Histoire de la Réformation du Seizième Siècle Vol 5

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ISBN : 210-7-85933-777-1

Données de catalogage avant publication

Edité par : Light of the World Publications Company Ltd.

Imprimé en Turin, Italie

Publié par Light of the World Publications Company Ltd

P.O. Box 144, Piazza Statuto, Turin, Italie

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LaLumièrebrilledansl'Obscurité

Light of the World Publication Company Limited

(La Lumière du Monde)

P.O.

Box 144 Piazza Statuto, Turin, Italy

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HISTOIRE

D E LA

RÉFORMATION

DU SEIZIÈME SIÈCLE, PARJ.H. MERLED'AUBIGNÉ.

«J'appelle accessoire, l'état des affaires de ceste vie « caduque et transitoire. J'appelle principal, le gou« vernement spirituel auquel reluit souverainement la « providence de Dieu. »

THÉODOREDE BÈZE

Tome Cinquième.

PARIS,

FIRMIN DIDOT FRÈRES , LIBRAIRES,

RUE JACOB N -56 ;

L. R. DELAT , LIBRAIRE, RUE BASSE-DIJ-REMPART, N° 6a.

GENÈVE,

G.KAUFMANN,LIBRAIRE, RUE DES ALLEMANDS, N° 50.

MDCCCLXII.

Cette page a été laissée vierge intentionnellement

AVANT-PROPOS

Cette édition a été reproduite par Light of the World Publication Company. Ce livre vise à apporter la lumière sur les véritables controverses en jeu, comme en témoignent les luttes inchangées et les multiples dilemmes moraux. Le récit et les illustrations sont spécialement conçus et intégrés pour informer le lecteur des évolutions pertinentes dans les domaines historique, scientifique, philosophique, éducatif, politico-religieux, socioéconomique, juridique et spirituel. En outre, des schémas et des corrélations clairs et incontestés peuvent être découverts, ce qui permet de percevoir le réseau, le fonctionnement en corrélation et le chevauchement d’écoles de pensée antithétiques, mais harmonieuses.

La longue trajectoire de coercition, de conflit et de compromis de la Terre a préparé la plate-forme pour l'émergence d'une Nouvelle Ère. Des questions brûlantes accompagnent l'avènement de cette nouvelle ère attendue, accompagnée de ses superstructures, systèmes de gouvernance, régimes fondés sur les droits et idéaux de liberté et de bonheur. Modelée sur la supercherie de rampante, la répression stratégique et les objectifs du nouvel ordre mondial, ce e-book établit un lien entre les réalités modernes, les mystères spirituels et la révélation divine. Il retrace l'évolution chronologique allant d'une catastrophe nationale à la domination mondiale, la destruction d'un ancien système et la création d'un nouveau; éclairant succinctement sur l’amour, la nature humaine et même une intervention surnaturelle.

Maintes et maintes fois, des événements remarquables ont façonné le cours de la vie et de l'histoire, tout en préfigurant l'avenir. Vivant à une époque de grande turbulence et d’incertitude, l’avenir n’est que faiblement compris. Heureusement, ce travail permet une vision panoramique du passé et du futur, en soulignant les moments critiques du temps qui s’est écoulé dans l'accomplissement de la prophétie.

Bien que leur naissance soit dans des conditions peu encourageantes, dans des creusets exténuants, plusieurs individus sont résolus à persévérer dans la vertu et à sceller leur foi, laissant ainsi une marque indélébile. Leurs contributions ont façonné la modernité et ont ouvert la route pour un point culminant et merveilleux, et un changement imminent. Par conséquent, cette littérature sert à la fois d'inspiration et d'outil pratique pour une compréhension pénétrante et profonde derrière des questions sociales, de la religion et de la politique. Chaque chapitre raconte à la fois le monde et la condition humaine, enveloppée dans l'obscurité, assiégée de toutes parts dans des affrontements vifs, et poussé par des programmes sinistres, cachés et arrière-pensées. Ici, ceux-ci sont exposés sans vergogne à la vue de tous. Néanmoins, chaque page rayonne de rayons resplendissants de courage, de délivrance et d'espoir.

En fin de compte, c’est notre fervent désir que chaque lecteur fasse l'expérience de l'amour et accepte la vérité. Dans un monde imprégné de mensonges, d'ambiguïtés et de manipulations, la vérité restera à jamais comme l'attente quintessentielle dans l'âme. La vérité engendre la vie, la beauté, la sagesse et la grâce; aboutissant à un objectif renouvelé, à une vigueur et à une transformation authentique, mais personnelle, de perspective et de vie.

AVANT-PROPOS

L'auteur a retracé dans les quatre premiers volumes, les origines et les développements essentiels de la Réformation du seizième siècle sur le continent; il en vient maintenant à la Réformation d'Angleterre.

On trouvera dans les notes l'indication des principales sources auxquelles il a puisé. La plupart :-, ont connues; il en est pourtant qui ont été peu ou point explorées; de ce nombre sont les State papers (Papiers d'État), tirés des Archives du Royaume Uni, publiés par ordre de la reine d'Angleterre et par les soins d'une commission, dont l'illustre Robert Peel a été le premier président. Les trois derniers ministres de l'intérieur, les très honorables : sir James Graham, sir George Grey, et S. H. Walpole, ont fait don à l'auteur des divers volumes de ce grand et important recueil ; quelquefois même ils les lui ont communiqués avant la publication, le tome septième en particulier, dont il a fait un grand usage. Il témoigne ici sa sincère reconnaissance à ces nobles amis des lettres.

On rencontrera dans ce volume quelques mots qui ne sont pas consacrés par l'autorité de l'Académie française, hiérarchisme, sacramentalisme, par exemple. L'auteur a cru que l'emploi de ces termes qui existent dans d'autres langues était facile à justifier. La langue française, si parfaite à tant d'égards, n'est pas très riche en expressions théologiques; cela se comprend; et cela excuse peut-être une hardiesse que l'auteur s'interdirait dans toute autre matière.

L'histoire de la Réformation du seizième siècle, reçue sur le continent avec bienveillance, a eu un nombre de lecteurs plus considérable encore dans les États britanniques et les États-Unis. L'auteur regarde les rapports que cet ouvrage a formés entre lui et plusieurs chrétiens éloignés, comme une précieuse récompense de ses travaux. Ce nouveau volume sera-t-il reçu dans ces contrées aussi favorablement que les autres? Un étranger racontant à des Anglo-Saxons l'histoire de la Réformation religieuse de l'Angleterre a quelques désavantages ; mais quoique l'auteur eût préféré renvoyer ses lecteurs aux travaux des écrivains anglais, anciens ou modernes, tous plus capables que lui d'accomplir cette tâche, il n'a pas cru qu'il lui fût permis de s'y soustraire.

L'histoire de la Réforme anglaise ne pouvait manquer en aucun temps, dans une histoire générale de la Réformation du seizième siècle ; elle le peut à cette heure moins que jamais.

D'abord, la Réformation d'Angleterre a été et même est encore calomniée par des écrivains de partis divers, qui n'y voient qu'une transformation extérieure, politique, et qui en méconnaissent ainsi la nature spirituelle. L'histoire a appris à l'auteur que ce fut essentiellement une transformation religieuse, et que c'est dans des hommes de foi qu'il faut la chercher, et non pas seulement, comme on le fait

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ordinairement, dans les caprices du prince, dans l'ambition des seigneurs, et dans la servilité des prélats. Un récit fidèle de cette grande rénovation montrera peut-être qu'en dehors des mesures de Henri VIII, il y avait quelque chose, tout, pour ainsi dire, car il y avait l'essentiel de la Réformation, ce qui en a fait une œuvre divine et impérissable.

Un second motif nous a fait sentir la nécessité d'une histoire véritable de la Réforme anglaise. Un parti actif de l'Église épiscopale relève avec ardeur, avec persévérance et avec talent les principes du catholicisme romain, prétend les imposer à l'Église réformée d'Angleterre, et attaque incessamment les bases du christianisme évangélique.

Un grand nombre de jeunes gens des universités, séduits par le mirage trompeur que quelques-uns de leurs maîtres placent devant leurs yeux, se jettent dans des théories cléricales et superstitieuses, et courent risque de tomber tôt ou tard, comme déjà tant d'autres l'ont fait, dans le gouffre toujours béant de la papauté. Il faut donc rappeler les principes réformateurs qui furent proclamés dès le commencement de cette grande transformation. La position nouvelle que la cour romaine prend en Angleterre, et ses agressions hardies, sont une troisième considération qui nous semble démontrer l'importance actuelle de cette histoire. Il est bon de rappeler que le christianisme primitif de la Grande-Bretagne repoussa avec persévérance l'invasion de la papauté, et qu'après la victoire définitive de cette domination étrangère, les voix les plus nobles parmi les rois, parmi les grands, parmi les prêtres, parmi le peuple, protestèrent courageuse ment contre elle. Il est bon de montrer que, tandis que la Parole de Dieu reconquérait au seizième siècle, dans la Grande-Bretagne, ses droits inaliénables, la papauté, agitée par des intérêts tout politiques, rompait elle-même la chaîne dont elle avait si longtemps enlacé l'Angleterre. On verra, dans ce volume, le gouvernement anglais se prémunir, par exemple sous Édouard III, contre les envahissements de Rome. [1]

On a prétendu de nos jours, et ce ne sont pas seulement des ultramontains qui l'ont fait, que la papauté étant une puissance purement spirituelle, il ne faut lui opposer que des armes spirituelles. Si la première partie de ce raisonnement était vraie, personne ne serait plus empressé que nous à en proclamer la conclusion. A Dieu ne plaise qu'aucun État protestant refuse jamais aux doctrines catholiques-romaines la plus complète liberté! Sans doute nous désirons qu'il y ait réciprocité ; nous demandons que l'ultramontanisme ne jette plus en prison d'humbles fidèles qui cherchent leur consolation et celle de leurs amis dans les saintes Écritures.

Mais quand même un déplorable fanatisme continuerait à ramener dans le dixneuvième siècle les scènes lugubres du moyen âge, nous persisterions à demander que la plus complète liberté, non-seulement de conscience, mais de culte, fût garantie dans les États protestants aux catholiques-romains. Nous le demanderions à cause de la justice, dont l'injustice de nos adversaires ne peut nous faire oublier

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les immuables lois ; nous le demanderions pour le triomphe final de la vérité ; car si nos réclamations ne sont pas utiles, peut-être qu'avec le secours de Dieu notre le véritable représentant de cette opposition, l'auteur a signalé plus spécialement dans ce volume la date de 1353, qui est celle de la loi la plus importante promulguée par ce prince ; toutefois, la loi de 1393 est la plus connue et l'auteur lui a emprunté quelques expressions.

Exemple le sera. Quand il y a deux mondes en présence, dans l'un desquels se trouve la lumière et dans l'autre les ténèbres, ce sont les ténèbres qui doivent s'évanouir devant la lumière, et non la lumière qui doit céder aux ténèbres. Il y a plus; nous voudrions que loin de gêner en rien les catholiques anglais, on les aidât au contraire à être encore plus libres qu'ils ne le sont, à récupérer des droits dont l'évêque romain les a dépouillés dans des temps posté rieurs à l'établissement de la papauté, par exemple l'élection des évêques et des pasteurs, qui appartient au clergé et au peuple. En effet, Cyprien écrivant à un évêque de Rome (Corneille), demandait pour la légitimité de l'élection épiscopale trois éléments : “ H La vocation de Dieu, le suffrage du peuple, et le consentement des Co évêques (co episcoporum). [2] » Et le concile de Rome de l'an 1080 disait lui-même : “ H Il faut que le clergé et le peuple, avec le consentement du siège apostolique ou du métropolitain, se choisissent un pasteur se Ion Dieu*. »

Dans les jours où nous sommes, qui se distinguent par une grande liberté, l'Église sera l-elle moins libre qu'elle ne l'était au moyen âge? Mais si nous ne craignons pas de réclamer pour les catholiques les droits de l'Église des premiers siècles, et une liberté plus grande que celle qu'ils ont à cette heure, même dans les pays de la papauté, faudra-t-il dire pour cela que l'État, soit sous Edouard III, soit plus tard, n'eût dû opposer aucune barrière aux invasions romaines ? S'il est dans l'esprit et dans l'essence de la papauté de franchir les limites religieuses et d'entrer dans le domaine politique, alors pourquoi trouver étrange que l'État cherche à se défendre quand on vient l'attaquer sur son propre terrain ? L'État n'aurait-il aucune précaution à prendre contre un pouvoir qui a prétendu être souverain de l'Angleterre, qui en a donné en conséquence la couronne à un monarque français, qui a obtenu d'un roi anglais le serment de vasselage, et qui pose comme premier dogme son infaillibilité, et son immutabilité?

Si le pape veut porter atteinte, de manière quelconque, aux droits de l'État, alors que l'État lui résiste avec une sagesse éprouvée et une inébranlable fermeté. Gardons-nous d'un ultra-spiritualisme qui oublie les enseignements de l'histoire et méconnaît les droits des peuples et des rois. S'il se trouve chez des théologiens, c'est une erreur; si chez des hommes d'État, c'est un danger.

Enfin, et cette considération relève nos espérances, il est un quatrième motif qui donne à cette heure une importance particulière à l'histoire que nous allons raconter. La Réformation entre maintenant dans une phase nouvelle. Le

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mouvement du seizième siècle s'était ralenti pendant le dix-septième et le dixhuitième, et ce fut souvent à des Églises plongées dans la mort que l'historien dut alors raconter cette grande vivification. Il n'en est plus de même. Un mouvement nouveau et plus vaste succède, après trois siècles, à celui que nous décrivons dans ces volumes. Les principes de la régénération religieuse que Dieu accomplit il y a trois cents ans, sont portés maintenant jusqu'au bout du monde, avec une grande énergie. La tâche du seizième siècle se représente au dix-neuvième ; mais plus dégagée du pouvoir séculier, plus spirituelle, plus universelle ; et c'est principalement de la race anglo-saxonne que Dieu se sert pour accomplir cette œuvre œcuménique. La Réforme anglaise acquiert donc de nos jours une importance spéciale.

L'œuvre commencée au temps des apôtres, renouvelée au temps des réformateurs, doit être reprise partout de nos jours avec un saint enthousiasme; et cette œuvre est bien simple et bien belle, car elle consiste à établir, dans l'Église et sur la terre, le trône de Jésus-Christ.

La foi évangélique ne place pas sur le trône de l 'Église la raison humaine ou la conscience religieuse, comme quelques-uns le veulent. Elle y place Jésus Christ, qui est à la fois la science enseignée et le docteur qui l'enseigne ; qui explique sa Parole, par sa Parole, et par les lumières de son Saint-Esprit; qui rend par elle témoignage à la vérité, c'est à dire à sa Rédemption, et enseigne les lois essentielles qui doivent régir la vie intérieure de ses disciples. La foi évangélique fait appel à l'intelligence, au cœur et à la volonté de chaque chrétien, mais pour leur imposer le devoir de se soumettre à l'autorité divine de Jésus-Christ, d'écouler, de croire, d'aimer, de comprendre et d'agir, comme Dieu le demande.

La foi évangélique ne place pas sur le trône de l'Eglise la puissance civile, le magistrat séculier. Elle y place Jésus-Christ, qui a dit : Je suis Roi ; qui communique à ses sujets le principe de la vie, qui établit son royaume ici-bas, le conserve, le développe, et qui dirigeant toutes les choses humaines, fait maintenant la conquête progressive du monde, en attendant qu'il exerce en personne son divin empire dans le royaume de sa gloire.

La foi évangélique, enfin, ne place pas sur le trône de l'Église les prêtres, les conciles, les docteurs et leurs traditions, ce vice-Dieu (Veri Dei vicem gerit in terris, comme dit la glose romaine), ce pontife infaillible, qui renouvelant les erreurs des païens, attribuent le salut aux opérations du culte et aux œuvres méritoires de l'homme. Elle y place Jésus Christ, le grand Pontife de son peuple, le Dieu-homme, qui par un acte do son libre amour a porté à notre place dans son sacrifice expiatoire la peine du péché, a enlevé la malédiction de dessus nos têtes, et s'est fait par là même le créateur d'une race nouvelle.

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Telle est l'œuvre essentielle du christianisme, que l'âge apostolique transmit aux réformateurs, et qu'il transmet maintenant aux chrétiens du dix-neuvième siècle.

Tandis que les pensées d'un grand nombre s'égarent au milieu des rites, des prêtres, des élucubrations de l'homme, des fables pontificales, des rêveries philosophiques, et s'agitent dans la poussière de ce monde, la foi évangélique s'élève jusqu'aux cieux, et se prosterne devant Celui qui est assis sur le trône.

La Réformation, c'est Jésus-Christ. A qui irions-nous, Seigneur, si ce n'est à toi [3]?

» Que d'autres suivent leurs propres imaginations, se prosternent devant des superstitions traditionnelles, ou baisent les pieds d'un homme pécheur... ô Roi de gloire ! Nous te voulons Toi seul !

Genève, Eaux-Vives, janvier 1853.

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HistoiredelaReformationduSeizièmeSiècle 7 TABLE DES MATIERES LIVRE XVII. L'Angleterre avant la Réforme 22 CHAPITRE I .....................................................................................................................22 CHAPITRE II....................................................................................................................33 CHAPITRE III 42 CHAPITRE IV ..................................................................................................................57 CHAPITRE V....................................................................................................................65 CHAPITRE VI 70 CHAPITRE VII.................................................................................................................76 CHAPITRE VIII................................................................................................................85 CHAPITRE IX ..................................................................................................................95 CHAPITRE X..................................................................................................................100 CHAPITRE XI ................................................................................................................110 CHAPITRE XII...............................................................................................................117 CHAPITRE XIII 121 LIVRE XVIII. LA RENAISSANCE DE L'ÉGLISE..............................................128 CHAPITRE I ...................................................................................................................128 CHAPITRE II 137 CHAPITRE III.................................................................................................................145 CHAPITRE IV ................................................................................................................152 CHAPITRE V 161 CHAPITRE VI ................................................................................................................167 CHAPITRE VII...............................................................................................................171 CHAPITRE IX 184 CHAPITRE X..................................................................................................................189 CHAPITRE XI ................................................................................................................195 CHAPITRE XII...............................................................................................................203 LIVRE XIX. Le Nouveau Testament en anglais et la cour de Rome....................215 CHAPITRE I ...................................................................................................................215 CHAPITRE II..................................................................................................................224
HistoiredelaReformationduSeizièmeSiècle 8 CHAPITRE III 233 CHAPITRE IV ................................................................................................................241 CHAPITRE V..................................................................................................................247 CHAPITRE VI 253 CHAPITRE VII...............................................................................................................261 CHAPITRE VIII..............................................................................................................267 CHAPITRE IX ................................................................................................................275 CHAPITRE X 282 CHAPITRE XL ...............................................................................................................292 LIVRE XX. LES DEUX DIVORCES......................................................................300 CHAPITRE I 300 CHAPITRE II..................................................................................................................310 CHAPITRE III.................................................................................................................317 CHAPITRE IV 330 CHAPITRE V..................................................................................................................335 CHAPITRE VI ................................................................................................................341 CHAPITRE VII...............................................................................................................349 CHAPITRE VIII..............................................................................................................358 CHAPITRE IX ................................................................................................................366 CHAPITRE X..................................................................................................................372 CHAPITRE XI ................................................................................................................379 CHAPITRE XII...............................................................................................................388 CHAPITRE XIII..............................................................................................................393 CHAPITRE XIV..............................................................................................................398 CHAPITRE XV...............................................................................................................406 CHAPITRE XVI..............................................................................................................418

TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME.

LIVRE XVII. L'ANGLETERRE AVANT LA RÉFORME.

CHAPITRE I.

Introduction. œuvre du seizième siècle. Unité et diversité Nécessité de considérer l'ensemble de l'histoire religieuse de l'Angleterre. Établissement du christianisme dans la Grande-Bretagne. Formation du catholicisme ecclésiastique dans l'empire romain. C'est le christianisme spirituel que la Bretagne reçoit. Esclavage et conversion de Succat. Sa mission en Irlande. Pélage. Les Anglo-Saxons rétablissent le paganisme en Angleterre Colomba à Iona. Doctrine évangélique. Presbytérat et épiscopat dans la Grande-Bretagne. Missions continentales des Bretons. Une négligence.

CHAPITRE II.

Missions romaines dans l'Angleterre païenne. Premiers succès. Appréciation. L'archevêque romain entreprend de soumettre les chrétiens bretons. Première agression : Dionoth. Seconde agression : Assemblée de Wigornia. Les Bretons consultent une solitaire Troisième agression : Massacre près de Bangor. Apostasie des Saxons et vision de saint Pierre. Oswald en Écosse. Conquête et missions d'Oswald, dans le Northumberland. L'évêque Aïdan et le roi Oswald. Succès des missionnaires d’Iona.

CHAPITRE III.

Le palais des rois du Northumberland. Wilfrid à Rome, puis à la cour. Finan et Colman. La lutte commence. Circonstances qui décident Rome à agir. Le synode de Streanch-Hall. Discours d'Oswy, de Wilfrid, de Colman. Victoire de Rome. Zèle de Wilfrid et d'Oswy. Cadeaux du pape. Théodore, archevêque, soumet l'Angleterre à Rome. Discorde dans le camp romain. Fin de Wilfrid. Chute d'Adamnan d’Iona. Chute de Naïtam, roi des Pictes. Le moine Ecgbert et ses visions. Chute d’Iona.

CHAPITRE IV.

Le protestant écossais Clément. Sa lutte avec Boniface. Concile de Soissons. Le protestantisme vaincu. Autres Bretons sur le continent. Scot Érigène. Rationalisme panthéiste. Le roi Alfred et la Bible. Ténèbres et romanisme dans la Grande-Bretagne. Guillaume le Conquérant. Il se soumet les évêques. Il maintient sa suprématie vis-à-vis du pape. Excès de la césaro-papie sous Guillaume le Roux

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CHAPITRE V.

Époque du triomphe de la papauté en Angleterre. Anselme. Thomas Becket. Humiliation d’Henri II. Le pape nomme un archevêque de Cantorbéry. Colère de Jean sans Terre. Le roi vassal du pape. Protestantisme national de la Magna Charta. Menaces de Rome. Moqueries des prêtres. Résistance des barons. Le roi, vassal du pape, pille l'Angleterre. Culte et doctrines de la papauté établis

CHAPITRE VI.

Commencement de la réaction protestante. Grosse-Tète. Soumission à l'Écriture, résistance au pape. Sewal. La nation anglaise grandit. Premières répressions légales. Édouard III et Bradwardin. Conversion de Bradwardin. Son influence et sa théologie. Statut de provision. Statut de prémunir. Colère des Romains. Appréciation

CHAPITRE VII.

Puissance et excès des moines. Le pape réclame la suzeraineté de l'Angleterre. Un étudiant d'Oxford. Enseignements de Wiclef. Débats parlementaires.

Résistances de Wiclef au pape. Accord de Bruges. Prédication de Wiclef.

Comparution devant la Convocation. Lancaster, Perey et Courtenay. Désordres. Wiclef déclare le pape un Antéchrist. Brefs du pape contre lui. Citation et délivrance. Protestation. Phase politique, phase religieuse. Mission des pauvres prêtres. Persécution. Maladie de Wiclef et les quatre régents

CHAPITRE VIII.

Traduisant la Bible. Succès de cette traduction. Attaque des moines. Quatrième phase : la théologie. Il rejette la transsubstantiation. Condamnation de Wiclef. Sa résistance et son appel au roi. Révolte de WatTyler. Un synode, convoqué par Courtenay, condamne dix propositions de Wiclef. Sa pétition aux communes. Comparution de Wiclef à Oxford. Il est cité à Rome Sa réponse. Le Trialogue. Il se prépare au martyre. Sa mort à Lutterworth. Caractère, doctrines, prophétie de Wiclef.

CHAPITRE IX.

Triomphe des doctrines de Wiclef après sa mort. Pétition et conclusions des Wicléfites. Opposition d'Arondel et du roi Richard Persécutions de Henri IV. Le premier martyr. Constitution d'Arondel. Évangélisme de lord Cobham. Cobham devant Henri V. Devant la cour ecclésiastique. Sa confession. Sa condamnation. Sa mort. Les lollards.

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CHAPITRE X.

Le lollardisme et l'humanisme. Anglais à Florence, Italiens en Angleterre. Les Tudors. Henri VII, sa mère et ses fils. Érasme et Thomas More. Mondanité et ascétisme. Jean Colet et sa table Visite à Eltham. L'Octave de l'Angleterre. Mariage d'Arthur et de Catherine d'Aragon. Mort d'Arthur. Fiançailles de Henri avec la veuve de son frère. Sa protestation. Mort d’Henri VII. Avènement d’Henri VIII. Érasme appelé. Jules II et Th. Cromwell. Mariage d’Henri et de Catherine. Fêtes à la cour. Tournois

CHAPITRE XI.

Le pape pousse Henri à la guerre. Sermon de Colet. Campagne d’Henri. Mariage de Louis XII et de Marie Tudor. Anne Boleyn. Fètes. Mort de Louis. Mariage de Marie et de Suffolk. Anne Boleyn et Marguerite de Valois. Les lettres en Angleterre. More et Henri. Wolsey veut une réforme. Colet et Érasme. Prédication du doyen. On l'accuse. École de Saint-Paul. Les Troyens et les Grecs.

CHAPITRE XII.

Thomas Wolsey. Son premier exploit. 11 gagne Henri. Wolsey archevêque, cardinal, grand chancelier, légat. Son ostentation. Système d'espionnage. Vertus d'apparat. Première lutte entre l'Église et l'État. Un caractère hiérarchique.

CHAPITRE XIII.

Les loups et les brebis. Richard Hun cité et justifié. – Guet-apens nocturne. Enquête. Aveux. Condamnation posthume- Hun réhabilité. Une barque entre Londres et Gravesend. Une fête de famille à Ashford. Brown arrêté. Sa torture et sa confession. Brown à Ashford. Son martyre et sa fille. Guerre aux humanistes. Érasme. Sa carrière est finie. L'an 1517 et le seizième siècle. Érasme à Etale

LIVRE XVIII. LA RENAISSANCE DE L'ÉGLISE.

CHAPITRE I.

Quatre puissances réformatrices. Laquelle réforma l'Angleterre_ Réforme papale? Réforme épiscopale? Réforme royale? Ce qu'il faut pour que la Réforme soit légitime. Part de la' puissance royale. Part de l'autorité épiscopale. La haute et la basse Église. Événements politiques. Le Nouveau Testament grec et latin. Pensées d'Érasme. Enthousiasme et colère. Vœu d'Érasme. Clameurs des piètres. Leur attaque à la cour. Étonnement

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d'Érasme. Ses travaux pour cette œuvre. Edouard Lee, son caractère. La tragédie de Lee. Conspiration.

CHAPITRE II

Effets du Nouveau Testament dans les universités. Conversations. Un fellow de Cambridge. Bilney achète le Nouveau Testament. Le premier passage. Sa conversion. Le protestantisme issu de l'Évangile. La vallée de la Severn. Un fils des Roses rouges à Oxford. Tyndale étudie les Écritures. Les trames commencent. Fryth. Enseignement de l'helléniste, du canoniste et du mathématicien. La conversion est-elle possible? La vraie consécration. La Réformation a commencé.

CHAPITRE III

Alarme du clergé. Les deux jours. Le docteur Man. La vraie présence réelle. Les martyrs de Conventry. Standish prêche à Saint-Paul. Standish à la cour. Sa défaite. Dessein ambitieux de Wolsey. Première ouverture. Ambition d’Henri. Conférence de Th. Boleyn et de François I. - La tiare promise à Wolsey. Ses intrigues avec Charles et François

CHAPITRE IV

Tiens à table. Les Écritures. Les images. L'ancre de la foi. Un camp romain. Prédications, la foi et les œuvres. Tyndale accusé par les prêtres. Ils arrachent ce qu'il plante. Il veut traduire l'Écriture. Conversion au manoir.

On l'attaque dans les cabarets. Comparution devant le chancelier. Un vieux docteur le console. Un scolastique veut le ramener. Retraite et travail. Son secret s'évente. Ses adieux au manoir

CHAPITRE V.

Les écrits de Luther en Angleterre. Consultation des évêques. Publication de la bulle de Léon X. Les livres de Luther brûlés. Lettre d’Henri VIII. Il entreprend d'écrire contre Luther. Cri d'alarme. Tradition et sacramentalisme. Prudence de Th. More. Le livre remis au pape. Le défenseur de la foi. Joie d’Henri.

CHAPITRE VI.

Machinations de Wolsey pour parvenir à la papauté. Il gagne Charles-Quint. Alliance entre le roi d'Angleterre et l'Empereur. Wolsey brigue la place de général en chef. Traité de Bruges. Henri se croit roi de France. Victoires de François ter. Mort de Léon X.

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CHAPITRE VII.

Les justes hommes du Lincolnshire. Leurs conventicules. Agnès et Morden. Bibliothèque circulante. Conversations polémiques. Sarcasmes. Ordonnance royale et terreur. Dépositions et condamnations. Quatre martyres. Un conclave. Charles console Wolsey

CHAPITRE VIII.

Caractère de Tyndale. Il arrive à Londres. Il prêche. Le drap et l'aune.

L'évêque de Londres donne audience à Tyndale. Il est renvoyé. Un marchand chrétien de Londres. Un esprit d'amour dans la Réformation. Tyndale chez Monmouth. Fryth traduit avec lui le Nouveau Testament. Sollicitations de l'évêque de Lincoln. Persécution à Londres. Résolution de Tyndale. Il part. Son indignation contre les prélats. Ses espérances.

CHAPITRE IX.

Bilney à Cambridge. Conversions. Un porte-croix. Un fermier du Leicestershire. Un repas d'étudiants. La chasse du diable. Un « papiste obstiné. » Les « sophistes. » Latimer attaque Stafford. Oraison contre Melanchthon. Un essayeur. Un hérétique se confesse à un catholique. Le confesseur converti par le pénitent. Transformation de Latimer. Bilney prêche la grâce. Musique et prière. Nature du ministère. Caractère et prédication de Latimer. Les travaux de la charité. Mondanité et brutalité. Clark et Dalaber

CHAPITRE X.

Mort d'Adrien, ambition de Wolsey. Intrigues. Jules de Médicis élu. Irritation et dissimulation de Wolsey. Sa haine contre Charles-Quint. Charles offre à Henri la couronne de France. Mission de Pace. Réforme de Wolsey en Angleterre. Réprimande du roi. Effets de Pavie en Angleterre. Wolsey décide Henri contre Charles. Impôt et révolte. Les chrétiens évangéliques et le clocher de Tenterton

CHAPITRE XI.

Tyndale à Hambourg. Saint Matthieu et saint Marc. Ennuis et pauvreté. Tyndale vit-il Luther? Tyndale à Cologne. Le Nouveau Testament s'imprime. Soudaine interruption. Cochlée caché à Cologne. Les manuscrits de Rupert. Découverte de Cochlée. Ses recherches. Son effroi. Rincke et la prohibition du sénat. Consternation et décision de Tyndale. Cochlée écrit en Angleterre. Tyndale remonte le Rhin. Il imprime à Worms deux éditions du Nouveau Testament. Prière de Tyndale

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CHAPITRE XII.

Cambridge. Paul ressuscité. Prédications de Latimer. Un écolier de Norfolk. Une merveilleuse transformation. Une nouvelle vie. La grâce et la liberté. Prédication de Buckingham contre la Bible. Résolution de Latimer. Il fustige le prieur. Agitation des prêtres. Persécution. Latimer prêche devant l'évêque d'Ely. Un sermon contre Luther. La chaire interdite à Latimer. Le plus zélé de tons les prélats. Foi de Latimer. Barnès le restaurateur des lettres. Il lutte avec Stafford. Bilney prie pour sa conversion. Son caractère partagé. Il donne sa chaire à Latimer. Caractère de Fryth. Les évangéliques veulent attaquer l'erreur. Le dimanche de Noël 1525. Barnès attaque Wolsey. On le dénonce. Rétractation refusée. Grand mouvement évangélique à Cambridge. L'Allemagne et les Allemands. La « nouvelle Jérusalem. » Wolsey place à Oxford des hommes de Dieu. Quelques navires

LIVRE XIX. LE NOUVEAU TESTAMENT EN ANGLAIS ET LA COUR DE ROME.

CHAPITRE I.

L'Église et l'État. Henri VIII fut-il le réformateur de son peuple ? L'Église est créée par l'Esprit de Dieu. Nécessité de la liberté. Le Testament de Christ et la cour de Rome. Les Nouveaux Testaments arrivent. Le curé de Tous-les-Saints. Dissémination des Écritures. Ce qu'on y trouve. Le Testament, la Loi, l'Évangile. Le gendre de Th. More. Le Testament vendu à Oxford. Henri VIII et son valet de chambre. Une séance dans le cabinet du roi. La Supplique des mendiants. Comment on ruine un État. Jugement du roi. La procession de la Chandeleur. Supplique des cimes du Purgatoire

CHAPITRE II.

Conseil et résolution des évêques. Les inquisiteurs à Oxford : Garret se sauve. Dalaber cache les Testaments. Garret retourne à Oxford. Il est saisi et s'échappe. Entrevue de Garret et de Dalaber. Dalaber à genoux lit Matth. X. Le Magnificat. Alarme des romanistes. L'amour des frères à Oxford. Souper et prière. Cauchemar et promenade de Dalaber. On a visité sa chambre. Dalaber et son anneau devant le prieur. On le met à la torture. Prière et résolution. Garret saisi. Plusieurs fellows d'Oxford sont emprisonnés. La cave du poisson salé. Deux fellows absous. Condamnation de tous les autres

CHAPITRE III.

Cambridge. Souveraineté du moi humain dans le catholicisme. Barnès publiquement arrêté. Recherches inutiles. Barnès conduit à Londres.

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Barnès devant Wolsey. Question sur les évêques. Wolsey se justifie. Il menace Barnès du feu. Apologie. Abjurer ou être brûlé. Chute de Barnès.

Barnès et les cinq marchands hanséatiques à Saint-Paul. Richard Bayfield. Oxford ; état misérable des prisonniers. La communion par la foi. Mort de quatre des prisonniers. Wolsey ordonne l'élargissement des autres

CHAPITRE IV.

Lettre de Luther. Colère d’Henri. Sa réponse. Réplique de Luther. Nouvelles persécutions. Barnès distribue en prison le Nouveau Testament et s'enfuit. Ordonnance contre les Nouveaux Testaments. W. Roye à Caïphe. On découvre une troisième édition du Nouveau Testament. Hacket poursuit l'éditeur à Anvers. Triomphe de la liberté et de la loi. Plaintes de Hacket. Saisie. L'an 1526 en Angleterre

CHAPITRE V.

Wolsey forme le dessein du divorce. Preuves. Le roi n'a pas de fils. Refroidissement et trouble d’Henri. Conférence du cardinal et du confesseur. Wolsey demande le divorcé à Henri. Secondes instances. Wolsey propose au roi Marguerite de Valois. Examen. Première mention publique par l'évêque de Tarbes. Agitation et consolation du roi. Effroi et plaintes de Catherine. Ruse contre ruse. Éclat de la reine

CHAPITRE VI.

Anne Boleyn chez Marguerite de Valois. Anne, dame d'honneur de Catherine. Inclination de lord Perey. Wolsey les sépare. Siège de Rome et Cromwell. Intercession de Wolsey pour la papauté. Il demande Renée de France pour Henri. Il échoue. Anne reparaît à la cour. Elle repousse les hommages du roi. Lettre d’Henri. .JI se résout à hâter le divorce. Deux motifs qui portent Anne à refuser la couronne. Opposition de Wolsey

CHAPITRE VII

Prédication de Bilney. On l'arrête. prédication et emprisonnement d'Arthur. Interrogatoire de Bilney. = Lutte entre le juge et l'accusé. Chute de Bilney. Ses tourments. Deux disettes. Arrivée de la quatrième édition du Nouveau Testament. Grande joie

CHAPITRE VIII.

La papauté intercepte l'Evangile. Henri consulte More. Consultation ecclésiastique. Les universités. Clarke. La sainte nonne (lu Kent. Wolsey se décide à faire la volonté du roi. Mission auprès du pape. Quatre documents. Embarras de Charles-Quint. François-Philippe à Madrid. Accablement et

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résolutions de Charles. Il se détourne de la Réformation. Entrevue d'Angelis et du pape. Knight arrive à Rome. Pratiques et fuite. Traité du pape avec l'Empereur. Le pape s'échappe. Trouble d’Henri VIII. Ordres de Wolsey. Ses supplications.

CHAPITRE IX.

Les envoyés d'Angleterre à Orviéto. Leur discours au pape. Clément gagne du temps. Les Anglais chez Quatri Santi. Ruse du pape. Knight la découvre et revient. Les transformations de l'Antéchrist. Les Anglais obtiennent un nouveau document. Nouvelle ruse. Demande d'un second cardinal-légat. Nouvel expédient du pape. Fin de la campagne.

CHAPITRE X.

Désappointement en Angleterre. Déclaration de guerre à Charles-Quint. Wolsey veut le faire déposer par le pape. Nouveau projet. Envoi de Fox et de Gardiner. Leur arrivée à Orviéto. Leur première entrevue avec Clément. Le pape lit un livre d’Henri. Menaces de Gardiner et promesse de Clément. Le Fabius moderne. Nouvelle entrevue et nouvelles menaces. Le pape n'a pas la clef. Proposition de Gardiner. Difficultés et délais des cardinaux. Gardiner porte les derniers coups. Revers de Charles-Quint en Italie. Terreur et concession du pape. La commission est accordée. Wolsey exige l'engagement. Une porte de derrière. Angoisses du pape

CHAPITRE XI.

Rapport de Fox à Henri et Anne. Impression de Wolsey. Il demande la décrétale. Une petite manœuvre du cardinal. Il met sa conscience à l'aise. Gardiner échoue à Rome. Nouvelle perfidie de Wolsey. Colère du roi contre le pape. More prédit la liberté religieuse. Immoralité du socialisme romain. Érasme appelé. Dernier élan de Wolsey. Efforts énergiques à Rome. Clément accorde tout. Wolsey triomphe. Union de Rome et de l'Angleterre

LIVRE XX. LES DEUX DIVORCES.

CHAPITRE I.

Progrès de la Réformation. Les deux divorces. Instances auprès d'Anne. Les lettres du Vatican. Henri à Anne. Seconde lettre d’Henri. Troisième. Quatrième. Effroi de Wolsey. Ses démarches infructueuses. Il tourne. La suette. Craintes d’Henri. Nouvelles lettres à Anne. Anne malade; sa paix. Henri lui écrit. Terreur de Wolsey. Campeggi n'arrive pas. Chacun dissimule à la cour

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CHAPITRE

II.

Coverdale et l'inspiration. Il entreprend de traduire les Écritures. Sa joie et ses cantiques. Tyball et les laïques. Coverdale prêche à Bompstead. Réveil à Colchester. Les sociétés in- 4. Complètes et l'Église du Nouveau Testament. Persécution. Mon- mouth arrêté et relâché

CHAPITRE III

Revirement politique. Nouvelles instructions du pape à Campeggi. Ses retards. Il s'ouvre à François I. Une prédiction. Arrivée de Campeggi. Inquiétude de Wolsey et joie du roi. Un projet du cardinal. Réception de Campeggi. Première entrevue avec la reine. Avec le roi. Efforts inutiles pour que Campeggi donne la décrétale. La conscience du nonce. Opinion publique. Mesures prises par le roi. Son discours aux lords et aux notables. Fêtes. Wolsey recherche l'appui français. Nouvelle contrariété

CHAPITRE

IV.

Vraie catholicité. Wolsey. Affaire de Harman. West envoyé à Cologne. Travaux de Tyndale et de Fryth. Rincke à Francfort. Il fait une découverte. Tyndale à Marbourg. West retourne en Angleterre. Ses tourments dans le cloître

CHAPITRE V.

Une nécessité pour la Réformation. Instances de Wolsey à Da Casale. Une audience de Clément VII. Position cruelle du pape. Un baiser de Judas. Un nouveau bref. Bryan et Vannes envoyés à Rome. Henri et Du Bellay. Motifs de Wolsey contre le bref. Excitation à Londres. Métamorphose. Décadence de Wolsey. Ses angoisses

CHAPITRE VI.

Maladie du pape. Désir de Wolsey. Conférence sur les membres du conclave. Instruction de Wolsey. Le pape se rétablit. Discours des envoyés anglais au pape. Clément veut abandonner l'Angleterre. Les Anglais demandent au pape de renier le bref. Alarme de Wolsey. Intrigues. Clairvoyance de Bryan. Menaces d’Henri. Nouveaux efforts de Wolsey. H demande l'appel à Rome et se rétracte. Wolsey et Du Bellay à Richmond. Le navire de l'Angleterre.

CHAPITRE VII.

Discussion entre les évangéliques et les catholiques. Union de la science et de la vie. Les laïques : Tewkesbury. Sa comparution devant la cour épiscopale. Il est mis à la torture. Deux classes d'adversaires. Un duel théologique. L'Écriture et l'Église. Affranchissement des esprits. Mission dans les Pays-

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Bas. Embarras de Tyndale. Tonstall veut acheter les livres. Ruse de Packington. Tyndale part pour Anvers. Son naufrage. Il arrive à Hambourg. Il y trouve Coverdale.

CHAPITRE VIII.

Les séances royales. Séance du 18 juin ; protestation de la reine. Séance du 21 juin. Sommations au roi et à la reine. Discours de Catherine. Elle sort. Impression sur l'assistance. Déclaration du roi. Réclamation de Wolsey. Querelle entre les évêques Nouvelle séance, débats peu édifiants. Apparition à la vierge du Kent. Wolsey est frotté par Henri. Wiltshire chez Wolsey. Conférence secrète de Catherine et des deux légats.

CHAPITRE IX

Le procès commence. Citation de Catherine. Douze articles. Audition des témoins. Arthur et Catherine ont été époux. Campeggi s'oppose à l'argument du droit divin. Autres arguments. On demande aux légats la sentence. Leurs tergiversations. Changement dans les esprits. Séance définitive. Attente générale. Renvoi pour les féries des moissons et des vendanges. Campeggi pallie cette impertinence. Indignation du roi. Violence de Suffolk. Réponse de Wolsey. Il est perdu. Accusations générales. Le cardinal se tourne vers la vie épiscopale.

CHAPITRE X.

Anne Boleyn à Hever. Elle lit l'Obéissance du chrétien. Elle est rappelée à la cour. Miss Gainsford et George Zouch. Le livre de Tyndale convertit Zouch. Zouch à la chapelle royale. Le livre confisqué. Anne chez Henri. Le roi lit le livre. Prétendue influence du livre sur Henri. La cour à Woodstock. Le parc et ses esprits. Estime d’Henri pour Anne.

CHAPITRE XI.

Embarras du pape. Les triomphes de Charles le décident. Il appelle la cause à Rogne. Accablement de Wolsey. Colère d’Henri. Ses craintes. Wolsey obtient un adoucissement. Ar-' rivée des deux légats à Grafton. Wolsey accueilli par Henri. Wolsey et Norfolk à (liner. Henri chez Anne. Conférence entre le roi et le cardinal. Joie et douleur de Wolsey. Le souper d'Enston. Audience de congé de Campeggi. Disgrâce de Wolsey Campeggi à Douvres. Les courtisans l'accusent. Il quitte l'Angleterre. Wolsey prévoit sa ruine et celle de la papauté.

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CHAPITRE XII.

Une rencontre à Waltham. La jeunesse de Th. Cranmer. Ses premiers enseignements. Il étudie pendant trois ans l'Écriture. Ses fonctions d'examinateur. Le souper de Waltham. Une vue nouvelle sur le divorce. Fox la communique à Henri. Chagrin de Cranmer. Sa conférence avec le roi.

Cranmer chez les Boleyns.

CHAPITRE XIII.

Wolsey à la chancellerie. Les ducs le dénoncent. Il refuse de rendre le grand sceau. Son désespoir. Il remet le sceau. Ordre de partir. Son inventaire. Alarme. La scène du départ. Message favorable du roi. Joie de Wolsey. Son fou. Arrivée à Esher

CHAPITRE XIV.

Th. More élu chancelier. Le gouvernement laïc, un des grands faits de la Réforme. Wolsey accusé d'avoir subordonné au pape la couronne d'Angleterre. Il implore la clémence du roi. Sa condamnation. Cromwell à Esher. Son caractère. Il part pour Londres. Sir Chr. Hales le recommande au roi. Entrevue de Henri et de Cromwell dans le parc. Une nouvelle théorie. Cromwell élu membre du parlement. Ouverture par Th. More. On attaque les abus ecclésiastiques. Réformes prononcées par la convocation. Trois bills. Rochester les attaque. Résistance des communes. Luttes. Henri sanctionne les trois bills. Alarme du clergé et troubles

CHAPITRE XV.

L'heure suprême. Fanatisme de More. Débats de la convocation. Proclamation royale. L'évêque de Norwich. Sentences condamnées. Latimer s'oppose. Le Nouveau Testament brûlé. La persécution commence. Hitton. Bayfield. Tonstall et Packington. Bayfield arrêté. Le recteur Patmore. La tour des Lollards. John Tyndale et Th. Patmore. Un musicien. Le peintre Freese. Pancartes et martyre de Benet. Thomas More et John Petit. Bilney

CHAPITRE XVI.

Terreurs de Wolsey. Acte d'accusation des pairs. Cromwell le sauve. Maladie du cardinal. L'ambition lui revient. Ses pratiques dans le Yorkshire. Northumberland l'arrête. Son départ. Arrivée du gouverneur de la Tour. Wolsey à l'abbaye de Leicester. Paroles de persécution. Il meurt. Trois mouvements, la suprématie, la sainte Écriture et la foi.

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CHAPITRE XIV.

Th. More élu chancelier. Le gouvernement laïc, un des grands faits de la Réforme. Wolsey accusé d'avoir subordonné au pape la couronne d'Angleterre. Il implore la clémence du roi. Sa condamnation. Cromwell à Esher. Son caractère. Il part pour Londres. Sir Chr. Hales le recommande au roi.

Entrevue de Henri et de Cromwell dans le parc. Une nouvelle théorie. Cromwell élu membre du parlement. Ouverture par Th. More. On attaque les abus ecclésiastiques. Réformes prononcées par la convocation. Trois bills. Rochester les attaque. Résistance des communes. Luttes. Henri sanctionne les trois bills. Alarme du clergé et troubles

CHAPITRE XV.

L'heure suprême. Fanatisme de More. Débats de la convocation. Proclamation royale. L'évêque de Norwich. Sentences condamnées. Latimer s'oppose. Le Nouveau Testament brûlé. La persécution commence. Hitton. Bayfield. Tonstall et Packington. Bayfield arrêté. Le recteur Patmore. La tour des Lollards. John Tyndale et Th. Patmore. Un musicien. Le peintre Freese. Pancartes et martyre de Benet. Thomas More et John Petit.

Bilney

CHAPITRE XVI.

Terreurs de Wolsey. Acte d'accusation des pairs. Cromwell le sauve. Maladie du cardinal. L'ambition lui revient. Ses pratiques dans le Yorkshire. Northumberland l'arrête. Son départ. Arrivée du gouverneur de la Tour. Wolsey à l'abbaye de Leicester. Paroles de persécution. Il meurt. Trois mouvements, la suprématie, la sainte Écriture et la foi. .

CHAPITRE XIV.

Th. More élu chancelier. Le gouvernement laïc, un des grands faits de la Réforme. Wolsey accusé d'avoir subordonné au pape la couronne d'Angleterre. Il implore la clémence du roi. Sa condamnation. Cromwell à Esher. Son caractère. Il part pour Londres. Sir Chr. Hales le recommande au roi. Entrevue de Henri et de Cromwell dans le parc. Une nouvelle théorie. Cromwell élu membre du parlement. Ouverture par Th. More. On attaque les abus ecclésiastiques. Réformes prononcées par la convocation. Trois bills. Rochester les attaque. Résistance des communes. Luttes. Henri sanctionne les trois bills. Alarme du clergé et troubles

CHAPITRE XV.

L'heure suprême. Fanatisme de More. Débats de la convocation. Proclamation royale. L'évêque de Norwich. Sentences condamnées. Latimer

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s'oppose. Le Nouveau Testament brûlé. La persécution commence. Hitton. Bayfield. Tonstall et Packington. Bayfield arrêté. Le recteur Patmore. La tour des Lollards. John Tyndale et Th. Patmore. Un musicien. Le peintre Freese. Pancartes et martyre de Benet. Thomas More et John Petit. Bilney

CHAPITRE XVI.

Terreurs de Wolsey. Acte d'accusation des pairs. Cromwell le sauve. Maladie du cardinal. L'ambition lui revient. Ses pratiques dans le Yorkshire. Northumberland l'arrête. Son départ. Arrivée du gouverneur de la Tour. Wolsey à l'abbaye de Leicester. Paroles de persécution. Il meurt. Trois mouvements, la suprématie, la sainte Écriture et la foi. .

FIN DE LA TABLE DES

MATIÈRES.

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LIVRE XVII. L'Angleterre avant la Réforme

CHAPITRE I

Introduction. œuvre du seizième siècle. Unité et diversité Nécessité de considérer l'ensemble de l'histoire religieuse de l'Angleterre. Établissement du christianisme dans la Grande-Bretagne. Formation du catholicisme ecclésiastique dans l'empire romain. C'est le christianisme spirituel que la Bretagne reçoit. Esclavage et conversion de Succat. Sa mission en Irlande. Pélage. Les Anglo-Saxons rétablissent le paganisme en Angleterre Colomba à Iona. Doctrine évangélique. Presbytérat et épiscopat dans la Grande-Bretagne. Missions continentales des Bretons. Une négligence

Les puissances célestes qui depuis les premiers âges du christianisme avaient sommeillé dans l'humanité se réveillent au seizième siècle, et ce réveil enfante les temps modernes. L'Église est créée de nouveau et de cette création émanent les grands développements des lettres, des sciences, de la morale, de la liberté, de l'industrie, qui caractérisent de nos jours les nations de la chrétienté. Rien de tout cela n'eût existé sans la Réformation. Il faut à l'humanité, quand elle entre dans une ère nouvelle, le baptême de la foi. Au seizième siècle Dieu donna à l'homme cette consécration d'en haut, en le ramenant de la profession extérieure et du mécanisme des œuvres à la foi extérieure et vivante.

Ce ne fut pas sans luttes que cette transformation s'opéra. Ces luttes offrirent d'abord une remarquable unité. Au jour de l'attaque, une seule et même pensée anima tous les esprits; après la victoire ils se divisèrent. L'unité de la foi subsista, mais la diversité des nationalités amena dans l'Église la diversité des formes ; nous allons en voir un grand exemple. La Réformation, qui avait commencé sa marche triomphante en Allemagne, en Suisse, en France et dans quelques autres contrées continentales, devait recevoir une force nouvelle par la conversion d'une île célèbre longtemps connue par son zèle pour Rome. Cette île allait joindre son drapeau au faisceau d'armes du protestantisme; mais ce drapeau devait conserver ses propres couleurs. Quand l'Angleterre se réforma, ce fut une puissante individualité qui vint se rattacher à la grande unité.

Si nous recherchons les traits qui caractérisent la Réformation de la GrandeBretagne, nous trouvons que plus qu'aucune autre elle eut un caractère social, national et véritablement humain ; il n'est aucun peuple où la Réformation ait produit au même degré cette moralité, cet ordre, cette liberté, cet esprit public, cette activité, qui sont les éléments essentiels de, la grandeur d'une nation. Autant la papauté a abaissé la péninsule Ibérique, autant l'Évangile a élevé les îles Britanniques. L'étude que nous commençons offre donc un intérêt tout particulier. Cette étude pour être utile, doit avoir un caractère d'universalité. Vouloir resserrer

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l'histoire d'un peuple dans l'espace de quelques années, et même d'un siècle, serait ôté à cette histoire la vérité et la vie. Nous aurions ainsi des traditions, des chroniques, des légendes; nous n'aurions pas d'histoire. L'histoire est un organisme merveilleux, dont aucune partie ne doit être retranchée. Pour comprendre ce qui est, il faut connaître ce qui a été. L'humanité, comme l'homme lui-même, a une enfance, une jeunesse, un âge mûr, une vieillesse. L'humanité ancienne ou païenne, qui avait passé son enfance dans l'Orient au milieu des peuples anti-helléniques, eut sa jeunesse dans l'époque animée des Grecs, son âge viril dans les temps sérieux de la grandeur de Rome, et sa vieillesse sous la décadence de l'empire. L'humanité moderne a passé par des âges analogues ; elle parvient, lors de la Réformation, à celui de l'homme fait. Nous allons parcourir rapide ment les destinées de l'Église d'Angleterre, dès les premiers temps du christianisme. Ces longues et lointaines préparations sont un des caractères distinctifs de sa réformation. .. ' < Cette Église passa avant le seizième siècle par deux grandes phases.

La première fut celle de sa formation ; la seconde celle de sa déformation.

Dans sa formation, elle fut apostolique orientale. Dans sa déformation, elle fut successivement papiste nationale et papiste royale.

Après ces deux degrés de décadence, vint la dernière et grande phase de la Réformation. Des navires partis de l'Asie Mineure, de la Grèce, d'Alexandrie, ou des colonies grecques des Gaules, se dirigeaient, au second siècle de l'ère chrétienne, vers les rives sauvages de la Bretagne. Au milieu de marchands avides, occupés à calculer les bénéfices qu'ils faisaient sur les produits de l'Orient dont leurs bâtiments étaient chargés, se trouvaient quelques hommes pieux, venus des bords du Méandre ou de l'Hermus, qui s'entretenaient paisiblement de la naissance, de la vie, de la mort, de la résurrection de Jésus de Nazareth ; et se réjouissaient de sauver par cette bonne nouvelle quelques-uns des païens vers lesquels ils se rendaient. Il paraît que quelques Bretons, prisonniers de guerre, ayant appris à connaître Christ pendant leur captivité, apportèrent aussi à leurs compatriotes la connaissance de ce Sauveur.

Il se peut enfin que des soldats chrétiens, des Corneilles de ces armées impériales, dont les postes avancés arrivaient jusqu'au midi de l'Ecosse, désireux de conquêtes plus durables, récitassent aux peuples qu'ils avaient soumis, les Ecritures de Matthieu, de Jean et de Paul. Il importe peu de savoir si l'un des premiers convertis fut, comme on le dit, un prince nommé Lucius. Ce qui est certain, c'est que la nouvelle du Fils de l'Homme, crucifié et ressuscité sous Tibère, se répandit dans ces îles avec plus de rapidité que la domination même des empereurs, et qu'avant la fin du second siècle, des Églises adoraient Jésus-Christ au-delà des murs d'Adrien, dans ces montagnes, ces bocages, ces Hébrides, que les druides remplissaient depuis des siècles de leurs mystères et de leurs sacrifices, et que les aigles romaines elles-

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mêmes n'avaient jamais atteints.[4] Ces Églises se formèrent d'après le type de l'Orient ; les Bretons se fussent sans doute refusé à recevoir le type de cette Rome dont ils détestaient le joug.

La première chose que les chrétiens bretons reçurent de la capitale de l'empire, fut la persécution. Mais Dioclétien, en frappant dans la Grande-Bretagne les disciples de Jésus-Christ, en augmenta le nombre*. Plusieurs chrétiens de la partie méridionale de l'île se réfugièrent en Ecosse, y construisirent d'humbles demeures, et, connus sous le nom de Guidées, y prièrent pour le salut de ce peuple. En voyant la sainteté de ces hommes de Dieu, des païens abandonnèrent en grand nombre leurs chênes sacrés, leurs grottes mystérieuses, leurs autels sanglants, et obéirent aux douces paroles de l'Évangile. Après la mort de ces pieux réfugiés, leurs cellules furent transformées en temples \ En 305, Constance Chlore, parvenu au trône des Augustes, mit fin à la persécution.

Le christianisme qui fut apporté à ces peuples par des marchands, des soldats, des évangélistes, sans être le catholicisme ecclésiastique qui commençait alors dans l'empire romain, n'était sans doute pas l'évangélisme primitif des apôtres. L'Orient et Je Midi ne pouvaient donner au Nord que ce qu'ils avaient eux-mêmes. Or, à la période créatrice et miraculeuse de l'Église, avait succédé la période humaine. Après les manifestations extraordinaires de l'Esprit-Saint, qui avaient produit le siècle apostolique, l'Église avait été laissée aux forces intimes de la Parole et du Consolateur. Mais les chrétiens ne comprirent point en général la vie spirituelle à laquelle ils étaient appelés. Dieu avait voulu leur donner une religion divine; et ils en vinrent peu à peu à l'assimiler presque aux religions humaines. Au lieu de dire, dans l'esprit de l'Évangile : la Parole de Dieu d'abord, et par elle la doctrine et la vie; la doctrine et la vie d'abord, et par elles les formes ; ils en vinrent à dire : les formes d'abord, et par les formes le salut. Ils attribuèrent aux évêques un pouvoir qui n'appartient qu'à la sainte Écriture ; au lieu de ministres de la Parole, ils voulurent avoir des prêtres ; au lieu d'un sacrifice intérieur, un sacrifice fait sur l'autel; au lieu d'une Église vivante, des temples magnifiques. Ils se mirent à chercher dans les hommes, dans les cérémonies, dans les lieux saints, ce qu'ils devaient trouver dans la Parole et dans la foi vivante des enfants de Dieu. Ainsi, au christianisme évangélique succéda le catholicisme, et le catholicisme à son tour, par une dégénération graduelle, produisit plus tard la papauté.

Ce fut en Orient, en Afrique, en Italie que s'accomplit surtout cette fatale transformation. La Grande Bretagne en fut d'abord relativement exempte. Au milieu des invasions sauvages des Scots et des Pictes, qui, s'élançant des contrées païennes de l'Ecosse et de l'Irlande, et se jetant dans de légers na vires, portaient partout l'épouvante et réduisaient en esclavage des troupes de prisonniers, nous dé couvrons çà et là quelque chrétien, humble et intérieur, qui reçoit le salut, non par

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un sacramentalisme clérical, mais par l'œuvre du Saint-Esprit dans Je cœur. La fin du quatrième siècle nous en fournit un illustre exemple.

Sur les rives pittoresques de la Clyde, non loin de Glasgow, au village chrétien de Bonavern, maintenant Kil-Patrick, s'ébattait alors un jeune garçon à l'âme tendre,

doué d'un esprit vif, d'une infatigable activité. Né vers l'an 372, à Boulogne, dit-on, il avait été nommé Succat Son père, Cal pornius, diacre de l'église de Bonavern, homme simple et pieux, et sa mère Conchessa, sœur du célèbre Martin de Tours *, supérieure aux femmes de son siècle, s'étaient appliqués à faire pénétrer dans son cœur les doctrines chrétiennes ; mais Succat ne les avait point comprises. Plein de vigueur, il aimait le plaisir et se plaisait à entraîner après lui les jeunes gens de son âge.

Au milieu de ses dissipations, il tomba dans une faute grave. Plus tard, ses parents ayant quitté l'Écosse, et s'était établis avec leurs enfants dans l'Armorique (Bretagne gauloise), un malheur vint porter la désolation sous leur toit. Un jour que Succat se trouvait près de la mer, avec deux de ses sœurs, des pirates irlandais, conduits par O'Neal, l'enlevèrent ainsi que Lupita et Tigris ses sœurs, les transportèrent malgré leurs cris dans une barque et les vendirent en Irlande à un chef de ces peuplades païennes. Succat fut envoyé aux pâturages pour garder les pourceaux. [5] Alors seul dans ces campagnes désertes, sans prêtres, sans temples, le jeune esclave se rappela ces Écritures de Dieu, que sa pieuse mère lui avait souvent récitées; il sentit la faute qu'il avait commise et qui pesait lourdement nuit et jour sur son âme coupable ; il poussa des soupirs, il versa des pleurs. Repentant, il se tourna vers le doux Sauveur, dont Conchessa lui avait tant parlé, il tomba à ses pieds dans cette ile païenne, et crut sentir les bras d'un père qui relevait l'enfant prodigue. Succat naquit alors d'en haut, mais par un agent tellement spirituel, tellement intérieur, qu'il ne savait ni d'où il venait ni où il allait.

L'Évangile fut écrit du doigt de Dieu sur la table de son cœur. “ H J'avais seize ans, dit-il, et je ne connaissais pas le vrai Dieu ; mais le Seigneur, dans cette terre étrangère, ouvrit mon esprit incrédule, et, quoique tard; je me rappelai mes péchés et me convertis de tout mon cœur au Seigneur mon Dieu, qui regarda à ma bassesse, eut pitié de ma jeunesse et de mon ignorance, et me consola comme un père console son enfant *. » Ces paroles d'un esclave gardant ses troupeaux au milieu des prairies d'Érin, nous font connaitre le christianisme qui, au quatrième et au cinquième siècle, convertit beaucoup d'âmes dans les îles Bri tanniques. Rome y établit plus tard le règne du prêtre et le salut par les signes, indépendamment des dispositions du cœur; mais la religion primitive de ces îles célèbres fut le christianisme vivant, dont le contenu est la grâce de Jésus-Christ, et dont la puissance est la grâce du Saint-Esprit.

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Le berger des bords de la Clyde faisait alors les expériences qu'ont faites après lui, dans ces mêmes îles, tant de chrétiens évangéliques. “ H L'amour de Dieu croissait de plus en plus en moi, dit-il, avec la foi et la crainte de son nom. L'Esprit me poussait tellement, que dans un seul jour, je faisais jusqu'à cent prières. Et même pendant la nuit, dans les forêts et sur les montagnes où je gardais mon troupeau, la pluie, la neige, la gelée et les souffrances que j'endurais me poussaient à chercher Dieu. Il n'y avait point en moi cette, nonchalance que j'y vois à cette heure; l'Esprit bouillonnait dans mon cœur.» [6]

L'évangélisme vivait alors aux îles Britanniques dans la personne de cet esclave et chez d'autres chrétiens créés d'en haut comme lui et avant lui. Deux fois captives et deux fois délivré, Succat, de retour dans sa famille, sentit dans son cœur un irrésistible appel. Il faut qu'il aille porter l'Évangile à ces païens de l'Irlande, au milieu desquels il a trouvé Jésus-Christ. En vain, ses parents et ses amis s'efforcent-ils de le retenir ; cet ardent désir le poursuit dans ses rêves; il croit entendre pendant la nuit des voix sortant des forêts d'Erin, qui lui crient : “ H Viens, ô saint enfant, et demeure de nouveau parmi nous ! » Il se réveille tout en larmes, et le cœur plein des plus vives émotions. [7] Il s'arrache des bras de ses parents; il s'élance, non comme il faisait autrefois, quand, avec ses compagnons de jeu, il allait escalader la cime de quelques monts, mais avec un cœur plein de la charité de Christ ; il part. “ H Cela ne se fit pas dans ma propre force, dit-il, ce fut Dieu qui surmonta tout. »

Succat, que l'on appela plus tard Patrick, et au nom duquel, comme à celui de saint Pierre et d'autres serviteurs de Dieu, on a rattaché bien des superstitions, retourna en Irlande, mais sans passer par Rome, comme l'a prétendu un historien du douzième siècle \ Toujours vif, prompt, ingénieux, il rassemblait dans les champs ces peuplades païennes, en battant des timbales, puis il leur racontait, dans leur propre langue, l'histoire du Fils de Dieu. Bientôt ces simples récits exercèrent sur ces esprits grossiers leur divine puissance. Beaucoup d'âmes se convertirent par la prédication de la Parole de Dieu, et non par des sacrements extérieurs ou par l'adoration des images. Le fils d'un seigneur, que Patrick nomma Bénignus, apprenait de lui à prêcher l'Evangile et devait un jour lui succéder. Dubrach Mac Valubair, barde de la cour, chantait, non plus des hymnes druidiques, mais des cantiques adressés à Jésus-Christ. Patrick ne fut pas complétement à l'abri des erreurs de son siècle ; peut-être crut-il à de pieux miracles, mais en général c'est l'Evangile que nous rencontrons dans les premiers temps de l'Eglise britannique. Un jour l'Irlande sentira sans doute de nouveau la puissance du Saint-Esprit qui la convertit alors par le ministère d'un Ecossais.

Peu avant l'évangélisation de Patrick en Irlande, un Breton, nommé Pélage, s'étant rendu en Italie, en Afrique et jusqu'en Palestine, y avait soutenu une doctrine étrange. Voulant combattre le relâche ment moral dans lequel la plupart des

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chrétiens de ces contrées étaient tombés et qui contrastait, ce semble, avec la rigidité britannique, il avait nié le péché originel, exalté le libre arbitre et prétendu que si l'homme faisait usage de toutes les forces de sa nature, il atteindrait la perfection. On ne voit pas qu'il ait enseigné ces doctrines dans sa patrie ; mais du continent, où il les avait répandues, elles revinrent dans la Grande-Bretagne.

Alors les Églises britanniques “ H refusèrent de recevoir ce dogme per vers, dit leur historien, et de blasphémer ainsi la grâce de Jésus - Christ.[8] » Elles ne paraissent pas avoir eu la doctrine stricte de saint Augustin; elles croyaient bien que l'homme a besoin d'un changement intérieur, et qu'une force divine seule peut l'accomplir; mais comme les Églises d'Asie, dont elles étaient issues, elles semblent avoir accordé quelque chose à la force naturelle dans l'œuvre de la conversion; et Pélage, dans une bonne intention, paraît-il, était allé encore plus loin. Quoi qu'il en soit, ces Eglises, étrangères à cette controverse, n'en connaissaient pas toutes les subtilités ; deux évêques gaulois, Germain et Loup, vinrent donc à leur aide, et “ H ceux qui avaient été pervertis rentrèrent dans la voie de la vérité \ »

Peu après, des événements d'une haute importance se passèrent dans la GrandeBretagne, et la lumière de la foi disparut devant une nuit profonde. En 430, Hengist, de Horsa, et leurs Anglo-Saxons, appelés par les habitants, que désolaient les irruptions des Pictes et des Scots, tournèrent presque aussitôt leur glaive contre le peuple qui avait imploré leur secours, et l'est et le midi de la Grande Bretagne furent remplis de pillage et de sang. Le christianisme fut généralement refoulé avec les Bretons dans le pays de Galles et les montagnes de Cornouailles et du Northumberland. De nombreuses familles bretonnes restèrent, il est vrai, au milieu des vainqueurs, mais sans avoir sur eux d'influence religieuse.

Tandis que les races conquérantes établies à Paris, à Ravenne, à Tolède, déposaient peu à peu leur paganisme et leur barbarie sur les rives de la Seine, de l'Adriatique et du Tage, les mœurs sauvages des Saxons régnaient sans s'adoucir dans les royaumes de l'Heptarchie, et partout des temples de Thor remplaçaient les églises où l'on ado rait Jésus-Christ. Les Gaules et le sud de l'Europe, qui présentaient encore aux Barbares les derniers trophées de la grandeur romaine, avaient seuls la puissance d'inspirer quelque respect aux redoutables Germains et de transformer leur foi. Dès lors, les Grecs, les Latins, et même les Golhs convertis, regardèrent de loin cette île fabuleuse, avec une indicible horreur. La terre, disait-on, y est couverte de serpents; l'air y est rempli d'exhalaisons mor telles; les esprits des morts y sont transportés à minuit des rives de la Gaule. Des bateliers, fils, comme Caron, de l'Érèbe et de la Nuit, passent dans leur barque ces ombres invisibles, dont ils entendent en frissonnant les chuchotements mystérieux. L'Angleterre, d'où la vie devait un jour se répandre dans le monde habitable, était alors le rendez-vous des morts. Toutefois le christianisme des îles Britanniques ne devait pas être anéanti

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par les invasions des barbares ; il y avait en lui une force qui le rendait capable d'une résistance énergique.

Au milieu des Églises que la prédication de Suc cat avait formées, se trouvait, environ deux siècles après lui, un homme pieux, Colomba, fils de Feid limyd, fils de Fergus. Estimant la croix de Jésus Christ plus que le sang royal qui coulait dans ses veines, il avait résolu de se donner à ce Roi du ciel. Ne rendra-t-il pas au pays d'où est venu Succat ce que Succat a apporté au sien? “ H J'irai, dit-il, prêcher en Ecosse la Parole de Dieu; [9]» car c'était de la Parole de Dieu et non d'un hiérarchisme ecclésias tique qu'il s'agissait alors. Le petit-fils de Fergus fait passer le feu qui l'anime dans le cœur de quelques chrétiens; ils se rendent sur le bord de la mer, coupent les branches flexibles d'un saule, en construisent un frêle bateau, le recouvrent des peaux de quelques bêtes, puis se placent dans cet esquif grossier (c'était l'an 565), et cette troupe de missionnaires, ballottée par l'Océan, arrive dans les eaux des Hébrides. Colomba s'arrêta près des stériles rochers de Mull, au midi des grottes basaltiques de Staffa, et s'établit dans une petite île, qui fut nommée “ H l'île de la cellule de Colomba, » I-Colm-Kill ou Iona. Des Culdées chrétiens, chassés par les luttes des Pictes et des Scots, s'y étaient déjà réfugiés. Le missionnaire y éleva une chapelle dont les murailles, dit-on, [10] existent encore, au milieu des ruines plus majestueuses d'un âge postérieur.

Quelques auteurs ont placé Colomba au premier rang après les apôtres.[11] On ne trouve pas, il est vrai, en lui la foi d'un Paul ou d'un Jean; mais il vivait en la présence de Dieu ; il traitait durement son corps ; il couchait, dit-on, sur la terre, n'ayant qu'une pierre pour oreiller; et au milieu de ces mœurs si rudes, de ces scènes si graves, la figure du missionnaire, éclairée par le soleil divin, rayonnait d'amour et manifestait la joie et la sérénité de son âme.[12] Sujet aux mêmes passions que nous, il luttait contre ses faiblesses, et ne voulait pas qu'un moment fût perdu pour la gloire de Dieu ; il priait, il lisait, il écrivait, il enseignait, il prêchait, il rachetait le temps. D’une infatigable activité, il allait de maison en maison et de royaume en royaume. Le roi des Pictes fut converti; beau coup de ses sujets le furent de même ; de précieux manuscrits furent transportés à Iona ; une école théologique y fut établie; la Parole y fut étudiée, et plusieurs y reçurent par la foi le salut qui est en Jésus Christ. Bientôt l'esprit missionnaire souffla sur ce rocher de l'Océan fécondé par l'Irlande, nommé à juste titre, “ H la lumière du monde occidental. » Le sacerdotalisme judaïque qui commençait à s'établir dans l'Église chrétienne ne domina point à Iona; il y avait des formes, mais ce n'était pas en elles que l'on cherchait la vie ; c'était l'Esprit-Saint qui faisait, selon Colomba, un serviteur de Dieu.

Quand les jeunes fils de la Calédonie se réunissaient autour des anciens, sur ces rives sauvages ou dans l'humble chapelle : “ H La sainte Écriture, » leur disaient ces ministres du Seigneur, “ H est la règle uni que de la foi. [13] Rejetez tout mérite des

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œuvres, et n'attendez votre salut que de la grâce de Dieu*. Gardez-vous d'une religion qui consiste dans des pratiques extérieures; il vaut mieux conserver son cœur pur devant Dieu, que s'abstenir des viandes. Un seul est votre chef, JésusChrist. Les évêques et les presbytères sont égaux. [14] ; Ils doivent être maris d'une seule femme et tenir leurs enfants dans la soumission*. »

Ces sages d’Iona ne connaissaient ni la transsubstantiation, ni le retranchement de la coupe dans la sainte cène, ni la confession auriculaire, ni l'in vocation des morts, ni les cierges, ni l'encens; ils célébraient la Pâque un autre jour qu'à Rome ; [15] des assemblées synodales y réglaient les intérêts de l'Église, et la primauté papale y était inconnue.[16] Le soleil de l'Évangile éclairait ces rives sauvages. Un jour, la Grande-Bretagne devait retrouver avec un éclat plus pur le même soleil et le même Évangile.

Iona, présidée par un simple ancien, était devenue une maison missionnaire; on l'a appelée quelquefois un monastère, mais l'habitation du petit-fils de Fergus, ne ressemblait point aux couvents de la papauté. Quand les jeunes disciples qui l'habitaient voulurent répandre la connaissance du Christ, ils ne pensèrent point à quitter ces lieux pour chercher ailleurs une consécration épiscopale. À genoux dans la chapelle d'I-Colm-Kill, ils furent mis à part par l'imposition des mains des anciens, ils furent appelés évêques, et ils restèrent soumis à l'ancien ou presbytère de Iona. Ils consacrèrent même d'autres évêques; ainsi Finan imposa les mains à Diuma, évêque de Middlesex. Ces chrétiens bretons attachaient une grande importance au ministère ; mais non à ce qu'il existât sous une forme plutôt que sous une autre. Presbytérat et épiscopat étaient pour eux, comme pour l'Église primitive, [17] presque identiques.

Plus tard encore, ni Bède le Vénérable, ni Lan franc, ni Anselme (ces deux derniers, archevêques de Cantorbéry), ne firent aucune objection aux consécrations d'évêques bretons faites par de simples presbytères.[18] L'élément religieux et moral, qui est celui du christianisme, dominait encore ; l'élément sacerdotal, qui caractérise les religions humaines, soit chez les Brahmanes, soit ailleurs, avait, il est vrai, commencé à paraître, mais n'avait, au moins dans la Grande-Bretagne, qu'une place fort subordonnée. Le christianisme était encore une religion et non une caste. On ne demandait pas à un serviteur de Dieu, comme garantie de sa capacité, une série de noms d'hommes, se succédant l'un à l'autre, comme les grains d'un chapelet; on avait du ministère des idées graves, nobles, saintes; son autorité provenait uniquement du chef Jésus-Christ. Le feu missionnaire, que le petit-fils de Fergus avait allumé dans une île solitaire, gagna bientôt toute la Grande-Bretagne. Ce n'est plus en Irlande ou à Iona seulement, c'est dans d'autres lieux que l'esprit d'évangélisation se réveille. Le goût des voyages était déjà pour ces peuples une seconde nature. [19] Pleins de hardiesse, des hommes de Dieu prennent la résolution de porter le flambeau évangélique sur le continent, dans de vastes

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déserts semés çà et là de peuplades barbares et païennes. Ce n'est pas comme antagonistes de Rome qu'ils y vont ; il n'y avait pas même lieu alors à un tel antagonisme; mais Bangor et Iona, moins illustres que Rome dans l'histoire des peuples, possédaient une foi plus vivante que la cité des Césars, et cette foi, signe infaillible de la présence de Jésus-Christ, don nait à ceux qu'elle animait, le droit d'évangéliser le monde, sans que Rome eût rien à y voir.

Les évêques missionnaires des îles Britanniques s'avancent donc, et parcourent les Pays-Bas, la Gaule, la Suisse, l'Allemagne et même l'Italie. [20] L'Église libre des Bretons et des Scots, fait plus pour la conversion de l'Europe centrale que l'Église à moitié asservie des Romains. Ces missionnaires ne sont pas orgueilleux comme les prêtres d'Italie ; ils se nourrissent du travail de leurs mains. Colomban (qu'il faut bien distinguer de Colomba ') “ H sentant brûler dans son cœur le feu que le Seigneur est venu allumer sur la terre*,[21] » part de Bangor (Ir lande), en 590, avec douze missionnaires, porte l'Évangile aux Bourguignons, aux Francs, aux Suisses, le prêche au milieu de nombreuses persécutions, laisse son disciple Gall en Helvétie, et s'en va mourir à Bobbio, honorant Rome chrétienne, mais met tant audessus d'elle l'Église de Jérusalem *,[22] exhortant Rome à se tenir en garde contre la corruption et lui déclarant qu'elle ne peut avoir la puissance qu'autant que la vraie doctrine (recta ratio) lui demeurera. Ainsi la Bretagne est fidèle à planter l'étendard de Christ au centre de l'Europe, on dirait que ce peuple inconnu est un nouvel Israël, et que I-Colm-Kill et Bangor ont hérité des vertus de Sion.

Cependant ils auraient dû faire davantage ; ils au raient dû prêcher, nonseulement aux païens du continent, à ceux du nord de l'Écosse et de la lointaine Islande, mais aussi aux Saxons encore païens de l'Angleterre. Ils firent bien quelques essais, mais tandis que les Bretons considéraient leurs conquérants comme les ennemis de Dieu et des hommes, et ne prononçaient leur nom qu'avec horreur les Saxons refusaient de se convertir à la voix de leurs esclaves. En négligeant ce champ, les Bretons y appelèrent d'autres ouvriers, et cette négligence livra l'Angleterre à la puissance étrangère qui lui a si longtemps imposé son joug.

FOOTNOTES

[1] Les diverses lois rendues de 1343 à 1364, sous Édouard 111, et en 1393 sous Richard II, pour se prémunir contre la papauté, peuvent être désignées sous le nom commun de Prémunir.

[2]“ H Divinum judicium, populi suffragium, coepiscoporum consen sus. » (Epist. lv.)

“ H Clerus et populus, apostolicae sedis vel metropolitani sui con sensu, pastorem sibi eligat. » (Mansi, XX, p. 533.)

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[3] Évangile selon saint Jean, ch. VI, v. 68.

[4] “ H Britannorum inaccessa Romanis loca Christo -vero subdita. » (Ter tullian., Contra Judœos, lib. VII.) Cet écrit, ne portant pas de traces de montanisme, semble appartenir à la première partie de la vie de Tertullien. (Voir aussi Origène, In Lucam, cap. i, homil. VI.)

*Lactantius, De mortibus persecutorum, cap. XII. 2

* “ H Multi ex Brittonibus Christiani saevitiam Diocletiani timentes ad cos confugerant... ut vitae functorum cellœ in templa commutarentar. » (Buchanan, IV, c. xxiv.)

[5] “H In baptismo haud Patricium sed Succat a parentibus fuisse dic tum. » (Usser., Brit. Eccl. Antiq., p. 428.) ; H B. Martini Turonum archiepiscopi consanguineam. » [lbid.)

[6] “H Cujus porcorum pastorerat.»(UsservSri7. Eccl. Antiq.,p. 431.) “ H Et ibi Dominus aperuit sensum incredulitatis meae, ut vel sero remorarem delicta mea et ut converterer toto corde ad Dominum Deum meum. » (Patr. Confess., ibid.)

[7] “ H Ut ctiam in sylvis, et monte manebam, et ante lucem excitabar ad orationem per nivem, per gelu, per pluviam... quia tune Spiritus in me fervebat. » (Usser., Brit. Eccl. Antiq., p. 432.)

[8] “ H Valde compunctus sum corde et sic expergefactus. » (Usserv Brit. Eccl. Antiq., p. 433.) s Jocelinus, Vita in Acta SS. “ H Verum Britanni cum neque suscipere dogma perversum,gratiam Christi blasphemando, nullatenus -vellent. » (Beda, Hist. Anrjl., lib. I, c. xtii et m.)

[9] “ H Praedicaturus verbum Dei. » (Usser., lirit. Eccl. Antiq., p. 359.)

[10] Je visitai Iona, en 1845, avec le docteur Patrick Mac-Farlane, et je vis ces ruines. Une partie de l'édifice semble être d'une architecture primitive.

[11] “ H Nulli post apostolos secundus. » (Notker.)

[12] “ H Qui de prosapia regali claruit, Sed morum gratia magis emicuit. » (Usser., Brit. Eccl. Antiq., p. 360.)

[13] “ H Prolatis sanctae Scripturee testimoniis. » (Adomn., liv. I,c.xxn.) * L'évèque Munter, “ H Altbritische Kirche. » [Stud. untl Krit., VI, p. 745.) s “ H Meliores sunt ergo qui non magno opere jejunant, cor intrinse cus nitidum coram Deo sollicite servantes. » (Gildas, In ejusd. synod. Append.)

[14] H In Hyberniaepiscopi et presbyteri unum sunt.» (Ekkehardi liber., Arx, Geschichle von S. Gall, I, p. 267.)

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[15] “H In die quidem dominica alia tamen quam decebat hebdomade celebrabant. » (Beda, Hist. Angl., III, cap. iv.)

[16] “H Patrem habui Calpornium diaconum filium quondam Potiti pres byteri. » [Patricii Confessio.) Des évêques irlandais étaient encore ma riés au douzième siècle. (Bernard., Vita Malachiœ, cap. X.)

H Augustinus novam religionem docet... dum ad unius episcopi ro mani dominatum omnia revocat. » (Buchanan, V, p. 36.) s “ H Habere autem solet ipsa insula rectorem semper abbatem presby terum cujus jur i et omnis provincia et ipti etiam episcopi, ordine inu sitato, debeant esse subjecti, juxta exemplum primi doctoris illius qui non episcopus sed presbyier exstitit et monachus. » (Beda, Hist. eccl., III, cap. iv.) »

[17] “ H Idem est ergo presbyter qui episcopus, et antequam diaboli in stinctu studia in religione fiêrent... communi presbyterorum concilit^ Ecclesiae gubernabantur. Indifferenter de episcopo quasi de presbytere est loquutus (Paulus)... sciant episcopi se magis consuetudine quam dispositionis dominicae veritate^ presbyteris esse majores. » [Hieronymus ad Titum, I, p. 5.)

[18] L'évêque Munter fait cette remarque dans sa dissertation sur l'ancienne Eglise bretonne, sur l'identité primitive des évêques et des prêtres et la consécration épiscopale. [Studien und Kritiken. 1833.) V 2

[19] “ H Natio Scotorum, quibus consuetudo peregrinandi jam paene in naturam conversa est. » [Vita S. Galli, § 47.) a On les appelait episcopi regionarii, parce qu'ils n'avaient pas de sièges particuliers.

[20] “ H Antiquo tempore doctissimi solebant magistri de Hibernia Bri tanniam, Galliam, Italiam venire et multos per ecclesias Christi fecisse profectus. » (Aleuin, Ep., GCXXI.)

[21] M. Aug. Thierry [Hisf. de la conquête de l'Angleterre) a fait de Colomba et de Colomban un seul et même personnage. Colomba évangélisait en Ecosse vers 560, et mourut en 597; Colomban évangélisait parmi les Bourguignons vers 600, et mourut en 615.

[22] “ H Ignitum igne Domini desiderium. » (Mabillon, Acta, p. 9.) » “ H Salva loci Dominica resurrectionis singulari prcerogativa. » [Columb. Vita, § 10.)

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CHAPITRE II

Missions romaines dans l'Angleterre païenne. Premiers succès. Appréciation. L'archevêque romain entreprend de soumettre les chrétiens bretons. Première agression : Dionoth. Seconde agression : Assemblée de Wigornia. Les Bretons consultent une solitaire Troisième agression : Massacre près de Bangor. Apostasie des Saxons et vision de saint Pierre. Oswald en Écosse. Conquête et missions d'Oswald, dans le Northumberland. L'évêque Aïdan et le roi Oswald. Succès des missionnaires d’Iona.

