeur dans laquelle je me

trouvais depuiS le traumatisme. Chaque fois que j’avais quelque chose devant les yeux, je le regardais avec des yeux de traumatisé, et c’est dur d’en sortir, émotionnellement. Mais en écoutant l’album, c’est comme si j’entendais Drake me dire : “Je sais ce que tu ressens.” Ça m’a rappelé que je n’étais pas tout seul. » Cela fait maintenant trois ans qu’il est sobre, et cela se voit : à le regarder préparer activement sa tournée européenne, on sent que le musicien déluré de L.A. n’a rien perdu de sa verve. Mais sous ses faux airs de fanfaron, Thundercat a changé – radicalement. Reprendra-t-il l’alcool ? Il répond qu’il n’en sait rien. « Ça fait trois ans et franchement, je ne suis plus le même qu’à l’époque. Si le traumatisme est encore là, j’ai aussi appris à relativiser et à prendre les choses comme elles viennent. » Après avoir soigné ses blessures, le félin a donc repris son activité préférée : explorer de nouveaux terrains de chasse musicaux. Et c’est justement quelques jours après la sortie du premier album de Silk Sonic – groupe formé par Bruno Mars et Anderson .Paak – que nous le retrouvons. An Evening with Silk Sonic marque certes la première collaboration entre Bruno Mars et Thundercat – notamment sur After Last Night, superbe morceau funk dans lequel on peut aussi entendre la basse d’une légende du funk, Bootsy Collins – mais ce n’est pas la première fois qu’il travaille avec .Paak : les deux se connaissent depuis plus de dix ans et ont déjà bossé ensemble sur d’autres projets comme le trio néo-funk de The Sa-Ra Creative Partners. Quant au fait de partager le studio avec Bootsy Collins, l’un des pionniers de la basse funk dans les années 70 et qui a joué aux côtés de James Brown et de George Clinton, Bruner qualifie l’expérience de « véritable retour aux sources. » Il se souvient même avec émotion du moment où il a pu tenir dans ses mains les fameuses lunettes étoilées que « Bootzilla » Collins portait sur la pochette de son album Bootsy? Player Of the Year, sorti en 1978. « Ces lunettes sont un peu comme des reliques, pour ce qu’elles représentent dans l’histoire du funk. Ça m’a fait un bien fou de les tenir un instant dans mes mains, elles m’ont donné envie d’assumer davantage ce que je suis vraiment, de ne pas me cacher. » Il paraît qu’un chat a neuf vies, et Thundercat semble, à 37 ans, en avoir vécues autant. Autant de vies, autant de résurrections : le revoilà maintenant, bien campé sur ses pattes, les oreilles dressées vers de nouvelles aventures. Il a enterré plus d’amis chers que la plupart des gens peuvent espérer trouver d’amitiés dans une vie. Il a posé sa patte et sa voix de velours dans le monde de la musique sans jamais perdre son âme de joueur. Aujourd’hui, pas question de se reposer sur un canapé au coin du feu : « Je suis encore en train de me découvrir, et je vais continuer à travailler sur moi pour devenir meilleur. » Décidément, ce chat du tonnerre a toujours le feu sacré. Thundercat en concert à l’Élysée Montmartre (Paris) le 6 avril et en première partie des Red Hot Chili Peppers au Stade de France, le 8 juillet 2022. 67


Plus haut que l’impossible Écrivain, alpiniste et aventurier, Mark Jenkins s’est exprimé sur les exploits audacieux et sur la pureté de l’âme d’un alpiniste canadien, MARC-ANDRÉ LECLERC, dont l’histoire est racontée dans un docu intitulé The Alpinist. Texte MARK JENKINS

Haute tension : Marc-André Leclerc, ici en ascension sur le Torre Egger dans le champ de glace Sud de Patagonie, a réalisé seul des dizaines d’escalades révolutionnaires.


AUSTIN SIADAK, SCOTT SERFAS

Vocation : Leclerc, protagoniste de The Alpinist, avait une soif profonde d’expériences à la hauteur de son immense talent.

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Marc-André Leclerc

Leclerc a fait le mont Robson seul, sans le dire aux réalisateurs. « Pour moi, ce ne serait pas un solo s’il y avait quelqu’un d’autre. »

vous n’êtes pas jeune et impétueux entre 17 et 24 ans, autant vous flinguer, car c’est à ce moment-là que les gens sont jeunes et impétueux. » C’est ainsi qu’Alan « Hevy Duty » Stevenson – virtuose du hulahoop, conteur aux yeux pétillants et maire officieux de la communauté des grimpeurs de Squamish, au Canada – décrit la passion exubérante de Marc-­ André Leclerc pour l’escalade. « Il appartient à une autre époque, celle des années 70 ou 80, quand c’était sauvage. C’est un homme hors du temps. » Ces mots reflètent la joie débordante et l’intensité fatale du film The Alpinist, au sujet de l’un des plus jeunes, des plus audacieux et des meilleurs de cette race dans l’histoire de l’alpinisme. Dans la scène d’ouverture, nous assistons à ­l’ascension en solo de Marc-André Leclerc d’une arête verticale faite de rochers horribles et de neige inutile, une danse délicate et mortelle. Lorsque la caméra effectue un panoramique, vous réalisez que le jeune grimpeur est à plus de mille mètres du sol, et une sensation nauséeuse vous envahit. Alex ­Honnold, star du film oscarisé Free Solo et aujourd’hui peut-être le grimpeur le plus célèbre au monde évoque la scène : « Un gamin, Marc-André Leclerc. Un Canadien. Presque personne n’a entendu parler de lui parce qu’il est peu connu. Il a fait toutes sortes de solos alpins fous. Il grimpe, comme ça, sur les parois les plus difficiles au monde. Les plus difficiles que quiconque ait jamais escaladées. » En 2015, Leclerc, alors âgé de 23 ans, a réalisé la première ascension solo de la voie Corkscrew sur le Cerro Torre, dans le champ de glace Sud de Patagonie, une performance que la légende locale de 70

l’escalade, Rolando Garibotti, a qualifiée d’ « ascension aux proportions surhumaines ». Dans le film, après que Leclerc a escaladé le mont Robson, la montagne la plus sacrée et la plus effrayante des Rocheuses canadiennes, le vétéran Jim Elzinga, chef d’expédition, déclare que Leclerc « redéfinit ce qui est possible ». Le Canadien Barry Blanchard, pionnier des itinéraires alpins extrêmes il y a plusieurs dizaines d’années, proclame : « C’est l’évolution de l’alpinisme, et cela se passe en ce moment même chez nous, avec ce jeune homme. » Compte tenu des capacités extraordinaires de Leclerc et de sa sérénité face à la mort, The Alpinist aurait pu facilement être un autre mauvais documentaire d’aventure en plein air. Pendant trop longtemps, il manquait à ces formats un développement de personnages, une histoire, une véritable narration. Ils manquaient d’ironie ou d’hypocrisie, de doute ou de nuance, de trahison, de haine ou de ces trucs sombres qui font de nous des humains. Cela faisait vingt-cinq ans que j’attendais que ce type de documentaires gagne en maturité. Quelques-uns d’entre eux ont transcendé les limites de ce genre centré sur l’action : La mort suspendue (un film documentaire de 2003 sur la descente quasi fatale de Joe Simpson du Siula Grande), malgré les reconstitutions ; Grizzly Man (un film de 2005 de Werner Herzog sur Timothy Treadwell, un Américain passionné par les ours) qui a la bande-son la plus flippante de tous les documentaires jamais réalisés ; Meru (la chronique de 2015 de la première ascension de ce pic de l’Himalaya par la Shark’s Fin Route) avec les superbes images de Renan Ozturk ;

RICK WHEATER

« Si

THE RED BULLETIN


Difficile à égaler : Leclerc est surtout connu pour ses ascensions alpines audacieuses, mais ses compétences sur les parois rocheuses sont également hors du commun.