En effet, la vie spirituelle avait défailli dans le catholicisme italien ; et à mesure que l'esprit céleste y était devenu rare, l'amour de la domination s'y était accru. Les métropolitains de Rome et leurs délégués se montrèrent bientôt impatients de ranger à leurs coutumes la chrétienté tout entière.

Vers la fin du sixième siècle, un homme éminent, Grégoire, était assis sur le siège romain. De famille sénatorienne, et déjà sur le chemin des honneurs, il avait tout à coup renoncé au monde et transformé en couvent le palais de ses pères. Mais son ambition n'avait fait que changer d'objet. Tout l'Occident devait, selon lui, être soumis à la juridiction ecclésiastique de Rome. Il rejetait, il est vrai, le titre d'évêque universel que prenait le patriarche de Constantinople ; mais s'il ne voulait pas le nom, il voulait bien la chose*. [1] Aux confins de l'Occident, dans la GrandeBretagne, se trouvait une Église chrétienne indépendante de Rome. Il fallait en faire la conquête, et une occasion naturelle se présenta. Avant son épiscopat, quand il n'était encore que moine, Grégoire, traversant un jour un marché de Rome, où des étrangers avaient étalé leurs marchandises, y avait aperçu de jeunes garçons que l'on vendait comme esclaves, et dont la noble apparence avait attiré ses regards. S'étant approché, il avait appris que le peuple anglo-saxon auquel ils appartenaient, s'était refusé à recevoir des Bretons la doctrine de la foi.

Devenu peu après évêque de Rome, ce pontife, à la fois énergique et rusé, “ H le dernier des bons, a-t-on dit, le premier des mauvais, » résolut de convertir ces fiers conquérants et de s'en servir pour soumettre à la papauté les libres Bretons, comme il se servait des rois francs pour soumettre les Gaules. Rome s'est montrée souvent plus avide d'amener au pape des chrétiens que des idolâtres;[2] en fut-il ainsi de Grégoire? Nous laissons la question indécise. Éthelbert, roi du Kent, ayant épousé une princesse franque et chrétienne, l'évêque romain crut le moment favorable pour son dessein, et fit partir pour l'Angleterre une mission placée sous la direction de l'un de ses amis nommé Augustin (l'an 596). Les missionnaires reculèrent d'abord devant la tâche qui leur était donnée; mais Grégoire tint bon. Voulant gagner en faveur de son entreprise les rois des Francs, Théodéric et Théo debert, il affecta de les considérer comme les suzerains de l'Angleterre, et leur recommanda la conversion de leurs sujets. [3] Ce ne fut pas tout; il réclama aussi le secours de la

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puissante Brunehaut, aïeule de ces rois, célèbre par ses fourberies, ses dérèglements et ses crimes, et il ne craignit pas d'exalter les bonnes œuvres et la crainte de Dieu de cette Jézabel. [4] Ce fut sous de tels auspices que la mission romaine arriva en Angleterre. Le pape avait bien choisi son délégué. Il y avait dans Augustin, plus encore que dans Grégoire lui-même, un mélange d'ambition et de dévouement, de superstition et de piété, de ruse et de zèle. L'essentiel de l'Eglise était moins à ses yeux la foi et la sainteté, que l'autorité et la puissance ; et la prérogative de cette société n'était pas tant de sauver les âmes que de rassembler sous le sceptre de Rome tout le genre humain \ Grégoire lui-même était affligé de l'orgueil spirituel d'Augustin, et l'exhorta souvent à l'humilité.

Des succès du genre de ceux que la papauté recherche, couronnèrent bientôt les travaux des romains. Les quarante et un missionnaires ayant abordé en 597 dans l'île ou pointe de Thanet, le roi du Kent consentit à les recevoir, en plein air toute fois par crainte de la magie. Ils se rangèrent de manière à produire un certain effet sur ces hommes grossiers, firent porter en tête de leur procession une grande croix avec une image de Christ; entonnèrent des cantiques latins, et s'approchèrent ainsi du chêne désigné pour la conférence. Ils inspirèrent assez de confiance à Éthelbert, pour qu'il leur per mît de célébrer leur culte dans une vieille chapelle située à Darovern (Cantorbéry), alors en ruines, mais où les chrétiens bretons avaient autrefois adoré Jésus-Christ. Peu après le roi et des milliers de ses sujets reçurent, avec quelques symboles et quelques doctrines chrétiennes, les erreurs des pontifes romains, le purgatoire par exemple, que Grégoire établissait à l'aide de fables absurdes. [5] Augustin baptisa dix mille païens en un jour. Rome n'a fait encore que poser un pied dans la Grande-Bretagne ; elle ne tardera pas à y établir son règne.

Nous ne voulons pas méconnaître le prix de l'élément religieux apporté alors aux Anglo-Saxons ; et nous aimons à croire que plusieurs des missionnaires venus d'Italie s'efforcèrent de faire une œuvre chrétienne. Nous pensons même que tout le moyen âge doit être apprécié avec des sentiments d'équité que l'on n'a pas toujours rencontrés dans ceux qui en ont fait l'objet de leurs études. La conscience humaine a vécu, a parlé, a soupiré, durant la longue période de la papauté; et comme la plante qui croît au milieu des épines, elle a su souvent forcer le passage à travers les grands obstacles des traditions et de la hiérarchie, pour s'épanouir au soleil vivifiant de la grâce de Dieu. L'élément chrétien est même fortement marqué dans quelques-uns des hommes les plus éminents de la théocratie, dans Anselme, par exemple.

Toutefois, appelé à raconter les luttes qui eurent lieu entre le christianisme primitif et le catholicisme romain, nous devons signaler la supériorité du premier sous le point de vue religieux, tout en concédant la supériorité du second sous le point de vue politique. Nous croyons (et la preuve s'en offrira plus tard1), qu'un voyage à Iona en eût appris beaucoup plus aux Anglo-Saxons que les fréquents pèlerinages

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qu'ils firent aux bords du Tibre. Sans doute, comme on l'a remarqué, ces pèlerins contemplaient à Rome “ H de nobles monuments, » mais il y avait alors dans les îles Britanniques (on l'a trop oublié), un christianisme qui, pour n'être pas parfaitement pur, valait mieux néanmoins que celui de la papauté.

La mission chrétienne qui, au commence ment du septième siècle, porta la foi et la civilisation dans la Bourgogne, les Vosges et l'Helvétie, pouvait bien aussi les répandre en Angleterre ; l'influence des arts, dont nous sommes loin de méconnaître la vertu civilisatrice, eût pu venir plus tard.

Mais loin que le christianisme des Bretons dût convertir l'Heptarchie saxonne, c'était, hélas! Le romanisme de l'Heptarchie qui devait conquérir la Bretagne. Cette lutte entre l'Église romaine et l'Église saxonne qui remplit tout le septième siècle, est pour l'Église d'Angleterre de la plus haute importance, car elle établit clairement sa liberté primitive ; elle est aussi d'un grand intérêt pour les autres Églises de l'Occident, car elle leur fait suivre sous des traits plus marqués, l'acte usurpateur par lequel la papauté les soumit un jour à son joug. Augustin, imposé comme archevêque non-seulement aux Saxons, mais aussi aux libres Bretons, appelé par ordonnance du pape à résider à Londres, plus tard à Cantorbéry, et placé à la tête d'une hiérarchie qui comptait douze évêques, entreprit bien tôt de ranger sous la juridiction romaine tous les chrétiens de la Grande-Bretagne. Il y avait alors à Bangor, dans le pays de Galles, une institution, issue croit-on de celle de Bangor, en Irlande, où près de trois mille hommes étaient réunis pour travailler de leurs mains,[6] pour étudier, pour prier, et du sein de laquelle étaient partis plusieurs missionnaires. Un docteur fidèle, prêt à servir tous les hommes dans la charité et l'humanité, mais convaincu que nul ne devait commander aux héritages du Seigneur, Dionoth, présidait alors cette grande Église (Al-Ban Chor, le grand chœur, la grande Église), et était l'homme le plus influent du christianisme breton.

D'un caractère un peu timide, il cédait jusqu'à un certain point pour l'amour de la paix; mais il ne sacrifiait jamais le devoir; c'était un apôtre Jean, rempli de douceur et pourtant condamnant les Diotrèphes, qui aiment à être les premiers parmi les frères. Ce fut à lui qu'Augustin s'adressa. «Reconnaissez, lui dit-il, l'autorité de l'évêque de Rome. » Telle fut la première parole de la papauté aux antiques chrétiens de la Grande-Bretagne. “ H Nous voue Ions aimer tous les hommes, répondit avec douceur le vénérable Breton, et ce que nous faisons pour tous, nous le ferons aussi pour celui que vous nommez le pape. Mais il ne doit pas s'appeler le Père des pères, et la seule soumission que nous puissions lui rendre est celle qu'en tout temps nous devons à tous les chrétiens » Ce n'était pas ce que demandait Augustin.

Ce premier échec ne le découragea pas. Fort du pallium de Rome et du glaive des Anglo-Saxons, l'archevêque convoqua en 601 des évêques bretons et anglais en

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assemblée générale, sous la voûte du ciel, autour d'un vieux chêne situé près de Wigornia (Worcester ou Hereford) ; c'est là qu'eut lieu la seconde agression romaine. Dionoth combattit avec fermeté l'extravagante prétention d'Augustin, qui lui demandait de nouveau de reconnaître l'autorité de Bome*. [7] Un autre Breton protesta contre l'orgueil des romains, qui attribuaient à leur consécration une vertu qu'ils refusaient à celle d’Iona ou des Églises d’ Asie. [8]» Les Bretons, s'écria un troisième, ne peuvent admettre ni le false des romains, ni la tyrannie des Saxons*. [9]» En vain l'archevêque prodigua-t-il les arguments, les prières, les censures et, dit-on, les miracles, les Bretons furent inébranlables Quelques-uns même d'entre eux, qui avaient mangé avec les Saxons quand ceux-ci étaient encore païens, s'y refusèrent maintenant que ces Saxons étaient soumis au pape. [10] Les Écossais sur tout se montrèrent inflexibles. Dagam, l'un d'entre eux, ne voulut prendre aucune nourriture, non-seulement à la même table que les romains, mais encore sous le même toit qu'eux.[11] Augustin échouait donc pour la seconde fois, et l'indépendance de la Grande-Bretagne semblait sauvée.

Toutefois, la puissance redoutable des papes, sou tenue par le sabre des conquérants, effrayait les Bretons. Ils voyaient un décret mystérieux enchaîner encore une fois les peuples au char triomphateur de Rome; aussi plusieurs s'éloignaient-ils de Wigornia, inquiets et découragés. Comment sauver une cause dont les soutiens mêmes commencent à désespérer ! Bientôt on les invita à assister à un nouveau concile. “ H Que faire? » Se demandèrent-ils pleins d'angoisse. La papauté n'était pas encore bien connue; elle était à peine formée. La conscience peu éclairée de ces fidèles était en proie aux plus violentes agitations. Ils se demandaient quelquefois si, en repoussant ce nouveau pouvoir, ils ne repoussaient pas Dieu lui-même. Un pieu chrétien, qui menait une vie solitaire, s'était acquis un grand renom dans ces contrées. Quelques-uns d'entre les Bretons se rendent vers lui. disent-ils, ou faut-il le suivre? [12] S'il est homme de Dieu, suivez-le, répondit le solitaire. Et à quoi le reconnaître ? S'il est doux et humble de cœur, reprit-il, il porte le joug de Christ; mais s'il est violent et superbe, il n'est pas de Dieu. Quel signe aurons-nous de son humilité? dirent-ils encore. S'il se lève quand vous entrerez. » Ainsi parla l'oracle de la Bretagne; il eût mieux valu consulter la sainte Écriture. L'humilité n'est pas la vertu des pontifes et des légats romains; ils aiment à rester assis pendant qu'on les courtise ou qu'on les adore. Les évêques bretons entrèrent dans la salle du concile, et l'archevêque, voulant leur faire connaître sa supériorité, demeura fièrement assis*. [13] Frappés à cette vue, les Bretons ne veulent plus entendre parler de l'autorité de Rome.

Pour la troisième fois ils disent non ; ils ne connaissent d'autre maître que Christ. L'archevêque, qui s'attendait à voir ces évêques humilier à ses pieds les Églises britanniques, s'étonne et s'indigne. Il avait annoncé la prochaine soumission de la Grande-Bretagne, et le pape va maintenant apprendre que son missionnaire l'a

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déçu... Animé de cet esprit superbe, qui ne s'est trouvé que trop souvent dans les ministres de son Église, Augustin s'écrie : “ H Si vous ne voulez pas recevoir des frères qui vous apportent la paix, vous subirez des ennemis qui vous apporteront la guerre. Si vous c ne voulez pas annoncer avec nous aux Saxons le chemin de la vie, vous recevrez de leurs mains le coup de la mort. [14]» Ayant ainsi parlé, l'orgueilleux archevêque se retira et s'occupa pendant ses derniers jours à préparer l'accomplissement de son funeste présage*. [15] La parole avait échoué; maintenant l'épée !

En effet, après la mort d'Augustin, Édelfrid, l'un des rois anglo-saxons, encore païen, rassembla une nombreuse armée, et s'avança vers Bangor, ce foyer du christianisme breton. L'épouvante agita alors ces faibles Églises. On pleure, on prie. L'épée d'Edelfrid s'approche. Qui appeler? Où trouver du secours ? La grandeur du danger semble ramener les Bretons à leur piété primitive; ce n'est plus aux hommes qu'ils s'adressent, c'est au Seigneur lui-même. Douze cent cinquante serviteurs de Dieu, se rappelant quelles sont les armes du chrétien, après s'être préparés par le jeûne, se réunirent en un lieu isolé pour présenter à Dieu leurs prières *. [16] Un chef breton nommé Brocmail, ému d’une tendre compassion, se plaça près d'eux avec quelques soldats, mais le cruel Édelfrid, apercevant de loin les douze cent cinquante chrétiens à genoux : “ H Qui sont ces gens? dit-il, et que font-ils ? » L'ayant appris, il ajouta : Ils combattent donc contre nous, quoique sans armes. » Et aussitôt il ordonna à ses soldats de fondre sur cette assemblée en prière. Douze cents de ces hommes pieux furent égorgés [17]. Ils priaient et ils mouraient. Aussitôt après, les Saxons marchèrent sur Bangor, ce siège des lettres chrétiennes, et le détruisirent... Ainsi le romanisme triomphait en Angleterre. La nouvelle de ces massacres remplit ces contrées de pleurs et de grands gémissements; mais les prêtres de la consécration romaine (le vénérable Bède lui-même pensa comme eux) virent dans ce cruel carnage l'accomplissement du présage du saint pontife Augustin, [18] et une tradition nationale le désigna longtemps chez les Gallois comme le provocateur de cette lâche boucherie. Les romains lançaient de cruels païens sur l'Église primitive de la Grande-Bretagne et l'attachaient sanglante à leur char. Un mystère d'iniquité s'accomplissait. Mais au moment où les glaives des Saxons semblaient avoir tout balayé devant la papauté, le sol trembla sous ses pieds et parut vouloir l'engloutir. Les conversions hiérarchiques plutôt que chrétiennes, opérées par les prêtres de Rome, étaient si peu réelles, qu'un grand nombre de néophytes retournèrent tout à coup au culte des idoles; Éadbald, roi du Kent, fut lui-même au nombre des apostats. De tels retours au paganisme sont fréquents dans l'histoire des missions romaines. Les évêques s'enfuirent dans les Gaules. Mellitus, Justus y étaient déjà arrivés, et Laurent, qui avait succédé à Augustin, était sur le point de les suivre. Couché dans l'église, où il avait voulu passer la nuit avant de quitter l'Angleterre, ce prêtre romain poussait des soupirs en voyant périr dans ses mains l'œuvre qu'Augustin avait fondée ; il la sauva au moyen d'un

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miracle. Se présentant le matin devant le roi, il lui montre ses vêtements en désordre et son corps tout couvert de plaies. “ H Saint Pierre, dit-il, lui apparaissant durant le silence de la nuit, l'a frappé du fouet à coups redoublés, parce qu'il abandon nait son troupeau [19]. » Le fouet était un moyen de persuasion morale que saint Pierre avait oublié dans ses épitres. Laurent s'était-il fait donner ces coups? Se les était-il donnés lui-même? Ou bien toute cette histoire était-elle un rêve? On aime à admettre cette dernière hypothèse.

Le prince superstitieux, ému à l'ouïe de cette intervention surnaturelle, s'empressa de reconnaître la puissance du pape, vicaire d'un apôtre qui fouettait si impitoyablement ceux qui avaient le malheur de lui déplaire. Si la domination de Rome avait alors disparu de la Bretagne, il est probable que les Bretons reprenant courage, favorisés d'ailleurs par les besoins qui se seraient manifestés parmi les Anglo-Saxons, se fussent relevés de leur défaite, et eussent apporté aux Saxons leur christianisme libre. Mais maintenant l'évêque romain semblait demeurer maître de l'Angleterre, et la foi des Bretons y paraissait à jamais éteinte. Il n'en était pourtant pas ainsi. Un jeune homme, issu de la race énergique des vainqueurs, allait devenir dans le Nord le champion de la vérité et de la liberté, et l'île presque entière devait s'émanciper du joug romain.

Un prince anglo-saxon, Oswald, fils du païen et cruel Édelfrid, avait dû s'enfuir, fort jeune encore, en Ecosse, par suite des revers de sa famille, avec son frère Oswy, et plusieurs autres jeunes nobles. Il y avait appris la langue du pays, avait été instruit dans les vérités de la sainte Écriture, avait été converti par la grâce de Dieu et baptisé dans les églises d'Écosse [20]. Il aimait à s'asseoir aux pieds des anciens de Iona, et à écouter leurs paroles. On lui montrait Jésus allant de lieu en lieu pour faire du bien, et il voulait faire de même ; on lui disait que Christ était le seul maître de l'Église, et il se promettait de n'en reconnaître jamais un autre. Oswald, plein de simplicité, de générosité, était surtout animée envers les pauvres de la plus tendre compassion, et ôtait son manteau quand il s'agissait de couvrir l'un de ses frères. Souvent en assistant aux douces assemblées des chrétiens d'Écosse, il avait désiré se rendre comme missionnaire au milieu des Anglo-Saxons. Bientôt il forme un hardi dessein; il est chrétien, mais il est prince. Il amènera au Sauveur les peuples du Northumberland, mais d'abord il rétablira au milieu d'eux le trône de ses pères. Il y avait dans ce jeune Anglais l'amour d'un disciple et le courage d'un héros. A la tête d'une petite armée, mais fort de la foi en Christ [21], il entra dans le Northumberland, fléchit le genou avec ses soldats sur le champ de bataille, et remporta (634) une importante victoire sur de puissants ennemis. Recouvrer le royaume de ses ancêtres n'était pour lui qu'une partie de sa tâche; Oswald voulait donner à son peuple les bienfaits de la foi. En effet, le christianisme apporté vers 625 au roi Edwin et au peuple du Northumberland par Pendin de York, avait disparu devant les ravages des armées païennes. Oswald demanda aux Écossais qui

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l'avaient accueilli, un missionnaire; un frère nommé Corman, pieux, mais rude et austère, arriva dans le Northumberland. Bientôt ce ministre retourna décourager à Iona

: “ H Ces gens vers lesquels vous m'avez envoyé, dit-il aux anciens de cette île, sont si obstinés, qu'il faut renoncer à changer leurs cœurs. » En entendant ce rapport, Aïdan, ancien d'Irlande, s'écriait en lui-même : “ H Si ton amour eût été présenté à ce peuple, ô Sauveur, bien des cœurs auraient été touchés!... J'irai, je te ferai connaître, ô toi, qui ne romps point le roseau froissé ! » Puis, portant sur le missionnaire un regard dans lequel se voyait un doux reproche : “ H Mon frère, lui dit-il, tu as été trop sévère pour des auditeurs si peu avancés. Il fallait leur donner à boire le lait spirituel, jusqu'à ce qu'ils fussent capables de recevoir des aliments plus solides. » Tous les yeux se fixèrent sur celui qui proférait de si sages paroles. “ H Aïdan est digne de l'épiscopat ! » S’écrièrent les anciens de Iona ; et il fut, comme autrefois Timothée, établi évêque par l'imposition des mains de la compagnie des anciens [22].

Oswald reçut Aïdan comme un ange du ciel, et le missionnaire, ignorant encore la langue des Saxons, le roi l'accompagna partout, se tint à ses côtés et expliqua luimême les douces paroles de l'Irlandais*.[23] Les peuples, pleins de joie, se pressaient en foule autour d'Oswald, d'Aïdan et d'autres missionnaires venus d'Ecosse et d'Irlande, et se montraient avides d'ouïr la Parole de Dieu.[24] Le roi prêchait par ses œuvres, plus encore que par ses discours. Un jour, c'était Pâques, Oswald, en se mettant à table, apprit qu'une troupe de ses sujets, pressés par la faim, était devant les portes du palais. Il ordonna aussitôt de leur porter le repas qu'on allait lui servir, et saisissant les vases d'argent qui étaient sur sa table, il les brisa, en jeta les pièces à ses serviteurs, et commanda qu'on les donnât aux pauvres. Oswald s'étant rendu dans le Wessex pour y épouser la fille du roi, apporta à ce peuple anglo-saxon la connaissance du Sauveur; et après neuf ans de règne, s'étant mis à la tête de son peuple pour repousser une invasion des idolâtres Merciers, que conduisait le cruel Penda, il tomba sur le champ de bataille, le 5 août 642, en s'écriant : “ H Seigneur, aie pitié des âmes de mon peuple ! » Ce jeune prince a laissé un nom cher aux Églises de la Grande Bretagne.

Sa mort n'arrêta pas les travaux des missionnaires. Leur douceur et le souvenir d'Oswald les rendaient chers à ce peuple. Dès qu'on voyait l’un d'eux sur la grande route, les populations accouraient à lui, et le priaient de leur annoncer la Parole de la vie [25]. La foi que le terrible Édilfrid avait cru noyer dans le sang des adorateurs de Dieu, reparaissait de toutes parts; et Rome, qui, jadis, aux jours d'Honorius, avait dû quitter la Grande-Bretagne, pouvait bien une seconde fois être obligée de s'enfuir sur ses navires, devant la foi d'un peuple qui revendiquait sa liberté.

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FOOTNOTES

[1] “ H Nefandi nominis Saxoni Deo hominibusque invisi. » (Gildas, De excidio Britanniœ.) 1 II dit [Ep., lib. IX, ep. xii) : “ H De Constantinopolitana Ecclesia quis eam dubitet, apostolicae sedi esse subjectam? »

[2] On connaît l'histoire d'Otaïti et des autres missions actuelles de l'Église romaine.

[3] H Subjectos Yestros. » [Op. Gregorii, IV, p. 334.) ! “ H Prona in bonis operibus.... in omnipotentis Dei timore. » (Ibid., II, p. 835.)

[4] On retrouve la même pensée dans Wiseman, IXe Conférence sur les doctrines de l'Eglise catholique.

[5] Dans l'histoire d'Oswald, roi du Northumberland.

[6] “ H Ars unicuique dabatur, ut ex opere manuum quotidiano se pos set in victu necessario continere. » [Preuves de l'histoire de Bretagne, II, p. 25.)

[7] “ H Istara obedientiam nos sumus parati dare et solvere ei et cuique christiano continuo. » (Wilkins, Conc. M. Brit., ï, p. 26.)

[8] “ H Dionothus de non approbanda apud eos Romanorum auctoritate disputabat. » [Jbid., p. 24.) » “ H Ordinationesque more asiatico eisdem contulisse. » (Ibid.)

[9] “H In communionem admittere vel Romanorum fastum vel Saxonum tyrannidem. » (Ibid.)

[10] “ H Faut-il fuir Augustin, lui 1 D'après le précepte de 1 Cor. V, 9-11. *

[11] H Dagamus ad nos veniens, non solum cibum nobiscum, sed nec in eodem hospitio,quo vescebamur, sumere voluit. » (Beda, Hist. eccl., n, P. 4.)

[12] “ H Ad quemdam virum sanctum et prudentem qui apud eos ana choreticam ducere vitam solebat, consulentes an ad prœdicationem Augustini suas deserere traditiones deberent. » (Beda, Hist. eccl., cap. ii.)

[13] “ H Factumque est ut venientibus illis sederet Augustinus in sella. » (Ibid.)

[14] “ H Si pacem eum fructibus accipere nollent, bellum ab hostibus fo rent accepturi... » (Beda, Hist. eccl., X\, cap. u.) s

[15] “ H Ipsum Augustinum hu.jus belli, non modo* conscium sed et im pulsorem exstitisse. »

[16] Wilkins ajoute que le mot qui se trouve dans Bède sur la mort d'Augustin est une parenthèse inventée par les écrivains romains, et qui ne se trouve point dans les manuscrits saxons. » [Conc. brit., p. 26.)

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“H Admemoratamaciem,peractojejuniotriduano,cumaliis,orandi causa convenerant. » (Beda, Hist. eccl., Il, cap. n.)

[17] “ H Extinctos in ea pugna feront, de his qui ad orandum meneront -»iros circiter mille ducentos. » (Beda, Hist. eccl., II, cap. H.)

[18] “ H Sic completum est praesagium sancti pontificis Augustini. » (Ibid.)

[19] “ H Apparaît ei beatissimus apostolorum princeps et multo illum tempore secretas noctisflagellis acrioribus afliciens. » (Beda, Hist. eccl., II, cap. vi.)

[20] “H Cum magna nobilium juventute apud Scottos sive Pictos exula bant, ibique ad doctrinam Scottorum cathechisati et baptismatis gratia sunt recreati. » (Beda, Hist. eccl., III, cap. i.)

[21] “H Superveniente cum parvo exercitu, sed flde Christi munito. » (Beda, Hist. eccl., III, cap. i.) 1 “ H Desiderans totam cui praeesse cœpit gentem fidei Christian» gra tia imbui. » (Ibid., cap. m.)

[22] Aydanus accepta gradu episcopatus, quo tempore eodem mona sterio Segenius abbas et presbyter prœfuit. » (Beda, Hist. eccl., III, cap. v.) Bède, en disant qu'un simple prêtre présidait, exclut la pensée qu'il pût y avoir des évêques dans l'assemblée. On peut lire 1 Tim. IV, y. 14.

[23] “ H Evangelisante antistite, ipse Rex suis ducibus ac miaistris inter pres verbi existeret cœlestis. » (Beda, Hist. eccl., III, cap. ni.)

[24] “ H Confluebant ad audiendum verbum Dei populi gaudentes. » (Ibid.)

[25] “H Mox congregati in unam vicani, verbum vitœ ab illo expetere cu rabant. » (Beda, Hist. eccl., p. 26.)

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CHAPITRE III

Le palais des rois du Northumberland. Wilfrid à Rome, puis à la cour. Finan et Colman. La lutte commence. Circonstances qui décident Rome à agir. Le synode de Streanch-Hall. Discours d'Oswy, de Wilfrid, de Colman. Victoire de Rome. Zèle de Wilfrid et d'Oswy. Cadeaux du pape. Théodore, archevêque, soumet l'Angleterre à Rome. Discorde dans le camp romain. Fin de Wilfrid. Chute d'Adamnan d’Iona. Chute de Naïtam, roi des Pictes. Le moine Ecgbert et ses visions. Chute d’Iona.

Alors la papauté se réveilla. Si la victoire fût de meulée aux Bretons, la GrandeBretagne, devenant tout entière une Église indépendante de la papauté, pouvait lui faire, dès ces temps antiques, une redoutable opposition. Si au contraire les derniers cham pions de la liberté étaient mis hors de combat, il n'y avait plus à attendre pour l'Église chrétienne que des siècles d'asservissement. Nous avons à contempler la lutte qui s'engagea bientôt dans le palais même des rois de Northumberland.

Un prince, instruit, il est vrai, dans la doctrine libre des Bretons, mais d'un christianisme extérieur, Oswy, avait succédé à son frère le noble Oswald. Oswy avait un cœur plein d'ambition et ne recula pas devant le crime pour accroître sa puissance. Un roi aimable, son parent, Oswin, occupait le trône de Déirie, et était cher à son peuple. Oswy, ayant conçu contre lui une jalousie mortelle, s'avança à la tête d'une armée, et Oswin, voulant éviter la bataille, se retira chez un noble qu'il avait comblé de bienfaits. Mais celui-ci s'offrit pour guide aux soldats d'Oswy, les conduisit à sa maison, au milieu de la nuit, et le roi fugitif, défendu par un seul de ses serviteurs, fut mis à mort par ces assassins. Le doux Aïdan, évêque de ces deux princes, en mourut de douleur [1]. Tel fut le premier exploit du monarque qui devait livrer l'Angleterre à la papauté.

Di verses circonstances devaient rapprocher Oswy de Rome. Il considérait surtout la religion chrétienne comme un moyen de coaliser les princes chrétiens contre un païen, Penda, et cette religion, où dominait la politique, ressemblait assez à celle des Romains. De plus, Oswy avait une femme altière, la reine Éanfeld, de race saxonne et d'Église romaine. Cette princesse, fort bigote, avait pour chapelain un prêtre qui se nommait Romain, et très digne de ce nom. Romain soutenait avec zèle les rites de l'Eglise latine ; aussi la fête de Pâques se célébrait-elle à la cour deux fois dans la même année, et tandis que le roi et les siens, suivant le rite oriental, rappelaient avec joie la résurrection du Seigneur, la reine, qui suivait le rite de Rome, plongée dans l'humiliation et le jeûne, en était encore au dimanche des Rameaux Souvent Éanfeld et Romain s'entretenaient ensemble des moyens de gagner le Northumberland à la papauté. Il fallait d'abord augmenter le nombre de ceux qui combattaient pour elle; l'occasion s'of frit d'elle-même.

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Un jeune homme du Northumberland, appelé Wilfrid, d'une belle figure, d'une grande intelligence, d'un esprit fin, d'un caractère entreprenant, d'une infatigable activité et d'une ambition insatiable* [2], était venu un jour vers la reine. “ H La voie que nous enseignent les Écossais n'est pas par faite, lui avait-il dit; je veux aller à Rome et m'y instruire dans les temples mêmes des apôtres. » Éanfeld l'avait approuvé, secouru, dirigé, et il était parti. Hélas! Il devait un jour enchaîner au siège romain toute l'Église britannique. Après un séjour à Lyon, où l'évêque, ravi de ses talents, voulait le retenir, Wilfrid était arrivé à Rome et s'y était lié avec le conseiller le plus intime du pape, l'archidiacre Roniface. Il avait bien vite reconnu que les prêtres de France et d'Italie possédaient plus, de pouvoir dans les affaires, soit ecclésiastiques, soit séculières, que les humbles missionnaires de Iona, et sa soif des honneurs s'était enflammée à la cour des pontifes. S'il parvient à soumettre l'Angleterre à la papauté, il n'y a pas, croit-il, de dignité à laquelle il ne puisse prétendre. Dès lors, il n'eut plus d'autre pensée, et à peine était-il revenu dans le Northumberland, qu'Éanfeld s'empressa de l'appeler à la cour.

Une reine fanatique, dont il pouvait tout at tendre; un roi sans conviction religieuse et dominé par ses intérêts politiques ; puis, entre eux deux, un prince, Alfred, fils du roi, jeune homme pieux, zélé, désireux d'imiter son oncle, le fidèle Oswald, et de convertir comme lui les païens, mais qui n'avait ni le discernement ni la piété de l'illustre disciple de Iona : voilà ce que trouvait Wilfrid à la cour. Il comprit que si Rome avait remporté une première victoire par le glaive d'Édilfrid, c'était maintenant à force d'habileté qu'elle pouvait en obtenir une seconde. Il s'entendit à ce sujet avec la reine et avec Romain, et ayant été attaché à la personne d'Alfred, il se mit à flatter ce jeune prince et s'empara ainsi de son esprit. Alors, se voyant sûr de deux membres de la famille royale, ce fut sur Oswy qu'il dirigea tous ses efforts.

Les anciens d’Iona ne fermaient pas les yeux aux dangers qui menaçaient le Northumberland. Ils avaient envoyé Finan pour remplacer Aïdan, et cet évêque, consacré par les presbytères d’Iona, avait vu la papauté s'insinuer à la cour, d'abord humble, inoffensive, puis croissant d'année en année en hardiesse et en ambition. Il s'était ouvertement opposé aux agents du pape, et ses luttes fréquentes l'avaient affermi dans la vérité [3]. Il était mort, et les presbytères des Hébrides, comprenant pins que jamais les besoins du Northumberland, y avaient envoyé comme évêque, Colman, homme simple mais fort, et décidé à opposer un front d'airain aux artifices des séducteurs.

Cependant, Éanfeld, Wilfrid et Romain, creusaient habilement la mine qui devait détruire l'Église apostolique de la Grande-Bretagne. D'abord, Wilfrid prépara son attaque par des insinuations adroites; ensuite, il se prononça ouvertement en présence du roi. Si Oswy se retirait dans son cercle domestique, il y trouvait la bigote Éanfeld, qui reprenait avec zèle le travail du missionnaire romain. Bientôt on ne garda plus de mesure ; au milieu des divertissements- de la cour, à table, à la

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chasse même, on entamait des discussions sans fin sur les doctrines controversées; les esprits s'échauffaient; les romains affectaient déjà les allures de la victoire ; les Bretons se retiraient souvent pleins d'émotion et de crainte, et le roi, placé entre sa femme et sa foi, et fatigué de ces disputes, penchait de côté et d'autre, comme s'il allait bientôt tomber.

La papauté avait des motifs plus puissants que jamais pour convoiter le Northumberland. Non-seulement Oswy avait usurpé le royaume de Déirie, mais encore le cruel Penda était mort en 654, les armes à la main, Oswy avait conquis ses États, sauf la partie gouvernée par son gendre Peada, fils de Penda ; et bientôt Peada lui-même, ayant succombé dans une conjuration de palais, attribuée à sa femme, fille d'Oswy, celui-ci avait achevé la conquête de la Mercie, et ainsi réuni sous son sceptre la plus grande partie de l'Angleterre. Le Kent seul reconnaissait alors la juridiction de Rome ; partout ailleurs des ministres libres, protégés par les rois du Northumberland, prêchaient l'Évangile. Ceci ramenait la question à des termes très clairs. Si Rome gagnait Oswy, elle gagnait l'Angleterre ; si elle échouait, il lui fallait tôt ou tard abandonner la Grande-Bretagne.

Ce n'était pas tout. Le sang d'Oswin, la mort prématurée d'Aïdan, d'autres fautes encore troublaient le roi. Il désirait apaiser la Divinité qu'il avait offensée, et ne sachant pas que Christ est la porte, selon une expression des Écritures, il cherchait parmi les hommes un portier qui le fît entrer dans le ciel. Il ne devait pas être le dernier des rois que le besoin d'expier ses crimes pousserait vers les pratiques romaines. Le rusé Wilfrid, entretenant à la fois les frayeurs et les espérances du prince, lui parlait souvent de Rome et des grâces que l'on y trouve. Il crut que le fruit était mûr, et qu'il ne s'agissait plus que de donner une secousse à l'arbre. Jl faut une dispute publique où l'on décide la question, dirent la reine et ses prêtres ; mais Rome doit y paraître avec autant d'éclat que ses adversaires! Opposons évêque à évêque. » Un évêque saxon, nommé Agilbert, ami de Wilfrid, avait gagné l'amitié du jeune prince ; c'est lui qu'Éanfeld appelle, et il arrive dans le Northumberland avec un prêtre nommé Agathon. Pauvre Église bretonne! Le vase de terre va se heurter contre le vase de fer : la Grande-Bretagne devait succomber devant la marche envahissante de Rome.

Au sud du Northumberland, au fond d'une jolie baie de la mer d'Orient, à StreanchHall, maintenant Whitby, se trouvait un monastère dirigé par une femme pieuse nommée Hilda, fille du roi Edwin, et qui désirait voir se terminer les luttes violentes qui agitaient l'Église depuis le retour de Wilfrid. C'est là, sur ces rives de la mer du Nord [4], que devait se décider la lutte entre la Grande-Bretagne et Rome, entre l'Orient et l'Occident, ou, comme l'on disait alors, entre saint Jean et saint Pierre. Il n'était pas question seulement de la Pâque et de quelques règles disciplinaires, mais d'une grande doctrine, de la liberté de l'Église, sous JésusChrist, ou de son assujettissement, sous la papauté. Rome, toujours dominatrice,

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voulait pour la seconde fois s'emparer de la Grande-Bretagne, non plus avec des épées, mais avec des dogmes. Toujours habile, elle cachait ses énormes prétentions sous des questions secondaires, et les esprits superficiels étaient trompés par cette manœuvre.

On se réunit dans les salles de Streanch. Le roi et son fils parurent d'abord; puis d'un côté Colman, les évêques et les anciens bretons, et de l'autre l'évêque Agilbert, Agathon, Wilfrid, Romain, un diacre nommé Jacques et plusieurs autres prêtres [5] On appelle d'ordinaire cette conférence Synodus Pharensis de la confession latine. Ensuite vinrent Hilda et les siens. Parmi eux se trouvait un évêque anglais1 nommé Cedda, l'un des plus actifs missionnaires de ces temps. Cedda avait d'abord prêché l'Évangile au centre de l'Angleterre; puis il avait dirigé ses pas vers les AngloSaxons de l'orient, et ayant converti un grand nombre de ces païens, il était retourné vers Finan, et avait reçu, quoique Anglais, la consécration épiscopale de cet évêque, consacré lui-même par les anciens de Iona. Alors retournant dans l'ouest, l'infatigable Cedda y avait établi partout des Eglises, des anciens et des diacres*. [6] Anglais de nation, Écossais de consécration, entouré d'ailleurs du respect universel, Cedda paraissait désigné comme médiateur de la conférence du Streandu Son intervention ne devait pas empêcher la victoire de Rome. Hélas! L’Évangile primitif avait fait place peu à peu à une domination cléricale, là plus grossière, ici plus subtile.

Au lieu de recourir uniquement à la Parole de Dieu, cette source de toute lumière,, on prétendait alors, quand il s'agissait de justifier des doctrines et des rites, que c'était ainsi que saint Jacques faisait à Jérusalem, ou saint Marc à Alexandrie, ou saint Jean à Éphèse, ou saint Pierre à Rome. On appelait canons des apôtres, des règles qu'ils n'avaient jamais connues. On allait même plus loin; à Rome et dans l'Orient, l'ecclésiasticisme se donnait pour une loi de Dieu. Provenu d'un état de faiblesse, il devenait ainsi un état de péché. Quelques teintes de ces erreurs commençaient déjà à se voir sur le christianisme breton.

Le roi Oswy prit le premier la parole : “ H Serviteurs d'un seul et même Dieu, dit-il, nous espérons tous avoir dans le ciel un même héritage, pour quoi donc n'aurionsnous pas ici-bas une même règle de vie ? Recherchons quelle est la vraie, et suivonsla tous. » “ H Ceux qui m'ont envoyé ici comme évêque, dit Colman, et qui m'ont donné la règle que je suis, sont des bien-aimés de Dieu. Gardons-nous de mépriser leur doctrine, car c'est celle de Colomba, c'est celle du bienheureux évangéliste Jean, et des Églises sur lesquelles présidait cet apôtre [7]. »

Quant à nous » dit fièrement Wilfrid, à qui, comme au plus habile, l’évêque Agilbert déclara vouloir laisser la parole, “ H notre coutume est celle de Rome, où ont enseigné les saints apôtres Pierre et Paul ; nous l'avons trouvée en Italie, en Gaule ; que dis-je ? elle est répandue parmi toutes les nations. Les Pictes et les Bretons,

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jetés sur ces deux îles, aux extrémités de la mer, oseraient-ils lutter contre le monde universel*[8]? Quelque saint qu'ait été votre Colomba, le préférerez-vous au prince des apôtres, à celui auquel Christ a dit : Tu es Pierre, et je te donnerai les clefs du royaume des deux? »

Wilfrid s'était animé, et ses paroles habilement calculées ébranlaient les assistants. Il avait adroite ment substitué Colomba à l'apôtre saint Jean, dont se réclamait l'Église bretonne, et opposé à saint Pierre le simple presbytère de Iona. Oswy, dont le pouvoir était l'idole, ne pouvait hésiter entre de chétifs évêques et ce pape de Rome qui commandait, lui disait-on, au monde universel. Voyant déjà saint Pierre à la porte du paradis, une clef à la main, le roi s'écria tout ému : “ H Est-il vrai, Colman, que ces paroles aient été adressées à saint Pierre par le Seigneur?»

L'évêque: “ H Cela est vrai, ô roi!» Le roi : “ H Pouvez-vous prouver qu'une aussi grande puissance ait été donnée à votre Colomba? »

L'évêque répondit : “ H Nous ne le pouvons. » Col man eût pu répondre à Oswy : Jean, dont nous suivons la doctrine, et même tous les disciples ont reçu, dans le même sens que Pierre, le pouvoir de pardonner les péchés, de lier et délier sur la terre et dans le ciel *[9]; mais la connaissance des Écritures commençait à s'affaiblir à Iona ; et le simple Colman n'avait pas remarqué la ruse de Wilfrid qui avait remplacé saint Jean par Colomba. Alors Oswy, heureux de céder aux sollicitations continuelles de la reine, et surtout de trouver quelqu'un qui le fît entrer au ciel, s'écria : “ H Pierre est le portier, je veux lui obéir, de peur que quand je me présenterai à la porte, il n'y ait personne qui m'ouvre *. [10] » Tous les assistants, entraînés par cette profession royale, se hâtèrent de déclarer qu'ils se soumettaient au vicaire de saint Pierre.

Ainsi s'opéra le triomphe de Rome dans les salles de Streahch. Oswy oublia que le Seigneur a dit : Je suis celui qui ouvre et personne ne ferme, qui ferme et personne n'ouvre*. [11] Ce fut en attribuant à Pierre, le serviteur, ce qui n'appartient qu'à Jésus-Christ, le maître, que la papauté se soumit la Grande-Bretagne. Oswy tendit les bras ; Rome y riva ses chaînes, et l'Église évangélique et libre, qu'Oswald avait rendue à l'Angleterre, parut près d'exhaler le dernier soupir. Colman consterné voyait avec douleur Oswy et son peuple fléchir le genou devant les prêtres étrangers. Il ne désespéra pourtant pas du triomphe de la vérité. Il restait à la foi apostolique les antiques sanctuaires de l'Église bretonne, de l'Ecosse et de l'Irlande. Inébranlable dans la doctrine qu'il avait reçue, décidé à maintenir la liberté chrétienne, Col man se leva et prit avec lui tous ceux qui ne voulaient pas du joug de Rome, et retourna en Écosse. Trente Anglo-Saxons et un grand nombre de Bretons secouèrent avec lui la poussière de leurs pieds contre les lentes des prêtres romains.

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La haine contre la papauté devint toujours plus ardente parmi les restes des Bretons. Décidés à repousser ses dogmes erronés et son empire illégitime, ces peuples maintenaient leur communion avec l'Église d'Orient, plus ancienne que celle de Rome. Ils frémissaient en voyant le dragon blanc des Saxons acculer toujours plus à la mer d'Occident le dragon rouge des Celtes. Ils attribuaient leurs malheurs à une horrible conspiration formée par l'ambition inique de moines étrangers, et leurs bardes maudissaient dans leurs hymnes les ministres négligents qui ne défendaient pas les brebis du Seigneur contre les loups de Rome [12]. Inutile douleur !

En effet, les prêtres romains, aidés de la reine, ne perdaient pas de temps. Wilfrid, que l'on voulait récompenser de son triomphe, fut nommé évêque du Northumberland, et se rendit à Paris afin d'y recevoir une consécration épiscopale dans les formes. Il revint bientôt, et se mit avec une activité inouïe à établir dans toutes les églises la doctrine de Rome *.[13] Évêque d'un diocèse qui, grâce à ses désignations, s'étendait d'Edimbourg à Northampton, enrichi des biens qui avaient appartenu auparavant à divers monastères, entouré d'une suite nombreuse, servi sur de la vaisselle d'argent et d'or, Wilfrid se félicitait d'avoir épousé la cause de la papauté ; il blessait tout le monde par son insolence et apprenait à l'Angleterre la différence qu'il y avait entre les humbles ministres de Iona et un prêtre romain.

En même temps, Oswy, s' entendant avec le roi du Kent, envoyait à Rome un autre prêtre nommé Wighard, pour s'informer des intentions du pape à l'égard de l'Église d'Angleterre, et pour y être con sacré archevêque de Cantorbéry. Il n'y avait pas de consécration épiscopale en Angleterre qui fût digne d'un prêtre. En attendant, Oswy, déployant le zèle d'un nouveau converti, ne cessait de répéter que l'Église romaine était l'Église catholique et apostolique, » et pensait jour et nuit à convertir ses sujets, espérant ainsi racheter son âme, dit un pape.

Quand toutes ces nouvelles arrivèrent à Rome, elles y firent une grande sensation. Vitalien surtout, qui occupait alors le siège épiscopal, et qui, plein d'orgueil envers les évêques, rampait devant l'Empereur, ne se posséda pas de joie. “ H Qui pourrait «ne pas tressaillir! s'écria-t-il*.[14] Un roi converti à la vraie foi apostolique, un peuple qui croit en fin à Christ, le Dieu Tout-Puissant... » II y avait longtemps que ce peuple croyait en Christ, mais il commençait alors à croire au pape, et le pape devait lui faire oublier Jésus-Christ.

Vitalien se hâta d'écrire à Oswy, il lui envoya, non des exemplaires des saintes Écritures (déjà alors fort rares à Rome), mais des reliques de saint Pierre, de saint Jean, de saint Laurent, de saint Grégoire et de saint Pancrace; et voulant récompenser particulièrement la reine Éanfeld, à qui appartenait, avec Wilfrid, la gloire de cette œuvre, il lui offrit une croix faite, assurait-il, avec les chaînes de

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saint Pierre et de saint Paul [15]. “ H Hâtez-vous, disait le pape en terminant, de soumettre toute votre île à Jésus Christ, » ce qui voulait dire, à l'évêque romain.

Cependant l'essentiel était d'envoyer, de Rome même, un archevêque à la GrandeBretagne; or, Wighard était mort, et l'on ne trouvait personne qui voulût entreprendre un si long voyage [16]. Le zèle n'était pas grand dans la ville des pontifes; il fallut avoir recours à un étranger. Un homme venu d'Orient, célèbre par sa science, s'y trouvait alors, et avait adopté les rites et les doctrines des Romains, en échange des connaissances qu'il leur avait apportées. On le désigna au pape comme métropolitain de l'Angleterre. Théodore, c'était son nom, appartenant par sa naissance aux Églises de l'Asie Mineure, devait, mieux que personne, être écouté des Bretons, quand il les solliciterait d'abandonner les rites orientaux. Toutefois, l'évêque romain craignant qu'il n'eût quelque réminiscence fâcheuse des doctrines grecques, lui donna pour compagnon, ou plutôt pour surveillant, un moine zélé, Africain de nation, nommé Adrien *.[17]

Théodore commença la grande croisade contre le christianisme britannique. S'efforçant de montrer par son zèle la sincérité de sa conversion, le primat parcourait toute l'Angleterre avec Adrien, [18] et imposait aux peuples cette suzeraineté ecclésiastique dont Rome est redevable à sa suzeraineté politique. La supériorité de caractère qui distingua saint Pierre était transformée par lui en une supériorité de charge. A la juridiction de Christ et de sa Parole, il substituait celle de l'évêque de Rome et de ses décrets. Il insistait sur la nécessité d'une ordination donnée par des évêques qui, par une chaîne non interrompue, remontassent jusqu'aux apôtres mêmes. Les Bretons maintenaient encore la validité de leur consécration, mais déjà il y en avait peu qui comprissent que de prétendus successeurs des apôtres, qui peuvent porter Satan dans leur cœur, ne sont pas de vrais ministres chrétiens; que l'essentiel pour l'Église, c'est que les apôtres euxmêmes (et non pas seulement leurs successeurs) habitent dans son sein par leur parole, par leurs enseignements, par le divin Consolateur qui doit être éternellement avec elle.

La grande déroute commençait, et les meilleurs furent quelquefois les premiers à céder. Théodore étant arrivé vers Cedda, consacré par un évêque qui lui-même l'avait été par les anciens de Iona : Vous n'avez pas été consacré comme il faut, » lui dit-il. Cedda, au lieu d'être courageux pour la vérité, s'abandonna à une modestie charnelle et répondit : “ H Je ne me suis jamais jugé digne de l'épiscopat, et je suis prêt à me retirer. Non, dit Théodore, vous resterez évêque, mais je vous donnerai une nouvelle consécration, selon le rite «catholique. [19] » Le ministre breton s'y soumit.

Rome triomphante se sentait assez forte pour rejeter l'imposition des mains des anciens de Iona, qu’elle avait jusqu'alors reconnue. Les hommes les plus fidèles se

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réfugièrent en Ecosse. Ainsi, à une Église sans doute déchue à quelques égards, mais dans laquelle pourtant l'élément religieux tenait la principale place, en succéda une autre où régnait l'élément clérical. On s'en aperçut bientôt ; les questions de domination et de préséance, inconnues parmi les chrétiens bretons, furent à l'ordre du jour. Wilfrid, qui avait fixé son siège à York, pensait que nul n'eût mérité mieux que lui d'être primat de l'Angleterre ; et Théodore, de son côté, était irrité des airs d'orgueil qu'affectait cet évêque. Pendant la vie d'Oswy, dont Wilfrid était l'oracle, la paix fut maintenue ; mais bientôt ce prince tomba malade; la mort l'épouvantait; il fit vœu, s'il guérissait, de faire un pèlerinage à Rome, et d'y finir ses jours. [20] “ H Si vous voulez être mon conducteur à la ville des apôtres, disait-il à Wilfrid, je vous donnerai une grande somme d'argent. »

Ce vœu fut inutile ; Oswy mourut au printemps de l'an 670. Les notables écartèrent le prince Alfred, et mirent sur le trône son jeune frère Egfred. Celui-ci, que l'insolence de Wilfrid avait souvent irrité, dénonça à l'archevêque ce prélat orgueilleux. Rien ne pouvait être plus agréable à Théodore. Il assembla un concile à Hertford ; il y fit d'abord comparaître les principaux de ses convertis, et leur présentant, non les saintes Écritures, [21] mais les canons de l'Eglise romaine, il reçut leurs serments ; telle était la religion que l'on donnait alors à l'Angleterre. Mais ce n'était pas tout. “ H Le diocèse de notre frère Wilfrid est si grand, dit le primat, que l'on peut y placer quatre évêques. » Ainsi fut fait. Wilfrid, indigné, en appela du primat et du roi au pape. Qui a converti l'Angleterre, si ce n'est lui?... et c'est ainsi qu'on le récompense!... Ne se laissant point arrêter par les difficultés du voyage, il partit pour Rome, accompagné de quelques moines, et le pape Agathon y ayant assemblé un concile (679), l'Anglais présenta sa plainte, et le pontife déclara la destitution illégale. Wilfrid retourna aussitôt en Angleterre, et remit fièrement au roi le décret du pape. Mais Egfred, qui n'était pas d'humeur à tolérer ces manières romaines, loin de rendre au prélat son évêché, le fit jeter en prison et ne le relâcha, à la fin de l'année, qu'en lui imposant la condition de quitter à l'instant le Northumberland.

Wilfrid (car il faut mener jusqu'à la fin la vie de cet homme étonnant, qui eut une si grande influence sur les destinées de l'Église d'Angleterre), Wilfrid était décidé à être évêque à tout prix. Le royaume saxon de Sussex était encore païen. Le prélat dé posé, dont il faut au moins reconnaître l'infatigable activité, prend la résolution de se conquérir un évêché, comme d'autres se conquièrent un royaume. Il arrive dans un temps de famine dans le Sussex, dont le roi Edilwalch était déjà baptisé ; il apporte un grand nombre de filets, il enseigne à ce peuple l'art de la pêche, il gagne son affection, il lui donne le baptême, et le roi l'établit chef de l'Église.

Mais Wilfrid manifesta bientôt l'esprit qui l'animait; il fournit des secours d'hommes et d'argent à Ceadwalla, roi de Wessex, et ce chef cruel se jeta sur le Sussex, le ravagea et fit périr Edilwalch, le bienfaiteur de l'évêque. La carrière du

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turbulent Wilfrid n'était pas finie. Le roi Egfred meurt; son frère Alfred, que Wilfrid avait élevé, lui succède, et plein d'amour pour les lettres et pour la religion, il ambitionne la gloire de son oncle Oswald. L'ambitieux Wilfrid accourt et réclame son siège de York, en acquiesçant au partage; on le lui rend; il recommence à dépouiller les autres pour s'enrichir lui-même ; un concile le supplie de se soumettre aux décrets de l'Église d'Angleterre ; il s'y refuse, et ayant perdu l'estime du roi, son ancien élève, il entreprend, malgré sa vieillesse, un troisième voyage à Rome. Sachant comment on gagne les papes, il se jette aux pieds du pontife, en s'écriant que “ H le sup pliant évêque Wilfrid, l'humble esclave du serviteur de Dieu, implore la grâce de notre bienheureux seigneur, le pape universel. »Le pontife ne put faire rendre à sa créature le siège tant désiré, et Wilfrid dut se contenter de passer ses derniers jours au milieu des richesses que sa cupidité avait entassées.

Toutefois il avait accompli la tâche de sa vie; toute l'Église, en Angleterre, reconnaissait la papauté. Les noms d'Oswy et de Wilfrid doivent être inscrits en lettres de deuil dans les annales de la Grande-Bretagne. La postérité, qui les a presque oubliés, a eu tort sans doute; car ces noms sont ceux de deux des hommes les plus actifs qui aient jamais paru en Angleterre. Au reste, cet oubli même a quelque chose de généreux. La tombe où fut ensevelie pendant neuf siècles la liberté de l'Église, est le seul et triste monument qui doive perpétuer leur mémoire.

Cependant l'Ecosse tenait encore, et pour assurer le triomphe définitif de Rome, il fallait envahir cette terre vierge, sur laquelle flottait depuis si longtemps l'étendard de la foi.

Un homme vertueux et savant, mais faible, un peu vain et d'un christianisme peu spirituel, l'ancien Adam nan, était alors chef de l'Église de Iona, l'abbé du monastère. Le gagner c'était, suivant Rome, gagner l'Écosse.

Une circonstance vint favoriser les projets de ceux qui désiraient l'attirer dans la communion du pape. Un jour qu'une violente tempête agitait ces mers, un navire revenant des lieux saints, et sur lequel se trouvait un évêque gaulois, nommé Arculf, fut jeté sur les côtes voisines de Iona. [22] Arculf s'empressa de chercher un asile au milieu des hommes pieux de cette île. Adam nan ne pouvait se rassasier d'entendre cet étranger lui décrire Bethlehem, Jérusalem, Golgotha, les campagnes brûlées par le soleil qu'avait parcourues le Seigneur, et la pierre fendue en deux qui était encore devant la porte du sépulcre *. [23] L'ancien d’Iona, qui se piquait d'une certaine culture, recueillit les discours d'Arculf, et en composa une description de la Terre-Sainte. Une fois son livre terminé, le désir de faire connaître ces merveilles, un peu de vaine gloire, d'autres motifs encore peut-être, le poussèrent à la cour du Northumberland, où il présenta son ouvrage au pieux roi Alfred, [24] qui, aimant la science et les traditions chrétiennes, en fit faire un grand nombre de copies.

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Ce ne fut pas tout ; le clergé romain comprit le profit qu'il pouvait tirer de cet imprudent voyage ; on entoura l'ancien, on lui montrait les pompes du culte : Voulez-vous, » lui disait-on, vous et vos amis, placés à l'extrémité du monde, vous opposer seuls aux observances de l'Église universelle? [25]» Les grands de la cour flattaient son amour-propre d'auteur, et l'invitaient à leurs fêtes, tandis que le roi le comblait de ses présents. . . Le libre presbytère de la Grande-Bretagne devint un prêtre de Rome, et Adam nan retourna à Iona pour livrer son Église à ses nouveaux maîtres. Mais tout fut inutile, Iona ne fléchit point [26]. Adam nan, honteux, se rendit en Irlande, y amena quelques enfants d'Érin à l'uniformité romaine, reprit courage et revint en Écosse. Mais l'Écosse inflexible le repoussa avec indignation*. [27] N'ayant pu vaincre par le prêtre, Rome eut recours au prince ; ce fut sur Naïtam, roi des Pictes, Les conversions dont l'abbé Ceolfrid parle dans le chap. xxii sont probablement celles qui s'opérèrent en Irlande, le mot Scotia s'appliquant alors souvent à ce pays qu'elle dirigea ses efforts. “ H Combien il serait glorieux pour vous, disait-on au roi, d'appartenir à l'Église puissante du pontife universel de Rome, qu'à des congrégations dirigées par de chétifs anciens ! L'Église romaine est une monarchie et doit être l'Église de tous les monarques. Le culte romain convient aux pompes de la royauté, et ses basiliques sont des palais ! »

Ce fut ce dernier argument qui convainquit le prince. Il envoya des députés à Ceolfrid, abbé d'un couvent anglais, pour lui demander des architectes capables de lui bâtir une église à la mode des romains*, [28] de pierre et non de bois. Des architectes, un portail, des colonnes, des voûtes, des autels ont été souvent des missionnaires influents du romanisme. Les architectes étant arrivés, promirent au roi de beaux temples. L'art archi tectonique, quoiqu'il n'en fût qu'aux éléments, fut plus puissant que la Bible. Naïtam qui, en se soumet tant au pape, s'imaginait s'asseoir à côté des Clovis et des Clotaire, assembla les grands de sa cour, les pasteurs de son Église, et s'écria : “ H J'ordonne que tous les ecclésiastiques de mon royaume reçoivent la tonsure de Saint-Pierre*. [29] » Puis, sans délai, dit Bède, il accomplit par autorité royale [30] cette importante révolution. Il envoya dans toutes les provinces, des agents, des circulaires, et fit tonsurer les ministres et les moines, selon la mode romaine, en rond et non en long [31]. C'était la marque que la papauté mettait, non sur le front, mais sur la tête. Une ordonnance de l'État et quelques coups de ciseaux rangèrent les Écossais, comme des moutons, sous le bâton du berger du Tibre.

Cependant Iona résistait toujours. Les ordres du roi des Pictes, l'exemple des peuples, la vue de cette puissance de Rome qui dévorait toute la terre, y avait ébranlé quelques esprits ; mais l'Église repoussait encore un pouvoir novateur. Iona était la dernière citadelle de la liberté religieuse dans le monde occidental ; et la papauté était remplie de colère à la vue de cette troupe chétive, réfugiée en un coin obscur, qui refusait de s'incliner devant elle. Les moyens hu mains semblaient

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insuffisants pour conquérir ce rocher; il fallait quelque chose de plus, des visions, des miracles; et quand il en faut, Rome en a toujours trouvé. Un jour (c'était tout à la fin du septième siècle), un moine d'Angleterre arrivant d'Irlande, se présenta aux anciens d’Iona. Ils le reçurent avec leur hospitalité accoutumée. Il se nommait Ecgbert, et unissait à l'enthousiasme de la dévotion une grande douceur. Il gagna bientôt l'esprit de ces faibles chrétiens, et se mit à leur parler d'une unité extérieure. Une universalité, qui se manifeste sous diverses formes, ne suffisait pas, selon lui, à l'Église de Christ ; il voulait la forme spéciale de Rome, et à l'élément vraiment catholique, qu'avaient possédé jusqu'alors les chrétiens d’Iona, il substituait un élément sectaire. Il attaquait les traditions de l'Église bretonne [32] ; il répandait autour de lui de riches présents que lui avaient confiés les seigneurs de l'Irlande et de l'Angleterre*; [33] et il eut bientôt lieu de remarquer la vérité de cette parole du sage, que le présent est comme une pierre précieuse, en sorte que de quelque côté qu'il se tourne, il réussit. »

Cependant il y avait à Iona des âmes vraiment pieuses qui tenaient encore. L'enthousiaste (car Ecgbert paraît avoir été un enthousiaste plutôt qu'un imposteur) eut donc recours à d'autres moyens. Il se donna pour un envoyé du ciel. Les saints eux-mêmes, dit-il, lui ont donné la mission de convertir Iona ; et il raconta en ces mots son histoire aux anciens qui l'entouraient : “ H Il y a environ trente ans, je m'étais rendu dans le monastère irlandais de Rath melfig; une terrible contagion l'atteignit, et de tous les frères, le moine Édelhun et moi restâmes seuls. Atteint de la peste, et croyant ma dernière heure arrivée, je me levai fort agité [34], et me traînai jusque dans la chapelle. Tout mon corps tremblait, au souvenir de mes péchés, et mon vi sage était inondé de larmes : O Dieu ! M’écriai-je, ne permets pas que je meure, avant de m'être acquitté de mes dettes envers toi par une abondance de bonnes œuvres [35] ! Je rentrai en chancelant dans l'infirmerie, me remis au lit et m'endormis. Au moment où je me réveillai, j'aperçus Édelhun, les yeux fixés sur moi : O frère Ecgbert, me dit-il, une vision m'a révélé que tu recevras ce que tu as demandé. La nuit suivante, Édelhun mourut, et moi je guéris.

Plusieurs années s'écoulèrent; mes pénitences, mes veilles ne me satisfaisaient pas, et voulant payer ma dette, je résolus d'aller avec quelques moines prêcher les vertus de l'Église aux païens de l'Allemagne. Mais une nuit l'un des bienheureux apparut à un de nos frères, et prononça ces paroles : Dis à Ecgbert : Il faut que tu ailles vers les monastères de Colomba, car leurs charrues ne cheminent pas droitement, et c'est toi qui dois les remettre dans le vrai sillon. [36] Je défendis à ce. “ H frère de parler de cette vision, et montai sur le navire qui devait me porter vers les Germains.

Nous attendions un vent favorable, quand tout à coup, au milieu de la nuit, une terrible tempête fondit sur notre bâtiment, et le fit échouer sur le sable. C'est pour moi qu'est cette tempête..., m'écriai-je tout effrayé. Dieu me parle comme à c Jonas !

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et je courus me cacher dans ma cellule. Je résolus enfin d'obéir au commandement que le saint homme m'avait apporté. Je quittai l'Irlande et j'arrivai parmi vous, afin de m'acquitter de ma dette en vous convertissant. Maintenant donc, continua Ecgbert, répondez vous-mêmes à la voix du ciel et soumettez-vous à Rome. »

Un navire jeté sur le sable par une tempête était un accident fréquent dans ces parages, et le rêve d'un moine préoccupé du dessein de son frère n'avait rien que de très naturel. Mais alors tout parais sait miracle- Des fantômes et des apparitions avaient plus de poids dans ces siècles de ténèbres que la Parole de Dieu. Au lieu de reconnaître la vanité de ces visions par la fausseté de la religion qu'on leur apportait, les anciens d’Iona se mirent à écouter les discours d'Ecgbert.

La foi primitive plantée sur le rocher d’Iona était alors comme un pin violemment agité par l'orage; il ne fallait plus qu'un coup de vent pour le déraciner et le jeter à la mer. Ecgbert voyant les anciens ébranlés redouble ses prières, il a même recours aux menaces : “ H Tout l'Occident, leur dit-il, fléchit le genou devant Rome : seuls contre tous, que pouvez-vous faire?... » Les Ecossais résistent encore : lutte obscure, inconnue, par laquelle les derniers chrétiens bretons combattent pour la liberté expirante !

Enfin, étourdis, ils chancellent et tombent. On apporte des ciseaux ; on les tond de la tonsure latine [37], et ils sont au pape. Ainsi faillit l'Ecosse. Toutefois il y resta un résidu de grâce, et les montagnes de la Calédonie recélèrent longtemps un feu caché, qui devait, après des siècles, éclater avec une grande puissance. Il y avait çà et là des esprits indépendants qui rendaient témoignage contre la tyrannie de Rome. Du temps de Bède on les voyait “ H clochant dans leurs sentiers, » dit l'historien romain, refuser de se joindre aux fêtes des adhérents du pontife, et repousser la main qui voulait tonsurer leur tête. [38]Mais les chefs de l'État et de l'Église avaient posé les armes; le combat finit après avoir duré plus d'un siècle. Le christianisme breton avait lui-même préparé sa chute en substituant souvent le rite à la foi. La superstition étrangère poussa dans ce sens et remporta la victoire, en vertu d'ordonnances royales, par des ornements d'église, des fantômes de moines et des apparitions de couvent. C'est au commencement du huitième siècle que l'Angleterre fut assujettie à Rome. Mais un travail intérieur va commencer, et il ne cessera pas jusqu'à l'heure de la Réformation.

FOOTNOTES

[1] “ H Aïdan duodecimo post occisionem regis quem amabat die, de se culo sublatus. » (Beaa, Hist. eccl., III, p. 64.)

[2] “ H Cum rex pascha dominicum solutis jejuniis faceret, tune regina cum suis persistens adhuc in jejunio diem Palmarum celebraret. » (Bcda, Hist. eccl.,111, p.

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64.) * “ H Acris erat ingenii... gratia \enusti vultus, alacritate actionis... » (/Wr/.,V, p. 135.)

[3] “ H Apertum veritatis adversarium reddidit, » dit le romaniste Bèda. [Hist. ecci.,V, p. 135.)

[4] On appelle d'ordinaire cette conférence Synodus Pharensis. “ H Hodie Whitbie dicitur (White bay) et est villa in Eboracensi littore satis nota. » (Wilkins, Concil., p. 37.)

[5] “ H Presbyteri Cedda et Addà et Berti et Diuna, quorum ultimus natione Scotus, caeteri fuere Angli. » (Beda, Hist. eccl., III, cap. ni.)

[6] “ H Quiaccepto gradu. episcopatus et majori auctoritate cceptum opus - explens, fecit per loca ecclesias, presbyteros et diaconos ordinavit. » (Ibid., cap. xiii.)

[7] “ H Ipsum est quod beatus evangelista Johannes, discipulus speciali ter Domino dilectus. » (Beda, Hist. eccl., III, eap. xm.)

[8] “ H Pictos dico ac Britannos, cum quibus de duabus ultimis Oceani insulis, contra totum orbem stulto labore pugnaat. » (Ibid.)

[9] Jean XX, 23. Matth. XVIII, 18.

[10] “ H Ne forte me adveniente ad forts regni cœlorum, non sit qui re sei-at. » (Beda, Hist. eccl., M, cap. ixv.)

[11] Év. de saint Jean, X, 9. Révélation de saint Jean, III, 7.

[12] Horœ britannkœ, II, p. 277.

[13] “ H Per plura catholicae observation! moderamina ecclesias Anglo rum sua doctrina contulit. » (Beda, Hist. eccl., III, cap. xxvm.)

[14] “ H Omnes subjectos suos meditatur die ac nocte ad fidcm catholi cam et apostolicam, pro sua; animge redemptione converti. » (Beda, Hist. eccl., \\\, cap. xxis.)

“ H Quis enim audiens hœc suavia non lœtatur? » (Ibid.)

[15] “ H Conjugi, nostrae spirituali fili8e,crucem... » (Ibid.)

[16] “ H Minime voluimus nunc reperire, pro longinquitate itineris. » (Beda, Hist. eccl., III, cap. xxix.)

[17] “ H Ut diligenter attenderet, ne quid ille contrarium veritati, fidei Grœcorum more, in Ecclesiam cui praeesset, introduceret. » (Ibid.,W, cap. i.)

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[18] “ H Peragrata insula tota, rectum vivendi ordinem disseminabat. » (Ibid., cap. ii.)

[19] H Cum Ceadda Episcopum argueret non fuisse rite consecratum ipse (Theodorus) ordinationem ejus denuo catholica ratione consumma -vit. » (Beda, Hist. eccl., IV, cap. h.)

[20] “ H Ut si ab inflrmitate salvaretur, etiam Romam venire, ibique ad loca sancta vitam finire. » (Beda, Hist. eccl., \V, cap. u.)

[21] “ H Quibus statim protuli eumdem Librum Canonum. » (Ibid., cap. v.)

[22] “ H Vi tempestatis in occidentalia Britanniae littora delatus est. » (Beda, Hist. eccl., V, cap. xvi.)

[23] “ H Lapis qui ad ostium monumenti positus erat, fissus est. » (Ibid., cap. xvii.)

[24] “ H Porrexit autem librum tune Adamnanus Alfrido regi. » (Beda, Hist. ecct., V, cap. m.)

[25] “ H Ne contra universalem Ecclesiae morem, cura suis paucissimis et in extremo mundi angulo positis, vivere praesumeret. » (Ibid.)

[26] “ H Curavit suos ad eum veritatis calcera producere, nec voluit. » (Ibid.)

[27] “ H Nec tamen perfîcere quod conabatur posset. » (Ibid.)

[28] “ H Architectes sibi mitti petiit qui juxta morem Romanorum eccle «am facerent. » (Beda, Hist. eccl., V,cap. xxii.)

[29] “ H Et hanc accipere tonsuram, omnes qui in meo regno sunt clericos decerno. » (Ibid.) '

[30] “ H Nec mora, qua? dixerat regia auctoritate perfecit. » [îbiâ.)

[31] “ H Per universas Pictorum provincias.. . tondebantur omnes in coro nam ministri altaris ac monachi. » (Beda, Hist. eccl., V, cap. m)

[32] “ H Sedulis exhortationibus inveteratam illam traditionem parentum eorum. » (Beda, Hist. eccl., V, cap. xxm.)

[33] “ H Pietate largiendi de bis quœ a divitibus acceperat, multum pro fait. » (Ibid., cap. xxvii.)

[34] “ H Cum se existimaret esse moriturum, egressus est tempore matu tino de cubiculo, et residens solus... » (Ibid., lit, cap. xxvn.)”

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[35] H Precabatur ne adhuc mori deberet priusquam vel praeteritas ne gligentias, perfectim ex tempore castigaret, vel in bonis se operibus abundantius exerceret. » (Ibid.)

[36] “ H Quia aratra eorum non recte incedunt; oportet autem eum ad rectum haec tramitem revocare. » (Beda, Hist. eccl., III, cap. xxvii.)

[37] “ H Ad ritum tonsurae canonicum sah figura corome perpetua;. (Beda, Hùt. eccl., \, cap. mu.)

[38] “ H Sicuti e contra Britones, inveterati et claudicantes a semitis suis, et capita ferre sine corona praetendunt. » (Beda, Hist. eccl., V, cap. xxiii. )

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CHAPITRE IV

Le protestant écossais Clément. Sa lutte avec Boniface. Concile de Soissons. Le protestantisme vaincu. Autres Bretons sur le continent. Scot Érigène. Rationalisme panthéiste. Le roi Alfred et la Bible. Ténèbres et romanisme dans la Grande-Bretagne. Guillaume le Conquérant. Il se soumet les évêques.

Il maintient sa suprématie vis-à-vis du pape. Excès de la césaro-papie sous Guillaume le Roux

Les chrétiens pieux d'entre les Scots (ce mot, on le sait, désigne également les habitants de l'Irlande et de l'Écosse), ceux qui subordonnaient l'autorité de l'homme à celle de Dieu, étaient remplis de douleur en contemplant toutes ces chutes, et ce fut sans doute ce qui en engagea quelques-uns à quitter leur patrie, et à combattre au centre même de l'Europe, pour cette liberté chrétienne qui venait d'expirer chez eux. Au commencement du huitième siècle, une grande pensée s'empara d'un docteur pieux de l'Irlande, nommé Clément [1] : C'est l'œuvre de Dieu qui est l'essentiel dans le christianisme, pensait-il, et cette œuvre, il faut la défendre contre tous les envahissements de l'homme. Clément opposait donc au traditionalisme humain, l'unique autorité de la Parole de Dieu; au matérialisme ecclésiastique, une Église qui est l'assemblée des saints; et au pélagianisme, la souveraineté de la grâce. D'un caractère décidé et d'une foi inébranlable, il était sans fanatisme ; son cœur s'était ouvert aux émotions les plus saintes de l'humanité, et il était devenu époux et père. Il quitta l'Irlande, se rendit dans les contrées des Francs, et y répandit sa foi.

Malheureusement un homme doué, comme lui, d'une immense énergie, Winfried ou Boniface, venu de Wessex, établissait alors dans ces contrées le christianisme pontifical. Ce grand missionnaire, essentiellement organisateur, cherchait avant tout une unité extérieure, et quand il avait prêté serment de fidélité à Grégoire II, il avait reçu de ce pape la collection des lois romaines. Dès lors, disciple docile, ou plutôt champion fanatique de Rome, Boni face, s'appuyant d'une main sur le pontife et de l'autre sur Charles Martel, avait prêché aux peuples de la Germanie, avec quelques doctrines chrétiennes, la dîme et la papauté. Cet Anglais et cet Irlandais, représentants de deux grands systèmes, allaient livrer, au centre de l'Europe, un combat dont les suites pouvaient être incalculables.

Effrayé des progrès que faisaient les doctrines évangéliques de Clément, Boniface, archevêque des Églises germaniques, entreprit de les combattre. D'abord il oppose au pieux Scot les lois de l'Église romaine ; mais celui-ci nie l'autorité de ces canons ecclésiastiques et réfute leur contenu [2]. Boniface met alors en avant les décisions de divers conciles ; mais l'Irlandais répond que si les décisions des conciles sont contraires à la sainte Écriture, elles sont nulles pour les chrétiens*.[3]

L'archevêque, étonné de tant d'audace, a recours aux écrits des Pères les plus

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illustres de l'Église latine ; il cite saint Jérôme, saint Augustin, saint Grégoire ; mais le Scot lui dit qu'au lieu de se soumettre à la parole des hommes, il veut obéir à la Parole de Dieu seul \ Boniface indigné, met alors en avant l'Église catholique, qui, par ses prêtres et ses évêques, tous unis au pape, forme une invincible unité ; mais, ô surprise ! L’Irlandais prétend que c'est seulement là où l'Esprit-Saint habite, que se trouve l'Épouse de Jésus-Christ.

En vain l'archevêque fait-il éclater son horreur ; Clément ne se laisse détourner de sa grande pensée, ni par les clameurs des sectateurs de Rome, ni par des attaques peut-être imprudentes que d'autres ministres chrétiens livrent autour de lui à la papauté. En effet, il n'était pas seul à la combattre. Un évêque gaulois nommé Adelbert, avec lequel Boni face affectait d'associer Clément, voyant l'archevêque présenter avec complaisance au peuple des reliques de saint Pierre qu'il avait apportées de Rome, et voulant faire toucher au doigt le ridicule de ces pratiques romaines, s'était mis à distribuer aux gens qui l'entouraient ses propres cheveux et ses ongles, les invitant à leur rendre le même honneur que Boniface réclamait en faveur des reliques de la papauté. Clément souriait, comme d'autres, de la singulière argumentation d'Adelbert; mais ce n'était pas avec de telles armes qu'il combattait. Doué d'un discernement profond, il avait reconnu que l'autorité de l'homme, mise à la place de l'autorité de Dieu, était le principe de toutes les erreurs du romanisme. Ce n'est pas tout; il soutenait sur la prédestination des doctrines horribles, » dit l'archevêque, “ H et contraires à la foi catholique. [4] »

Le caractère de Clément nous porte à croire qu'il était favorable à la prédestination. Un siècle plus tard, le pieux Gottschalk fut aussi persécuté par un successeur de Boniface, pour avoir maintenu cette doctrine d'Augustin. Ainsi donc ce pieux Scot, représentant de la foi antique de sa patrie, s'opposait presque seul, au centre de l'Europe, à l'invasion des Romains. Bientôt il ne fut plus seul; les grands surtouts, plus éclairés que le peuple, se groupèrent autour de lui ; si Clément avait réussi, on eût vu se former une Église chrétienne indépendante de la papauté.

Boniface fut troublé. Il voulait faire dans l'Europe centrale ce que son compatriote Wilfrid avait fait en Angleterre; et au moment où il croyait voler de triomphe en triomphe, la victoire échappait à ses mains. Il se retourna contre ce nouvel ennemi, et s'adressant aux fils de Charles Martel, Pepin et Carloman, obtint d'eux la convocation d'un concile, devant lequel il somma Clément de comparaître. Des évêques, des comtes et d'autres grands s'étant réunis à Soissons, le 2 mars 744, Boniface accusa l'Irlandais de mépriser les lois de Rome, les conciles et les Pères, et l'attaqua sur son mariage, qu'il appelait une union adultère, et sur quelque point secondaire de doctrine. Clément fut donc excommunié par Boniface, à la fois sa partie, son accusateur et son juge, et jeté en prison avec l'approbation du pape et du prince des Francs On prit de tous côtés le parti du pieux Scot; on accusa le primat germanique, on maudit son esprit persécuteur; on combattit ses efforts pour le

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triomphe de la papauté [5]. Carloman céda à ce mouvement unanime. La prison de Clément s'ouvrit, et à peine en avait-il franchi le seuil qu'il recommença à pro tester hautement contre l'autorité humaine en matière de foi : la Parole de Dieu seulement !

Alors Boniface demanda à Rome même la condamnation de l'hérétique, et accompagna sa requête d'une coupe d'argent et d’une fin tissue de lin [6]. Le pape décida, dans un synode, que si Clément ne faisait pénitence, il serait livré à la condamnation éternelle; puis il invita Boniface à le lui envoyer sous bonne garde. Nous perdons ici les traces de l'Irlandais, mais il n'est que trop facile de deviner son sort.

Clément ne fut pas le seul Breton qui se distingua dans cette lutte. Samson et Virgil, ses compatriotes, prêchant dans l'Europe centrale, furent comme lui poursuivis par l'Église de Rome. Virgil, précédant Galilée, osa soutenir qu'audessous de la terre se trouvaient d'autres hommes et un autre monde [7]. Dénoncé par Boniface pour cette hérésie, il fut condamné par le pape. D'autres Bretons l'étaient pour la simplicité apostolique de leur vie. En 81 3, de pieux Scots qui se disaient évêques, dit un ca non, s'étant présentés devant un concile de l'Église romaine, à Châlons, furent repoussés par les prélats français, parce que, comme saint Paul, ils travail laient de leurs mains. Ces hommes éclairés et fidèles étaient au-dessus de leur temps; Boniface et son matérialisme ecclésiastique convenaient mieux à un siècle qui ne voyait la religion que dans les formes cléricales.

Les îles Britanniques, sans avoir des lumières aussi éclatantes, n'étaient pas dépourvues de toute clarté. Les Anglo-Saxons imprimèrent à leur Église quelques traits qui la distinguèrent de celle de Rome; plusieurs livres de la Bible furent traduits dans leur idiome, et des esprits audacieux d'un côté, des âmes pieuses de l'autre, travaillèrent dans un sens contraire à la papauté.

On vit d'abord paraître ce rationalisme philosophique, qui jette un certain éclat, mais qui ne peut vaincre l'erreur, encore moins établir la vérité. Il y avait en Irlande, au neuvième siècle, un savant qui vécut plus tard à la cour de Charles le Chauve, d'un esprit profond, étrange, mystérieux, et que la hardiesse de sa pensée éleva au-dessus des docteurs de son siècle, autant que la force de volonté élevait Charlemagne au-dessus des princes de son temps. Scot Érigène, c'est-à-dire natif d'Érin, et non d'Ayr, comme on l'a cru, fut un météore dans le ciel de la théologie. A un grand génie philosophique il joignait un esprit plein de saillies. Un jour qu'il était à table en face de Charles le Chauve : “ H Quelle distance y a-t-il, lui dit malicieusement le roi, entre un Scot et un So? La largeur de la table, répliqua aussitôt Scot. » Le roi sourit. Tandis que la doctrine des Bède, des Boniface et môme des Alcuin était traditionnelle, servile, romaine en un mot, celle de Scot était mystique, philosophique, libre, audacieuse.

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Ce fut en lui-même et non dans la Parole ou dans l'Église qu'il chercha la vérité. “ H La connaissance de nous-mêmes, disait-il, est la vraie source de la science religieuse. Toute créature est une théophanie, une manifestation de Dieu. Puisque la révélation suppose la préexistence de la vérité, c'est avec cette vérité même, qui est au-dessus de la révélation, qu'il faut se mettre immédiatement en rapport, quitte à en montrer ensuite l'harmonie avec les Écritures et les autres théophanies. Il faut employer d'abord la raison et ensuite l'autorité. L'autorité procède de la raison, la raison ne procède pas de l'autorité [8]. » Cet esprit hardi pouvait pourtant avoir, quand il était à genoux, des as pirations pleines de piété : “ H O Seigneur Jésus, s'é criait-il, je ne demande de toi d'autre bonheur que a de comprendre, sans mélange de théories trompeuses, les paroles que tu as inspirées par ton SaintEsprit! Montre-toi toi-même à ceux qui ne demandent que toi! » Mais tandis que Scot repoussait quelques erreurs traditionnelles, et en particulier la doctrine de la transsubstantiation qui al lait envahir l'Église, il fut près de tomber, quant à Dieu et au monde, dans les erreurs du panthéisme.

Le rationalisme philosophique du contemporain de Charles le Chauve, produit étrange de l'une des époques les plus obscures de l'histoire (850), devait après bien des siècles être enseigné de nouveau à la Grande-Bretagne comme l'invention moderne de l'âge le plus éclairé.

Tandis que Scot s'agitait dans la sphère de la philosophie, d'autres se tournaient vers la Bible; et si de profondes ténèbres n'étaient pas venues éteindre ces premières clartés, peut-être que l'Église de la Grande-Bretagne eût dès lors travaillé à la régénération de la chrétienté. Un jeune prince, avide de jouissances intellectuelles, du bonheur domestique, de la Parole de Dieu, et qui cherchait la délivrance du péché par de fréquentes prières, Alfred, était monté, en 871, sur le trône de Wessex. Convaincu que le christianisme seul pouvait développer un peuple, il rassembla autour de lui des savants de l'Angleterre, de l'Irlande, de l'Ecosse, du pays de Galles, de la France et de l'Allemagne, et voulut que, comme les Hébreux, les Grecs et les Latins, les Anglais possédassent la sainte Écriture dans leur propre langue.

Alfred le Grand est le vrai patron de l'œuvre biblique, et c'est un plus grand titre de gloire que d'être le fondateur de l'université d'Oxford. Ce prince, qui avait livré, sur terre et sur mer, plus de cinquante batailles, mourut en traduisant pour son peuple les Psaumes de David [9], Après cette lumière, les ténèbres s'étendirent de nouveau sur la Grande-Bretagne. Neuf rois anglo-saxons finirent leurs jours dans des couvents ; Rome eut un séminaire dont les élèves apportaient chaque année aux peuples d'Angleterre les formes nouvelles de la papauté; le célibat des prêtres, ce ci ment de la hiérarchie romaine, fut introduit par une bulle vers la fin du dixième siècle ; les couvents se multiplièrent, des biens considérables furent donnés à

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l'Église, et le denier de saint Pierre, déposé aux pieds des pontifes, annonça le triomphe du système papal.