The Dawn Wall de 2018, un film qui parle enfin de l’honneur d’une amitié véritable ; et bien sûr Free Solo. Ces films ont jeté les bases de The Alpinist, qui sonde mieux que tous ces films les profondeurs du métier et de l’âme créative d’un grimpeur. The Alpinist fait ce que tous les grands films font : il raconte une histoire. L’histoire d’un jeune homme passionné, poussé inexorablement à escalader ­d’immenses sommets recouverts de glace. Oui, nous ­l’observons en train d’escalader des lignes inimaginables, sans corde, aussi calme que les nuages ­flottant sous ses pieds, mais nous le voyons aussi comme un gamin maladroit et dégingandé amoureux de la nature. Nous le voyons perdu et sous l’emprise de l’acide, s’enfonçant dans un monde dont il s’échappe à peine (et seulement grâce à sa petite amie). Nous voyons son visage poupin couvert de sang après une chute sérieuse. Nous le voyons vivre dans une cage d’escalier comme un clochard. Nous le voyons timide et inarticulé sous les projecteurs de la gloire naissante. Mais surtout, nous voyons Leclerc à travers la voix des autres : sa petite amie, la célèbre grimpeuse Brette Harrington, sa mère, Michelle Kuipers, et de nombreux alpinistes canadiens célèbres. Même Reinhold Messner, le plus grand alpiniste du XXe siècle, y prononce ces mots solennels : « L’escalade en solitaire à haut niveau est une expression artistique. La moitié peut-être des plus grands alpinistes solitaires de tous les temps sont morts en montagne. C’est tragique et c’est difficile à défendre. » Dans The Alpinist, nous apprenons à connaître, à défaut de complètement comprendre, non seulement un grimpeur mais aussi un être humain : ses forces, ses faiblesses, ses désirs et ses problèmes.

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SCOTT SERFAS

L’

une des premières choses que l’on apprend sur Leclerc, c’est qu’il a une peur bleue de la caméra et qu’il se fiche de la célébrité comme de sa première chemise. Il est vraiment d’une autre époque, comme le dit Hevy Duty. Difficile à croire mais il fut un temps où les grands alpinistes ne partageaient pas avec des followers ce qu’ils avaient eu pour déjeuner. Avant les réseaux sociaux, les histoires étaient partagées avec de vrais amis, de préférence autour d’un feu de camp. Lors d’une expédition, on passait du temps avec son équipe à discuter de la vie, de la logistique et de la météo. Lors de mes dernières grandes expéditions, mes ­coéquipiers, grâce à la magie moderne d’un modem satellite, ont passé leurs soirées à envoyer des images d’eux-mêmes entretenant soigneusement leur personnalité publique et déformant complètement leurs véritables sentiments. Marc-André Leclerc n’en avait rien à foutre. Il faisait un solo monstrueux et n’en parlait à personne. Son mépris pour les médias a posé des problèmes à Peter Mortimer et Nick Rosen, les réalisateurs du film. Un exemple parfait est le moment où Leclerc grimpe en solo le mont Robson sans les prévenir. Lorsqu’ils le joignent enfin au téléphone, il explique :

The Alpinist présente Leclerc comme un surdoué, mais aussi comme un gamin maladroit amoureux de la nature.

THE RED BULLETIN


Marc-André Leclerc

« Nous avons saisi Marc-André au moment où son potentiel devenait sa réalité. »

THE RED BULLETIN

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Saisir l’instant : seule une poignée d’alpinistes d’élite peut faire du solo intégral sur des parois ­rocheuses, mais le faire sur des voies alpines est encore plus difficile.

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Marc-André Leclerc

JONATHAN GRIFFITH

C’était des ascensions en solo à vue, sur des voies dans lesquelles il n’avait jamais planté ses piolets auparavant.


Majestueux : Marc-André Leclerc au sommet du célèbre contrefort nord-est du mont Slesse, en Colombie-Britannique (Canada).


Marc-André Leclerc

« Certaines ascensions de mon fils ont changé la face de l’alpinisme. » « Pour moi, ce ne serait pas un solo s’il y avait quelqu’un d’autre. » Il n’est pas facile de faire un film sur un type qui ne se soucie pas de ce que le monde pense. Il est comme un olympien qui se produirait dans son propre gymnase, sans un seul spectateur, et qui réaliserait des prouesses dont aucun autre humain n’est capable. Si l’attitude cavalière de Leclerc à l’égard de leur film frustrait Mortimer et Rosen, ces derniers l’admiraient néanmoins pour l’originalité de sa vision. « Marc a passé tous les jours dehors depuis qu’il est ado, dit Mortimer dans une interview téléphonique. À voir l’histoire de ses ascensions, on pourrait croire qu’il avait 75 ans. Il ne pouvait résister à l’appel de la montagne. Dès qu’une fenêtre météo s’ouvrait, il fallait qu’il soit là. Il était en quête d’une vision. C’était pur. Il n’avait ni le temps ni l’envie de penser aux médias ou à notre film. Nous l’avons saisi au moment où son potentiel devenait sa réalité. »

L

CLARK FYANS, MARC-ANDRÉ LECLERC

a plupart du temps, Leclerc n’informait que trois personnes : sa mère, sa sœur Bridget et Brette Harrington. Elles savaient qui il était et le comprenaient. Il leur envoyait des messages depuis les sommets, un pic après l’autre, juste pour leur faire savoir qu’il était en sécurité. « Certaines des ascensions qu’il a faites ont changé la face de l’alpinisme, dit sa mère. Il était suffisamment ferré en histoire de l’escalade pour le savoir, mais il ne tenait absolument pas à devenir célèbre. »

Une prise solide : Leclerc sur l’arête sud-ouest du Baby Munday Peak, en Colombie-Britannique. THE RED BULLETIN

En parlant avec Michelle Kuipers, on comprend mieux comment Leclerc est devenu Leclerc. Quand il était jeune, les fins de mois étaient rudes. « Mais tout est une question de perception, dit-elle. Il y a un nombre infini de choses que l’on peut faire sans argent ; il suffit de faire marcher son imagination. » Dépourvue de voiture, la famille allait partout à pied. Quand il pleuvait et qu’il faisait froid, Kuipers imaginait une histoire dans laquelle les enfants étaient des explorateurs intrépides fuyant un endroit dangereux ou en route pour sauver un ami. Leclerc était un lecteur vorace et dès l’âge de quatre ans, il connaissait l’histoire d’Edmund Hillary et de Tenzing Norgay qui ont conquis l’Everest en 1953. « Depuis toujours, il a été fasciné par les montagnes », explique Kuipers. Scolarisé à domicile une partie de sa jeunesse, Leclerc était intellectuellement et physiquement précoce, mais socialement maladroit. À 14 ans, il travaillait dans la construction avec son père pour payer son matériel d’escalade. À 15, il vissait des anneaux de levage dans les poutres de sa chambre au sous-sol et se suspendait à ses piolets. Encore enfant, poursuit Kuipers, « il passait beaucoup de nuits inconfortables, seul dans les montagnes ». Il a acquis de l’expérience dans la gestion de situations difficiles. Dans le documentaire, on voit Leclerc pris au piège dans une tempête de neige en Patagonie. Mais, gardant son sang-froid, il redescend en sécurité. Nous le voyons en train d’escalader en solo l’impressionnant Stanley Headwall dans les Rocheuses canadiennes, suspendu de manière précaire mais précise grâce à son équipement, les pics fixés à quelques millimètres de roche. Son sang-froid est envoûtant. Mais son amour pour sa petite amie l’est tout autant. Dès les premiers jours de leur relation, Harrington et Leclerc furent inséparables. Ils ont vécu ensemble dans une cage d’escalier, dans les bois, ils ont grimpé, grimpé et grimpé encore. « Marc est intéressé par les expériences intenses, vivre pleinement », dit laconiquement Harrington dans le film. Au téléphone, elle reconnaît qu’elle était semblable et que ce besoin mutuel de vivre sur la brèche explique, du moins en partie, pourquoi ils sont tombés si profondément amoureux. « Nous nous accordions en intensité, confie-t-elle. Les expériences les plus significatives de ma vie sont les ascensions que j’ai faites par mauvais temps, dans des endroits extrêmes. J’aime ce genre de choses. » Leclerc était pareil. « Il est arrivé dans ce monde enragé d’être dans le corps d’un bébé sans défense, dit sa mère. Il fallait qu’il bouge, tout de suite. Dès qu’il a pu ramper, nous avons été tous les deux beaucoup plus heureux. » Toutefois, lorsque Leclerc est devenu alpiniste, son caractère turbulent ne s’est pas traduit par le mépris du danger que pouvaient représenter les avalanches et les chutes de glace. Leclerc étudiait tous les aspects d’une montagne pour déterminer la ligne la plus sûre possible, et vérifiait sans cesse la météo. 77


Marc-André Leclerc

« Nous nous accordions en intensité », raconte la grimpeuse et alpiniste Brette Harrington, que l’on voit ici lors d’une ascension avec son petit ami.

Et avait une approche globale de l’escalade. « Marc-André a consacré toute sa vie à l’escalade, souligne sa compagne. Plus de 90 % du temps, nous grimpions avec une corde. Il appréciait tous les aspects de la grimpe – l’escalade artificielle, glaciaire, alpine – et voulait être vraiment bien équilibré. » Il ne s’agissait pas seulement d’escalade mixte ou solo : « Marc pouvait grimper des dalles à 5,13. » C’est une évidence en le regardant grimper dans The Alpinist. Qu’il pratique l’escalade, sur glace ou mixte, les mouvements de Leclerc sont gracieux et fluides. Pas de gestes brusques, pas d’étirements trop longs, pas de désespoir. On y voit une lenteur presque paresseuse, comme un danseur moderne exécutant une figure difficile. (Je me souviens qu’un de mes mentors me disait que pour grimper vite, il fallait grimper lentement.) L’expérience crée la confiance ; la confiance créé l’esprit calme ; un esprit calme crée un corps calme ; un corps calme est capable de grimper de façon étonnante.

V

ous pouvez voir Alex Honnold grimper avec ce genre d’assurance dans Free Solo, mais il y a un gouffre de différence : Honnold grimpe sur du granit solide, alors que Leclerc grimpe sur les plus capricieuses des substances, la glace et la neige, et sous cette couche fragile se trouve littéralement cette litière pour chat qu’on appelle « roche » dans les Rocheuses canadiennes. Si l’escalade en solo de parois rocheuses dures n’est réservée qu’à une poignée d’alpinistes chevronnés, l’escalade alpine solo – avec le risque constant d’avalanche, d’effondrement de séracs, de conditions changeantes et de faibles chances de retraite – relève des dieux.

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De plus, Leclerc a fait ses ascensions en solo à vue, sur des voies dans lesquelles il n’avait jamais planté ses piolets auparavant. Honnold a pratiqué encore et encore l’itinéraire qu’il a emprunté en solo sur El Capitan pour Free Solo avec une corde ; Leclerc se présentait en bas d’un massif montagneux et partait vers l’inconnu. La glace allait-elle être ­collante et « thunker » (du bruit des piolets qui s’enfoncent en profondeur), ou creuse et traître ? La neige serait-elle comme de la mousse de polystyrène ou comme une bouillie sans consistance ? Rien n’avait été répété, rien n’avait été câblé ni composé. L’escalade alpine en solo intégral à vue est le fin du fin dans le monde complexe de l’escalade. Il n’y a pas de marge d’erreur, pas de filet – il n’y a que vous. Imaginez que vous êtes un archer et que vous devez faire mouche à chaque flèche ou être exécuté. C’est ça, le solo intégral alpin à vue. Le spectateur lambda pourrait voir en Leclerc un drogué de l’adrénaline. C’est l’idée fausse que se font la plupart des non-grimpeurs. En réalité, l’adrénaline est l’ennemi d’une bonne escalade. Si vous avez peur, votre amygdale « reptilienne » – l’une des parties les plus primitives de votre cerveau – prend le contrôle et votre cortex cérébral est écarté du processus de décision. C’est à ce moment-là que vous faites des choses stupides. Une grande partie de ­l’escalade consiste à apprendre à contrôler sa peur. Les meilleurs grimpeurs éteignent leur peur comme s’ils appuyaient sur un interrupteur. Juste avant la toute fin du film – la véritable coda est un rebondissement tragique qu’il vaut mieux taire ici – alors que nous voyons Leclerc se hisser seul au sommet d’un sommet incrusté de glace, nous entendons la voix de sa mère. « Beaucoup d’entre nous vivent leur vie en pensant aux choses qu’ils aimeraient faire, ou aux aventures qu’ils aimeraient vivre, mais nous nous retenons, déclare-t-elle avec espoir et fierté. C’est ce qui m’a le plus frappée dans le parcours de Marc-André. Qu’est-ce que vous feriez si vous étiez capable de surmonter les choses que vous considérez comme des limites, ou les choses dont vous avez peur ? Que feriez-vous ? » The Alpinist vous laissera abasourdi par les prouesses et le culot de Leclerc mais, contrairement à d’autres bons films d’aventure, ce n’est pas le cœur de l’histoire. C’est le portrait d’un jeune homme fait artiste. Comme Stephen Dedalus, alter ego littéraire de James Joyce, Leclerc nous permet d’assister à un éveil – physique, intellectuel et émotionnel – de l’esprit humain. À force d’ardeur et d’intensité, il devient celui qu’il rêve de devenir, sous nos yeux. The Alpinist à voir en VOD ; thealpinistfilm.com THE RED BULLETIN

MARC-ANDRÉ LECLERC

En solo intégral à vue, il n’y a pas de marge d’erreur, pas de filet.