Mais la réaction ne se fit pas longtemps attendre ; l'Angleterre recueillit ses forces pour faire à la papauté une guerre qui fut tantôt séculière et tantôt spirituelle.

Guillaume de Normandie, Edouard III, Wiclef et la Réformation, sont les degrés toujours ascendants du protestantisme en Angleterre. Un prince, fils d'une blanchisseuse de Falaise et de Robert le Diable, duc de Normandie, fier, entreprenant et d'une grande pénétration, devait commencer avec la papauté une lutte qui se prolonge rait jusqu'à la Réformation. Ce prince, Guillaume le Conquérant, ayant vaincu les Saxons à Hastings en 1066, prit possession de l'Angleterre, accompagné de la bénédiction du pontife romain. Mais le pays conquis devait lui-même conquérir son maître. Guillaume, qui s'était présenté à l'Angleterre au nom du pontife, n'eut pas plus tôt touché le sol de la Grande-Bretagne qu'il apprit à résister à Rome, comme si l'antique liberté de l'Église bretonne ressuscitait en lui. Décidé à ne pas permettre que prince ou prélat étranger eût dans son royaume une juridiction indépendante de la sienne, le bâtard entreprit une conquête plus difficile encore que celle du royaume des Anglo-Saxons.

La papauté elle-même lui fournit des armes. Les légats romains en gageaient le roi à destituer en masse l'épiscopat anglais ; c'était précisément son désir. Pour résister aux papes, Guillaume voulait s'assurer la soumission des prêtres de l'Angleterre. L'archevêque de Can torbéry, Stigand, fut écarté; et Lanfranc de Pavie, appelé de Bec en Normandie pour occuper sa place, fut chargé par le Conquérant, de plier le clergé à son obéissance. Ce prélat, réglé dans sa vie, abondant en aumônes, savant disputeur, politique prudent, moyenner habile, placé entre son maître le roi Guillaume et son ami le pontife Hildebrand, donna la préférence au prince. Il refusa de se rendre à Rome, malgré les menaces du pape qui l'y appelait, et se mit résolument à l'œuvre que le roi lui avait confiée. Les Saxons résistèrent quelquefois aux Normands, comme les Bretons avaient résisté aux Saxons; mais la seconde lutte fut moins glorieuse que la première. Un synode, auquel le roi devait assister, ayant été convoqué dans l'abbaye de Westminster, Guillaume ordonna à Wulston, évêque de Worcester, de lui remettre sa crosse. Le vieillard se leva, animé d'une sainte ferveur : “ H O roi, dit-il, c'est d'un meilleur que vous que je l'ai reçue, et c'est à lui que je veux la rendre [10]. » Malheureusement ce meilleur n'était pas JésusChrist. S'approchant de la tombe du roi Edouard le Confesseur : “ H Maître,, dit l'évêque, c'est toi qui m'as obligé à prendre cet office ; mais voici un nouveau roi et un nouveau primat, qui promulguent des lois nouvelles, Ce n'est pas à eux, ô maître, c'est à toi que je a remets ma crosse et le soin de mon troupeau. »

A ces mots, Wulston déposa son bâton sur la tombe d'Edouard. Ce fut sur le sépulcre du Confesseur que la liberté de la hiérarchie anglo-saxonne succomba. Les évêques saxons dégradés furent conduits dans une forteresse ou enfermés dans un

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couvent. Le Conquérant s’était ainsi assuré l'obéissance des évêques, établit vis-àvis du pape la suprématie de son épée. Il nommait lui-même à toutes les places ecclésiastiques, remplissait le trésor public des richesses des temples, exigeait que les prêtres lui prêtassent serment, leur défendait d'excommunier ses officiers sans son approbation, même pour inceste, et voulait que les décisions synodales fussent munies de son visa royal. “ H Je prétends, disait-il un jour à l'archevêque, en levant le bras droit vers le ciel, c je prétends tenir dans cette main tous les bâtons pastoraux du royaume [11]. » Lanfranc s'étonna fort de cette audacieuse parole; mais par prudence il se tut [12], au moins pour un temps. L'épiscopat connivait aux prétentions de la royauté.

Hildebrand, le plus inflexible des papes, fléchi rait-il devant Guillaume? Le roi voulait asservir l'Église à l'État; le pape asservir l'État à l'Église; le choc de ces deux robustes lutteurs promettait d'être terrible. Mais on vit le plus superbe des pontifes plier, du moment qu'il rencontra la main bardée de fer du Conquérant, et reculer devant elle sans s'arrêter nulle part. Le pape remplissait de troubles toute la chrétienté pour enlever aux princes l'investiture des dignités ecclésiastiques ; Guillaume ne lui permit pas d'y toucher en Angleterre, et Hildebrand se soumit. Le roi fit alors un pas de plus.

Le pape, voulant s'asservir le clergé, enlevait par tout aux prêtres leurs femmes légitimes ; Guillaume fit décréter par un concile de Winchester, en 1076, que les prêtres des châteaux et des bourgs qui avaient une femme ne seraient point obligés de la renvoyer [13]. C'était trop; Hildebrand cita Lanfranc à Rome ; mais Guillaume lui défendit de s'y rendre. «Jamais roi, même païen, s'écria Grégoire, n'a osé tenter contre le saint -siège ce que celui-ci ne craint pas d'accomplir [14]!... «Pour se consoler, il de manda au roi le denier de saint Pierre et le serment de fidélité; Guillaume accorda l'argent et refusa l'hommage; et Hildebrand, voyant rangés sur sa table les deniers que le roi lui avait fièrement jetés, s'écria : “ H Quel cas puis-je faire de cet argent, si on «me le donne sans l'honneur*! [15] » Guillaume dé fendit à son clergé de reconnaître un pape ou de publier une bulle sans sa royale approbation, ce qui n'empêcha pas Hildebrand de lui écrire qu'il était la perle des princes. [16] » “ H Il est vrai, disait-il à son légat, que le roi des Anglais ne se comporte pas en certaines choses aussi religieusement que nous le désirerions... Cependant gardez-vous de l'exaspérer... Nous le gagnerons à Dieu et à saint Pierre, par la douceur et la raison, mieux que par la justice et la rigueur [17]. » Ainsi le pape faisait comme l'archevêque : suit, il se tut. C'est pour les gouvernements faibles que Rome réserve son énergie.

Les rois normands, voulant affermir leur œuvre, construisirent des cathédrales gothiques à la place des églises de bois, et y installèrent leurs évêques chevaliers, comme dans des châteaux forts. Au lieu de la puissance morale et de la modeste houlette des pasteurs, ils leur donnèrent une puissance séculière et une crosse. A

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l'épiscopat religieux succédait l'épiscopat politique. Guillaume le Roux alla même plus loin que son père ; profitant du schisme qui di visait la papauté, il se passa de pape pendant dix ans, laissa les abbayes, les évêchés, Cantorbéry même, sans titulaires, et dépensa honteusement les revenus de ces bénéfices. La césaropapie (qui fait du roi un pape), étant ainsi parvenue à ses derniers excès, la réaction sacerdotale ne pouvait tarder.

La papauté va se relever en Angleterre, et la royauté s'avilir; ces deux mouvements vont toujours ensemble dans la Grande-Bretagne.

FOOTNOTES

[1] “ H Alter qui dicitur Clemens,g:t-nere Scotus est. » (Bonifacii epistola ad papam, Labbei Concilia ad annum 745.)

[2] “ H Canones Ecclesiarum Christi abnegat et refutat. » (Bonifacii epis tola ad papam, Labbei Concilia ad annum 745.) * “ H Synodalia jura spernens. » (Ibid.)

[3] “ H Tractatus et sermones sanctorum patrum,Hieronymi, Augustin^ Gregorii recusat. » (Ibid.) , * “ H Clemens contra catholicam contendit ecclesiam. » (Ibid.)

[4] “ H Multa alia horribilia de praedestinatione Dei, contraria fidei ca tholicae affirmat. » (Bonifacii epistola ad papam, Labbei Concilia ad annum 745.}

[5] “ H Sacerdotio privans, reduci facit in custodiam. » (Concilium ro raanum, Labbei Concilia ad annum 745.) “ H Poculum argenteum et sindonem unam. » (Gemuli Ep., ibid.)

[6] “ H Propter istas enim persecutiones et inimicitias et maledictiones multorum popujorum patior. » (Bonif. Ep., ibid.)

[7] “ H Perversadoctrina...quodalius mundus et alii homines sub terni sint. » (Zachariae papae Ep. ad Bonif. Labbei Concilia, VI, p. 152.)

[8] “ H Prius ratione utentlum ac deinde auctoritate. Auctoritas ex vera

[9] Une partie de la Loi de Dieu traduite par Alfred, se trouve dans Wilkins, Concilia, \, p. 186 et suiv.

[10] “ H Divino animi ardore repente inflammatus ^ regi inquit : Melior te his me ornavit cni et reddam. » (Wilkins, Concilia, I, p. 367.)

[11] “ H Respondit rex et dixit se velle omnes baculos pastorales Angliae in manu sua tenere. » [Script. Anglic, Lond. 1652, fol. p. 1327.)

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[12] “ H Lanfranc ad hcEcmiratus est, sedpropter majores EcclesiœChristi utilitates, quas sine Rege perficere non potuit, ad tempus siluit. » [lbid.)

[13] “ H Sacerdotes vero in castellis Tel in vicis habitantes habentes uxo res, non ccgantur ut dimiltant. » (Wilkins, Concilia, ï, p. 367.)

[14] “ H Nemo enim omnium regum, etiam paganorum... » [Greg., lib. VII, ep. I, ad Hubert.)

[15] “ H Pecunias sine honore tributas, quanti pretii habeam. » (Ibid., ep. \, ad Hubert.)

[16] “ H Gemma principum esse meruisti. » (Ibid., ep. XXIII, ad Guil.)

[17] “ H Facilius lenitatis dulcedine ac rationis ostensione, quam austeri tate vel rigore justiliae. » (Ibid., ep. V, ad Hugonem.)

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CHAPITRE V

Époque du triomphe de la papauté en Angleterre. Anselme. Thomas Becket. Humiliation d’Henri II. Le pape nomme un archevêque de Cantorbéry. Colère de Jean sans Terre. Le roi vassal du pape. Protestantisme national de la Magna Charta. Menaces de Rome. Moqueries des prêtres. Résistance des barons. Le roi, vassal du pape, pille l'Angleterre. Culte et doctrines de la papauté établis

Nous entrons dans une phase nouvelle. L'Église romaine triomphera par les efforts d'hommes savants, de prélats énergiques et de princes qui, à l'extrême de l'imprudence joindront l'extrême de la servilité. Ceci est l'époque du règne de la papauté, et elle y déploiera sans crainte le despotisme qui la caractérise.

Une maladie ayant fait naître chez le roi quelques remords, il consentit à faire cesser la vacance du siège archiépiscopal. C'est alors que paraît Anselme. Né dans une vallée qu'entourent les Alpes, dans la cité d'Aoste, en Piémont; nourri des enseignements d'une mère pieuse (Ermenberga), croyant que le trône de Dieu était placé sur les gigantesques montagnes au pied desquelles il habitait, Anselme, enfant, les escaladait en rêve et recevait des mains du Seigneur le pain du ciel. Malheureusement il reconnut plus tard un autre trône dans l'Église de Christ, et baissa la tête devant le siège de saint Pierre. Ce fut lui que le roi appela, en 1093, à Cantorbéry. Anselme, âgé alors de soixante ans, et qui enseignait à Bec, refusa d'abord ; le Roux l'épouvantait. «L'Église d'Angleterre, disait-il, est une charrue qui doit être tirée par deux bœufs d'égale force. Comment attellerait-on au même joug, moi vieille et faible brebis, et ce sauvage taureau? »

Il accepte enfin, et cet homme qui, sous l'humilité du dehors, cachait un esprit d'une grande puissance, est à peine arrivé en Angleterre, qu'il reconnaît le pape Urbain II, réclame les terres archiépiscopales accaparées par le fisc, refuse de payer au roi les sommes que ce prince exige, conteste à Henri Ier l'investiture, défend aux ecclésiastiques de prêter le serment féodal, et veut que tous les prêtres se séparent immédiatement de leurs femmes.

La scolastique, dont Anselme fut le premier représentant, affranchissait l'Église du joug de la royauté, mais pour l'enchaîner au trône du pape. La chaîne allait être resserrée par une main plus énergique encore ; et ce qu'un grand théologien avait commencé, un grand mondain allait le poursuivre. On distinguait dans les parties de chasse du roi Henri II un homme dont l'air franc, les manières agréables, les plaisanteries spirituelles et la bouillante ardeur, avaient captivé ce prince. Fils d'un Anglo-Saxon et d'une Syrienne, il se nommait Thomas Becket, et, à la fois prêtre et capitaine, il recevait en même temps de son maître la prébende de Hastings et le commandement de la Tour. De venu lord-chancelier d'Angleterre, il s'était montré

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habile comme Wilfrid à exploiter les biens des mineurs, des abbayes, des évêchés, et avait déployé un luxe effréné. Henri II, le premier des Plantage nets, caractère sans équilibre, ayant vu le zèle de Becket à soutenir les prérogatives de la couronne, le nomma archevêque de Cantorbéry. “ H Maintenant, Sire, lui dit Thomas en souriant, quand je de vrai choisir entre votre faveur et la faveur de Dieu, sachez-le, c'est la vôtre que je sacrifierai. »

En effet, Becket, qui avait été, comme chancelier, le plus magnifique des grands, ambitionna d'être, comme archevêque, le plus vénérable des saints. Il renvoie les sceaux au roi, prend l'habit d'un moine, porte une haire remplie de vermine, se nourrit d'aliments grossiers, se met chaque jour à genoux pour laver les pieds des pauvres, parcourt, en versant des larmes, le cloître de sa cathédrale, et reste en prières prosterné devant l'autel. Champion des prêtres, même dans leurs crimes, il prend sous sa protection l'un d'eux qui, après séduction, a tué le père de sa victime.

Les juges ayant représenté à Henri que, dans les huit premières années de son règne, cent meurtres avaient été commis par des ecclésiastiques, le roi fit passer, en H 64, dans un parlement, les Articles de Clarendon, destinés à prévenir les envahissements de la hiérarchie. Becket refusa d'abord de les recevoir, puis les signa; mais aussitôt il voulut se retirer dans la solitude pour y pleurer sa faute.

Le pape le releva de son serment, et alors commença une lutte terrible entre le roi et le primat. Quatre chevaliers, ayant entendu les cris de douleur du prince, assassinent lâchement l'archevêque sur les marches du grand autel. On regarde Becket comme un saint; des foules immenses viennent prier sur le lieu de sa sépulture, et des miracles s'y opèrent. [1] Becket, dit-on, du fond de sa tombe, rend témoignage à la papauté. »

Henri effrayé passe d'un extrême à l'autre. Il entre pieds nus dans Cantorbéry, et se prosterne sur le tombeau du martyr ; les évêques, les prêtres et les moines, au nombre de quatre-vingts, passent devant lui munis d'une corde, et frappent de cinq ou de trois coups, suivant leur dignité, les épaules nues du roi d'Angleterre. Autrefois, selon une fable cléricale, saint Pierre avait donné le fouet à un archevêque de Cantorbéry; maintenant, Rome fait réellement frapper de verges la royauté, et dès lors rien ne peut arrêter ses triomphes. Plantagenet livre l'Angleterre au pape, et lui soumet l'Irlande et l'Ecosse*. [2]

Bome, qui avait mis le pied sur la tête d'un roi, devait, sous l'un des fils d’Henri II, le mettre sur la tête de l'Angleterre. Jean sans Terre n'ayant pas voulu reconnaître un archevêque de Cantorbéry nommé illégalement par le pape Innocent III, celui-ci, plus hardi qu'Hildebrand, frappa d'interdit le royaume. Alors, Jean ordonna que prélats et abbés quittassent l'Angleterre, et il envoya en Espagne, vers Mahomet-elHasir, un moine pour lui offrir de se faire mahométan et de se déclarer son vassal.

Mais, Philippe-Auguste s'apprêtant à le détrôner, Jean résolut de se faire le vassal

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d'Innocent, et non de Mahomet; ce qui était pour lui à peu près la même chose. Il dépose sa couronne aux pieds du légat le 15 mai 1213 ; il déclare qu'il remet au pape le royaume d'Angleterre, et lui prête serment comme à son suzerain. [3]

Une protestation nationale réclama alors courageusement les anciennes libertés du peuple. Quarante-cinq barons armés de pied en cap, montés sur de nobles coursiers, entourés de leurs chevaliers et de leurs serviteurs, et d'environ deux mille soldats, se réunirent, l'an 1215, pendant la fête de Pâques, à Brackley, et envoyèrent une députation à Oxford, où était le roi. “ H Voici, dirent-ils, la charte qui con sacre les libertés confirmées par Henri Ier, et que vous avez vous-même solennellement jurées. Et pourquoi, s'écria le roi hors de lui, ne me a demandez-vous pas mon royaume ? » Puis, jurant avec fureur* [4]: “ H Jamais, dit-il, je n'accorderai des libertés qui feraient de moi un esclave ! » C'est le propos ordinaire des rois faibles et absolus. Mais la nation aussi ne voulait pas que l'on fit d'elle un esclave. Les barons prirent possession de Londres, et, le 15 juin 1215, le roi accorda à Runnymead la célèbre Magna Charta [5]. Le protestantisme politique du treizième siècle eût peu fait cependant pour la grandeur de la nation sans le protestantisme religieux du seizième.

C'était la première fois que la papauté rencontrait sur sa route les libertés modernes. Elle frémit, et le choc fut violent. Innocent jura (selon sa coutume), puis il déclara la grande charte nulle et non avenue, défendit au roi, sous peine d'anathème, de respecter les libertés qu'il avait confirmées*[6], attribua la conduite des barons à l'instigation de Satan, et leur ordonna de faire des excuses au roi, et d'envoyer des députés à Rome pour apprendre de la bouche du pape quel devait être le gouvernement de l'Angleterre. C'est ainsi que la papauté accueil lit la première manifestation de la liberté parmi les peuples, et qu'elle fit connaître le système modèle selon lequel elle prétendait régir l'univers.

Les prêtres de l'Angleterre appuyèrent les anathèmes prononcés par leur chef. Ils lançaient à Jean mille quolibets sur la charte qu'il avait acceptée. Voilà le vingtcinquième roi d'Angleterre, disaient-ils, non pas un roi, pas même un roitelet, mais l'opprobre des rois... un roi sans royaume... la cinquième roue d'un char . . . le dernier des rois et la honte des peuples!... Je n'en donnerais pas un zeste... Fuisti rex, nunc fex (autrefois roi, et maintenant lie). » Jean sans Terre, ne pouvant supporter sa honte, poussait des soupirs, grinçait les dents, roulait les yeux, arrachait, en se pro menant, des bâtons et des pieux, les rongeait comme un furieux, et puis les brisait. [7]

Les barons, insensibles aux insolences du pape et au désespoir du roi, répondirent qu'ils maintiendraient la charte. Innocent les excommunia. “ H Est-ce au pape, dirent-ils, qu'il appartient de régler les choses temporelles ? De quel droit d'ignobles simoniaques, domineraient- ils notre pays et excommunieraient-ils l'univers ? » Le

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pape triompha bientôt dans toute l'Angleterre. Jean, son vassal, ayant fait venir du continent des bandes d'aventuriers, se mit à parcourir avec eux tout le pays, de la Manche jusqu'au Forth. Ces brigands portaient partout la désolation, extorquaient des tributs, faisaient des prisonniers, brûlaient les châteaux des barons, détruisaient leurs parcs, déshonoraient leurs femmes et leurs filles* [8]. Le roi couchait le soir dans une maison, et le ma tin il y mettait le feu. Des sicaires teints de sang couraient çà et là, pendant la nuit, l'épée nue d'une main, le flambeau de l'autre, et répandaient en tous lieux l'incendie et l'assassinat*. [9] Telle était, en Angleterre, l'intronisation de la papauté. A cette vue, les barons émus maudirent le pape et le roi. “ H Hélas! s'écriaient-ils, pauvre pays ! . . . Angleterre ! Angle terre!... Et toi, pape... malédiction [10]! »

La malédiction ne se fit pas attendre. Au moment où l'on revenait d'un grand pillage, raconte Matthieu Pâris, et où les chars du roi pleins de trésors traversaient un fleuve, la terre s'entrouvrit, et l'abîme engloutit tout. [11] Cette nouvelle remplit Jean de (erreur ; il lui semblait que la terre allait l'engloutir lui-même ; il se sauva dans un couvent, y but du cidre avec excès, et y mourut d'ivresse et d'effroi.

Ainsi finit le vassal du pape, son missionnaire armé dans la Grande-Bretagne. Jamais prince aussi vil ne fut pour son peuple l'occasion involontaire d'aussi grands bienfaits. C'est de lui que datent pour l'Angleterre l'enthousiasme de la liberté et l'effroi de la papauté.

Pendant ce temps, une grande transformation s'était accomplie. Le luxe des églises, les merveilles de l'art religieux, les cérémonies, la multitude des prières et des chants, éblouissaient les yeux, charmaient les oreilles, captivaient les sens ; mais aussi témoignaient de l'absence de fortes préoccupations chrétiennes et morales, et de la prédominance de la mondanité dans l'Église. En même temps l'ado ration des images et des reliques, les cultes de la trie, de dulie, d'hyperdulie, les saints, les anges et Marie, mère de Dieu, le médiateur véritable transporté du trône de la miséricorde sur le siège des vengeances, manifestaient et maintenaient parmi le peuple cette ignorance de la vérité, et cette absence de la grâce qui caractérisent la religion des papes. Toutes ces erreurs appelaient une réaction. En effet, dès lors la marche réformatrice commence. L'Angleterre a été abaissée par la papauté ; elle va se relever en résistant à Rome. Grosse -Tête, Bradwardin, Edouard III, vont préparer Wiclef, et Wiclef préparera la Réformation.

FOOTNOTES

[1] “ H In loco passionis et ubi sepultus est, paralytici curantur, cœci vident, surdi audiunt... » (Johan. Salisb, ep. CCLXXXVI.)

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[2] “ H Significasti siquidem nobis, fili carissime, te Hiberniae insulam ad subdendum illum populum velle intrare, nos itaque gratum et ac ceptum habemus ut pro dilatandis Ecclesiae terminis insulam ingre diaris. » (Adrian. IV, Bulla 1154, in Rymer Âcta publica.)

[3] “ H Resignavitcoronamsuaminmanusdominipapae.MtMatth.Pàris, p. 193 et 207.)

[4] “ H Cum juramentofuribundus. » (Ibid., p. 213.)

[5] Elle se trouve dans Mattli. Paris, p. 215-220

[6] H Sub intimatione anathematis prohibantes, ne dictus rex eam ob servare praesumat. » [Itnd., p. 224.) *

[7] “ H Arreptos baculos et stipites more furiosi nunc corrodere, nunc corrosos confringere. » (Matth. Paris, p. 222.) »

[8] “ H Uxores et filias suas ludibrio expositas. » (Ibid., p. 231.) *

[9] “ H Discurrebant sicarii caede humana ementati. noctivagi, incendia rii, strictis ensibus. » (Ibid.)

[10] “ H Sic barones lacrymantes et lamentantes, regem et papam male dixerunt. » (Matth. Pâris, p. 234.)

[11] “ H Aperta est in mediis fluctibus terra et voraginis abyssus, qua' absorbuerunt universa cum hominibus et equis. » (Ibid., p. 242.)

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CHAPITRE VI

Commencement de la réaction protestante. Grosse-Tète. Soumission à l'Écriture, résistance au pape. Sewal. La nation anglaise grandit. Premières répressions légales. Édouard III et Bradwardin. Conversion de Bradwardin. Son influence et sa théologie. Statut de provision. Statut de prémunir. Colère des Romains. Appréciation

Sous le règne de Henri III, fils de Jean, tandis que le roi connivait encore aux usurpations* de Rome, et que le pape se moquait des plaintes des barons, un homme pieux et énergique, d'une intelligence étonnante, né dans le Lincolnshire, de parents obscurs, Robert Grosse-Tête (Great-Head ou Capito), lut dans les langues originales les saintes Écritures, et reconnut leur souveraine autorité. Nommé à l'âge de soixante ans évêque de Lincoln (1235), il entreprit courageusement de réformer ce diocèse, l'un des plus grands de l'Angleterre. Ce ne fut pas tout. Au moment même où le pontife romain, qui s'était con tenté jusqu'alors d'être vicaire de Pierre, se proclamait vicaire de Dieu [1] ; au moment où la papauté ordonnait aux évêques anglais de trouver des bénéfices pour trots cents romains'[2],

Grosse ‘-Tête s'écriait : “ H Suivre un pape rebelle à la volonté de Christ, c'est se séparer de Christ et de son corps ; et s'il vient un temps où tous suivent un pontife égaré, ce sera la grande apostasie. Les vrais chrétiens refuseront alors d'obéir, et Rome sera la cause d'un schisme inouï. [3]? Il prédisait ainsi la Réformation. Révolté de l'avarice des moines et des prêtres, Grosse-Tête se rendit à Rome pour réclamer une réforme. a Frère, lui dit Innocent IV irrité, ton œil est-il mauvais parce que je suis bon? » L'évêque anglais poussa un soupir et s'écria : O argent! Argent ! Quel n'est pas ton pouvoir, sur tout à la cour de Rome ! »

A peine une année s'était-elle écoulée, qu'Innocent commanda à l'évêque de donner un canonicat à un jeune garçon italien, son neveu. Grosse-Tête répondit : “ H Après le péché de Lucifer, il n'en est point de plus opposé à l'Évangile que celui qui perd les âmes, en leur donnant un ministère infidèle. Ce sont les mauvais pasteurs qui sont la cause de l'incrédulité, des hérésies et des désordres. Ceux qui les introduisent dans l'Église sont presque des Antéchrists, et leur culpabilité est en proportion de leur dignité. Quand le premier des anges m'ordonnerait un tel péché, je devrais m'y refuser. Mon obéissance me défend d'obéir ; c'est «pourquoi je me rebelle*. [4] »

Ainsi parlait un évêque à un pontife. Son obéissance (à la Parole de Dieu) lui défendait d'obéir (au pape). C'est le principe de la Réformation. “ H Quel est ce vieux radoteur qui, dans son délire, ose juger ma conduite ? » S’écria Innocent. Quelques cardinaux le calmèrent. Grosse-Tête, sur son lit de mort, professa plus explicitement encore les principes réformateurs; il déclara qu'une hérésie était une

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“ H opinion conçue par des motifs charnels, contraire à l'Ecriture, ouvertement enseignée et obstinément défendue. »

*L'autorité de l'Écriture était substituée à celle de l'Église. Grosse-Tête mourut en paix, et la voix publique le proclama “ H le scrutateur des Écritures, le redresseur des papes et le contempteur des romains.[5] » Le pape, voulant se venger sur ses cendres, pensait à exhumer son corps, quand une nuit, dit Matthieu Pâris, le pieux évêque lui apparut. S'approchant du lit du pontife, il le frappa de sa crosse, et lui dit d'une voix terrible et avec un regard menaçant [6] : “ H Misérable ! le Seigneur ne permet pas que tu aies sur moi quelque pouvoir. Malheur à toi! » Puis le fantôme s'éloigna. Le pape poussa un cri, comme at teint d'une lame tranchante, et resta à demi mort.

Il n'eut plus dès lors une nuit tranquille, et, pour*suivi par les fantômes de son imagination effrayée, il mourut en faisant retentir- son palais de lamentables gémissements.

Grosse-Tête ne résistait pas seul au pape ; l'archevêque d'York, Sewal, faisait de même et “ H plus le pape le maudissait, dit un historien, plus le peuple le bénissait.[7] » “ H Modérez vos tyrannies, disait l'archevêque au pontife, car le Seigneur a dit à Pierre : Pais mes brebis, et non : Tonds-les, écorche-les, éventre-les, dévore-les*. [8]» Le pape sou rit et laissa dire l'évêque, parce que le roi laissait faire le pape. La puissance de l'Angleterre, qui ne cessait de s'accroître, devait bientôt donner plus de force à ses réclamations.

En effet, la nation grandissait. La folie de Jean sans Terre, qui avait fait perdre au peuple anglais ses possessions continentales, lui avait donné plus d'unité et de puissance. Les rois normands, obligés de renoncer définitivement aux contrées qui avaient été leur berceau, s'étaient enfin décidés à regarder l'Angleterre comme leur patrie. Les deux races longtemps ennemies se fondaient l'une dans l'autre.

Des institutions libres se formaient ; on étudiait les lois, on établissait des collèges. La langue se développait, et les navires de l'Angleterre se faisaient partout redouter. Pendant près d'un siècle des victoires éclatantes signalèrent les armes britanniques. Un roi de France fut mené prisonnier à Londres ; un roi anglais fut couronné à Paris. L'Espagne et l'Italie elles-mêmes éprouvèrent la valeur de ces fiers insulaires. Le peuple anglais prit place au premier rang des nations. Or le caractère d'un peuple ne s'élève jamais à moitié. Au moment où les plus puissants de la terre tombaient devant elle, l'Angleterre ne pouvait ramper aux pieds d'un prêtre italien.

Jamais, en effet, ses lois ne frappèrent avec autant de force la papauté. Au commencement du quatorzième siècle, un Anglais ayant apporté à Londres une bulle du pape, d'Une nature purement spirituelle (c'était une excommunication), fut

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pour suivi comme traître à la couronne et allait être pendu, quand, à la requête du chancelier, la sentence fut changée en un bannissement perpétuel [9] ; la loi commune était pourtant alors la seule que le gouvernement pût opposer à une bulle des pontifes. Peu après, en 1307, Edouard Ier ordonna aux officiers des comtés de réprimer les prétentions arrogantes des procureurs de Rome. Mais ce furent sur tout deux grands personnages, également illustres, l'un dans l'État, l'autre dans l'Église, qui, au mi lieu du quatorzième siècle, développèrent en Angle terre l'élément protestant.

En 1346, une armée anglaise de trente - quatre mille hommes se trouvait à Crécy, en Picardie, en présence d'une armée française de cent mille combattants, et deux hommes de caractères bien différents étaient au milieu d'elle. L'un d'eux était Édouard III, prince ambitieux et courageux, qui, décidé à rendre à l'autorité royale toute sa force, et à l'Angleterre toute sa gloire, avait entrepris la conquête du royaume de France. Près de lui se trouvait son chapelain Bradwardin, homme d'un caractère si humble, qu'on prenait parfois sa simplicité pour de la stupidité. Aussi quand, élu archevêque de Cantorbéry, il reçut le pallium des mains du pape, un plaisant, monté sur un âne, entra dans la salle et demanda au pontife de le nommer primat à la place de ce prêtre imbécile.

Bradwardin était l'une des âmes les plus pieuses de ce siècle, et c'était à ses prières qu'on attribuait les victoires du roi ; il était aussi l'un des plus beaux génies de son temps, et occupait le premier rang parmi les astronomes, les philosophes et les mathématiciens1. L'orgueil de la science l'avait d'abord éloigné des doctrines de la croix. Mais un jour que, prosterné dans la maison de Dieu, il écoutait les saintes Écritures, ce passage le frappa : Ce n'est ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Son cœur ingrat, dit-il, repoussa d'abord avec aversion cette doctrine humiliante.

Cependant la Parole de Dieu l'avait saisi de sa puis sante étreinte ; il fut converti aux vérités qu'il avait méprisées, et exposa aussitôt les doctrines de la grâce éternelle dans le collège de Merton, à Oxford. Il était si pénétré des Écritures, que les traditions des hommes l'occupaient peu, et tellement absorbé dans l'adoration en esprit et en vérité, qu'il ne remarquait pas les superstitions du dehors. Ses leçons avidement écoutées se répandirent dans toute l'Eu1 Son Arithmétique et sa Géométrie ont été publiées; j'ignore si ses Tables astronomiques l'ont été rompe. La grâce de Dieu en était l'âme comme elle fut celle de la Réformation. Bradwardin voyait avec douleur le pélagianisme substituer partout au christianisme du dedans une religion du dehors, et il lut tait à genoux pour le salut de l'Eglise. , “ H Comme autrefois, quatre cent cinquante prophètes de Bahal s'élevaient contre un, seul prophète de Dieu, s'écriait-il, ainsi maintenant, ô Seigneur! le nombre de ceux qui combattent avec Pélage contre ta grâce gratuite ne saurait se compter [10]. Ils prétendent, non-recevoir gratuitement la grâce, mais l'acheter*. [11] La volonté des

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hommes doit précéder, disent-ils, et la tienne doit suivre; la leur est la maîtresse, et la tienne la servante* [13] Hélas! Le monde presque entier marche dans l'erreur sur les pas de Pélage [14]. Lève-toi donc, Seigneur, et juge enfin ta cause ! » Le Seigneur devait en effet se lever, mais après la mort du pieux archevêque, aux jours de Wiclef, qui, jeune alors, l'écoutait au collège de Merton, et surtout aux jours de Calvin et de Luther. Son siècle l'a nommé le docteur profond. Si Bradwardin marchait avec fidélité dans la carrière de la foi, son illustre ami, le roi Edouard, s'avançait avec puissance dans la carrière politique. Le pape Clément IV n’ayant arrêté que les deux premières vacances de l'Église anglicane appartiendraient à deux de ses cardinaux : “ H La France devient anglaise, dit- on au roi, mais par voie de compensation, l'Angleterre devient italienne. » Edouard, voulant garantir les libertés religieuses de l'Angleterre, fit, en 1 350, d'accord avec son parlement, un statut dit de Provision, qui annulait toute nomination ecclésiastique contraire aux droits du roi, des CHAPITREs ou des patrons. Ainsi les droits des CHAPITREs, la liberté des catholiques anglais, aussi bien que l'indépendance delà couronne, étaient protégés contre les envahissements de l'étranger. Le statut prononçait contre les complices du pape la prison ou le bannissement perpétuel.

Cet acte courageux effraya le pontife ; aussi, trois ans après, le roi lui ayant présenté comme évêque de Durham un de ses secrétaires, dénué de toutes les qualités que doit avoir un évêque, le pape se hâta de le confirmer ; et quelqu'un lui en ayant témoigné de l'étonnement : “ H Quand le roi d'Angleterre m'eût présenté un âne, répondit-il, je l'eusse aussi tôt reconnu. » Ceci rappelle l’âne d'Avignon ; il paraît que cet humble animal jouait alors un certain rôle dans les élections de la papauté. Quoi qu'il en soit, le pape recula. “ H Les empires ont un terme, dit ici un historien; quand une fois ils l'ont atteint, ils s'arrêtent, ils reculent, ils s'écroulent. [15]»

Le terme semblait toujours plus s'approcher. En 353, trois ans avant la bataille de Poitiers, Edouard présenta au parlement le fameux statut dit de Prémunir, par lequel le roi, avec l'assentiment des lords et à la requête des communes, interdisait tout appel fait à la cour de Rome, toute bulle de l'Êve que romain, toute excommunication, en un mot tout acte portant atteinte aux droits de la couronne, et ordonnait que ceux qui apporteraient de tels documents en Angleterre, qui les recevraient, les publieraient ou les exécuteraient, seraient mis hors de la protection du roi, privés de leurs biens, appréhendés au corps, et amenés devant le prince et son conseil, afin que procès leur fût fait en vertu du prémunir .[16]

A l'ouïe de ce bill, grande fut la colère des romains. “ H Si l'ordonnance de Provision avait donné à des sueurs au pape, dit Fuller, celle du prémunir lui donna la fièvre. » Un pape la nomma un exécrable statut et un horrible forfait. [17] C'est ainsi que les pontifes appellent tout ce qui contrarie leur ambition.

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Des deux guerres faites par Edouard, l'une contre le roi de France et l'autre contre la papauté, la plus juste et la plus importante fut la dernière. Les avantages que ce prince avait espéré retirer de ses brillantes victoires de Crécy et de Poitiers, s'évanouirent presque entièrement avant sa mort; tandis que ses luttes avec la papauté, fondées sur la vérité, ont exercé jusqu'à nos jours une influence incontestable sur les destinées de la Grande-Bretagne. Toutefois les prières et les conquêtes de Bradwardin, proclamant dans ce siècle déchu la doctrine de la grâce, eurent des effets plus puissants encore, non-seulement pour le salut de beaucoup d'âmes, mais pour la liberté, la force morale, les lumières et la grandeur de l'Angleterre.

FOOTNOTES

[1] “ H Non puri hominis sed veri Dei vioem gerit in terris. » (Innocent. III Ep., VI, i, p. 335.)

[2] “ H Ut trecentis Romanis in primis beneficiis vacantibus provide rent. » (Matth. Pàris, ad annum 1*40.)

[3] “ H Absit et quod... haec sedes et in ea présidentes, causa sint schis matis apparentis. » [Ortinnus Gratius, Ed. Brown, fol. 251.)

[4] “ H Obedienter non obedio sed contradico et rebello. » (Matth. Pâris, ad annum 1252.)

[5] “ H Scripturarum sedulus perscrutator diversarum, Romanorum malleus et contemptor. » Seize opuscules (Sermones et epistolae) se trouvent dans Brown, App. ad Fasciculum.

[6] “ H Nocte apparuit ei episcopus vultu severo, intuitu austero, ac voce terribili. » (Matth. Pâris, 760.)

[7] “ H Quanto magis a papa maledicebatur,tanto plus a populo benedi cebatur. » (Matth. Pâris, ad annum 1257.)

[8] “ H Pasce oves meas, non tonde, non excoria, non eviscera, vel de vorando consume. » (Ibid., ad annum 1258.)

[9] Fuller, Church History, cent. XIV, p. 90.

[10] “ H Quot, Domine, hodie cum Pelagio pro libero arbitrio contra gra tuitam gratiam tuam pugnant? » [ De causa Dei, advers. Pelagium; libri tres, Lond., 1618.)

[12] “ H Nequaquam gratuita sed vendita. » (Ibid.)

[13] “ H Suam voluntatem praeire ut dominam, tuam subsequi ut ancil lam. » (Ibid.)

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[14] “ H Totus pœne mundus post Pelagium abiit in errorem. » (Ibid.)

[15] “ H Habent imperia suos terminos; hue cum venerint, sistunt, retro cedunt, ruunt. » (Fuller's History, p. 116.)

[16] Le sens le plus naturel du mot prœmunire semble être celui que donne Fuller (p. 148) : prémunir la puissance royale contre des agressions étrangères.

[17] “ H Execrabile statutum... fœdum et turpe facinus. » (Martin V au duc de Bedford, Fuller, 148.)

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CHAPITRE VII

Puissance et excès des moines. Le pape réclame la suzeraineté de l'Angleterre. Un étudiant d'Oxford. Enseignements de Wiclef. Débats parlementaires. Résistances de Wiclef au pape. Accord de Bruges. Prédication de Wiclef. Comparution devant la Convocation. Lancaster, Perey et Courtenay.

Désordres. Wiclef déclare le pape un Antéchrist. Brefs du pape contre lui. Citation et délivrance. Protestation. Phase politique, phase religieuse. Mission des pauvres prêtres. Persécution. Maladie de Wiclef et les quatre régents

Ainsi, dans la première moitié du quatorzième siècle, près de deux cents ans avant la Réformation, l'Angleterre paraissait déjà lasse du joug de Rome. Bradwardin n'était plus, mais un homme qui avait été son disciple allait lui succéder, et, sans parvenir comme lui aux fonctions les plus élevées, résumer en sa personne les tendances passées et futures de l'Église de Christ dans la Grande-Bretagne. Ce n'est pas avec Henri VIII qu'a commencé la réformation de l'Angleterre : le réveil du seizième siècle est un anneau d'une chaîne qui, commençant aux apôtres, s'étend jusqu'à nous.

La résistance d'Edouard III à la papauté du dehors n'avait pas réprimé la papauté du dedans. Les moines mendiants, et surtout les franciscains, soldats fanatiques du pape, s'efforçaient alors, par des fraudes pieuses, d'accaparer les richesses du pays. Chaque année, disaient-ils, saint François descend du ciel au purgatoire, et délivre les âmes de tous ceux qui ont été ensevelis sous l'habit de son ordre. » Ces moines enlevaient les enfants à leurs parents, et les enfermaient dans leurs cloîtres. Us affectaient d'être pauvres, et, la besace sur l'épaule, tendaient la main, d'un air piteux, aux grands et aux petits ; mais, en même temps, ils habitaient des palais, y amassaient des trésors, s'y paraient de vêtements précieux, et passaient leur temps dans des fêtes magnifiques [l]-. Les moindres d'entre eux se tenaient pour des lords, et ceux qui portaient le bonnet de docteur se regardaient comme des rois. Pendant qu'ils se divertissaient et s'enivraient à une table richement fournie, ils envoyaient des idiots prêcher à leur place des fables et des légendes pour amuser et dépouiller le peuple*.

Si quelque seigneur parlait de donner ses aumônes aux pauvres, et non aux moines, ils poussaient des cris contre une telle impiété, et disaient d'une voix menaçante : Si vous le faites, nous quitterons le pays; mais nous y reviendrons avec une légion de casques éclatants. » L'indignation était au comble. “ H Les moines et les prêtres de Rome, disait-on, nous rongent comme la gangrène. Il faut que Dieu nous en délivre, ou ce peuple périra... Malheur à eux ! La coupe de la colère va déborder. Les gens d'Église seront méprisés comme des cadavres, et jetés sur les places publiques comme des chiens. [2] »

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Un événement fit déborder la coupe. Le pape ne tenant aucun compte des lauriers du vainqueur de Crécy et de Poitiers, somma Édouard III de le reconnaître comme légitime souverain de l'Angleterre, et réclama de lui le payement annuel de mille marcs, comme tribut féodal. En cas de refus, le roi devait comparaître à Rome.

Depuis trente-trois ans, les papes n'avaient plus parlé du tribut accordé par le roi Jean à Innocent III, et toujours fort irrégulièrement payé. Le vainqueur des Valois frémit de cette insolence d'un évêque italien, et partout on demanda à Dieu de venger l'Angleterre.

Ce fut d'Oxford que le vengeur sortit. Un des étudiants qui, dans le collège de Merton, avaient écouté les enseignements du pieux Brad wardin, Jean Wiclef, né en 1324 dans un petit village du Yorkshire, alors dans la force de l'âge, produisait une grande sensation dans la ville universitaire. Une peste terrible ayant, en 1345, ravagé successivement l'Asie, le continent de l'Europe et l'Angleterre, en enlevant, prétendait-on, la moitié de l'espèce humaine, cette voix de Dieu avait retenti comme la trompette du jugement dans le cœur de Wiclef. Effrayé par la pensée de l'éternité, le jeune homme, alors âgé de vingt et un ans, poussait nuit et jour dans sa cellule de profonds soupirs [3], et demandait à Dieu de lui montrer le chemin qu'il devait suivre. Il le trouva dans l'Ecriture, et prit la résolution de le faire connaître à d'autres.

Il commença avec prudence; mais élu, en 1361, chef (warden) du collége de Baliol, et, en 1 365, de celui de Cautorbéry, il se mit alors à exposer plus énergiquement les doctrines de la foi. Ses études bibliques et philosophiques, ses connaissances théologiques, son esprit pénétrant, la pureté de ses mœurs et la force indomptable de son cou rage, le rendaient l'objet de l'admiration universelle. Docteur profond comme son maître et prédicateur éloquent, il prouvait aux savants, dans le cours de la semaine, ce qu'il se proposait de prêcher, et le dimanche il prêchait au peuple ce qu'il avait auparavant démontré. Ses disputes donnaient de la force à ses prédications, et ses prédications de la clarté à ses disputes. Il accusait le clergé d'avoir banni les saintes Écritures, et demandait que l'autorité de la Parole de Dieu fût rétablie dans l'Église. De bruyantes acclamations couronnaient ces débats, et la troupe des esprits vulgaires frémissait de courroux à l'ouïe de ces applaudissements.

Wiclef avait quarante ans lorsque l'arrogance du pape vint émouvoir l'Angleterre. A la fois grand politique et chrétien plein de ferveur, il soutint avec énergie les droits de la couronne contre l'agression romaine, déduisit par ordre les arguments, fit sur ce point l'éducation de ses compatriotes, et éclaira surtout plusieurs membres des communes et plusieurs lords.

Le parlement s'assembla, et jamais, peut-être, il ne s'était réuni pour une question qui excitât à un si haut degré les émotions de l'Angleterre, et même celles de la chrétienté. Les débats furent surtout remarquables dans la chambre des lords; on y

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reproduisit tous les arguments de Wiclef. “ H On ne doit de tribut féodal, dit l'un des lords, qu'à celui qui peut accorder en revanche une protection féodale. Or, comment le pape ferait il la guerre pour protéger ses fiefs? Est-ce comme vassal de la couronne, dit un autre, ou comme son suzerain, que le pape réclame une partie de nos richesses? Urbain V ne veut pas accepter le premier de ces titres... A la bonne heure! Mais le peuple anglais n'acceptera pas non plus le second. Pourquoi, dit d'un ton sarcastique un troisième opinant, ce tribut fut-il originairement accordé?... Pour payer l'absolution donnée par le pape au roi Jean... Alors, la réclamation du pape n'est qu'une simonie, une escroquerie cléricale, que les lords et les évêques doivent repousser avec indignation. Non, dit un dernier orateur, l'Angleterre n'appartient pas au pape. Le pape n'est qu'un homme assujetti au péché; mais Christ est le Seigneur des seigneurs, et ce royaume relève immédiatement et uniquement de Jésus Christ. » [4]

Ainsi parlèrent les lords, inspirés par Wiclef. Le parlement décida, à l'unanimité, qu'aucun prince n'avait jamais eu le droit d'aliéner la souveraineté du royaume sans le consentement des États, et que, si le pontife s'avisait de procéder contre le roi d'Angleterre, comme envers son vassal, toute la nation se lèverait pour maintenir l'indépendance de la couronne.

En vain cette généreuse résolution excita-t-elle la colère des partisans de Rome; en vain prétendirent-ils que, selon le droit canon, le roi devait être privé de son fief, et que l'Angleterre appartenait maintenant au pape : “ H Non, répondit Wiclef, le droit canon n'a aucune valeur dès qu'il est op posé à la Parole de Dieu. » Edouard III plaça Wiclef au nombre de ses chapelains, et la papauté a cessé, dès lors, de prétendre à la souveraineté de l'Angleterre, explicitement au moins. Le pape, en abandonnant ses prétentions temporelles, voulut toutefois maintenir ses prétentions ecclésiastiques, et faire révoquer les statuts de prémunir et de Provision. On résolut d'avoir une conférence à Bruges pour traiter cette question, et Wiclef, devenu docteur en théologie en 1372, y fut député avec d'autres commissaires au mois d'avril 1374. On y conclut, en 1375, un accord en vertu duquel le roi s'engageait à annuler les peines prononcées contre les agents pontificaux, et le pape s'obligeait à confirmer les clercs nommés par le roi Mais la nation ne se contenta pas de l'accord de Bruges. “ H Les clercs envoyés de Rome, dirent les communes, sont plus dangereux pour le royaume que des Juifs ou des Sarrasins. Que tout procureur du pape qui demeurera en Angleterre, et tout Anglais qui résidera à la cour de Rome, soient punis de mort. » [5] Tel était le langage du bon parlement : c'est le nom qui lui fut donné. Ce langage n'indiquait pas peut-être un grand dé Bonnaire té; mais le peuple anglais appelait bon, au quatorzième siècle, un parlement qui ne cédait pas aux prétentions de la papauté.

Wiclef, croyant que Rome ne fait jamais un pas en arrière qu'avec l'intention secrète d'en faire plusieurs en avant, de retour en Angleterre, et nommé recteur de Lutter

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Worth, se mit à prêcher avec hardiesse ses doctrines réformatrices : “ H L'Evangile, disait-il, est la seule source de la religion. Le pontife romain n'est qu'un coupeur de bourses o et loin d'avoir le droit de réprimander tout le monde, il peut être légitimement repris par ses inférieurs, et même par des laïcs. » [6]

La papauté s'alarma. Un prêtre grave et impérieux, Courtenay, fils du comte de Devonshire, homme plein de zèle pour ce qu'il croyait la vérité, avait été nommé depuis peu évêque de Londres. Déjà dans le parlement, il avait résisté à Jean de Gaunt, troisième fils d'Edouard III, patron de Wi clef, duc de Lancaster, chef de la maison de ce nom. Courtenay, voyant les doctrines du réformateur se répandre parmi les grands et le peuple, l'accusa d'hérésie en février 1377, et le somma de paraître devant la Convocation du clergé, dans l'église de Saint-Paul.

Le 19 février, une foule immense, agitée par le fanatisme, remplissait la nef et les abords de la cathédrale, tandis que les citoyens favorables à la Réforme se tenaient cachés dans leurs maisons. Wi clef s'avança précédé de lord Percy, maréchal d'Angleterre, ayant à ses côtés le duc de Lancaster qui le défendait dans un intérêt purement politique, suivi de quatre bacheliers en théologie, ses conseillers, et traversa une multitude hostile qui regardait Lancaster comme l'ennemi de sa liberté, et Wiclef comme l'ennemi de l'Eglise. “ H Que la vue des évêques ne vous fasse pas reculer d'un cheveu dans la profession de votre foi, disait le prince au docteur; ce ne sont que des ignorants; et quant à ce concours de peuple, ne craignez rien, nous sommes là pour vous défendre.[7] » Quand le réformateur- eut franchi les portes de la cathédrale, la multitude qui la remplissait se présenta à lui comme une épaisse muraille ; et malgré les efforts du lord maréchal, Wiclef et Lancaster luimême ne pouvaient avancer. La foule s'agitait, les mains se levaient, des cris se faisaient entendre ; enfin le maréchal perça cette masse confuse, et Wiclef passa.

Le fier Courtenay, chargé par l'archevêque de présider l'assemblée, suivait avec inquiétude ces mouvements étranges, et voyait surtout avec dé plaisir le docteur accompagné des deux personnages les plus puissants de l'Angleterre. Il ne dit rien au duc de Lancaster, qui administrait alors le royaume ; mais se tournant avec vivacité vers Percy : “ H Si j'avais su, Milord, que vous prétendiez faire le maître dans cette église, lui dit-il, j'eusse pris des mesures pour vous empêcher d'y entrer. » Percy répondit froidement : “ H Que vous le vouliez ou que vous ne le vouliez pas, je maintiendrai mon autorité. » Puis s'adressant à Wiclef, qui se tenait debout devant sa cour : “ H Asseyez-vous, lui dit-il, et prenez un peu de repos. » La colère s'emparant alors de Courtenay, il s'écria d'une voix retentissante : “ H Il ne doit pas s'asseoir; c'est debout que l'on paraît devant sa cour ! » Lancaster, indigné que l'on refusât au grand docteur de l'Angleterre une faveur que son âge seul eût dû lui procurer (il avait alors de cinquante à soixante ans), répondit à l'évêque : “ H Vous êtes bien arrogant, Milord ; «prenez-y garde... sans quoi j'abattrai votre orgueil, et non-seulement le vôtre, mais celui de toute la prélature de l'Angleterre Faites-

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moi tout le mal que vous pourrez, » répondit froidement Courtenay. Le prince s'écria avec émotion :

Vous faites bien le fier, Milord. Vous croyez sans doute pouvoir vous appuyer sur votre famille... Mais vos parents, je vous le déclare, auront assez de peine à se protéger eux-mêmes. » L'évêque, trouvant alors de nobles paroles, répondit : “ H Je ne m'appuie ni sur mes parents ni sur quelque homme que ce puisse être, mais sur Dieu seul, et avec son secours je dirai toute la vérité. [8]» Lancaster, ne voyant dans ces mots que de l'hypocrisie, se pencha vers l'un de ses gens et lui dit à l'oreille, mais de manière à être entendu de ceux qui l'en lotiraient : “ H Plutôt que de me soumettre à ce prêtre, je le jetterai à bas de sa chaire. » Tout esprit impartial doit reconnaître que le prélat parlait ici avec plus de dignité que le prince. A peine Lancaster est-il prononcé ces imprudentes paroles, que les partisans de l'évêque levèrent des bras menaçants et se jetèrent sur le duc, sur Percy et sur Wiclef même, qui seul était demeuré calme Les deux lords résistèrent ; leurs amis et leurs serviteurs les défendirent, il n'y eut plus moyen de ramener le calme dans l'audience. On criait, on frappait des pieds; les lords s'échappèrent avec peine, et l'on se sépara en tumulte.

Le jour suivant, le grand maréchal demandé au parlement d'arrêter les pertjEfrba^eij^du repos public, les partisans du clergé, unis^à'ux ennemis de Lancaster, remplirent les n-ges de^etirs clameurs; et tandis que le duc et lV^m^e s'en.*[9] fuyaient par la Tamise, la foule ameutôS^ se j^resentâ {9] devant la maison du lord-maréchal, ens^rila^ \e&*r portes, en visita toutes les chambres, et plongea l'épée dans les coins les plus obscurs. Voyant enfin que Percy leur avait échappé, ces furieux s'imaginèrent qu'il était caché dans le palais de Lancaster, et coururent à la Savoie, alors le plus magnifique édifice du royaume. Un prêtre ayant voulu leur résister, ils le tuèrent, puis ils enlevèrent les armes du duc et ils les pendirent au gibet comme celles d'un traître. Ils auraient été plus loin si l'évêque, fort à propos, ne leur eût rappelé qu'on était en carême. Quant à Wiclef, on le renvoya en lui défendant de prêcher ses doctrines.

Mais cet arrêt des prêtres ne fut pas ratifié par le peuple anglais. L'opinion publique se prononça en faveur de Wiclef. “ H S'il est coupable, disait-on, pourquoi n'est-il pas puni? S'il est innocent, pour quoi lui imposer silence ? S'il est le plus faible en pouvoir, il est le plus fort en vérité! » Il l'était, en effet, et jamais il n'avait parlé avec tant d'énergie. Il attaquait ouvertement le siège prétendu apostolique, et déclarait que les deux antipapes qui siégeaient à Rome et à Avignon faisaient ensemble un Antéchrist [10]. L'opposition à la papauté était alors sans doute la grande affaire de Wiclef. Mais il devait bientôt se tourner avec adoration vers Jésus Christ, et s'écrier que seul Roi de l'Eglise, seul il l'enseigne, la gouverne et la défend.

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Rome ne pouvait fermer l'oreille. Au mois de juin 1377, au moment où Richard II, fils du Prince Noir, -âgé de douze ans, montait sur le trône, trois lettres de Grégoire XI, adressées au roi, à l'archevêque de Cantorbéry et à l'université d'Oxford, dénoncèrent Wiclef comme hérétique, et ordonnèrent de procéder contre lui comme contre un voleur. L'archevêque se hâta de le citer.

Au jour fixé, Wiclef se rendit, sans Lancaster et sans Percy, à la chapelle archiépiscopale de Lambeth. “ H On s'attendait à le voir dévoré, dit un historien, car il entrait dans la fosse aux lions. [11]» Mais les bourgeois remplaçaient les princes.

L'attaque de Rome avait réveillé en Angleterre les amis de la liberté et de la vérité.

“ H Les brefs de la papauté, disaient-ils, ne doivent avoir d'effet dans le royaume qu'avec le consentement du roi ; chacun est maître chez soi. »

A peine l'archevêque avait-il ouvert la séance, que sir Louis Clifford, entrant dans la chapelle, défendit aux évêques, de la part de la reine mère, de procéder contre le réformateur. Une terreur panique s'empara des prélats; [12] “ H ils courbèrent la tête, dit avec indignation un historien catholique -romain, comme un faible roseau sous le souffle d'un vent furieux.[13]» Wiclef se retira en déposant une protestation.

“ H Le genre humain tout entier, disait-il, n'a pas le pouvoir d'ordonner que Pierre et ses successeurs gouvernent le monde. » Les ennemis de Wiclef ont inculpé cette protestation, et l'un d'eux se hâta de soutenir que tout ce que le pape ordonne doit être regardé comme juste. “ H Eh quoi ! répondit le réformateur, le pape pourra donc exclure du recueil des Ecritures tout livre qui lui déplaît et changer à son gré la Bible ! » Wiclef croyait que Rome, déplaçant l'infaillibilité, l'avait transférée des Ecritures au pape ; il voulait la remettre à sa vraie place, et rétablir l'autorité dans l'Eglise sur une base vraiment divine.

Une transformation s'accomplit alors dans le ré formateur. S'occupant moins du royaume d'Angleterre, il s'occupa davantage du royaume de Jésus Christ. A la phase politique succéda chez lui la phase religieuse. Porter la bonne Nouvelle jusque dans les hameaux les plus reculés, telle est la grande pensée qui s'empara de Wiclef. Si des moines, dit-il, par courent le pays et prêchent partout les légendes des saints et les histoires de la guerre de Troie, il nous faut faire pour la gloire de Dieu ce qu'ils font pour remplir leurs sacs, et former une vaste évangélisation itinérante, pour convertir les âmes à Jésus Christ. Wiclef s'adresse donc aux plus pieux de ses disciples : “ H Allez, dit-il, et prêchez; c'est l’œuvre la plus sublime; mais n'imitez pas les prêtres que l'on voit après leur prône s'asseoir dans les cabarets, autour de la table de jeu, ou dissiper leur temps à la chasse. Vous, après vos prédications, visitez les malades, les vieillards, les pauvres, les aveugles, les boiteux, et secourezles «selon votre pouvoir [14]. » Telle était la nouvelle théologie pratique que Wiclef inaugurait : c'était celle de Jésus-Christ.

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Les pauvres prêtres, » comme on les appelait, partaient donc, les pieds nus, un bâton à la main, vêtus d'une robe grossière, vivant d'aumônes, et se contentant des plus simples aliments. Ils s'arrêtaient dans les champs, près de quelque village, sur quel que cimetière, sur la place de quelque bourg, quelquefois même dans une église. Le peuple, qui les aimait, accourait en foule, comme autrefois les hommes du Northumberland aux prédications d'Aïdan. Ils parlaient avec une éloquence populaire qui en traînait ceux qui les entendaient. Aucun d'eux n'é tait plus aimé que John Ashton. On le voyait par courir le pays, s'asseoir au foyer domestique, ou debout dans quelque carrefour isolé, au milieu d'une grande foule. Ce genre de prédication reparaît toujours en Angleterre dans les grandes époques de l'Eglise.

Les pauvres prêtres ne se contentaient pas d'une simple polémique ; ils prêchaient le grand mystère de piété. “ H Un ange n'eût pu faire' propitiation pour l'homme, s'écriait un jour le maître (Wiclef); car la nature qui a péché n'est pas celle des anges; il fallait un homme pour médiateur ; mais tout homme étant redevable à Dieu pour lui-même de tout ce qu'il est capable de faire, il fallait que cet homme eût un mérite infini et fût en même temps Dieu. [15]»

Le clergé s'alarma, et une loi ordonna à tout officier du roi de jeter en prison les prédicateurs et leurs partisans*. En conséquence, dès que le pauvre prêtre prêchait, les moines se mettaient en mouvement. Ils l'épiaient de la fenêtre de leur cellule, du coin d'une rue ou de derrière un taillis ; et vite ils allaient chercher main-forte. Mais au moment où les sergents s'approchaient, on voyait tout à coup paraître des hommes forts, hardis, revêtus d'une ceinture militaire, qui entouraient l'évangéliste, et le protégeaient énergiquement contre les attaques du clergé ; les armes se mêlaient ainsi aux prédications de la Parole de paix. Les pauvres prêtres revenaient auprès de leur maître; Wiclef les consolait,, les conseillait, puis la mission recommençait. Chaque jour l'évangélisation atteignait quelque lieu nouveau, et la lumière pénétrait ainsi en Angleterre, quand le réformateur fut tout à coup arrêté dans son œuvre.

C'était en 1 379 ; Wiclef était à Oxford ; il était venu y remplir ses fonctions de professeur de théologie, et il y tomba malade. Il n'était pas d'une forte constitution, et le travail, l'âge, surtout la persécution, l'avaient affaibli. On triompha dans les cloîtres. Mais pour que le triomphe fût complet, il fallait obtenir la rétractation d’hérétique. On mit tout en œuvre pour y parvenir.

Les quatre régents (représentants des quatre ordres religieux), accompagnés de quatre sénateurs ou aldermen, se rendirent chez le docteur mourant, espérant l'effrayer en le menaçant des vengeances du ciel. Ils le trouvèrent calme et serein.

“ H Vous avez la mort sur les lèvres, lui dirent-ils, soyez touché de vos fautes, et rétractez en notre présence tout ce que vous avez dit à notre détriment. » Wiclef demeura silencieux, et les religieux se promettaient déjà une facile victoire. Mais

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plus le réformateur approchait de l'éternité, plus il avait horreur des moines. Les consolations qu'il avait trouvées auprès de Jésus -Christ lui avaient donné une énergie nouvelle. Il pria son domestique de le soulever sur sa couche. Alors, faible, pâle, se soutenant à peine, il se tourna vers les religieux qui attendaient la ré tractation demandée, et ouvrant enfin ses lèvres li vides, il fixa sur eux un regard imposant, et leur dit avec force : Je ne mourrai pas, mais je vivrai, et je raconterai les forfaits des moines. » On eût dit l'esprit d'Élie menaçant les prêtres de Bahal. Les régents, et leurs assesseurs se regardèrent l'un l'autre avec étonnement. Confus, irrités, ils sortirent pleins de colère, et le réformateur se rétablit pour mettre la dernière main à la plus importante de ses œuvres contre les moines et contre le pape. [16]

FOOTNOTES

[1] “ H When they have over much riches, both in great waste houses, and precious clothes, in great feasts and many jewels and treasures. » (WyclefTs Trealises, p. 224.) s lbid., p. 240. '

[2] “ H Men of holy Church shall be despised as carrion, as dogs shall they be cast out in open places. » (Wiclef, the Last Age of tlie Church.)

[3] “ H Long debating and deliberating with himself, with raany secret sighs. » (Fox, Acts, II, p. 796.)

[4] Ces opinions sont rapportées par Wiclef, dans son traité sur ce sujet, conservé dans \es Selden Mss.,ei imprimé par M. Lewis. Wiclef fut présent à la délibération : quam audivi in quodam concilio a domi nis secularibus.

[5] Ryraer, Fœdera, VII, p. 33, 83-88.

[6] “ H The proud worldly priest of Rome and the most cursed of clippers and parse kerwers. » (Lewis, p. 34.)

[7] Fox's Acts and Monuments, 11, p. 801.

[8] “ H Of ail Ihe prelacy in England. » (Fuller 'Church History, cent. XIV, p. 135.)

[9] “ H Fall furiously on the lords. » (Fuller, Church History, cent. XIV, p. 136.)

[10] Les règles de l'étymologie demanderaient que l'on dît Antéchrist, car la première partie de ce mot vient de la préposition grecque anti, contre, et non de la préposition latine ante, avant. Toutefois, l'Académie française, qui dit avec raison antichrétien, dit Antéchrist. Il ne nous siérait pas de la corriger.

[11] Fuller's Church History, cent. XIV, p. 137.

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[12] “ H The bishops struck with a panick fear. » (Ibid.)

[13] Walsingham, Historia Angliœ major, p. 205.

[14] “ H Not only in churches and churchyards, but aiso in markçt fairs, etc. » [First statuts; Fox, III, p. 36.)

[15] Exposition of the Decalogue. » Fox's Acts, III, p. 36.

[16] Petrie, Churclt History, I, p. 504.

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CHAPITRE VIII

Traduisant la Bible. Succès de cette traduction. Attaque des moines. Quatrième phase : la théologie. Il rejette la transsubstantiation. Condamnation de Wiclef. Sa résistance et son appel au roi. Révolte de WatTyler. Un synode, convoqué par Courtenay, condamne dix propositions de Wiclef.

Sa pétition aux communes. Comparution de Wiclef à Oxford. Il est cité à Rome Sa réponse. Le Trialogue. Il se prépare au martyre. Sa mort à Lutterworth. Caractère, doctrines, prophétie de Wiclef.

Le ministère de Wiclef avait suivi une voie progressive. D'abord, il avait attaqué la papauté; puis prêché l'Évangile aux pauvres ; il pouvait faire plus encore, et mettre le peuple en possession permanente de la Parole de Dieu; ce fut la troisième phase de son activité.

La scolastique avait relégué la sainte Écriture dans une mystérieuse obscurité. Bède, il est vrai, avait traduit l'évangile de saint Jean; les savants d'Alfred, les quatre évangiles; Elfric, sous Élhel red, quelques livres de l'Ancien Testament; des prêtres anglo-normands avaient paraphrasé les évangiles et les Actes; l'Hermite de Hampole et quelques clercs pieux, traduit dans le quatorzième siècle des psaumes, des évangiles et des épitres. Mais ces rares volumes étaient cachés, comme des curiosités Théologiques, dans les bibliothèques de quelques couvents. C'était alors un axiome que la lecture de la Bible était nuisible au peuple; aussi les prêtres l'interdisaient-ils, comme les bramines interdisent les sh asters aux Hindous. La tradition orale conservait seule dans les troupeaux les histoires de la sainte Écriture, mêlées aux légendes des saints. Le temps semblait propre à une publication de la Bible. L'accroissement de la population, l'attention que les Anglais commençaient à donner à leur propre langue, les développements qu'avait reçus le gouvernement représentatif, le réveil de l'esprit humain, toutes ces circonstances favorisaient le projet du réformateur.

Wiclef ignorait, il est vrai, le grec et l'hébreu; mais ne serait-ce pas déjà beaucoup que de secouer la poussière dont la Bible latine était recouverte depuis des siècles, et de la traduire en anglais? Il était bon latiniste, il avait beaucoup d'intelligence et de pénétration; mais surtout il aimait la Bible, il la comprenait, et il voulait communiquer à d'autres ce trésor.

Le voilà donc enfermé dans son cabinet; sur sa table est un texte de la Vulgate, corrigé d'après les manuscrits; tout autour, les commentaires des docteurs de l'Église, surtout ceux de saint Jérôme et de Nicolas de Lyra. Pendant dix à quinze années, il poursuivit courageusement sa lâche; de savants amis l'aidèrent de leurs conseils, et l'un d'eux, Ni colas Hereford, paraît même avoir traduit pour lui quelques CHAPITREs. Enfin, en 1380, Wiclef avait achevé son travail. C'était un

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grand événement dans l'histoire religieuse de l'Angleterre, qui devançait ainsi les peuples du continent, et se plaçait au premier rang dans la grande œuvre de la dissémination des Écritures.

La traduction finie, les copistes commencèrent leur travail; bientôt la Bible fut répandue de tous côtés, soit complète, soit en fragments. L'accueil que reçut l'œuvre de Wiclef dépassa son attente. La sainte Écriture exerçait sur les cœurs une puissance vivifiante ; les esprits s'éclairaient, les âmes se convertissaient ; la parole des “ H pauvres prêtres » avait peu agi, en comparaison de cette parole-là ; quelque chose de nouveau était entré dans le monde. Les bourgeois, les soldats, le peuple, saluaient cette ère nouvelle de leurs acclamations. Les barons, les comtes et les ducs sondaient avec curiosité le livre inconnu; et même Anne de Luxembourg, sœur de l'Empereur et du roi de Bohême, unie à Richard II en 1381, ayant appris l'anglais, se mit à lire assidûment les évangiles. Elle fit plus, elle les communiqua à Arondel, archevêque de York et lord-chancelier, plus tard persécuteur, mais qui alors, touché de voir une étrangère, une reine consacrer humblement ses loisirs à la lecture de livres si vertueux [1], se mit à les étudier, et tança les prélats qui négligeaient cette sainte lecture. “ H On ne pouvait rencontrer deux personnes sur la route, dit un auteur contemporain, sans trouver dans l'un d'eux un disciple de Wiclef. »

Tout le monde cependant ne se réjouissait pas en Angleterre; le clergé opposait à cet enthousiasme ses plaintes et ses malédictions. “ H Maître Jean Wi clef, en traduisant en anglais l'Évangile, disaient les moines, l'a rendu plus accessible et plus compréhensible aux laïques et aux femmes même, qu'il ne l'avait été jusqu'à cette heure aux clercs intelligents et lettrés!... La perle évangélique est partout répandue et foulée par les pourceaux . . . [2] »

De nouveaux combats commencèrent donc pour le réformateur. Partout où il portait ses pas, on l'at taquait avec violence. “ H C'est une hérésie, disaient les moines, que de faire parler en anglais la sainte Écriture [3]. Puisque l'Église a approuvé les quatre évangiles, elle eût pu tout aussi bien les rejeter et en admettre d'autres. L'Église sanctionne et condamne ce qu'elle veut... Apprenez à croire à l'Église plus qu'à l'Évangile. » Ces clameurs n'épouvantèrent pas Wiclef : “ H Quand même le pape et tous ses clercs auraient disparu de la terre, disait-il, notre foi ne détaillerait pas, car elle ne repose que sur Jésus, notre maître et notre «Dieu. »

Wiclef d'ailleurs n'était pas seul; dans les palais comme dans les cabanes, et jusque dans le parlement même, on maintenait les droits des Écritures de Dieu. Une motion ayant été faite en 1390, dans la chambre haute, pour confisquer tous les exemplaires de la Bible, le duc de Lancaster s'écria : “ H Sommes-nous donc la lie de l'humanité, que nous ne puissions posséder dans notre propre a langue les lois de notre religion [4] ? »

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Ayant donné à son peuple la Bible, Wiclef se mit à réfléchir sur son contenu. C'était un pas nouveau dans la voie progressive qu'il avait suivie. Il vient un moment où le chrétien, sauvé par la foi vivante, sent le besoin de se rendre compte de cette foi; et cette réflexion fait naître la science théologique. Ce mouvement est légitime; si l'enfant, qui n'a d'abord que des sensations et des affections, a besoin, en grandissant, de réflexion et de connaissance, pourquoi n'en serait-il pas de même du chrétien? La politique, l'évangélisation, la sainte Écriture, avaient successivement occupé Wiclef; la théologie eut son tour, et ce fut la quatrième phase de sa vie.

Toutefois, il ne pénétra pas au même degré que les hommes du seizième siècle dans les profondeurs de la doctrine chrétienne, et s'attacha surtout à celui des dogmes ecclésiastiques qui se trouvait le plus en rapport avec la hiérarchie pré somptueuse et les gains simoniaques de Rome, à la transsubstantiation. L'Église anglo-saxonne n'avait point professé cette doctrine. “ H L'hostie est le corps de Christ, non corporellement mais spirituellement, » avait dit au dixième siècle Elfric, dans une épître adressée à l'archevêque d'York; mais Lanfranc, adversaire de Bérenger, avait enseigné à l'Angleterre qu'à la parole d'un prêtre, le Dieu Homme quittait le ciel et descendait sur l'autel.

Wiclef entreprit de renverser le piédestal sur lequel reposait l'orgueil du sacerdoce. “ H L'Eucharistie est naturellement du pain et du vin, dit-il à Oxford a en 1 381, mais en vertu des paroles sacramentaires, il y a aussi dans toutes ses parties le vrai corps et le vrai sang de Christ. » Il alla même plus loin : “ H L'hostie consacrée que nous voyons sur l'autel, dit-il, n'est point Christ, ni quelque partie de lui-même, mais elle est son signe efficace. [5] »

Il oscilla entre ces deux nuances de la doctrine; mais ce fut plus habituellement à la première qu'il se rattacha. Il rejetait le sacrifice de la messe fait par le prêtre, comme remplaçant dans la doctrine romaine le sacrifice de la croix fait par JésusChrist, et en détruisant l'efficace expiatoire.

A l'ouïe des assertions de Wiclef, ses ennemis, tout en paraissant saisis d'horreur, se réjouirent en secret dans l'espérance de le perdre. Ils s'assemblèrent, examinèrent douze thèses qu'il avait publiées, et prononcèrent contre lui la suspension de tout enseignement, la prison et la grande excommunication. En même temps ses amis effrayés se refroidirent, et plusieurs d'entre eux l'abandonnèrent. Le duc de Lancaster, en particulier, ne pouvait le suivre dans cette nouvelle sphère. Ce prince voulait bien une opposition ecclésiastique qui viendrait en aide au pouvoir politique ; mais il craignait une op position dogmatique qui le compromettrait. Le ciel était gros d'orages, et le docteur allait se trouver seul exposé à la tempête.

Elle ne tarda pas à éclater. Wiclef, assis dans la chaire de l'école des Augustins, y exposait tranquillement la nature de l'eucharistie, quand un messager s'avança dans la salle et lut sa sentence de condamnation ; on avait voulu humilier le docteur

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en présence de ses disciples. Aussitôt après, Lancaster, alarmé, accourut vers son ancien ami, et le supplia, lui ordonna même de ne plus s'occuper de cette matière. Assailli de toutes parts, Wiclef resta quelque temps muet. Sacrifierait-il la vérité pour sauver sa réputation, son repos, peut-être sa vie?

La politique l'emportera-t-elle sur la foi ; Lancaster sur Wiclef ? Non, son courage fut invincible : “ H Depuis l'an mille, répondit-il, tous les docteurs se sont trompés à l'égard du sacrement de l'autel, si ce n'est Bérenger. Comment toi, ô prêtre, qui «n'es qu'un homme, créerais-tu ton créateur? Quoi ! Cette plante qui croît dans les champs, cet épi que tu cueilles aujourd'hui, sera Dieu un autre jour?... Oh! Oh ne pouvant faire les miracles de Jésus, vous voulez donc faire Jésus lui-même [6] ! Malheur à la génération adultère qui croit le témoignage d'Innocent plus que celui de l'Évangile [7]! » Wiclef somma ses adversaires de réfuter les opinions qu'ils avaient condamnées, et voyant qu'ils le menaçaient d'une peine civile (la prison), il en appela au roi.

Le moment n'était pas favorable pour cet appel. Une circonstance fatale augmentait les dangers de Wiclef. Un marchand, Wal-Tyler, et un prêtre corrompu, Jean Bail, profitant de l'indignation ex citée par les concussions des officiers royaux, avaient soulevé plus de cent mille hommes et marchaient contre Londres. Bail, à l'imitation des pauvres prêtres de Wiclef, prêchait sur les grandes routes; mais au lieu d'expliquer l'Évangile, il prenait pour texte ces rimes populaires :

Quand Adam labourait, Et quand Eve filait, Le noble... où qu'il était? » En attendant l'ère nouvelle de l'égalité, Bail, arraché aux prisons de l'archevêque, prétendait remplir les fonctions de ce prélat. On ne manqua pas d'attribuer ces désordres au réformateur, qui en était innocent; et Courtenay, évêque de Londres, ayant été promu au siège de Cantorbéry, se hâta de convoquer un synode, pour prononcer sur l'affaire de Wiclef. On se réunit ; c'était au milieu de mai, vers deux heures de l'après-midi, et l'on allait procéder à la condamnation, quand un tremblement de terre, secouant violemment la ville de Londres et la GrandeBretagne, effraya tellement les pères du synode qu'ils demandèrent d'une voix unanime de surseoir à un jugement si évidemment réprouvé de Dieu. Mais l'habile archevêque sut se faire une arme du terrible phénomène. “ H Ne savez-vous pas, dit-il, que les vapeurs nuisibles qui s'enflamment dans le sein de la terre, et produisent ces phénomènes qui vous effrayent, perdent en s'échappant toute leur force? Eh bien, de même, en rejetant le méchant de notre communion, nous mettrons fin aux convulsions de l'Église. » Les prélats reprirent courage. Un des officiers de l'archevêque lut dix propositions soi-disant de Wiclef, car on lui en imputait qui lui étaient tout à fait étrangères. Les suivantes excitaient le plus la colère des prêtres : “ H Dieu doit obéir au diable. [8] Après Urbain VI, il ne faut recevoir personne pour pape, mais vivre à la manière des Grecs. »

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Les dix propositions furent condamnées comme hérétiques, et l'archevêque ordonna de fuir comme un serpent venimeux, quiconque prêcherait les erreurs précitées, “ H Si l'on permet à cet hérétique d'en appeler sans cesse aux passions du peuple, dit le prélat au roi, notre ruine est inévitable. Il faut réduire au silence ces chanteurs de ct cantiques, ces lollards*. [9] » Le roi donna licence de jeter dans les prisons de l'État quiconque main tiendrait les propositions condamnées. »

De jour en jour le cercle se rétrécissait autour de Wiclef. Le prudent Repingdon, le savant Hereford, l'éloquent Ashton même, le plus ferme des trois, se séparaient de lui. Parvenu aux jours où les hommes forts se courbent, et tracassé par la persécution, le vieux champion de la vérité qui s'était vu n’a guère entouré de tout un peuple, se trouvait maintenant comme dans un désert. Mais il releva avec courage sa tête blanchie et s'écria : “ H La doctrine ct de l'Évangile ne périra jamais ; et si la terre a tremblé naguère, c'est parce qu'ils ont condamné JésusChrist. »

Il ne s'en tint pas là. A mesure que ses forces physiques diminuaient, sa force morale augmentait. Au lieu de parer les coups qu'on lui portait, il résolut d'en porter lui-même de plus terribles. Il savait que si le roi et les lords étaient pour les prêtres, les communes et le peuple étaient pour la liberté et la vérité. Il présenta donc à la Chambre basse une pétition hardie (novembre 1382). «Puisque Jésus Christ a répandu son sang pour affranchir l'Église, disait-il, je demande son affranchissement. Je demande que chacun puisse sortir de ces sombres murailles (les couvents), où règne une loi tyrannique, et embrasser une vie simple et paisible sous la voûte du ciel. Je demande que l'on ne contraigne pas les pauvres habitants de nos campagnes et de nos cités à fournir à un prêtre mondain, quelquefois vicieux et hérétique, de quoi satisfaire son ostentation, sa gloutonnerie et son impudicité, de quoi acquérir un beau cheval, des selles magnifiques, des cloches retentissantes, des habits précieux, de riches fourrures, tandis que le pauvre peuple voit femme, enfants, voisins, mourir de froid et de faim. [10] »

La Chambre basse rappela qu'elle n'avait point donné son assentiment au statut de persécution rédigé par le clergé et approuvé du roi et des lords, et en demanda la révocation. La Réforme allait- elle commencer de par la volonté du peuple ?

Courtenay, indigné de cette intervention des communes, et toujours animé pour son Église d'un zèle qu'on eut aimé voir se tourner vers la Parole de Dieu, se rendit à Oxford, en novembre 1382, s'entoura d'un grand nombre d'évêques, de docteurs, de prêtres, d'étudiants et de laïques, et fit comparaître Wiclef. Il y avait quarante ans que celui-ci était arrivé à l'Université ; Oxford était devenu sa patrie..., et Oxford se tournait contre lui! Affaibli par le travail, par les épreuves, par cette âme ardente qui consumait les forces de son faible corps, il eût pu refuser de comparaître. Mais Wiclef, qui ne craignit jamais le regard d'un homme, se présenta avec une bonne

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conscience. Il se trouvait, sans doute, dans la foule qui l'entourait, quelques disciples qui sentirent battre leur cœur à la vue du maître; mais rien au dehors ne manifesta cette émotion ; le silence lugubre d'un tribunal avait suc cédé aux cris d'une jeunesse enthousiaste. Toute fois Wiclef ne s'abandonna pas lui-même ; il leva sa tête vénérable, et porta sur Courtenay ce regard assuré qui avait fait fuir les régents d'Oxford. Puis s'indignant contre les prêtres de Bahal, il leur reprocha de répandre partout l'erreur afin de vendre leurs messes.

Alors il s'arrêta et prononça cette simple et énergique parole : “ H La vérité vaincra [11]! » Ayant dit, Wiclef s'apprêta à quitter le tribunal; ses ennemis n'osèrent dire un mot, et comme son divin Maître, à Nazareth, il passa au milieu d'eux sans que nul l'arrêtât. Il se retira à Lutter Worth.

Il n'était pourtant pas au port. Il vivait paisible ment, au milieu de ses livres et de ses paroissiens, et les prêtres semblaient disposés à le laisser tranquille, quand un dernier coup vint l'atteindre : un bref le somma de se rendre à Rome, devant cette puissance qui déjà tant de fois avait répandu le sang des amis de la Bible. Ses infirmités corporelles lui persuadaient qu'il ne pouvait se rendre à cet appel.