EXPÉDITION ­ANTI -PLASTIQUE Depuis toujours, YANN SCUSSEL voulait faire quelque chose contre le raz-de-marée de déchets en plastique. Le jeune aventurier a eu une idée folle : se laisser dériver sur les eaux glacées du Rhône, de sa source au lac Léman, comme une bouteille en plastique ­abandonnée. Vingt-neuf heures en immersion pour ­dénoncer la pollution. Texte ALEXANDER NEUMANN-DELBARRE

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Photos DOM DAHER


MISSION FRAPPÉE Le Rhône le ballotte comme un vulgaire ­morceau de plastique. La température de l’eau atteint ­péniblement les 8 °C.


Aventure

Le

soleil se lève tout juste sur le glacier du Rhône (canton du Valais) quand Yann Scussel se jette à l’eau. Un froid glacial s’empare aussitôt de lui. Le souffle coupé, il aspire l’air à grande goulées tout en s’enfonçant dans les eaux turquoises du lac proglaciaire cerné par la neige et les rochers, à l’extrémité inférieure du glacier. Yann est équipé d’une combinaison en néoprène de 5 millimètres d’épaisseur (bien trop légère, en fin de compte) et s’agrippe à son hydrospeed avec un paquetage de 20 kilos sur le dos. Au bout de quelques minutes à peine, ses pieds et ses mains sont tellement refroidis qu’il ne les sent plus. Mais son aventure ne fait que commencer. Il compte se laisser porter par les eaux du Rhône sur 158 kilomètres, depuis sa source située à 2 250 mètres d’altitude dans les Alpes valaisannes, et ce jusqu’au Bouveret, là où il se jette dans le lac Léman. Ce sont 158 kilomètres entre vallées idylliques et zones industrielles, au cœur des rapides et de la nuit. Soit trente heures à nager dans l’eau glacée. Environ. Comment savoir puisque jamais personne ne l’a fait avant lui. À sa source, le Rhône est une rivière d’eau vive qui jaillit d’un lac proglaciaire. Pendant environ une demi-heure, Yann et son compagnon de route Claude-Alain Gailland, guide de montagne chevronné et spécialiste d’hydrospeed, se laissent glisser sur l’eau froide du lac à 3 °C, ­relativement sereins… jusqu’à ce que les rapides commencent. Le Rhône se déverse en trombe dans la ­vallée sur une soixantaine de kilomètres. Cela 82

MISSION : DÉMYSTIFIER

À 18 ans, Yann a plongé avec des ­requins-tigres, ­réfutant ainsi les idées reçues sur ces animaux.

représente un dénivelé de plusieurs centaines de mètres. Le haut du corps ­calé sur l’hydro­ speed, les jambes dans l’eau souvent peu profonde, Yann est à la merci des éléments et percute les rochers avec une telle force qu’il craint parfois de se briser un genou. Il peine à garder la tête hors de l’eau et c’est tout juste s’il aperçoit les troncs d’arbres qui se dressent sur sa route. Ballotté par les remous furieux, propulsé tête la première sur de petites chutes d’eau, l’hydrospeed est sa seule protection. Le Rhône l’emporte tel un vulgaire bout de plastique, ce qui est précisément l’image, ou plus exactement la métaphore, que recherche Yann Scussel.

Berne

SUISSE Glacier du Rhône

Lac Léman Viège Sion Monthey

Rh ô

ne

Sierre

Brigue

CANTON DU VALAIS

LA ROUTE DU RHÔNE L’activiste Yann Scussel s’est laissé porter sur 158 km par le fleuve, depuis le glacier jusqu’au lac Léman. THE RED BULLETIN


« Le plus important dans mes périples, c’est qu’ils me permettent de faire passer des messages. » Le jeune Helvète de 21 ans au dos aussi large que son sourire n’en est pas à sa première expédition. Sa devise est ­devenue sa signature : Adventure With A Conscience. C’est-à-dire qu’il part à l’aventure de manière réfléchie : « Le plus important dans mes périples, c’est qu’ils me permettent de faire passer des messages », explique-t-il dans sa vidéo. À 18 ans, en guise de travail de maturité, il décide d'aller rencontrer des requins-tigres aux Bahamas. Il en tire un documentaire qui tord le cou aux clichés concernant ces animaux marins. À 19 ans, pour soutenir la lutte contre le cancer, il se rend en Turquie et traverse à la nage le détroit des Dardanelles qui sépare l’Europe de l’Asie. À 20 ans, il projette d’escalader le Kilimand­jaro afin de sensibiliser l’opinion publique sur les conditions de travail des porteurs, mais la pandémie vient chambouler ses plans. L’équipe de tournage censée l’accompagner en Afrique l’ayant déjà rejoint à Genève, ils décident ensemble d’improviser et se tournent vers un projet plus modeste en apparence : réaliser un documentaire sur les déchets en plastique dans le lac Léman.

Yann se tourne vers lui, et c’est le déclic. L’idée du projet La grande descente vient de naître. Pour dénoncer la folie du plastique, ils vont réaliser un court-métrage documentaire. Yann se laissera dériver sur le Rhône comme un détritus. Il entre alors en contact avec ClaudeAlain Gailland, un guide de montagne spécialiste de la vallée du Rhône, fréquent collaborateur d’aventuriers professionnels comme Mike Horn. Un projet difficile mais pas impossible, selon lui. Le mois de mai s’impose rapidement comme une évidence pour sa réalisation, car c’est la période idéale : le Rhône a beaucoup d’eau grâce à la fonte des neiges. Trois semaines plus tard, après avoir analysé les cartes des lieux et fait quelques repérages avec son équipe, Yann se familiarise sommairement avec la planche d’hydrospeed avant de se jeter dans l’eau du glacier du Rhône avec Claude-Alain. Les soixante premiers kilomètres leur prennent environ douze heures. Les rapides sont tellement déchaînés que certains tronçons ne sont tout simplement pas ­navigables. Yann et Claude-Alain

sortent de l’eau à plusieurs reprises pour continuer leur chemin sur la berge. Plus loin, un barrage les oblige à ressortir et à traîner leur équipement le long du fleuve sur une dizaine de kilomètres. C’est le sourire aux lèvres qu’ils s’immergent à nouveau dans les eaux désormais plus calmes du Rhône. Mais leur joie est de courte durée, car les voilà déjà confrontés au prochain défi : passer la nuit sur le fleuve.

Dans l’obscurité de la nuit, ils dérivent en silence

Le soleil se couche et avec lui, c’est la ­dernière source de chaleur qui disparaît. Dans sa combinaison froide et humide, Yann dérive sur l’hydrospeed, l’obscurité grandissant autour de lui. « À la tombée de la nuit, l’atmosphère prend une tournure toute particulière, éclaire-t-il. Au début, dans les rapides, Claude-Alain et moi parlions beaucoup, mais à présent, nous dérivons en silence. Bientôt, c’est l’obscurité totale, nos lampes frontales sont les seules sources de lumière. Le froid devient insoutenable. Mais tant que tu trembles, tout va bien, poursuit Yann,

TRAVERSÉE NOCTURNE

Le passage par la ville de Sion constitue le seul tronçon éclairé de l’étape nocturne du voyage de Yann.

NICOLAS RIGHETTI

Yann est outré par la quantité de plastique flottant dans le lac

Ces statistiques hantent Yann depuis longtemps : 14 000 tonnes de déchets en plastique finissent chaque année dans la nature en Suisse, parmi lesquelles 50 pour le seul lac Léman. Armés de leurs caméras,Yann et son équipe plongent dans l’embouchure du Rhône pour illustrer ces données en images. « Et si on se laissait porter par le Rhône sur une centaine de mètres, d’une traite, comme une bouteille charriée vers le lac ? », suggère alors quelqu’un de l’équipe de tournage. THE RED BULLETIN

RISQUE CALCULÉ

Dans les endroits particulièrement dangereux, Yann doit sortir de l’eau et continuer sur la terre ferme.

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EN EAUX SOURNOISES

« Dans l’eau glacée, les ennuis commencent quand les tremblements cessent. » 84

car cela indique que ton corps essaie de produire de la chaleur. Les ennuis commencent quand les tremblements cessent. » C’est le signe d’un risque d’hypothermie sévère pouvant provoquer une perte de connaissance. Lorsque ces symptômes apparaissent, ils sortent de l’eau, marchent un quart d’heure pour se réchauffer, puis retournent dans l’eau

45 minutes durant. Ils maintiennent ce rythme tout au long de la nuit, en cassant la croûte de temps en temps mais sans faire de vraie pause pour reprendre des forces, voire dormir un peu. Yann a bien trop peur de ne plus pouvoir trouver le courage de se remettre à l’eau. Plus tard, ils traversent la ville de Sion. Les lumières de cette agglomération de THE RED BULLETIN

LOUIS NAUCHE

Dans de tels remous, difficile d’éviter les rochers au fond du lit fluvial. À plusieurs reprises, Yann a manqué de se blesser méchamment.


Aventure

« La richesse de la faune et de la flore sous la surface de l’eau m’a toujours fasciné. » 35 000 habitants se reflètent sur l’eau, procurant l’un des seuls moments de clarté nocturne. Mais très vite, l’obscurité totale reprend ses droits. Yann regarde sans cesse sa montre. Les secondes s’égrènent au comptegoutte. Vers trois heures du matin, son état d’épuisement est tel qu’il commence à avoir des hallucinations. « J’ai soudain cru qu’un crocodile avait plongé dans le fleuve et qu’il était à mes trousses. C’était complètement dingue. Même si je savais

COPILOTE

Claude-Alain ­Gailland (à gauche), connaît la vallée du Rhône comme sa poche. Il a accompagné le Genevois dans son aventure.

BILAN

La liesse d’avoir touché au but se mêle à l’amertume du constat : les ­déchets en plastique jonchent les rives du lac Léman.

THE RED BULLETIN

que c’était impossible, j’ai mis un moment à réaliser que j’étais en train d’halluciner. » À quoi Yann s’accroche-t-il pendant ces longues heures ? « J’ai beaucoup réfléchi au message que je voulais transmettre par mon action : attirer l’attention sur les déchets en plastique et la pollution alarmante des lacs et des océans. »

Yann a plongé avec les requins pour faire campagne pour leur protection L’eau. L’élément de Yann Scussel depuis toujours. Tout jeune déjà, il partait en mer aux aurores avec son grand-père, qui vit au Portugal, pour aller pêcher. « La richesse de la faune et de la flore sous la surface de l’eau m’a toujours fasciné. » Ado, il participe à des compétitions de natation, joue au water-polo, regarde des documentaires sous-marins et, à 17 ans, décide d’arrêter de regarder les autres partir en expédition : c’est à son tour d’y aller. Pour son projet de maturité, il souhaite se rendre aux îles Fidji et travailler pour une ONG qui se consacre à la protection des requins, et profiter de l’occasion pour plonger

avec la faune. Sans argent, il se met à la recherche de sponsors et finit, après de nombreux échecs, par en trouver un. C’est à cette époque que Yann comprend que pour atteindre ses objectifs, il faut persévérer. Quand le soleil se lève enfin sur les eaux glacées du Rhône, un peu d’énergie vient réchauffer le corps glacé de Yann. Il lui reste plusieurs dizaines de kilomètres à parcourir, mais il a survécu aux rapides et à la nuit noire « la plus éprouvante de ma vie », déclarera-t-il.

Une autre aventure engagée est déjà prévue

Les kilomètres se succèdent, il aperçoit enfin le lac Léman. L’eau du Rhône, claire et propre à sa source, entraîne avec elle de plus en plus de boue et de déchets. Lorsque Yann atteint enfin le lac au bout de 29 heures d’efforts (l’eau lui paraît si chaude qu’il a l’impression d’être dans une baignoire) et qu’il atteint la rive, il est tout à la fois heureux et bouleversé : les déchets en plastique sont partout. Un constat quelque peu amer, mais une conclusion tristement adéquate de ce voyage symbolique. Le documentaire de Yann a été vu plusieurs milliers de fois sur YouTube. Les impacts de son action sont retentissants, et lui ont permis de retrouver l’énergie nécessaire pour relancer son projet sur le Kilimandjaro, qu’il poursuit en marge de ses études en relations internationales, à Genève. Un projet qui s’est entretemps quelque peu étoffé : en plus de la plus haute montagne d’Afrique, il veut escalader le mont Blanc et le Cervin, sans aucune aide extérieure, et sans laisser le moindre déchet derrière lui. L’idée est de provoquer une prise de conscience des conséquences sociales et écologiques des déplacements en montagne, et de montrer qu’il existe une autre voie. Encore un projet engagé, donc. « Je pense que le temps des aventuriers qui gravissaient un sommet juste pour y planter leur drapeau est révolu, conclut Yann. Quand je pars en expédition, je veux offrir quelque chose à l’endroit que je visite. Sensibiliser l’opinion publique sur les problèmes qui s’y posent, par exemple. L’un ne va pas sans l’autre, à mon avis. »