Mais si Wiclef se refuse à entendre Urbain, Urbain devra entendre Wiclef. L'Église est maintenant partagée entre deux chefs; la France, l'Ecosse, la Savoie, la Lorraine, la Castille, l'Aragon, reconnaissent Clément VII ; tandis que l'Italie, l'Angle terre, l'Allemagne, la Suède, la Pologne, la Hongrie, reconnaissent Urbain VI. Wiclef dira quel est le vrai chef de l'Église universelle. Et tandis que les deux papes s'excommunient, s'insultent, et vendent à leur profit la terre et le ciel, le réformateur con fessera cette Parole incorruptible, qui établit dans l'Église la véritable unité : “ H Je crois, dit-il, que l'Évangile de Christ est le corps complet de la révélation de Dieu. Je crois que Christ qui nous l'a donné est lui-même vrai Dieu et vrai homme, et qu'ainsi cette révélation évangélique est supérieure à toutes les autres parties des saintes Écritures [12]! Je crois que l'évêque de Rome est obligé plus que tout autre à s'y soumettre, car le plus grand n'est pas celui qui accumule le plus de dignités, mais celui qui imite le plus fidèlement le Seigneur. Nul ne doit suivre le pape, si ce n'est quand le pape suit Jésus - Christ. Il faut qu'à l'exemple de Christ, le pape remette à l'État ses pouvoirs temporels, et engage son clergé à faire de même. Quant à l'appel que l'on m'adresse, je c désirerais pouvoir m'y rendre, mais les visitations du Seigneur m'ont appris que c'est à Dieu plutôt qu'aux hommes qu'il me faut obéir [13]. »

Urbain, fort occupé de ses luttes avec Clément, ne jugea pas prudent d'en commencer une autre avec Wiclef, et se contenta de cette réponse. Depuis lors, le docteur passa en paix ses derniers jours dans la compagnie de trois personnages, dont deux étaient ses amis particuliers, mais le dernier son constant adversaire ; c'étaient Alêthéia, Phronêsis et Pseudês. Alêthéia (Vérité) proposait les questions,

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Pseudés (Mensonge) faisait les objections, et Phronêsis (Intelligence) établissait la saine doctrine. Ces personnages faisaient entre eux un trialogue, où de grandes vérités étaient hardiment professées. L'op position entre le pape et Jésus-Christ, entre la Bible et les canons de l'Église romaine y était énergique ment établie ; c'est l'une de ces vérités premières que l'Église ne doit jamais oublier. “ H L'Église est tombée, disait l'un des personnages amis de Wi clef, dans l'écrit auquel nous faisons allusion, parce qu'elle a abandonné l'Évangile et lui a préféré les lois du pape. Quand il y aurait cent papes à la fois dans le monde, et que tous les moines de la terre seraient transformés en autant de cardinaux, il ne faudrait leur accorder aucune confiance, à moins qu'ils ne s'appuyassent sur la sainte Écriture [14]. * Ces paroles furent comme le dernier éclat du flambeau. Wiclef regardait sa fin comme prochaine, et il ne pensait guère alors qu'elle pût être paisible. Un cachot sur l'une des sept collines, ou un bûcher sur une place de Londres, voilà ce qu'il attendait. “ H Que parlez-vous, disait-il, d'aller chercher au loin la palme des martyrs? annoncez la parole de Christ à de superbes prélats, et le martyre ne vous manquera pas. Vivre et me taire, reprenait-il, jamais. Que le glaive suspendu sur ma tête tombe ! J’attends le coup [15]. »

Ce coup lui fut épargné ; la guerre que se faisaient deux méchants prêtres, Urbain et Clément, laissait en paix les disciples du Seigneur. D'ailleurs, valait-il la peine d'étouffer une vie qui allait s'éteindre ? Wiclef continua donc à prêcher tranquillement Je sus-Christ; et, le 29 décembre 1384, étant dans la chapelle de Lutter Worth, debout devant l'autel, au milieu de ses paroissiens, au moment où il élevait de sa main défaillante le pain de la cène, il tomba sur les dalles, atteint de paralysie. Transporté dans sa maison par les tendres amis qui l'entouraient, il y vécut quarante-huit heures, et remit son âme à Dieu le dernier jour de l'année. Ainsi mourut sans bûcher, l'un des témoins les plus courageux qu'ait eus la vérité. La gravité de sa parole, la sainteté de sa vie, l'énergie de sa foi, avaient intimidé la papauté. Si le voyageur rencontre un lion dans le dé sert, il suffit, dit-on, qu'il fixe sur lui son regard d'homme, pour que la bête rugissante se détourne. Wiclef avait fixé sur la papauté son regard de chrétien, et la papauté troublée l'avait laissé tranquille. Sans cesse traqué pendant sa vie, il était mort en paix, au moment même où, par la foi, il mangeait la chair et buvait le sang qui donne la vie éternelle. Belle fin d'une belle vie !

La Réformation de l'Angleterre avait commencé. Wiclef est le plus grand réformateur de l'Angleterre ; il fut même le premier des réformateurs de la chrétienté, et c'est à lui, après Dieu, que la. Grande-Bretagne doit l'honneur de s'être mise la première en marche contre le système théocratique de Grégoire VIL

L'œuvre des Vaudois, toute belle qu'elle fut, ne saurait se comparer à la sienne. Si Luther et Calvin sont les pères de la Réformation, Wiclef en est l'aïeul.

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Wiclef, comme la plupart des grands hommes, avait des qualités qui d'ordinaire s'excluent. Tandis que son intelligence était éminemment spéculative, (son livre sur la Réalité des idées universelles [16] fit époque dans la philosophie), il possédait cet esprit pratique et actif qui caractérise la race anglo-saxonne. Comme théologien, il était à la fois scripturaire et spirituel, d'une saine orthodoxie et d'une piété intérieure et vivante. A une grande hardiesse qui le portait à s'élancer au milieu des dangers, il joignait un esprit logique et conséquent, qui le fit avancer sans cesse dans la connaissance, et maintenir avec persévérance les vérités qu'il avait une fois proclamées. Chrétien avant tout, il consacra ses forces à la cause de l'Église, mais il fut en même temps citoyen, et l'État, sa nation, son roi, eurent aussi une grande part à sa puissante activité. Il fut un homme complet.

Si l'homme est admirable, sa doctrine ne l'est pas moins. L'Écriture, qui est la norme de la vérité, doit être, selon lui, la règle de la Réforme, et il faut rejeter tout dogme et tout précepte qui ne repose pas sur cette base [17]. Croire à la puissance de l'homme dans l'œuvre de la régénération est la grande hérésie de Rome, et de cette erreur est venue la ruine de l'Église ; la conversion ne procède que de la grâce de Dieu, et le système qui l'attribue en partie à l'homme et en partie à Dieu, est pire encore que celui de Pélage*.[18] Christ est tout dans le christianisme ; quiconque abandonne cette source toujours prête à communiquer la vie, pour se tourner vers des eaux troubles et croupissantes, est un insensé [19].

La foi est un don de Dieu ; elle exclut tout mérite et doit bannir de l'âme toute terreur*. L'essentiel dans la vie chrétienne et dans la cène n'est pas un vain formalisme et des rites superstitieux, mais la communion avec Christ, selon la puissance de la vie spirituelle [20]. Que le peuple chrétien se soumette non à la parole du prêtre mais à la Parole de Dieu. Dans la primitive Église, il n'y avait que deux ordres, le prêtre et le diacre; le presbytère et Évêque n'étaient qu'un*.

La vocation la plus sublime à laquelle un homme puisse parvenir sur la terre, est celle de prêcher la Parole de Dieu. La véritable Église est l'assemblée des justes pour lesquels Christ a répandu son sang. Tant que Christ est dans le ciel, l'Église a en lui le meilleur pape. Il est possible qu'un pape soit condamné au dernier jour, à cause de ses péchés. Nous obligerait-on à reconnaître pour notre chef un démon de l'enfer [21] ? Tels furent les points essentiels de la doctrine de Wiclef; elle fut J'écho de celle des apôtres et le prélude de celle des réformateurs.

Wiclef est à plusieurs égards le Luther de l'Angleterre; mais le temps du réveil n'était pas encore arrivé, et le réformateur anglais ne put remporter sur Rome des victoires aussi éclatantes que le réformateur allemand. Tandis que Luther se. vit entouré d'un nombre toujours plus grand de docteurs et de princes, qui confessaient la même foi que lui, Wiclef brilla presque seul dans le firmament de l'Église. La hardiesse avec laquelle il substitua un spiritualisme vivant à un formalisme superstitieux fit reculer d'effroi ceux qui avaient marché avec lui contre les moines,

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les prêtres et les papes. Bientôt le pontife romain ordonna qu'on le jetât dans les chaînes, et les moines menacèrent sa vie [22]; mais Dieu le protégea, et il demeura calme au milieu des machinations de ses adversaires. L'Antéchrist, disait-il, ne peut tuer que le corps. » Ayant déjà un pied dans la tombe, il prédit que du sein même du monachisme sortirait un jour le renouvellement de l'Église... “ H Si des frères, que Dieu daigne enseigner, se convertissent à l'Évangile de Jésus-Christ, dit-il, on les verra, abandonnant leur infidélité, retourner librement avec «t ou sans la permission de l'Antéchrist, à la religion primitive du Seigneur, et édifier l'Église, comme le fit saint Paul*. [23]»

Ainsi le regard perçant de Wiclef découvrit près d'un siècle et demi à l'avance, dans le couvent des Augustins d'Erfurt, le jeune moine Martin Luther, converti par l'épître aux Romains, et revenant à l'esprit de saint Paul et à la religion de JésusChrist. Les temps allaient se hâter d'accomplir cette prophétie. “ H Le soleil levant de la Réformation » (c'est ainsi qu'on a nommé Wiclef) avait paru au-dessus de l'horizon, et ses lueurs ne devaient plus s'éteindre.

En vain des nuages épais sembleront ils parfois l'éclipser ; de lointaines montagnes dans l'Europe orientale refléteront bientôt ses rayons [24]; et sa lumière resplendissante, augmentant son éclat, versera en fin sur le monde, à l'heure du renouvellement de l'Église, des flots de connaissance et de vie.

FOOTNOTES

[1] “ H Study solely such virtuous books. » (Fox, III, p. 202.)

[2] “ H Evangelica margarita spargitur et a porcis conculcatur. » (Knygh ton, De eventibus Anyliœ, p. 264.)

[3] “ H It is heresy to speak in english of the holy Scripture. » (Warton, Anclarium.)

[4] Weber, Almtholisehe Kirchen, 1, p. 81 . .

[5] “ H Eflicax ejus signum. » (Conclus. I*.) »

[6] WyclefFs Wyckett Tracts, p. 276, 279.

[7] “ H Vae generationi adulterae quae plus credit, etc. » (Gieseler, Kirch. G., H, p. 297.)

[8] “ H Quod Deus debet obedire diabolo. » (Mansi, XXVI, p. 695.) Wiclef nia avoir jamais écrit ou prononcé cette parole.

[9] De lûllen (chanter), comme beggards vient de beggen (prier),

[10] “ H A complaint of John Wyclef. » [Tracts., p. 268.)

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[11] “ H Finaliter veritas vincet eos. » (Vaughan's Apptndix, II, p. 453.)

[12] C'est la leçon que donne un manuscrit de la Bodleian library. Fox semble rapporter à Christ même cette supériorité sur toutes les Écritures. Cette distinction n'est peut-être pas dans l'esprit de Wiclef et de son temps.

[13] An Epistle of J. Wyclef to pope Urban VI. (Fox, Acts, III, p. 9.)

[14] “ H Ideo si essent centum papas, et omnes fratres essent versi in car dinales, non deberet concedi sententiae suas in materia fldei, nisi de quanto se fundaverint in Scriptura. » [Trialogus, lib. IV, cap. vu.)

[15] Vaughan, Life of Wyclef, II, p. 215, 257.

[16] De universalibus realibus.

[17] “ H Auctoritas Scriptura sacra, quae est lex Christi, infinitum exce dit quamlibet scripturam aliam. » (Dialog. [ Trialogus], lit», m, cap. xxx, voir surtout cap. xxxi.)

[18] Ibidem, de prœdestinatione, de peccato, de gratia, etc. » Lib. III, cap. xxx.

[19] “ H Fidem a Deo infusam sine aliqua trepidatione fldei contraria. » (Ibid., lib. III, cap. 11.)

[20] “ H Seeundum rationem spiritualis et virtualis existeutiœ. » (Dialog. [Trialogus] ,\ib. IV, cap. vui.)

[21] “ H Fait idem presbyter atque episcopus. » (Ibid., cap. xv.) s “ H A devil of hell. » (Vaughan, Life of Wyclef, II, p. 307.) On doit beaucoup au Dr Vaughan pour la connaissance de Wiclef.

[22] “ H Multitudt» fratrum mortem tuam multipliciter machinantur. » (Dialog. [Trialogus], lib. IV, cap. iv.)

[23] “ H Alicpai fratres quos Deus docere dignatur... relicta sua perfldia... redibunt libêre ad religionem Christi primaevam, et tune œdiûcabunt Ecclesiam, sicut Paulus. » (Ibid., cap. xxx.)

[24] Jean Huss, en Bohême.

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CHAPITRE IX

Triomphe des doctrines de Wiclef après sa mort. Pétition et conclusions des Wicléfites. Opposition d'Arondel et du roi Richard Persécutions de Henri IV. Le premier martyr. Constitution d'Arondel. Évangélisme de lord Cobham. Cobham devant Henri V. Devant la cour ecclésiastique. Sa confession. Sa condamnation. Sa mort. Les lollards.

La mort de Wiclef manifesta la puissance de ses enseignements. Le maître ayant été retiré, les disciples se mirent à l'œuvre, et l'Angleterre se trouva presque gagnée aux doctrines du réformateur. Les wicléfites reconnaissaient un ministère indépendant de Rome, et qui ne relevait que de la Parole de Dieu. “ H Tout ministre, disaient-ils, peut aussi bien que le pape, administrer les sacrements et conférer la charge d'âmes. »

A la richesse licencieuse du clergé, ils opposaient la pauvreté chrétienne, et à l'ascétisme dégénéré des ordres mendiants, une vie spirituelle et libre. Les bourgeois se pressaient en foule autour de ces humbles prédicateurs ; les soldats les écoutaient, armés du bouclier et de l'épée pour les défendre*; [1] les comtes et les ducs [2] faisaient enlever les images des églises seigneuriales, et la famille royale elle-même était en partie gagnée à la Réformation. On eût dit un arbre coupé par le pied, dont les racines poussaient de toutes parts déjeunes rejetons, et qui recouvrirait bientôt toute la terre [3].

Le courage des disciples de Wiclef s'en accrut, et en plusieurs lieux le peuple prit l'initiative de la Réforme. On afficha aux murailles de Saint-Paul et d'autres cathédrales, des placards dirigés contre les prêtres, les moines et les abus dont ils étaient les défenseurs; et, en 1395, les amis de l'Évangile de mandèrent au parlement une réforme générale. L'essentiel du sacerdoce qui vient de Rome, disaient-ils, est dans des signes et des cérémonies, et non dans l'efficace du SaintEsprit ; ce n'est donc point celui que Christ a ordonné. Les choses temporelles sont distinctes des choses spirituelles ; le roi et l'évêque ne doivent pas être un seul et même individu [4]. » Puis, faute de bien comprendre le principe de la séparation des pouvoirs, qu'ils pro clamaient, ils disaient au parlement : “ H Abolissez le célibat, la transsubstantiation, les prières pour les morts, les offrandes faites aux images, la confession auriculaire, la guerre, les arts qui ne sont pas nécessaires à la vie, l'habitude de bénir l'huile, le sel, la cire, l'encens, les pierres, les mitres, et les bâtons des pèlerins. Tout cela est de la nécromancie et non de la théologie. » Enhardis par l'absence du roi, qui se trouvait en Irlande, ils affichaient leurs douze conclusions aux portes de Saint-Paul et de Westminster. Ceci devint le signal de la persécution.

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A peine Arondel, archevêque d'York, et Bray brocke, évêque de Londres, eurent-ils lu ces thèses, qu'ils passèrent en hâte le canal Saint-Georges, et conjurèrent le roi de revenir en Angleterre. Ce prince n'hésita pas, car sa femme, la pieuse Anne de Luxembourg, n'était plus. Richard, confié successivement pendant ses jeunes années à la direction de plusieurs tuteurs, s'en était mal trouvé, comme les enfants, dit un historien, que l'on change souvent de nourrice. Il faisait bien ou mal, suivant l'impulsion de ses alentours, et n'avait de penchant décidé que pour l'ostentation et la luxure. Le clergé ne s'était pas trompé en comptant sur un tel prince. De retour à Londres, il défendit au parlement de discuter la pétition des wicléfites ; et ayant appelé devant lui les plus distingués d'entre eux, Stury, Clifford, Latimer, Montacute, il les menaça de la mort s'ils s'avisaient de soutenir ces abominables opinions. Ainsi l'œuvre du réformateur allait être anéantie.

Mais à peine Richard est-il retiré sa main de l'Évangile de Dieu, que Dieu, dit un chroniqueur, retira de lui la sienne [5]. Son cousin, Henri de Hereford, fils du fameux duc de Lancaster, banni de l'Angleterre, quitta le continent, arriva dans le comté Pomfret, où ce malheureux prince expira bientôt. Le fils de l'ancien patron de Wiclef étant devenu roi, la réforme de l'Église semblait imminente ; mais Arondel avait prévu le danger. Prêtre rusé, politique habile, il avait observé de quel côté soufflait le vent, et avait à temps abandonné Richard. Prenant Lancaster par la main, il lui mit la couronne sur la tête, en lui disant : “ H Pour consolider votre trône, gagnez le clergé, et sacrifiez les lollards. Je serai le protecteur de l'Église, » répondit Henri IV ; et dès lors le pouvoir des prêtres remplaça le pouvoir des nobles. Rome a toujours été habile à profiter des révolutions.

Lancaster, empressé de témoigner aux prêtres sa reconnaissance, ordonna que tout hérétique obstiné serait brûlé, pour épouvanter ses pareils. [6] La pratique suivit de près la théorie. Un ministre pieux, Guillaume Sautre, avait osé dire : “ H Au lieu d'adorer la croix, sur laquelle Christ a souffert, j'adore Christ qui a souffert sur elle*. [7] » On le traîna à Saint-Paul ; on lui coupa les cheveux ; on lui plaça sur la tête la cape d'un laïque, et le primat le remit à la bonté du grand maréchal d'Angleterre. Cette bonté » ne lui manqua pas, il fut brûlé. Sautre fut le premier martyr du protestantisme. Encouragé par cet acte de foi, le clergé rédigea les articles connus sous le nom de “ H Constitutions d'Arondel, » qui défendaient la lecture de la Bible, et appelaient le pape, “ H non un simple homme, mais un vrai Dieu [8]. j> Bientôt la tour des lollards, au palais archiépiscopal de Lambeth, se remplit de pré tendus hérétiques, et plusieurs gravèrent sur les murailles de leurs cachots l'expression de leur douleur et de leurs espérances : Jésus amor meus, écrivit l'un d'eux* [9].

Frapper les petits, ce n'était pas assez ; il fallait chasser l'Évangile des régions élevées ; les prêtres, sincères dans leurs croyances, regardaient comme des séducteurs les nobles qui mettaient la Parole de Dieu au-dessus des lois de Rome ;

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ils se mirent donc à l'œuvre. Dans la presqu'île du Kent, au milieu des plaines fertiles qu'arrose la Medway à environ trois milles de Rochester, se trouvait le château de Cowley, qu'habitait John Oldcastle, lord Cobham, fort en faveur auprès du roi. Les pauvres prêtres * venaient à Cowley chercher les écrits de Wiclef, dont Cobham faisait faire de nombreuses copies, et de là ils les répandaient dans les diocèses de Cantorbéry, de Rochester, de Londres et de Hertford. Cobham assistait à leurs prédications, et si quelque ennemi venait à les interrompre, il portait hardiment la main sur son épée* [10]. “ H J'exposerai mes jours, disait-il, plutôt que de souffrir des décrets pervers qui déshonorent le Testament éternel. » Le roi ne permit pas aux prélats de toucher son favori.

Mais Henri V ayant, en 1413, succédé à son père, et passé des lieux de débauche, qu'il avait jusqu'alors fréquentés, au pied des autels et à la tête des armées, l'archevêque lui dénonça aussitôt Cobham, qui dut comparaître devant le roi. Le chevalier avait compris la doctrine de Wiclef, et éprouvé lui-même la puissance de la Parole divine. “ H Si quelque prélat de l'Église, dit-il à Henri V, exige que nous lui obéissions plutôt qu'à la Parole infaillible de Dieu, il devient par là même un Antéchrist. » Henri repoussa la main du chevalier qui lui présentait sa confession de foi. “ H Je ne recevrai point ce papier, lui dit-il, remettez-le à vos juges. »

Cobham, voyant sa profession refusée, eut recours à la seule arme qu'il connût en dehors de l'Évangile. Les différends que nous vidons aujourd'hui par des pamphlets étaient alors souvent vi dés par l'épée. “ H J'offre, dit Cobham, pour main tenir ma foi, de combattre à la vie et à la mort avec tout homme, chrétien ou païen, n'exceptant que Votre Majesté. [11] » Cobham fut conduit à la Tour.

Le 23 septembre 1413, on le mena à Saint-Paul, devant la cour ecclésiastique. “ H Il faut croire, lui dit le primat, ce que la sainte Église de Rome enseigne, sans exiger l'enseignement de Christ » ^ Croyez ! lui criaient les prêtres, croyez ! » Je suis prêt à croire tout ce que Dieu veut que je croie, dit le chevalier, mais que les papes aient le pouvoir d'enseigner des doctrines qui sont en opposition à la sainte Écriture, c'est ce que je ne croirai jamais. » On le reconduisit à la Tour. La Parole de Dieu allait avoir un martyr.

Le lundi 25 septembre une foule de prêtres, de chanoines, de moines, de clercs, de vendeurs d'indulgences, encombraient la salle des Dominicains et accablaient Cobham d'injures. Ces insultes, l'importance de ce moment pour la Réformation d'Angle terre, la catastrophe qui devait terminer cette scène, -tout agitait profondément son âme. Lorsque l'archevêque le somma de confesser sa faute, il se jeta à genoux sur le pavé, et levant ses mains vers le ciel, il s'écria : “ H Je me confesse à toi, ô mon Dieu ! et je reconnais que dans ma fragile jeunesse je t'ai très gravement offensé par l'orgueil, la colère, l'intempérance et l'impureté ; c'est pourquoi j'implore ta miséricorde! » Puis se relevant, le visage baigné de larmes, il

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dit : “ H Ce n'est pas votre absolution que je demande ; je ne recherche que celle de Dieu [12]. » On ne désespérait cependant pas de sou mettre l'énergique chevalier ; on savait que la force spirituelle n'est pas toujours unie à la force corporelle, et l'on espérait vaincre par les sophismes des prêtres celui qui osait provoquer en combat singulier les champions de la papauté. “ H Sir John, dit le primat, après plusieurs discours, vous avez prononcé des paroles fort étranges ; nous avons mis beaucoup de temps pour tâcher de vous convaincre, mais tout a été inutile. Maintenant la nuit approche, il faut en finir; soumettez-vous à l'Église. Je ne puis autrement, dis Cobham, faites de moi ce que vous voulez. A la bonne heure, répondit le primat. »

Arondel se leva ; tous les prêtres et le peuple se levèrent avec lui et ôtèrent leurs bonnets. Puis le primat tenant en main la sentence de mort, la lut à haute voix. “ H C'est bien, dit le chevalier; vous condamnez mon corps, mais vous ne faites aucun mal à mon âme. J'en appelle à la grâce de mon Dieu éternel. » On le reconduisit en prison. Quelques-uns de ses partisans le firent échapper pendant la nuit, et il se réfugia dans le pays de Galles ; mais ayant été repris en décembre 1417, il fut conduit à Londres, traîné à Saint-Gilles sur une claie, sus pendu par des chaînes et brûlé à petit feu. Ainsi mourut un chrétien, illustre à la manière de son siècle, un chevalier de la Parole de Dieu. Les prisons de Londres se remplirent de wicléfites, et l'on arrêta qu'ils seraient pendus pour offense au roi et brûlés pour offense à Dieu [13].

Depuis cette époque, les lollards, intimidés de nouveau, se cachèrent dans les humbles rangs du peuple, et ne tinrent plus que des conventicules secrets. L'œuvre de la rédemption s'accomplissait sans éclat dans les élus de Dieu. Il y eut parmi ces lollards beaucoup de rachetés de Jésus-Christ ; mais en général ils ne connurent pas, au même degré que les chrétiens évangéliques du seizième siècle, la force vivante et justifiante de la foi. C'étaient des gens simples, humbles, souvent timides, attirés par la Parole de Dieu, frappés de la condamnation qu'elle prononce contre les erreurs romaines, et désireux de vivre selon ses commandements. Dieu leur avait assigné une part dans la grande transformation de la chrétienté, et cette part fut importante.

Leur humble piété, leur muette opposition, les traitements honteux qu'ils acceptaient avec résignation, l'habit de pénitent dont on les revêtait, la torche qu'on les obligeait à tenir aux portes des églises, accusaient l'orgueil des prêtres et remplissaient de doutes et de vagues désirs les âmes les plus généreuses. C'est par un baptême d'opprobre que Dieu préparait alors une glorieuse réformation.

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FOOTNOTES

[1] “ H Assistere soient gladio et pelta stipati ad eorum defensionem. » (Knyghton, lib. V, p. Î660.)

[2] “ H Milites cum ducibus et comitibus erant prœcipue eis adhéren tes. » [lbid.)

[3] “ H Quasi germinantes multiplicati sunt nimis, et impleverunt ubi que orbem regni. » (Knyghton, lib. I, p. 2660.)

[4] “ H Rex et episcopus in una persona, etc. » (Ibid.)

[5] Foi, Acts, IU, p. 216.

[6] Fox,Acts,m, p. 240.

[7] Ibid., p. 228.

[8] “ H Not of pure man, but of true God, here in earth. » (Fox, Acts, III, p. 242.)

[9] Ces mots se lisent encore dans la Tour.

[10] Blackraore. » “ H Eorum praedicationibus nefariis interfuit et contradictores,si quos repererat, minis et terroribus et gladii secularis potentia compescuit. » (Rymer, Fœdera, t. IV, pars i, p. 50.)

[11] “ H After the laws of arms, to fight for life or death, with any man living. » (Fox, Ads, III, p. 325.)

[12] “ H Quod nullam absolutionem in hac parte peteret a nobis, sed a solo Deo. » (Rymer, Fœdera, p. 51.)

[13] “ H Incendio propter Deum, suspendio propter Regem. » (Thom. Waldensis in prœmio. Raynald, ann. 1414, n° 16.)

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CHAPITRE X

Le lollardisme et l'humanisme. Anglais à Florence, Italiens en Angleterre. Les Tudors. Henri VII, sa mère et ses fils. Érasme et Thomas More. Mondanité et ascétisme. Jean Colet et sa table Visite à Eltham. L'Octave de l'Angleterre. Mariage d'Arthur et de Catherine d'Aragon. Mort d'Arthur.

Fiançailles de Henri avec la veuve de son frère. Sa protestation. Mort d’Henri VII. Avènement d’Henri VIII. Érasme appelé. Jules II et Th. Cromwell. Mariage d’Henri et de Catherine. Fêtes à la cour. Tournois

Cette réformation devait être le résultat de deux forces distinctes, la renaissance des lettres, et la résurrection de la Parole de Dieu. La dernière fut la cause principale, mais la première était nécessaire comme moyen. Sans les lettres, il est probable que l'eau vive de l'Évangile eût traversé le seizième siècle comme ces ruisseaux facilement à sec, qui avaient paru çà et là dans le moyen âge ; elle ne fût pas devenue ce fleuve majestueux qui, en débordant, fertilisa toute la terre. Il fallait découvrir et sonder la source primitive; c'est à cela que servit l'étude du grec et de l'hébreu. Le lollardisme et l'humanisme furent les deux laboratoires de la Réforme.

Nous venons de voir les préparations de l'un; il faut rechercher celles de l'autre, et après avoir trouvé la lumière dans les humbles vallées, la discerner aussi sur de nobles hauteurs. Vers la fin du quinzième siècle se trouvaient à Florence quelques jeunes Anglais, attirés par les nouvelles lueurs que le flambeau des lettres répandait clans la ville des Médicis. Cosme avait réuni à grands frais autour de lui des manuscrits et des savants. William Selling, jeune ecclésiastique anglais, qui se distingua plus tard à Cantorbéry par son zèle pour recueillir des manuscrits précieux, son compatriote Grocyn, Guillaume Latimer, plus modeste qu'une vierge [1], et surtout Linacer, qu'Érasme mettait au-dessus de tous les maîtres de l'Italie, se réunissaient à Politien, à Chalcondilas, et à d'autres savants encore, dans la délicieuse villa qu'habitait Médicis ; et là, dans le calme d'un soir d'été, sous le beau ciel de la Toscane, ils rêvaient ensemble les sublimes visions de la philosophie platonicienne. De retour en Angleterre, ces savants ouvraient à la jeunesse d'Oxford les merveilleux trésors de la langue des Grecs.

Des Italiens même, attirés par le désir d'éclairer les Barbares, et un peu, semble-til, par des offres brillantes, quittaient pour la lointaine Bretagne leur patrie bienaimée; Corneille Vitelli enseignait à Oxford, et Caïo Ambe Rino à Cambridge ; Caxton enfin rapportait d'Allemagne l'art de l'imprimerie, et la nation saluait avec enthousiasme la brillante aurore qui parais sait enfin dans le ciel si longtemps nébuleux des Bretons.

Tandis que les lettres semblaient naître en Angleterre, une race nouvelle y parvenait au pouvoir, et y apportait cette énergie de caractère qui peut seule

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accomplir de grandes révolutions ; les Tudors remplaçaient les Plantagenets. Cette inflexible intrépidité qui a distingué les réformateurs de l'Allemagne, de la Suisse, de la France, de l'Ecosse, ne se retrouva pas aussi généralement dans ceux de l'Angleterre ; mais elle fut dans le caractère de ses rois; ils la portèrent même quelquefois jusqu'à la violence. C'est sans doute à cette prépondérance de la force dans les chefs de l'État, que l'Angleterre doit la prépondérance de l'État dans les choses de l'Église.

Henri Tudor, prince habile, d'un caractère décidé mais défiant, avare et d'un esprit étroit, le Louis XI de l'Angleterre, régnait alors. Issu d'une famille du pays de Galles, il appartenait à cette race antique des Celtes, qui avait si longtemps lutté contre la papauté. Henri avait éteint les factions et appris aux étrangers à redouter sa puissance. Un bon génie semblait exercer sur sa cour et sur lui-même une influence salutaire ; c'était sa mère, la comtesse de Richmond. Du cabinet où elle consacrait à la lecture, à la méditation et à la prière, les cinq premières heures du jour, elle se rendait dans une autre partie de son palais pour panser les plaies de quelques pauvres malades; puis elle passait dans ses salons, où elle s'entretenait avec les hommes lettrés qu'encourageait sa munificence. Le goût de la comtesse pour l'étude, fort peu partagé par son fils, n'était pourtant pas resté sans influence dans sa famille. Arthur et Henri, fils aînés du roi, tremblaient sous le regard de leur père, mais gagnés par l'affection de leur pieuse grand' mère, ils commençaient à trouver quelque plaisir dans la société des amis des lettres ; une circonstance importante devait donner à l'un d'eux un nouvel élan.

Parmi les amis de la comtesse on distinguait Montjoie, qui avait connu Érasme à Paris et entendu ses mordantes satires contre les scolastiques et les moines. Il invita l'illustre Hollandais, qui fuyait alors la peste, à se rendre à Londres, et Érasme, en ré pondant à l'appel du jeune seigneur, crut presque se diriger vers l'empire des ténèbres. Mais à peine était-il en Angleterre qu'il découvrit des lumières inattendues.

Peu après son arrivée, se trouvant à la table du lord-maire, Érasme remarqua vis-àvis de lui un jeune homme de dix-neuf ans, dont la taille était dégagée, la peau blanche et colorée, les yeux bleus, mais l'épaule droite un peu plus haute que la gauche et les mains rudes; ses traits respiraient l'affabilité, la gaieté; et de vives saillies s'échappaient sans cesse de ses lèvres. S'il n'en trouvait pas en anglais, il en disait en français, même en latin ou en grec. Une lutte littéraire s'engagea bientôt entre Érasme et le jeune Anglais. Le savant européen, étonné d'avoir trouvé quelqu'un qui lui tînt tête, s'écria : Aut tu es Morus aut nullus \ et l'adversaire à qui l'on n'avait pas dit le nom de l'étranger, repartit vivement : Aut lu es Erasmus aut diabolus [2] Thomas Morus (car c'était lui), ou pour ne pas latiniser son nom, Thomas More, se jeta alors dans les bras d'Érasme, et ne le quitta plus. Fils d'un juge, né à Londres, en 1480, More plaisantait sans cesse, même avec les femmes [3],

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faisait sa cour aux jeunes filles, et s'amusait des simples d'esprit, toute fois sans méchanceté. Mais sous cette enveloppe lé gère il cachait une âme profonde. Il expliquait alors la Cité de Dieu de saint Augustin à un nombreux auditoire, où se trouvaient des prêtres et des vieillards.

La pensée de l'éternité l'avait saisi ; et ne connaissant pas cette discipline intérieure de l'Esprit-Saint, qui est la véritable, il avait eu recours à celle des cordelettes, et se flagellait tous les vendredis. Thomas More est l'idéal du catholicisme de cette époque. Il avait, comme le système romain, deux pôles, la mondanité et l'ascétisme, qui, quoique contraires, se concilient. En effet, l'ascétisme sacrifie le moi humain, mais pour le maintenir, comme le voyageur attaqué par des brigands qui leur jette quelques dépouilles, afin de sauver son trésor. Ainsi faisait More, si nous l'avons bien compris.

Il sacrifiait les accessoires de la vie déchue pour sauver cette vie elle-même. Il se soumettait aux jeûnes, aux veilles, il portait le cilice, il se mortifiait avec de petites chaînes, il immolait tout en un mot, afin de garder ce moi. Qu’une vraie régénération peut seule immoler. Érasme s'était rendu à Oxford, l'Athènes de la Bretagne, y trouva un homme lettré, Jean Colet, qui, plus âgé que More, formait avec lui un frappant contraste. Colet, issu d'une ancienne famille, d'une belle prestance, d'une figure imposante, et possédant une grande fortune, avait une élégance de manières à laquelle Érasme n'était pas accoutumé. L'ordre, la propreté, le décorum se voyaient par tout, sur sa personne et dans sa maison. Il avait une table exquise, ouverte à tous les amis des lettres, et à laquelle le Hollandais, peu amateur des collèges de Paris, de leur vin gâté et de leurs œufs pourris [4], avait grand plaisir à s'asseoir. Il y rencontrait d'ailleurs la plupart des humanistes de la Grande Bretagne, en particulier Grocyn, Linacer, Thomas Wolsey, boursier du collège de Magdeleine, Th. Halsey et d'autres encore : “ H Je ne puis dire corn bien me devient douce ton Angleterre, écrivait-il d'Oxford à lord Montjoie. Avec de tels hommes, je vivrais volontiers aux derniers confins de la Scythie [5]. »

Mais si Érasme transporté sur les bords de la Ta mise trouvait un Mécène dans lord Montjoie, dans More un Labé on et peut-être un Virgile, il ne trouvait nulle part un Auguste. Un jour qu'il témoignait à More ses regrets et ses craintes : “ H Venez, dit celui-ci, allons à Eltham, peut-être y rencontrerez-vous ce que vous cherchez. » Ils partirent; More plaisanta tout le long de la route, se réservant d'expier sa gaieté en se fustigeant le soir dans sa chambre. Ils arrivèrent, ils montèrent l'escalier gothique du château, furent accueillis par lord et lady Mont joie, gouverneur et gouvernante des enfants du roi, entourés de leurs domestiques et d'une partie des gens de la maison royale ; et au moment où les deux amis entraient dans la salle, un tableau charmant et inattendu s'offrit aux yeux d'Érasme. A gauche était une jeune princesse de onze ans, Marguerite, dont l'arrière-petit-fils, sous le nom de Stuart, devait continuer en Angleterre l'empire des Tudors; à droite, sa sœur Mary, âgée de

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quatre ans ; le jeune Edmond était dans les bras de sa nourrice, et au milieu de ce groupe, entre les deux sœurs, se trouvait un prince de neuf ans, dont la belle figure, le port royal, l'œil intelligent et l'exquise courtoisie eurent aussitôt pour Érasme un attrait inouï [6].

C'était Henri, duc d'York, second fils du roi, né le 8 avril 1491. More, s'approchant du jeune prince, lui fit hommage d'un morceau de sa composition, et Érasme eut dès lors avec lui des rapports intimes, qui ne devaient pas être sans une certaine influence sur les destinées de l'Angleterre. Le savant de Rotterdam aimait à voir Henri monter à cheval avec une grâce parfaite et une rare intrépidité, lancer son javelot plus loin qu'aucun de ses compagnons, et plein de goût pour la musique, s'essayer déjà sur plusieurs instruments. Le roi faisait donner une éducation sa vante à ce jeune prince, qu'il destinait au siège de Cantorbéry ; et l'illustre lettré, remarquant son aptitude pour tout ce qu'il voulait entreprendre, s'appliqua dès lors à tailler avec soin ce diamant britannique, afin de lui faire jeter encore plus de feux. Oh ! s'écriait le Hollandais, il ne commencera jamais rien qu'il ne l'achève. » En effet, ce prince devait toujours parvenir à son but, dit-il même, pour l'atteindre, marcher sur le cadavre de ceux qu'il avait aimés. Flatté des attentions du jeune Henri, gagné par ses grâces, ravi de son esprit, Érasme, à son retour sur le continent, annonça par tout que l'Angleterre allait avoir enfin son Octave.

Quant à Henri VII, il pensait à tout autre chose qu'à Virgile ou à Auguste. L'avarice et l'ambition, étaient ses goûts dominants, et il les satisfit en 1501 par le mariage de l'aîné de ses fils. La Bourgogne, l'Artois, la Provence et la Bretagne ayant été récemment réunis à la France, les puissances d'Europe avaient senti la nécessité de se liguer contre cet Etat envahissant. En conséquence, Ferdinand d'Aragon avait donné sa fille Jeanne à Philippe d'Autriche, et Henri VII lui demandait sa fille Catherine, âgée de dix-sept ans, la plus riche princesse de l'Europe, pour Arthur, prince de Galles, âgé de quinze ans. Le Roi Catholique mit une condition au mariage de cette princesse. Warwick, le dernier des Planta genets, prétendant à la couronne, était enfermé dans la Tour.

Ferdinand, voulant s'assurer que sa fille monterait bien sur le trône d'Angleterre, exigea que ce malheureux, prince fût mis à mort. Ce n'é tait pas encore assez pour le roi d’Espagne. Henri VII, qui n'était pas cruel, pouvait cacher Warwick, et dire qu'il n'était plus. Ferdinand voulut que le chancelier de Castille fût présent à l'exécution. Le sang de Warwick jaillit, sa tête tomba dûment de ses épaules, le chancelier de Castille vérifia, enregistra le meurtre, et le 14 novembre le mariage fut célébré à Londres, dans l'église de Saint-Paul. A minuit, le prince et la princesse furent conduits avec pompe au lit nuptial [7]. Noces funestes, qui devaient un jour soulever les uns contre les autres les rois et les peuples de la chrétienté, et servir de prétexte aux débats extérieurs et politiques de la Réformation d'Angleterre. Le mariage de Catherine la Catholique était un mariage de sang.

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Dans les premiers mois de 1502, le prince Arthur tomba malade, et le 2 avril il mourut. On prit le temps nécessaire pour s'assurer que Catherine n'avait pas l'espérance de devenir mère, après quoi, l'ami d'Érasme, le jeune Henri, fut proclamé héritier de la couronne, à la grande joie des humanistes. Ce prince n'abandonna point les études; il parlait et écrivait en français, en allemand et en espagnol aussi bien qu'en anglais, et l'Angleterre espéra voir un jour sur le trône d'Alfred le Grand le plus savant des rois de la chrétienté.

Une tout autre question préoccupait l'avare Henri VII. Faudra-t-il qu'il restitue à l'Espagne les deux cent mille ducats que Catherine lui a apportés? Cette riche héritière se mariera-t-elle à quelque rival de l'Angleterre ? Pour prévenir un si grand malheur, le roi conçut le projet de faire épouser à Henri la veuve d'Arthur. On fit les objections les plus graves. Ce ne sont pas seulement les convenances, disait l'archevêque de Cantorbéry, Warham, c'est la volonté même de Dieu qui s'y oppose. Quand un homme aura pris la femme de ton frère, c'est une souillure, est-il dit dans la loi du Seigneur ; et dans l'Évangile, Jean-Baptiste dit à Hérode : Il ne t'est pas permis d'avoir la femme de ton frère [8]. »

Alors Fox, évêque de Winchester, suggéra la pensée de demander dispense au pape; et Jules II accorda, en décembre 1503, une bulle où il déclarait que pour maintenir l'union entre les princes catholiques, il autorisait le mariage de Catherine avec le frère de son premier mari, accedente forsan copula carnali. Ces mots furent insérés dans la bulle, à la demande de la princesse elle-même. Tous ces détails sont importants pour la suite de l'histoire. Les époux furent fiancés, mais non mariés, vu la jeunesse du prince de Galles.

Le second mariage projeté par Henri VII s'annonçait sous des auspices moins heureux encore que le premier. Le roi étant tombé malade et ayant perdu la reine, regarda ces visitations comme un jugement du ciel [9]. La nation murmurait et demandait si un pape pouvait permettre ce que Dieu avait défendu1. Le jeune Henri, informé des scrupules de son père et des mécontentements du peuple, déclara au moment où il entrait dans sa quinzième année (27 juin 1505), en présence de l'évêque de Winchester et de divers conseillers royaux, qu'il protestait contre l'engagement pris pendant sa minorité, et n'aurait jamais Catherine pour femme.

Une mort, qui le rendait libre, devait le faire revenir de cette vertueuse décision. En 1509, les espérances des amis des lettres parurent se réaliser. Le 9 mai, un char pompeusement décoré, portant sur un drap d'or la dépouille mortelle de Henri VII, avec son sceptre et sa couronne, s'avançait lente ment vers Londres, suivi d'une immense procession. Les grands officiers de l'État, réunis autour du cercueil, rompirent leurs bâtons, en jetèrent les débris dans la tombe, et le héraut s'écria : “ H Vive le roi Henri VII »I [10] Jamais peut-être un cri semblable ne fut répété avec

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plus de joie par tout un peuple. Le jeune roi satisfit aux vœux de la nation en faisant arrêter Empson et Dudley, accusés d'exactions, et se conforma aux conseils éclairés de sa grand'mère, la duchesse de Richmond, en choisissant les ministres les plus capables et en mettant à leur tête, comme lord chancelier, l'archevêque de Cantorbéry.

War ham déploya de grandes capacités; on le voyait avec un zèle égal entendre la messe, recevoir les ambassadeurs, travailler avec Henri dans le cabinet royal, faire les honneurs de sa table à deux cents convives, s'asseoir sur le sac de laine, et se mettre à genoux sur son prie-dieu. La joie des humanistes surpassa celle du peuple. Le vieux roi n'avait pas voulu de leurs éloges, de peur d'avoir à les payer ; maintenant ils pouvaient laisser un libre cours à leur enthousiasme. Montjoie donnait au jeune prince le nom de divin ; l'ambassadeur de Venise comparait son port à celui d'Apollon et son busle au torse de Mars; on l'exaltait en grec et en latin; on saluait en lui le fondateur d'une ère nouvelle, et Henri semblait vouloir mériter ces éloges. Loin de se laisser enivrer par tant d'adulation : “ H Ah ! disait-il à Mont joie, que je voudrais être savant! Sire, ré pondit le courtisan, il suffit que vous témoigniez de l'amour à ceux qui possèdent cette science que vous désirez pour vous-même. Comment ne a le ferais-je pas ? répliqua vivement Henri ; sans eux nous existons à peine! » Mon (joie écrivit aussitôt ces paroles à Érasme. [11]

Érasme ! Érasme ! Tel était le nom qui retentissait alors à Eltham, à Oxford, à Londres. Le roi ne pouvait vivre sans les savants, ni les savants sans Érasme. Érasme lui-même, enthousiaste du jeune roi d'Angleterre, n'était pas éloigné de répondre à cet appel. Un jour, rencontrant à Ferrare l'Anglais Richard Pace, le savant Hollandais avait tiré de son habit une petite boîte qu'il portait toujours avec lui. Vous ne savez pas, avait-il dit, quel trésor vous avez en Angleterre; je vais vous l'apprendre. » Et il avait tiré de la boîte une lettre de Henri VIII, qui lui exprimait dans le meilleur latin l'amitié la plus tendre Aussitôt après le couronnement, Montjoie écrivit à Érasme : “ H Notre Henricus Octavus, ou plutôt Octavius, est sur le trône. Venez contempler cet astre nouveau! [12] Le ciel sourit, la terre bondit, tout déborde de lait, de nectar et de miel. L'avarice s'enfuit et la libéralité s'avance, répandant partout d'une main gracieuse ses abondantes largesses. Ce ne sont pas l'or, les perles, les métaux précieux que notre roi désire ; c'est la vertu, la gloire et l'immortalité*. [13] »

Ainsi parlait du jeune Henri l'homme éclairé qui l'avait vu de si près; Érasme ne put résister à cet appel. Il prit congé du pape, arriva à Londres, et le roi le serra dans ses bras. La science et le pouvoir se donnaient la main; la Grande-Bretagne allait avoir ses Médicis; et les amis des lettres ne doutaient plus de la régénération de l'Angleterre. Jules II, qui avait permis à Érasme de quitter la robe blanche des moines pour l'habit noir [14], l'avait laissé partir sans trop de regrets. Ce pontife

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aimait peu les lettres, mais beaucoup la guerre, la chasse et les repas délicats. Les Anglais, en échange de l'humaniste, lui envoyèrent un mets de son goût.

Un jour, peu après le départ du célèbre littérateur, comme le pape revenait de la chasse et qu'il se reposait dans son pavillon, il entendit près de lui un chant singulier. Étonné, il demanda ce que c'était*. [15] “ H Ce sont des Anglais, lui diton. » Jules vit paraître trois Bretons, portant des vases soigneuse ment recouverts, que le plus jeune lui offrit, en se prosternant à ses pieds. Ce jeune homme, appelé Thomas Cromwell, qui parait ici pour la première fois, était fils d'un forgeron de Putney. Il avait un esprit si pénétrant, un jugement si solide, un cœur si courageux, une habileté si consommée, une élocution si facile, une mémoire si parfaite, une activité si puissante, une plume si habile, qu'on lui avait présagé le plus brillant avenir.

A vingt ans il s'était embarqué, désirant voir le monde, et arrivé à Anvers, y avait été employé comme secrétaire des négociants anglais. Peu après, deux de ses compatriotes, de Boston en Lincolnshire, vinrent le trouver d'un air embarrassé. “ H Qu'avez-vous? leur dit-il. Nos concitoyens nous envoient auprès du pape, répondirent-ils, afin qu'il renouvelle les grands et petits pardons, dont le terme est échu, et qui nous sont nécessaires pour réparer notre port en ruine ; mais nous ne savons comment aborder le saint père... «Cromwell, vif, prêt à tout entreprendre, sachant un peu d'italien, s'écria : “ H Je vous accompagnerai! Puis, se frappant la tête, il se dit : Quels poissons pourrais-je jeter comme amorce à ces cormorans avides ? Le pape, lui dit un ami, est fort amateur de friandises. »

Aussitôt Cromwell fait préparer de la gelée exquise, à la mode de son pays, et part pour l'Italie avec ses provisions et ses deux compagnons. C'était lui qui se présentait à Jules au moment où celui-ci revenait de la chasse. “ H Les rois et les princes, dit Cromwell au pape, mangent seuls de ce mets dans le royaume d'Angleterre. » Un cardinal, plus cormoran encore que son maître, se hâta d'en goûter. “ H Prenez! » S’écria-t-il, et le pape, savourant fort cette friandise, signa aussitôt les pardons, à condition toutefois qu'on lui laisserait la recette. “ H C'est ce qu'on a appelé, dit le chroniqueur, des pardons à la gelée. » Ce fut le premier exploit de Cromwell ; celui qui donnait à la papauté des pots de confitures, devait un jour lui enlever l'Angleterre.

Ce n'était pas seulement à la cour du pontife que l'on se divertissait ; on chassait à Londres comme à Rome ; on y dansait ; on y faisait bonne chère, et les fêtes, inséparables d'un avènement au trône, absorbaient alors le jeune roi et tous ses seigneurs. H se rappela pourtant un jour qu'il devait donner une reine à son peuple ; Catherine d'Aragon était encore en Angleterre, et ce fut elle que le Conseil lui recommanda. Henri admirait la sainteté de Catherine sans se soucier de l'imiter [16]; il aimait son amour des lettres, et éprouvait même pour elle quel que

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inclination*[17]. “ H Catherine, lui disait-on, fille de ot l'illustre Isabelle de Castille, est le portrait de sa mère; elle a, comme elle, la sagesse et la grandeur d'âme qui attirent le respect des peuples; et si elle apportait à quelqu'un de vos rivaux sa dot et l'alliance de l'Espagne, la couronne d'Angleterre, si longtemps contestée, tomberait bientôt de votre tête... Vous avez la dispense du pape; serez-vous plus scrupuleux que lui? [18] » En vain l'archevêque maintint-il son opposition, Henri céda, et le Il juin, sept semaines après la mort de son père, le mariage fut célébré avec les cérémonies usitées aux noces des vierges, l'épouse étant en longue robe blanche et les cheveux épars; dans le même mois le roi et la reine furent couronnés avec pompe.

Alors les fêtes redoublèrent. Les richesses, que les seigneurs de la cour avaient longtemps enfouies, par crainte du vieux roi, reparurent; les dames étincelèrent d'or et de diamants, et le roi et la reine, que le peuple ne pouvait se lasser d'admirer, jouirent, comme des enfants, de l'éclat de leurs robes royales. Henri VIII était alors ce que plus tard fut Louis XIV. Amateur du faste et des plaisirs, idole de son peuple, passionné du beau sexe, devant avoir à peu près autant de femmes que Louis XIV eut de maîtresses adultères, il fit de la cour d'Angleterre ce que le fils d'Anne d'Autriche fit de la cour de France, le théâtre de tous les divertissements. Il croyait ne pouvoir jamais dépenser les millions qu'il avait trouvés dans les coffres de son père. Ses dix-huit ans, la vivacité de son caractère, la grâce qu'il déployait dans tous les exercices du corps, les romans de chevalerie qu'il dévorait, et que les prêtres euxmêmes recommandaient alors aux grands [19], les flatteries des courtisans, tout faisait fermenter sa jeune imagination. Dès qu'il paraissait, chacun admirait la beauté de ses formes, et l'éclat majestueux de sa personne; c'est son plus grand ennemi qui nous a laissé ce portrait [20] : “ H Ce front, s'écriait-on, a été fait pour le diadème, et ce port majestueux pour le manteau des rois*. [21] »

Henri résolut de réaliser sans retard les héroïques combats et les pompes fabuleuses des héros de la Table ronde, comme s'il eût voulu se préparer aux luttes plus réelles qu'il devait soutenir un jour avec la papauté. A peine les trompettes avaient- elles sonné, qu'on voyait paraître le jeune prince, recouvert d'une riche armure, et la tête ornée d'une plume qui retombait gracieusement jusque sur la selle de son noble coursier ; “ H semblable, dit un historien, à un taureau indompté qui, brisant le joug et le harnais, s'élance dans l'arène. »

Un jour qu'on célébrait les relevailles de Catherine, la reine, assise avec sa cour sous des tentes de drap pourpre et or, au milieu d'une forêt entrecoupée de rochers et parsemée de fleurs, vit s'avancer un moine couvert d'une longue robe brune, qui mit un genou en terre devant elle, lui demanda la per mission de fournir la course, puis se releva, jeta fièrement sa robe, et parut richement armé pour le combat : c'était Charles Brandon, plus tard duc de Suffolk, l'un des hommes les plus beaux et les plus forts du royaume, le premier après Henri dans les tournois. Alors arrivèrent

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des hommes habillés de velours noir, un chapeau à larges bords sur la tête, un bâton à la main, avec des écharpes ornées de coquilles, comme des pèlerins venant de Saint-Jacques de Compostelle. Ils jetèrent aussi leurs habits, et parurent armés de pied en cap. A leur tête était sir Thomas Boleyn, dont la fille devait un jour dépasser en beauté, en grandeur et en infortune, toutes les femmes de l'Angleterre.

Le tournoi commença. Henri, que l'on comparait à Amadis pour l'audace, à Richard Cœur de lion pour le courage, à Edouard III pour la courtoisie, ne sortait pas toujours sans atteinte de ces luttes chevaleresques. Un jour, le roi ayant oublié de baisser la visière de son casque, et Brandon, son adversaire, étant parti au galop, la lance en arrêt, le peuple s'apercevant de cet oubli, poussa un cri ; mais rien ne pouvait arrêter leurs coursiers ; les deux chevaliers se heurtèrent, la lance de Suffolk se brisa contre Henri, et les éclats le frappèrent au visage.

Chacun crut que le roi était mort, et déjà plusieurs couraient arrêter Brandon, quand Henri, remis du coup qui avait porté sur son casque, recommença le combat, et fournit six courses nouvelles, au milieu des cris d'admiration de ses sujets. Ce courage intrépide devait faire place, avec l'âge, à une horrible cruauté, et le jeune tigre, qui faisait alors des sauts si gracieux, devait un jour, les yeux hagards, déchirer de ses dents acérées la mère de ses propres enfants.

FOOTNOTES

[1] “ H Pudùrem, plus quam virgineum. » (Erasmi Ep. I, p. 525.)

[2] Life of More by his Great Grandson (1828), p. 93.

[3] “ H Cum mulieribus fere atque etiam cutn uxore nonnisi lusus jocos que tractat. » (Erasmi Ep., I, p. 536.)

[4] “ H Quantum ibi devorabatur ovorum putrium, quantum vini putris hauriebatur. » (Erasmi Colloquia, p. 564.)

[5] f Dici non potest quam mini dulcescat Anglia tua... vel in extre ma Scythia vivere non recusem. » (Erasmi Mp., I, p. 311.)

[6] Erasmi Ep. ad Botzhem. Fortin, Appendix, p. 108.

[7] “ H Principes summa nocte ad thalamum solemni ritu deducti sunt. » (Sanderus, De schismate Angl., p. Î.)

[8] Lévit, XX, 21 ; saint Marc, VI, 18.

[9] Moryson's Apomacis.

[10] Herbert, Life of Henri VIII, p. 18.

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[11] “ H Scripsit ad me suapte manu litteras amantissimas. » (Erastni Vita ad Ep.)

[12] “ H Ut hoc novum sidus aspicias. »{Erasmi.E'p., p. 277.) Expression de Virgile en parlant d'Auguste divinisé.

[13] “ H Ridet œther, exultat terra, omnia lactis, omnia mellis, omnia nectaris sunt plena. » (Ibid.)

[14] a Vestem albam commutavit in nigram. » [Ep., ad Servat.)

[15] “ H The pope suddenly marvelling at the strangeness of the song. » {Fox, Acts, V, p. 364.)

[16] “ H Admirabatur quidera uxoris sanctitatem. » (Sander, p. 5.)

[17] “ H Ut araor plus apud regem posset. » (Moryson Apom., p. 14.)

[18] Herbert, Henry VIII, p. 7. Fuller, Church Hist., V, Book, p. 165. Erasmi Ep., ad Amerb., p. 19.

[19] * Tyndall, Obedience of a Christian man (1528).

[20] “ H Eximia corporis forma praeditus, in qua etiam regiaj majestatis augusta quaedam species elucebat. » (Sanderus, Deschism., p. 4.)

[21] British museum MSC. Nero. Moryson, Apom., p. 63.

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CHAPITRE XI

Le pape pousse Henri à la guerre. Sermon de Colet. Campagne d’Henri. Mariage de Louis XII et de Marie Tudor. Anne Boleyn. Fètes. Mort de Louis. Mariage de Marie et de Suffolk. Anne Boleyn et Marguerite de Valois. Les lettres en Angleterre. More et Henri. Wolsey veut une réforme. Colet et Érasme. Prédication du doyen. On l'accuse. École de Saint-Paul. Les Troyens et les Grecs.

Un message du pape vint arrêter Henri au milieu de ces divertissements. Partout, en Écosse, en Espagne, en France, en Italie, le jeune roi ne comptait alors que des amis; mais la papauté allait troubler cette bonne harmonie. Un jour, au moment où l'on venait de célébrer les saints mystères en présence du roi, l'archevêque de Cantorbéry déposa à ses pieds, de la part de Jules II, une rose d'or bénie par ce pape, ointe d'huile et parfumée de musc [1], avec une lettre où Henri VIII recevait le titre de chef de la ligue italienne.

Le belliqueux pontife ayant abaissé les Vénitiens, voulait humilier la France, et employer Henri comme instrument de ses haines. Ce prince venait, il est vrai, de renouveler son alliance avec Louis XII ; mais le pape ne se laissait pas arrêter par si peu de chose, et bientôt le jeune roi ne rêva plus qu'aux gloires de Crécy, de Poitiers et d'Azincourt. En vain ses plus sages conseillers lui disaient-ils que l'Angle terre, dans des temps plus propices, n'avait pu se maintenir en France, que la mer était le véritable champ ouvert à ses conquêtes ; Jules, connaissant sa vanité, lui avait promis d'ôter à Louis le titre de roi Très-Chrétien pour le lui donner à lui-même. Sa Sainteté, lui faisait-il dire, espère que Votre Grâce exterminera totalement le roi de France*.[2] » Henri ne trouva rien à redire à cette parole peu apostolique, et se décida à substituer aux tournois et aux fêtes le jeu terrible des combats.

Au printemps de l'an 1511, après quelques essais peu encourageants tentés par ses généraux, il pensa à se rendre lui-même en France. Il était au milieu de ses préparatifs, quand les fêtes de Pâques arrivèrent. Le doyen Colet, prêchant le vendredi saint devant le roi, montra plus de courage qu'on n'eût pu en attendre d'un humaniste, car il y avait en lui une étincelle de l'esprit chrétien. Il choisit pour su jet de son discours la victoire de Jésus-Christ sur la mort : “ H Celui qui prend les armes par ambition, s'écria-t-il, combat, non sous l'étendard de Christ, mais sous celui de Satan. Si vous voulez lutter contre vos ennemis, suivez Jésus-Christ votre ca pitaine, plutôt qu'Alexandre ou Jules César. [3]» On se regardait étonné ; les humanistes s'effrayaient, et les prêtres inquiets de l'essor que prenait alors l'esprit humain, se promettaient de profiter de cette occasion pour porter un rude coup à leurs adversaires.

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Il y avait parmi eux de ces hommes, dont on doit condamner les opinions, mais dont on ne peut s'empêcher de respecter le zèle pour ce qu'ils pensent être la vérité, Bricot, Fitz-James et surtout Standish. Leur zèle alla pourtant un peu trop loin en cette occasion ; on parlait de brûler le doyen Au moment où le service venait de finir, on dit à Colet que le roi le demandait dans le jardin des Franciscains, et aussitôt les prêtres et les moines se pressèrent vers la porte, dans l'espérance de voir leur adversaire emmené comme un criminel. “ H Qu'on nous laisse seuls, dit Henri; mettez votre cape, Monsieur le doyen, a et promenons-nous. Rassurez-vous, continua-t-il, vous n'avez rien à craindre. Vous avez parlé admirablement sur la charité chrétienne, et m'avez presque réconcilié avec le roi de France. Mais, hélas ! la guerre que j'entreprends est une nécessité, une guerre défensive et légitime ; veuillez l'expliquer dans un prochain sermon. Je craindrais, sans cela, que mes soldats ne se méprissent sur le sens de vos paroles. » Colet n'était pas un JeanBaptiste ; touché de la condescendance du roi, il se hâta de donner l'explication demandée, et le prince satisfait, s'écria : “ H Celui-ci est mon docteur! et je lui porte un toast! » Il était jeune alors; ce n'était pas ainsi que Henri devait traiter plus tard ceux qui contrarieraient ses desseins.

Au fond, le roi ne se souciait guère plus des victoires d'Alexandre que de celles de Jésus-Christ. Ayant équipé splendidement son armée, il s'embarqua au mois de juin, accompagné de son aumônier Wolsey, dont la faveur commençait à poindre, et partit pour la guerre comme pour un tournois. Quelque temps après il se rendit, tout couvert de joyaux, au-devant de l'empereur Maximilien, qui le reçut modestement vêtu d'un simple pourpoint et d'un manteau de serge noire. Victorieux dans la journée des Eperons, Henri, au lieu de s'élancer à la con quête de la France, revint tranquillement au siège de Thérouanne, y célébra des joutes et des fêtes, donna à son aumônier l'évêché de Tournay, puis retourna en Angleterre, glorieux d'avoir fait une partie de plaisir.

Louis XII, veuf, âgé de cinquante - trois ans, et courbé sous les infirmités d'une vieillesse prématurée^ mais voulant à tout prix empêcher le renouvellement de la guerre, demanda la main de la belle princesse Marie, âgée de seize ans, et sœur du roi. Marie, qui aimait Charles Brandon, voulait lui sacrifier l'éclat d'une couronne; mais la raison d'État s'y opposait. “ H La princesse, dit Wolsey à Henri VIII, reviendra bientôt en Angleterre, veuve tt et avec un douaire royal. » Cette perspective décida l'affaire. Marie, triste, abattue, pleurant Bran don et l'Angleterre, objet de la pitié universelle, s'embarqua à Douvres avec une suite de trois mille personnes, et le duc d'Angoulême l'ayant reçue à Boulogne, la conduisit au roi, tout fier d'épouser la plus belle princesse de l'Europe.

Parmi les dames qui accompagnaient Marie, se trouvait la jeune Anne Boleyn. Sir Thomas, son père, avait été chargé par Henri, conjointement avec l'évêque d'Ely, des négociations diplomatiques qu'avait nécessitées ce mariage. Anne avait passé

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son enfance dans le château de Rocheford, entourée de tout ce qui pouvait exalter son imagination. Son grand-père maternel, le comte de Surrey, dont le fils aîné avait épousé la sœur de la reine, femme d’Henri VII, avait occupé, ainsi que ses fils, les premières charges de l'Etat. Agée alors de sept ans ' selon les uns, de treize selon les autres, et appelée à la cour par son père, elle lui écrivit en français la lettre suivante, qui paraît se rapporter à son départ pour la France :

Monsieur, votre désir est que je me comporte comme une femme respectable quand j'irai à la cour, et vous m'informez que la reine prendra la peine de me parler. La pensée de parler avec une personne si discrète et si honorable, me réjouit à fort. Ceci augmente mon désir de continuer à parler français et aussi à l'écrire, surtout puisque vous me le recommandez tant. Je viens vous in former par cette lettre que je m'appliquerai autant que je pourrai à ces choses a Quant à moi-même, soyez certain que je ne répondrai pas par de l'ingratitude aux bontés d'un père, et que je me conformerai à ce qu'il me prescrit. Je veux vivre aussi saintement qu'il vous plaît de me le commander, et je vous assure que mon amour est fondé sur une base si ferme qu'il ne pourra jamais s'affaiblir. Je finis maintenant, en me recommandant à votre gracieuse faveur. Écrit à Hever, par votre très humble et très obéissante fille, Anna de Boullan [4]. »

Tels étaient les sentiments dans lesquels cette jeune et intéressante Anglaise, si calomniée par des écrivains de la papauté, se présentait à la cour. Le mariage fut célébré à Abbeville, le 9 octobre 1514, et après un somptueux banquet, le roi de France distribua ses royales largesses aux seigneurs d'Angleterre, ravis de tant de courtoisie. Mais le lendemain fut affreux pour la jeune reine. Louis XII avait congédié la suite nombreuse qui l'avait accompagnée, et même lady Guilford, à laquelle Henri l'avait spécialement confiée. On ne lui avait laissé qu'un enfant, Anne Boleyn. L'infortunée Marie s'abandonna à la plus vive douleur. Pour la consoler, Louis fit annoncer un grand tournoi. A cette nouvelle, Suffolk accourut en France; et tandis que le roi, couché languissamment sur un lit, pouvait à peine suivre des yeux ce brillant spectacle, que la reine, triste encore, mais rayonnante de jeunesse et de beauté, présidait au combat, Suffolk remportait toutes les couronnes. Marie ne put cacher son émotion, et Louise de Savoie, qui l'observait, devina son secret. Mais Louis, s'il connut les angoisses de la jalousie, ne les éprouva pas longtemps; il mourut le 1er janvier 1515.

Pendant que l'on tendait de noir les appartements de la reine, son cœur s'ouvrait à l'espérance. François Ier, impatient de lui voir épouser quelque personnage sans importance politique, encourageait son amour pour Suffolk. Celui-ci, chargé par Henri de porter à sa sœur ses compliments de condoléance, craignait la colère de son maître s'il osait prétendre à la main de la princesse. Mais Marie, résolue à tout braver, dit à Brandon : “ H Vous m'épouserez dans quatre jours ou vous ne me verrez plus. » Le choix que Henri avait fait de Suffolk pour son ambassadeur,

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n'annonçait pas qu'il voulût être cruel. Le mariage fut célébré dans l'abbaye de Clugny, et Henri pardonna.

Tandis que Marie retournait en Angleterre comme l'avait prédit Wolsey, la jeune Anne restait en France. Sir Thomas, désireux que sa fille devînt une femme accomplie, la confia à la vertueuse Claude de France, la bonne reine, autour de laquelle se formaient les filles des premières familles du royaume. La Marguerite des Marguerites (c'est ainsi qu'on a nommé la sœur de François Ier), venait souvent charmer par ses conversations le cercle de la reine ; elle distingua bientôt la jeune Anglaise, fut frappée de ses grâces et de son intelligence, et se l'attacha. Anne Boleyn devait être un jour à Londres un reflet de Marguerite de Valois, et ses rap ports avec cette princesse ne furent pas sans in fluence sur la réformation de l'Angleterre.

En effet, le mouvement des lettres, qui d'Italie avait passé en France, semblait alors devoir passer de France dans la Grande-Bretagne. Oxford exerce sur l'Angleterre une influence aussi grande que celle de la métropole ; et c'est presque toujours dans ses murs qu'un mouvement commence, en bien comme en mal. Une jeunesse enthousiaste y accueillait alors avec joie les premiers rayons du nouveau soleil, et poursuivait de ses sarcasmes la paresse des moines, l'immoralité du clergé et la superstition du peuple. Dégoûté du sacerdotalisme du moyen âge, épris des écrivains de l'antiquité et des lumières nouvelles, Oxford demandait instamment une réforme qui brisât les chaînes de la domination cléricale et émancipât les intelligences. Les lettrés crurent pendant quelque temps avoir trouvé dans l'homme le plus puissant de l'Angleterre, Wolsey, l'allié qui leur donnerait la victoire. Wolsey avait peu de goût pour les lettres, mais voyant le vent de la faveur publique souiller dans cette direction, il se hâta d'y déployer ses voiles. Il se fit passer pour un profond théologien, en citant quelques mots de Thomas d'Aquin, et s'acquit la réputation d'un Mécène et d'un Ptolémée, en invitant les lettrés à ses somptueux festins. “ H O heureux cardinal, s'écriait Érasme, qui entoure sa table de tels flambeaux »

Le roi avait alors la même ambition que son ministre, et après avoir goûté tour à tour des plaisirs de la guerre et de la diplomatie, il se tournait maintenant vers les lettres. Il demanda à Wolsey de lui présenter Thomas More. “ H Qu'irai-je faire à la cour? répondit celui-ci. Je m'y tiendrai aussi gauchement qu'un apprenti cavalier sur sa selle! » Heureux dans le cercle de sa famille, où père, mère, enfants, réunis autour de la table, formaient un groupe délicieux, que le pinceau d'Holbein nous a conservé, More s'obstinait à n'en pas sortir. Mais Henri n'était pas homme à supporter un refus; il employa presque la force pour attirer More au palais, et bientôt le roi ne put se passer de l'humaniste.

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Pendant le calme d'une nuit étoilée, ils se promenaient ensemble sur les terrasses du château et dis couraient sur le mouvement des astres. Si More ne paraissait pas à la cour, Henri partait pour Chelsea et partageait le modeste dîner de la famille, avec quelques simples gens des environs. “ H Où est l'Athènes, disait Érasme, où est le Portique, où est le Lycée qui vaille la cour d'Angleterre?... Elle est un musée plutôt qu'une cour... Un âge d'or commence et j'en félicite l'univers. » [5]

Mais les humanistes ne se contentaient pas des festins du cardinal et des faveurs du roi; il leur fallait des victoires, et c'était contre les cloîtres, ces forteresses de la hiérarchie et de l'impudicité, qu'ils dirigeaient surtout leurs traits [6]. L'abbé de Saint Alban ayant fait d'une femme mariée sa concubine, et l'ayant mise à la tête d'un de ses monastères, ses moines avaient suivi son exemple, et s'étaient livrés aux plus honteux débordements. L'indignation publique éclata, en sorte que Wolsey luimême, Wolsey, père de plusieurs enfants illégitimes, et qui portait la peine de ses désordres [7], entraîné par l'esprit du temps, demanda au pape une réforme générale des mœurs. A l'ouïe de cette requête, les prêtres et les moines jetèrent les hauts cris. « H Qu'allez-vous faire? dirent-ils à Wolsey. Vous donnerez gain de cause aux ennemis de l'Église, et vous aurez pour salaire la haine de l'univers. »

Ce n'était pas le compte du cardinal ; il abandonna son projet et en conçut un plus facile. Voulant justifier le nom de Ptolémée que lui donnait Érasme, il entre prit de fonder deux grands collèges, l'un à Ipswich, sa ville natale, l'autre à Oxford; et trouva commode de prendre les fonds nécessaires à cette création, non dans sa bourse, mais dans celle des moines. Il signala au pape vingt-deux monastères où, dit-il, le vice et l'impiété avaient établi domicile*. [8] Le pape accorda leur sécularisation, et Wolsey s'étant ainsi procurés 2,000 livres sterling de revenu, fit poser les vastes fondements de son collège, tracer plusieurs cours et construire de superbes cuisines. La disgrâce le surprit avant qu'il eût achevé son œuvre; aussi Gualter dit-il avec malice : “ H Il a commencé un collège et bâti un restaurant [9]. » Toutefois un grand exemple était donné, le chemin des couvents était frayé par un pape, et la première brèche leur était faite par un cardinal. Cromwell, alors secrétaire de Wolsey, remarqua comment s'y prenait son maître, et sut profiter plus tard de la leçon.

Heureusement les lettres avaient à Londres des amis plus sincères que Wolsey; c'était Colet, doyen de Saint-Paul, dont la maison fut le centre du mouvement littéraire qui précéda l’Information, et Érasme, son commensal. Hardi pionnier, celui-ci frayait alors à l'Europe moderne la route de l'antiquité. Un jour il entretenait les convives de Colet d'un nouveau manuscrit; un autre jour des formes de la littérature ancienne ; puis il livrait de rudes assauts aux scolastiques et aux moines, et Colet lui venait en aide. Le seul antagoniste qui osât se mesurer avec eux, était Thomas More, qui, quoique laïque, commençait à soutenir vivement les ordonnances de l'Église.

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Des propos de table ne pouvaient suffire au doyen; un immense auditoire venait l'entendre à Saint-Paul. La spiritualité des paroles de Jésus, l'autorité qui les caractérise, leur admirable simplicité et leur mystérieuse profondeur, l'avaient ravi : “ H J'admire les épîtres des apôtres, s'écriait-il, mais je les oublie presque quand je contemple a la majesté admirable de Christ [10]. » Laissant donc les textes prescrits par l'Église, il expliqua, comme Zwingli, l'Évangile selon saint Matthieu. Il alla bientôt plus loin. Profitant d'une convocation du clergé, il prononça sur la conformation et la réformation un discours qui fut l'un des nombreux préludes de la grande rénovation du seizième siècle. “ H On voit paraître de nos jours des idées étranges et hérétiques, dit-il, je l'accorde. Mais sachez qu'il n'y a pas pour l'Église de plus dangereuse hérésie que la vie dégradée de ses prêtres. Il faut une réformation; et cette réformation, il faut que ce soit par vous, ô évêques, qu'elle commence, et par vous, ô prêtres, qu'elle continue! Le clergé une fois réformé, nous pro céderons à la réformation du peuple [11]. » Ainsi parlait Colet. Les bourgeois de Londres l'écoutaient avec ravissement, et l'appelaient un nouveau saint Paul [12].

De tels discours ne pouvaient demeurer impunis. Fitz-James, évêque de Londres, vieillard de quatre-vingt ans, superstitieux, opiniâtre, amateur du gain, d'une susceptibilité irritable, peu théologien, mais prosterné devant Duns Scott, le docteur subtil, appela à son aide deux autres évêques, aussi zélés que lui pour la conservation des abus, Bricot et Stan dish, et dénonça à Warham le doyen de SaintPaul. L'archevêque ayant demandé ce qu'il avait fait : Ce qu'il a fait ! reprit l'évêque de Londres, il enseigne qu'il ne faut pas adorer les images, il traduit le Pater en anglais, il prétend que dans le Pasce oves meas, il ne faut nullement comprendre les subsides temporels que le clergé doit retirer de ses ouailles. De plus, ajouta-t-il avec quelque embarras, il a parlé contre ceux qui portent des cahiers en chaire et qui lisent leurs sermons! » C'était l'habitude de l'évêque; aussi l'archevêque ne peut-il s'empêcher de sourire, et Colet ayant refusé de se justifier, Warham prit lui-même sa défense.

Dès lors Colet travailla avec un nouveau courage à dissiper les ténèbres; il consacra la plus grande partie de son patrimoine à rétablir à Londres la célèbre école de Saint-Paul, dont le savant Lilly fut le premier recteur. Deux partis, les Grecs et les Troyens se mirent à lutter, non avec la lance, comme dans l'antique épopée, mais avec la langue, avec la plume, et quelquefois avec le poing. Si les Troyens (les ignorants) avaient le dessous dans les disputes publiques, ils prenaient leur revanche dans le secret du confessionnal. Cave a Grœcis ne fias hœre ticus ! Telle était la consigne que les prêtres ne cessaient de rappeler à la jeunesse. Ils regardaient, dit-on, l'école fondée par Colet, comme le cheval monstrueux du parjure Sinon, et annonçaient que de ses flancs sortirait inévitablement la ruine du peuple. Colet et Érasme ne répondaient au fanatisme des moines qu'en leur portant de nouveaux coups. Linacer, enthousiaste des lettres, Grocyn, d'un esprit mordant et

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pourtant d'une âme généreuse, et d'autres encore, renforçaient la phalange des Grecs. Henri VIII lui-même, prenait d'ordinaire l'un d'eux pour l'accompagner dans ses voyages, et si quelque Troyen malencontreux venait à attaquer en sa présence la langue de saint Paul et de Platon, le jeune prince lançait sur lui son Hellène. Les rives du Xante et du Simoïs, ne virent pas jadis plus de batailles.

FOOTNOTES

[1] “ H Odoriflco musco aspersam. » (Wilkins, Concilia, III, p. 652.)

[2] * Lettre du cardinal Bambridge. Cotton library. Vitell. B î. p. 8.

[3] « H Dr Colet was in trouble and should have been burnt. » (Latimer's Sermons, Parker edition, p. 440.)

[4] L'auteur a pu se procurer en français les lettres de Henri VIII et d'Anne de Boleyn, mais non pas celle-ci qui est antérieure. Il l'a traduite de l'anglais.

[5] “ H Cujus mensa talibus luminibus cingitur. » (Erasmi Ep., p. 725.)

[6] “ H Loca sacra etiam ipsa Dei templa monialium stupro et sangui nis et seminis effusione profanare non verentur. » (Bulle papale. Wilkins Concilia, p. 632.)

[7] “ H Morbus venereus. » (Burnet.)

[8] “ H Wherein much vice and wickness was harboured. » (Strype, I, p. 169. Voir les noms des monastères, ibid., II, p. 132.)

[9] “ H Instituit collegium et absolvit popinam. » (Fuller, p. 169.)

[10] “ H Ita suspiciëbat admirabilem illam Christi majestatem. » (Erasmi Ep., p. 707.)

[11] * Colet, Sermon to the convocation. »

[12] “ H Pene apostolus Paulus habitus est. » (Polyd. Virg., p. 618.)

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CHAPITRE XII

Thomas Wolsey. Son premier exploit. 11 gagne Henri. Wolsey archevêque, cardinal, grand chancelier, légat. Son ostentation. Système d'espionnage. Vertus d'apparat. Première lutte entre l'Église et l'État. Un caractère hiérarchique.

Au moment où tout semblait s'acheminer dans le sens d'une réformation, un prêtre puissant vint la rendre plus difficile.

L'un des personnages les plus marquants de ce siècle paraissait alors sur la scène du monde. Un homme devait unir, sous Henri VIII, une extrême habileté à une extrême immoralité; et cet homme devait fournir de nouveau un éclatant exemple de cette vérité salutaire, que l'immoralité est plus efficace pour perdre un homme, que l'habileté pour le sauver. Wolsey fut en Angleterre le dernier grand prêtre de Rome, et quand sa chute vint étonner le royaume, elle fut le signal d'une chute plus étonnante encore, celle de la papauté.

Fils d'un riche boucher d'Ipswich, suivant une tradition qui semble bien justifiée, Thomas Wolsey était parvenu, du temps d’Henri VII, aux fonctions d'aumônier, sur la recommandation d'un gentil homme, sir Richard Nanant, trésorier de Calais, son ancien patron. Mais Thomas ne se souciait point de passer sa vie à dire la messe. A peine avait-il accompli son office, qu'au lieu de se livrer le reste du jour à la fainéantise, comme ses pareils, il s'efforçait de gagner les bonnes grâces des seigneurs qui entouraient le roi.

Fox, évêque de Winchester, lord du sceau privé sous Henri VII, inquiet de l'influence croissante du comte de Surrey, cherchait un homme propre à la contrebalancer ; il crut le trouver en Wolsey. Les Surrey, nous l'avons vu, étaient grand-père et oncles d'Anne Boleyn, et c'était pour s'opposer à cette famille puissante que le fils du boucher d'Ipswich fut tiré de l'obscurité. Ceci n'est pas sans importance pour la suite de l'histoire. Fox se mit à louer Wolsey en présence du roi, et en même temps, à encourager l'aumônier à se donner aux affaires publiques. Celui-ci ne fil pas la sourde oreille [1], et bientôt il trouva une occasion de se pousser dans la faveur du prince.

Henri VII ayant une affaire avec l'empereur, alors en Flandres, fit venir Wolsey, lui expliqua son dessein et lui ordonna de se préparer à partir. Le chapelain se promit de montrer à son maître comment il entendait le servir. Après-midi, il prit congé du roi à Richmond. A quatre heures, il était à Londres, à sept heures, à Gravesend. Ayant voyagé toute la nuit, il se trouva le lendemain matin à Douvres au moment où le paquebot allait partir. Après trois heures de traversée, il arriva à Calais, y prit la poste, et le soir même il se présenta devant Maximilien. Ayant obtenu ce qu'il désirait, il repartit dans la nuit, et le surlendemain il reparut à Richmond, trois

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jours et quelques heures après son dé part. Le roi l'ayant aperçu au moment où il se rendait à la messe, lui dit brusquement : “ H Pourquoi n'êtes-vous pas parti?

Sire, répondit Wolsey, je suis revenu ; » et il remit au roi les lettres de l'empereur. Henri fut ravi, et Wolsey comprit que sa fortune était faite.

Les courtisans espéraient d'abord que Wolsey, nautonier inexpérimenté, briserait son navire contre quelque écueil ; mais jamais pilote ne navigua avec tant d'adresse. Quoiqu'il eût vingt ans de plus que Henri YIII, l'aumônier chantait, dansait, riait avec les compagnons du prince, et s'entretenait avec le roi d'histoires galantes et de Thomas d'Aquin. Sa maison était pour le jeune roi un temple du paganisme, le sanctuaire de toutes les voluptés [2], et tandis que les conseillers de Henri conjuraient ce prince de laisser les plaisirs pour les affaires, Wolsey lui répétait souvent qu'il devait consacrer sa jeunesse aux lettres et aux divertissements, et lui laisser le pénible labeur de la royauté. Nommé évêque de Tournay durant la campagne de Flandres, Wolsey, de retour en Angleterre, avait reçu l'évêché de Lincoln et l'archevêché d'York. Trois mitres avaient, en une année, été posées sur sa tête. Il avait enfin trouvé la veine qu'il avait si ardemment cherchée.

Cependant, il n'était pas satisfait. L'archevêque de Cantorbéry demandait, en sa qualité de primat, que la croix d'York s'inclinât devant la sienne. Wolsey n'était pas d'humeur à l'accorder, et voyant que Warham ne voulait pas se contenter d'être son égal, il résolut d'en faire son inférieur. Il écrivit à Rome et à Paris. François Ier, qui voulait se concilier l'Angleterre, demanda la pourpre pour Wolsey, et l'archevêque d'York reçut le titre de Cardinal de Sainte-Cécile au-delà du Tibre. En novembre un ambassadeur romain lui apporta le chapeau : “ H Mieux eût valu lui donner une cape de Tyburn ou une corde de six deniers, dirent quelques Anglais indignés; ces chapeaux romains, ajoutaient-ils, n'ont jamais rien apporté de bon à l'Angleterre [3]. » Cela a passé en pro verbe.

Ce n'était pas assez pour Wolsey; il désirait par-dessus toute la grandeur séculière. Warham, las de lutter avec cet arrogant rival, résigna les sceaux, et le roi les remit aussitôt au cardinal. Enfin une bulle l'établit légat à latere du siège romain, et plaça sous sa juridiction les collèges, les monastères, les cours ecclésiastiques, les évêques et le primai lui-même. Dès lors, grand chancelier d'Angleterre et légat du pape, Wolsey régla tout dans l'État et dans l'Église; il fit entrer habilement dans ses coffres l'argent du royaume et des pays étrangers, et se livra sans contrainte à l'ostentation et à l'orgueil, ses vices dominants. Partout où il paraissait, deux prêtres les plus beaux et les plus grands qu'il pût trouver, (il les choisissait à la taille dans tout le royaume), portaient devant lui deux grandes croix d'argent, en honneur, l'une de son archevêché, et l'autre de sa légation pontificale. Chambellans, gentilshommes, pages, huissiers, chapelains, chantres, clercs, échansons, cuisiniers et autres serviteurs, au nombre d'environ cinq cents, parmi lesquels se trouvaient beaucoup de nobles et les plus beaux yeomen du pays, remplissaient son palais.

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Wolsey s'avançait au milieu de cette foule, vêtu de velours et de soie écarlate, gants et chapeau de même couleur, souliers brodés d'argent et d'or, ornés de pierres précieuses et de perles. Une espèce de papauté se formait ainsi en Angleterre, car la papauté se développe partout où germe l'orgueil.

Une pensée occupait Wolsey plus encore que le faste dont il s'entourait : c'était le désir de captiver le roi. Il dressa à cet effet l'horoscope d’Henri, et fit faire une amulette qu'il portait toujours sous ses vêtements pour charmer son maître par des vertus magiques [4]. Puis ayant recours à une nécromancie plus efficace, il choisit parmi les compagnons de débauche du jeune monarque les esprits les plus déliés, les caractères les plus ambitieux, et se les attachant par un serment secret, il les plaça à la cour pour y être ses oreilles et ses yeux ; aussi ne se disait-il pas un mol autour du monarque, surtout contre Wolsey, qu'une heure après le cardinal n'en fût informé. Si le coupable n'était pas en faveur, on le mettait à la porte sans miséricorde; dans le cas contraire, le ministre lui faisait donner quelque mission lointaine. Les femmes de la reine, les chapelains du roi, ses confesseurs même étaient les es pions du cardinal ; il prétendait à la toute-présence comme le pape à l'infaillibilité.

Wolsey avait pourtant quelques vertus d'apparat ; généreux jusqu'à l'affectation envers les pauvres, il se montrait, comme chancelier, inexorable envers toute espèce de désordres, et prétendait surtout faire plier sous sa puissance les riches et les grands. Les lettrés seuls obtenaient de lui quelques égards; aussi Érasme l'appelaitil “ H l'Achate d'un nouvel Énée. » Mais la nation ne se laissait pas entraîner par les louanges du savant hollandais. Wolsey, de mœurs plus que suspectes, double de cœur, infidèle à ses promesses, accablant le peuple de pesants impôts, plein d'arrogance envers tous, fut bientôt haï de toute 1'Angleterrë.

L'élévation d'un prince de l'Église romaine ne pouvait être favorable à la Réformation. Les prêtres, qu'elle encourageait, résolurent de tenir tête aux triples atteintes des lettrés, des réformateurs et de l'État ; ils eurent bientôt une occasion d'éprouver leurs forces. Les ordres sacrés étaient devenus, pendant le moyen âge, un passeport pour toute espèce de crimes. Le parlement, désireux de corriger cet abus et de réprimer les empiétements de l'Église, arrêta, en 1513, qu'un ecclésiastique convaincu de vol ou de meurtre, pourrait être poursuivi par les tribunaux séculiers. On excepta pourtant les évêques, les prêtres et les diacres, c'est-à-dire presque tout le clergé. Malgré cette timide précaution, un clerc hautain, l'abbé de Winchelcomb, commença la bataille en s'écriant dans l'église de SaintPaul : “ H Ne touchez pas à mes oints, dit le Seigneur. » En même temps Wolsey se rendit auprès du roi, à la tête d'une suite imposante de prêtres et de prélats, et dit en levant la main vers le ciel : “ H Sire, mettre en cause * utt religieux, c'est violer les lois divines. » Cette fois-ci, pourtant, Henri ne céda pas. “ H C'est par la volonté de Dieu que nous sommes roi d'Angleterre, répondit-il ; les fois, nos prédécesseurs,

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n'ont reconnu d'autre supérieur que Dieu même, et nous maintiendrons les droits de notre couronne. »

Henri avait compris que mettre le clergé au-dessus des lois c'était le placer audessus du trône. Les prêtres étaient battus, mais ils n'étaient pas découragés ; la persévérance est un trait qui se retrouve dans tout parti hiérarchique. Ne marchant pas par la foi, on marche d'autant plus par la vue, et des combinaisons habiles remplacent les saintes aspirations du chrétien. D'humbles disciples de l'Évangile devaient bientôt s'en apercevoir, car le clergé allait préluder par quelques attaques isolées aux grandes luttes de la Réformation.

FOOTNOTES

[1] “ H Hœo Wolseus non surdis audierit auribus. » (Polyd. Virg., p. m.\

[2] “ H Domi suœ voluptatum omnium sacrariam fecit. » (Polyd. Virg.j p. 623.)

[3] “ H These romish hats neverbroughtgoodintoEngland.»(Latimer's Sermons, p. 119.)

[4] “ H He cast the king's nativity... he made by craft of necromancy graven imagery to bear upon him, wherewith he bewitched the king's mind. » (Tyndale's Practice of frelates, Op., I, p. 452.)

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CHAPITRE XIII

Les loups et les brebis. Richard Hun cité et justifié. – Guet-apens nocturne. Enquête. Aveux. Condamnation posthume- Hun réhabilité. Une barque entre Londres et Gravesend. Une fête de famille à Ashford. Brown arrêté. Sa torture et sa confession. Brown à Ashford. Son martyre et sa fille. Guerre aux humanistes. Érasme. Sa carrière est finie. L'an 1517 et le seizième siècle. Érasme à Etale

Il faut parfois adoucir les couleurs un peu vives sous lesquelles les écrivains du temps nous peignent le clergé romain ; mais il est certaines désignations que l'histoire doit accepter. “ H Les loups, » c'est ainsi qu'on appelait les prêtres, en attaquant les lords et les communes, avaient entrepris une œuvre au-dessus de leurs forces; ils tournèrent sur d'autres leur colère. Des bergers s'efforçaient de rassembler le long des eaux paisibles les brebis du Seigneur. Il fallait effrayer les bergers et chasser les brebis dans les landes arides. “ H Les loups résolurent de se jeter sur les lollards. »

Un honnête marchand de Londres, nommé Richard Hun, [1] l*un de ces témoins de la vérité qui, sincères quoique peu éclairés, se sont souvent trouvés dans le catholicisme, assis dans son cabinet, y étudiait chaque jour avec soin la Bible. Un prêtre ayant exigé de lui à la mort d'un de ses enfants un salaire illégitime, Hun le lui avait refusé, et le prêtre l'avait cité devant la cour du légat. Hun, animé de cet esprit public qui distingue les citoyens de l'Angle terre, s'était indigné de ce qu'on osait appeler un Anglais devant une cour étrangère, et avait pour suivi le curé et son conseil en vertu du prémunir. Cette hardiesse, alors fort extraordinaire, mit le clergé hors de lui. “ H Si on laisse faire ces bourgeois a orgueilleux, s'écrièrent les moines, il n'y aura plus un laïque qui ne se permette de résister à un prêtre. »

On s'efforça donc de faire tomber le prétendu rebelle dans le piégé d'hérésie; on le jeta dans la tour des lollards à Saint-Paul, on lui mit un collier de fer, avec une chaîne si pesante, que ni homme, ni bête, dit Fox, n'eussent pu la porter bien longtemps; puis on le conduisit ainsi devant ses juges. On ne put le convaincre d'hérésie; on remarqua même avec étonnement que son chapelet ne le quittait pas [2]; et l'on allait le mettre en liberté, en lui infligeant peut-être quelque légère pénitence. Mais quel exemple ! Et qui pourra arrêter les réformateurs, s'il est si facile de résister à la papauté?... Ne pouvant triompher par la justice, quelques fanatiques jurèrent de triompher par le crime.

Le même jour, 2 décembre, à minuit, trois hommes montaient l'escalier de la tour des Lollards; le sonneur marchait le premier, tenant à la main un flambeau ; un sergent nommé Charles-Joseph venait après lui; le chancelier de l'évêque fermait la marche. Ces trois hommes étant entrés dans le cachot, entourèrent Hun alors

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couché, approchèrent de lui le flambeau et reconnurent qu'il dormait. “ H Mettez la main sur le voleur, » dit le chancelier, et aussitôt Charles Joseph et le sonneur se jetèrent sur le prisonnier.

Hun, réveillé en sursaut, comprit ce que signifiait cette scène nocturne ; il résista d'abord aux assassins, mais bientôt frappé, étourdi, étranglé, il ne fut plus qu'un cadavre. Alors Charles-Joseph mit la ceinture du mort autour de son cou, le sonneur l'aida à le soulever, le chancelier épiscopal passa cette ceinture dans un anneau de fer fixé dans la muraille ; puis les trois meurtriers ayant mis le bonnet du marchand sur sa tête, quittèrent en hâte le cachot*. [3]

Bientôt Charles-Joseph, l'àrae bouleversée, les trails hagards, monta précipitamment à cheval et s'éloigna de Londres ; le sonneur quitta aussi la cathédrale et se cacha dans la cité ; le crime dispersait les criminels. Le chancelier seul tint bon, et il était à l'église, quand on vint lui dire qu'un porte-clefs avait trouvé Hun pendu : “ H Richard, dit l'hypocrite, s'est tué de désespoir. » Mais chacun connaissait les sentiments chrétiens de cet homme. “ H Ce sont les prêtres qui l'ont assassiné ! » S’écria-t-on dans Londres, et une enquête fut ordonnée.

Le mardi 5 décembre, William Barnwell, coroner de Londres, les deux shérifs de la cité et vingt-quatre jurés, tous assermentés [4], se rendirent à la tour des Lollards. Ils remarquèrent que la ceinture était tellement courte, que la tête ne pouvait en sortir, et que, par conséquent, elle n'avait pu y entrer, d'où ils conclurent que la suspension avait été opérée après coup, par des mains étrangères. De plus, ils trouvèrent que l'anneau était trop élevé pour que le malheureux eût pu l'atteindre ; enfin que le corps portait des marques de violence, et que des traces de sang se voyaient dans le cachot : “ H C'est pourquoi, dirent le coroner, les shérifs et les jurés dans leur verdict, nous jugeons devant Dieu et en notre con science que Richard Hun a été assassiné, et nous l'acquittons de toute inculpation quant à sa mort. »

Le fait n'était que trop véritable, les coupables eux-mêmes l'avouaient. Le malheureux Charles-Joseph étant rentré chez lui le soir du 6 décembre, dit à Julienne, sa servante : % Si tu me jures d'être discrète, je te dirai tout. Oui, maître, dit-elle, si ce n'est ni félonie ni trahison. » Charles prit un livre, fit jurer cette fille, et lui dit : “ H J'ai «tué Richard Hun! Hélas! Maître, pouf quoi l'avezvous fait? Il passait pour un honnête homme. Je donnerais cent livres pour flë l'avoir pas fait ! répondit Joseph ; mais ce qui est fait est fait. » Puis il s'enfuit.

Le clergé comprit le coup que devait lui porter cette affaire. Pour se justifier, il prit la grosse Bible de Hun, et ayant lu dans le prologue que “ H beau coup de pauvres et de simples possèdent la vérité des Écritures mieux que mille moines, docteurs ou prélats; » de plus, que “ H le pape doit être appelé un Antéchrist, » l'évêque de Londres, assisté des évêques de Durham et de Lincoln, condamna Hun comme hérétique ; et le 20 décembre on brûla son corps sur la place de Smithfield. “ H Les

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os de Hun ont été brûlés, donc il était un hérétique, disaient les prêtres; il était un hérétique, donc il s'est pendu. »

Le triomphe du clergé fut de courte durée. En effet, presque en même temps la justice déclarait coupables de meurtre William Horsey, chancelier épiscopal, Charles-Joseph et le sonneur Jean Spal ding; la chambre des communes rétablissait les enfants de Hun dans leur honneur et dans leurs biens; la chambre des pairs approuvait ce bill, et le roi lui-même disait aux prêtres : “ H Restituez aux enfants de ce malheureux l'héritage de leur père, que vous avez cruellement assassiné, à notre juste et grande horreur [5] ! » “ H Ah! disait-on dans Londres, si la théocratie cléricale parvenait à dominer l'État, elle serait non-seulement le plus grand mensonge, mais encore la plus affreuse a tyrannie ! » Dès lors l'Angleterre n'a pas rétro gradé, et une domination théocratique a toujours inspiré à la partie saine de son peuple une vive et insurmontable antipathie. Voilà ce qui se passait en Angleterre peu avant la Réformation, et ce n'était pas tout.

Le clergé n'avait pas été heureux dans cette affaire, ce qui ne l'empêcha pas d'en entreprendre une nouvelle.

Au printemps de 1517, dans l'année où Luther affichait ses thèses, un prêtre dont les manières annonçaient un clerc bouffi d'orgueil, et un simple chrétien d'Ashford, homme intelligent et pieux, Jean Brown, se trouvaient dans le bateau qui fai sait le service entre Londres et Gravesend. Les passagers, entraînés par le fleuve, arrêtaient leurs yeux sur les rives qui fuyaient derrière eux, quand le prêtre se tournant vers Brown, lui dit d'un ton hautain : “ H Tu es trop près de moi, retiretoi ! Sais-tu qui je suis?

Non, Monsieur, répondit Brown. Eh bien, apprends que je suis prêtre ! Vrai ment, Monsieur! Êtes-vous curé, vicaire, ou chapelain de quelque seigneur ? Nullement, «je suis prêtre d'âme, répondit fièrement l'ecclésiastique ; je chante la messe pour sauver les «âmes. Oui-da, continua Brown, un peu ironiquement, et pourriez-vous me dire où vous trouvez l'âme quand vous commencez la messe ? Je ne le puis, dit le prêtre. Et où vous la déposez quand la messe finit? Je ne «sais... Comment? Continua Brown en montrant quelque étonnement, vous ne savez ni où vous trouvez l'âme, ni où vous la mettez... et vous dites que vous la sauvez! Va -t'en, dit le prêtre en colère, tu es un hérétique, je saurai bien te trouver! »

Dès lors le prêtre et son voisin n'échangèrent plus une seule parole. Bientôt on arriva près de Gravesend, et la barque s'arrêta. A peine le prêtre fut-il à terre, qu'il courut vers deux gentilshommes de ses amis, Walter et William More, et tous trois étant montés à cheval se rendirent auprès de l'archevêque et dénoncèrent Brown. Pendant ce temps le bourgeois d'Ashford était arrivé chez lui; et trois jours après, tandis qu'Elisabeth, sa femme, relevée de couche et vêtue de ses habits de fête, allait à l'église rendre à Dieu ses actions de grâces, Brown assisté de sa fille Alice et

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de sa servante, avait préparé le repas qu'il est d'u sage en telle circonstance d'offrir à ses amis. On venait de se mettre à table, la joie brillait dans tous les yeux, quand la porte, assaillie et brusquement ouverte, laissa voir le baillif Chilton, homme farouche et cruel, qui, accompagné de plusieurs serviteurs de l'archevêque, se précipita sur l'honnête bourgeois: Ses hôtes se lèvent épouvantés; Elisabeth, Alice, poussent des cris déchirants; mais les officiers du primat, sans s'émouvoir, traînent Brown hors de la maison et le placent sur son cheval, en attachant ses deux pieds avec des cordes sous le ventre de la bête [6]. Il fait mal plaisanter avec un prêtre.La cavalcade s'éloigna rapidement, et Brown fui jeté dans une prison où on le laissa quarante jours.

Ce temps écoulé, l'archevêque de Cantorbéry et l'évêque de Rochester firent comparaître devant eux l'insolent qui regardait la messe d'un prêtre comme incapable de sauver les âmes. On le somma de rétracter ce “ H blasphème. » Mais Brown, qui, s'il ne croyait pas à la messe, croyait à l'Évangile, répondit : “ H Christ a été offert une fois pour ôter les péchés de plusieurs. C'est par cette oblation que nous sommes sauvés, et non par les redites des prêtres. '» Alors l'archevêque fit signe aux bourreaux; l'un d'eux ôta les bas et les souliers de ce pieux chrétien; un autre apporta des chars bons allumés ; et ces misérables, saisissant le martyr, placèrent ses pieds sur le brasier ardent*. [7] La loi anglaise défendait, il est vrai, que la torture fut infligée à un sujet de la couronne; mais les prêtres se croyaient au-dessus des lois. “ H Confessez l'efficace de la messe, criaient à Brown les deux évêques. Si je reniais mon Seigneur sur la terre, ré pondit-il, il me renierait devant son Père qui est au ciel. » La chair était brûlée jusqu'aux os et Brown restait inébranlable ; les évêques ordonnèrent donc qu'il fut livré au bras séculier pour être brûlé vif.

Le samedi avant la fête de la Pentecôte de l'an 1517, le martyr fut conduit à Ashford par les sergents de Cantorbéry, Le jour était sur son déclin quand il y arriva. Un certain nombre de curieux s'assemblèrent dans la rue, et parmi eux se trouva la jeune servante de Brown, qui, effrayée, courut à la maison [8], et tout en pleurs, dit à sa maîtresse : Je l'ai vu!... Il était enchaîné, et on le conduisait à la prison. » Elisabeth trouva son mari les pieds dans des ceps, les traits changés par la souffrance, et s'attendant à être brûlé vif le lendemain. Alors la pauvre femme s'assit et versa d'abondantes larmes à côté du prisonnier, qui, retenu par ses chaînes, ne pouvait même s'incliner vers elle. “ H Je ne puis à mettre mes pieds à terre, lui dit-il, car les évêques les ont fait brûler jusqu'aux os ; mais ils n'ont pu brûler ma langue et m'empêcher de confesser le Seigneur... O Elisabeth!... continue à l'aimer, car il est bon, et élève nos enfants dans c sa crainte. »

Le lendemain (c'était le jour de Pentecôte), le féroce baillif Chilton et ses gens conduisirent Brown au lieu du supplice et l'attachèrent au poteau. Elisabeth, Alice, ses autres enfants et ses amis, voulant recevoir son dernier soupir, entouraient ce

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chrétien en poussant des cris de douleur. Le feu ayant été mis au bûcher, Brown calme, recueilli, plein de confiance dans le sang du Sauveur, joignit les mains et prononça ce cantique, que Fox nous a conservé :

Jésus! Je me livre à ta grâce. [9]

Que ton sang mes fautes efface !

Que Satan, ce loup ravissant, M'épargne sa cruelle dent.

A tes saints pieds je veux m'étendre; Ton bras, Seigneur, me frappera, Mais de l'enfer, ta main si tendre

Mon âme à jamais sauvera

Le martyr se tut, et les flammes le consumèrent. Aussitôt les cris redoublèrent ; sa femme et sa fille semblaient près de perdre le sens; on leur mon trait la compassion la plus vive, et l'on se tournait vers les bourreaux avec un mouvement d'indignation. Le féroce Chilton s'en apercevant, s'écria : Allons, courage, jetons aussi dans les flammes les enfants de l'hérétique, pour empêcher qu'ils ne ressortent un jour des cendres de leur père*. [10] » Il se précipita vers Alice, et allait la saisir, quand la jeune fille effrayée, recula en poussant un cri. Elle se rappela toute sa vie cet affreux moment, et c'est elle qui nous en a conservé les détails. On arrêta la fureur de ce monstre. Voilà ce qui se passait en Angleterre peu avant la Réformation.

Les prêtres n'étaient pas encore satisfaits, car les lettrés restaient en Angleterre. Si l'on ne pouvait les brûler, il fallait au moins les bannir. On se mit à l'œuvre. Standish, évêque de Saint-Asaph, homme sincère à ce qu'il paraît, mais fanatique, poursuivait Érasme de sa haine. Un sarcasme du savant hollandais l'avait fort irrité. On disait souvent par voie d'abréviation Saint-Ass [11] au lieu de Saint Asaph. Or, comme Standish était un théologien assez ignorant, Érasme en plaisantant l'appelait quelquefois : Episcopus a Sancto-Asino. N'ayant pu se défaire de Colet, le disciple, Saint-Asaph se promit de triompher du maître.

Érasme comprit les intentions de l'évêque. Commencerait-il en Angleterre cette lutte avec la papauté, que Luther allait commencer en Allemagne ? Il n'y avait plus moyen de garder le juste milieu. Il fallait combattre ou s'en aller. Le Hollandais fut fidèle à sa nature, et l'on peut dire à sa tâche ; il s'en alla.

Érasme fut, de son temps, le chef du grand commerce des lettres. Grâce à ses liaisons et à sa correspondance qui embrassait toute l'Europe, il établit entre tous les pays de la renaissance un échange de pensées et de manuscrits. Explorateur de

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l'antiquité, critique éminent, satirique plein de sel, propagateur du bon goût, restaurateur de la littérature, une seule gloire lui manqua ; il ne fut pas un esprit créateur, une âme héroïque comme Luther. Il calculait habilement, il épiait le sourire des lèvres, il discernait le froncement des sourcils ; mais il n'avait pas cet abandon de soi-même, cet enthousiasme de la vérité, cette confiance inébranlable en Dieu, sans lesquels on ne peut rien de grand dans le monde et surtout rien dans l'Église. “ H Érasme avait beaucoup, mais il était peu, » dit un de ses biographes*. [12]

La Renaissance finit, celle de la Réformation commence. A l'époque du renouvellement des lettres succède celle de la régénération religieuse; aux jours de la critique et de la neutralité, ceux de l'action et du courage. Érasme alors n'a que quarante-neuf ans, mais il a fini sa course. De premier qu'il était, il va devenir second ; le moine de Wittenberg le détrône. En vain cherche-t-il à s'orienter; jeté dans un pays nouveau, il a perdu sa route. C'est un héros qu'il faut pour inaugurer le grand mouvement des temps modernes; Érasme n'est qu'un littérateur.

Attaqué par Saint-Asaph, le roi des lettres prit, en 1516, le parti de quitter la cour d'Angleterre, pour se réfugier dans une imprimerie. Mais avant de déposer le sceptre aux pieds du moine saxon, Érasme illustrera la fin de son règne par la plus éclatante de ses œuvres. Cette époque de 1516 et 1517, célèbre par les thèses de Luther, devrait l'être autant par un travail qui allait donner aux temps nouveaux leur caractère essentiel. Ce qui distingue la Réformation des réveils antérieurs, c'est l'union de la science avec la piété, une foi plus profonde, plus éclairée, établie sur la Parole de Dieu. Le peuple chrétien fut alors émancipé de la tutelle des écoles et des papes, et sa lettre d'affranchissement fut la Bible.

Le seizième siècle fit autre chose que les précédents ; il alla droit à la source (la sainte Écriture), la débarrassa des plantes qui l'obstruaient, sonda ses profondeurs, et fit jaillir de tous côtés ses abondantes eaux. L'âge réformateur étudia le Testa ment grec, que l'âge clérical avait presque ignoré :

Telle est sa plus grande gloire. Or, le premier explorateur de cette source divine fut Érasme. Attaqué par la hiérarchie, le héros des écoles s'éloigne des palais brillants d’Henri VIII. Il lui semble que cette ère nouvelle qu'il avait annoncée au monde est brusquement interrompue ; il ne peut plus rien par ses conversations pour la patrie des Tudors. Mais il emporte avec lui des feuilles précieuses, le fruit de ses labeurs : un livre qui fera plus qu'il ne le désire ! Il court à Bale ; il s'établit dans les ateliers de Frobénius [13]; il travaille, il fait travailler. L'Angle terre recevra bientôt le germe de la vie nouvelle, et la Réformation va commencer.

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FOOTNOTES

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[1] “ H To snare him in the trap of heresy. » (Fox, Acts, IV, p. 198.)

[2] “ H And also had his beads in prison with him. » (Fox, Ads, IV, p. Ml.)

[3] “ H And so ail we murdered him... and so Hun was hanged. » (Témoignage de Charles-Joseph. Fox, p. 192.)

[4] Voir leurs noms dans le document de l'enquête. (Fox, Acts, p. 196.)

[5] Verdict de l'enquête. (Fox, Acts, p. 191.)

[6] “ H His feet bound under his own horse. » (Fox, Acts, IVS p. 182.)

[7]“ H His bare foct were set upon hot burning coals. » ( The Lollards, p. 49.)

[8] “ H A young maid of his house coming by, saw her master, she ran home. » [The Lollards, p. 50.)

[9] “ H O Lord I yield me to thy grace. » (Fox, Acts, IV, p. 132.)

[10] * “ H Bade cast in Brown's children also, for they would spring of his ashes. » (Ibid.)

[11] Ass, en anglais âne. (Voir Erasmi Ep., p. 724.)

[12] Ad. Muller.178 1516 et 1517.

[13] “ H Frobenio3 ut nullius officinae plus debeant sacrarum studia litte rarum. » (Erasmi Ep., p. 330.)

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LIVRE XVIII. LA RENAISSANCE DE L'ÉGLISE

CHAPITRE I

Quatre puissances réformatrices. Laquelle réforma l'Angleterre_ Réforme papale? Réforme épiscopale? Réforme royale? Ce qu'il faut pour que la Réforme soit légitime. Part de la' puissance royale. Part de l'autorité épiscopale. La haute et la basse Église. Événements politiques. Le Nouveau Testament grec et latin. Pensées d'Érasme. Enthousiasme et colère. Vœu d'Érasme. Clameurs des piètres. Leur attaque à la cour. Étonnement d'Érasme. Ses travaux pour cette œuvre. Edouard Lee, son caractère. La tragédie de Lee. Conspiration.

Quatre puissances pouvaient accomplir au seizième siècle une réforme dans l'Église : la papauté, l'épiscopat, la royauté et la sainte Écriture. La Réformation en Angleterre a été essentielle ment l'œuvre de la sainte Écriture.

La Réformation qui émane de la Parole de Dieu est la seule vraie. La sainte Écriture, en rendant témoignage à l'incarnation, à la mort, à la résurrection du Fils de Dieu, crée dans l'homme par le Saint-Esprit une foi qui le justifie. Cette foi qui pro duit en lui une vie nouvelle, l'unit à Jésus-Christ, sans qu'il ait besoin d'une chaîne d'évêques ou d'un médiateur romain, qui l'en séparerait au lieu de l'en rapprocher. Cette Réformation par la Parole rétablit le christianisme spirituel que la religion extérieure et hiérarchique avait détruit, et de la régénération des individus résultent naturellement la régénération de l'Église.

La Réformation de l'Angleterre, plus peut-être que toutes celles du continent, fut opérée par la Parole de Dieu. Cette assertion paraîtra un paradoxe, mais ce paradoxe est une vérité. Ces grandes individualités que l'on trouve en Allemagne, en Suisse, en France, les Luther, les Zwingli, les Calvin, ne paraissent pas en Angleterre, mais la sainte Écriture y est abondamment répandue. Ce qui, à partir de 1517, et sur une échelle plus étendue à partir de 1526, produit la lumière dans les îles Britanniques, c'est la Parole, c'est la puissance invisible du Dieu invisible. C'est le caractère biblique qui distingue la religion de la race anglo-saxonne, appelée plus que toutes les autres à répandre dans le monde les oracles de Dieu.

La Réformation de l'Angleterre ne pouvait être papale. On ne peut espérer une réforme de ce qui doit être non-seulement réformé, mais aboli; et d'ailleurs, nul ne se détrône soi-même. On peut même dire que la papauté a toujours eu une affection toute particulière pour les conquêtes qu'elle avait faites dans la Grande-Bretagne, et qu'elles eussent été les dernières auxquelles elle eût renoncé. Une voix grave s'était écriée au milieu du quinzième siècle : Une réformation n'est ni au vouloir, ni au pouvoir des papes. [1] »

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La Réformation d'Angleterre ne fut pas épiscopale. La hiérarchie romaine ne sera jamais abolie par des évêques. Une assemblée épiscopale pourra peut-être, comme à Constance, destituer trois papes compétiteurs, mais ce sera pour sauver la papauté* Et si les évêques ne pouvaient abolir la papauté, ils pouvaient encore moins se réformer eux-mêmes ; la puissance épiscopale, hostile à la Parole de Dieu, et esclave de ses propres abus, était incapable de renouveler l'Église; elle fit, au contraire, tout ce qu'elle put pour empêcher sa renaissance. La Réformation d'Angleterre ne fut pas royale. Des Samuel, des David et des Josias ont pu quelque chose pour le relèvement de l'Église, quand Dieu se retournait vers elle ; mais un roi ne peut ôter une religion à son peuple et encore moins lui en donner une. L'assertion si souvent répétée : “ H C'est du monarque que la Réformation de l'Angleterre tire son origine, » est fausse. L'œuvre de Dieu, ici comme ailleurs, ne peut être mise en comparaison avec l'œuvre du roi; et si elle la surpassa infiniment quant à l'importance, elle la précéda, quant au temps, de beaucoup d'années. Le monarque faisait encore dans ses retranchements la plus vive opposition, que, sur toute la ligne d'opérations, Dieu avait déjà décidé la victoire.

Dira-t-on qu'une réforme opérée par un autre principe que les autorités établies dans l'Église et dans l'État eût été une révolution? Mais Dieu, le souverain légitime de l'Église, s'est-il donc interdit toute révolution dans un monde plongé dans le mal? Une révolution n'est pas une révolte. La chute du premier homme fut une grande révolution ; le rétablissement de l'homme par Jésus -Christ fut une contrerévolution. La déformation accomplie par la papauté tint de la chute; la réformation accomplie au seizième siècle dut donc tenir du rétablissement. Il y aura sans doute encore d'autres interventions de la Divinité qui seront des révolutions dans le même sens que la Réforme; quand Dieu créera de nouveaux cieux et une nouvelle terre, ne sera-ce pas par la plus éclatante des révolutions qu'il le fera pour non seulement la réformation par la Parole donne seule la vérité, procure seule l'unité, mais encore elle porte seule les caractères de la vraie légitimité; car ce n'est pas à des hommes, fussent-ils même des prêtres, qu'appartient l'Église ; elle n'avoue pour son souverain légitime que Dieu seul.

Cependant les éléments humains que nous avons énumérés, ne furent pas tous étrangers à l'œuvre qui s'accomplissait en Angleterre. Outre la Parole de Dieu, on y vit agir d'autres principes moins incisifs, moins primitifs, mais qui ont encore parmi ce peuple la sympathie d'hommes éminents. Et d'abord, l'intervention de la puissance royale était jusqu'à un certain point nécessaire. Puisque la suprématie romaine s'était imposée à l'Angleterre par plusieurs usages qui avaient force de loi, il fallait bien que le pouvoir temporel intervînt pour rompre des liens qu'il avait auparavant sanctionnés. Mais la royauté, en prenant pour elle une action négative et politique, devait laisser à l'Écriture l'action positive, dogmatique et créatrice.

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Outre la Réformation de par la Parole, il y en eut donc une autre en Angleterre de par le roi. La Parole de Dieu commença, la puissance royale suivit, et de puis lors ces deux forces marchèrent tantôt ensemble contre l'autorité des pontifes romains, tantôt se heurtèrent l'une contre l'autre, semblables à deux coursiers, en apparence attelés au même char, mais qui tout à coup se précipitent en des directions opposées. Enfin l'épiscopat, qui avait commencé par combattre la Réformation, fut, en dépit de ses convictions, contraint à l'accepter. Il resta opposé en majorité à l'ensemble de cette œuvre; mais on vit quelques-uns de ses membres, les meilleurs, pencher les uns du côté de la Réforme extérieure, dont l'essentiel était la séparation de la papauté, et les autres du côté de la Réforme intérieure, dont l'essentiel était l'union avec Jésus-Christ. Finalement l'épiscopat se posa pour son propre compte, et bientôt deux grands partis surnagèrent seuls en Angleterre: le parti scripturaire et le parti clérical.

Ces deux partis ont duré jusqu'à nos jours, et se distinguent encore à leurs couleurs dans le fleuve de l'Église, comme l'Arve sablonneuse et le Rhône limpide, après leur confluent. La suprématie royale, à laquelle, dès la fin du seizième siècle, se sont sous traits de nombreux chrétiens qui ont préféré les voies de l'indépendance, est dans l'Établissement même reconnue des deux côtés, sauf quelques exceptions; mais tandis que la haute Église est essentiellement hiérarchique, la basse Église est essentielle ment biblique. Dans l'une, l'Église est en haut et la Parole en bas ; dans l'autre, l'Église est en bas et la Parole en haut. Dans les premiers siècles du christianisme on retrouve ces deux principes, l'évangélisme et le hiérarchisme, mais avec une différence notable. Le hiérarchisme effaça alors presque entièrement l'évangélisme ; dans l'âge du protestantisme, au contraire, l'évangélisme continua à subsister à côté du hiérarchisme, et même il est demeuré, de droit si ce n'est toujours de fait, l'opinion seule légitime de l'Église.

Il y a en Angleterre, on le voit, une complication, des influences, des luttes, qui rendent l'œuvre plus difficile à décrire, mais par cela même plus digne de l'attention du philosophe et du chrétien. De grands événements venaient de se passer en Europe. François Ier avait traversé les Alpes, rem porté à Marignan une éclatante victoire, et conquis le nord de l'Italie. L'empereur Maximilien, effrayé, n'avait vu que Henri VIII capable de le sauver.

Je vous adopterai ; vous serez mon successeur dans l'empire, lui avait-il fait dire en mai 1516, votre armée envahira la France ; puis nous marcherons ensemble sur Rome, et le souverain pontife vous y couronnera roi des Romains. » Le roi de France, impatient d'opérer une diversion, s'était ligué avec le Danemark et l'Ecosse, et avait préparé une descente en Angleterre pour y établir sur le trône “ H Blanche Rose, » le prétendant Pole, héritier des droits de la maison d'York [2]. Henri VIII fit preuve de sagesse ; il déclina l'offre de Maximilien, et donna tous ses soins à la sûreté de

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son royaume ; mais tandis qu'il se refusait à porter ses armes en France et en Italie, une guerre d'un tout autre genre éclatait en Angleterre.

La grande œuvre du seizième siècle allait y commencer. Un volume, sorti des presses de Bâle, venait de passer la mer. Arrivé à Londres, à Cambridge, à Oxford, ce livre, fruit des veilles d'Érasme, était bientôt parvenu partout où il se trouvait des amis des lettres. C'était le Nouveau Testament de notre Seigneur Jésus -Christ, publié pour la première fois en grec, avec une nouvelle traduction latine ; événement plus important pour le monde que ne l'eût été l'apparition du prétendant en Angleterre, ou celle du chef des Tudors en Italie. Ce livre, dans lequel Dieu a déposé pour l'homme les semences de la vie, allait seul, sans patrons et sans interprètes, accomplir en Angleterre la plus étonnante révolution.

Érasme, en publiant ce travail à l'entrée pour ainsi dire des temps modernes, n'en prévoyait pas toute la portée. S'il l'eût prévue, il eût peut-être reculé d'effroi. Il voyait bien une grande œuvre à faire, mais il croyait que tous les hommes de bien l'accompliraient d'un commun accord. “ H Il faut, disait-il, qu'un temple spirituel s'élève dans la chrétienté désolée. Les puissants du monde Offriront pour ce sanctuaire du marbre, de l'ivoire et de l'or; moi, homme pauvre et petit, j'en apporte le fondement ; » et il avait posé devant le siècle le Nouveau Testament grec.

Puis, regardant avec dédain aux traditions des hommes : “ H Ce n'est pas des fondrières humaines, où croupissent des eaux fétides, qu'il faut tirer la doctrine du salut, avait-il dit ; c'est des veines pures et abondantes qui communiquent au cœur de Dieu. » Et quand quelques amis inquiets lui avaient parlé de la difficulté des temps : “ H Si le navire de l'Église, avait-il répondu, ne doit pas être englouti par la tempête, une seule ancre peut le sauver : c'est la Parole céleste, qui, sortie du sein du Père, vit, parle et agit encore dans les écrits évangéliques [3]. » Ces nobles paroles servaient d'introduction aux pages saintes qui allaient réformer l'Angleterre. Érasme, comme Caïphe, prophétisait sans le savoir.

Le Nouveau Testament grec et latin avait à peine paru, qu'il fut reçu, par toutes les âmes bien nées, avec un enthousiasme inouï. Jamais livre n'avait produit une pareille sensation. Il était dans toutes les mains ; on se l'arrachait, on le lisait avidement, on le baisait même s ; les paroles qu'il contenait illuminaient les cœurs. Bientôt la réaction s'opéra. Le catholicisme traditionnel poussa un cri du fond de ses marécages (pour employer la figure d'Érasme). Franciscains, dominicains, prêtres, évêques, n'osant s'attaquer aux esprits généreux, se jetèrent au mi lieu d'une populace ignorante, et s'efforcèrent de soulever par leurs contes et leurs clameurs des femmes impressionnables et des hommes crédules.

Voici venir d'horribles hérésies, s’écriaient-ils, voici d'affreux Antéchrists ! Ce livre, si on le tolérait, serait la mort de la papauté! » “ H Il faut chasser cet homme de l'école, » disait l'un. A il faut le chasser de l'Église, » ajoutait un autre. Les

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places publiques retentissaient de leurs aboiements, » dit Érasme [4]. Déjà les brandons jetés par leurs mains vigoureuses portaient de tous côtés l'incendie; et le feu allumé dans quelques couvents obscurs menaçait d'envahir toute l'Angleterre. Cette colère n'était pas sans raison.

Ce livre, il est vrai, ne contenait que du latin et du grec ; mais ce premier pas en annonçait un autre, la traduction de la Bible en langue vulgaire. Érasme la demandait hautement [5]. «Peut-être, disait- il, faut-il ca cher les secrets des rois, mais il faut publier les mystères de Christ. Les saints Écrits, traduits dans toutes les langues, doivent être lus non-seulement des Écossais et des Irlandais, mais des Turcs et des Sarrasins même. Il faut que le laboureur les chante en tenant les cornes de sa charrue, que le tisserand les redise en faisant courir sa navette, et que le voyageur fatigué, suspendant sa course, se restaure au pied d'un arbre par ces doux récits ! »

Ces paroles annonçaient un âge d'or après l'âge de fer de la papauté. Une multitude de familles chrétiennes dans la Grande-Bretagne et sur le continent européen allaient bientôt réaliser ces présages évangéliques, et l'Angleterre devait, après trois siècles, s'efforcer de les accomplir pour toutes les nations de la terre.

Les prêtres comprirent le danger, et par une manœuvre habile, au lieu de s'en prendre au Testament grec, ils attaquèrent la traduction et Érasme lui-même. “ H Il corrige la Vulgate, disaient-ils. Il se met à la place de saint Jérôme. Il abolit une œuvre confirmée par le consentement des siècles et inspirée par l'Esprit-Saint. Quelle audace !... » Puis, feuilletant le Nouveau Testament, ils en signalaient quelques passages. “ H Voyez ! disaient-ils, ce livre demande aux hommes de se convenir, au lieu de leur demander, comme la Vulgate, de faire pénitence!... » (Matth. IV, 17.) Partout on tonnait du haut de la chaire [6]. “ H Cet homme, disaiton, a commis le péché irrémissible, car il prétend qu'il n'y a rien de commun entre le Saint-Esprit et les moines ; qu'ils sont des bûches plutôt que des hommes ! » Un rire général accueillait ces naïves paroles. Mais les prêtres, sans se déconcerter, criaient encore plus fort : “ H C'est un hérétique, c'est un hérésiarque, c'est un faussaire! c'est une grue*[7]..., que dis-je, c'est l'antéchrist!... »

Il ne suffisait pas aux milices de la papauté de faire la guerre dans la plaine, il fallait la porter sur les hauteurs. Le roi n'était-il pas ami d'Érasme ? S'il allait se déclarer le patron du Testament grec et latin en Angleterre, quelle calamité!... Après avoir remué les cloîtres, les villes, les universités, on résolut de protester courageusement, jusqu'en présence d’Henri VIII. “ H Si on le gagne, pensait-on, tout est gagné ! » Un jour donc, à l'office de la cour, un certain théologien (il ne nous est pas nommé), se déchaîna contre le Grec et ses nouveaux interprètes. Pace, secrétaire du roi, qui l'observait, le vit sourire [8]. Au sortir de l'église, chacun se récria a que l'on fasse venir ce prêtre, dit Henri. Puis se tournant vers More : “ H

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Vous défendrez contre lui la cause du Grec, et j'assisterai à la dispute. » La cour littéraire se forma, mais l'ordre du roi avait enlevé au prêtre son courage ; il s'avança en tremblant, fléchit les genoux, joignit les mains, et s'écria : Je ne sais quel esprit m'a poussé ! Un esprit de démence, dit le roi, et non l'esprit de Jésus Christ [9]. » Puis il ajouta : “ H Avez- vous jamais lu Érasme ? Non, sire ! Allez donc, vous n'êtes qu'un sot. J'ai bien lu, reprit-il, tout honteux, quelque chose de Moria (le livre d'Érasme sur la Folie). Sire, dit Pace, malignement, c'est là, en effet, un sujet qui doit lui être très familier. » Le prêtre ne savait que dire pour se justifier. “ H Je ne suis pas ennemi du grec, dit-il enfin, parce qu'il vient de l'hébreu*. [10]» Chacun se mit à rire. “ H Sortez, dit le roi impatienté, et ne revenez pas. »

Érasme était étonné de ces débats. Il avait cru bien choisir son moment. “ H Les temps sont à la paix, s'était-il dit; voici l'heure de glisser dans le monde savant mon Testament grec [11] ! » Mais le soleil ne pouvait se lever sur la terre, sans que personne s'en aperçût. À cette heure même, Dieu suscitait à Wittembergun moine qui allait emboucher la trompette, et annoncer le jour nouveau. “ H Malheureux! s'écria le timide littérateur en se frappant la poitrine, qui eût pu prévoir cette affreuse tempête [12] ? » Rien n'était plus important à l'aurore de la Réformation, que la publication du Testament de Jésus Christ dans la langue originale. Jamais Érasme n'avait mis tant de soin à un travail. “ H Si je disais mes sueurs, personne ne me croirait*.[13] » Il s'était entouré de plusieurs manuscrits grecs du Nouveau Testament [14], de tous les commentaires, de toutes les traductions, des écrits d'Origène, de Cyprien, d'Ambroise, de Basile, de Chrysostome, de Cyrille, de Jérôme et d'Augustin. “ H Hic sum in campo meol » s'était-il écrié quand il s'était vu au milieu de tous ces volumes. Il avait examiné les textes d'après les principes de la critique sacrée.

Quand l'intelligence de l'hébreu était nécessaire, il avait consulté Capiton et surtout OEcolampade. Rien sans Thésée, disait-il de ce dernier, en se servant d'un proverbe grec. Il avait corrigé les amphibologies, les obscurités, les hébraïsmes, les barbarismes de la Vulgate ; il avait fait imprimer un catalogue des fautes de cette version. Il faut absolument restaurer le texte pur de la Parole de Dieu, » avait-il dit; et en entendant les malédictions des prêtres, il s'était écrié : “ H J'en prends Dieu à témoin, j'ai cru faire une œuvre nécessaire à la cause de Jésus-Christ*. [15]» Il ne s'é tait pas trompé.

A la tête de ses adversaires, se trouvait Edouard Lee, d'abord aumônier du roi, puis archidiacre de Colchester, plus tard archevêque d'York. Lee, alors peu connu, était un homme plein de talent, d'activité, mais aussi de vanité, de loquacité, et décidé à faire à tout prix son chemin. Déjà quand il était à l'école, il ne traitait personne d'égal à égal [16]. Enfant, adolescent, jeune homme, homme fait, il fut toujours le même, selon Érasme [17], c'est-à-dire vain, envieux, jaloux, glorieux, colère, enclin à

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la vengeance. Il faut dire pourtant qu'Érasme, quand il s'agit d'apprécier ses adversaires, n'est pas un juge fort impartial. Il y a toujours eu dans le catholicisme romain des esprits peu éclairés, mais honnêtes, qui ne con naissant pas la vertu intime de la Parole de Dieu, ont cru que si l'on substituait son autorité à celle de l'Église romaine, on sacrifiait la seule base de la vérité et de la société.

Cependant, tout en jugeant Le moins sévèrement qu'Érasme, on ne peut fermer les yeux sur ses défauts. Il avait enrichi sa mémoire, mais son cœur était demeuré étranger à la vérité sainte; c'était un scolastique, et non un croyant; il voulait que les fidèles obéissent à l'Église sans s'inquiéter des saintes Écritures. C'était le docteur Eck de l'Angleterre, mais avec plus de formes et de moralité que l'adversaire de Luther. Il n'était pas cependant un rigoriste outré. Un jour, prêchant au palais, il récita au milieu de son dis cours des ballades, dont l'une commençait ainsi :

Passer son temps en gaie compagnie. » Et l'autre :Je t'aime sans être payé de retour. » C'est Pace, secrétaire du roi, qui raconte ce trait caractéristique. [18]

Pendant le séjour d'Érasme dans la Grande-Bretagne, Lee, voyant son influence, s'était déclarée son ami, et Érasme, plein de courtoisie, lui avait demandé ses conseils sur son travail. Mais Lee, offusqué de cette grande gloire, n'attendait que l'occasion de la ternir. Elle se présenta, et il la saisit. A peine le Nouveau Testament avait-il paru, qu'Édouard se retourna brusquement, et d'ami d'Érasme devint son implacable adversaire *.[19] “ H Si l'on ne bouche cette voie d'eau, s'écria-t-il en voyant paraître le Nouveau Testament, elle fera périr le navire. » Rien n'épouvante les partisans des traditions humaines, comme la Parole de Dieu.

Aussitôt Lee forma une ligue avec tous ceux qui, en Angleterre, avaient horreur de l'étude des saintes lettres, dit Érasme. Quoique plein de lui-même, il savait, pour accomplir ses desseins, se montrer le plus aimable des hommes; il invitait chez lui les Anglais, il accueillait les étrangers, et gagnait de nombreuses recrues par ses bons repas' [20]. Assis à table avec ses commensaux, il insinuait de perfides accusations contre Érasme ; et ses hôtes le quittaient “ H chargés de mensonges. [21]» “ H Dans ce Nouveau Testament, disait-il, il y a trois cents passages dangereux, effroyables que dis-je, trois cents plus de mille ! » Non content de travailler de la langue, Lee écrivait des milliers de lettres, et employait plusieurs secrétaires. Y avait-il quelque couvent en odeur de sainteté, il y envoyait aussitôt du vin, des viandes choisies et d'autres présents. Il assignait à chacun son rôle, et dans toute l'Angleterre se répétaient les scènes qu'Erasme appelait “ H la tragédie de Lee*. [22]» On préparait ainsi la catastrophe : une prison pour Érasme, et pour l'Écriture un bûcher.

Alors Lee lança son manifeste. Quoique faible dans le grec, il rédigea sur le livre d'Érasme des annotations que celui-ci appela “ H des moqueries et des blasphèmes,

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» mais que les membres de la ligue regardèrent comme des oracles, lis se les passaient en secret de main en main, et ces feuilles obscures parvenaient, par des moyens détournés, dans toutes les provinces, et trouvaient line foule de lecteurs [23]*. Mais point de publicité ! C'était le mot d'ordre; Leé èri avait trop petit, Pourquoi, lui écrivait ironiquement Érasme, n*avez-vous pas publié votre ouvrage [24]? Qui sait si le saint père, vous nommant Aristarque des lettres, ne vous eût pas remis une verge pour morigéner le monde universel [25]? » Les annotations ayant triomphé dans les couvents, la conspiration prit un nouvel essor. Partout, sur les places publiques, dans les festins, dans les conciliabules, les pharmacies, les voitures, les échoppes de barbier, les mauvais lieux, au prône, à l'université, pendant les disputes des écoles et les conférences secrètes, dans les librairies, les cabanes, les palais, on déblatérait contre le savant Hollandais et contre le Testament grec [26]. Carmes, dominicains, sophistes, invoquaient le ciel et conjuraient l'enfer. Qu'avait-on besoin des saintes Écritures ? N'avait-on pas la succession du clergé? Nulle descente en Angleterre ne pouvait, à leurs yeux, être plus fatale que celle du Nouveau Testament. Il fallait que le peuple tout entier se mette sur pied pour repousser cette invasion audacieuse. Il n'est peut-être pas de pays, en Europe, où la Réformation ait été accueillie par un orage aussi inattendu.

FOOTNOTES

[1] Jacques de Iûterbock, prieur des Chartreux, De septem Ecclesia statibus opusculwn.

[2] “ H A private combination, etc. » (Strype, Memorials, I, part, n, p. 16.)

[3] “ H In evangelicis litteris, sermo ille cœlestis, quondam a corde Pa tris ad nos profectus... » (Erasmus Leoni, Ep., p. 1843.)

[4] “ H Opus avidissime rapitur... amatur, raanibus teritur. » (Erasmi Ep., p. 557.) • “ H Oblatrabant Sycophantœ. » (Ibid., p. 329.)

[5] “ H Paraclesis ad lectorem pium. »

[6] “ H Quam stolide debacchati sunt quidam e suggestis ad populum. » (Erasmi Ep., p. 1193.)

[7] “ H Nos clamitans esse grues et bestias. » (Ibid., p. 914.)

[8] “ H Pacaeus in Regem conjecit oculos... Is mox Pacœo suaviter ar risit. » (Ibid.)

[9] “ H Tum Rex : ut qui inquit, spiritus iste non erat Christi sed stul titiae. » (Erasmi Ep., p. 914.)

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[10] “ H Gratis, inquit, litteris non perinde sum infensus, quod originem habeant ex lingua haebraica. » (Ibid., p. 347.)

[11] “ H Erant tempora tranquilla. » (Ibid., p. 911.)

[12] “ H Quis enim suspicaturus erat hanc fatalem tempestatem exoritu ram in orbe? » (Erasmi Ep., p. 911.)

[13] “ H Quantis mini constiterit sudoribus. » (Ibid., p. 329.)

[14] “ H Collatis multis Graecorum exemplaribus. » (Ibid.)

[15] “ H Denm testor3 simpliciter existimabam me rem facere Deo gratam ac rei Christian» necessariam. » (Ibid., p. 911.)

[16] “ H Solus haberi in pretio volebat. » (Erasmi Ep., p. 593.)

[17] “ H Talis erat puer, talis auolescens, talis juvenis, talis nunc etiam vir est. » (Ibid., p. 594.)

[18] State pap., I, p. 10.

[19] “ H Subito factus est inimicus. » (Erasmi Ep., p. 746.)

[20] “ H Excipiebat advenas, prœsertim Anglos, eos conviviis faciebat suos. (Ibid., p. 593.)

[21] “ H Abeuntes omni mendaciorum genere dimittebat onustos. » (Erasmi Ep., p. B93.)

[22] “ H Donec Leus ordiretur suam tragœdiam. » (Ibid., p. 913.)

[23] K. Simon» Hist. crit. du N. Testament, p. 246.

[24] “ H Liber volitat inter manus conjuratorum. » (Erasmi Ep., p. 746.)

[25] “ H Tibi tradita virgula, totius orbis censuram fuerit mandaturus. » (Erasmi Ep., p. 742.)

[26] “ H Ut nusquam non blaterent in Erasmum, in compotationibus, in foris, in conciliabulis, in pharmacopoliis, in curribusj in tonstrinis, in fornicibus... » (Ibid., p. 746.)

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CHAPITRE II

Effets du Nouveau Testament dans les universités. Conversations. Un fellow de Cambridge. Bilney achète le Nouveau Testament. Le premier passage. Sa conversion. Le protestantisme issu de l'Évangile. La vallée de la Severn.

Un fils des Roses rouges à Oxford. Tyndale étudie les Écritures. Les trames commencent. Fryth. Enseignement de l'helléniste, du canoniste et du mathématicien. La conversion est-elle possible? La vraie consécration. La Réformation a commencé.

Tandis que ce vent impétueux passait sur l'Angleterre et sifflait dans les longs corridors des couvents, le doux son de la Parole pénétrait dans les demeures paisibles des hommes de prière et sous les voûtes antiques de Cambridge et d'Oxford. Dans les chambres, dans les salles d'étude et dans les réfectoires, on rencontrait des étudiants, et même des maîtres, lisant le Testament grec et latin. Des groupes animés discutaient le principe de la Réformation. Christ, en venant sur la terre, disaient quelques-uns, a donné la Parole, et en montant au ciel, il a donné l'Esprit. Ce sont ces deux forces qui ont créé l'Eglise, et ce sont elles qui doivent la régénérer. Non, répondaient les partisans de Rome, ce fut l'enseignement des apôtres au commencement, et c'est l'enseignement des prêtres maintenant.

Les apôtres! répliquaient les amis du Testa ment d'Érasme, oui, il est vrai, les apôtres ont été, pendant leur ministère, des Écritures vivantes; mais leurs enseignements oraux se seraient infailliblement altérés en passant de bouche en bouche. Dieu a donc voulu que ces précieuses leçons nous fussent conservées dans leurs écrits, et devinssent ainsi la source toujours pure de la vérité et du sa lut. Mettre en avant les Écritures, comme font vos prétendus réformateurs, reprenaient les scolastiques de Cambridge et d'Oxford, c'est répandre partout l'hérésie ! Et que font les réformateurs, répliquaient les amis du Testament grec, si ce n'est ce que Jésus a fait ?

La parole des prophètes n'existait du temps de Jésus que comme Écriture, et ce fut à cette Parole écrite que le Seigneur en appela quand il voulut fonder son royaume [1]. De même, maintenant, la Parole des apôtres n'existe que comme Écriture, et c'est à cette Parole écrite que nous en appelons pour rétablir en son état primitif le règne du Seigneur. La nuit est passée, le jour s'approche; tout commence à se mouvoir, dans les hautes salles des collèges, dans les palais des grands et dans les humbles demeures du peuple. Devrait-on, pour dissiper les ténèbres, allumer la mèche desséchée de quelque lampe vieillie ! Ne faut-il pas plutôt ouvrir les portes, les volets, et faire entrer de toutes parts dans la maison la grande lumière que Dieu a placée dans le ciel?

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Il y avait dans le collège de la Trinité, à Cam bridge, un jeune docteur fort adonné à l'étude du droit canon, d'une âme sérieuse, d'un naturel timide, et dont la conscience délicate s'efforçait, mais inutilement, d'accomplir les commandements de Dieu. Inquiet de son salut, Thomas Bilney s'a dressa aux prêtres, qu'il regardait comme les médecins de l'âme. A genoux sur le prie-dieu du confessionnal, la tête penchée vers l'oreille du confesseur [2], le regard humble et le visage défait, il lui disait tous ses péchés et même ceux dont il doutait, Le prêtre lui prescrivait tantôt des jeûnes, tantôt des veilles prolongées, tantôt des messes qui coûtaient cher, des indulgences enfin *[3] ; le pauvre fellow accomplissait ces pratiques avec une grande dévotion, mais n'y trouvait aucun soulagement. Petit et faible, il maigrissait à vue d'œil [4]; son intelligence s'alanguissait, son imagination s'éteignait, et sa bourse s'aplatissait. “ H Hélas ! disait-il avec angoisse, ma dernière condition est pire que la première !» De temps en temps une idée traversait son esprit : “ H Les prêtres, pensait-il, ne chercheraient-ils pas leur intérêt particulier, et non le salut de mon âme*[5]? » Mais rejetant aussi tôt ce doute téméraire, il retombait sous la main de fer du clergé.

Un jour, Bilney entendit parler d'un livre nouveau; c'était le Testament grec, imprimé avec une traduction latine, dont on vantait fort l'élégance [6]. Attiré par la beauté du latin plus que par la divinité de la Parole [7], il avança la main, mais au moment où il allait prendre le livre, la crainte le saisit et il la retira précipitamment. En effet, les confesseurs défendaient sévèrement les livres hébreux et grecs, sources de toutes les hérésies, » et le Testament d'Érasme était surtout interdit. Bilney cependant regrettait un si grand sacrifice; n'était-ce pas le Testament de Jésus-Christ? Dieu n'y aurait-il pas mis une parole qui peut-être guérirait son âme? Il avançait, il reculait... A la fin il prit courage. Poussé, dit-il, par la main de Dieu, il sortit du collège, se glissa en un lieu où l'on vendait en secret le volume grec, l'acheta en tremblant, et courut s'enfermer dans sa chambre [8] .

Il l'ouvre, et ses regards s'arrêtent sur ces paroles : Certus sermo, et dignus quem modis omnibus amplectamur, quod Christus Jésus venit in mundum, ut peccatores salvos faceret, quorum primus ego sum*[9]. Il pose le livre; il pense à cette étonnante déclaration. “ H Quoi ! dit-il, Paul le premier des pécheurs, et Paul est pourtant certain d'être sauvé ! . . . » Il lit et relit. “ H O sentence de Paul, que tu es douce à mon âme! » S’écria-t-il *[10]. Cette déclaration le suit partout, et Dieu l'instruit ainsi dans le secret de son cœur*[11]. Il ne sait ce qui lui arrive [12] ; il lui semble comme si un vent rafraîchissant soufflait sur son âme, ou comme si un riche trésor était mis dans sa main ; le Saint-Esprit prend ce qui est à Christ et le lui annonce!... “ H Moi aussi, s'écrie-t-il tout ému, je suis comme Paul, plus que Paul, le plus grand des pécheurs!... Mais Christ sauve le pécheur. Enfin j'ai entendu parler de Jésus [13]!... »

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Il n'a plus de doute; il est sauvé... Alors s'o père en lui une admirable transformation ; une joie inconnue l'inonde [14] ; sa conscience, jusqu'alors meurtrie des blessures du péché, se guérit [15] ; au lieu du désespoir, il éprouve une paix intérieure qui sur passe toute intelligence* [16]. “ H Jésus-Christ, s'écrie-t-il, oui, Jésus-Christ sauve!... » Voilà le caractère de la Réformation ; c'est Jésus-Christ qui sauve et non l'Église. “ H Je le vois, disait Bilney, mes veilles, mes jeûnes, mes pèlerinages, mes achats de messes et d'indulgences me perdaient, au lieu de me sauver'. [17] Tous ces efforts n'étaient, comme dit saint Augustin, qu'une marche précipitée vers l'abîme* [18]... »

Bilney ne pouvait se lasser de lire et relire le Nouveau Testament. Ce n'était plus aux leçons des scolastiques qu'il prêtait l'oreille ; il entendait Jésus à Capernaiim, Pierre dans le temple, Paul à l'Aréopage, et sentait en lui-même que Christ a les paroles de la vie éternelle. Un témoin de Jésus-Christ venait de naître par la même vertu qui avait transformé Paul, Apollos ou Timothée. La Réformation de l'Angleterre commençait. Bilney relevait du Fils de Dieu, non par une lointaine succession, mais par une immédiate génération. Laissant aux disciples du pape cette chaîne embrouillée d'une succession imaginaire, dont il est impossible de démêler les anneaux, il se rattachait sans intermédiaire à Jésus Christ. C'est la parole du premier siècle qui a enfanté le seizième. Le protestantisme ne descend pas de l'Évangile à la cinquantième génération comme l'Église romaine du Concile de Trente, ou à la soixantième comme quelques docteurs modernes ; il en est le fils direct, légitime, il est le fils du Maître. Ce n'était pas en un seul lieu que Dieu agissait alors. Les premiers rayons du soleil d'en haut do raient à la fois de leurs feux les gothiques collèges d'Oxford et les vieilles écoles de Cambridge.

Sur les bords de la Severn, qui descend des montagnes de Galles, s'étend une vallée pittoresque, bordée par la forêt de Dean et parsemée de villages, de clochers, et de vieux châteaux. Elle était au seizième siècle particulièrement chérie des prêtres et des moines, et quand on jurait dans les couvents, on disait : “ H Aussi certain que Dieu est dans le Glo cestershire! » Les oiseaux de proie de la papauté s'y étaient abattus. Pendant cinquante ans, de 1484 à i534, quatre évêques italiens, placés successive ment à la tête de ce diocèse, le livrèrent aux papes, aux moines et à l'immoralité. Les voleurs surtout y étaient les objets des tendres faveurs de la hiérarchie. Jean de Lilius, collecteur de la chambre apostolique, avait reçu du souverain pontife le pouvoir de pardonner les meurtres et les larcins, à condition que le coupable partage son gain avec le commissaire pontifical [19].

Dans cette vallée, au pied du sommet occidental du Stinchcomb-Hill, au sud-ouest de Glocester, ha bitait pendant la seconde moitié du quinzième siècle, une famille qui s'y était réfugiée durant les guerres d'York et de Lancaster, et y avait pris le nom de Hutchins. Sous Henri VII, son parti ayant le dessus, elle reprit son nom de Tyndale, porté jadis par d'anciens barons [20]. En 1484, environ un an après la

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naissance de Luther, presque au moment où Zwingli venait au monde dans les montagnes du Tockenbourg, naquit à ces partisans de la rose rouge, dans le village de North- Nibley, un fils, qui fut nommé William. Ce fut dans les campagnes que do mine le château de Berkeley, sur les grandes eaux de la Severn et au milieu des moines et des collecteurs pontificaux, que s'ébattit l'enfance de William. Envoyé de bonne heure par son père à l'université d'Oxford' [21], il y apprit la grammaire, et la philosophie dans l'école de Sainte -Marie -Madeleine, qui touchait au collège de ce nom. Il fit de rapides pro grès, spécialement dans les langues, sous les premiers érudits de l'Angleterre, Grocyn, W. Lati mer et Linacer, et prit ses grades universitaires [22]. Un maître plus excellent que ces docteurs, le Saint Esprit parlant dans la sainte Écriture, allait bientôt lui apprendre une science qu'il n'est pas au pouvoir de l'homme de donner.

Oxford, où Érasme avait tant d'amis, fut la ville de l'Angleterre où son Nouveau Testament trouva le meilleur accueil. Le jeune étudiant du Glocester shire, intérieurement poussé vers l'étude des saintes lettres, lut le livre célèbre qui attirait alors l'attention de la chrétienté. Il n'y vit d'abord qu'un écrit savant, ou tout au plus un manuel de piété, dont les beautés n'étaient propres qu'à exalter le sentiment religieux ; mais bientôt il y trouva davantage. Plus il le lisait, plus la vérité et l'énergie de cette Parole le frappaient. Ce livre étrange lui par lait de Dieu, du Christ, de la régénération, avec une simplicité et une autorité qui le subjuguaient; William a trouvé un maître qu'il n'avait pas cherché à Oxford, Dieu lui-même. Les pages qu'il tient dans ses mains, ce sont les révélations divines, si longtemps égarées. Doué d'une âme noble, d'un esprit hardi, d'une infatigable activité, il ne garda pas pour lui ce trésor. Il poussa ce cri qui convient au chrétien, mieux encore qu'à Archimède : J'ai trouvé! Aussitôt plusieurs jeunes gens de l'université, attirés par la pureté de sa vie et par le charme de sa conversation [23], l'entourèrent et lurent avec lui l'Évangile grec et latin d'Érasme [24]. “ H Un certain jeune homme fort instruit, » dit Érasme dans une lettre où il parle de la publication de son Nouveau Testa ment, “ H se mit à professer avec succès les lettres grecques a Oxford [25]. » C'est probablement de Tyndale qu'il s'agit.

Les moines prirent l'éveil. “ H Un barbare, dit encore Érasme, monta en chaire et vomit contre a le grec de véhémentes injures. » “ H Ces gens, dit Tyndale, voulaient éteindre la lumière qui dévoilait leur charlatanisme, et il y a plus de douze ans que leurs trames ont commencé [26]. » Cette parole est de 1531, ce qui reporte le fait à 1517. L'Allemagne et l'Angleterre commençaient donc en même temps la lutte, et peut-être Oxford avant Wittemberg. Tyndale se rappelant ce précepte : Quand ils vous persécuteront dans une ville, fuyez c dans une autre, » quitta Oxford et se rendit à Cambridge. Il faut que les esprits que Dieu a amenés à sa connaissance se rencontrent et s'éclairent mutuellement. Des charbons isolés s'éteignent, mais rapprochés ils se rallument, et peuvent épurer l'or et l'argent. La

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hiérarchie romaine se chargeait de réunir les feux épars de la Réformation. Bilney n'était pas inactif à Cambridge. A peine la sublime leçon de Jésus-Christ » l'avaitelle rempli de joie, que tombant à genoux il s'était écrié : “ H O toi qui es la vérité, donne-moi pour l'enseigner a une grande puissance, et convertis les impies par celui qui a lui-même été un impie*. [27] »

Après cette prière, un feu nouveau avait animé ses regards ; il avait rassemblé ses amis, et ouvrant au milieu d'eux le Testament d'Érasme, il avait mis le doigt sur les paroles qui avaient saisi son âme, et ces paroles en avaient saisi plusieurs. L'arrivée de Tyndale vint augmenter son courage, et la lumière grandit dans Cambridge.

Jean Frylh, âgé de dix-huit ans environ, fils d'un aubergiste de Sevenoaks, dans le comté de Kent, se distinguait au milieu des étudiants de King's College, par la promptitude de son intelligence et l'honnêteté de sa vie. Il était aussi savant dans les démonstrations mathématiques, que Tyndale dans les classiques, et Bilney dans le droit canon. Esprit exact, mais âme élevée, il reconnut dans la sainte Ecriture une science d'un genre nouveau. “ H Ces choses-là, dit-il, ne se démontrent pas comme les propositions d'Euclide ; l'étude suffit pour imprimer dans notre esprit les théorèmes mathématiques, mais cette science de Dieu trouve dans l'homme une résistance qui nécessité l'intervention d'une puissance divine. Le christianisme est une régénération. » La semence céleste germa promptement dans le cœur de Fryth [28].

Ces trois jeunes savants se mirent à l'œuvre avec enthousiasme. Ils déclaraient que l'absolution des prêtres, ou tel autre rite religieux, était incapable de donner la rémission des péchés, que l'assurance du pardon ne s'obtient que par la foi, mais que la foi purifie le cœur; puis ils adressaient à tous cette parole de Christ qui avait tant scandalisé les moines : Convertissez-vous !

Des idées si nouvelles produisirent une grande rumeur. Un fameux orateur s'efforça de montrer un jour à Cambridge qu'il était inutile de prêcher au pécheur la conversion. “ H O toi, dit-il, qui pendant soixante années as croupi dans les convoitises comme une brute sur son fumier [29], penses-tu pouvoir dans une année faire autant de pas vers le ciel que tu en as fait vers l'enfer ?» Bilney sortit indigner. “ H Est-ce là, s'écriait-il, prêcher la repentance au nom de Jésus? Ce prêtre ne nous dit-il pas : Christ ne veut pas te sauver [30] ? Hélas! Depuis tant de siècles que cette fatale doctrine est enseignée dans la chrétienté, pas un seul homme n'a osé ouvrir la bouche contre elle ! j> Plusieurs fellows de Cambridge se scandalisèrent de ces paroles de Bilney ; le prédicateur dont il condamnait l'enseignement, n'était-il pas dûment ordonné par les évêques? “ H A quoi servirait, répondit-il, d'avoir été cent fois consacré, fût-ce même par mille bulles du pape, si la vocation intérieure nous manque ? [31] En vain a-t-on reçu sur la tête le souffle des évêques, si l'on n'a jamais senti dans son cœur le souffle du Saint-Esprit.

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» Ainsi, dès l'origine de la Réformation, l'Angleterre, rejetant les superstitions romaines, discernait avec une extrême justesse ce qui fait l'essence de la consécration au service du Seigneur.

Après avoir prononcé ces belles paroles, le fellow de Cambridge, qui soupirait après une effusion de l'Esprit-Saint, s'enfermait dans sa chambre, tombait à genoux et demandait à Dieu de venir au secours de son Église. Puis, se relevant, il s'écriait, comme si un esprit prophétique l'eût animé : “ H Un temps, nouveau commence. L'assemblée chrétienne va être renouvelée... Quelqu'un vient à nous... je le vois, je l'entends, c'est Jésus-Christ [32]... Il est le roi, et c'est lui qui appellera les vrais ministres chargés d'évangéliser son peuple. »

Tyndale, plein de la même espérance que Bilney, quitta Cambridge dans le courant de 1519. La Réformation d'Angleterre commençait donc in dépendamment de celles de Luther et de Zwingli, ne relevant que de Dieu seul. Il y avait dans tous les pays de la chrétienté une action simultanée de la Parole divine. Le principe de la Réforme à Oxford, à Cambridge j à Londres, c'était le nouveau Testament grec, publié par Érasme. L'Angleterre devait un jour être glorieuse de cette origine de sa Réformation.

FOOTNOTES

[1] Matth., XXII, 29; XXVI, 24, 54; Marc, XIV, 49; Luc, XVIII, 31; XXIV, 27, 44, 45; Jean, V, 39, 46; X, 35; XVII, 12, etc.

[2] “ H In igrnaros medicos, indoctos confessioaum auditores. » (Th. Bil naeus Tonstallo episcopo. Fox, IV, p. 633.)

[3] “ H Indicebant enim mini jejunia, vigiiias, indufgentiarum et mis sartim fimptioncs. » [l/rid.)

[4] “ H Ut parum mihi virium (alioqui natura imbecilli) reliquum fue rit. » (Fox, IV, p. 633.)

[5] “ H Sua potius quaerebant, quam salutem animae meœ languentis. » [lbid.)

[6] “ H Cum ab eo latinius redditum accepi. » [lbid.)

[7] “ H Latinitate potius quam verbo Dei, allectus. » [lbid.)

[8] “ H Emebam, providentia (sine dubio) divina. » (Fox, IV, p. 633.)

[9] “ H Cette parole est certaine et digne d'être entièrement reçue, que Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver des pécheurs, dontje suis le premier. » (1 Tim., 1, 15.)

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[10] “ H O mihi suavissimam Pauli «ententiam ! » (Biln. Tonstallo.)

[11] “ H Hac una sententia, Deo intus in corde meo docente. » (Ibid.)

[12] “ H Quod tune fleri ignorabam. » (Ibid.)

[13] “ H Tandem de Jesu audiebam. » (Ibid.)

[14] “ H Sic exhilaravit pectus meum. » (Ibid.)

[15] “ H Peccatorum conscientia saucium ac pene desperabundum. » (Biln. Tonstallo.)

[16] “ H Nescio quantam intus tranquillitatem sentire. » [Ibitl.)

[17] “ H Didici omnes meos conatus, etc. » (Ibid.)

[18] “ H Quod ait Augustinus, celerem cursum extra viam. (Ibid.)

[19] Annals of the English Bible, I, p. 12.

[20] Bigland's Glos, p. 293. Armais of the English Bible, I, p. 19.

[21] From a child, dit Fox, Acts and Monuments, V, p. 115.

[22] “ H Proceeding in degrees of the Schools. » (Ibid.)

[23] “ H His manners and conversation being correspondent to the Scrip tures. » (Fox's Acts and Monuments, V, p. 115.)

[24] “ H Read privily to certain students and fellows, instructing them in the knowledge of the Scriptures. » [lbid.)

[25] “ H Oxoniae, cum juvenis quidam non vulgariter doctus... » (Erasmi Ep., p. 346.)

[26] “ H Which they have been in, brewing as I have this dozen years. » ( Works of the English reformers, Tynd. et Fryth., II, p. 486.)

[27] “ H Ut impii ad ipsum per me olim impium converterentur. » (Fox, Acte, IV, p. C33.)

[28] “ H Through Tyndale's instructions he first received into his heart the sced of the Gospel. » (Fox, Acts, V, p. t.)

[29] “ H Even as a beast in his own dung. » (Bilnajus Tonstallo episcopo. Fox, Âcts, IV, p. 640.)

[30] “ H Ho will not be thy Jesus or Saviour. » (Fox, Acts, IV, p. 640.) »

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[31] “ H Without this inward calling it helped nothing before God to be a hundred times elect and consecrated. » (Ibid., p. 637.)

[32] “ H If it be Christ, him that cometh unto us. » (Fox, Aets, IV, p. 637.)

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CHAPITRE III

Alarme du clergé. Les deux jours. Le docteur Man. La vraie présence réelle. Les martyrs de Conventry. Standish prêche à Saint-Paul. Standish à la cour. Sa défaite. Dessein ambitieux de Wolsey. Première ouverture. Ambition d’Henri. Conférence de Th. Boleyn et de François I. - La tiare promise à Wolsey. Ses intrigues avec Charles et François

Ce réveil jeta l'alarme dans la hiérarchie romaine. Satisfaite du baptême qu'elle administre, elle redoutait le baptême du Saint-Esprit, accompli par la foi à la Parole de Dieu. Le clergé, plein de zèle, mais d'un zèle sans connaissance, se prépara donc à la lutte, et les cris poussés par les prélats furent répétés par la foule des moines, des prêtres et des sacristains.

Ce ne fut pas sur les membres des universités que les premiers coups tombèrent; ce fut sur d'humbles chrétiens, restes du ministère de Wiclef, auxquels le mouvement réformateur des hautes écoles avait communiqué une nouvelle vie. Au réveil du quatorzième siècle allait succéder celui du seizième, et les dernières lueurs du jour qui finis sait se confondaient presque avec les premières clartés du jour qui commençait. Les jeunes docteurs de Cambridge et d'Oxford réveillèrent l'attention de la hiérarchie effrayée, et lui firent remarquer les humbles lollards, qui çà et là rappelaient encore Wiclef.

Un ouvrier, Thomas Man, que l'on appelait le docteur Man, » à cause de sa connaissance des Ecritures, avait été, en 1511, enfermé pour sa foi dans le prieuré de Frideswide à Oxford. Tourmenté par le souvenir d'une rétractation qu'on lui avait arrachée, il s'était échappé de ce monastère, s'était rendu dans l'est de l'Angleterre, et y avait prêché la Parole, en subvenant par son travail aux besoins de sa pauvre vie [1]. Puis, ce “ H champion de Dieu » s'était rapproché de la capitale, et aidé de sa femme, nouvelle Priscille de ce nouvel Aquilas, il avait annoncé la doctrine de Christ à la foule réunie autour de lui, dans quelque chambre haute de Londres, dans quelque prairie solitaire arrosée par la Tamise, ou sous les ombrages séculaires de la forêt de Windsor. Il croyait, comme autrefois Chrysostome, “ H que tous les prêtres ne sont pas saints, mais que tous les saints sont prêtres [2]. »

Celui qui reçoit la Parole de Dieu, disait-il, reçoit Dieu lui-même ; c'est là la vraie présence réelle. Les pontifes de ce mystère ne sont pas les vendeurs de messes [3] mais les hommes que Dieu a oints de son Esprit pour être rois et sacrificateurs. » Six à sept cents personnes furent converties par ces prédications [4]. Les moines, qui n'osaient pas encore s'attaquer aux universités, résolurent de sévir contre ces prédicants qui prenaient pour temple les bords de la Tamise ou quelque recoin de la cité. Man fut saisi, condamné, et brûlé vif le 29 mars 1549.

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Ce n'était pas assez. Il y avait à Coventry de pieux chrétiens, quatre cordonniers, un gantier, un bonnetier et une veuve, Madame Smith, qui donnaient à leurs enfants une instruction chrétienne. Les franciscains s'indignaient que des laïques, et même une femme, osassent se mêler d'enseignement religieux. Le mercredi des Cendres, Simon Mourton, sergent de l'évêque, les fit prisonniers, eux et leurs enfants. Le surlendemain les parents furent conduits à l'abbaye de Mackstock, à six lieues de Coventry, et les enfants dans le couvent des cordeliers. “ H Voyons, dit le frère Stafford, aux petits tout intimidés, quelles hérésies vous a-t-on enseignées ? » Les pauvres enfants avouèrent qu'on leur avait expliqué en anglais la prière du Seigneur, le symbole des apôtres et les dix commandements. Alors Stafford s'écria d'une grosse voix : “ H Je vous défends, sous peine d'être brûlés (comme vos parents vont l'être), d'avoir jamais rien à faire avec le Pater, le Credo et les Commandements, en anglais. » Cinq semaines plus tard, les hommes furent condamnés à être brûlés vifs, mais on eut pitié de la veuve, à cause de sa jeune famille, dont elle était le seul soutien, et on la renvoya. Il faisait nuit ; Simon Mourton offrit à Madame Smith de la reconduire chez elle ; elle accepta son bras et ils traversèrent les rues étroites et obscures de Coventry. “ H Eh ! eh ! dit tout à coup le sergent, qu'est-ce que j'entends? » Il entendait, en effet, comme un bruit d'un papier que l'on froisse. “ H Qu'avez-vous là ? » Reprit-il en lui lâchant brusquement le bras. Puis, avançant la main dans la manche de la veuve, l'inquisiteur en retira un parchemin, et s'approchant d'une fenêtre d'où sortaient les pâles rayons d'une lampe, il examina cette feuille mystérieuse et reconnut la prière du Seigneur, le symbole des apôtres et les dix commandements, en anglais. “ H Oh ! oh ! bélître, ditil, venez ; vaut autant main te nant que plus tard ! »

Puis saisissant la veuve par le bras, il la traîna devant l'évêque. On prononça immédiatement la sentence de mort ; et le 4 avril 1519, Madame Smith, Robert Hatchets, Archer, Hawkins, Thomas Bond, Wrigsham et Landsdale, furent brûlés vif à Coventry, sur la place du Petit Parc, convaincus d'avoir appris à leurs enfants la prière du Seigneur, le symbole des apôtres et les commandements de Dieu.

Mais qu'importe que des lèvres obscures soient fermées, tant que le Testament d'Érasme parlera ? Il fallait reprendre la conjuration de Lee. Standish, évêque de Saint-Asaph, esprit étroit, même un peu fanatique, mais sincère, je pense, d'un grand courage et d'une certaine piété, décidé à prêcher une croisade contre le Nouveau Testament, commença à Londres même, dans la cathédrale de Saint Paul, en présence du lord-maire et du conseil de la Cité. “ H Otez ces traductions nouvelles, dit-il, ou une ruine totale menace la religion de Jésus-Christ [5]. » Mais Standish, qui n'était pas habile, au lieu de rester dans le vague, comme ses confrères, voulut montrer à quel point Érasme avait corrompu l'Évangile, et dit d'une voix larmoyante : “ H Faut-il que moi, qui depuis tant d'années suis docteur

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des saintes Écritures, et qui ai toujours lu dans ma Bible : In principo erat verbcm, je me voie obligé de lire à cette heure : In principo erat sermo... »

C'était ainsi qu'Érasme avait traduit la première parole de l'Évangile selon saint Jean. Risum tenea tis ! se disaient plusieurs à l'oreille, à l'ouïe de cette puérile accusation : “ H Milord, continua l'évêque en se tournant vers le lord-maire, magistrats de cette cité, et vous tous citoyens, accourez au secours de la religion ! »

Standish continue ses pathétiques mouvements; il crie, il s'élève, il s'abaisse ; mais il a beau faire ; les uns demeurent immobiles ; les autres lèvent les épaules ; d'autres même s'indignent. Décidément les bourgeois de Londres voulaient soutenir la Bible et la liberté.

Standish, voyant qu'il avait manqué son attaque sur la Cité, poussait des soupirs, récitait des prières, disait des messes contre le Livre tant redouté. Il résolut de faire davantage. Un jour, qu'il y avait fête à la cour pour les fiançailles de la princesse Marie, âgée de deux ans, avec un prince fiançais qui venait de naître, Saint-Asaph, recueilli au milieu d'une foule animée, méditait une action hardie. Tout à coup il perce la foule et se jette aux pieds du roi et de la reine; on s'étonne, on se demande ce que veut cet évêque, ce vieillard. “ H O grand roi, dit-il, vos ancêtres qui ont régné sur cette île, et les vôtres, ô grande reine, qui ont gouverné l'Ara gon, se sont toujours distingués par leur zèle pour l'Église. Montrez-vous dignes de vos aïeux. Des temps pleins de périls sont arrivés1. Un livre vient de paraître, et c'est Érasme qui le publie! un livre tel, que si vous ne lui fermez l'entrée de ce royaume, c'est fait à jamais parmi nous de la religion de Jésus-Christ. »

L'évêque s'arrêta et il se fit un grand silence. Alors le dévot Standish, craignant que le penchant bien connu de Henri pour les lettres ne s'opposât à sa requête, éleva les regards et les mains vers le ciel, et, à genoux au milieu de la cour, s'écria avec l'accent de la douleur : “ H O Christ ! ô Fils de Dieu! sauvez vous-même votre épouse ! . . . car nul d'entre les hommes ne vient à son secours * [6] ! »

Ayant ainsi parlé, le prélat, dont le courage était digne d'une meilleure cause, se releva et attendit. Chacun cherchait à deviner la pensée du roi. Thomas More était parmi les assistants, et More ne pouvait abandonner son Érasme. “ H Quelles sont, dit-il, les hérésies que ce livre doit enfanter ? » Après avoir commencé par le sublime, Standish finit par le ridicule. Frappant successivement avec l'index de la main droite sur les doigts de la main gauche [7] : Premièrement, dit-il, ce livre détruit la résurrection. Secondement, il annule le sacrement du mariage. Troisièmement, il détruit la messe. » Puis, tenant élevés le pouce, l'index et le doigt du milieu, il les montrait à toute l'assemblée, avec le regard du triomphe. La bigote Catherine frissonnait en voyant ces trois doigts de Standish, signes des trois hérésies d'Érasme; Henri lui-même, amateur de Thomas d'Aquin, était embarrassé. Le moment était critique.

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Le Testament grec était sur le point d'être banni de l'Angleterre. “ H La preuve, la preuve ! s'é crièrent les amis des lettres. Je la donnerai, reprit l'impétueux Standish, et frappant de nouveau son pouce gauche : Premièrement, dit-il... » Mais il mit alors en avant de si sottes raisons, que les femmes et les ignorants eux-mêmes en rougirent. En vain cherchait-il à justifier son dire, il s'embarrassait toujours plus; il affirma, entre autres choses, que les Épîtres de saint Paul étaient écrites en hébreu... “ H Il est connu, même des enfants des écoles, dit un docteur en théologie, en s'agenouillant devant le roi, que les Épîtres de saint Paul ont été écrites en grec. » Le roi, rougissant pour l'évêque, détourna brusquement la conversation, et le pauvre Standish, honteux d'avoir fait écrire en hébreu aux Grecs, eût voulu se dérober à tous les regards. “ H Le hanneton ne doit pas s'attaquer à l'aigle, » disait on autour de lui [8]. Ainsi le Livre de Dieu demeura en Angleterre l'étendard d'une troupe fidèle, qui li sait dans ses pages cette devise usurpée par l'Église de Rome : La vérité n'est qu'en moi.

Un adversaire plus redoutable que Standish aspirait à combattre la Réformation, non -seulement en Angleterre, mais dans tout l'Occident. Un de ces desseins ambitieux, qui germent facilement dans le cœur de l'homme, se développait dans l'âme du plus puissant ministre de Henri VIII ; et si ce projet réussissait t il semblait devoir affermir à jamais l'empire de la papauté sur les bords de la Tamise, et peut être dans la chrétienté tout entière.

Wolsey, chancelier et légat, régnait dans l'État et dans l'Église, et pouvait sans mensonge prononcer son fameux : Ego et reoc meus. Parvenu à une si grande hauteur, il voulait plus encore. Favori de Henri VIII, presque son maître, traité comme frère par l'empereur, par le roi de France et par d'autres têtes couronnées, revêtu de ce titre de majesté qui est le propre des souverains* [9], le cardinal, sincère dans sa foi à la papauté, voulait arriver au trône des pontifes, et être ainsi Deus in terris. Si Dieu a permis qu'un Luther parût dans le monde, c'est qu'il aurait, pensait-il, un Wolsey à lui opposer.

Il serait difficile de dire le moment précis où ce désir immodéré s'empara de son esprit; ce fut vers la fin de 1518 qu'il commença à paraître. L'évêque d'Ély, ambassadeur d'Angleterre près de François 1er, étant en conférence avec ce prince le 18 décembre de cette année, lui dit d'un ton mystérieux : Le cardinal a dans son esprit un pensée... à l'égard de laquelle il ne peut s'ouvrir à personne... si ce n'est à Votre Majesté... » François comprit.

Une circonstance vint faciliter les plans du cardinal. Si Wolsey voulait être le premier prêtre, Henri voulait être le premier roi. La couronne impériale, que la mort venait d'enlever à Maximilien, était briguée par deux princes : Charles d'Autriche, esprit froid et calculateur, se souciant peu des plaisirs et même des pompes du pouvoir, mais se proposant de grands desseins, et sachant les poursuivre

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avec énergie, et François Ier, d'un œil moins pénétrant, d'une persévérance moins infatigable, mais plus hardi et plus impétueux. Henri VIII, inférieur à l'un et à l'autre, passionné, capricieux, égoïste, se crut de force à lutter avec de si puissants compétiteurs, et se mit à poursuivre en secret la monarchie de toute la chrétienté [10], Wolsey se persuada que, caché sous le manteau de l'ambition de son maître, il pourrait satisfaire la sienne. S'il procurait à Henri la couronne des Césars, il obtiendrait facilement la tiare des papes; s'il échouait, ce serait bien le moins que pour dédommager l'Angleterre de la souveraineté de l'empire, on donnât à son premier ministre la souveraineté de l'Eglise.