Visionnez la vidéo de Yann Scussel, La grande descente, Allégorie d’un déchet plastique, en scannant le code ci-contre. 85


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PERSPECTIVES Expériences et équipements pour une vie améliorée

L’ARBRE ­MAGIQUE

MATT STERNE

MATT STERNE

À la recherche des plus vieux baobabs d’Afrique du Sud

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PERSPECTIVES voyage

« Le baobab symbolise l’Afrique bien plus que le lion, l’éléphant ou l’aigle pêcheur. Les plus célèbres d’entre-eux ont même droit à des funérailles. » Matt Sterne, écrivain voyageur

Depuis son ­effondrement en 2017, le baobab ­Glencoe, dans la ­province du Limpopo, ressemble de loin à un bosquet.

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THE RED BULLETIN

MATT STERNE, ALAMY

A

u terme de mon second jour de voyage, je découvre Muri Kungulwa, qui signifie « l’arbre qui hurle » en bantou, langue parlée à Venda. L’arbre semble composé de six spécimens massifs soudés les uns aux autres. Je me trouve devant le plus grand baobab vivant au monde, deux fois plus grand que tous les autres de la région. Mais pour les gens d’ici, cela n’a rien d’extraordinaire. Aussi, peu de panneaux indiquent l’emplacement de ce colosse au bout d’une piste sablonneuse reliant deux villages au fin fond de l’Afrique du Sud. L’une des branches de Muri Kungulwa s’abaisse jusqu’au sol, telle une main divine donnant accès à son monde aérien. Son léger lustre marque le passage des hommes qui, depuis le Moyen Âge, se hissent à son sommet. L’écorce évoque une lave millénaire façonnée par le soleil africain. Ses 46 m de circonférence, en font (après un cyprès au Mexique) le deux­ième arbre le plus corpulent au monde. Pas moins de vingt personnes sont nécessaires pour le ceinturer. Comme les grandes étendues d’eau, sa présence apaise. Je l’entoure, le touche et y grimpe, m’éloigne pour mieux le voir, puis je m’approche pour sentir son écorce cireuse et admirer ses entrailles caverneuses, où vit la plus grande colonie de martinets d’Ussher de la planète. Une colonie de trois cents individus alors que celle-ci compte généralement vingt oiseaux. Le vacarme assourdissant de la colonie à la tombée du jour est à l’origine du nom de l’arbre.


PERSPECTIVES voyage

Du gros, dans la réserve de Messina.

Vieille branche Un arbre aux propriétés extraordinaires

Depuis 2010, Champion Trees, une initiative sud-africaine, protège le King of Garatjeke.

Mon voyage est une quête pour découvrir les plus beaux baobabs de ce pays. L’idée a germé lorsque j’ai appris que les plus vieux d’entre eux étaient menacés. Des publications à travers le monde ont annoncé leur possible disparition provoquant, au passage, la stupéfaction parmi les scientifiques. À l’origine de l’alerte, l’étude menée par le professeur roumain, Adrian Patrut, a permis d’analyser, à l’aide de datations au radiocarbone, plus de soixante baobabs parmi les plus grands et les plus anciens d’Afrique, afin de comprendre comment ces arbres ont pu atteindre une telle taille. À sa grande THE RED BULLETIN

surprise, son équipe constate que, depuis 2005, neuf des treize baobabs les plus anciens et cinq des six plus grands étaient morts ou s’étaient partiellement effondrés. Il s’agit notamment d’arbres célèbres comme Sunland – connu pour abriter un pub – Grootboom – un géant de Namibie – et Chapman au Botswana. Le changement climatique est d’ores et déjà désigné probable coupable et la panique s’est emparée de tous les amoureux des arbres de la planète. Si les plus grands baobabs étaient amenés à disparaître, il me semble important d’en découvrir la cause.

Le baobab mérite largement sa réputation proverbiale ; ses bienfaits avérés pour la santé sont légion. Cette plante grasse, la plus grande au monde, peut stocker des milliers de litres d’eau. Bouillies, ses feuilles se consomment comme des épinards, tandis que ses graines, torréfiées, rivalisent avec le café. Son fruit concentre dix fois plus de vitamine C qu’une orange, et une teneur en potassium six fois plus élevée que celle d’une banane. Un arbre donne des fruits mille ans durant, des fruits qui, une fois, mûrs, peuvent se garder pendant environ dix ans. En revanche, sa fleuraison ne dure qu’un seul jour.

Les baobabs symbolisent l’Afrique bien plus que le lion, l’éléphant ou l’aigle pêcheur, un statut qu’il doit avant tout à sa résilience : le baobab prospère là où d’autres plantes se fanent et meurent. L’âge incroyable que cet emblème de la savane africaine atteint en fait un objet de mysticisme, de superstitions et un moyen de communication avec les ancêtres. En Afrique de l’Ouest, les plus vénérés d’entre eux ont même droit à des funérailles. Ma première étape m’amène à une ferme de luzerne dans la province du Limpopo : c’est là que se trouve le célèbre 89


PERSPECTIVES voyage Réserve naturelle de Messina

Baobab Sagole

Parc national Kruger

King of Garatjeke

Mokopane Baobab Leydsdorp

PRETORIA

JOHANNESBOURG

Prendre la route Sur la piste des baobabs Un départ matinal de Johannesbourg permet d’admirer le Glencoe, le Leydsdorp et le King of Garatjeke dans une même journée. Le deuxième jour, cap sur le Sagole (Muri Kungulwa) et la réserve naturelle de Messina (Musina Nature Reserve), qui abrite nombre de ces géants. La partie nord du parc Kruger et le parc Mapungubwe (environ 200 km à l’ouest) peuvent faire partie de l’itinéraire ; ils contiennent des îlots de baobabs.

baobab Glencoe. La datation au carbone lui attribue un âge d’environ 1 844 ans, ce qui en fait le plus vieux baobab connu au monde. Sa circonférence atteint 47 m avant de se fendre à deux reprises en 2009 et de s’effondrer complètement en 2017, mais il est toujours en vie. Désormais, ses contours évoquent de loin un bosquet. Un panneau descriptif situé à proximité explique : « Ce magnifique arbre étendu au sol tel un vieux lutin griffu et déformé a la circonférence d’un géant, et la peau d’un rhinocéros. » Le King of Garatjeke trône dans un tout autre cadre. Surplombant le village 90

Rencontre du baobab Leydsdorp.