Henri fit d'abord sonder le roi de France. Sir Thomas Boleyn se présenta un jour devant François Ier, au moment où celui-ci revenait de la messe. Le roi voulant prévenir une confidence qui devait l'embarrasser, conduisit l'ambassadeur dans l'embrasure d'une fenêtre, et lui dit à voix basse : “ H Plusieurs électeurs m'offrent l'empire; j'espère que votre maître me sera favorable. » Boleyn, troublé, répondit vaguement, et le roi-chevalier, suivant sa pensée, saisit fortement d'une main l'ambassadeur d'Angleterre, plaça l'autre sur sa poitrine [11], et s'écria : “ H Par ma foi, si je deviens empereur, je serai dans trois ans à Constantinople, ou je mourrai en chemin!... » Ce n'était pas ce que voulait Henri ; mais, dissimulant, il fit dire au roi de France qu'il appuierait sa candidature; sur quoi celui-ci, étant son chapeau, s'écria : “ H Je veux voir le roi d'Angleterre, je veux le voir, vous dis-je, dussé-je aller à Londres avec un seul page et un seul les quais! »

François comprit que, contrariant l'ambition du roi, il devait flatter celle du ministre; et se rappelant l'insinuation de l'évêque d'Ély : “ H Il me semble, dit-il un jour à Boleyn, que mon frère d'Angleterre et moi, nous pourrions, nous devrions faire... quelque chose pour le cardinal ; il est préparé de Dieu pour le bien de la chrétienté,... l'un des plus grands personnages de l'Église,... et, foi de roi, s'il y consent, je le ferai ! » Après quelques moments, il continua : “ H Écrivez au cardinal, que s'il arrive quelque chose au pape actuel, je lui assurerai pour ma part quatorze cardinaux [12]! Soyons seulement d'accord, votre maître et moi, Monsieur l'ambassadeur, et, je vous le jure, il ne se fera ni pape, ni empereur en Europe sans notre per mission. »

Mais Henri n'était pas d'accord avec le roi de France. A l'instigation de Wolsey, il appuyait à la fois les trois candidatures; à Paris, il était pour François Ier, à Madrid pour Charles-Quint, et à Franc fort pour lui-même. Les rois de France et d'Angle terre échouèrent, et le 10 août, Pace, l'envoyé de Henri VIII à Francfort, étant de retour en Angleterre et voulant consoler le roi, énuméra les sommes que Charles avait dépensées : “ H Par la messe s ! [13]» S’écria Henri, et il se félicita de n'avoir pas obtenu une couronne si chère. Wolsey proposa de chanter un Te Deum à SaintPaul, et l'on alluma des feux de joie dans la Cité.

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Le cardinal n'avait pas tort de se réjouir. A peine Charles fut-il monté sur le trône impérial, en dépit du roi de France, que ces deux princes se jurèrent une haine éternelle, et ce fut à qui gagnerait Henri VIII. Tantôt Charles, sous prétexte de faire visite à son oncle et à sa tante, arrivait en Angle terre, tantôt François avait une entrevue avec le roi dans les environs de Calais. Le cardinal participait aux cajoleries de ces deux monarques. “ H Il est facile à un roi d'Espagne, devenu chef de l'Empire, d'élever celui qu'il veut au pontificat suprême, » lui disait le jeune empereur : et à ces mots, l'ambitieux cardinal se livrait au successeur de Maximilien. Mais bientôt François Ier le flattait à son tour, et Wolsey répondait aussi à ses avances. Le roi de France donnait à Henri des tournois et des festins d'un luxe asiatique ; et Wolsey, dont la figure portait encore l'empreinte du gracieux sourire avec lequel il avait pris congé de Charles, souriait aussi à François Ier, et chantait la messe à son honneur. Il engageait la main de la princesse Marie au dauphin de France et à Charles-Quint, laissant à l'avenir le soin de débrouiller cette affaire ; puis, fier de ses pratiques habiles, il revenait à Londres plein d'espérance.

C'était en marchant dans le mensonge qu'il prétendait arriver à la tiare; et si elle se trouvait encore trop élevée, il y avait en Angleterre certains évangéliques qui pourraient lui servir d'échelle pour l'atteindre ; le meurtre pouvait servir de complément à la fraude.

FOOTNOTES

1] “ H Work thereby to sustain his poor life. » (Fox, Acts, IV, p. 209.)

[2] Chrysostome, Homélie XLIII, in Matth.

[3] II les appelait : Pilled knaves. (Fox, Acts, p. 209.)

[4] “ H Had turned six or seven hundred people unto those opinions. » (Fox, Acts, p. 211.)

[5] “ H Imminere Christian» religionis 7r«v«is8piàï, nisi novae transla tiones omnes subito de medio tollerentur. » (Erasmi Ep., p. 596.)

[6] “ H CœpitobsecrareChristumdignareturipsesuœsponsœopitulari.» Ibid., p. 598.)

[7] “ H Et rem in digitos porrectos rlispnrtiens. » (Erasmi Ep., p. 598

[8] “ H Scarabaeus ille qui maximo suo malo aquilam qua:sivit. » (Ef. Ep., p. 555.)

[9] “ H Consultissima tua Majestas. Vestra sublimis et longe reveren dissima Majestas, etc. » (Fiddes, d'après les Bodleian Archives, p, 178.)

[10] “ H The monarchie of ail christendom. » [Cotton library MSS. Cal, P,VII, p. 88.)

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[11] “ H He took me hard by the wrist, with one hand, and laid the other npon his breast. » [Cnttnn Kbrary MSS. Cal. D. VIII, p. 93.)

[12] “ H He willl assure you full fourteen cardinal? for him. » [Cofton MSS. Cal. D. F., p. 98.)

[13] “ H By the masse! » [State papers, I, p. 9.)

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CHAPITRE IV

Tiens à table. Les Écritures. Les images. L'ancre de la foi. Un camp romain. Prédications, la foi et les œuvres. Tyndale accusé par les prêtres. Ils arrachent ce qu'il plante. Il veut traduire l'Écriture. Conversion au manoir.

On l'attaque dans les cabarets. Comparution devant le chancelier. Un vieux docteur le console. Un scolastique veut le ramener. Retraite et travail. Son secret s'évente. Ses adieux au manoir

Tandis que ce prélat ambitieux ne pensait qu'à sa gloire et à celle du pontificat romain, un grand désir, mais d'une tout autre nature, germait dans le cœur de l'un des humbles évangéliques de l'Angleterre. Si Wolsey avait les yeux fixés sur le trône de la papauté pour s'y asseoir, Tyndale songeait à relever le trône de l'Église véritable, en rétablissant la souveraineté légitime de la Parole de Dieu. Le Testament grec d'Érasme avait été un premier pas, il fallait maintenant apporter aux simples ce que le roi des écoles avait donné aux savants. Cette grande pensée, qui poursuivait partout le jeune docteur d'Oxford, devait être le principe puissant de la Réforme en Angleterre.

Dans la belle vallée de la Severn, où Tyndale était né, habitait une famille noble, dont le manoir simple mais vaste, situé sur le revers de la colline de Sodbury, commandait une vue fort étendue. Sir John Walsh, seigneur du lieu, avait brillé dans les tournois de la cour, et s'était ainsi concilié la faveur de son prince. Il tenait table ouverte, et gentils hommes, doyens, abbés, archidiacres, docteurs en théologie et gras bénéficiers, charmés du bon accueil et des bons dîners de sir John, fréquentaient à l'envi sa maison. L'ancien frère d'armes de Henri VIII prenait intérêt aux questions qui se dé battaient alors dans la chrétienté. Lady Walsh ellemême, femme sage et généreuse [1], ne perdait pas un mot des conversations animées de ses commensaux, et s'efforçait discrètement de faire pencher la balance du côté de la vérité.

Tyndale, après avoir quitté Oxford et Cambridge, avait dirigé ses pas vers la vallée de ses pères. Sir John lui avait proposé d'élever ses enfants, et il avait accepté. William, dans la force de l'âge (il avait environ trente-six ans), était bien instruit dans les Écritures, et plein du désir de faire valoir la lumière que Dieu lui avait donnée. Les occasions ne lui manquaient pas. Assis à table avec tous les docteurs auxquels sir John faisait accueil Tyndale entrait en conversation avec eux. On parlait des savants du jour, beaucoup d'Érasme, quelquefois même de ce Luther qui commençait à étonner les Anglais* [2]. On discutait plusieurs questions touchant les saintes Écritures, et divers points de théologie. Tyndale exprimait ses convictions avec une admirable clarté, les soutenait avec une grande science, et tenait tête à tous avec un indomptable courage. Ces entretiens animés de la vallée de la Severn sont l'un des traits essentiels du tableau que présente la Réformation

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en Angleterre. Des historiens de l'antiquité ont inventé les discours qu'ils ont placés dans la bouche de leurs héros. De nos jours, l'histoire, sans inventer, doit faire connaître les pensées des personnages dont elle parle. Il suffit de lire les œuvres de Tyndale pour se former quelque idée de ces conversations : c'est de ses écrits que les paroles sui vantes sont tirées.

Dans la salle à manger du vieux manoir, se trouvaient autour de la table, sir John, lady Walsh, quelques gentilshommes, plusieurs abbés, doyens, moines et docteurs, avec leurs costumes et leurs babils divers. Tyndale occupait la place la plus modeste, et tenait d'ordinaire à sa portée le Nouveau Testament d'Érasme, afin de prouver ce qu'il avançait [3]. Les domestiques allaient et venaient, et la conversation, après avoir un peu divagué, prenait à la fin une direction plus précise. Les prêtres s'impatientaient quand ils voyaient paraître le terrible volume. “ H Vos Ecritures ne font que des hérétiques! disaient-ils. Au contraire, répondait Tyndale, la source des hérésies, c'est Yorgueil; or la Parole de Dieu dépouille l'homme de tout et le laisse aussi nu que Job [4]. La Parole de Dieu! nous ne comprenons pas nous, votre Parole, comment donc le peuple l'entendrait-il ? Vous ne la comprenez pas, répliquait Tyndale, parce que vous n'y cherchez que des questions folles, comme si vous lisiez les matines de Notre-Dame ou les prophéties de Merlin*[5]. Les Écritures sont un fil conducteur qu'il faut suivre, sans se détourner, jusqu'à ce que l'on arrive à Christ [6] ; car Christ est le but. Et moi je vous dis, reprenait un prêtre, que les Écritures sont le labyrinte de Dédale, plutôt que le fil d'Ariane, un grimoire où chacun voit ce qu'il veut voir. Ah ! répondait Tyndale, c'est sans Jésus-Christ que vous les lisez; voilà pourquoi elles sont pour vous un livre obscur; que dis-je? Une caverne pleine de broussailles, où vous n'échappez aux ronces que «pour être déchirés par les épines [7]. Non, répliquait un autre clerc, sans se soucier de contredire son confrère, il n'y a pour nous rien d'obscur; c'est nous qui vous donnons les Écritures, et c'est nous qui vous les expliquerons. Vous y perdriez votre temps et votre peine, répliquait Tyndale; [8] avez-vous qui a enseigné à l'aigle à trouver sa proie [9] ? Eh bien, ce même Dieu apprend à ses enfants affamés à trouver leur Père dans sa Parole! Loin de nous avoir donné les Écritures, c'est vous qui nous les cachez ; c'est vous qui brûlez ceux qui les prêchent, et c'est vous qui, si vous le pouviez, les brûleriez elles-mêmes ... » Tyndale ne se contentait pas d'établir les grands principes de la foi. Il cherchait, il est vrai, toujours ce qu'il appelle lui-même “ H la douce moelle du dedans ; » mais à l'onction divine, il unissait l'esprit, et se moquait impitoyablement des superstitions de ses adversaires. “ H Vous placez des cierges devant les images, leur disait-il Et pour quoi, puisque vous leur donnez de quoi voir, n ne leur donneriez-vous pas de quoi se nourrir? Faites-leur donc un trou dans le ventre, et mettez-y à manger et à boire [10]. Servir Dieu par de telles momeries, c'est le traiter comme un enfant tr

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qu'on calme avec un hochet quand il crie, et auquel on fait un cheval avec un bâton a. »

Mais bientôt l'helléniste revenait à des idées plus graves, et quand ses adversaires exaltaient la papauté comme la puissance qui, au jour de l'orage, sauverait l'Église, il répondait : “ H Attachons seulement au navire l'ancre de la foi, après l'avoir plongée dans le sang de Jésus-Christ [11], et quand la tempête éclatera, jetons hardiment l'ancre à la c mer; alors, soyez-en sûrs, le navire demeurera ferme sur les grandes eaux. » Enfin, si ses adversaires rejetaient quelque doctrine de la vérité, Tyndale, nous dit le chroniqueur, ouvrant son Testament, montrait du doigt le verset qui réfutait l'erreur romaine, et s'écriait : «Voyez et lisez*! [12] »

Les origines de la Réformation en Angleterre ne se trouvent donc pas, on le voit, dans un matérialisme ecclésiastique, que l'on décore du nom de catholicisme anglais ; elles sont essentiellement spirituelles. Le Verbe divin, créateur de la vie nouvelle dans l'individu, est aussi fondateur et réformateur de l'Église. C'est à l'évangélisme que les Églises réformées appartiennent, et spécialement celles de la Grande-Bretagne.

La contemplation des œuvres de Dieu délassait Tyndale des luttes qu'il soutenait à la table de son patron. Il parcourait souvent la gracieuse colline de Sodbury, et parvenu près de quelques décombres, restes d'un vieux camp romain qui la couronnent, il s'y reposait solitairement sur quelque pierre. C'était là que s'était arrêtée la reine Marguerite d'Anjou, puis Edouard IV, qui la poursuivait, avant la fameuse bataille de Tewkesbury, qui fit tomber cette princesse dans les mains de la Rose blanche. Tyndale, au milieu de ces décombres, monuments de l'invasion romaine et des luttes intestines de l'Angleterre, rêvait à d'autres batailles qui devaient rendre à la chrétienté la liberté et la vérité. Puis il se levait, descendait la colline, et se mettait à l'œuvre avec courage.

Derrière le manoir était une petite église, dédiée à sainte Adeline, dont deux ifs ombrageaient l'entrée. Le dimanche, Tyndale montait en chaire; sir John, lady Walsh et l'aîné de leurs enfants occupaient le banc seigneurial. Leurs gens et tenanciers remplissaient cet humble sanctuaire, écoutant avec recueillement la parole du précepteur, qui sortait de ses lèvres comme les eaux de Siloé qui cou lent doucement. Plein de vivacité dans la discussion, Tyndale exposait les Écritures avec tant d'onction, dit une chronique, “ H que ses auditeurs croyaient entendre saint Jean lui-même. » S'il rappelait Jean par la douceur de sa parole, il rappelait Paul par la force de sa doctrine. “ H Selon le pape, disait-il, il faut d'abord que nous soyons bons envers Dieu, et qu'ainsi nous l'obligions à être bon envers nous. Non, c'est la bonté de Dieu qui est la source de la nôtre. L'antéchrist tourne l'arbre du salut sens dessus dessous [13] ; il met en bas les branches, et en haut les racines ; il

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faut le redresser. Comme le mari épouse sa femme avant qu'il ait eu d'elle des enfants, la foi aussi nous justifie avant que nous ayons produit des bonnes œuvres.

Mais ni l'une ni l'antre ne doivent demeurer stériles. La foi est le flambeau de la vie; sans elle vous vous égarerez dans la sombre vallée delà mort, y est-il autour de votre lit mille cierges allumés [14]. » Les prêtres, indignés de ces discours, résolurent de perdre Tyndale, et quelques-uns d'entre eux invitèrent sir John et sa femme à un banquet, du quel ils écartèrent maître William, Pendant le festin, on déblatéra contre le jeune docteur et son Nouveau Testament, en sorte que le seigneur de Sodbury et sa femme se retirèrent fort ennuyés de ce que leur précepteur se faisait tant d'ennemis. Ils lui répétèrent ce que l'on avait dit, et Tyndale réfuta victorieusement les raisonnements de ses adversaires. “ H Quoi! dit lady Walsh, encore troublée par les discours des prêtres, il y a tel de ces docteurs qui a cent livres sterling à dépenser* [15], tel autre deux cents, un troisième trois cents,... et a c'est vous, maître William, vous, que nous devrions croire !... » Alors le précepteur, ouvrant son Nouveau Testament, répondait : “ H Non ce n'est pas moi! les prêtres vous ont affirmé cela; mais, voyez! saint Paul, saint Pierre, le Seigneur lui-même, disent tout le contraire *[16]. » La Parole de Dieu était là, positive et souveraine; le glaive de l'Esprit tranchait la difficulté.

Bientôt le manoir et Sainte-Adeline furent trop étroits pour le zèle de Tyndale. Il prêchait chaque dimanche tantôt dans un village, et tantôt dans une ville. Les habitants de Bristol s'assemblaient pour l'entendre dans le grand préau appelé sanctuaire de Saint-Augustin [17]. Mais à peine avait-il prêché en un lieu, que les prêtres s'y précipitaient, arrachaient ce qu'il avait planté*[18], l'appelaient un hérétique, et menaçaient ceux qui l'écoutaient de se voir chassés de l'Église. Quand Tyndale revenait, il trouvait le champ ravagé par l'adversaire ; et le contemplant tristement, comme le laboureur qui voit ses épis brisés par la grêle, et ses riches sillons changés en stériles ravins, il s'écriait : tr Que faire? Tandis que je sème en un lieu, l'ennemi ravage le champ que je viens de quitter. Je ne puis être partout. Oh! Si les chrétiens avaient en leur langue la sainte Écriture, ils pourraient euxmêmes résister aux sophistes. Sans la Bible, il est impossible d'affermir les laïques dans la vérité [19]. »

Alors une grande pensée s'éleva dans le cœur de Tyndale. “ H C'est dans la langue même d'Israël, dit-il, que les psaumes retentissaient au temple de Jéhovah ; et l'Évangile ne parlerait pas parmi nous la langue de l'Angleterre?... L'Église auraitelle moins de lumière en plein midi qu'à l'heure du crépuscule?... Il faut que les chrétiens lisent le Nouveau Testament dans la langue de leur mère. » lyndale vit dans cette pensée une pensée de Dieu. Le nouveau soleil ferait découvrir un monde nouveau, et la norme infaillible ferait succéder à toutes les diversités humaines une divine unité. Vous suivez, disait Tyndale, vous, Duns Scot, vous, Thomas d'Aquin ; vous, Bonaventure, Alexandre de Haies, Raymond de Penafort, Lyra, Gorram,

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Hugues de Saint-Victor, et tant d'autres encore... Or, chacun de ces auteurs contredit l'autre ! . . . Comment donc discerner celui qui dit faux de ce lui qui dit vrai?... Comment?... par la Parole de Dieu Tyndale n'hésite plus... Tandis que Wol sey se propose de conquérir la tiare des pontifes, l'humble précepteur de Sodbury entreprend de placer au milieu de son peuple le flambeau du ciel. La traduction de la Bible sera l'œuvre de sa vie. Le premier triomphe de la Parole fut une révolution dans le manoir ; sir John et lady Walsh en goûtant l'Évangile se dégoûtèrent des prêtres. Les membres du clergé n'étaient plus invités si souvent à Sodbury et n'y trouvaient plus le même accueil [20]*. Bientôt ils cessèrent leurs visites, et ne pensèrent qu'à chasser Tyndale du château et du diocèse. Ne voulant pas se compromettre dans cette guerre, ils se firent précéder des troupes légères que l'Eglise tient à sa disposition. Des moines mendiants et des desservants qui comprenaient à peine leur missel, et dont les plus érudits faisaient de l'Albertus de secretis mulierum leur lecture habituelle, se jetèrent sur Tyndale comme une meute de chiens affamés. Ils accouraient au cabaret [21], ils se faisaient donner un pot de bière, l'un se mettait à une table, l'autre à une autre; ils versaient à boire aux paysans, puis ils engageaient avec eux une conversation, à la suite de laquelle retentissaient mille imprécations contre l'audacieux réformateur. “ H C'est un hypocrite, di sait l'un, un hérétique, » disait l'autre. Le plus habile prenant pour chaire un escabeau, et pour temple la taverne, faisait pour la première fois un discours improvisé. Il racontait des paroles que Tyndale n'avait point dites, et des actions qu'il n'avait point faites* [22]. Se ruant sur le pauvre précepteur, dit-il luimême, comme d'impurs pourceaux, qui se livrent à leurs grossiers appétits [23], ces prêtres déchiraient à l'envi sa réputation, se partageaient ses dé pouilles, et l'auditoire, excité par les calomnies et échauffé par les pots de bière, sortait plein de haine et de colère contre l'hérétique de Sodbury.

Après les moines vinrent les dignitaires. Les doyens et les abbés, anciens commensaux de sir John, dénoncèrent Tyndale à la chancellerie du diocèse* [24], et la tempête qui avait commencé dans le cabaret, vint éclater dans le palais épiscopal. Le fameux Jules de Médicis, homme instruit, grand politique et prêtre fort rusé, qui, sans être pape, gouvernait déjà la papauté [25], était évêque titulaire de Worcester, apanage des prélats italiens. Wolsey, qui administrait le diocèse pour son collègue absent, avait élu chancelier Thomas Parker, docteur dévoué à l'Église romaine. Ce fut à lui que les clercs s'adressèrent. Une poursuite juridique avait ses difficultés ; le compagnon d'armes du roi était patron du prétendu hérétique, et sir Antoine Poyntz, frère de lady Walsh, était shérif du comté. Le chancelier se contenta donc de convoquer une conférence générale du clergé. Tyndale partit, mais prévoyant ce qui l'attendait, il demanda à Dieu, en remontant le cours de la Severn, de le maintenir ferme dans la confession de la vérité [26]

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A peine fut- on réunit, que les abbés, doyens et autres ecclésiastiques du diocèse, la tête haute et le regard menaçant, entourèrent la figure modeste, mais ferme de Tyndale. Son tour étant arrivé, il s'avança et le chancelier lui adressa une sévère réprimande; il répondit avec calme. Alors la chance lier s'anima, articula les accusations les plus étranges, et traita Tyndale comme un chien [27] “ H Où sont vos témoins? demanda celui-ci; que mes accusateurs s'avancent et je leur répondrai ! » Nul n'osa soutenir la plainte ; on détournait la tête ; le chancelier attendait; il lui fallait au moins un témoignage, et il ne pouvait l'obtenir Alors, irrité de ce que les prêtres l'abandonnaient, le représentant de Médicis redevint plus équitable et laissa tomber l'accusation. Le précepteur reprit tranquillement le chemin de Sodbury, bénissant Dieu qui l'avait sauvé des cruelles mains de ses adversaires [28]*, et ne ressentant pour eux qu'une tendre charité. “ H Prenez mes biens, leur disait-il un jour, enlevez-moi ma bonne renommée ! tant que le Christ habitera en moi, je vous aimerai [29] » C'était bien là le saint Jean auquel on avait comparé Tyndale.

Cependant cette rude guerre ne laissait pas de lui porter quelques coups; et où trouver la consolation? Fryth, Bilney étaient loin de lui. Tyndale se rappela un vieux docteur qui vivait près de Sodbury et qui lui avait montré beaucoup d'affection ; il alla le voir et lui ouvrit son cœur [30]. Le vieux docteur le regarda quelque temps comme s'il hésitait à lui dévoiler un mystère. “ H Ne savez-vous pas, lui dit-il en baissant la voix, que le pape est V Antéchrist dont parle l'Écriture... Mais prenez garde... silence !... Cette science-là pourrait vous coûter la vie [31]. »

Cette doctrine de l'antéchrist que Luther exprimait alors avec hardiesse, frappa Tyndale. Fortifié par elle comme le réformateur saxon, il sentit en son cœur une nouvelle énergie, et le vieux docteur fut pour lui ce qu'avait été pour Luther le vieux moine. Les prêtres, voyant leur complot déjoué, chargèrent un théologien célèbre d'entreprendre sa conversion. Le réformateur répondit aux arguments du scolastique, avec son Testament grec. Le théologien demeura interdit ; puis il s'écria : “ H Eh bien ! plutôt me passer de la loi de Dieu que de la loi du pape [32]1.» Tyndale ne s'attendait pas à un aveu d’un si choquant naïveté ! “ H Et moi répondil, je brave le pape et toutes ses lois! » Puis ne pouvant retenir son secret : “ H Si Dieu me conserve la vie, ajouta-t-il, je veux que dans peu d'années un valet de ferme qui conduit sa charrue connaisse l'Écriture mieux que moi*. [33] »

Il ne pensa plus qu'à réaliser ce dessein, et voulant éviter des conversations qui pouvaient compromettre son entreprise, il passa dès lors la plus grande partie de son temps dans la bibliothèque du manoir [34]. Il priait, il lisait, il commençait sa traduction de la Bible, et selon toute probabilité il en communiquait quelques fragments à sir John et à lady Walsh.

Toutes ces précautions furent inutiles; le théologien scolastique l'avait trahi, et les prêtres avaient juré de l'arrêter dans sa traduction de la Bible. Un jour, une bande de moines et de desservants l'ayant rencontré, vociféra contre lui de grossières

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injures. A C'est la faveur des gentilshommes du comté qui te a rend si fier, lui dirent-ils ; mais en dépit de tes patrons, on parlera de toi sous peu, et d'une «belle manière!... Tu n'habiteras pas toujours un château! Reléguez-moi, répondit Tyndale dans le coin le plus obscur de l'Angleterre ; pourvu que vous me permettiez d'y instruire les enfants, d'y prêcher l'Évangile, et que vous me donniez dix livres sterling pour mon entretien [35]... je suis a content ! » Les prêtres le quittèrent, mais pour lui préparer un autre sort.

Tyndale ne se fit plus d'illusions. Il vit qu'il allait être cité, condamné, interrompu dans son grand travail. Il lui faut une retraite où il puisse en paix s'acquitter de la tâche que Dieu lui a donnée. «Vous ne pouvez me sauver des mains des prêtres, ditil à sir John, et Dieu sait à quoi vous vous expo seriez en me gardant dans votre famille. Permettez < donc que je vous quitte. » Ayant dit, il recueillit ses papiers, prit son Testament, serra la main de ses bienfaiteurs, embrassa les enfants et descendant le couleau, dit adieu aux bords riants de la Severn et s'en alla seul avec sa foi. Que fera-t-il ? Que deviendra-t-il? Où ira-t-il? Il s'avance comme Abraham ; une seule chose le préoccupe : l'Écriture sera traduite en langue vulgaire, et il déposera au milieu de son peuple les oracles de Dieu.

FOOTNOTES

[1] “ H Lady Walsh a stout and wise woman, » (Foi, Acts, V, p. 105.)

[2] “ H Who were together with master Tyndale sitting at the same table. » (Fox, Acts, V, p. 105.)

[3] “ H Talk of learned men, as of Luther and Erasmus. » (Ibid.)“ H When they, at any time, did vary from Tyndale in opinions and judpement, he wou'd show thèm in the book. » [Ihid., p. 115.)

[4] “ H Maketh them as bare as Job. » (Tynd. W., II, p. 389.)

[5] “ H Our Lady's matins, or as it were Merlin's propheties. » (Ibid.) »

[6] “ H Go along by the Scripture as by a line until thou come at Christ. » (Ibid., I, p. 354.)

[7] “ H A grove of briars, if thou loose thyself in one place, thou art caught in another. » (Ibid., II, p. 230.)

[8] “ H Who taught the eagles to spy out their prey?» (Tynd. W., IIp. 50.)

[9] “ H Make an hollow belly in the image. » (Ibid., p. 85.)

[10] “ H Make hira an horse of a stick. » (Ibid., p. 475.)

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[11] Tynd. W., VL, p. 245.

[12] “ H And lay plainly before them the open and manifest places of the Scriptures, to confute their era>rs and confirm his sayings. » (Fox, Âcts, V, p. 115.)

[13] “ H Antichrist turneth the roots of the tree upward. » (Tynd. W., \, p. 330.)

[14] “ H Though thou hadst a thousand holy candies about thee. » (Tynd., W.,\, p. 86.)

[15] “ H Well, there was such a doctor who may dispend a hundred pounds. » (Fox, Acts, I, p. 118.)

[

16] “ H Answering by the Scriptures maintained the truth. » (/Aid.) v 15

[17] “ H In the town of Bristol, in the common place called St-Austin's Green. » (Fox, Acts, V, p. 117.)

[18] “ H Whatsoever truth is taught them, Ihese enemies of ail truth quenchit again. » (Tynd., I, p. 3.)

[19] “ H Impossible to establish the lay people in any truth except the Scripture were plainly laid before their eyes in their mother tongue. » (/turf.)

[20] “ H Neither had they the cheer and contenance when they came, as before they had. » (Foi, Acts, V, p. 110.)

[21] “ H Come together to the aie house, wich is their preaching place. » Tynd., Works, I, p. 3.)

[22] “ H They add too of their own heads which I never spake. » (Tynd., W.l,9.9.)

[23] “ H Unclean swine that follow carnal lusts. » (Ibid., II, p. 238.)

[24] “ H Accused me secretly to the chancellor. » (Ibid., I, p. 3.)

[25] “ H Governava il papato e havia più zente a la sua audienzia che il papa. » [Relatione di Marco Foscari, 1526.)

[26] “ H He by the way, cried in his mind heartily God, to give him strength fast to stand in the truth of his word. » (Fox, Âcts, V, p. 116.)

[27] “ H He threatened me grievously, and reviled me and rated me as though 1 had been a dog. » (Tynd., W., \, p. 4.)

[28] “ H And laid to my charge whereof there would be none accuser brought forth. » (Tynd., W. I, p. 4.)

[29] “ H Escaping out of their hands. » (Fox, Acts, V, p. 116.) » Tynd., Works, I, p. 333.

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[30] “ H For to him he durst be bold to disclose lus heart. » (Fox, Acts, V, p. 117.)

[31] “ H Do you not know that the pope is very Antechrist?... It will cost you your life. » (Ibid.)

[32] “ H We were belter to be without God's laws, than the Pope's. » (Fox, Arts, V, p. 117.)

[33]“ H Cause a boy that driveth the plough to know more of the Scrip ture than he did. » (Ibid.)

[34] Cette partie de la maison subsistait encore en 1839; elle a été dès lors abattue. (Anderson, Bible Annals, I, p. 37.) On ne peut que se joindre au vœu exprimé dans ce livre, savoir que le reste de l'édifice, habité maintenant par un fermier, soit précieusement conservé.

[35] “ H Binding him to no more but to teach children and to preach. » (Fox^c<î,V,p.H7.)

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CHAPITRE V

Les écrits de Luther en Angleterre. Consultation des évêques. Publication de la bulle de Léon X. Les livres de Luther brûlés. Lettre d’Henri VIII. Il entreprend d'écrire contre Luther. Cri d'alarme. Tradition et sacramentalisme.

Prudence de Th. More. Le livre remis au pape. Le défenseur de la foi. Joie d’Henri.

Pendant qu'un simple ministre commençait la réformation dans une tranquille vallée de l'ouest de l'Angleterre, de puissants renforts lui arrivaient sur les bords du Kent. Les écrits et les actes de Luther faisaient une vive sensation dans la GrandeBretagne. On racontait sa comparution devant la diète do Worms. Des navires arrivant des ports des Pays-Bas apportaient ses livres à Londres [1], et les imprimeurs de l'Allemagne avaient répondu au nonce Alexandre qui poursuivait dans l'Empire les ouvrages luthériens : “ H Eh bien ! nous les enverrons en Angleterre! »

On eût dit que l'Angleterre dût être le refuge de la vérité. En effet, les thèses de 4517, l'Explication de l'Oraison dominicale, les livres contre Emser, contre la papauté de Rome, contre la bulle de l'Antéchrist, l'Epître aux Galates, l'Appel à la noblesse allemande, et surtout la Captivité babylonienne de l'Église passaient la mer, étaient traduits et se répandaient dans le royaume'[2]. La nation allemande et la nation an glaise ayant une commune origine et se trouvant assez rapprochées alors de culture et de caractère, les écrits faits pour l'une pouvaient être lus par l'autre avec utilité. Le moine dans sa cellule, le gentilhomme dans son manoir, le docteur dans son collège, le marchand dans sa boutique, et l'évêque même dans son palais, étudiaient ces étranges écrits. Les laïques surtout, préparés par Wiclef et aigris par l'avarice et les désordres des prêtres, lisaient avec enthousiasme les pages élégantes du moine saxon. Elles fortifiaient tous les cœurs.

En présence de ces efforts, la papauté ne resta pas inactive. Les temps de Grégoire VII et d'Innocent III n'étaient plus, il est vrai. A l'énergie et à l'activité avaient succédé dans le pontificat romain la faiblesse et l'inertie. Le pouvoir spirituel avait cédé la domination de l'Europe aux puissances séculières, et c'était à peine si la foi à la papauté se trouvait dans la papauté elle-même. Cependant un Allemand (le docteur Eck), en remuant le ciel et la terre, avait arraché une bulle au profane Léon X1, et cette bulle arrivait alors en Angleterre. Le pape lui-même l'envoyait à Henri, en lui demandant d'extirper l'hérésie luthérienne* [3]. Le roi la remit à Wolsey; et celui-ci la transmit aux évêques, qui après avoir lu les livres de l'hérétique, se réunirent pour en discuter [4]. Il se trouva à Londres plus de foi romaine qu'au Vatican. “ H Le moine imposteur, s'é cria Wolsey, attaque la soumission au clergé, cette source de toutes les vertus. » Les prélats humanistes étaient les plus irrités; la route qu'ils avaient prise aboutissait à un abîme, et ils reculaient épouvantés.

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Tonstall, ami d'Érasme plus tard évêque de Londres, qui revenait d'une ambassade en Allemagne, où on lui avait peint Luther sous les couleurs les plus noires, élevait surtout la voix. “ H Ce moine, s'écria- il en parlant de Luther, est un «protée... je veux dire un athée. Si vous laissez grandir les hérésies qu'il sème à pleines mains, elles étoufferont la foi et l'Église périra [5]. Nous n'avions pas assez des troupes wicléfites ; voici venir de nouvelles légions ! . . . Luther demande aujourd'hui qu'on abolisse la messe ; demain il demandera qu'on abolisse Jésus-Christ [6] il rejette tout, et ne met rien à sa place. Quoi ! si des Barbares butinent nos frontières, il faut les poursuivre. . . Et nous supporterions les hérétiques qui butinent nos autels!... Non... par les peines mortelles que Christ a en durées, je vous en supplie... que disje? L’Église entière vous conjure de combattre cette hydre dévorante... de poursuivre ce cerbère, de faire taire ses sinistres aboiements et de le contraindre à rentrer honteusement dans son antre [7]. » Ainsi parla l'éloquent Tonstall. Wolsey ne restait pas en arrière. La seule affection un peu respectable qui se trouvât dans cet homme était celle qu'il portait à l'Église; on peut l'appeler respectable, parce que c'était la seule qui ne se rapportât pas exclusivement à lui-même. Le 14 mai 1521, ce pape de l'Angle terre rendit, à l'imitation du pape d'Italie, sa bulle contre Luther.

On la publia un dimanche (ce fut probablement l'un des premiers de juin), dans toutes les églises, à l'heure de la grand'messe, en présence d'une foule considérable [8]. Un prêtre s'écriait : “ H Savoir faisons que pour tout écrit de Martin Luther, qui se trouvera chez vous ou chez les vôtres, quinze «jours après cette injonction, vous encourrez la grande excommunication. » Puis un notaire te nant en main la bulle du pape avec le tableau des opinions perverses de Luther, se dirigeait vers la grande porte de l'église et y clouait cette pancarte* [9].

Le peuple s'assemblait; le plus savant lisait; les autres écoutaient, et voici quelquesunes des sentences qui retentissaient alors, par ordre du pape, dans les parvis des églises cathédrales, claustrales, collégiales et paroissiales de tous les comtés de l'Angleterre [10]

Nul homme n'a le pardon de ses péchés, fût-il même absous par le prêtre, s'il ne croit pas que ses péchés lui sont réellement remis. L'absolution ne suffit pas; il est nécessaire de croire ; si par quelque impossibilité le pénitent ne s'est pas confessé, il suffit qu'il croie à la rémission de ses péchés; pour qu'il la possède. L'évêque et même le pape n'ont pas plus de pouvoir que le moindre prêtre pour remettre les péchés ; et même, s'il ne se trouve pas de prêtre, tout chrétien peut remplir cet office, fût-ce une femme ou un enfant.

Le pape, successeur de saint Pierre, n'est point le vicaire de Christ.

Il n'est nullement au pouvoir de l'Église et du pape, de décréter des articles de foi ou des ordonnances de mœurs. »

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Le cardinal légat, accompagné du nonce, de l'ambassadeur de Charles-Quint et d'un grand nombre de prélats, se rendit à Saint-Paul avec pompe, l'évêque de Rochester y prêcha, et Wolsey brûla les livres de Luther. [11] Mais à peine étaient-ils en cendres, que l'on vit pleuvoir de toutes parts les plaisanteries et les sarcasmes. “ H

Le feu, disait l'un, n'est pas un argument théologique. Les papistes, disait un autre, qui accusent Martin Luther do faire périr les chrétiens, ressemblent à cet habile fripon qui, sur le point d'être pris, se mit à crier : Arrêtez le voleur [12]... L'évêque de Rochester, disait un troisième, conclut de ce que Martin Luther a jeté dans les flammes les décrétales du pape, qu'il y jetterait le pape lui-même...

Ce syllogisme m'en fournit un autre plus solide, je pense : Les papes ont brûlé le Testament de Christ; donc, s'ils le pouvaient, ils brûleraient Christ lui-même*[13]. » Partout on répétait ces railleries. Ce n'était pas assez que les écrits de Luther fussent en Angleterre, il fallait qu'on le sût; les prêtres se chargeaient de l'annonce. La Réformation était en marche, et Rome elle-même poussait au char.

Le cardinal comprit qu'il fallait autre chose que ces autodafés de feuilles de papier, et l'activité qu'il déploya nous met sur la voie de ce qu'il aurait fait en Europe, s’il n’était jamais parvenu au trône des pontifes. L'esprit de Satan, dit le fanatique Sanders lui-même, ne lui laissait pas de repos. [14] » Il faut, pensa Wolsey, quelque action qui sorte de page. Les rois ont été jusqu'à présent les ennemis des papes; c'est un roi qui prendra leur défense ! Les princes ne se sont guère souciés des lettres; c'est un prince qui publiera un livre!.... “ H Sire, dit-il au roi, pour mettre Henri en verve, vous devriez écrire aux princes de l'Allemagne, à l'occasion de l'hérésie. »

Le roi le fit. “ H L'incendie allumé par Luther et attisé par le diable porte partout ses flammes dévorantes, écrivit le roi d'Angleterre à l'archiduc palatin ; si Luther ne se repent pas, livrez-le aux flammes avec ses écrits. Je vous offre ma coopé ration royale, et, s'il le faut, ma vie* [15]. » Ce fut la première fois que Henri manifesta cette soif cruelle qu'il devait étancher un jour dans le sang de ses femmes et de ses amis.

Ce premier pas fait par le roi, il ne fut pas difficile à Wolsey de lui en faire faire un nouveau. Défendre l'honneur de Thomas d'Aquin, se poser comme champion de l'Église, obtenir du pape un titre qui valût celui du “ H roi très chrétien, » c'étaient plus de motifs qu'il n'en fallait pour porter Tudor à rompre une lance avec Luther. “ H Je combattrai avec la plume ce Cerbère sorti des profondeurs de l’enfer [16], ditil, et s'il refuse de se rétracter, le feu consumera les hérésies et l'hérétique luimême ...*[17] »

Aussitôt le roi s'enferma dans son cabinet. Tous les goûts scolastiques qu'on lui avait inspirés dans sa première jeunesse s'étaient ranimés ; il travaillait comme s'il était archevêque de Cantorbéry, et non pas roi d'Angleterre; il lisait, avec la permission du pape, les écrits de Luther; il compulsait Thomas d'Aquin; il forgeait

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péniblement les traits dont il prétendait atteindre l'hérétique; il appelait quelques savants à son aide, puis enfin il publiait son livre. Sa première parole était un cri d'alarme. “ H Prenez garde aux traces de ce serpent, disait-il aux chrétiens; marchez sur la pointe du pied; ayez peur des buissons et des cavernes où il se cache, et d'où il vous lancera son poison. S'il vous lèche, à attention ! Couleuvre habile, il ne vous caresse que pour vous mordre [18] ! Après cela, Henri sonnait la charge : “ H Courage! disait-il, pleins de la même valeur avec laquelle vous marcheriez contre les n Turcs, les Sarrasins et les autres infidèles, marchez maintenant contre ce petit moine, faible d'apparence, mais qui, par l'esprit qui l'anime, est plus redoutable que tous les infidèles, tous les Sarrasins et tous les Turcs* [19]. » Ainsi Henri VIII, Le Pierre l'Hermite du seizième siècle, publiait pour sauver la papauté une croisade contre Luther. Il avait bien choisi le terrain sur lequel il présentait la bataille; le sacramentalisme et la tradition sont en effet les deux caractères essentiels de la religion du pape, comme la foi vivante et l'Écriture sont ceux de la religion de l'Évangile. Henri rendit service à la Réformation en signalant les principes qu'elle devait surtout combattre ; et en fournissant à Luther l'occasion d'établir l'autorité de la Bible, il lui fit faire dans la voie réformatrice, un pas d'une grande importance. “ H Si un enseignement est opposé à l'Écriture, dit alors le réformateur, il faut, quelle qu'en soit l'origine, traditions, coutumes, rois, thomistes, sophistes, Satan ou même un ange du ciel, il faut que ceux dont il émane soient maudits ! Il n'y a rien qui puisse subsister contre l'Ecriture, et tout doit exister pour elle ! »

L'ouvrage de Henri étant terminé, avec l'aide de l'évêque de Rochester, le roi le communiqua à Thomas More, qui lui demanda de se prononcer d'une manière moins précise en faveur de la suprématie du pape : “ H Je n'y changerai pas un mot, » répondit ce prince, plein d'un dévouement servile à la papauté. D'ailleurs, j'ai mes raisons, » ajouta-t-il, et il les dit tout bas à More.

Le docteur Clarke, ambassadeur d'Angleterre à Rome, fut chargé de remettre au pape un exemplaire de l'ouvrage du roi, magnifiquement relié. La gloire de l'Angleterre, lui dit-il, c'est d'être au premier rang parmi les peuples quant à la soumission à la papauté. » Heureusement, la Bretagne devait bientôt connaître une gloire d'un genre fort opposé. L'ambassadeur ajouta que son maître, après avoir réfuté les erreurs de Luther avec la plume, était prêt à combattre ses adhérents avec le glaive [20]. Le pape touché de cette offre lui donna son pied, puis sa joue à baiser, et lui dit : “ H Je ferai pour le livre de votre maître, autant que l'Église a fait pour les œuvres de saint Jérôme et de saint Augustin. »

La papauté, alors affaiblie, n'avait ni le pouvoir de l'intelligence, ni même celui du fanatisme. Elle gardait encore, il est vrai, ses prétentions et son éclat, mais elle ressemblait à ces cadavres des princes de la terre, que l'on revêt, sur leur lit de parade, de leurs robes les plus magnifiques ; splendeur pardessus, mort et

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pourriture par-dessous. Les foudres d'un Hildebrand n'ayant plus d'effet, Rome acceptait avec reconnaissance la parole laïque des Henri VIII et des Thomas More, sans dédaigner toutefois leurs sentences judiciaires et leurs échafauds. “ H Il faut, dit le pape à ses cardinaux, honorer les nobles athlètes qui se montrent prêts à couper avec l'épée les membres pourris de Jésus-Christ [21]. Quel titre donner au vertueux roi d'Angleterre? » Protecteur de l'Église romaine, disait l'un, Roi apostolique, disait l'autre; enfin, mais non sans quelque opposition, Henri VIII fut proclamé Défenseur de la foi. En même temps le pape promit aux lecteurs de l'écrit royal, dix années d'indulgence ; c'était une réclame à la mode du moyen âge, et qui ne manqua pas son effet. Par tout le clergé comparait son auteur à Salomon, le plus sage des rois, et le livre, imprimé à plusieurs milliers d'exemplaires, remplit le monde chrétien d'admiration et d'allégresse, dit Cocblée. Rien n'égala la joie d’Henri. “ H Sa Majesté, dit le vicaire de Croydon, n'échangerait pas ce nom-là contre Londres tout entier et vingt milles à la ronde » Le fou du roi, entrant chez son maître au moment où celui-ci venait de recevoir la bulle, lui demanda la cause de ses .transports. “ H Le pape, lui dit le prince, vient de me nommer Défenseur de la foi [22] Oh ! oh !... bon Henri, répliqua le fou, toi et moi, défendons-nous l'un l'autre; mais, crois-moi, laissons la foi se défendre toute seule*.[23] »

Tout un système moderne se trouvait dans cette parole. Au milieu de l'étourdissement général, le fou seul montra quelque raison. Mais Henri n'écoutait rien. Assis sur un trône élevé, le cardinal à sa droite, il fit lire publiquement la lettre du pape ; les trompettes sonnèrent; Wolsey dit la messe; le roi et la cour s'assirent à une table somptueuse, et les hérauts d'armes s'écrièrent : Henricus, Dei gratia Recc Ângliœ et Franciœ, Defensor Fidei et Dominus Hi berniez ! . . .

Ainsi le roi d'Angleterre était plus que jamais inféodé au pape; quiconque apportera dans son royaume la sainte Écriture, y rencontrera ce glaive de fer, ferreum et materialem gladium, qui charmait tant la papauté.

FOOTNOTES

[1] Burnet, Hist. ofthc Reformation, 1. ï, p. 30.

[2]“ H Libros Luiheranos quorum magnus jam numerus pervenerat in manus Anglorum. » (Polyd. Yirg., p. 664.)

[3] “ H Ab hoc regno extirpandum et abolendum. » (Cardinal Ebor, Commissio. Strype, M. I, p. 22.)

[4] “ H Habitoque super hao re diligent! tractatu, » (Ibid.)

[5] “ H Tota ruet Ecclesia. » (Eraami Ep., p. 1159.)

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[6] “ H Nisi de abolendo Christo soribere destinavit. » (Ibid., p. 1160.)

[7] “ H Gladio Spiritus abaotura in antrum suum coges. » (Ibid.)

[8] “ H Cum major convenerit multitudo. » (Erasmi Ep., p. 1160.)

[9] “ H In val-vis, seu locis publicis ecclesiae vestrae. » (Ibid., p. 24.)

[10] Voir Sirype, M. I, p. 57, ou Luther, Op., XVII, p. 306. La traduc tion anglaise n'est pas toujours très exacte ; néanmoins comme elle exprime le sens donné en Angleterre à ces propositions, nous l'avons suivie.

[11] 1 Histoire de la Réformation, t. III,

[12] n, ch. 10.

[13] “ H They would have burnt Christ himself. » (Tynd., Works, 1, 255.)

[14] “ H Satanae spiritu actus. » (De Schism. angl.,p. 8.)

[15] Kapp's Urkunden, II, p. 458.

[16] Velut Cerberum ex inferis producit in lucem. » [Regis ad lectorem Epist., p. 94.)

[17] “ H Ut errores ejus, eumque ipsum ignis exurat. » (Ibid., p. 95.)

[18] “ H Qui tantum ideo lambit ut mordeat. » [Assertio sept. sacram.,p.U.}

[19] “ H Sed anitno Turcis omnibus Sarracenis, omnibus usquam infldeli bus nocentiorem fraterculum. » (Ibid., p. 147.)

[20] “ H Totiusregni sui-viribus etarmis.» (Rymeri Fœdera, VI, p. 199.)

[21] “ H Putida membra... ferro et materiali gladio abscindere. » (Ibid.)

[22] Fox, Acts, \Y, p. 596.

[23] “ H And let the faith alone to defend itself. » (Fuller,Vth.B.;p. 165.)

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CHAPITRE VI

Machinations de Wolsey pour parvenir à la papauté. Il gagne Charles-Quint. Alliance entre le roi d'Angleterre et l'Empereur. Wolsey brigue la place de général en chef. Traité de Bruges. Henri se croit roi de France. Victoires de François ter. Mort de Léon X.

Pour arrêter plus sûrement les progrès de l'Évangile, il ne manquait plus que l'avènement de Wolsey au pouvoir pontifical. Brûlant du désir de parvenir “ H au faîte de l'unité sacerdotale, » dit Sanders [1], il forma pour atteindre ce but l'un des projets les plus perfides que l'ambition ait enfantés. La fin, pensait-il comme d'autres, justifie les moyens. »

Le cardinal ne pouvait tenir la papauté que de l'Empereur ou du roi de France ; car alors comme maintenant, c'étaient les puissances du siècle qui faisaient élire le chef de la catholicité. Ayant soigneusement pesé l'influence de ces deux princes, Wolsey reconnut que la balance penchait du côté de Charles, et son parti fut pris. D'anciens et intimes rapports l'unissaient à François Ier; n'importe, il fallait le trahir pour gagner son rival.

L'affaire n'était pas facile. Henri était mécontent de Charles-Quint*[2]. Wolsey fut donc obligé de mettre dans ses manœuvres tous les raffinements imaginables. Il envoya d'abord sir Richard Wingfeld à l'Empereur; puis il écrivit au nom d’Henri une lettre flatteuse à la gouvernante des Pays-Bas. La difficulté était de la faire signer au roi. “ H Veuillez y mettre votre nom, lui dit Wolsey, dit-il en coûter quelque chose à Votre Altesse!... Vous le savez... les femmes aiment que l'on se donne do la peine pour leur plaire [3]. » Cet argument en traîna le roi qui avait encore l'esprit galant. Enfin, Wolsey s'étant fait nommer médiateur entre Charles et François, résolut de se rendre à Calais, en apparence pour entendre les plaintes de ces deux princes, mais en réalité, pour trahir l'un d'eux. Wolsey se plaisait à de tels exercices, comme François à livrer une bataille.

Le roi de France repoussa cette médiation; il avait l'œil perçant, et sa mère plus encore. “ H Votre maître ne m'aime pas, dit-il à l'ambassadeur de Charles Quint, je ne l'aime pas davantage, et je suis décidé à être son ennemi*. [4] » On ne pouvait parler plus ouvertement. Loin d'imiter cette rude franchise, le politique Charles s'efforçait de gagner Wolsey, et Wolsey, fort empressé à se vendre, insinuait habilement à quel prix on pouvait l'obtenir. Charles le comprit. “ H Si le roi d'Angleterre s'unit à moi, fit il dire au cardinal, vous serez élu pape à la mort de Léon X' [5]. » François, trahi par Wolsey, abandonné par le pape, menacé par l'Empereur, se décida enfin à accepter la médiation de Henri. Mais Charles pensait maintenant à tout autre chose. Au lieu d'une médiation, il fit demander au roi d'Angleterre quatre mille de ses fameux archers. Henri sourit en lisant la dépêche,

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et regardant Pace, son secrétaire, et Marney, capitaine de ses gardes : “ H Beati qui audiunt et non intelligunt ! » Dit-il ; leur défendant ainsi de comprendre et surtout d'ébruiter cette étrange requête. On convint de porter le nombre des archers à six mille ; puis le cardinal, ayant toujours la tiare devant les yeux, partit pour jouer à Calais l'odieuse comédie d'une hypocrite médiation. Retenu à Douvres par les vents contraires, le médiateur profita de ce délai pour dresser la liste des six mille archers et de leurs capitaines, n'oubliant pas d'y mettre “ H certains cerfs obstinés, auxquels, avait dit Henri, il fallait absolument donner la chasse [6]. * C'étaient des seigneurs dont le roi avait envie de se débarrasser.

Tandis que les ambassadeurs du roi de France étaient reçus à Calais le 4 août, avec de grands honneurs, par le lord chambellan d'Angleterre, le cardinal convenait avec les ministres de Charles, que Henri VIII retirerait au dauphin la main de la princesse Marie, et la donnerait à l'Empereur. En même temps, il ordonnait de détruire la marine française, et d'envahir la France'[7]. Enfin il obtenait que pour dédommager l'Angleterre des 16,000 livres par an qu'elle avait jusque-là reçues de la cour de Saint-Germain, l'Empereur lui payerait dorénavant 40,000 marcs. Sans espèces sonnantes, le marché n'eût pas été bon pape, conçut l'idée de se faire général. Il fallait un commandant en chef aux six mille archers qu’Henri envoyait contre le roi de France ; et pourquoi ne serait-ce pas le cardinal lui-même ? Aussitôt il s'ingénia pour écarter les seigneurs proposés comme généraux en chefs. “ H Shrewsbury, dit-il au roi, vous est nécessaire pour l'Ecosse, Worcester est digne par son expérience que... vous le gardiez près de vous. Quant à Dorset,... il sera bien cher! » Puis le prêtre ajouta : “ H Sire, si durant mon séjour de l'autre côté de la mer, vous avez de bons motifs pour y envoyer vos archers... je m'empresse de vous faire savoir que, quand l'Empereur se mettra à la tête do ses soldats, je < suis prêt, quoique ecclésiastique [8], à me mettre moi-même à la tête des vôtres ! »

Quel dévouement ! Wolsey ferait porter devant lui, disait-il, sa croix de cardinal à latere; et ni François Ier, ni Bayard ne pourraient lui résister. Commander à la fois l'État, l'Église et l'armée, en attendant la tiare, ceindre sa tête de lauriers, telle était l'ambition de cet homme. Malheureusement pour lui, on n'était pas de cet avis à la cour. Le roi nomma le comte d'Essex général en chef.

Wolsey, ne pouvant être général, se tourna vers la diplomatie. Il courut à Bruges ; et au moment où il y entrait à côté de l'Empereur, une voix s'élevant de la foule s'écria : Salve Rex regis tui atque regni suii [9] parole fort agréable à ses oreilles. On s'étonnait fort, à Bruges, de l'intimité qui existait entre le cardinal et l'Empereur. “ H Il y a là-dessous un mystère, » disait-on [10]. Wolsey voulait poser la couronne de France sur la tête du roi d'Angleterre, et la tiare sur la sienne. Tel était le mystère qui méritait bien quelques caresses au puissant Charles Quint. L'alliance fut conclue, et l'on convint “ H de tirer vengeance des injures faites au siège de Jésus-Christ, » ce qui voulait dire à la papauté. Wolsey, pour entraîner

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Henri dans les intrigues qui devaient lui procurer la tiare, lui avait rappelé qu'il était roi de France, et ïudor avait saisi vivement cette pensée.

Le 7 août, à minuit, le roi, enfermé avec son secrétaire, dictait dans une lettre adressée à Wolsey, cette étrange phrase : Si ibitis parare régi locum in regno ejus hœreditario, Majestas ejv.s quumtempus erit opportunum, sequetur* [11]. Le théologien qui avait corrigé le fameux écrit latin du roi contre Luther, n'avait certes pas revu cette épître. La France était, selon Henri, son royaume héréditaire, et Wolsey allait lui préparer ce trône A cette pensée le roi ne pouvait contenir sa joie, et s'imaginait déjà surpasser Edouard III et le Prince Noir. “ H Je vais, s'écriait-il, parvenir à une gloire supérieure à celle que mes ancêtres ont conquise par tant de guerres et de batailles ' [12]. » Wolsey lui traçait le chemin pour arriver à son palais des bords de la Seine. “ H Mézières vaêfre pris, lui insinuait-il; après, il n'y a que Reims, qui n'est pas une ville forte ; ainsi Votre Grâce atteindra facilement Paris [13]. » Henri suivait du doigt sur la carte la route qu'il allait parcourir. “ H Les affaires vont bien, écrivait le cardinal, le Seigneur en soit béni. »

Ce langage chrétien n'était pour lui qu'un vêtement officiel. Wolsey se trompait, les affaires allaient mal. Le 20 octobre, François Ier, que tant de perfidie n'avait pu abuser, François, ambitieux, turbulent, mais honnête dans cette affaire, se confiant en la puissance de ses armes, s'était tout à coup présenté entre Cambrai et Valenciennes. L'Empereur, effrayé, s'était enfui dans les Flandres, et Wolsey, au lieu de se mettre à la tête de l'armée, s'était enveloppé de son manteau de médiateur. Puis, écrivant à Henri, qui, quinze jours auparavant, avait, par son conseil, excité Charles-Quint à attaquer la France :

Je m'assure lui dit-il, que votre vertueuse médiation augmentera fort dans toute la chrétienté votre réputation et votre honneur [13]! ... » François Ier refusa les offres de Wolsey ; mais le but de celui-ci fut atteint. Les négociations avaient fait gagner du temps à Charles, et la mauvaise saison arrêta bien tôt l'armée française. Wolsey retourna satisfait à Londres vers le milieu de décembre. L'entrée de Henri dans Paris devenait, il est vrai, très difficile ; mais la faveur de l'Empereur était assurée au cardinal, et avec elle, pensait-il, la tiare; Wolsey avait donc ce qu'il voulait. A peine était-il arrivé en Angleterre qu'une nouvelle vint le mettre au comble du bonheur : Léon X était mort. Son allégresse sur passa celle que Henri avait ressentie à la pensée de son royaume héréditaire. Protégé par le puissant CharlesQuint, auquel il avait tout sacrifié, le cardinal anglais allait enfin recevoir cette couronne pontificale qui lui permettrait d'écraser l'hérésie, et qui était à ses yeux la juste récompense de tant d'infâmes transactions.

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FOOTNOTES

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[1] “ H Unitatis sacerdotalis fastigium conscendere. » (Sanders, De schismate Angliœ, 8.)

[2] “ H Hys owne affayris doth not succede with the Emperouri >S [State papers, vol. I,p. 10.)

[3] “ H Ye knowewell enough that womenmust be pleased. » [State pa pers, I, p. 12.)

[4] “ H He was utterly determined to be his ennemy. » (Cotton MSC, Gai., 3, 1, p. 35.)

[5] “ H Ut Wolseus mortuo Leone decimo flerct summus pontifex. »

[6] “ H Sayinge that certayne hartes. » [State papers, I, p. 26.)

[7] “ H To invade France... and to provide for the destruction of the Frenche kynges navye... » (Ibid., I, p. 23.)

[8] ' “ H Though I be a spiritual man. » [State papers, î, p. 31.)

[9] “ H Salut, roi de ton roi et de son royaume. » (Tynd., W., \, p. 459.)

[10] “ H There was a certain secret where of all men knew not. » (Tynd., . W., I, p. 459.)

[11] “ H Si vous allez préparer au roi la place dans son royaume héréditaire, Sa Majesté vous suivra en temps opportun. »

[12] “ H Majora assequi quam omnes ipsius progenitores, tôt bellis et praeliis. » [State papers, \, p. 43.)

[13] “ H Your Grace shall have but a levve way to Paris. » [Stale papers, I.P.M.J

[14] “ H Your virtuous and charitable mediation, » (MSC. Cal. D., 8, p. 83.)

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CHAPITRE VII

Les justes hommes du Lincolnshire. Leurs conventicules. Agnès et Morden. Bibliothèque circulante. Conversations polémiques. Sarcasmes. Ordonnance royale et terreur. Dépositions et condamnations. Quatre martyres. Un conclave. Charles console Wolsey

Wolsey n'attendit pas d'être pape pour persécuter les disciples de la Parole de Dieu. Désireux de réaliser les stipulations du traité de Bruges, il avait sévi contre “ H les sujets du roi qui inquiétaient le siège apostolique. » Henri avait à justifier le titre que lui avait donné le pape ; le cardinal avait à conquérir la papauté; et tous deux pouvaient satisfaire leur désir en dressant quelques échafaudages.

Dans le beau comté de Lincoln, sur les rives de la mer du-Nord, les longs bords fertiles de l'Hum ber, du Trent, du Witham, et sur le penchant de riantes collines, se trouvaient des chrétiens paisibles, laboureurs, artisans, bergers, qui passaient leur vie à travailler, à garder leurs troupeaux, à faire le bien et à lire la Bible [1]. Plus la lumière évangélique augmentait en Angleterre, plus on voyait s'accroître le nombre de ces enfants de paix [2]. Ces justes hommes, » comme on les appelait, étaient dépourvus de connaissances humaines, mais ils avaient soif de la connaissance de Dieu. Pensant être seuls de vrais disciples du Seigneur, ils ne se mariaient qu'entre eux [3]. Ils paraissaient quelque fois à l'église ; mais au lieu de bourdonner leurs prières comme la foule, ils y étaient, disaient leurs ennemis, “ H bouche close comme des bêtes' [4]. » Les dimanches et les jours de fête, ils avaient des conventicules dans la maison de l'un ou l'autre d'entre eux, et ils passaient quelquefois toute une nuit à lire une portion de l'Écriture. Si les livres manquaient dans l'assemblée, l'un des frères qui avait appris par cœur l'épître de saint Jacques, le commencement de l'évangile de saint Luc, le discours de la montagne, ou une épître de saint Paul, en récitait quelques versets d'une voix sonore et recueillie ; puis tous s'entretenaient pieusement des saintes vérités de la foi, et s'exhortaient à les mettre en pratique. Mais si quelqu'un qui n'était pas des leurs parais sait par hasard dans l'assemblée, tous se taisaient [5] Parlant beaucoup entre eux, ils étaient muets devant ceux du dehors ; la crainte des flammes et des prêtres leur fermait la bouche. Sans les Écritures, il n'y avait pour eux point de fête de famille. Un de leurs patriarches, le vieux Durdant, mariant un jour l'une de ses filles, on se réunit en secret dans une grange, et on y lut toute une épître de saint Paul. Jamais noce n'avait été célébrée avec de tels divertissements.

S'ils se taisaient devant les suspects et les ennemis, ces pauvres gens ne se taisaient pas en présence des petits un fervent prosélytisme les caractérisait. “ H Venez chez moi, disait la pieuse Agnès Ashfordaubon James Morden, et je vous apprendrai quelques versets des Écritures. » Agnès était une femme instruite ; elle savait lire ;

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Morden vint, et la chambre de la pauvre femme fut transformée en une école de théologie. Agnès commença :

Vous êtes le sel de la terre, » dit-elle, puis elle récita les versets qui suivent [6]. Cinq fois Morden revint chez Agnès avant de savoir ce beau discours. Nous sommes répandus comme du sel dans les diverses parties du royaume, disait au néophyte cette femme chrétienne, afin que par notre doc trine et notre vié, nous arrêtions les progrès de la superstition. Mais, ajoutait-elle effrayée, gardez ce secret-là dans votre cœur, comme un geôlier garde un voleur. » [7]

Les livres étaient rares; ces pieux chrétiens avaient établi une espèce de bibliothèque ambulante ; et John Scrivener portait sans cesse de l'un à l'autre les volumes précieux* [8]. Mais au moment où, chargé de ses livres, il se glissait le long de la rivière ou dans l'épaisseur de la forêt, il découvrait parfois tout à coup qu'on était sur ses traces ; il précipitait ses pas, se jetait dans une ferme, où quelque paysan le cachait promptement dans sa grange, sous la paille, ou comme les espions d'Israël, sous des chènevottes de lin[9]. Les sbires arrivaient, cherchaient, ne trouvaient rien, et plus d'une fois les généreux recéleurs de ces évangélistes durent expier rudement le crime de la charité.

A peine les sergents découragés s'éloignaient-ils de la contrée, qu'aussitôt ces amis de la Parole de Dieu sortaient de leur cachette, et profitaient de ce moment de liberté pour réunir les frères. La guerre qu'on leur faisait les irritait contre les prêtres. Ils adoraient Dieu, ils lisaient, ils chantaient à voix basse, mais quand la conversation devenait générale, ils donnaient libre cours à leur indignation : “ H Voulez-vous savoir à quoi servent les par dons du pape? disait l'un d'eux; à aveugler les yeux et à vider les bourses » “ H Les vrais pèlerinages, disait le tailleur Geffrey d'Uxbridge, consistent à visiter les pauvres et les malades, pieds nus, si l'on veut, car ce sont ces petits qui sont les images de Dieu. » “ H L'argent dépensé en pèlerinages, reprenait un troisième, ne sert qu'à l'entretien des courtisanes et des voleurs *. [10]» Les femmes se montraient souvent les plus animées dans la controverse. “ H Qu'est-il besoin de s'adresser aux pieds [11]» disait Agnès Ward, qui ne voulait pas des saints, “ H quand on peut aller à la tête? » “ H Les ecclésiastiques du bon vieux temps, disait la femme de David Levis, conduisaient le peuple comme la poule conduit ses poussins [12]; mais maintenant, si nos prêtres conduisent quelque part leurs ouailles, c'est au diable assurément. »

Bientôt l'épouvante fut dans ces campagnes. L'évêque de Lincoln était confesseur du roi ; ce prêtre fanatique, John Longland, créature de Wolsey, profita de sa position pour demander à Henri une franche persécution : c'était à cela que servaient ordinaire ment en Angleterre, en France et ailleurs, les con fesseurs des princes. Malheureusement, à côté des pieux disciples de la Parole, on rencontrait çà et là des hommes d'un esprit cynique, dont les mordants sarcasmes passaient toutes les

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bornes. Wolsey et Longland surent en profiler pour exciter la colère du prince. “ H L'un de ces gens, lui dirent-ils, étant occupé à battre du blé dans sa grange, un homme vint à passer, Bonjour, voisin, lui dit ce dernier, vous travaillez rude! Oui, » répondit le vieux hérétique en pensant à la transsubstantiation, “ H Je bats hors de la paille le grain dont les prêtres font «le Dieu tout-puissant *...[13] » Henri n'hésita plus. Le 20 octobre, neuf jours après que la bulle sur le Défenseur de la foi avait été signée à Rome, le roi, qui était à Windsor, appela son secrétaire, et lui dicta un ordre, par lequel il commandait à tous ses sujets d'assister l'évêque de Lincoln contre les hérétiques. “ H Vous en répondez sur votre tête, » ajoutait-il. Il remit l'ordre à Longland. Aussitôt l'évêque lança des mandats d'arrêt, et ses sergents portèrent partout l'effroi. En les voyants, ces hommes paisibles mais timides, se troublèrent. Isabelle Barlet les entendant un jour s'approcher de sa chaumière, poussa un cri : “ H Vous êtes un homme perdu ! dit «lie à son mari, et moi, je suis morte [14] ! » Ce cri se répéta dans toutes les cabanes du Lincolnshire. Bientôt l'évêque, assis sur son tribunal, travailla habilement ces malheureux pour les faire déposer les uns contre les autres. Hélas ! Selon l'antique prophétie, “ H le frère livra son frère à la mort. » Robert Barlet déposa contre son frère Richard et contre sa femme; Jeanne Bernard accusa son propre père, et Tredway sa mère. Ce n'était qu'après de mortelles angoisses que ces malheureux en venaient à de si affreux extrémités ; mais l'évêque et la mort les épouvantaient; un petit nombre seulement restèrent debout. En fait d'héroïsme, la réformation de Wicleff ne devait apporter qu'un faible secours à la réformation du seizième siècle ; mais si elle ne lui donna pas beaucoup de héros, elle prépara le peuple anglais à aimer par-dessus tout la Parole divine.

Parmi ces humbles chrétiens, les uns furent con damnés à faire pénitence dans divers monastères ; d'autres à porter un fagot sur leurs épaules, à faire ainsi trois fois le tour de la place du marché, puis à rester quelque temps exposés aux rires de la popu lace; d'autres encore furent liés étroitement à un pieu, et le bourreau leur appliqua un fer brûlant sur la joue. Ils eurent aussi leurs martyrs. Le réveil de Wicleff n'en avait jamais manqué. On choisit quatre d'entre ces frères pour les mettre à mort. De leur nombre fut le pieux colporteur évangéliste Scrivener ; on voulait s'assurer, en le réduisant en cendres, qu'il ne répandrait plus la Parole de Dieu ; et, par un horrible raffinement de cruauté, on obligea ses enfants à mettre le feu au bûcher qui devait consumer leur père [15] ! . . . Ils avancèrent leur main tremblante, tenue par la forte main des bourreaux!... Pauvres enfants!... Mais il est plus facile de brûler les membres des chrétiens que d'éteindre l'Esprit du ciel. Ces flammes cruelles ne purent anéantir parmi le peuple du Lincolnshire ces mœurs bibliques, qui de tout temps, et plus que la sagesse des sénateurs ou la valeur des généraux, ont été la force de l'Angleterre.

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Wolsey, ayant par ces exploits gagnés des titres incontestables à la tiare, tourna vers Rome ses efforts. Léon X, on l'a vu, venait de mourir. Le cardinal envoya Pace, en lui disant : «Représentez aux «cardinaux qu'en élisant un partisan de François ou de Charles, ils s'attireront l'inimitié de l'un ou l'autre de ces princes, et qu'en choisissant quelque prêtre sans pouvoir, ils perdront l'indépendance du siège pontifical. La révolte de Luther, l'ambition de l'Empereur, tout expose maintenant la papauté.' Il n'y a qu'un moyen de prévenir les maux qui la menacent... C'est de m'élire... Allez, «partez, parlez... [16]» Le conclave s'ouvrit à Rome le 27 décembre, on y proposa Wolsey; mais les cardinaux ne furent pas généralement favorables à son élection. “ H Il est trop jeune, dit l'un; trop «ferme, dit l'autre. Il établira en Angleterre et non à Rome le siège de la papauté, » disaient plusieurs. Wolsey ne put réunir vingt suffrages. Les cardinaux, c'est le témoignage de l'ambassadeur d'Angleterre, braillaient, se querellaient ; et chaque jour voyait croître leur mauvaise foi et leur haine. » Dès le sixième jour, on ne leur envoya plus qu'un plat ; alors, de désespoir, ils élurent Adrien, ancien gouverneur de Charles, et l'on s'écria : Papam habemus !

Pendant ce temps, Wolsey était à Londres, consumé par l'ambition et comptant les jours et les heures... Enfin, une dépêche de Gand, du 22 janvier, arriva avec ces mots : “ H Le 9 janvier, le cardinal de Tortose a été élu!... » Wolsey fut hors de lui. Pour gagner Charles, il a sacrifié l'alliance de François Ier, il n'y a pas de ruse qu'il n'ait employée, et Charles, malgré ses engagements, a fait élire son précepteur....

L'Empereur comprit quelle devait être la colère du cardinal, et s'efforça de l'apaiser : Le pape élu, écrivit-il, est vieux et malade; il ne gardera pas longtemps la tiare...*[17] Priez de ma part le cardinal d'York de bien soigner sa santé. »

Charles fit plus encore ; il arriva lui-même à Londres, sous prétexte de ses fiançailles avec Marie d'Angle terre, et dans le traité que l'on rédigea, il accorda l'insertion d'un article en vertu duquel Henri VIII et le puissant empereur s'engageaient, si l'un ou l'autre venait à violer le traité, à comparaître devant Wolsey et à se soumettre à ses excommunications Le cardinal, flatté de cette condescendance, se calma. On le berçait en même temps des espérances les plus flatteuses. “ H Cet imbécile précepteur de Char les, lui disait-on, est arrivé au Vatican sans autre «suite que sa cuisinière; vous, vous y entrerez bientôt entouré de toutes vos grandeurs. [18] » Pour être plus sûr de son affaire, Wolsey se rapprocha secrètement de François Ier; puis il attendit la mort du pape*[19] vin

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CHAPITRE VIII

Caractère de Tyndale. Il arrive à Londres. Il prêche. Le drap et l'aune. L'évêque de Londres donne audience à Tyndale. Il est renvoyé. Un marchand chrétien de Londres. Un esprit d'amour dans la Réformation. Tyndale chez Monmouth. Fryth traduit avec lui le Nouveau Testament. Sollicitations de l'évêque de Lincoln. Persécution à Londres. Résolution de Tyndale. Il part. Son indignation contre les prélats. Ses espérances

Pendant que le cardinal préparait par l'intrigue ses égoïstes projets, Tyndale poursuivait dans l'humilité la grande pensée de donner à l'Angleterre les Écritures de Dieu

Après avoir dit un triste adieu au manoir de Sodbury, l'helléniste était parti pour Londres; c'était vers la fin de 1522, ou au commencement de 1523. Il avait quitté l'Université, puis la maison de son protecteur, sa carrière errante commençait alors; mais un voile épais lui en dérobait les douleurs.

Tyndale, simple, sobre, hardi, généreux, ne craignant aucune fatigue ni aucun péril, inflexible dans le devoir, oint de l'Esprit de Dieu, rempli d'amour pour ses frères, affranchi des traditions humaines, soumis à Dieu seul et n'aimant que Jésus-Christ, plein d'imagination, prompt à la repartie, d'une éloquence rapide, Tyndale eût pu briller au premier rang ; mais il préférait une vie cachée dans quelque pauvre réduit, pourvu qu'il pût donner à son peuple les oracles de Dieu. Où trouver cette tranquille retraite? Voilà ce qu'il se demandait en cheminant solitaire sur la route de la métropole. Cuthbert Tonstall, homme d'Etat et de lettres, plus encore qu'homme d'Eglise, “ H le premier des Anglais dans la littérature grecque et latine, » avait dit Érasme, occupait alors le siège épiscopal de Londres. L'éloge du savant hollandais revint à l'esprit de Tyndale [20].

C'est le Testament grec d'Érasme qui m'a conduit à Jésus-Christ, se dit-il, pourquoi la maison de l'ami d'Érasme ne m'offrirait-elle pas un asile pour le traduire... Enfin, il arriva à Londres, et inconnu dans cette grande cité, il en traversa les rues, ému tour à tour par la crainte et par l'espérance. Recommandé par sir John Walsh à sir Henri Guil Ford, contrôleur des grâces du roi, et par celui-ci à quelques prêtres, Tyndale commença presque aussitôt à prêcher, surtout à Saint-Dunstan, et il porta ainsi la vérité bannie des bords de la Severn, au centre de la capitale. La Parole de Dieu était pour lui la base du salut, et la grâce de Dieu en était l'essence; son esprit original présentait d'une manière saillante la vérité qu'il annonçait. “ H C'est le sang de Christ, et non les œuvres, qui ouvre le ciel, » disait- il plus tard. “ H Mais que dis-je?... ajoutait-il, je me trompe... Oui, si vous le voulez, c'est par vos bonnes œuvres que vous serez sauvés. Toutefois comprenez-moi bien, non t par celles que vous avez faites, mais par celles que Christ a faites pour vous. Car Christ est à vous, et toutes ses œuvres sont vôtres. Vous ne pouvez être damnés, que Christ ne

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le soit avec vous ; et Christ ne peut être sauvé que vous ne le soyez avec lui [21]... »

Cette vue si claire de la justification par la foi, met Tyndale au rang des réformateurs. Il ne s'est pas assis au banc des évêques, et n'a pas porté la chape de satin ; mais il est monté sur l'échafaud et a été revêtu d'un manteau de flammes.

Dans le service d'un Sauveur mort sur une croix, cette dernière distinction vaut mieux que la première.

Cependant sa grande affaire était sa traduction; il en parla autour de lui, et quelques-uns s'opposèrent à son projet. “Les enseignements des docteurs, tt disaient des marchands de la Cité, peuvent seuls faire comprendre les Écritures. » :

“ H C'est à dire, répondait Tyndale, que c'est avec le drap qu'il faut mesurer l'aune*. Voyez, continuait-il, employant un argument ad hominem; voilà dans votre boutique vingt pièces d'étoffes de diverses dimensions? Mesurez- vous l'aune a avec ces pièces ou ces pièces avec l'aune [22]?... La règle universelle, c'est l'Écriture. » Cette comparaison se gravait aisément dans l'esprit des petits marchands de Londres.

Voulant réaliser son projet, Tyndale aspirait à devenir chapelain de l'évêque [23] ; son ambition était plus modeste que celle de Wolsey. L'helléniste avait des titres qui devaient plaire au plus savant des Anglais dans la littérature grecque ; Tonslall et Tyndale lisaient et aimaient les mêmes auteurs. Le précepteur résolut de faire plaider sa cause par l'élégant et harmonieux disciple de Radicus et de Gorgias. “ H Voici une oraison d'Isocrate que j'ai traduire de grec en latin, disait-il à sir Henri Guil t Ford ; je désirerais devenir chapelain de Monseigneur de Londres : voudriezvous lui en faire hommage. Isocrate doit être une excellente recommandation auprès d'un humaniste; veuillez toutefois y ajouter la vôtre. » Guilford parla à l'évêque, lui remit l'oraison, et Tonstall répondit avec cette bienveillance qu'il avait pour tout le monde. Votre affaire est en bon chemin, dit le contrôleur à Tyndale, écrivez une lettre à Monseigneur, et portez-la-lui vous-même *[24]. »

Ainsi les espérances de Tyndale commençaient à se réaliser. Il écrivit de son mieux son épître, puis, se recommandant à Dieu, s'achemina vers le palais épiscopal. Il connaissait heureusement l'un des officiers de l'évêque, William Hebilthwayte ; ce fut à lui qu'il remit sa lettre. Hebilthwayte la porta à Monseigneur, et Tyndale attendit. Le cœur lui bat tait; trouverait-il enfin cet asile tant désiré? La réponse de l'évêque pouvait décider de sa vie. Si la porte s'ouvre, si le traducteur des Écritures s'établit dans le palais épiscopal, pourquoi son patron de Londres ne recevrait- il pas la vérité comme son patron de Sodbury? Et dans ce cas, quel avenir pour l'Église et pour le royaume!... La Réformation heurtait alors à la porte de la hiérarchie d'Angle terre, et celle-ci allait dire son oui ou son non. Après quelques moments d'attente, Hebilthwayte reparut. Je vais, dit-il, vous conduire auprès de Mon seigneur. » Tyndale se crut au comble de ses désirs.

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L'évêque était trop bienveillant pour refuser audience à un homme qui arrivait chez lui avec la triple recommandation d'Isocrate, du contrôleur des grâces et de l'ancien compagnon d'armes du roi. Il reçut Tyndale avec une certaine bonté, mélangée pourtant d'un peu de froideur, comme un homme dont la connaissance pourrait le compromettre. Tyndale ayant exposé sa demande : “ H Hélas! ma maison est pleine, se hâta de répondre l'évêque, j'ai plus de gens que je n'en puis employer [25]. »

Tyndale fut renversé par cette réponse. L'évêque de Londres était un homme savant, mais sans consistance et sans courage, qui donnait sa main droite aux amis des lettres et de l'Évangile, et sa main gauche aux amis des prêtres; puis tâchait de marcher avec tous les deux. Mais quand il lui fallait choisir entre ces deux partis, les intérêts cléricaux l'emportaient; il ne manquait pas autour de lui d'évêques, de prêtres ou de laïques, dont les clameurs l'intimidaient. Après avoir fait quelques pas en avant, il recula donc brusquement.

Tyndale osa pourtant hasarder un mot. Mais le prélat devenait toujours plus froid. Les humanistes, qui se moquaient de l'ignorance des moines, tremblaient pourtant de toucher à un système ecclésiastique qui leur prodiguait de riches sinécures ; ils acceptaient les idées nouvelles en théorie, mais non en pratique ; ils voulaient bien les discuter dans leurs repas, mais non les publier du haut des chaires; et couvrant d'applaudissements le Testament grec, ils le déchiraient s'il était en langue vulgaire. “ H Cherchez bien dans Londres, dit froidement Tonstall au pauvre prêtre, et vous ne manquerez pas d'y trouver une occupation convenable. » Ce fut tout ce que Tyndale put obtenir. Hebilthwayte le reconduisit jusqu'à la porte, et l'helléniste s'éloigna tristement.

Ses espérances étaient donc déçues. Chassé des bords de la Severn, sans asile dans la capitale, que va devenir la traduction des Écritures? «Hélas! disait-il, je m'étais donc trompé '[26]!... il n'y a rien à attendre des évêques... Christ fut souffleté devant l'évêque [27]... et l'évêque vient aussi de me renvoyer! » Son abattement ne dura pas; il y avait du ressort dans cette âme. “ H J'ai faim de la Parole de Dieu, dit-il, et je veux la traduire ; quoi qu'on dise et quoi que l'on fasse. Dieu ne me laissera pas périr. Il n'a pas fait une bouche, sans l'aliment dont elle a besoin, ni un corps sans l'habit a dont il doit être vêtu *[28]. »

Cette confiance ne fut pas trompée. Un laïque devait donner à Tyndale ce qu'un évêque lui refusait. Parmi ses auditeurs de Saint-Dunstan se trouvait un riche marchand, nommé Humphrey Monmouth, qui avait visité Rome, et à qui le pape s'était empressé de donner (ainsi qu'à sa compagnie), certaines curiosités romaines, des indulgences à culpa et à pœna. Chaque année des navires, faisant voile de Londres, portaient aux pays étrangers les objets que Monmouth avait fait manufacturer en Angle terre. Ancien auditeur du doyen Colet, à Saint-Paul, connaissant depuis 1515 la Parole de Dieu*[29], Mon mouth, l'un des hommes les plus doux, les plus serviables de la Grande-Bretagne, tenait table ouverte pour les

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amis des lettres et de l'Évangile, et sa chambre leur offrait les publications les plus récentes. En revêtant Jésus -Christ, Monmouth s'était appliqué particulièrement à revêtir sa charité; il assistait largement de sa bourse les gens de lettres et les prêtres; il donnait quarante livres sterling au chapelain de l'évêque de Londres, autant à celui du roi, au provincial des Augustins et à d'autres encore. Latimer, qui s'assit quelquefois à sa table, ra conta un jour en chaire une anecdote qui caractérise les amis de la Réformation en Angleterre.

Parmi ceux qui mangeaient habituellement à la table de Monmouth, se trouvait un de ses plus chétifs voisins, zélé catholique-romain, auquel son hôte généreux prêtait souvent de l'argent. Un jour que le pieux marchand exaltait l'Écriture et blâmait la papauté, le voisin pâlit, se leva et sortit : “ H Je ne remettrai pas les pieds dans cette maison, dit-il à ses amis, et je n'emprunterai plus un schelling à cet homme [30] ! » Puis il se rendit chez l'évêque et dénonça son bienfaiteur. Monmouth lui pardonna et chercha à le ramener; mais le voisin se détournait toujours de son chemin. Une fois ce pendant ils se rencontrèrent dans une rue si étroite qu'il ne put lui échapper. “ H Je passerai sans le regarder, » dit en détournant la tête le catholique romain.

Mais Monmouth alla droit à lui, le prit par la main, lui dit avec affection : “ H Voisin, quel mal vous ai-je fait? » Et il continua à lui parler avec tant d'amour, que le pauvre homme tomba à genoux, tout en larmes, et lui demanda pardon*[31]. Tel était l'esprit qui animait, dès le commencement, en Angleterre, l'œuvre de la Réformation ; elle était agréable à Dieu et elle trouvait grâce auprès du peuple.

Monmouth, édifié des sermons de Tyndale, s'in forma de ses moyens d'existence. “ H Je n'en ai point [32], répondit le précepteur, mais j'espère entrer au service de l'évêque; » c'était avant sa visite à Tonstall. Quand Tyndale se vit déçu dans son espoir, il se rendit chez Monmouth et lui raconta tout. “ H Venez, dit le riche marchand, demeurez chez moi, et travaillez. » Dieu faisait à Tyndale selon sa foi. Simple, frugal, tout à son travail, il étudiait nuit et jour [33], et voulant prendre garde que son esprit ne fût appesanti par les jouissances de la vie, il se refusait aux délicatesses de la table de son patron, et ne prenait que du bouilli et de la petite bière [34]. Il paraît même qu'il poussait un peu loin la simplicité de ses vêtements*[35]. Il répandait dans la maison de son hôte, par sa conversation et par ses œuvres, la douce lumière des vertus chrétiennes, et chaque jour Monmouth l'aimait davantage.