Avec ses 46 m de circonférence, Muri Kungulwa (alias le baobab Sagole) est le plus gros de tous.

poussiéreux de Maekgwe, ce baobab feuillu fait fonction d’agora pour la communauté locale. Sous ses branches protectrices, de jeunes hommes jouent aux dés et des chèvres broutent l’herbe. Comme tant de baobabs en Afrique, le King of Garatjeke fait office de mairie. Mais ces arbres servent aussi de prisons, de bureaux de poste, d’armurerie, de chambres froides ou de cabanes. À Louis Trichardt, je rencontre la ­Doctoresse Sarah Venter, spécialiste de l’écologie des baobabs et propriétaire d’une entreprise exploitant une récolte durable des fruits, avec qui j’aborde la situation critique des vieux arbres. « Seuls quatre d’entre eux sont effectivement morts, affirme-t-elle. D’autres se sont effondrés, mais cela n’a rien d’anormal, et n’interrompt en rien leur croissance, laquelle peut se prolonger pendant des centaines d’années. L’article que vous avez lu est un tantinet alarmiste et beaucoup de médias en ont une interprétation erronée. Je ne suis pas inquiète pour nos vénérables spécimens. » Ces arbres ne manquent pas de résilience face à la difficulté. « Lorsque les conditions sont réunies, après de fortes pluies ou une baisse de ­visiteurs liée à une épidémie d’anthrax, les arbres s’entendent pour pousser, poursuit Sarah Venter. On parle de recrutement épisodique ; c’est ce qui explique que les baobabs d’une même zone tendent à avoir des tailles similaires. » Il est temps de reprendre la route, car ma liste des géants de la savane à découvrir est encore longue. En chemin, une question me taraude cependant : combien de baobabs de cette génération atteindront la taille de leurs aînés ? Mais la réponse est hors de portée, quelque part dans le futur.

Matt Sterne est un photojournaliste voyageur basé au Cap, en Afrique du Sud. Instagram : @sternejourneys THE RED BULLETIN

MATT STERNE

Baobab Glencoe


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PERSPECTIVES gaming Pac-Man Museum, dispo cette année sur diverses plateformes, permet d’accéder à 14 versions du jeu via une borne arcade virtuelle.

niveau différent tout comme les objets et les ennemis, le tout résultant uniquement d’inter­ actions spécifiques du joueur avec le jeu. Aujourd’hui encore, il arrive que de tels glitches soient découverts. »

Orchestration soignée

Pourquoi sommes-nous fans de jeux vidéo ? La réponse nécessite un retour aux sources. En 2020, le marché mondial du jeu vidéo représentait 141 mil­ liards d’euros, soit plus que le secteur du cinéma en 2019 (90 milliards d’euros) avant la pandémie. Pourquoi y sommes-nous accros ? Un retour sur l’ère du 8-bit s’im­ pose. Une tâche à laquelle le professeur James Newman se consacre depuis un quart de siècle. Conservateur au Natio­ nal Videogame Museum (NVM) de Sheffield (Angleterre) et professeur à l’université de Bath Spa, Newman a publié de nombreux ouvrages sur le sujet, dont A History of Video­ games, paru en 2018, et donne des conférences académiques sur le phénomène. « L’essentiel du travail consiste à étudier la façon dont nous parlons des jeux vidéo, explique-t-il. Entre­ tenons-nous un rapport aux jeux similaire à celui que nous avons aux films ou à la télévi­ sion ? Ou y voyons-nous plutôt un jeu traditionnel, avec ses règles et ses objectifs ? L’autre aspect du travail étudie la rela­ tion évolutive entre les joueurs et le concepteur. » De Pong et 92

Pac-Man à Fortnite et Forza, Newman a découvert d’intéres­ sants indices expliquant notre attrait durable pour le gaming.

Une routine

Les joueurs actuels ont du mal à imaginer la popularité de Pac-Man lors de sa sortie sur les bornes d’arcade en 1980. En un an, plus d’un milliard de pièces de 25 cents sont intro­ duites dans les bornes, c’est plus que la recette générée par le film Star Wars en 1977. Le personnage mangeur de boules devient la première superstar de jeux vidéo, mais les fantômes qui le pour­ chassent ne sont pas en reste. Cela tient à notre propension à personnifier tout ce que nous voyons. « Les fantômes ont des couleurs et des noms, mais leur représentation graphique ne dit rien de leur caractère,

« Écouter un joueur d’Animal Crossing, c’est fascinant. »

explique Newman. Blinky, le fantôme rouge, par exemple, est supposé être leur leader parce qu’il est méchant, pour­ tant ses déplacements ne sont que l’expression d’algo­ rithmes. On le croise souvent parce qu’il emprunte la voie la plus directe. C’est ce qu’on appelle “l’IA expressive”. Nous projetons un trait de person­ nalité à une simple routine. »

Un mal pour un bien

Les gamers n’aiment généra­ lement pas les glitches (bugs) de jeux, au contraire de New­ man. « Les jeux qui buggent m’intéressent », confie-t-il en soulignant le penchant humain pour la découverte de failles – ou d’un moyen de tricher, ce qui arrive parfois avec les jeux vidéo. « Le pre­ mier Super Mario Bros consti­ tue un exemple fascinant. Dans son univers de Lego, Mario saute sur un cylindre vert à la fin d’une étape et se retrouve par erreur au niveau Monde-1 lequel est étonnam­ ment composé d’une palette de couleurs provenant d’un

Des attraits inattendus

L’attrait des jeux n’est pas tou­ jours lié à sa raison d’être princi­ pale. « Animal Crossing (sur Switch, ndlr) étonne en ce qu’un jeu représente pour les joueurs. Ici, point d’explosions, mais du désherbage, des prêts immobi­ liers et ne pas oublier l’anniver­ saire d’une girafe. » Mais c’est autre chose qui attire les fans de ce jeu lancé au début du confinement. « Il est devenu pour eux un espace permettant de passer du temps sur les îles d’autres joueurs et un mode de connexion similaire à un Zoom quiz. Le jeu s’est transformé en un espace social. » Newman et le NVM ont récemment lancé le projet Animal Crossing Diaries, qui répertorie les différentes façons dont le jeu a été utilisé durant le confinement. « Écou­ ter les joueurs évoquer la façon originale dont ils y ont joué est fascinant. »

thenvm.org THE RED BULLETIN

STU KENNY

Passion gaming

BANDAI NAMCO ENTERTAINMENT

DÉCOUVRIR

La technologie d’un jeu pour influencer notre relation à celui-ci. La Légende de Zelda (1986) sur NES est la première cartouche dotée d’une batterie permettant de sauvegarder la progression, et des récits plus longs, les jeux sur disque ont ensuite permis d’aller plus loin. « Ils permettaient un découpage cinématographique et un son de qualité CD, explique New­ man. Des jeux tels que Wipeout, jeu de course futuriste sorti en 1995, ont bénéficié de composi­ tions d’artistes tels que les ­Chemical ­Brothers ou Orbital . La musique des jeux vidéo est à l’origine de mon intérêt pour ceux-ci. »


PERSPECTIVES matos EXPLOSION

Gros calibre La puissance de feu de Halo Infinite est devenue réelle.