Tyndale avançait dans son travail, quand Jean Fryth, le mathématicien de King's Collège à Cam bridge, arriva à Londres; il est probable que Tyndale, sentant le besoin d'un collaborateur, l'avait appelé. Unis comme Luther et Mélanchthon, les deux amis eurent ensemble de précieux entretiens. “ H Je veux consacrer ma vie à l'Église de Jésus-Christ [36], disait Fryth. Pour être homme de bien, il faut donner

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une grande partie de soi-même à ses parents, une plus grande à sa patrie; mais la plus grande de toutes à l'Église du Seigneur. » “ H Il faut, disaient-ils tous deux, que le peuple connaisse la Parole de Dieu [37]. L'interprétation immédiate de l'Évangile, sans conciles et sans papes, suffit pour créer dans les cœurs la foi qui sauve. » Ils s'enfermaient donc dans la petite chambre de Monmouth; ils traduisaient, Chapitrer après Chapitre, du grec en bon anglais. L'évêque de Londres ignorait l'œuvre qui se faisait à quelques pas de lui, et tout réussissait au gré de Tyndale, lorsqu'un événement imprévu vint l'interrompre.

Le persécuteur des chrétiens de Lincoln, Long land, ne renfermait pas son activité dans les limites de son diocèse; il assiégeait à la fois, de ses cruelles instances, le roi, le cardinal et la reine, s'appuyant de Wolsey auprès de Henri, et de Henri auprès de Wolsey. “Sa Majesté, écrivait-il au cardinal, montre dans cette sainte querelle autant de bonté que de ferveur. . . Cependant . . . qu'il vous plaise de l'exciter à renverser les ennemis de Dieu. » Puis le confesseur s'adressant au roi, lui disait pour le stimuler : “Le cardinal va fulminer la grande ex communication contre tous ceux qui possèdent les œuvres de Luther et de ses partisans, et faire signer aux libraires un engagement, par-devant les cours de justice, de ne point vendre de livres hérétiques. Merveilleux! répondait malicieusement Henri VIII; on craindra, je pense, l'engagement juridique plus que l'excommunication cléricale. » Toutefois, l'excommunication cléricale devait avoir des conséquences très positives; quiconque persévérerait dans sa faute, allait être poursuivi jusqu'au feu [38].

Enfin le confesseur s'adressait à la reine : “ H Nous ne pouvons être sûrs de contenir la presse, lui disait-il. Ces malheureux livres nous arrivent d'Allemagne, de France, des Pays-Bas ; et même ils s'impriment au milieu de nous. Il nous faut, Madame, former des hommes habiles, capables de disputer sur les points contes tés, en sorte que les laïques, frappés d'un côté par des arguments bien développés, et effrayés de l'autre par l'échafaud, soient retenus dans l'obéissance. » Le bûcher devait être, selon l'évêque, le complément de la science romaine. L'idée essentielle du jésuitisme se trouve déjà dans cette conception du confesseur d’Henri VIII ; ce système est le développement naturel du catholicisme romain.

Tonstall, excité par Longland, et désireux de se montrer aussi saint homme d'Église, qu'il avait été auparavant habile homme d'État et élégant homme de lettres, Tonstall, l'ami d'Érasme, se mit à persécuter. Il eût craint de répandre le sang, comme l'avait fait Longland ; mais il est certains procédés qui torturent l'esprit et non le corps, et dont des hommes plus modérés n'hésitent pas à faire usage. John Higgins, Henri Chambers, Thomas Eglestone,

Un prêtre nommé Edmond Spilman, et d'autres chrétiens de Londres, lisaient quelques parties de l'Évangile en anglais, et disaient même tout haut : Luther a plus de science dans son petit doigt que tous les docteurs de l'Angleterre [39]. »

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L'évêque fit saisir ces rebelles, les flatta, les épouvanta, les menaça d'une mort cruelle (qu'il ne leur eût sans doute pas infligée), et par ces habiles pratiques les réduisit au silence* [40].

Tyndale, témoin de cette persécution, craignit que le bûcher ne vînt interrompre son travail. Si l'on menace de mort ceux qui lisent quelques fragments des Écritures, que ne fera-t-on pas à celui qui les traduit en entier ? Ses amis le supplièrent de se soustraire aux poursuites des évêques. «Ah! s'écria-t-il, il n'y a donc de place nulle part pour traduire l'Écriture!... Ce n'est pas seulement lamai son de l'évêque de Londres qui se ferme pour moi ; c'est, hélas! Toute l'Angleterre [41]! »

Il accomplit alors un grand sacrifice. Puisqu'il n'y a pas de place dans son pays pour traduire la Parole divine, il ira en chercher une parmi les peuples du continent. Ces peuples lui sont inconnus, il est vrai; il est sans ressources ; peut-être même la persécution et la mort l'attendent-elles... N'importe! Il se passera toujours quelque temps avant qu'on sache ce qu'il fait, et peut-être aurait-il pu traduire la Bible. Il porte donc ses regards vers l'Allemagne. Ce n'est pas, disait-il, une vie tranquille que Dieu nous destine ici-bas. S'il nous invite à la paix de la part de Jésus-Christ, il nous appelle à la guerre de la part du monde. [42]»

Il se trouvait alors dans les eaux de la Tamise un navire en chargement pour Hambourg. Monmouth donna dix livres sterling à Tyndale pour son voyage ; d'autres amis lui en donnèrent autant; il laissa la moitié de cette somme entre les mains de son bienfaiteur pour subvenir aux besoins à venir, et s'apprêta à quitter Londres, où il avait passé une année. Repoussé par ses compatriotes, persécuté par le clergé, n'ayant avec lui que son Nouveau Testament et ses dix livres sterling, il se rendit au navire, secoua la poussière de ses pieds, selon le précepte de son Maître, et cette poussière retomba sur les prêtres de l'Angleterre. Il s'irritait contre cette hiérarchie que Rome, aux jours du pape Grégoire le Grand et du missionnaire Augustin, avait envoyée à son peuple.

Il s'indignait, dit le chroniqueur, contre ces moines grossiers, ces prêtres avides et ces somptueux prélats [43], qui faisaient à Dieu une guerre impie. “Quel commerce que celui des prêtres! disait-il plus tard dans l'un de ses écrits ; il leur faut de l'argent pour tous : de l'argent pour baptême, de l'argent pour relevailles, pour noces, pour sépultures, pour images, confréries, pénitences, messes, cloches, orgues, calices, chapes, surplis, aiguières, encensoirs, et toutes sortes d'ornements. . . Pauvres brebis ! ... Le recteur coupe, le vicaire tond, le desservant rase, le moine racle, le vendeur d'indulgences rogne... il ne vous manque plus qu'un boucher qui vous écorche et vous en lève la peau [44]... Il ne vous fera pas longtemps défaut... Pourquoi vos prélats sont-ils habillés de rouge ? Parce qu'ils sont prêts à verser le sang de quiconque s'enquiert de la Parole de Dieu. Fléau des États, dévastateurs des royaumes, les prêtres leur enlèvent non-seulement la sainte Écriture, mais

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encore la prospérité et la paix. En majorité a dans les conseils des peuples, ils ne tolèrent aucun laïque dans les leurs [45]*; régnant sur tous, ils n'obéis sent à personne ; et faisant tout concourir à leur grandeur, ils conspirent contre tous les royaumes... »

Nul royaume plus que l'Angleterre ne devait connaître les conspirations de la papauté dont parlait Tyndale ; mais aussi nul ne devait plus qu'elle s'émanciper irrévocablement de son pouvoir. Cependant Tyndale s'éloignait des rivages de sa patrie, et en portant ses regards vers des contrées nouvelles, il renaissait à l'espoir. Il allait être libre, et faire servir sa liberté à délivrer la Parole de Dieu, si longtemps captive. “ H Les prêtres, disait-il un jour, voulant empêcher la résurrection de Jésus-Christ, entourèrent son sépulcre de leurs haches d'armes [46] ; ils font de même maintenant pour retenir les Écritures. Mais le temps du Seigneur est arrivé, et rien ne peut empêcher que la Parole de Dieu, comme autrefois Jésus-Christ luimême, ne sorte enfin de la tombe. » En effet, le pauvre homme, qu'un navire portait alors vers l'Allemagne, allait, des rives même de l'Elbe, renvoyer à son peuple l'Évangile éternel.

FOOTNOTES

[1] «Being simple labourers and artificers. » (Fox, Acts, IV, p. 240.)

[2] “ H As the light of the Gospel began more to appear, and the nura ber of professors to grow. » (Fox, Ads,ïV, p. 217.)

[3] “ H Did contract matrimony only with themselves. » (Ibid., p. 223.)

[4] “ H Did sit mum like beasts. » (Ibid., p. 225.)

[5] “ H If any came in among them that were not of their side, then they would keep ail silent. » (Ibid., p. 223.)

[6] Ev. s. S. Matthieu, V, \. 13 à 16.

[7] “ H As a man would keep a thief in prison. » (Fox, Acts, IV, p. 285.)

[8] “ H Carrying about books from one to another. » (Ibid.,V, p. 224.)

[9] “ H Hiding other sin their barns. » (Fox, ÂcU, Y, p. 243.)

[10] “ H To maintain thieves and harlots. » (Ibid., p. 243.)

[11] “ H What need is it to go to the feet, when v/o may go to the head? » (Ibid., p. 229.)

[12] “ H As the hen doth lead her chickens. » (Fox, Acts, V, p. 224.)

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[13] “ H I thresh God almighty out of the straw. » (Ibid., p. 222.)

[14] “ H ... Alas! Now are you au undone, man, and I but a dead woman. » (Fox, Ads, p. 224.)

[15] “ H Bis children were compelled to set Are unto their father » (Fox, Acts, V., p. 245.)

[16] “ H The sole way... was to chuse him. » (Fox,Acts, V, p. 245.)

[17] “ H The new elect is both old, sickly... so that he shall not have ' the office long. » (MSC., Galba, 13, 1, p. 6.)

[18] “ H Both princes appearing before the cardinal of York as judge. » (Art. 13, Herbert, p. lit.)

[19] “ H Mortera etiam Adriani expectat. » (Sanders, p. 8.)

[20] “ H As I this thought, the bishop of London came to my remembrance. » (Tynd., Works, I, p. 4.)

[21] “ H Neither can Christ be saved excepl thou be saved with him. » (Tynd., Works, l, p. 116.)

[22] “ H I must measure the mete yard by the cloth. » (Ibid., p. 190.)

[23] “ H He laboured to be his chaplain. » (Fox, Acts, IV, p. 617.)

[24]“ H He willed me to write an epistle to my Lord and to go to him myself. » (Ibid.)

[25] “ H My Lord answered nje, his house was full. » (Tvnd., Works I,p.4.)

[26] “ H I was beguiled. » (Tynd., Works, I, p. 4.)

[27] “ H Christ was smitten before the bishop. » (Tynd., W., H, p. 235.)

[28] “ H God never made mouth but He made meat for it, nor body but He made raiment also. » (Ibid., II, p. 349.)

[29]“ H The rich man began to be a Scripture man. » (Latimer's Sermons, p. 440.)

[30] “ H He would borrow no money of him. » (Latimer's Sermons, p. 441.)

[31] “ H By and by he fell down upon his knees and asked his forgiveness. » (Ibid.)

[32] “ H He told him that he had none (Hving) at ail. » (Fox, Acts, IV, p. G17.)

[33] “ H Studying both night and day. » (Stripes, Records, I, p. 664.)

[34] “ H He would eat but sodden meat and drink but small single beer. »

[35] «He wasnever seen inthathouse to wearlinenabouthim.» (Ibid.)

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[36] “ H Wholly to consecrate himself unto the church of Christ. » (Tynd., Works, III.)

[37] “ H That the poor people migt also read and see the simple plain word of God. » (Fox, Acts, V, p. 118.)

[38] “ H Ad ignem. » (MSG. Cotton. Vilell., B., v. p. 8. Bible Armais, l, p. 4Î.)

[39] “ H Luther had more learning in his little flnger... » (Fox, Acts, V, p. 179.)

[40] “ H For fear of his cruelty and the rigours of death. » (Ibid., p. 178.)

[41]“ H But also that there was no place to doit in ail England. » (Tyndale, Works, I, p. 5.)

[42]“ H We be not called to a soft living... » (Tynd., Works, p. 249.)

[43] “ H Marking especially the demeanour of the preachers, and behold ng the pomp of the prelates. » (Fox, Acts, V, p. 118.)

[44] 1 “ H The parson sheareth, tue icar shavelh, the parish priest pol leth... » (Tynd., Works, I, p. 270.)

[45] “ H But of their councils is no raan. » (Ibid., p. 225.)

[46] “ H Pôle axes. » (Ibid., p. 285.)

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CHAPITRE IX

Bilney à Cambridge. Conversions. Un porte-croix. Un fermier du Leicestershire. Un repas d'étudiants. La chasse du diable. Un « papiste obstiné. » Les « sophistes. » Latimer attaque Stafford. Oraison contre Melanchthon. Un essayeur. Un hérétique se confesse à un catholique. Le confesseur converti par le pénitent. Transformation de Latimer. Bilney prêche la grâce. Musique et prière. Nature du ministère. Caractère et prédication de Latimer. Les travaux de la charité. Mondanité et brutalité. Clark et Dalaber

Ce navire n'emportait pas toutes les espérances de l'Angleterre. Il s'était formé à Cambridge un cercle de chrétiens dont Bilney était le centre. Il ne connaissait plus d'autre droit canon que la sainte Écriture, et avait trouvé pour maître “ H le Saint Esprit de Christ, » dit un historien. Quoiqu'il fût naturellement timide, et qu'il eût souvent à lutter contre l'épuisement où l'avaient jeté ses jeûnes et ses veilles, il y avait dans ses paroles une vie, une liberté, une force, qui faisaient, avec sa chétive apparence, un frappant contraste. Il désirait attirer à la connaissance de Dieu [1] tous ceux qui l'entouraient; et peu à peu, en effet, les rayons du soleil évangélique, qui se levait alors dans le ciel de la chrétienté, perçaient à travers les antiques vitraux des collèges, et illuminaient les chambres solitaires de quelques maîtres et de quelques fellows. Maître Arthur, maître Thistel de Pembroke-Hall, maître Stafford, furent des premiers à se joindre à Bilney.

George Stafford, professeur de théologie, était un homme d'une science profonde, d'une vie sainte, d'un enseignement clair et précis; chacun l'admirait dans Cambridge, en sorte que sa conversion et celle de ses amis avaient porté l'effroi parmi les partisans des scolastiques. Une conversion plus frappante encore, devait donner à la réformation an glaise un champion plus illustre que Stafford et que Bilney.

Il y avait alors à Cambridge un prêtre qui se distinguait par son ardent fanatisme. Dans les processions, au milieu des pompes, des prières et des chants du cortège, chacun remarquait un maître ès arts d'environ trente ans, qui, la tête haute, portait fièrement la croix de l'université. Hugues Latimer, c'était son nom, joignait à un caractère ardent, à un zèle infatigable, une humeur mordante, et s'entendait à tourner en ridicule les fautes de ses adversaires. Il y avait plus d'esprit et de saillies dans son fanatisme que l'on n'en voit d'ordinaire chez ses pareils. Il poursuivait les amis de la Parole de Dieu dans les collèges et les maisons où ils se rassemblaient, les combattait et les pressait d'abandonner leur foi. C'était un véritable Saul. Il devait bientôt avoir une ressemblance de plus avec l'apôtre des gentils.

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Né vers l'an 1491 dans les campagnes du comté de Leicester, Hugues avait pour père un honnête fermier. Plus d'une fois, accompagné de l'une de ses sœurs (il en avait six), le jeune garçon avait gardé dans les prairies les cent brebis de la ferme, ou conduit à sa mère les trente vaches qu'elle était chargée de traire [2]. En 1497, les rebelles de Cornouailles, commandés par lord Audley, s'étant campés à Blackheath, le fermier avait revêtu sa vieille armure, et, montant à cheval, s'était rendu à l'appel de la couronne. Hugues, âgé alors de six ans, était présent au départ, et comme s'il eût voulu prendre sa petite part dans la bataille, il avait attaché lui-même les courroies du harnais [3] ; il le rappela cinquante-deux ans plus tard dans un sermon qu'il prêcha devant le roi Édouard. La maison du vieux Latimer était toujours ouverte à ses voisins ; et un pauvre ne s'en éloignait jamais sans avoir reçu quelque aumône. Il élevait sa famille dans l'amour des hommes et dans la crainte de Dieu, et ayant remarqué avec joie l'intelligence précoce de son fils, il le fit instruire dans les écoles de la province, puis il l'envoya à Cambridge, à l'âge de quatorze ans; c'était en 1505, au moment où Luther entrait au couvent des Augustins.

Le fils du fermier du Leicestershire, vif, amateur des plaisirs et des joyeux entretiens, se divertissait souvent avec ses condisciples. Un jour qu'il faisait bonne chère avec eux, l'un des convives s'écria avec l'Ecclésiaste : Nil melius quant lœtari et facere bene! Il n'y a rien de meilleur que de se réjouir et de bien faire. » “ H Mort au bene! reprit un moine au regard impudent, je voudrais le bene au-delà des mers [4] ; » ce mot gâte tout le reste. Ce discours étonna fort le jeune Latimer : “ H Je le comprends, disait-il; le bene pèsera lourd à ces moines, quand ils rendront compte à Dieu de leur vie ! » Latimer, devenu plus sérieux, se jeta de toute son âme dans les pratiques de la superstition, et une vieille cousine très bigote se chargea de les lui enseigner. Un jour, un de leurs parents étant mort : Maintenant, dit la cousine, il nous faut chasser le diable. Prends ce cierge bénit, mon enfant, et promène-le sur le corps, en long, puis en large, de manière à faire toujours le signe de la croix. » Mais l'étudiant s'acquittant fort gauchement de cet exorcisme, la vieille cousine lui arracha le cierge, et dit avec colère : “ H C'est vraiment grand dommage que ton père dépense tant d'argent pour tes études ; on ne fera jamais rien de toi [5] !.. . »

Ce présage ne se réalisa pas. Fellaw de Clare-Hall, en 1509, Latimer devint maître ès arts en 1514; et ayant terminé ses travaux classiques, il se mit à étudier la théologie. Duns Scott, Thomas d'Aquin et Hugues de Saint -Victor, furent ses auteurs favoris. Le côté pratique des choses l'occupait cependant toujours plus que le côté spéculatif, et il se distinguait dans Cambridge par son rigorisme et son enthousiasme plus encore que par sa science. Il s'attachait à de pures minuties. Le missel prescrivant de mêler de l'eau avec le vin sacramental, souvent pendant qu'il disait la messe, il se sentait troublé en sa conscience, pour n'avoir pas mis assez

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d'eau. Ce remords ne lui laissait pas un moment de tranquillité [6]. L'attachement à des ordonnances puériles remplaçait chez lui, comme chez bien d'autres, la foi aux grandes vérités. La cause de l'Église était pour lui celle de Dieu, et il respectait Thomas Becket au moins autant que saint Paul. “ H J'étais alors, dit-il en 1552, un papiste aussi obstiné qu'il en fût jamais en Angleterre*. [7] » Luther se rendit le même témoignage.

Le fervent Latimer reconnut bientôt que tous ceux qui l'entouraient n'étaient pas aussi zélés que lui pour les cérémonies de l'Eglise. Il suivait des yeux avec surprise certains jeunes membres de l'Université, qui, abandonnant les docteurs de l'école, s'assemblaient journellement pour lire et discuter les saintes Écritures. On se moquait d'eux dans Cambridge : Ce sont les sophistes. » Disait-on. Mais les plaisanteries ne suffisaient pas à Latimer ; un jour donc, il arriva dans l'assemblée des sophistes, et les conjura d'abandonner l'étude de l'Écriture. Toutes ses in stances furent inutiles. Faut-il s'en étonner ? se dit Latimer. Ne voit-on pas des maîtres donner eux-mêmes l'exemple à cette, jeunesse égarée? Le plus illustre professeur des universités d'Angleterre, maître Stafford, se consacrant ad Biblia, comme Luther à Wittenberg, n'explique-t-il pas les saintes écritures d'après le texte hébreu et grec? Les étudiants ravis ne célèbrent-ils pas en mauvais vers latins ce docteur.

Qui Paulum explicuit rite, et Evangelium ? [8] » Que des jeunes gens s'occupent de ces jeunes doctrines, cela se conçoit ! Mais un docteur en théologie Quelle honte! Latimer attaque donc Stafford. Il l'insulte [9]; il supplie la jeunesse de Cambridge d'abandonner le professeur et ses hérétiques enseignements; il se rend dans les salles universitaires où le docteur professe donne des signes d'impatience pendant la leçon, et la réfute au sortir de l'école. Il prêche même publiquement contre le savant docteur. Mais il semble que Cambridge et l'Angleterre soient frappés d'aveuglement ; le clergé approuve Latimer, il est vrai, il le loue même, mais il ne fait rien. Pour le consoler, on fit pourtant quelque chose ; on le nomma (nous l'avons déjà vu remplir cette fonction) porte-croix de l'Université. Latimer voulut se montrer digne d'un tel honneur. Il a laissé les étudiants pour attaquer Stafford; il laissera maintenant Stafford pour un plus illustre adversaire ; mais cette attaque même lui fera rencontrer quelqu'un qui est plus fort que lui. Devant recevoir le grade de bachelier en théologie, et prononcer à cette occasion un discours latin en présence de l'Université, Latimer choisit pour sujet Philippe Melanchthon et ses doctrines. Cet audacieux hérétique n'a-t-il pas osé dire tout récemment que les Pères de l'Église ont altéré le sens de l'Écriture? N'a-t-il pas prétendu que, semblables à ces pierres dont les nuances diverses communiquent chacune leur cou^ leur aux polypes qui s'y attachent [10], les docteurs de l'Église mettent chacun leur opinion dans les passages qu'ils exposent? N'a-t-il pas enfin découvert une nouvelle pierre de touche (c'est ainsi qu'il appelle la sainte Écriture) avec laquelle il

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faut éprouver les sentences même de saint Thomas! Le discours de Latimer fit une grande impression, Enfin, disait-on, l'Angleterre, Cambridge même, fournissent à l'Église un champion qui tiendra tête aux docteurs de Wittenberg et qui sauvera la barque du Seigneur! Il en devait être autrement. Il se trouvait dans l'assemblée un homme que l'on apercevait à peine à cause de sa petite taille; c'était Bilney.

Depuis longtemps il observait la marche de Latimer, et son zèle l'intéressait, quoique ce zèle fût sans connaissance. Bilney n'avait pas une grande énergie, mais il possédait un tact délicat, un discernement habile des esprits, qui lui faisait reconnaître l'erreur et choisir la voie la plus propre à la combattre. Aussi un chroniqueur l'appelle-t-il : “ H Essayeur a des subtilités de Satan, établi de Dieu pour reconnaître la fausse monnaie, que l'adversaire répandait dans l'Église*. [11] » Bilney discerna facilement les sophismes de Latimer, mais en même temps il aima sa personne, et il conçut le désir de le gagner à l'Évangile. Comment y parvenir? Latimer, rempli de préjugés, ne voudra pas même écouter l'évangélique Bilney. Celui-ci réfléchit, pria et forma un dessein bien candide et bien étrange, qui devait amener l'une des plus étonnantes conversions que l'on rencontre dans l'histoire... Il se rend au collège qu'habite Latimer : “ H Pour l'amour de Dieu, lui dit-il, veuillez entendre ma confession [12]. » L'hérétique demandait à se con fesser au catholique : quel fait singulier!... Le dis cours contre Melanchthon l'a convaincu sans doute, se dit Latimer. Bilney n'était-il pas jadis au nombre des plus fervents dévots?

Sa figure pâle, son corps maigre, son regard timide, montrent assez que c'est aux ascètes du catholicisme qu'il doit appartenir. S'il revient en arrière, tous reviendront avec lui, et le succès sera complet à Cambridge. L'ardent Latimer consent avec empressement à la demande de Bilney, et celui-ci, à genoux devant le porte croix, lui raconte avec une touchante vérité, les angoisses qu'il a jadis endurées en son âme, les essais qu'il a faits pour les dissiper; leur inutilité tant qu'il a voulu suivre les préceptes de l'Église, puis enfin la paix qu'il a éprouvée quand il a cru que Jésus-Christ est l'agneau de Dieu qui porte les péchés du monde. Il décrit à Latimer l'esprit d'adoption qu'il a reçue, et le bonheur qu'il a de pouvoir maintenant nommer Dieu son père... Latimer, qui s'attendait à une confession, a prêté l'oreille sans défiance. Son cœur s'est ouvert, et la voix du pieux

FOOTNOTES

[1] “ H So was in his heart an incredible desire to allure many. » (Fox, Acts, IV, p. 620.)

[2] “ H My mother milhed thirty kine. » (Latimer's Sermons> Parker edition^ p. 101.)

[3] “ H I can remember that I buckled bis harness. » (Ibid.) * Ecclésiaste III, 12.

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[4] “ H I would that bene had been banished beyond the sea. » (Latimer's Sermons.)

[5] “ H It is pity that thy father spendeth so much money upon thee. » (Ibid., p. 499.)

[6] “ H I would that bene had been banished beyond the sea. » (Latimer's Sermons.)

[7] “ H It is pity that thy father spendeth so much money upon thee. » (Ibid., p. 499.)

[8] Qui nous a expliqué le vrai sens de saint Paul et de l'Evangile. (Strype's Memorials, 1, 74.) »

[9] “ H Most spitefully railing against hira. » (Fox, Acts, VIII, p. *•'*)

[10] “ H Ut polypus cuicumque petrœ adhaeserit, ejus colorem imitatur. » [Corp. Ref., I, p. 114.)

[11] “ H A trier out of Satan's subtelties. » (Fox, Acts, VII, p. 4S8.)

[12] “ H He came to me afterwards in my study, and desired me for Gort's pake, to hear his confession. » (Latimer's Sermons, p. 334.)

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CHAPITRE X

Mort d'Adrien, ambition de Wolsey. Intrigues. Jules de Médicis élu. Irritation et dissimulation de Wolsey. Sa haine contre Charles-Quint. Charles offre à Henri la couronne de France. Mission de Pace. Réforme de Wolsey en Angleterre. Réprimande du roi. Effets de Pavie en Angleterre. Wolsey décide Henri contre Charles. Impôt et révolte. Les chrétiens évangéliques et le clocher de Tenterton

Adrien VI est mort le 14 septembre 1523, avant la fin de la seconde année de son pontificat : Wolsey se crut pape. Enfin il allait être non plus seulement le favori, mais l'arbitre des rois de la terre; et son génie, pour lequel l'Angleterre était trop étroite, allait avoir pour théâtre l'Europe et le monde. Déjà roulant dans son esprit de gigantesques projets, le pape futur rêvait en Occident la destruction de l'hérésie, en Orient la cessation du schisme grec, et de nouvelles croisades pour replacer la croix sur les murs de Constantin. Il n'est rien que n'eût osé entreprendre Wolsey, assis sur le trône de la catholicité, et les pontificats de Grégoire VII et d'Innocent III eussent été éclipsés par celui du fils du boucher d'Ipswich. Le cardinal rappela à Henri VIII sa promesse, et le roi signa le lendemain une lettre adressée à CharlesQuint.

Se croyant sûr de l'empereur, Wolsey tourna tous ses efforts du côté de Rome. «Le légat d'Angle terre, dirent aux cardinaux les ambassadeurs de Henri, est l'homme nécessaire aux temps actuels.

« Seul il connaît à fond les intérêts et les besoins de la chrétienté; et seul il est assez fort pour y pour voir. Plein de bienveillance, il partagera ses dignités et ses richesses entre tous les prélats qui lui prêteront leur concours. »

Mais Jules de Médicis ambitionnait aussi la papauté, et dix-huit cardinaux lui étant dévoués, l'élection ne pouvait se faire sans lui. « Plutôt que de céder, dit-il dans le conclave, je mourrai dans cette prison. -» Un mois s'était écoulé et rien n'était fait. On mit alors en mouvement de nouveaux ressorts ; on cabalait pour Wolsey, pour Médicis; on assiégeait tous les cardinaux...

« L'intrigue au milieu d'eux par cent chemins se glisse *[1]. » Enfin, le 19 novembre, le peuple s'ameuta et cria sous les fenêtres : « Point de pape étranger ! » Alors, après quarante-neuf jours de débats, Médicis ayant été élu, « courba la tête, » selon son expression, « sous le joug de la servitude apostolique* [2] » et prit le nom de Clément VII.

Wolsey fut exaspéré ; en vain se présentait-il à chaque vacance devant la chaire de Saint-Pierre ; un rival plus agile ou plus heureux y arrivait toujours avant lui. Maître de l'Angleterre, le plus puissant des diplomates européens, il se voyait

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préférer des hommes qu'il estimait ses inférieurs. Cette élection était un événement pour la Réformation. Wolsey pape, eût, humainement parlant, resserré les liens déjà si étroits qui unissaient l'Angleterre à Rome, tandis que Wolsey repoussé, ne pouvait manquer de se jeter dans des voies tortueuses qui contribueraient peut-être à émanciper l'Église. Il redoubla de dissimulation ; dit à Henri que cette élection était tout à fait conforme à ses désirs, et se hâta de féliciter le nouveau pape. « Jamais ni le roi, ni le cardinal, lui fit-il dire, n'ont obtenu un succès qui leur ait causé tant de joie; vous étiez justement l'homme auquel ils souhaitaient ce rang élevé » Mais le pape, devinant la colère de son compétiteur, envoya au roi une rose d'or, et à Wolsey l'un de ses anneaux. « Je regrette, dit-il en l'ôtant de son doigt, de ne pouvoir le placer moi-même à celui de son Éminence. »

De plus, Clément lui conféra à vie la fonction de légat, qui jusqu'alors n'était que temporaire [3]. Ainsi la papauté et l'Angleterre s'embrassaient, et rien ne paraissait plus éloigné que la révolution chrétienne qui devait bientôt affranchir la GrandeBretagne de la tutelle du Vatican. L'ambition déçue de Wolsey lui fit suspendre à Cambridge les persécutions du clergé. Il avait la vengeance dans l'âme, et ne se souciait nullement, pour plaire à son rival, de persécuter les Anglais. D'ailleurs, comme plusieurs papes, il avait certains égards pour les lettres. Jeter en prison des lollards, cela ne pouvait faire aucune difficulté ; mais des docteurs... ceci demandait un plus mûr examen. Il donna donc à Rome un signe d'indépendance. Toutefois, ce n'était pas précisément contre le pape qu'il formait de sinistres desseins; Clément avait été plus heureux que lui; il n'y avait pas de quoi lui en vouloir... C'était Charles-Quint qui était le coupable, et Wolsey lui jurait une haine à mort. Décidé à le frapper, il cherchait seulement la place où il pouvait lui porter le coup le plus sensible. Pour atteindre son but, il résolut de dissimuler sa colère, et de distiller goutte à goutte dans l'esprit de Henri VIII, cette haine passionnée contre Charles, qui allait donner à son activité une nouvelle énergie. Charles comprit l'indignation qui se cachait sous l'apparente douceur de Wolsey, et désireux de retenir Henri dans son alliance, il redoubla d'avances pour le roi. Ayant privé le ministre d'une tiare, il s'empressa d'offrir au roi une couronne; c'était, certes, une belle compensation ! « Vous êtes roi de France, fit dire l'Empereur à Henri, et je me charge de conquérir pour vous votre royaume. Seulement, envoyez un ambassadeur en Italie pour négocier cette affaire. »

Wolsey, qui pouvait à peine contenir son dépit, devait pourtant avoir l'air de se prêter aux vues de l'Empereur. En effet, le roi ne rêvait plus que son arrivée à Saint-Germain, et chargeait Pace de se rendre en Italie pour cette importante mission. Un espoir restait à Wolsey : il était impossible de traverser les Alpes, car les troupes françaises interceptaient tous les passages. Mais Pace, doué d'une de ces natures aventureuses que rien n'arrête, aiguillonné par la pensée que le roi luimême l'envoyait, résolut d'escalader le col de Tonde. Le 27 juillet, il se jette dans les

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montagnes; il franchit des cols escarpés; il se met à quatre pour les gravir [4]; et quand il s'agit de redescendre, H tombe souvent. En certains lieux il monte à cheval; mais, écrit-il à Henri VIII, le sentier était si étroit et le précipice si profond, que pour toutes les richesses du monde je n'eusse pas fait tourner ma bête, ou regardé au-dessous de moi. » Après ce passage, qui dura six jours, Pace arriva en Italie harassé de fatigue. « Que le roi d'Angleterre entre immédiatement en France par la Normandie, lui dit le connétable de Bourbon, et je m'arrache les deux yeux si avant la Toussaint il n'est pas maître de Paris ; or, Paris pris, il est maître de tout le royaume. [5] »

Mais Wolsey, à qui ces paroles étaient transmises par l'ambassadeur, faisait la sourde oreille, retardait l'envoi des subsides et demandait certaines conditions propres à faire avorter le projet. Pace, ardent, imprudent même, mais simple et droit, s'oublia, et, dans un moment de dépit, écrivit à Wolsey : « Pour vous parler franchement, si vous ne faites pas attention à ces choses, j'imputerai à Votre Grâce la perte de la couronne de France. » Cette parole ruina définitivement l'envoyé de Henri dans l'esprit du cardinal. Cet homme, qui lui devait tout, aspirerait-il à le remplacer?... En vain Pace affirme-t-il à Wolsey qu'il ne fallait pas prendre au sérieux ce qu'il avait dit; le coup était porté. Pace fut associé à Charles dans la haine cruelle du ministre, et il devait un jour en ressentir les terribles effets. Wolsey put bientôt s'assurer que le service que Charles avait voulu rendre au roi d'Angleterre était au-dessus des forces de l'Empereur.

Satisfait d'un côté, Wolsey se vit tout aussitôt at taqué d'un autre. Cet homme, le plus puissant parmi les favoris des rois, sentit alors souffler sur lui un premier vent de défaveur. Sur le trône pontifical, il eût tenté sans doute une réforme, à la manière de Sixte Quint ; voulant y préluder sur un moindre théâtre, et régénérer à sa façon l'Église catholique en Angle terre, il soumit les monastères à de strictes investigations, favorisa l'instruction de la jeunesse, et donna le premier un grand exemple, en supprimant certaines maisons religieuses dont il appliqua les revenus à son collège d'Oxford. Thomas Cromwell, son solliciteur, se montra fort habile dans cette affaire' [6], et fit ainsi ses premières armes, sous un cardinal de l'Église romaine, dans une guerre dont il devait plus tard prendre le commandement. Wolsey et Cromwell s'attirèrent par leurs réformes la haine de quelques moines, de quelques prêtres et même de quelques seigneurs, très humbles serviteurs du parti clérical. Ceux-ci les accusèrent de n'avoir point taxé les monastères à leur juste valeur, et d'avoir en certains cas empiété sur la juridiction royale. Henri, que la perte de la couronne de France avait mis de mauvaise humeur, résolut pour la première fois de ne pas ménager son ministre : « Il y a, lui dit-il, de grands murmures dans tout le royaume ; on prétend que votre nouveau collège d'Oxford n'est au fond qu'un manteau commode sous lequel vous cachez vos malversations [7]. A Dieu ne plaise, répondit le cardinal, que cette vertueuse fondation

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d'Oxford^ entreprise pour le bien de ma pauvre âme, s'élève ex rapinis[7] Mais surtout, à Dieu ne plaise, Sire, que j'empiète jamais sur votre royale autorité. » Puis il insinua habilement au roi que par son testament il lui laissait tous ses biens : Henri fut satisfait; il avait une part dans l'affaire.

Des événements d'une tout autre importance at tiraient d'ailleurs l'attention du roi ; l'armée impériale et l'armée française étaient en présence devant Pavie. Wolsey, qui donnait ouvertement la main droite à Charles-Quint et par-dessous le manteau la main gauche à François Ier, répétait à son maître : Si l'Empereur a le dessus, n'êtes-vous pas son allié? Si c'est François, n'ai-je pas des communications secrètes avec lui [8] ? Ainsi, ajoutait le cardinal, Votre Altesse aura, quoi qu'il arrive, de grandes raisons de bénir le Dieu tout-puissant [9]. »

Enfin, le 24 février, la bataille de Pavie fut livrée, et les impériaux trouvèrent dans la tente de François Ier des lettres de Wolsey, et dans son trésor et les poches de ses soldats, l'or corrupteur du cardinal. C'était un Génois habile, Joachim, intendant de Louise, régente de France, qui, sous le nom d'un marchand de Boulogne, et caché à Blackfriars, avait tramé cette alliance. Charles-Quint sut désormais à quoi s'en tenir; mais à peine la nouvelle de la bataille de Pavie fut-elle arrivée en Angleterre, que, fidèle dans la perfidie, Wolsey fit éclater une feinte allégresse. Le peuple se réjouit aussi, mais de bonne foi. On alluma de grands feux dans les rues de Londres; le vin coula sur les places de la cité, et le lord-maire, entouré de ses aldermen, parcourut toute la ville, à cheval, au son bruyant de la trompette. Tout n'était pas mensonge dans la joie du cardinal. Il eût bien aimé la défaite de son ennemi; mais sa victoire lui était peut-être plus utile encore.

L'Empereur, dit-il à Henri, ne connaît ni foi, ni loi ; l'archiduchesse Marguerite est une prostituée [10]; don Ferdinand est un enfant, et Bourbon un traître ! Vous avez autre chose à faire de votre argent, Sire, que de le prodiguer à ces quatre personnages ! Charles vise à la monarchie universelle ; Pavie est le premier échelon de ce trône, et si l'Angleterre ne s'y oppose, il y arrivera. » Joachim étant venu secrètement à Londres, Wolsey obtint de Henri que l'on conclurait entre la France et l'Angleterre une paix indissoluble sur terre et sur mer. [11] » Enfin le voilà en état de prouver à Charles que l'on court quelque danger à s'opposer à l'ambition d'un prêtre. Ce ne fut pas le seul avantage que Wolsey retira du triomphe de son ennemi. Les bourgeois de Londres s'imaginaient que le roi d'Angleterre serait dans quelques semaines à Paris; Wolsey, rancuneux et avide, résolut de leur faire payer cher leur enthousiasme. « Vous voulez conquérir la France, dit-il aux Anglais; vous avez raison ; donnez-nous donc pour cela la sixième partie de vos biens; certes, c'est peu de chose pour vous passer une si noble fantaisie. »

L'Angleterre ne pensa pas de même; cette demande illégale y excita d'universelles réclamations : « Nous sommes Anglais et non Français, libres et non esclaves! »

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s’écriait-on de toutes parts. Henri pouvait bien tyranniser sa cour, mais non porter la main sur les biens de ses sujets. Les comtés de l'ouest s'insurgèrent; quatre mille hommes furent en un instant sous les armes, et Henri, dans son palais, n'était gardé que par quelques serviteurs ; il fallut rompre les ponts pour arrêter les rebelles. Les courtisans se plaignaient au roi; le roi rejetait la faute sur le cardinal; le cardinal l'imputait au clergé, qui l'avait encouragé à mettre cet impôt sur le peuple, en lui citant l'exemple de Joseph demandant à l'Egypte la cinquième partie de ses biens ; et le clergé, à son tour, attribuait ce mal aux évangéliques, qui suscitaient, disait-il, en Angleterre comme en Allemagne, une guerre de paysans. La Réformation produit la révolution; tel est le thème favori des sectateurs du pape. Il fallait faire main basse sur les hérétiques. Non pluit Deus, duc ad christianos [12]. L'accusation des prêtres était absurde ; mais le peuple est aveugle quand il s'agit de l'Évangile, et quelquefois les gouvernants le sont aussi. De graves raisonnements n'étaient pas nécessaires pour réfuter cette fable. « Je veux, disait un jour Latimer, vous raconter une histoire digne d'être écoutée. Un banc de sable s'était formé devant Sandwich, l'un des cinq ports, et en avait intercepté l'entrée. Thomas More, commis pour en rechercher la cause, se rendit à Sandwich, convoqua les hommes capables de lui donner quelque lumière, et parmi eux distingua un vieillard dont la tête toute blanche lui inspirait un grand respect. Mon père, lui dit-il, d'où vient le mal, je vous prie?

Certainement, bon maître, répondit le vieillard, j'en dois savoir quelque chose, car je ne suis pas loin de la centaine. Eh bien, je crois que le clocher de Tenterton est la cause des sables de Goodwin ; car je me souviens très bien du temps où il n'y avait pas encore de clocher, et alors il n'y avait pas de sable. » Après avoir raconté son anecdote, le malin Latimer ajouta : « C'est la Parole de Dieu qui a engendré la rébellion, comme c'était le clocher de Tenterton qui avait barré le port [13]. » Depuis le temps de Latimer, les partisans du pape ont relevé plus d'une fois le clocher de Tenterton. Il n'y eut pas de persécution ; on avait autre chose à faire. Wolsey, certain que Charles lui avait fermé l'accès de la papauté, ne pensait qu'à s'en venger. Mais, pendant ce temps, Tyndale aussi poursuivait son but; et cette année 1525, signalée par la bataille de Pavie, devait l'être dans les îles Britanniques par une victoire plus importante encore.

FOOTNOTES

[1] Un Conclave, par G. Delavigne.

[2] Colla subjecimus jugo apostolicœ servitutis. (Rymeri Fœderat VI, il, p. 7.)

[3] Collyer's Eccl. Hùt., II, p. 19.

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[4] « It made us creep of ail four. » (Pace to the king, Strype's Memorials, l, p. 27.)

[5] « He will give his grace leave to pluek out both his eyes. » (MSC, ntellius,h., VI, p. 87.)

[6] Very fonvard and industrious. » (Fox, Acts, V, p. 366.)

[7] Collyer's Eccl. Hist., X, p. 20.

[8] By such communications as he seth fufth with France, a parte. » [State papers, p. 158.)

[9] Great cause to give thanks unto almighty God. » [Ibid.)

[10] Milady Margarete was a ribawde. » (MSC, Vesp., C.,IH, p, 55.) »

[11] Since.ra, fldelis, firma et indissolubilis pax. » (Rymeri Fœtlera, ibid., p. 82, 33.)

[12] Dieu n'envoie pas de pluie... tombons sur les chrétiens. » Cette parole est attribuée par Augustin aux païens des premiers siècles.

[13] The preaching of God's word is the cause of rebellion, as Tenterton's steeple was cause Sandwich haven is decayed. » (Latimer's Sermons, p. 251.)

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CHAPITRE XI

Tyndale à Hambourg. Saint Matthieu et saint Marc. Ennuis et pauvreté. Tyndale vit-il Luther? Tyndale à Cologne. Le Nouveau Testament s'imprime. Soudaine interruption. Cochlée caché à Cologne. Les manuscrits de Rupert. Découverte de Co- chlée. Ses recherches. Son effroi. Rincke et la prohibition du sénat. Consternation et décision de Tyndale. Cochlée écrit en Angleterre. Tyndale remonte le Rhin. Il imprime à Worms deux éditions du Nouveau Testament. Prière de Tyndale

Le navire qui portait Tyndale et ses manuscrits avait jeté l'ancre devant Hambourg, où, depuis 1521, l'Évangile comptait de nombreux amis. Encouragé par la présence de ses frères, le fellow d'Oxford s'étant modestement logé dans l'une des rues étroites et tortueuses de cette vieille cité, avait aussitôt mis la main à l'œuvre. Un secrétaire qu'il appelle son fidèle compagnon, [1]» l'aidait à collationner, mais bientôt ce frère, dont le nom est inconnu, se croyant appelé à prêcher Christ dans des lieux où il n'avait jamais été annoncé, quitta Tyndale.

Un ancien moine de Greenwich, de l'observance de Saint-François, ayant abandonné le cloître et se trouvant sans ressources, offrit ses services à l'helléniste. William Roye était l'un de ces hommes, toujours assez nombreux, que l'impatience du joug éloigne de Rome, sans que l'Esprit de Dieu les attire à Ghrist. Fin, insinuant, tracassier [2], mais doué de dehors agréables, il charmait tous ceux qui n'avaient avec lui que des rapports passagers. Tyndale, relégué sur les rives lointaines de l'Elbe, au milieu d'habitudes étrangères et n'entendant qu'une langue inconnue, pensait souvent à l'Angleterre et était impatient de la faire jouir du fruit de ses veilles; il accepta le secours de Roye. Les évangiles de Matthieu et de Marc, traduits et imprimés à Hambourg, devinrent à ce qu'il paraît, pour sa patrie, les prémices de son grand travail.

Mais bientôt Tyndale se vit accablé d'ennuis. Roye, facile à conduire quand il n'avait point d'argent [3], était devenu intraitable aussitôt qu'il en avait eu. Que faire? Le Réformateur ayant épuisé les dix livres apportées d'Angleterre, ne pouvait satisfaire aux demandes de son collaborateur, payer ses propres dettes et se transporter ailleurs. Il redoubla de sobriété et d'économie. La Wartbourg, où Luther avait traduit le Nouveau Testament, était un palais en comparaison du réduit où le réformateur de la riche Angleterre endurait la faim et le froid, en travaillant nuit et jour pour donner l'Évangile aux chrétiens anglais.

Vers la fin de 1524, Tyndale envoya les deux Évangiles à Monmouth; et un marchand, Jean Cal lenbeke, lui ayant apporté les dix livres qu'il avait laissées entre les mains de son ancien patron, il se prépara aussitôt au départ.

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Où ira-t-il? Pas en Angleterre ; il faut qu'il achève avant tout son travail. Pouvait-il se trouver près de Luther sans chercher à le voir? Il n'avait besoin du réformateur saxon ni pour trouver la vérité, qu'il avait déjà connue à Oxford, ni pour entreprendre la traduction des Écritures, qu'il avait déjà commencée dans la vallée de la Severn. Mais n'était-ce pas à Wittemberg qu'accouraient tous les étrangers amis de l'Évangile ? Pour dissiper toute incertitude sur l'entrevue des deux réformateurs, il faudrait peut-être que l'on en trouvât quelque trace à Wittemberg même [4], dans les registres universitaires ou dans les écrits des réformateurs saxons. Cependant plusieurs témoignages contemporains semblent donner à cette conférence un degré suffisant de probabilité. « Il eut, dit Fox, une entrevue avec Luther et d'autres savants de ces contrées*. [5] » Ce dut être au printemps de l'année 1525.

Tyndale, voulant se rapprocher de sa patrie, tourna ses regards du côté du Rhin. Il y avait à Cologne de célèbres imprimeurs, bien connus dans la Grande-Bretagne, entre autres Quentel, et les Byrckmann. François Byrckmann avait des magasins à Londres, au cimetière de Saint-Paul, ce qui pouvait faciliter l'introduction et la vente de Testaments imprimés sur les bords du Rhin. Cette circonstance providentielle décida Tyndale eu faveur de Cologne, et il s'y rendit avec Roye; et ses manuscrits. Arrivé dans les sombres rues de la cité d'Agrippine, il contempla ses nombreuses églises, sur tout son antique cathédrale qui retentissait de la voix des prébendiers, et il fut saisi de tristesse à la vue de ces prêtres, de ces moines, de ces mendiants et de ces pèlerins, qui, de toutes les parties de l'Europe, y venaient adorer les prétendues reliques des trois mages et des onze mille vierges. Alors Tyndale se demanda si c'était bien dans cette cité superstitieuse que le Nouveau Testament devait s'imprimer en anglais. Ce n'était pas tout; le mouvement réformateur qui travaillait alors l'Allemagne avait éclaté à Cologne pendant la fête de Pentecôte, et l'archevêque venait d'interdire tout culte évangélique. Néanmoins Tyndale persévéra, et, se soumettant aux précautions les plus minutieuses pour ne pas compromettre son travail, il prit à l'écart un logement et s'y tint caché.

Bientôt pourtant, se confiant en Dieu, il se rendit chez l'imprimeur, lui présenta son manuscrit, en de manda six mille exemplaires [6], puis, après réflexion, seulement trois mille, de peur d'une saisie. L'impression s'avançait; une feuille succédait à l'autre; l'Évangile exposait peu à peu ses mystères dans la langue des Anglo-Saxons, et Tyndale ne se possédait pas de joie [7]. Il suivait des yeux les triomphes de la sainte Écriture dans tout le royaume, et s'é criait avec transport : « Que le roi le veuille ou ne le veuille pas, bientôt tous les peuples de l'Angleterre, éclairés par le Nouveau Testament, obéiront à Jésus-Christ' ! [8] »

Mais tout à coup le soleil, dont il saluait avec joie les premiers rayons, s'enveloppe d'épais nuages. Un jour, au moment où la dixième feuille sortait de presse, l'imprimeur accourt vers Tyndale, et lui dit que le magistrat de Cologue lui défend

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de continuer ce travail. Tout est donc découvert. Sans doute Henri VIII, qui a brûlé les livres de Luther, veut aussi brûler le Nouveau Testament, lacérer les manuscrits de Tyndale, et le livrer lui-même à la mort. Qui a trahi le fellow d'Oxford? Il se perd en conjectures inutiles, et une seule chose lui paraît certaine : son navire, qui voguait à pleines voiles, vient, hélas ! D’échouer contre un récif. Voici l'explication de cet événement inattendu.

Un homme que nous avons souvent rencontré dans le cours de cette histoire * [9], l'un des plus violents ennemis de la Réformation, Cochlée, était arrivé à Cologne. Le flot des agitations populaires qui avait remué cette ville pendant les fêtes de Pentecôte, avait déjà passé sur Francfort pendant les fêtes de Pâques; et le doyen ' de Notre-Dame, profitant d'un moment où les portes de la ville étaient ouvertes, s'était enfui quelques minutes avant qu'on entrât dans sa maison pour le saisir. Arrivé à Cologne, où il espérait vivre ignoré à l'ombre du puissant électeur, Cochlée s'y était logée chez George Lauer, chanoine de l'église des Apôtres.

Par une singulière destinée, les deux hommes les plus opposés, Tyndale et Cochlée, se tenaient alors cachés dans la même ville; ils ne devaient pas y rester longtemps, sans se heurter l'un contre l'autre.

En face de Cologne, sur la rive droite du Rhin, se trouvait le monastère de Deutz, dont l'un des abbés, Rupert, qui vivait au douzième siècle, avait dit : « Ignorer l'Écriture, c'est ignorer Jésus-Christ. Voici l'Ecriture des peuples [10]. Ce livre de Dieu qui n'est pas pompeux en paroles et pauvre en intelligence, comme Platon, doit être placé devant toutes les nations, et parler à haute voix à tout l'univers, du salut de tous. » Un jour que Cochlée et son hôte s'entretenaient de Rupert, le chanoine apprit au doyen que Vhérélique Osiander de Nuremberg était en négociation avec l'abbé de Deutz, pour publier les écrits de cet ancien docteur. Cochlée devina qu'Osiander voulait présenter le contemporain de saint Bernard, comme un témoin à décharge de la Réformation. Courant au monastère, il effraya l'abbé : « Confiezmoi, dit-il, les manuscrits de votre célèbre devancier ; je me charge de les imprimer et de prouver qu'il est des nôtres. » Les moines les lui remirent en insistant sur une prochaine publication, dont ils attendaient quelque gloire [11]. Cochlée se rendit aussitôt chez Pierre Quentel et Arnold Byrckmann, pour traiter de cette affaire; c'étaient les imprimeurs de Tyndale. Cochlée devait faire là une découverte plus importante que celle des manuscrits de Rupert. Byrckmann et Quentel l'ayant un jour invité à dîner avec plusieurs de leurs collègues, un imprimeur, mis en gaieté par le vin, s'écria au moment où, selon l'expression de Cochlée, on était entre les verres et les pots*[12] : « Que le roi et le cardinal d'York le veuillent ou ne le veuillent pas, toute l'Angleterre sera bientôt luthérienne [13]! » Cochlée prête l'oreille, il s'effraye ; il questionne, et il apprend enfin que deux Anglais, hommes savants et fort versés dans les langues, sont cachés à Cologne [14] ! ! ! Mais ses efforts pour en savoir davantage sont inutiles.

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Dès lors, plus de repos pour le doyen de Franc fort; son imagination travaille; son esprit s'épouvante. A Quoi, se dit-il, l'Angleterre, cette fidèle servante de la papauté, serait- elle pervertie comme l'Allemagne? Les Anglais, ce peuple le plus religieux de la chrétienté [15], et dont le roi s'est naguère illustré par son écrit contre Luther, seraient-ils envahis par l'hérésie!... Le puissant cardinal-légat d'York devra-t-il s'enfuir de ses palais, comme moi de Francfort? » Cochlée continue ses recherches ; il fait aux imprimeurs de fréquentes visites ; il leur parle d'un ton amical ; il les flatte; il les invite à venir le voir chez le chanoine ; mais il n'ose encore hasarder l'importante question ; il lui suffit pour le moment d'avoir gagné les bonnes grâces des dépositaires du secret. Bientôt il fait un nouveau pas; il se garde de les interroger en présence les uns des autres ; mais il se procure avec l'un d'eux un entretien particulier [16], et lui verse d'amples libations de vin du Rhin ; c'est luimême qui nous l'apprend*[17]. Des questions adroites embarrassent l'imprimeur aviné, et à la fin le mystère se dévoile.

Le Nouveau Testament, dit-on à Cochlée, est traduit en langue anglaise; trois mille exemplaires sont sous presse, quatre-vingts pages in-quarto sont prêtes; des marchands anglais font les frais; et dès que l'ouvrage sera terminé, on l'introduira et le disséminera dans toute l'Angleterre, sans que le roi ni le cardinal puissent le savoir et l'empêcher [18]... Ainsi la Grande-Bretagne sera convertie aux opinions de Luther*.[19] »

La surprise de Cochlée égale son effroi [20] ; il dissimule ; il voudrait apprendre cependant où les deux Anglais sont cachés ; ses efforts sont inutiles, et il se retire chez le chanoine plein d'émotion. Le péril est immense. Étranger, exilé, comment fera-t-il pour s'opposer à cette entreprise impie ? Où trouvera-t-il un ami de l'Angleterre, qui mette quelque zèle à détourner le coup qui la menace?... Il s'y perd.

Un éclair vient tout à coup dissiper ces ténèbres. Un personnage considérable de Cologne, le chevalier Hermann Rincke, patricien et conseiller impérial, avait été, dans une occasion importante, envoyé à Henri VII par l'empereur Maximilien, et avait toujours montré depuis lors un grand attachement pour l'Angleterre. Cochlée se décide à lui découvrir le funeste complot ; mais encore enrayé des scènes de Francfort, il craint de paraître conspirer contre la Réformation. Il a laissé dans sa maison sa vieille mère et une petite nièce, et il ne veut rien faire qui puisse les compromettre. Il se glisse donc furtive ment (c'est lui qui nous l'apprend [21]), le long des murs de l'hôtel du chevalier; il y entre à la dérobée, et lui dévoile toute l'affaire. Rincke ne peut croire que l'on imprime à Cologne le Nouveau Testament en anglais ; cependant il envoie vite un homme de confiance aux informations, et celuici lui rapporte que la déclaration de Cochlée est exacte, et qu'il a trouvé dans l'imprimerie une immense provision de papier destinée à l'édition* [22]. Le patricien se rend aussitôt au sénat ; il y parle de Wolsey, d’Henri VIII, du salut de l'Église romaine dans la Grande-Bretagne; et ce corps auquel l'influence de l'archevêque a

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fait dès longtemps oublier les droits de la liberté, défend aux imprimeurs de continuer leur travail. Ainsi, plus de Nouveaux Testaments pour l'Angleterre! Une main habile a détourné le coup dont le catholicisme romain allait être frappé; peutêtre même Tyndale va-t-il être jeté en prison, et Cochlée jouir d'un complet triomphe.

Tyndale fut d'abord consterné. Tant d'années de travail seraient-elles donc perdues ? Son épreuve lui semble surpasser ses forces [23]. « O loups ravissants! s'écriait-il, ils prêchent aux autres de ne pas dé rober, et ils dérobent à l'homme le pain de vie, pour le nourrir des écales de leurs mérites, et des cosses de leurs bonnes œuvres*. [24]» Toutefois Tyndale, dont la foi enlèverait les montagnes, ne se laisse pas longtemps abattre. N'est-ce pas de la Parole de Dieu qu'il s'agit? S'il ne s'abandonne pas lui-même, Dieu ne l'abandonnera pas. Il faut devancer le sénat de Cologne. Hardi et prompt dans tous ses mouvements, Tyndale dit à Roye de le suivre; il court à l'imprimerie, il rassemble ses feuilles, se jette dans une barque, et remonte rapidement le fleuve, emportant avec lui l'espérance de l'Angleterre * [25].

Quand Cochlée et Rincke, accompagnés des agents du sénat, arrivent à l'imprimerie, ils sont dans la dernière consternation. L'apostat a mis en sûreté les feuilles abominables [26]!... Leur ennemi s'est échappé comme l'oiseau du filet de l'oiseleur. Où le trouver maintenant? Il va sans doute se placer sous la protection de quelque prince luthérien. Cochlée se gardera bien de l'y poursuivre ; mais il lui reste une ressource : ces livres anglais ne peuvent faire aucun mal en Allemagne; il faut seulement empêcher qu'ils n'arrivent à Londres. Il écrit à la fois à Henri VIII, à Wolsey, et à l'évêque de Rochester. « Deux Anglais, dit-il au roi, semblables aux deux eunuques qui voulaient mettre la main sur Assuérus, complotent méchamment contre la paix de votre royaume ; mais moi, fidèle Mardochée je viens vous découvrir leur complot, a On veut envoyer à votre peuple le Nouveau Testament en anglais. Donnez des ordres dans tous les ports de l'Angleterre, pour que l'on ne puisse y introduire la plus funeste des marchandises [27]. »

Tel est le nom que ce fervent sectateur du pape donnait à la Parole de Dieu. Bientôt un auxiliaire inattendu vient rendre le calme à l'âme de Cochlée. Un champion de la papauté, plus terrible que lui, arrive à Cologne, se rendant à Londres, et se charge d'enflammer la colère des évêques et du roi. C'est le célèbre docteur Eck lui-même [28]. Les regards des plus grands adversaires de la Réformation semblent se concentrer alors sur l'Angleterre. Eck, qui se vante d'avoir remporté sur Luther les plus éclatants triomphes, viendra bien à bout de l'humble précepteur et de son Nouveau Testament.

Pendant ce temps, Tyndale, la main sur ses précieuses feuilles, remontait aussi vite que possible les eaux puissantes du fleuve. Il passait devant les villes antiques et les riants villages, semés sur les bords du Rhin au milieu d’un pittoresque nature.

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Les montagnes, les ravins, les rochers, les sombres forêts, les ruines, les églises gothiques adossées aux citadelles romaines, les barques qui se croisaient, les oiseaux de proie qui planaient sur sa tête, comme s'ils avaient eu une mission de Cochlée, rien ne pouvait détourner ses regards du trésor qu'il emportait avec lui.

Enfin, après un voyage de quatre à cinq jours, il arriva devant Worms, où, quatre années auparavant, Luther s'était écrié :

Je ne puis autrement. Dieu me soit en aide ! » Cette parole du réformateur de l'Allemagne, connue de Tyndale, était l'étoile qui l'avait conduit à Worms. Il savait que l'Évangile était prêché dans cette vieille cité. Le peuple, disait Cochlée, y a des transports de luthéranisme [29]. » Tyndale y arriva, non pas comme Luther, entouré d'une foule immense, mais inconnu, se croyant poursuivi par les sbires de CharlesQuint et de Henri VIII. Il descendit de sa barque, porta autour de lui un regard inquiet, et déposa sur le rivage son précieux fardeau.

Il avait eu le temps de réfléchir aux dangers qui menaçaient son œuvre. Ses ennemis auront signalé l'édition dont quelques feuilles sont tombées entre leurs mains ; il prit donc ses mesures pour désorienter les inquisiteurs, et commença une édition nouvelle, retranchant le prologue et les notes, et substituant à l'in-quarto le format in-octavo, plus portatif. Pierre Schœffer, fils du célèbre gendre de Fust, inventeur de l'imprimerie, donna ses presses pour cet important travail. Les deux éditions furent paisible ment terminées vers la fin de l'an 1525 [30].

Ainsi le méchant était déçu ; on avait voulu priver le peuple anglais des oracles de Dieu, et deux éditions du Nouveau Testament allaient entrer en Angleterre. « Voici, disait Tyndale à ses compatriotes, en leur adressant de Worms le Testament qu'il venait de traduire, voici les paroles de la vie éternelle, par lesquelles, si nous croyons, nous naissons de nouveau, et sommes participants des fruits du sang de Jésus-Christ [31]. » Ce fut dans les premiers jours de 1526, que ses livres, partis d'Anvers ou de Rotterdam, passèrent la mer. Tyndale était heureux ; mais il savait que l'onction de l'Esprit-Saint pouvait seule donner au peuple de l'Angleterre l'intelligence de ces feuilles sacrées ; aussi les accompagnait-il nuit et jour de ses prières. « Les pharisiens, disait-il, avaient renfermé dans une gaine de gloses arides le glaive tranchant de la Parole de Dieu [32]; et ils l'y avaient même tellement enfoncé, qu'on ne pouvait plus l'en tirer pour frapper et pour sauver. Maintenant, ô Dieu ! Sors du fourreau cette puissante épée! Frappe, blesse, partage l'âme et l'esprit, en sorte que l'homme divisé soit mis en lutte avec lui-même, mais aussi en paix avec toi pour l'éternité ! »

FOOTNOTES

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[1] « While I abode, a faithfni companion. » (Tynd., 17., I, p. 77.) 2 A man somewhat crafty. » [Ibid.)

[2] As long as ne had no money. » (Fox, Acts, V, p. 119.)

[3] A man somewhat crafty. » [Ibid.)

[4] J'ai prié un théologien allemand de faire quelques recherches à ce sujet, mais elles n'ont rien produit.

[5] * M. Anderson, dans son excellent ouvrage [Bible Annals), a combattu le fait de cette entrevue des deux réformateurs, mais sans me convaincre. On comprend que Luther, fort occupé alors de sa dispute avec Carlstad, ne fasse pas mention dans ses lettres de la visite de Tyndale. Il est d'ailleurs, outre Fox, d'autres autorités contemporaines en faveur de ce fait. Cochlée, Allemand, bien informé de tous les mouvements des réformateurs, et que nous allons voir à la piste de Tyndale, dit de lui et de Roye : « Duo Angli apostatae, qui ali quandiu fuerant Vuitenbergœ » (p. 123). Enfin Thomas More, ayant dit que Tyndale avait été voir Luther, Tyndale se contenta de répondre : When M. More saith Tyndale was confederate with Luther, that is not truth. » (Tynd., Works, If, p. 154.) Il nia la confédération, mais non la visite. Si Tyndale n'avait pas même vu Luther, il semble qu'il eût été plus explicite, et eût probablement dit qu'il ne s'était même jamais rencontré avec lui.

[6] Sex millia sub prœlum dari. » (Cochlœus, p. 123.)

[7] Tanta ex ea spe laetitia Lutheranos invasit. (Cochlœus, p. 124.)

[8] Cunctos Angliae populos, volente nolente rege. [Ibid., p. 123.)

[9] Liv. IX, ch. xn et ailleurs

[10] Scripturœ populorum. » [Opera, I, p. 641.)

[11] Quum monachi quieturi non erant, nisi ederentur opera illa. » (Cochl., p. 124.)

*

[12] Audivit eos aliquando inter pocula fiducialiter jactitare. » [lbid., p. 125.)

[13] Velint nolint rex et cardinalis Angliae, totam Angliam brevi fore Lutheranam. » [lbid., p. 125.)

[14] Duos ibi latitare Anglos eruditos, linguarumque peritos. » [lbid.)

[15] Ingente illa religiosissima vereque christiana.» [lbid., p. 131.) v 20

[16] Unus eorum in secretiori colloquio revelavit illi arcanum. » (Cochl., p. m.)

[17] Rem omnem ut acceperat vini beneficia. » [Ibid.)

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[18] Opus excussum clam invecturi per totam Angliam latenter dis pergere vellent. » [Ibid.)

[19] Ad Lutheri partes trahenda est Anglia. » [Ibid.}

[20] Metu et admiratione affectus. » [Ibid.)

[21] Abiit igitur clam ad H. Rink. » (Cochl., p. 131.)

[22] Ingentem papyri copiam ibi existere. » [Ibid.)

[23] Necessity and combraunce (God is record) above strengih. » [Bible Armais, 72,)

[24] Have fed her with the shalos and pods of the hope in Iheir merits... » (Tynd., Works, II, p. 368.)

[25] Arreptis secum quaternionibus impressis aufugerunt navigio per Rhenum ascendentes. » (Cochl., p. 126.)

[26] 1 He was indebted to me no less than Ahasuerus was indebted to Mordecai. » [Bible Annals, 1, 62.)

[27] Ut quam diligentissime preecaverent in omnibus Angliae portu bus, ne merxilla perniciosissima inveheretur. » (Cochl., p. 126.)

[28] Ad quem D' Eckius venit, dum in Angliam tenderet. » [Ibid. p. 109.)

[29] Ascendentes Wormatiam ubi plebs pleno furore lutherisabat. » (Cochl., p. 126.)

[30] Un exemplaire de l'édition in-8° se trouve dans le musée baptiste de Bristol. Si on la compare à l'édition in-4°, on remarque un progrès sensible dans l'orthographe. Ainsi tandis que celle-ci dit : propheties, synners, mooste, burthen, l'édition in-8° porte prophets, sinners, most, burden. [Bible Armais, p. 70.)

[31] We are born anew, created afresh, and enjoy the fruits of the blood of Christ. » [Epitt., in init.)

[32] Had thrust up the sword of the word of God in a scabbard or sheath of gloses. » (Tynd., Works, II, p. S78.)

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CHAPITRE XII

Cambridge. Paul ressuscité. Prédications de Latimer. Un écolier de Norfolk. Une merveilleuse transformation. Une nouvelle vie. La grâce et la liberté. Prédication de Buckingham contre la Bible. Résolution de Latimer. Il fustige le prieur. Agitation des prêtres. Persécution. Latimer prêche devant l'évêque d'Ely. Un sermon contre Luther. La chaire interdite à Latimer. Le plus zélé de tons les prélats. Foi de Latimer. Barnès le restaurateur des lettres. Il lutte avec Stafford. Bilney prie pour sa conversion. Son caractère partagé. Il donne sa chaire à Latimer. Caractère de Fryth. Les évangéliques veulent attaquer l'erreur. Le dimanche de Noël 1525. Barnès attaque Wolsey. On le dénonce. Rétractation refusée. Grand mouvement évangélique à Cambridge. L'Allemagne et les Allemands. La « nouvelle Jérusalem. » Wolsey place à Oxford des hommes de Dieu. Quelques navires

Pendant que ces travaux s'achevaient à Cologne et à Worms, d'autres s'accomplissaient à Cambridge et à Oxford. Sur les bords du Rhin, on préparait la semence; en Angleterre, on traçait les sillons destinés à la recevoir. L'Évangile produisait à Cam bridge une grande agitation. Bilney, que l'on peut appeler le père de la Réformation en Angleterre, puisque, converti le premier par le Nouveau Testa ment, il avait amené à la connaissance de Dieu l'énergique Latimer et tant d'autres témoins de la vérité, Bilney ne se mettait pas alors en avant comme plusieurs de ceux qui l'avaient écouté ; sa vocation était la prière.

Modeste devant les hommes, il était plein de hardiesse devant Dieu, et jour et nuit il lui demandait des âmes. Mais tandis qu'il était à genoux dans son cabinet, d'autres étaient à l'œuvre dans le monde. Parmi eux on remarquait Stafford. Paul est ressuscité des morts ! » Disaient plusieurs en l'entendant. En effet, Stafford exposait avec tant de vie le vrai sens des paroles de l'Apôtre et des quatre évangélistes [1], que ces saints hommes, dont les figures avaient été si longtemps voilées sous les épaisses traditions de l'école*, reparaissaient aux yeux de la jeunesse universitaire tels que les temps apostoliques les avaient vus. Ce n'était pas seulement leur personne (c'eût été peu de chose), c'était aussi leur doctrine que Stafford rendait à ses auditeurs.

Tandis que les scolastiques de Cambridge enseignaient à leurs élèves une réconciliation qui n'était pas encore opérée, et leur disaient que le pardon devait être acheté au prix des œuvres prescrites par l'Église, Stafford déclarait que la rédemption était accomplie, que la satisfaction offerte par Jésus-Christ était parfaite; et il ajoutait que la papauté ayant ressuscité le règne de la loi, Dieu, par la Réformation, ressuscitait maintenant le règne de la grâce.

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Les étudiants de Cambridge, ravis des enseignements de leur maître, les saluaient de leurs acclamations, et se livrant un peu trop à leur enthousiasme, ils se disaient en sortant du collège : « Le quel doit le plus de reconnaissance à l'autre? Stafford à Paul, qui lui a laissé ses saintes épîtres ? * [2] ou Paul à Stafford, qui fait revivre cet apôtre et ses saintes doctrines, que le moyen âge avait obscurcies? »

Au-dessus de Bilney et de Stafford, s'élevait Latimer, qui, par la vertu du SaintEsprit, faisait passer dans les cœurs les savantes leçons du maître [3]. Instruit de l'œuvre que préparait Tyndale, il insistait du haut des chaires de Cambridge pour que la Bible fût lue en langue vulgaire*[4]. « L'auteur de la sainte Écriture, disait-il, est le Puissant, l'Éternel... Dieu lui-même!.., et cette Écriture participe à la puissance et à l'éternité de son auteur. Il n'y a ni roi, ni empereur, qui ne soit a obligé de lui obéir. Gardons-nous de ces sentiers a détournés des traditions humaines, tout pleins de pierres, de ronces, de troncs déracinés. Suivons le droit chemin de la Parole. Ce n'est pas ce que o les Pères ont fait qui nous importe, mais ce qu'ils auraient dû faire [5]. »

Une foule nombreuse assistait aux prédications de Latimer, et son auditoire était suspendu à ses lèvres. On y remarquait un enfant du comté de Norfolk, dont l'intelligence et la piété illuminaient les traits. Ce pauvre écolier, âgé de seize ans [6], avait reçu avec avidité la vérité annoncée par l'ancien porte-croix. Il ne manquait pas une de ses prédications; une feuille de papier sur les genoux, un crayon à la main, il écrivait une partie du discours du prédicateur, et en confiait le reste à sa mémoire [7]. Il s'appelait Thomas Becon, et fut plus tard chapelain de Cranmer, archevêque de Gantorbéry. « Si a je possède la connaissance de Dieu, disait-il, c'est, après Dieu, à Latimer que j'en suis redevable. »

Latimer, au reste, avait des auditeurs de plusieurs sortes. A côté de ceux qui faisaient éclater leur enthousiasme, on remarquait des hommes bouffis de colère, enflés d'orgueil, étouffant d'envie, a comme la grenouille d'Ésope, » dit Becon* [8]; c'étaient des partisans du catholicisme traditionnel, que la curiosité avait attirés, ou que leurs amis évangéliques avaient entraînés à l'église. Mais à mesure que Latimer parlait, on voyait s'opérer une merveilleuse transformation; peu à peu ces traits irrités se détendaient, ces regards farouches s'adoucissaient ; et quand de retour chez eux, on demandait à ces amis des prêtres ce qu'ils pensaient du prédicateur hérétique, ils répondaient dans l'exagération de leur surprise et de leur ravissement : « Nun quam locutus est homo sicut hic homo! » (Jean VII, 46.)

En descendant de la chaire, Latimer courait pratiquer ce qu'il avait enseigné. Il se rendait dans les petites chambres des pauvres écoliers, dans les sombres réduits du peuple ; il arrosait par ses bonnes œuvres ce que ses saintes paroles avaient planté [9], » dit l'étudiant qui recueillait ses discours. Les disciples s'entretenaient ensemble avec allégresse et simplicité de cœur; on sentait partout le souffle d'une

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nouvelle vie ; il n'y avait pas encore de réformes au dehors, et pourtant l'Église de l'Évangile et de la Réformation était déjà là ; aussi le souvenir de ces jours heureux fit-il répéter longtemps cet adage :

Quand maître Stafford enseignait,

Quand maître Latimer prêchait,

Dieu Cambridge alors bénissait » [10]

Les prêtres ne pouvaient demeurer dans l'inaction. Ils entendaient parler de grâce, de liberté, et ils ne voulaient ni l'une ni l'autre. Si la grâce est tolérée, n'enlèvera-telle par des mains du clergé la manipulation du salut, les indulgences, les pénitences, et toutes les rubriques du droit canon? Si la liberté est concédée, la hiérarchie avec tous ses degrés, ses pompes, ses violences, ses bûchers, ne sera-t-elle pas ébranlée? Rome ne veut guère d'autre liberté que celle du libre arbitre, qui, exaltant les forces naturelles de l'homme déchu, tarit pour l'humanité les sources de la vie divine, dessèche le christianisme et change cette religion céleste en une morale humaine et des observances légales. Les partisans de la papauté rassemblèrent donc leurs forces pour s'opposer à l'Évangile. « Satan, qui ne dort jamais, » dit le simple chroniqueur, » appela ses esprits familiers et les lança contre les réformateurs. » On tenait des conciliabules dans les couvents, mais surtout dans celui des Cordeliers.

On y convoquait le ban et l'arrière-ban. Œil pour œil et dent pour dent, disait-on. Latimer exalte dans ses sermons les bienfaits de la sainte Écriture ; il faut faire aussi un sermon pour en montrer les dangers. Mais où trouver un orateur qui puisse lui tenir tête? Ceci embarrassait fort le conciliabule. Il y avait parmi les cordeliers un moine hautain, mais adroit, habile à réussir dans les petites choses, et plein à la fois d'ignorance et d'orgueil ; c'était le prieur Buckingham. Nul n'avait montré plus de haine pour les chrétiens évangéliques, et nul, en effet, n'était plus étranger à l'Évangile. Ce fut lui que l'on chargea d'exposer les dangers de la Parole de Dieu.

Le Nouveau Testament lui était fort peu familier; il l'ouvre pourtant, et prend çà et là quelques passages qui lui paraissent en faveur de sa thèse; puis, couvert de ses plus beaux ornements, la tête haute, le pas solennel, assuré de son triomphe, il monte en chaire, il combat l'hérétique, et d'une voix enflée tonne contre la lecture de la Bible [11] ; elle est, à ses yeux, la source de toutes les hérésies et.de tous les malheurs. « Si la lecture de ce livre prévaut, s'écrie-t-il, c'en est fait, parmi nous, de tout ce qui est nécessaire à la vie. Le laboureur, lisant dans l'Évangile que celui qui a mis la main à la charrue ne doit pas regarder en arrière, abandonnera, découragé, ses instruments aratoires. . . Le boulanger, lisant qu'un peu de levain corrompt toute la pâte, ne nous pétrira plus qu'un pain insipide, et les simples du peuple

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entendant l'ordre que la Bible nous donne d'arracher l'œil a. droit et de le jeter loin de nous, l'Angleterre, après quelques années, ne contiendra plus, ô spectacle affreux ! Qu’une nation de borgnes et d'aveugles, qui mendieront tristement leur pain [12]... » Ce discours émut la partie de l'auditoire à laquelle il était destiné. « Voilà l'hérétique réduit au silence ! » disaient les moines et les sacristains; mais les gens sensés souriaient, et Latimer était charmé qu'on lui eût donné un tel adversaire. Vif, porté à l'ironie, il résolut de fustiger les pauvretés de l'emphatique prieur. Il y a telles sottises, pensait-il, que l'on ne peut réfuter qu'en montrant leur ridicule. Le grave Tertullien ne parle-t-il pas lui-même de choses dont il faut simplement se moquer, de peur de leur donner du poids par une réfutation sérieuse [13]? Dimanche prochain, dit Latimer, je répondrai, s

L'église était comble quand Buckingham, le capuchon de saint François sur les épaules, et l'air tout glorieux, s'assit solennellement en face du prédicateur. Latimer récapitula d'abord les arguments les moins faibles de son adversaire; puis les reprenant un à un, il les tourna, les retourna et en montra toute la sottise avec tant d'esprit, qu'il ensevelit le pauvre prieur sous sa propre bêtise. Alors se tour nant vers le peuple qui l'écoutait : « Voilà, s'é cria-t-il avec chaleur, « voilà le cas que font de votre intelligence vos habiles conducteurs. On vous regarde comme des enfants qu'il faut tenir à jamais sous tutelle. Non ! L'heure de votre majorité a sonné; sondez courageusement les Écritures, et vous apercevrez sans peine l'absurdité des enseignements de vos docteurs. »

Puis Latimer voulant, comme dit Salomon, répondre au fou selon sa folie, il ajouta : « Quant aux comparaisons tirées de la charrue, du levain, de l'œil, dont le révérend prieur a fait un si singulier usage, est-il nécessaire de justifier ces passages de l'Écriture ? Faut-il vous dire de quelle charrue, de quel levain, de quel œil il s'agit? Ce qui distingue l'enseignement du Seigneur, n'est-ce pas ces expressions qui, sous une figure populaire, cachent un sens spirituel et pro fond? Ne sait-on pas que dans toutes les langues et dans tous les discours, ce n'est pas à l'image qu'il faut s'attacher, mais à la chose que l'image représente... Par exemple, » poursuivit-il, et en disant ces mots Latimer jette un regard perçant sur le prieur, « si nous voyons dans un tableau un renard, revêtu du capuchon d'un moine et prêchant à une nombreuse assemblée, chacun ne comprendra-t-il pas que le peintre a voulu représenter ainsi, non pas un renard, mais la ruse et l'hypocrisie, qui parfois se déguisent sous l'habit monacal? » Aces mots, le pauvre prieur, sur qui se portaient les regards de toute l'assemblée, se leva, sortit précipitamment de l'église, et courut dans son monastère, cacher au milieu de ses frères sa colère el sa confusion. Les moines et leurs créatures poussaient les hauts cris contre Latimer. Il était, disaiton, impardonnable d'avoir ainsi manqué de respect au capuchon de saint François. Mais ses amis répondaient : « Ne donne-t-on pas le fouet à un enfant? Et celui qui

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traite l'Écriture comme un enfant même ne le ferait pas, ne mérite-t-il pas qu'on le fustige? »

Le parti romain ne se tint pas pour battu. Les chefs des collèges et les prêtres avaient de fréquentes conférences. On invita les professeurs à surveiller attentivement leurs élèves et à les ramener aux enseignements de l'Église par les flatteries et par les menaces. « Nous mettons notre lance en arrêt, disait- on aux étudiants ; si vous devenez évangéliques, c'en est fait de votre avancement. » Mais cette généreuse jeunesse aimait mieux être pauvre avec Jésus-Christ que riche avec les prêtres. Stafford continuait à enseigner, Latimer à prêcher, Bilney à visiter les pauvres, la doctrine de Christ ne cessait de se répandre et les âmes de se convertir. Il ne restait donc plus aux scolastiques que l'arme favorite de Rome, la persécution. « Notre opération n'a pas réussi, dirent-ils; Buckingham n'est qu'un sot. Le meilleur moyen de répondre à ces évangéliques, c'est de les empêcher de parler. » Le docteur West, évêque d'Ély, était ordinaire de Cambridge ; on réclama son intervention, et il chargea l'un des docteurs de l'avertir, la première fois que Latimer prêcherait; mais, ajouta-t-il, n'en dites mot à personne; je veux arriver sans être attendu ! »

Un jour donc que Latimer prêchait en latin ad clerum, l'évêque entra tout à coup dans l'église de l'Université, accompagné d'un cortège de prêtres. Latimer s'arrêta, attendant respectueusement que West et sa suite eussent pris place. « Un nouvel auditoire, dit-il alors, et surtout un auditoire digne d'un plus grand honneur, demande un nouveau thème ; laissant donc le sujet que je m'étais proposé, j'en prendrai un qui a rapport à la charge épiscopale, et je prêcherai sur ces paroles : Chrislus existms Pontifex futurorum bonorum. » (Hébr. IX, H.) Alors Latimer, dépeignant Jésus Christ, le présenta comme le modèle des pontifes [14].

Il n'y avait pas une des vertus signalées dans le divin Évêque qui ne correspondit à quelque défaut des évêques romains. L'esprit mordant de Latimer pouvait se donner carrière à leurs dépens; mais il y avait tant de sérieux dans ses saillies, et un christianisme si vivant dans ses peintures, que chacun devait y reconnaître le cri d'une conscience chrétienne plutôt que les sarcasmes d'un caractère malin. Jamais évêque n'avait été remontré par l'un de ses prêtres aussi bien que celui-là. « Hélas! Disaient plusieurs, ce n'est pas de cette race que sont nos évêques; c'est de celle d'Anne et de Caïphe. » West n'était pas plus à son aise que naguère Buckingham. Il cacha pourtant sa colère, et s'adressant après le sermon, d'un ton gracieux, à Latimer : ' Vous avez un beau talent, lui dit-il, et si vous faisiez une chose, je serais prêt à vous baiser les pieds [15]... » Quelle humilité pour un évêque!... Prêchez dans cette même église, continua West, un sermon... contre Martin Luther, c'est le meilleur moyen d'arrêter l'hérésie. » Latimer comprit l'intention du prélat et répondit avec calme : « Si Luther enseigne la Parole de Dieu, je ne puis le combattre. Mais s'il enseigne le contraire, je suis prêt à l'attaquer... Bien, bien,

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Monsieur Latimer..., s'écria l'évêque, vous sentez quelque peu le fagot*[16]... Un jour ou l'autre, vous vous repentirez de cette marchandise-là... »

West ayant quitté Cambridge, fort irrité contre ce clerc rebelle, se hâta de convoquer son Chapitre et interdit à Latimer toute prédication, soit dans l'Université, soit dans tout le diocèse. « Ceux qui veulent vivre dans la piété, seront persécutés, a avait dit Paul, et Latimer en faisait l'épreuve. Ce n'était pas assez que le nom d'hérétique lui fût donné par les prêtres et leurs amis et que les passants l'insultassent dans les rues;... l'œuvre de Dieu était brutalement arrêtée. « Voilà donc, disait-il avec un s sourire amer, à quoi sert maintenant l'office épiscopal... à empêcher la prédication de Jésus Christ !... » Plus tard, avec cette mordante ironie qui le caractérise, il esquissa le portrait d'un certain évêque dont Luther aussi parlait souvent. « Savez-vous, dit Latimer, quel est le plus zélé de tous les prélats de l'Angleterre?... Je vous vois tout oreilles... [17] Eh bien! Je vous le dirai... C'est le diable. Cet évêque-là, je vous l'assure, n'est jamais absent de son diocèse, et à quelque heure que vous vous approchiez, vous le trouvez à l'œuvre. Partout où il réside, à bas les Bibles et vivent les chapelets [18]. A bas la lumière de l'Évangile et vive la lumière des cierges, fût-ce même en plein midi ! A bas la croix de JésusChrist, qui ôte les péchés du monde, et vive le purgatoire qui vide les poches des dévots! A bas les vêtements donnés aux pauvres et aux impotents, et vivent les ornements prodigués à des morceaux de bois et de pierre ! A bas les traditions de Dieu, c'est-à-dire sa très sainte Parole, et vivent les traditions des hommes!... Vraiment, il n'y eut jamais en Angle terre un si puissant prédicateur. [19] »

Le réformateur ne se contentait pas de parler; il agissait. « Ni les menaces de ses adversaires, ni leurs cruelles prisons, dit un de ses contemporains [20], ne purent jamais l'empêcher de proclamer la vérité de Dieu. » Ne pouvant prêcher dans les temples, il parlait de maison en maison. Pourtant il désirait une chaire, et il l'obtint. En vain un prélat orgueilleux lui avait-il interdit la prédication ; Jésus-Christ, qui est au-dessus de tous les évêques, sait, quand on ferme une porte, en ouvrir une autre. Au lieu d'un grand prédicateur, il y en eut deux dans Cambridge.