TOM GUISE

Si vous connaissez le jargon des jeux vidéo, le terme « nerf » vous est familier. Vous l’entendez chaque fois que l’efficacité d’une arme ou toute autre caractéristique du jeu est réduite pour équilibrer le gameplay lorsque l’élément devient OP (overpowered). Ce terme vient des blasters aux balles en mousse. Comme le savent tous ceux qui ont déjà tiré avec un Nerf, ces jouets sont tout sauf surpuissants. Retournant cette faiblesse à son avantage, le fabricant du Nerf, Hasbro, a produit des répliques Nerf de pistolets de jeux vidéo ­populaires. Ses derniers modèles célèbrent le jeu de tir à la première personne Halo Infinite, sorti sur Xbox et PC en novembre dernier. Le fusil extraterrestre Nerf LMTD Halo Needler (photo de droite) est une parfaite imitation de l’arme du jeu Covenant (bien qu’elle soit atténuée, tirant 10 balles molles au lieu de 26 cristaux de plasma explosifs). Le Nerf Halo Bulldog (ci-dessous) et le MA40, en revanche, affaiblissent l­ ittéralement les armes du jeu ; ils sont livrés avec des codes qui déverrouillent les skins Nerf dans le jeu vidéo Halo Infinite et permettent aux joueurs de transformer leurs adversaires en « éponges à balles ». nerf.hasbro.com

HASBRO

Le blaster à pompe Nerf Halo Bulldog contient dix balles, pas une de plus. Alors attendez-vous à aller pêcher les munitions en mousse derrière le sofa (l’expérience n’est pas reproduite dans le jeu vidéo). THE RED BULLETIN

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PERSPECTIVES apprendre de créer un dialogue entre la partie noble et magnanime de votre personnalité, encline au pardon, et votre sentiment profond de souffrance. Plus vous serez honnête, plus votre volonté à concilier ces deux aspects sera grande. »

Le pardon et ses avantages

« Imaginez ce qui changerait si vous accordiez votre pardon à cette personne. Auriezvous l’esprit tranquille ? Pensez-­vous que vous pourriez redevenir amis ? Y voyezvous un avantage tangible ? Pardonner à votre employeur pourrait, par exemple, améliorer votre productivité et vous valoir une promotion. La présence d’un avantage peut vous motiver et faire évoluer votre position. »

COMMENT ENTERRER…

… la hache de guerre

Relisez et précisez

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proposer des ateliers à ceux qui souhaitent vivre dans le pardon. « Prenez le problème des pros et des anti-vaccins. Les uns pestent contre ceux qui portent le masque et inversement, explique Martin. Une situation qui suscite le meilleur et le pire des gens alors que nous aurions tout à gagner à être indulgents. L’indulgence apaise, libère l’esprit et rend heureux. » Plus facile à dire qu’à faire, diront certains. Pas si sûr. « On a souvent du mal à par-

« L’indulgence apaise, elle libère l’esprit. » William Fergus Martin

donner parce qu’on ne nous a jamais appris à le faire. Il suffit de se détacher des souvenirs douloureux, telle est ma définition du pardon. » Mais comment se défaire une fois pour toutes de ce fardeau ?

Faites une liste

« La première question à se poser est : pourquoi ne voulez-­vous pas pardonner à une certaine personne ? Est-ce par crainte de devoir la fréquenter à nouveau ? La première étape consiste à rédiger un plan de mission : “Je veux pardonner à X pour l’offense Y.” Si vous doutez de votre volonté, dites-vous que c’est comme essayer une veste que vous hésitez à acheter, vous l’essayez pour vous faire une idée. »

Soyez à l’écoute de vos émotions

« Que ressentez-vous ? De la rancune, la peur du conflit, de la culpabilité liée à votre refus de pardonner ? Le but ici est

Envisager une réconciliation

« Je peux aider les gens à minimiser l douleur, mais la réconciliation reste une étape à part. Le pardon peut impliquer un adieu : vous accordez votre pardon à une personne dont la toxicité ne peut donner lieu à une relation durable. Mais cette séparation vous délestera d’un lourd fardeau, et vous permettra d’envisager l’avenir plus sereinement. Le pardon est un acte inconditionnel, pas la réconciliation. Consulter ensemble constitue une alternative, mais c’est là une autre démarche. »

L’ebook Les quatre étapes vers le pardon et les autres publications de William Fergus Martin sont à télécharger sur le site ­globalforgivenessinitiative.com THE RED BULLETIN

TOM WARD

William Fergus Martin a réfléchi plus que quiconque à la question. Non pas que sa liste d’ennemis soit plus longue que celle d’Arya Stark dans Game of Thrones, mais simplement parce qu’un jour, il lui est venu à l’esprit l’idée que nous aurions tout à gagner à être plus indulgents. « J’écrivais un article pour un site de rencontres du genre : “Soyez l’artisan de votre bonheur au lieu d’attendre que quelqu’un d’autre s’en charge à votre place”, raconte l’auteur écossais, quand l’idée du pardon m’est apparue de manière fortuite. Le lendemain, je me suis assis à mon ordinateur et d’autres idées ont suivi jusqu’à fournir suffisamment de matière pour un bouquin entier. » Ce livre parle du pouvoir du pardon a été publié en 2013. Il s’agit d’un mode d’emploi pour savoir pourquoi et comment pardonner. Martin a ensuite créé l’association The Global Forgiveness Initiative, afin de

GETTY IMAGES

En ces temps où les nerfs sont à vif et où nous sommes prompts à tirer un trait les uns sur les autres, pardonner est plus salutaire que jamais.

« Revenez à l’étape 1 et déterminez s’il y a lieu d’apporter des modifications. L’acte pardonné doit-il être reformulé ? Votre ressenti a-t-il évolué à cet égard ? Répétez ces étapes jusqu’à ce que votre attitude évolue. Vous serez étonné du peu de catharsis qu’il faut pour nous disposer à pardonner. »


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Les journalistes de SO PRESS n’ont pas pris part à la réalisation de The Red Bulletin. SO PRESS n’est pas r­ esponsable des textes, photos, ­illustrations et dessins qui engagent la seule responsabilité des auteurs.

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Pour finir en beauté

Voici un aperçu du dernier projet de Fred Fugen (notre photo), spécialiste des vols en wingsuit et BASE jumper pro, dont vous découvrirez la vidéo sur redbull.com. On l’y voit en wingsuit dans le ciel égyptien, aux côtés de Vincent Cotte (ancien membre des équipes de France de parachutisme), piquer sur les pyramides de Gizeh et approcher celle de Khéphren de si près qu’ils pourraient en effleurer les pierres millénaires de la main.

Le prochain THE RED BULLETIN sortira le 31 mars 2022.

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Monumental !


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THE RED BULLETIN N° 116 – 03/2022


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