Un religieux augustin, homme lettré, Robert Barnès, du comté de Norfolk, s'étant rendu à Lou vain, y avait fait de bonnes études, était devenu docteur en théologie, puis, de retour à Cambridge, il avait été nommé prieur de son monastère (1523). Il devait rapprocher dans l'Université les lettres et l'Évangile, mais en penchant du côté des lettres, diminuer la force de la Parole de Dieu. Une grande foule accourait chaque jour à la maison des Augustins, pour lui entendre expliquer Térence et surtout Cicéron. Plusieurs de ceux que le simple christianisme de Bilney et de Latimer offusquait, étaient attirés par ce réformateur d'une autre espèce. Cole man, Coverdale, Field, Cambridge, Barley et beaucoup d'autres jeunes gens de

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l'Université, se groupaient autour de Barnès, et le proclamaient a le restaurateur des lettres [21]. »

Mais les classiques n'étaient qu'un enseignement préparatoire. Les chefs-d'œuvre de l'antiquité ayant aidé Barnès à défricher le sol, il ouvrit devant ses auditeurs les épîtres de saint Paul. Il n'en comprenait point, comme Stafford, les divines profondeurs ; il n'était pas oint comme lui de l'Esprit Saint ; il ne s'entendait point avec lui sur plusieurs doctrines de l'Apôtre, sur la justification par la foi et sur la nouvelle créature ; mais Barnès était un esprit éclairé, libéral, pieux même en une certaine mesure, et qui voulait, comme Stafford, substituer aux stériles disputes de l'école, les enseignements de l'Écriture. Bientôt ils en vinrent aux mains, et Cambridge garda longtemps le souvenir d'une dis pute célèbre, où Barnès et Stafford luttèrent avec éclat, en n'employant d'autres armes que la Parole de Dieu, au grand étonnement des docteurs aveugles, et à la grande joie des hommes clairvoyants, dit un chroniqueur. [22]

Toutefois, Barnès n'était point encore entièrement éclairé, et les amis de l'Évangile s'étonnaient qu'un homme étranger à la vérité, portât de si rudes coups à l'erreur. Bilney, que l'on retrouvait toujours quand il s'agissait d'une œuvre cachée et d'une irrésistible charité, Bilney, qui avait converti Latimer, s'imposa la tâche de convertir Barnès; et Stafford, Arthur, Thistel, de Pembroke-Halle, Fooke, de Bennet Collège, se mirent tous à prier pour que Dieu lui accordât son secours. L'épreuve était ardue; Barnès se trouvait dans ce juste milieu des humanistes, dans cet enivrement des lettres et de la gloire, qui rendent la conversion plus difficile.

D'ailleurs, un homme tel que Bilney oserait-il bien instruire le restaurateur de l'antiquité? Mais l'humble bachelier, de faible apparence, comme jadis David, connaissait une force cachée, par laquelle le Goliath de l'Université pouvait être vaincu. Il se mit à prier nuit et jour; puis à presser Barnès de manifester franchement ses convictions, sans craindre l'opprobre du monde. Après beaucoup d'entre tiens et de prières, Barnès fut converti à l'Évangile de Jésus-Christ [23]. Toutefois le prieur garda dans son caractère quelque chose d'indécis, et ne sortit qu'à moitié de cet état mitoyen par lequel il avait commencé. Il paraît avoir toujours cru, par exemple, à la vertu de la consécration sacerdotale, pour transformer le pain et le vin en corps et en sang. Il n'avait pas l'œil simple, et son esprit était souvent agité et poussé çà et là par des pensées contraires. « Hélas ! disait plus tard cette âme partagée, mes imaginations ne peuvent se compter'! [24] »

Barnès, ayant reconnu la vérité, déploya aussitôt un zèle qui n'était pas sans imprudence. Les hommes les moins décidés, et ceux-là même qui feront un jour quelque grande chute, sont souvent ceux qui commencent la course avec le plus d'ardeur. Barnès semblait prêt alors à tenir tête à toute l'Angleterre. Uni maintenant à Latimer par une tendre affection chrétienne, il s'indignait de voir la

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parole puissante de son ami perdue pour l'Église. « L'évêque, lui dit-il, vous a interdit la chaire, mais mon monastère n'est point soumis à la juridiction épiscopale ; prêchez-y. » «- Latimer monta donc dans la chaire des Augustins; et l'église ne put con tenir la foule qui y accourait. A Cambridge comme à Wittemberg, la chapelle des Augustins servit aux premières luttes de l'Évangile. Ce fut là que Latimer prononça quelques-uns de ses plus beaux discours. Un homme bien différent de Latimer et surtout de Barnès prenait toujours plus d'influence parmi les réformateurs de l'Angleterre; c'était Fryth. Nul n'était plus humble que lui, mais par cela même nul n'était plus fort. Moins brillant que Barnès, il était plus solide. Il aurait pu pénétrer dans ce que les sciences humaines offrent de plus difficile, mais il était attiré par les profondeurs mystérieuses de la Parole de Dieu ; les besoins de la conscience dominaient en lui ceux de l'entendement. Ce n'était pas à des questions ardues qu'il consacrait l'énergie de son âme; il avait soif de Dieu, de sa vérité et de sa charité. Au lieu de répandre ses opinions particulières et de former des divisions, il ne tenait qu'à la foi qui sauve, et avançait le règne de la vraie unité' [25]; c'est la marque des grands serviteurs de Dieu. Humble devant le Seigneur, doux devant les hommes et même en apparence un peu craintif, Fryth, en face du danger, déployait un courage intrépide. « Ma science est peu de chose, disait-il, mais le peu que j'ai, je suis déterminé à le donner à Jésus Christ, pour la structure de son temple*. [26] »

Les prédications de Latimer, l'ardeur de Barnès, la fermeté de Fryth, excitaient à Cambridge un redoublement de zèle. On savait ce qui se passait en Allemagne et en Suisse; les Anglais, toujours en avant, resteront ils maintenant en arrière? Latimer, Bilney, Stafford, Barnès, Fryth, ne feront-ils pas ce que font ailleurs d'autres serviteurs de Dieu? Une sourde fermentation annonçait une crise prochaine; chacun s'attendait à un changement en bien ou en mal. Les évangéliques, sûrs de la vérité et se croyant sûrs de la victoire, résolurent d'attaquer l'ennemi simultanément sur plusieurs points. Le dimanche veille de Noël de l'an 1 525 fut choisi pour cette grande affaire. Tandis que Latimer s'adresserait à l'auditoire qui ne cessait de remplir la chapelle des Augustins, et que d'autres prêcheraient ailleurs, Barnès se ferait entendre dans une des églises de la ville.

Mais rien ne compromet l'Évangile comme un esprit tourné vers les choses du dehors. Dieu, qui n'accorde sa bénédiction qu'à des cœurs non partagés, permit que l'assaut général, dont Barnès devait être le héros, fût marqué par une défaite. Le prieur, en montant en chaire, ne pensait qu'à Wolsey. Représentant de la papauté en Angleterre, c'était ce cardinal qui était le grand obstacle à la Réformation. Barnès prêcha sur l'épître du jour : Réjouissez-vous sans cesse au Seigneur [27]... Mais au lieu d'annoncer Christ et la joie du chrétien, il déclama imprudemment contre le luxe, l'orgueil, les divertissements des gens d'Église, et chacun comprit qu'il s'agissait du cardinal. Il décrivit ces magnifiques palais, ces brillants officiers,

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ces vêtements d'écarlate, ces perles, cet or, ces pierres précieuses et tout ce faste du prélat, si peu en rapport, dit-il, avec Pétale de Bethlehem. Deux fellows de King's Collège, parents de Tonstall, évêque de Londres, Robert Ridley et Walter Preston, qui se trouvaient à dessein dans l'auditoire, inscrivirent dans leurs carnets les imprudentes paroles du prieur.

A peine le sermon était-il fini que l'orage éclata. On ne se contente plus de répandre de monstrueuses hérésies, s'écriait-on, on s'en prend tt aux puissances établies. Aujourd'hui on attaque le cardinal, demain on attaquera le roi! » Ridley et Preston dénoncèrent Barnès au vice-chancelier.

Tout Cambridge fut en émoi. Quoi! Barnès, le prieur des Augustins, le restaurateur des lettres, accusé comme un lollard!... L'Évangile était menacé d'un danger plus redoutable qu'une prison ou qu'un bûcher. Les amis des prêtres, connaissant la faiblesse, la vanité même de Barnès, espéraient obtenir de lui un désaveu qui couvrirait de honte tout le parti évangélique. « Eh quoi, lui disaient de dangereux conseillers, la plus belle carrière vous était ouverte, et vous vous la fermeriez?... Expliquez, de grâce, votre discours. » On l'effraye, on le flatte, et le pauvre prieur est près de se rendre à ces supplications. « Vous lirez dimanche cette déclaration, « lui dit-on. Barnès parcourt le papier qu'on lui présente, et n'y voit pas grand mal. Toutefois, il veut le communiquer à Bilney et à Stafford. « Gardez-vous bien d'une telle faiblesse! » lui dirent ces pieux docteurs. Barnès alors retira sa promesse, et pour un temps les ennemis de l'Évangile se turent.

Ses amis redoublèrent d'énergie. La chute que l'un des leurs avait été près de faire leur inspira un nouveau zèle. Plus Barnès a montré d'indécision et de faiblesse, plus ses frères cherchent auprès de Dieu la fermeté et le courage. On assurait, d'ailleurs, qu'un puissant secours arrivait de delà les mers, et que la sainte Écriture, traduite en langue vulgaire, allait être enfin donnée au peuple. On accourait partout où la Parole était prêchée. C'était alors comme au temps des semailles, où tout est en mouvement dans les campagnes, pour préparer le sol et creuser les sillons. Sept collèges au moins étaient en pleine fermentation, Pembroke-Hall, Saint-John's Collège, Peterhouse, Queen's Collège, King's Collège, Gonvil-Hall et Bennet Collège. L'Evangile se prêchait aux Augustins, à Sainte Marie, ailleurs encore, et quand les cloches retentissaient, on voyait de toutes les maisons universitaires sortir des flots d'auditeurs, dont les bandes animées traversaient les places publiques. [28]

Il y avait à Cambridge une maison, portant l'enseigne du Cheval blanc, et située de manière à permettre aux membres les plus timides des collèges du Roi, de la Reine et de Saint-Jean d'y arriver par derrière, sans être aperçus; dans tous les temps il y a eu des nicodémites. C'était là que se réunissaient ceux qui voulaient lire la sainte Écriture et les écrits des réformateurs allemands. Les prêtres, regardant Wittemberg comme le foyer de la Réformation, nommèrent cette maison

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d'Allemagne; il faut toujours au peuple des sobriquets. On avait d'abord parlé de sophistes ; et maintenant quand on voyait un groupe de fellows se diriger vers le Cheval blanc, on disait en riant : « Voilà les Allemands qui vont en Allemagne. Non, nous ne sommes pas Allemands, répondaient ceux-ci, mais nous ne sommes pas Romains non plus. » Le Nouveau Testament grec les avait rendus chrétiens. Jamais les assemblées des évangéliques n'avaient été plus ferventes. Les uns y venaient pour communiquer la vie nouvelle qu'ils possédaient; les autres pour recevoir ce que Dieu avait donné aux plus avancés de leurs frères. Le Saint-Esprit les unissait tous, et la communion des saints créait ainsi de véritables Eglises. La Parole de Dieu était pour ces jeunes chrétiens la source de tant de lumière, qu'ils se croyaient transportés dans cette cité céleste dont parle l'Écriture, qui n'a pas besoin de soleil parce que la gloire de Dieu l'éclaire, Toutes les fois que je me trouvais dans la compagnie de ces frères, dit un jeune étudiant du collège de Saint-Jean, il me semblait être dans la gloire de la nouvelle Jérusalem. [29]»

Les mêmes choses se passaient à Oxford. Wolsey y avait successivement appelé, en 1524 et en 1525, plusieurs fellows de Cambridge, et tout en ne cher chant que les plus capables, il se trouva qu'il avait pris quelques-uns des plus pieux. Outré John Clark, c'étaient Richard Cox, John Frier, Godfrey Harman, W. Betts, Henri Sumner, W. Baily, Michael Drumm, Th. Lawney, enfin l'excellent John Fryth. Ces chrétiens, s'unissant à Clark, à son fidèle Dalaber et aux autres évangéliques d'Oxford, avaient, comme leurs frères de Cambridge, des réunions où Dieu manifestait sa présence. Les évêques faisaient la guerre à l'Évangile; le monarque les appuyait

encore de toute sa puissance ; mais la Parole avait remporté la victoire ; il n'y avait plus lieu d'en douter, l'Église venait de renaître en Angleterre.

Cependant, c'était surtout parmi les jeunes savants des écoles, dans les collèges de Cambridge et d'Oxford, que le grand mouvement du seizième siècle avait alors commencé. Du jeune clergé, il devait passer dans le peuple, et pour cela le Nouveau Testament lu en latin et en grec, devait être répandu en anglais. La voix de ces jeunes évangélistes s'était, il est vrai, fait entendre à Londres et dans les comtés ; mais leurs exhortations auraient été insuffisantes, si la main puissante qui dirige toutes choses n'eût fait coïncider, avec cette activité chrétienne, l'œuvre sainte pour laquelle elle avait mis Tyndale à part. Tandis que tout s'agitait en Angleterre, les flots de l'Océan amenaient, du continent aux bords de la Tamise, ces Écritures de Dieu qui, trois siècles plus tard, multipliées par milliers et par millions, et traduites dans cent cinquante langues, devaient repartir de ces mêmes rives pour tous les bouts de l'univers. Si, au quinzième siècle, et même aux premières années du seizième, le Nouveau Testament anglais avait été apporté à Londres, il ne serait tombé que dans les mains de quelques lollards. Maintenant, en tous lieux, dans les presbytères, dans les universités, dans les palais, aussi bien que dans les cabanes des laboureurs et les boutiques des artisans, on désirait ardemment posséder les

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saintes Écritures. L'Angleterre tendait la main pour les recevoir. Le fiat lux allait être prononcé sur le chaos de l'Église, et la lumière être séparée des ténèbres, par la Parole de Dieu.

FOOTNOTES

[1] He seth forth in his lectures the native sense. » (Thomas Becon, II, p. 426.)

[2] Obscured through the darkness and mists of the papists. » [Ibid.)

[3] 1 A private instructor to the rest of his brethren within the uni versity. » (Fox, Acts, VII, p. 438.)

[4] He proved in his sermons that the Holy Scripture ought to be read in the english tongue of ail Christian people. » (Becon, II, p. 424.)

[5] Latimer's Sermons, p. 9S.

[6] A poor scholar of Cambridge... but a child of sixteen years. » Becon's Works, II, p. 424.)

[7] Partly reposing his doctrine in my memory, partly commending t to letters. » (Becon's Works, \\, p. 4Î4.)

[8] Puffed up, like unto ^aop's frog. » [Jbid., p. 425.)

[9] He watered with good deeds whatsoever before he planted with godly words. » [Ibid>)

[10] When master Stafford read And master Latimer preached, Then was Cambridge blessed. » (Becon's Works, p. 445.)

[11] «With great pomp and prolixity.» (Gilpins, Lifeof Latimer,p, 8.)

[12] The nation full of blind beggars. » (Gilpins, Life of Latimer, p. 8.)

[13] Si et ridebitur alicubi materiis ipsis satisfiet. Multa sunt sic di gna revinci, negravitate adorentur. »[Contra Valentin., c. VI.) Voyez aussi Pascal, Provinciales, lettre XI.

[14] As the true and perfect pattern unto ail other bishops. » (Sti ype's Memorials, 111, p. 369.) V 21

[15] I will kneel down and kiss your foot. » (Strype's Memorials, p. 369.)

[16] I perceive that you somewhat smell of the pan. » [lbid.} p. 370.)

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[17] I see you listening and hearkening that I should name him. » (Latimer's Sermons, p. 70.)

[18] Away with Bibles and up with beads! » [Ibid.)

[19] There was never such a preacher in England as he is. » [Ibid., p. 72.)

[20] Il ajoute : « Whatsoever he had once preached, he valiantly de fended the same. » (Becon, II, p. 424.)

[21] The great restorer of good learning. » (Strype's Memorials, I, p. 508. Fox, Acts, V, p. 415.)

[22] Marvelous in the sight of the great blind doctors. » (Fox, Acte, V,p. 415.)

[23] Bilney... converted D' Barnes to the Gospel of Jesus-Christ. » (Fox, Acts, IV, p. 628.)

[24] I confess that my thoughts and cogitations be innumerable. » [Ibid., V, p. 434.)

[25] 1 Stick stifïly and stubborniy ih ëarnest and neceSsary things. » (Tyndale's Ep.)

[26] That is very small ; neverth eless that little. » (Tyndale et Fryth, Works, III, p. 83.)

[27] Ép. auxPhilipp., IV, 4 et 7.

[28] Flocked together in the open streets. » (Strype's MemoriaU, h p. 568.)

[29] In the new glorious Jerusalem. » (Becon, II, p. 426.)

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LIVRE XIX. Le Nouveau Testament en Anglais et la Cour de Rome.

CHAPITRE I

L'Église et l'État. Henri VIII fut-il le réformateur de son peuple ? L'Église est créée par l'Esprit de Dieu. Nécessité de la liberté. Le Testament de Christ et la cour de Rome. Les Nouveaux Testaments arrivent. Le curé de Tous-les-Saints.

Dissémination des Écritures. Ce qu'on y trouve. Le Testament, la Loi, l'Évangile. Le gendre de Th. More. Le Testament vendu à Oxford. Henri VIII et son valet de chambre. Une séance dans le cabinet du roi. La Supplique des mendiants. Comment on ruine un État. Jugement du roi. La procession de la Chandeleur. Supplique des cimes du Purgatoire

L'Église et l'État sont essentiellement distincts ; c'est de Dieu, il est vrai, qu’ils reçoivent l'un et l'autre leur tâche, mais cette tâche est différente. Celle de l'Église est d'amener les hommes à Dieu ; celle de l'État est d'assurer le développement terrestre d'un peuple, conformément à son caractère propre. Il y a certaines limites, tracées par l'esprit particulier d'une nation, dans lesquelles l'État doit se renfermer; tandis que l'Église, n'ayant d'autres bornes que l'humanité, a un caractère universel qui la place au-dessus de toutes les différences nationales. Il faut maintenir ces deux traits distinctifs. Un État qui veut être universel s'égare ; une Église qui veut être sectaire déchoit. Néanmoins, l'Église et l'État, ces deux pôles de la vie sociale, tout en étant à plusieurs égards opposés, sont loin de s'exclure d'une manière absolue.

L'Église a besoin de cette justice, de cet ordre, de cette liberté, que l'État doit maintenir ; mais l'État surtout à besoin de l'Église. Si Jésus peut se passer des rois pour établir son règne, les rois ne peuvent se passer de Jésus pour faire prospérer le leur. Le droit, qui est le principe fondamental de l'État, est sans cesse entravé dans sa marche par la puissance intérieure du péché, et comme la force ne peut rien contre cette puissance, il faut à l'État l'Évangile, pour la surmonter; le pays le plus prospère sera toujours celui où l'Église sera le plus évangélique. Ces deux sociétés ayant ainsi besoin l'une de l'autre, on doit s'attendre, quand il y a dans le monde une puissante manifestation religieuse, à voir paraître sur la scène non-seulement les petits, mais aussi les grands de l'État. Ne soyons pas surpris d'y rencontrer Henri VIII, mais efforçons-nous d'apprécier le rôle qu'il a rempli.

Si la Réformation, surtout en Angleterre, se trouva nécessairement mêlée avec l'État, même avec le monde, ce ne fut ni de l'État, ni du monde qu'elle provint. Il y eut beaucoup de mondanité sous le règne de Henri VIII, des passions, des violences, des fêtes, un procès, un divorce ; et quelques historiens appellent cela l'Histoire de la Réformation de l'Angleterre. Nous ne passerons point sous silence ces

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manifestations de la vie mondaine; quelque opposées qu'elles soient à la vie chrétienne, elles sont dans l'histoire, ce n'est pas à nous à les en ôter.

Mais, certes, elles ne sont pas la Réforme elle-même; c'est d'un tout autre foyer que partait la divine lumière qui se levait alors sur l'humanité. Dire que Henri Tudor fut le réformateur de son peuple, c'est ignorer l'histoire. La puissance royale, en Angleterre, combattit et favorisa tour à tour la réforme de l'Église ; mais elle la combattit avant de la favoriser, et plus qu'elle ne la favorisa. Celte grande transformation commença et s'étendit par ses propres forces, par l'Esprit qui descend d'en haut.

Quand l'Église a perdu la vie qui lui est propre, il faut qu'elle se remette en contact avec son principe créateur, c'est-à-dire avec la Parole de Dieu. De même que les seaux d'une roue destinée à arroser des prairies n'ont pas plutôt versé leurs eaux vivifiantes, qu'ils se replongent derechef dans le fleuve pour s'y remplir encore, de même chaque génération, vide de l'Esprit de Christ, doit retourner à la source divine, pour en être remplie de nouveau. Les paroles primitives qui créèrent l'Église nous ont été conservées dans les Évangiles, les Actes, les Epîtres; et une humble lecture de ces divins écrits créera en tout temps la communion des saints. Ce fut Dieu qui fut le père de la Réformation, et non Henri VIII. Ce monde visible, qui brilla alors d'un si grand éclat, ces princes, ces jeux, ces grands, ces procès, ces lois, loin d'opérer la Réforme, étaient propres à l'étouffer ; mais la lumière et la chaleur vinrent du ciel, et la création nouvelle s'accomplit.

Un grand nombre de bourgeois, de prêtres et de nobles possédaient, sous Henri VIII, ce degré de culture qui favorise l'action des livres saints. Il suffisait que cette semence divine fût répandue sur ce sol bien préparé, pour que l'œuvre de la germination s'accomplît.

Une heure non moins importante s'approchait aussi, c'était celle où l'action de la papauté devait finir. Cette heure n'était pas encore là. Dieu créait d'abord au dedans, par sa Parole, une Eglise spirituelle, avant de briser au dehors, par ses dispensations, les liens qui avaient si longtemps attaché l'Angleterre à la puissance de Rome. Il voulait donner d'abord la vérité et la vie, et ensuite la liberté. On a dit quelque part que si le pape avait consenti à la réforme des abus et des doctrines, à condition qu'il garde sa position, la révolution religieuse ne se fût pas contentée à ce prix, et qu'après avoir demandé la réforme, elle aurait demandé la liberté. Le seul reproche que l'on puisse faire à cette assertion, c'est d'être surabondamment vrai.

La liberté était une partie intégrante de la Réforme, et un des changements impérieuse ment requis était de retirer au pape l'autorité religieuse, et de la restituer à la Parole de Dieu. Il y eut au seizième siècle une grande effusion de vie chrétienne en France, en Italie, en Espagne; d'innombrables martyrs en font foi, et l'histoire nous atteste que pour transformer ces trois grands peuples, il ne manqua

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à l'Evangile que la liberté. [1] « Si nous nous étions mis à l'œuvre deux mois plus tard, a dit un grand inquisiteur d'Espagne qui s'est baigné dans le sang des saints, il n'était plus temps; l'Espagne était perdue pour l'Eglise romaine. » On peut donc croire que si l'Italie, l'Espagne et la France avaient eu quelque roi généreux pour arrêter les satellites du pape, la France, l'Espagne et l'Italie, entraînées par la puissance rénovatrice de l'Evangile, fussent entrées dans une ère de liberté et de foi.

Les luttes de l'Angleterre avec la papauté commencèrent peu après la dissémination du Nouveau Testament anglais de Tyndale. L'époque à laquelle nous sommes parvenus met donc à la fois sous nos yeux le Testament de Jésus -Christ et la cour de Rome; nous pouvons ainsi étudier les hommes et les œuvres qu'ils produisent, et faire une équitable appréciation de ces deux grands principes qui se disputent l'autorité dans l'Église.

C'était vers la fin de l'an 1525; le Nouveau Testa ment anglais passait la mer ; cinq marchands pieux des villes asiatiques s'en étaient chargés. Épris des saintes Écritures, ils les avaient fait porter sur leurs navires, les avaient cachées au milieu de leurs marchandises, puis, d'Anvers, ils avaient fait voile pour Londres.

Ainsi s'avançaient vers la Grande-Bretagne ces feuilles précieuses qui allaient devenir sa lumière et la source de sa grandeur. Les marchands (à qui leur zèle devait coûter cher) n'étaient pas sans crainte. Cochlée n'avait-il pas fait donner des ordres dans tous les ports pour empêcher l'entrée de la précieuse cargaison qu'ils apportaient à l'Angleterre ? On arrive, on jette l'ancre; on met la chaloupe à l'eau pour se rendre au rivage ; que va-t-on y trouver ? Sans doute les agents de Tonstall, de Wolsey, d’Henri, prêts à enlever les Nouveaux Testaments!

On aborde, on retourne au navire, on va, on vient; le déchargement s'effectue; aucun ennemi ne se présente, et nul n'a l'air de supposer que ces vaisseaux contiennent un si grand trésor.

Au moment où ce fret sans prix remontait la Tamise, une main invisible avait dispersé les douaniers. L'évêque de Londres, Tonstall, avait été envoyé en Espagne ; Wolsey était plongé dans des combinaisons politiques avec l'Ecosse, la France et l'Empire; Henri VIII, chassé de sa capitale par un hiver malsain, passait les fêtes de Noël à Eltham; et les cours de justice elles-mêmes, effrayées par une mortalité extraordinaire, avaient suspendu leurs séances. Dieu, si l'on peut ainsi parler, avait envoyé son ange pour éloigner les gardes. Ne voyant rien qui pût les arrêter, les cinq marchands qui avaient leurs établissements dans la rue de la Tamise, sur la place appelée Steelyard, se hâtèrent de cacher dans leurs magasins leur précieux dépôt. Mais qui le recevra? Qui se chargera de répandre ces saintes Écritures à Londres, à Oxford, à Cambridge, dans toute l'Angleterre? C'est peu de chose qu'elles aient passé la mer.

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Le principal instrument dont Dieu allait se servir pour les disséminer devait être un humble serviteur de Christ. Dans une rue étroite de Londres, attenante à Cheapside {Honey Lane), s'élevaient les vieilles mu railles de l'église de Tous-lesSaints (AU Hallows), dont Robert Forman était le recteur. Il avait pour vicaire un homme simple, d'une imagination vive, d'une conscience délicate, d'un naturel craintif, mais rendu courageux par la foi dont il devait être martyr.

Ce prêtre, nommé Thomas Garret, ayant cru à l'Évangile, conjurait ses auditeurs de se convertir [2]; il insistait sur ce que les œuvres, quelque bonnes qu'elles fussent en apparence, n'étaient nullement capables de justifier le pécheur, et affirmait que la foi seule pouvait le sauver* [3]. Il soutenait que tout homme avait le droit d'annoncer la Parole de Dieu [4]; et il appelait pharisiens les évêques qui persécutaient les chrétiens. La parole si vivante et si douce de Garret attirait une grande foule ; et pour plusieurs de ses auditeurs, la rue où il prêchait se trouva justement nommée Honey Lane, car ils y trouvaient le miel qui découle du Rocher. [5]

Mais Garret allait se rendre coupable aux yeux des prêtres d'une faute plus grave encore que la prédication de la foi. On cherchait quelque lieu sûr où l'on pût mettre en dépôt les Nouveaux Testaments et les autres livres envoyés d'Allemagne ; le vicaire offrit sa maison, y transporta en secret les saints exemplaires, les plaça dans les réduits les plus cachés, et fit autour de cette sainte bibliothèque une garde fidèle [6]. Il ne s'en tint pas là. Il étudiait nuit et jour ces saints livres, il formait des assemblées évangéliques, il lisait la Parole aux bourgeois de Londres, il leur en expliquait les doctrines. Enfin, non content d'être à la fois étudiant, bibliothécaire et prédicateur, il se fit marchand et vendit le Nouveau Testament à des laïques, à des prêtres même et à des moines, en sorte que la sainte Écriture se répandait dans tout le royaume.[7] Ce prêtre humble et timide faisait alors à lui seul l'œuvre biblique de l'Angleterre.

Ainsi la Parole de Dieu, présentée aux savants par Érasme, en 1517, était donnée au peuple par Tyndale, en 1526. Dans les presbytères, les cellules, mais surtout les cabanes et les boutiques, une foule de personnes lisaient le Nouveau Testament.

La clarté de l'Écriture sainte frappait les lecteurs. Ce n'était pas les formes systématiques ou aphoristiques de l'école, c'était le langage de la vie humaine, que l'on trouvait dans ce divin écrit; tantôt une conversation et tantôt un discours; tantôt un récit et tantôt une comparaison; tantôt une sentence et tantôt un raisonnement ; ici un oracle et là une prière.

Tout n'était pas doctrine, tout n'était pas histoire ; mais ces deux éléments, fondus l'un dans l'autre, faisaient un admirable ensemble. La vie si divine et si humaine du Sauveur avait surtout un attrait inexprimable qui captivait les simples. Une œuvre de Jésus en expliquait une autre, et les grands faits de la rédemption, la naissance,

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la mort, la résurrection du Fils de Dieu et l'envoi de son Saint-Esprit, se complétaient en se succédant. L'autorité des enseignements de Christ, qui contrastait si fort avec les doutes de l'école, augmentait pour les lecteurs la clarté de ses discours; car plus une vérité est certaine, plus elle frappe distinctement l'intelligence. Des explications académiques n'étaient pas nécessaires à ces nobles, à ces fermiers, à ces bourgeois. C'est à moi, disait chacun, c'est pour moi, c'est de moi que ce livre parle. C'est moi que regardent toutes ces promesses et ces enseignements. Cette chute et cette restauration . . . sont les miennes. Cette mort ancienne et cette vie nouvelle... j'y ai passé... Cette chair et cet esprit... je le con nais. Cette loi et cette grâce, cette foi, ces œuvres, cette servitude, cette gloire, ce Christ et ce Bélial, tout cela m'est familier. C'est mon histoire que je trouve dans ce livre. Ainsi chacun avait dans sa propre expérience, par le secours de l'EspritSaint, la clef des mystères de la Bible. Pour comprendre certains auteurs, certains philosophes, il faut que la Vie intime du lecteur soit en harmonie avec la leur; il faut de même une affinité intime avec les livres saints pour pénétrer dans leurs mystères. L'homme qui n'a pas l'Esprit de Dieu, avait dit un réformateur, n'entend pas un seul iota dans toute l'Écriture. [8] »

Or, cette condition était remplie, l'Esprit de Dieu se mouvait sur le dessus des eaux'. Telle était alors l'herméneutique de la Grande Bretagne. Tyndale lui-même en avait donné l'exemple, en expliquant quelques-uns des mots qui pouvaient arrêter ses lecteurs. « Le Nouveau Testament ... disait quelque fermier en prenant le livre ; qu'est-ce que ce Testament-il ? Christ, répondait

Tyndale dans son prologue, a commandé à ses disciples, avant sa mort, de publier sur toute la terre sa volonté dernière, qui est de donner tous ses biens à ceux qui se convertissent et qui croient [9]. à H leur lègue sa justice pour effacer leurs péchés, son salut pour surmonter leur condamnation^ et c'est pour cela que ce document s'appelle le Testament de Jésus-Christ. »

La loi et l'Évangile, disait un bourgeois de Londres, dans sa boutique ; qu'est-ce que cela ? Ce sont deux clefs, répondait Tyndale. La loi est c la clef qui renferme tous les hommes sous la condamnation, et l'Evangile est la clef qui ouvre la porte et les délivre. Ou bien, si vous le voulez, ce sont deux onguents. La loi, forte et mordante, fait sortir le mal et le tue [10] ; tandis que l'Évangile, calmant et onctueux, adoucit la plaie et apporte la vie. » Chacun comprenait, lisait, ou plutôt dévorait les pages inspirées; et les cœurs des élus, selon l'expression de Tyndale, réchauffés par l'amour de Jésus-Christ, se fondaient comme la cire [11]. On voyait cette transformation s'opérer jusque dans les familles les plus catholiques. Rooper, gendre de Thomas More, ayant lu le Nouveau Testament, reçut la vérité. « Je n'ai plus besoin, dit-il, ni de confession auriculaire, ni de vigiles, ni d'invocation des saints. Les oreilles de Dieu sont toujours ouvertes pour nous entendre. La foi seule est nécessaire au salut. Je crois... je suis sauvé... rien ne me privera de la faveur de

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Dieu [12] ! » L'aimable et zélé jeune homme voulait faire davantage. Mon père, dit-il un jour à Thomas More, obtenez pour moi du roi, qui vous aime, la liberté de prêcher; Dieu m'appelle à enseigner le monde. » More était inquiet. Faut-il que cette nouvelle doc trine qu'il déteste gagne jusqu'à ses enfants?... Il employa toute son autorité à détruire l'œuvre commencée dans le cœur de Rooper. « Quoi, lui dit-il, ce n'est pas assez, mon fils, que vous soyez fou, vous voudriez encore proclamer devant le monde entier votre folie? Taisez-vous; je ne veux plus disputer avec vous. »

L'imagination du jeune homme avait été frappée, mais son cœur n'avait pas été changé. Les disputes ayant cessé, l'autorité du père étant intervenue, Rooper se montra moins fervent dans sa foi, et peu à peu il retourna au catholicisme romain, dont il devint même un zélé champion. L'humble vicaire de Honey Lane ayant vendu le Nouveau Testament dans Londres, autour de Londres, et à des hommes pieux qui le portaient jusqu'au bout de l'Angleterre, prit la résolution de l'introduire dans l'université d'Oxford, cette citadelle du catholicisme traditionnel. C'était là qu'il avait étudié, et il sentait pour cette école l'affection qu'un fils porte à sa mère; il partit donc avec ses livres* [13]. L'épouvante venait parfois le saisir, car il savait que la Parole de Dieu avait à Oxford des ennemis mortels; mais son zèle infatigable surmontait sa timidité. D'accord avec Dalaber, il offrit en secret le livre mystérieux; beaucoup d'étudiants l'achetèrent, et Garret inscrivait soigneusement leur nom dans son carnet. C'était en janvier 1526; un incident vint troubler cette chrétienne activité.

Un matin qu'Edmond Moddis, l'un des valets de chambre de Henri VIII, était de service, ce prince, qui l'aimait, lui parla des nouveaux livres venus d'outre-mer. « Ah ! dit Moddis, si Votre Grâce voulait promettre son pardon à moi et à certaines personnes, je lui présenterais un livre merveilleux qui lui est dédié [14]. Quel en est l'auteur ? Un jurisconsulte de Gray's Inn nommé Simon Fish, < qui est à cette heure sur le continent. Qu'y fait-il? II y a environ trois ans qu'un de ses collègues de Gray's Inn, un M. Row, composa pour un théâtre de société une pièce dirigée contre Monseigneur le cardinal. » Le roi sourit; quand on attaquait son ministre, le joug lui semblait plus léger. Personne ne voulant représenter le personnage chargé de faire la leçon à Monseigneur, continua le valet de chambre, maître Fish accepta courageusement ce rôle ; la pièce fit grand effet, et Monseigneur, averti de cette impertinence, envoya dans la nuit des sergents d'armes pour saisir Fish. Celui-ci parvint à s'échapper, traversa la mer, rejoignit un certain Tyndale, auteur de quelques-uns des livres dont on parle tant, et entraîné par l'exemple de son ami, composa l'ouvrage dont je parle à Votre Grâce. Quel en est le titre ? La Supplique des mendiants. Où l'as-tu vu? Chez deux de vos marchands, George Élyot et George Robinson;[15] et si Votre Grâce le désire, ils vous l'apporteront. » Le roi fixa le jour et l'heure.

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Le livre était écrit pour le roi, et chacun le lisait sauf le roi lui-même. Le jour fixé, Moddis se présenta donc avec Élyot et Robinson, qui n'étaient pas sans quelques craintes, puisqu'on pouvait les accuser de faire du prosélytisme jusque dans le palais de Sa Majesté. Le roi les reçut dans son cabinet particulier [16] : « Que voulez-vous? leur dit-il. Sire, dit l'un des marchands, il s'agit d'un livre extraordinaire qui vous est adressé. L'un de vous peut-il me le lire ? Si cela plaît à Votre Grâce, répondit George Élyot. Tu pourrais te con tenter de m'en dire de mémoire le contenu, repartit le roi Toutefois, non; lis-le tout entier ; cela vaut mieux. Allons, je t'écoute. » Élyot commença très hideux sur lesquels l'œil ose à peine s'arrêter, les nécessiteux, les aveugles, les boiteux, les impotents, les lépreux et autres malades de votre peuple, dont le nombre s'accroît de jour en jour c et qui meurent de faim dans tout votre royaume. Or, ce grand malheur est venu de ce que, sous le règne de vos nobles prédécesseurs, il s'est artificieusement glissé dans votre empire, une certaine espèce de paresseux, de prétendus, de puissants mendiants, qui se multipliant par la ruse du diable, forment maintenant un vaste empire. »

Henri était fort attentif; Élyot continua :

Ces loups, revêtus de l'habit des bergers, et qui s'appellent évêques, abbés, prieurs, diacres, archidiacres, suffragants, prêtres, moines, chanoines, pénitenciers, ont fait passer en leurs mains les plus belles seigneuries et les plus riches ma noirs. Ils ont la dîme du blé, du foin, du bois, des pâturages, des poulains, des ânons, des veaux et des porcs; Item, la dîme des gages de tous les domestiques, de la laine, du lait, du miel, du beurre et du fromage. Il n'est pauvre ménagère qui ne leur donne la dîme de ses œufs; sinon, point d'absolution à Pâques. Leur revenu annuel est maintenant de 430,333 livres sterling, six sous, huit deniers ; et il y a quatre siècles, ils n'a avaient pas une obole...

Comment vos sujets pourraient-ils vous fournir des subsides, et tendre une main secourable à nous pauvres boiteux, pauvres aveugles?... Les anciens Romains n'auraient jamais soumis toute la terre, si ces moines, cormorans avides, avaient allongé dans les maisons du forum leurs cous et leurs becs. »

On ne pouvait trouver une parole qui captivât mieux l'attention du roi. « A quoi aboutissent les exactions de ces saints paresseux, de ces saints voleurs? [17] Continua Élyot. A transporter de vos mains dans les leurs, le pouvoir, la seigneurie, la richesse... et à soulever vos sujets contre votre Majesté !... Si vous voulez salir une maison, mettez-y des pigeons et des prêtres*; [18] et si vous voulez ruiner un État, établissez-y le pape, ses moines et son clergé! Renvoyez donc dans le monde ces robustes fainéants; qu'ils y gagnent leur nourriture à la sueur de leur visage, selon l'ordonnance de Dieu, et qu'ils y prennent des femmes qui soient véritablement les leurs. Alors vous verrez s'accroître les richesses de vos communes, la sainteté du mariage se rétablir, et votre couronne briller du plus vif éclat. »

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Quand Élyot eut fini cette lecture, le roi, préoccupé, garda le silence. On lui révélait la véritable cause de la ruine de l'État; mais Henri n'était pas mûr pour ces importantes vérités. Il dit enfin d'un air inquiet : « Si un homme qui veut abattre une vieille maison, commence par le bas, je crains fort que le haut ne lui tombe sur la tête [19]. » Ainsi donc, selon le roi, Fish, en attaquant les prêtres, ébranlait les fondements mêmes de la religion et de la société. Après ce verdict royal, Henri se leva, prit le livre, le mit dans son bureau, et défendit aux deux marchands de révéler à personne la lecture qu'ils lui avaient faite.

Peu après que le roi eut reçu cet exemplaire, le vendredi 2 février, fête de la Chandeleur, une foule de fidèles, et le roi lui-même, devaient assister à la procession d'usage, une chandelle de cire à la main. On répandit pendant la nuit le fameux traité dans toutes les rues où la procession devait passer. Le cardinal ordonna de confisquer le pamphlet, et se rendit auprès du roi. Celui-ci mit la main sous son habit, et en tira en souriant le livre si redouté, puis, satisfait de cette petite preuve d'indépendance, il le livra au cardinal.

Tandis que Wolsey répondait à Fish par la confiscation, Thomas More, plus libéral, voulant que la presse répondît à la presse, opposa à la Supplique des mendiants la Supplique des âmes du Purgatoire. « Sup primez, disaient-elles, les pieux subsides accordés aux moines, alors l'Évangile de Luther entrera, le Testament de Tyndale se lira, l'hérésie se prêchera, le jeûne se négligera, les saints on blasphémera, Dieu l'on offensera, de la vertu on se moquera, le vice se déchaînera, de mendiants et de voleurs l'Angleterre se peuplera [20]. » Puis les âmes du purgatoire appelaient l'auteur de la Sup plique une oie, un âne, un chien enragé. » C'est ainsi que la superstition dégradait le beau génie de More. Malgré les injures des âmes du purgatoire, le Nouveau Testament se lisait toujours plus en Angleterre.

FOOTNOTES

[1] GeddeS, Martyrol.; Oonsalvi, Mart. Hisp.; Llorente, Inguis.; M” h Crie, Ref. in Sp. v 22

[2] 1 Earnestly laboured to call us unto repentance. »(Becon, III, p. 11.)

[3] Quod opera nostra quantumvis bona in specie nihil conducunt ad justificationem nec ad meritum, sed sola fides. » (Fox, Acte, V, p. 428.)

[4]Every man may preach the word of God. » [Ibid.)

[5] Psaume LXXXI, verset 16.

[6] Having the said books in his custody. » (Fox, Ads, V, p. kii.

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[7] Dispersing abroad of the said books, within this realm. » (Fox, Acts, V, p. 428.) Voir aussi Strype, Cranmer's Mémorial, p. 81.)

[8] Nullus homo unum iota in Scripturis sacris videt, nisi qui Spi ritum Dei hahet. » (Luther, De servo arbitrio. Witt. II, p. 424.) Genèse I, Î.

[9] To give unto ail that repent and believe ail his goods. » (Tyn dale's Works, II, p. 491.) Le Pathway unto the Holy Scripture est le prologue du Testament in-4°, avec quelques changements de peu d'importance.

[10] The law driveth out the disease, and is a sharp salve. » [Ibid., p. 503.)

[11] The hearts of them which are elect and chosen, begin to wax soft and melt. » [Ibid., p. 500.)

[12] Fall out of God's favour. » (More's Life, p. 134.)

[13] And brought with him... Tyadale's firt translation of the N. T. in english. » (Fox, Acts, V, p. 421.)

[14] His Grâce should see such a book as it was a marvel to hear of... » (Fox, Acts, IV, p. 658.)

[15] He said : Two of your merchantS, George Elyot and George Robinson. » (Fox, Acts, \V, p. 658.)

[16] They came before his presence in a privy closet. » [Ibid.)

[17] This greedy sort of sturdy, idle, holy thieves. » (Fox, Acts, IV, p. 660.)

[18] Priests and doves make foui houses. » [Ibid., p. 661.)

[19] The upper part thereof might chance to fall upon his head. » [Ibid., p. 658.)

[20] Then shall Luther's Gospel corne in.., » (Morus, a Supplication »f the soûls in purgatory, Oper.)

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CHAPITRE II

Conseil et résolution des évêques. Les inquisiteurs à Oxford : Garret se sauve. Dalaber cache les Testaments. Garret retourne à Oxford. Il est saisi et s'échappe. Entrevue de Garret et de Dalaber. Dalaber à genoux lit Matth. X.

Le Magnificat. Alarme des romanistes. L'amour des frères à Oxford.

Souper et prière. Cauchemar et promenade de Dalaber. On a visité sa chambre. Dalaber et son anneau devant le prieur. On le met à la torture. Prière et résolution. Garret saisi. Plusieurs fellows d'Oxford sont emprisonnés.

La cave du poisson salé. Deux fellows absous. Condamnation de tous les autres

Wolsey ne s'arrêta pas au livre de Fish. Ce n'é tait pas ce misérable écrit » seulement qu'il s'agissait de poursuivre : le Nouveau Testament en anglais était entré par surprise dans le royaume ; là était le danger. Ces évangéliques qui prétendent émanciper l'homme quant aux prêtres, et le mettre dans une dépendance absolue quant à Dieu, faisaient précisément le contraire de ce que Rome demande [1].

Le cardinal se hâta d'assembler les évêques, et ceux-ci, surtout Warham et Tonstall, qui longtemps avaient joui des quolibets lancés contre la superstition, prirent la chose plus au sérieux quand on leur montra le Nouveau Testament répandu par toute l'Angleterre. Ces prélats croyaient, comme Wolsey, que l'autorité du pape et du clergé était un dogme qui primait tous les autres. Ils voyaient dans la Réforme un élan de l'esprit humain, un besoin de penser, de juger librement les doctrines et les institutions que les peuples, jusqu'à cette heure, avaient reçues humblement des mains des prêtres. Les nouveaux docteurs justifiaient leur tentative d'affranchissement, en substituant une nouvelle autorité à l'ancienne. C'est le Nouveau Testament qui compromet le pouvoir absolu de Rome ; il faut le saisir et le détruire, dirent les évêques. Londres, Oxford, Cambridge surtout, ces trois repaires de l'hérésie, devaient être soigneusement visités. Les ordres définitifs furent donnés le samedi, 3 février 1526, et aussitôt l'on se mit à l'œuvre.

Ce fut dans Honey Lane, chez le vicaire de l'église de Tous-les-Saints, que se fit la première descente des inquisiteurs. On ne trouva pas Garret chez lui ; en vain le chercha-t-on chez Monmouth et dans toute la cité [2], il n'était nulle part. « Il est allé à Oxford vendre ses détestables écrits, » dit-on aux inquisiteurs, et aussitôt ils partirent, décidés à brûler l'évangéliste et ses livres, « tant était brûlante, dit le chroniqueur, la charité de ces saints pères*. [3] » Le mardi 6 février, Garret débitait tranquille ment ses livres à Oxford, et inscrivait soigneuse ment ses ventes dans son carnet, quand deux de ses amis accourant, s'écrièrent : « Fuyez! Sinon, l'on vous conduit au cardinal, et de là... à la Tour. » Le pauvre vicaire fut très ému. « De qui le

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tenez-vous ? De maître Cole, procureur de l'assena it blée du clergé, qui est fort avant dans la faveur du cardinal. » Aussitôt Garret, comprenant la gravité de l'affaire, se rendit chez Anthony Dalaber, qui avait, à Oxford, le dépôt des saintes Écritures; d'autres y arrivèrent après lui; la nouvelle s'était aussitôt répandue, et ceux qui avaient acheté le livre étaient saisis d'effroi, car on savait par l'histoire des lollards ce que le clergé romain pouvait faire.

On tint conseil. Les frères (nous étions réellement des frères les uns pour les autres, dit Anthony [4]), décidèrent que Garret changerait de nom, que Dalaber lui donnerait des lettres pour son frère, recteur de Stalbridge, dans le Dorsets ire, qui cherchait un vicaire, et qu'une fois dans cette paroisse, il saisirait la première occasion de passer la mer. Le recteur de Stalbridge était, il est vrai, un en ragé papiste » (c'est l'expression dont se servait Dalaber), n'importe! On ne connaissait pas d'autre ressource. Anthony lui écrivit en toute hâte, et le 7 février au matin, Garret sortit d'Oxford sans être aperçu.

Ayant pourvu, à la sûreté de son ami, Dalaber devait penser à la sienne. Il cacha soigneusement dans un endroit secret de sa chambre à Alban's-Hall les Testaments de Tyndale et les écrits de Luther, d'OEcolampade, et d'autres encore sur la Parole de Dieu. Puis, dégoûté des sophismes scolastiques qu'il entendait dans ce collège, il prit avec lui le Nouveau Testament et le commentaire de Lambert d'Avignon sur l'Évangile selon saint Luc, dont la seconde édition venait d'être imprimée à Strasbourg' [5], et il se rendit au collège de Glocester, où il voulait étudier le droit civil, ne se souciant plus d'avoir rien à faire avec l'Église.

Pendant ce temps le pauvre Garret avançait vers le Dorsetshire. Sa conscience ne pouvait supporter la pensée d'être, même pour peu de temps, le vicaire d'un piètre bigot, de cacher sa foi, ses désirs, et jusqu'à son nom. Il se sentait plus malheureux, quoi que en liberté, avec le poids d'une telle faute, qu'il ne pourrait l'être dans les prisons de Wolsey. Il vaut mieux, se disait-il, confesser Jésus-Christ devant les tribunaux, que de paraître approuver des pratiques superstitieuses que l'on déteste. Il faisait quelques pas en avant, il s'arrêtait, il reprenait sa marche; ses craintes et sa conscience se livraient un rude combat. Enfin, après une journée et demie d'incertitude, sa conscience eut le dessus; ne pouvant plus endurer les angoisses qu'il éprouvait, il retourna sur ses pas, revint à Oxford, y entra le vendredi soir, et se coucha tranquillement dans son lit.

A peine minuit avait-il sonné, que les procureurs de Wolsey, dûment avertis, arrivèrent, l'arrachèrent de son lit [6], et le livrèrent au commissaire de l'Université, le docteur Cottisford. Celui-ci l'enferma dans sa propre chambre, tandis que London et Hig don, doyen de Frideswide, « deux archipapistes » (comme les nomme le chroniqueur), annoncèrent au cardinal cette importante capture ; ils croyaient la papauté sauvée, parce qu'un pauvre vicaire était pris. Dalaber, occupé à préparer sa

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nouvelle chambre au collège de Glocester, ne s'était pas aperçu de tout ce tumulte* [7]. Le samedi à midi, ayant terminé ses arrangements, il ferma sa porte à double tour, et se mit à lire son Évangile selon saint Luc. Tout à coup on frappe... Dalaber ne dit mot; ce sont sans doute les agents du commissaire; un coup plus rude se fait entendre ; même silence ; aussitôt un troisième coup survient, comme si l'on voulait enfoncer la porte. « Peut-être, dit alors Anthony, est-ce quel qu'un qui a besoin de moi. » Il cache son livre [8], ouvre la porte, et à son grand étonnement, voit Garret qui, la frayeur peinte sur tous les traits, s'écrie : « Je suis un homme perdu [9] ! Ils m'ont pris ! »

Dalaber qui croyait son ami à Stalbridge, chez son frère, ne pouvait revenir de sa surprise, et en même temps, il jetait un regard inquiet sur un inconnu qui accompagnait Garret; c'était le domestique de la maison qui, rencontré par le vicaire fugitif, lui avait indiqué la nouvelle chambre de Dalaber. Ce garçon s'étant éloigné, Garret raconta tout à Anthony : « M'étant aperçu, lui dit-il, que le docteur Cottisford et ses gens étaient à la prière, j'ai travaillé avec le doigt le pêne de la serrure, il a cédé [10] ... Et me voici! Hélas! Maître Garret, répondit Anthony, l'imprudence que vous avez commise en me parlant devant ce jeune homme, vous a perdu, et moi avec vous ! . . . » A ces mots le pauvre Garret qui, sa conscience une fois satisfaite, reprenait son effroi des prêtres, s'écria d'une voix entrecoupée de larmes et de sanglots [11] : « De grâce! Aidez-moi! Sauvez-moi! » Sans attendre la réponse, il jette à bas sa robe et son capuchon, demande à Dalaber une casaque à manches, et ainsi déguisé : « Je me sauve dans le pays de Galles, dit-il, et de là, si je le puis, en Allemagne, auprès de Luther ! »

Toutefois le vicaire s'arrête ; il y a quelque chose à faire avant de partir; les deux amis tombent à genoux; ils prient ensemble; ils demandent à Dieu de conduire son serviteur dans un refuge assuré [12]. Cela fait, ils s'embrassent, le visage inondé de larmes et sans pouvoir s'adresser une parole*. [13]

Dalaber, muet sur le seuil de la porte, suivait des yeux et de l'oreille les pas de son ami. L'ayant en tendu franchir les dernières marches, il rentra, s'en ferma, prit son Nouveau Testament, le posa devant lui, et lut à genoux le dixième Chapitre de l'évangile de saint Matthieu, en poussant de profonds soupirs : «... Vous serez menés devant les gouverneurs à cause de moi . . . mais lue craignez pas ; les cheveux même de vo ire tête sont tous comptés. » Cette lecture ayant ranimé son courage, Anthony, toujours à genoux, pria avec ferveur pour le fugitif et pour tous ses frères : « O Dieu! disait-il, mets par ton Saint-Esprit une vertu céleste dans ce pauvre petit troupeau que tu as dernièrement rassemblé à Oxford [14]. La pesante croix du Christ va être placée sur les faibles épaules de tes misérables brebis. Donne-leur de la porter avec une patience toute divine et une indomptable ferveur ! »

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Ayant achevé, Dalaber mit son livre en sûreté, plia le capuchon et la robe de maître Garret, les plaça dans sa garde-robe parmi ses propres habits, ferma soigneusement sa chambre, puis se rendit au collège du Cardinal, pour raconter à Clark et aux autres frères ce qui venait d'arriver [15]. On était à la chapelle; le service du soir avait commencé; le doyen et les chanoines, revêtus de leurs aumusses de petit gris, chantaient en chœur. Dalaber demeura à la porte pour écouter les sons majestueux de l'orgue que touchait Tavernier, et les chants mélodieux de l'assemblée. On entonnait alors le Magnificat : « Mon âme magnifie le Seigneur.., plia pris en sa protection Israël, son serviteur... » Il semblait à Dalaber que l'on chantait la délivrance de Garret. Mais sa voix ne pouvait se joindre à ces cantiques. Ah! s'écriait-il, toute ma musique est transformée en soupirs, et mes chants en tristes pensées*. [16] » Comme il écoutait, appuyé contre la porte du chœur, il vit arriver d'un pas précipité, tête nue, et pâle comme la mort, [17] » le docteur Cottisford, commissaire de l'Université. Cottisford passa à côté d'Anthony sans le remarquer, et allant droit au doyen, parut lui annoncer une importante et fâcheuse nouvelle. « Je sais bien la cause de sa douleur, » se disait Dalaber, en suivant tous ses gestes. A peine le commissaire avait-il fini son rapport, que le doyen se leva, et tous deux sortirent du chœur dans un trouble inexprimable. Ils n'étaient encore qu'au mi lieu de l'église, quand le docteur London accourut, soufflant, tempêtant, frappant du pied, semblable à un lion affamé poursuivant sa proie [18]. Tous les trois s'arrêtèrent, s'interpellèrent, déplorèrent leur mal heur. Leurs bras s'élevaient, s'abaissaient, tout indiquait en eux une émotion très vive; London surtout ne pouvait se calmer. Il apostrophait le commissaire et lui reprochait sa négligence, tellement que Cottisford se mit à fondre en larmes. « De l'action, et non des pleurs! » dit le fanatique London. Aussitôt on lança sur toutes les routes des sergents et des espions.

Anthony ayant quitté la chapelle se rendit chez Clark, pour lui raconter la fuite de son ami. « Nous marchons à la rencontre des loups et des tigres, répondit Clark; préparez-vous à la persécution. Prudentia serpentina et simplicilas columbina, telle doit être notre devise. O Dieu, donne-nous le courage que demandent ces temps mauvais ! » Toutefois, dans le petit troupeau, chacun se réjouissait de la délivrance de Garret. Sumner et Betts étant arrivés, coururent l'annoncer aux autres frères du collège du Cardinal* [19], et Dalaber à ceux du Corpus Christi. Tous ces pieux jeunes hommes se sentaient soldats dans la même armée, voyageurs dans la même troupe, frères dans la même maison. L'amour fraternel ne brilla peut-être nulle part, aux jours de la Réformation, aussi vivement que parmi les chrétiens de la Grande-Bretagne ; c'est un trait qu'il faut signaler.

Fitz-James, Udal el Diet étaient réunis dans la chambre de ce dernier, au collège de Corpus Christi, quand Dalaber y arriva. Ils prirent leur modeste repas, le regard abattu, la parole entrecoupée, s'entretenant d'Oxford, de l'Angleterre, et des périls

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qui les menaçaient [20]. Puis, s'étant levés de table, ils se jetèrent à genoux, appelèrent Dieu à leur aide, et se séparèrent, Fitz-James emmenant Dalaber à Alban's-Hall; on «craignait que le domestique du collège de Glocester ne l'eût trahi. La nuit qui suivit fut pleine d'angoisse pour les disciples de l'Évangile à Oxford. La fuite de Garret, la colère des prêtres, les dangers de l'Église nais sante, le bruit d'un orage qui grondait dans les airs et retentissait dans les longs corridors, les remplissaient de terreur. Le dimanche Il février, Dalaber, debout à cinq heures du matin, partit pour sa chambre du collège de Glocester. Ayant trouvé les portes de la maison fermées, il se promena le long des murs, dans la boue, car il avait plu toute la nuit. Tandis qu'à la lueur du crépuscule, il arpentait cette rue solitaire, mille pensées effrayaient son esprit. On savait, se disait-il, qu'il avait pris part à la fuite de Garret; on allait le saisir, et se venger sur lui de l'évasion de son frère'... L'effroi et le chagrin l'accablaient; il poussait de profonds soupirs [21]; il voyait les commissaires de Wolsey lui demander les noms de ses complices, et prétendre dresser sous sa dictée une liste de proscription; il se rappelait que plus d'une fois des prêtres cruels avaient arraché à des lollards le nom de leurs frères, et enrayé de la possibilité d'une telle faute, il s'écriait : « O Dieu! Je te le jure, je n'accuserai personne,... je ne dirai rien que ce qui est parfaitement connu ! [22] »

Après une heure d'angoisse, il put enfin entrer dans le collège. Il s'y précipita; mais lorsqu'il voulut ouvrir sa porte, il s'aperçut qu'on avait faussé la serrure. Il fit un violent effort, et la porte roula sur ses gonds. Alors que vit-il ? Son lit renversé, les couvertures jetées sur le plancher, ses habits sens dessus dessous dans sa garderobe, son cabinet d'étude forcé et ouvert... Il ne douta pas que l'habit de Garret ne l'eût trahi; et il considérait avec effroi ce triste spectacle, quand un moine qui occupait la chambre voisine vint lui raconter ce qui s'était passé.

Le commissaire et deux procureurs, armés d'épées et de hallebardes, ont forcé la porte au milieu de la nuit; ils ont percé de part en part vos matelas, pour s'assurer que Garret n'y était pas caché* [23]; ils ont soigneusement examiné tous les coins et recoins... mais ils n'ont pu découvrir aucune trace du fugitif. » A ces mots, Anthony respira... Il n'était pas au bout. « J'ai ordre, ajouta le moine, de vous envoyer chez le prieur. » Le prieur, Antoine Dunstan, était un moine fanatique et avare; aussi le trouble que ce message causa à Anthony fit-il si grand, qu'il se rendit (el qu'il était, couvert de boue, dans la chambre de son supérieur.

Le prieur qui était debout, les yeux tournés vers la porte, sonda du regard Anthony au moment où il parut : « Où avez-vous passé la nuit? lui dit-il. A Alban's-Hall, avec Fitz-James. » Le prieur faisant un signe d'incrédulité, continua : « Maître Garret n'a-t-il pas été hier avec vous? Oui. Où est-il maintenant? Je l'ignore... » Pendant cet interrogatoire, le prieur avait remarqué au doigt d'Anthony un large anneau d'argent doré à double, avec les initiales A. D. [24]. « Montrez-moi

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cela, dit le prieur. » Dalaber lui donna l'anneau, et le prieur, qui le croyait en or, le passa à son doigt, et ajouta d'un air malin : « Cet anneau est à moi; il porte mon nom : A. c'est Antoine, et D. c'est c Dunstan. » Plût à Dieu, se dit à lui-même Dalaber, que je fusse aussi sûr d'être quitte de cet homme, que je le suis de l'être de mon anneau ! » En ce moment, le bedeau, armé de sa verge, entra et conduisit Dalaber dans la chapelle, où trois sinistres figures se trouvaient debout près de l'autel; c'étaient Cottisford, London et Higdon. « Où est e Garret? » lui dit London ; et lui montrant du doigt son triste accoutrement : « Vos souliers et vos vêtements, couverts de boue, prouvent que vous avez couru toute la nuit avec lui. Si vous ne dites pas où vous l'avez conduit, on vous enverra à la Tour. Oui, ajouta Higdon en insistant, à Utile ease, (Mal-à-Aise était l'un des plus horribles cachots de la prison), et l'on vous y donnera la torture, entendez-vous? » Les trois docteurs employèrent deux heures à ébranler le jeune homme par de flatteuses promesses et d'effrayantes menaces, mais tout fut inutile. Le commissaire fit alors un signe, des huissiers s'avancèrent, et les trois juges montèrent un escalier long et étroit, qui les conduisit dans une grande chambre. On dépouilla Dalaber, et on lui serra les jambes dans des ceps si élevés, que ses pieds étaient aussi hauts que sa tête [25]. Cela fait, les trois juges se rendirent dévote ment à la messe.

Le pauvre Anthony, demeuré seul dans cette affreuse position, se rappela l'avis que maître Clark lui avait donné deux ans auparavant. Il poussait de profonds soupirs* [26]. « O mon Père, disait-il, que mes souffrances soient pour ta gloire et pour la consolation de mes frères! Quoi qu'il arrive, je n'accuserai jamais un seul d'entre eux! » Après cette noble parole, Anthony sentit une grande paix dans son cœur; mais une nouvelle tristesse lui était réservée.

Garret, qui s'était dirigé vers l'ouest, avec l'intention de se rendre dans le pays de Galles, avait été saisi à peu de distance d'Oxford, à Hinksey ; on le conduisit à Oxford et on le jeta dans le cachot où l'on avait mis Dalaber après la torture. Leurs funestes pressentiments allaient être dépassés. En effet, Wolsey était profondément irrité en voyant le collège qu'il avait fondé pour être le plus glorieux de l'univers » devenir un repaire d'hérésie, et les jeunes hommes qu'il avait si soigneusement choisis, se faire distributeurs du Nouveau Testament. En favorisant les lettres, il avait eu en vue le triomphe du clergé, et les lettres servaient au contraire au triomphe de l'Évangile. Il donna aussitôt ses ordres, et l'effroi fut dans l'Université.

John Clark, John Fryth, Henri Sumner, William Betts, Richard Tavernier, Richard Cox, Michel Drumm, Godefioy- Harman, Thomas Lawney, Radley et d'autres encore du collège du Cardinal ; Udal, Diet et d'autres du collège Corpus Christi ; Eeden et plusieurs de ses amis du collège de Madeleine ; Good man, William Bayley, Robert Ferrar, John Salisbury des collèges de Glocester, de Bernard et de Mary, furent saisis et jetés en prison. Wolsey leur avait promis la gloire ; il leur donnait un

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cachot, espérant réprimer ainsi cet élan de vérité et de liberté qui passait du continent en Angleterre, et sauver le pouvoir absolu des prêtres.

Sous le collège du Cardinal était une cave pro fonde, creusée dans la terre, où l'économe* tenait le poisson salé [27]. Ce fut là que l'on fit entrer ces jeunes

hommes, l'élite de l'Angleterre. L'humidité de ce souterrain, l'air corrompu que l'on y respirait, l'horrible puanteur que le poisson exhalait, affectèrent fort les prisonniers déjà affaiblis par l'étude. Leur cœur était gros de soupirs, leur foi fut ébranlée, et les scènes les plus lugubres se succédèrent dans ce vaste cachot. Ces malheureux se regardaient, pleuraient, priaient. Cette épreuve devait leur être salutaire : « Ah! disait Fryth plus tard, je vois bien, qu'outre la Parole de Dieu, il y a vraiment un second purgatoire mais ce n'est pas celui que Rome a inventé; c'est la croix de la tribulation, * et Dieu nous y a cloués [28]»

Enfin on vint chercher successivement les prisonniers pour les conduire devant leurs juges ; deux d'entre eux seulement furent relâchés. Le premier était maître Betts, plus tard chapelain d'Anne Boleyn ; on n'avait pu découvrir aucun livre défendu dans sa chambre, et il plaida sa cause avec beaucoup de talent. Tavernier était le second; il avait caché les livres de Clark sous le plancher de son école, et on les avait découverts; mais son amour pour les arts le sauva : « Bah! dit le cardinal, c'est un musicien ! . . . »

Tous les autres furent condamnés. Un grand feu fut allumé au haut de la place du marché, à Oxford* [29]; on organisa une vaste procession, et ces in fortunés s'avancèrent portant chacun un fagot. Quand ils furent parvenus près du bûcher, on les obligea à y jeter les livres hérétiques qui avaient été trouvés dans leurs chambres, puis on les reconduisit dans la prison infecte. On trouvait un barbare plaisir, en Angleterre, à accabler de mauvais traitements ces jeunes et nobles hommes. Ailleurs aussi, Rome se disposait à étouffer dans les flammes les plus beaux génies de la France, de l'Espagne et de l'Italie : c'est ainsi que la papauté recevait au seizième siècle les lettres et l'Évangile. Toute plante de Dieu doit être battue des vents, et presque déracinée; si elle ne reçoit que les doux rayons du soleil, il est à craindre qu'elle ne se dessèche avant de porter des fruits. Le grain s'il ne meurt demeure seul. Il devait y avoir un jour une véritable Eglise en Angleterre, car la persécution y avait commencé. Nous avons à contempler encore d'autres épreuves.

FOOTNOTES

[1] Actus meritorius est in potestate hominis. » (Duns Scotus, in Sentent., lib. I, diss. 17.)

[2] He was searched for, through ail London. » (Fox, Aets, V, p. 421.)

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[3] So burning hot was the charity of those holy fathers. » [Iiid.)

[4] For so did we not only call one another, but were in deed one to another. » (Fox, Acts, V,p. hî\.)

[5] In Lucae Evangelium Commentarii, nune secundo recogniti et locupletati. » Argentorati, MDXXV

[6] Taken there in his bed. » (Fox, Acts, V, p. 422.)

[7] Of ail this sudden hurly burly, was utterly ignorant. » [Ibid.) V 23

[8] Laying my book aside. » (Fox, Acts, V, p. 412.)

[9] He said he was undone. » [Ibid.)

[10] » Put back the bar of the lock with his finger. » [Ibid.)

[11] With deep sighs and plenty of tears. » [Ibid.)

[12] Then kneeled we both down... » (Fox, Acts, V, p. 4Ϋ.)

[13] That weal be-wet both our faces. » [Ibid.)

[14] That he would endure his tender and lately born little flock ia Oxford with heavenly strength. » [Ibid.) '

[15] 1 Fox, Acts, V, p. 428.

[16] Now my singing and music were turned into sighing and musing. [Ibid.) Les mots sont évidemment choisis à cause de la ressemblance.

[17] Bare-headed, as pale as ashes. » [Ibid.)

[18] Like a hungry and greedy lion, seeking bis prey. » (Fox, Acts, V,p.-4M.)

[19] To tell unto our other brethren. » (For they were divers other3 in that College.) (/6irf.ï

[20] 1 Considering our state and peril at hand. » (Fox, Aets, V, p. 423.) » My musing head being full of forecasting cares. » [Ibid.)

[21] My sorrowful heart flowing with doleful sighs... » [Ibid.)

[22] I fully determined in my conscience before God, that l would accuse no man... » (Fox, Acts, V, p. 423.)

[23] With bills and swords thrust through my bed straw. » [Ibid.)

[24] Then had he spied on my finger a big ring of silver, very we double gilt. » (Fox, Acts, V, p. «5.)

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[25] Into the stocks, my feet almost as high at my head. » (Fox, Acts, \, p. 426.)

[26] With deep stitches, to cry unto God from my heart... » [Ibid., p. 4Î7.)

[27] A deep cave, where their sait fish was laid, so that, through the filthy stench thereof, they were ail infected. » (Fox, Acts, V, p. 5.)

[28] God nailed us to the cross, to heal our infirmities. » (Tynd. et Fryth, Works, III, p. 91.)

[29] There was made a great fire upon the top of Carfax. » (Foi, Acts, V, p. m.)

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CHAPITRE III

Cambridge. Souveraineté du moi humain dans le catholicisme. Barnès publiquement arrêté. Recherches inutiles. Barnès conduit à Londres. Barnès devant Wolsey. Question sur les évêques. Wolsey se justifie. Il menace Barnès du feu. Apologie. Abjurer ou être brûlé. Chute de Barnès.

Barnès et les cinq marchands hanséatiques à Saint-Paul. Richard Bayfield. Oxford ; état misérable des prisonniers. La communion par la foi. Mort de quatre des prisonniers. Wolsey ordonne l'élargissement des autres

Cambridge, qui avait produit les Latimer, les Bilney, les Stafford, les Barnès, avait d'abord paru tenir le premier rang dans la réformation de l'Angleterre ; Oxford, en recevant la couronne de la persécution, semblait maintenant avoir dépassé Cambridge. Toutefois, cette dernière université devait aussi avoir sa part dans les douleurs. C'était le lundi o février, que les recherches avaient commencé à Oxford, et le même jour, deux créatures de Wolsey, le docteur Capon, l'un des chapelains du cardinal, et Gibson, sergent d'armes, bien connu par son arrogance, se rendaient de Londres à Cambridge. Soumission! Tel était le mot d'ordre donné par la papauté. Oui, soumission! Répondaient partout dans la chrétienté, des hommes d'une intime piété et d'une intelligence profonde ; mais soumission à l'autorité légitime contre laquelle le catholicisme est en rébellion.

Selon eux, le traditionalisme et le pélagianisme de l'Église romaine, établissaient la souveraineté de la raison déchue, en opposition à la suprématie divine de la Parole et de la Grâce. Le sacrifice extérieur et apparent du moi que le catholicisme romain impose, l'obéissance au confesseur, au pape, les pénitences arbitraires, les exercices ascétiques, le célibat, ne servaient qu'à faire illusion sur le maintien égoïste d'une personnalité pécheresse, et ainsi à la fortifier.

Si la Réformation proclamait la liberté quant aux ordonnances d'invention humaine, c'était essentiellement pour soumettre le cœur et la vie de l'homme au véritable Souverain. Le règne de Dieu commençait, donc le règne des prêtres devait finir; nul ne peut avoir deux maîtres. Telles étaient les importantes vérités qui peu à peu se faisaient jour dans le monde, et qu'il fallait se hâter d'étouffer. Le lendemain de leur arrivée à Cambridge, le mardi 6 février, Capon et Gibson se rendirent à la maison de la Convocation, où plusieurs docteurs conversaient ensemble. Cette apparition causa quelque inquiétude aux assistants, qui regardaient avec défiance ces étrangers.

Tout à coup Gibson s'avança, mit la main sur Barnès et l'arrêta en présence de ses nombreux amis [1]. Ceux-ci furent effrayés, et c'était ce qu'avait voulu le sergent. Quoi! disait-on, le prieur des Augustins, le restaurateur des lettres dans Cambridge, arrêté par un sergent! Ce n'était pas tout. Les envoyés de Wolsey devaient saisir les

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livres venus d'Allemagne et leurs possesseurs; Bilney, Latimer, Stafford, Arthur et leurs amis, devaient tous être emprisonnés, car ils possédaient le Nouveau Testament. Trente membres de l'Université étaient signalés comme suspects, et des misérables, gagnés par les inquisiteurs, offrirent d'indiquer la place où, dans chaque chambre, les livres défendus étaient cachés. Mais tandis qu'on préparait cette perquisition, Bilney, Latimer et leurs collègues, avertis à temps, firent disparaître les livres '[2]; on les emportait non-seulement par la porte, mais aussi par les fenêtres, par le toit même, et on cherchait partout des lieux propres à les cacher.

Cette opération était à peine achevée, que le vice-chancelier de l'Université, le sergent d'armes, le chapelain de Wolsey, les procureurs et les délateurs, commencèrent leur ronde. Ils ouvrent la première chambre, entrent, cherchent et ne trouvent rien. Ils passent à la seconde, rien, de même. Le sergent est étonné, sa tête se monte. Arrivé à la troisième chambre, il court directement à la place qu'on lui a désignée rien encore [3]! Partout la même scène se renouvelle; jamais inquisiteur n'a été plus mortifié. Il n'osa saisir les docteurs évangéliques ; ses ordres portaient qu'il devait s'emparer des livres et de leurs possesseurs. Point de livres, donc point de docteurs! Heureusement qu'il y en avait un (le prieur des Augustins) contre lequel se trouvaient des charges toutes particulières. Le sergent se promit de se dédommager sur lui de ses peines inutiles.

Le lendemain, Gibson et Capon partirent pour Londres avec Barnès. Pendant ce triste voyage, le prieur, vivement agité, voulait parfois braver toute l'Angleterre, et parfois tremblait comme la feuille. Enfin on arriva ; le chapelain déposa son prisonnier chez maître Parnell, tout près du pilori [4]. Trois étudiants, Coverdale, Goodwin et Field, avaient suivi leur maître pour l'entourer de leur tendre affection.

Le jeudi 8 février, le sergent conduisit Barnès au palais du cardinal, à Westminster; le malheureux prieur, dont l'enthousiasme avait fait place à l'abattement, attendit tout le jour sans pouvoir être admis* [5]. Quelle journée! Personne ne viendra-t-il à son aide ? Le docteur Gardiner, secrétaire de Wolsey, et Fox son intendant, tous deux anciens amis de Barnès, ayant sur le soir traversé la galerie, s'approchèrent du prisonnier. Celui-ci les conjura d'obtenir pour lui une audience du cardinal, et la nuit étant venue, ces deux officiers introduisirent le prieur dans la salle où se trouvait leur maître. Barnès, suivant l'étiquette, se mit à genoux devant le cardinal [6]. « Est-ce là le docteur Barnès, qu'on accuse d'hérésie ? » dit Wolsey à Fox et à Gardiner, d'un ton hautain. Ceux-ci répondirent affirmative ment. Alors le cardinal se tournant vers Barnès, toujours à genoux, lui dit avec ironie et non sans quelque raison : « Eh quoi ! Monsieur le docteur, ne se trouve-t-il pas dans les Écritures assez de leçons utiles pour les gens qui vous écoutent, sans que mes souliers d'or, mes haches d'armes, mes croix d'argent et mes coussins dorés vous obligent à faire de moi, aux yeux de tout le peuple, un objet de risée, un ridiculum capul? On s'est joyeusement moqué de nous ce jour-là [7] Vous avez prêché là, croyez-moi, un

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sermon fait pour le théâtre, plutôt que pour la chaire. N'avez-vous pas même ajouté que je portais une paire de gants rouges? Des gants rouges... pour ne pas prendre froid, avez-vous dit malicieusement; c'étaient des gants de sang que vous vouliez dire. Eh ! Qu’en pensez-vous... Monsieur le docteur ? » Barnès, voulant échapper à ces questions embarrassantes, répondit vaguement : « Je n'ai fait qu'exposer la vérité selon les Écritures, selon ma conscience et selon les anciens docteurs ; » et il présenta au cardinal un exposé de ses enseignements.

Wolsey reçut en souriant les six feuilles de papier du docteur. « Oh ! oh ! dit-il en les comptant, je m'aperçois que votre intention est de me montrer toute votre science et de maintenir vos doc trines. Avec la grâce de Dieu, » dit Barnès. Alors Wolsey s'étant mis à lire, s'arrêta au sixième article ainsi conçu : « Nul ne peut être évêque' de deux ou trois villes, et même de tout un pays; car cela est contraire aux enseignements de saint Paul, qui dit : Je l'ai laissé en arrière pour que tu établisses dans chaque ville un évêque. » Barnès ne citait pas exactement; il y a dans le passage : pour que tu établisses dans chaque ville des anciens. Wolsey fut heurté de cette thèse : « Oh ! oh ! dit-il, ceci «me touche [8] ... Regardez-vous vraiment comme un mal qu'un évêque ait sous sa direction les chrétiens de plusieurs villes?... C'est pourtant l'ordonnance de l'Église ! Je ne connais sur ce su jet d'autre ordonnance de l'Église que la parole de saint Paul, » répondit Barnès.

Quoique cette controverse intéressât le cardinal, l'attaque personnelle dont il avait à se plaindre lui tenait pourtant plus à cœur. « C'est bon, » dit Wolsey; puis avec une condescendance que l'on ne pouvait guère attendre d'un homme si orgueilleux, il daigna presque se justifier. « Vous m'accusez, dit-il, d'étaler une pompe royale; mais ne comprenez-vous pas qu'appelé à représenter Sa Majesté, je dois m'appliquer à frapper ainsi les méchants de terreur . . . Ce ne sont pas vos haches d'armes, reprit courageusement Barnès, qui sauveront la personne du roi... Celui qui le sauvera, c'est Dieu qui a dit pour présenter une humble justification, comme jadis le doyen Colet à Henri VIII, osait lui faire en face un second sermon! Wolsey sentit le rouge lui monter au visage. « Eh bien, Messieurs les docteurs, dit-il, en se tournant vers Fox et Gardiner, vous l'entendez ! Est-ce là cet homme savant et sage dont vous m'aviez parlé ? »

A ces mots, le secrétaire et l'intendant se jetèrent à genoux en disant : « Monseigneur, de grâce ! Pardonnez-lui. Trouveriez-vous six ou dix docteurs en théologie, dit Wolsey à Barnès, disposés à jurer que vous êtes net d'hérésie? »

Barnès offrit vingt hommes honnêtes, autant et même plus savants que lui. Il faut des docteurs en théologie, et d'un âge égal au vôtre. Impossible, dit le prieur. Alors, répondit le cardinal, on vous brûlera. Qu'on le conduise à la Tour! »

Gardiner et Fox ayant offert leur caution, Wolsey permit au prisonnier de passer la nuit chez Parnell.

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Il ne s'agit pas de dormir, dit Barnès en rentrant, il faut écrire. » Ce mot sec et terrible : On vous brûlera, retentissait sans cesse à ses oreilles. Il dicta toute la nuit à ses trois jeunes amis l'apologie de ses articles.

Le lendemain, il fut conduit au Chapitre où siégeait Ciarke, évêque de Bath, Standish et d'autres docteurs. Ses juges déployèrent devant lui une longue pancarte. « Promettez, lui dirent-ils, de lire cet écrit en, public, sans en retrancher ni y ajouter un seul mot. » On lui en donna lecture. « Ah ! Plutôt mourir ! » Voulez-vous abjurer, ou voulez-vous être brûlé? lui dirent les juges; choisissez ! »

L'alternative était terrible. Le pauvre Barnès, en proie à l'agonie la plus douloureuse, reculait devant l'échafaud; puis, reprenant subitement courage, il s'écria : « Plutôt être brûlé qu'abjurer! » Gardiner et Fox faisaient tout pour l'entraîner. « Ecoutez seulement la voix de la raison, lui disaient-ils avec adresse ; vos articles sont vrais ; ce n'est pas là qu'est la question. Ce qu'il s'agit de savoir, c'est si vous voulez par votre mort laisser triompher l'erreur, ou bien si vous préférez demeurer ici-bas pour défendre la vérité, quand des jours meilleurs seront venus. »

On le presse ; on met en avant les motifs les plus spécieux ; de temps en temps on lui fait entendre le mot terrible être brûlé ! Son sang se glace; il ne sait plus ce qu'il dit ni ce qu'il fait... On lui présente un papier, on lui met une plume à la main... la tête lui tourne ; il signe avec Un profond soupir. Ce malheureux devait être un jour un fidèle martyr de Jésus-Christ ; mais il n'avait pas encore appris à résister jusqu'au sang. Barnès était tombé.

Le lendemain, dimanche Il février^ on préparait à Saint-Paul une scène solennelle. Avant le jour, tout était en mouvement dans la prison du pauvre prieur, et à huit heures du matin, le maréchal du patois avec des hallebardiers, et le gardien de la prison avec ses sergents, menaient à Saint-Paul Barnès et quatre des marchands hanséatiques, qui les premiers avaient apporté à Londres le Nouveau Testament de Jésus-Christ en anglais ; le cinquième de ces pieux négociants tenait un cierge à la main. A force de recherches, on avait découvert que c'était à eux que l'Angleterre devait le livre tant redouté; on avait entouré leurs magasins, et on les avait saisis. Au haut des degrés de Saint-Paul se trouvait une estrade, sur l'estrade un trône, et sur le trône le cardinal, vêtu de pourpre comme un sanglant antéchrist, » dit le chroniqueur; sur sa tête brillait le chapeau dont Barnès avait mal parlé ; autour de lui étaient rangés trente-six évêques, abbés, prieurs, et tous ses docteurs, vêtus de damas et de satin; la vaste cathédrale était pleine. L'évêque de Rochester étant monté dans une chaire placée au haut de l'escalier, on obligea Barnès et les mai1: chands, chargés chacun d'un fagot, à écouter à genoux son sermon, destiné à guérir ces malheureux de ce goût d'insurrection contre la papauté qui commençait partout à se répandre. Le sermon fini, le cardinal monta sur sa mule, se plaça sous un dais magnifique, et partit. Alors Barnès et ses cinq compagnons durent faire trois fois le

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tour d'un feu allumé devant le crucifix de la porte du nord. Le triste prieur, le visage abattu, se traînait plus qu'il ne marchait.

A la troisième promenade, les prisonniers jetèrent leurs fagots dans le bûcher ; on y jeta de même les livres hérétiques ; » et Rochester ayant donné l'absolution aux six pénitents, on les reconduisit en prison pour y être gardés au bon plaise de Monseigneur. Barnès ne pouvait plus pleurer; la pensée de sa faute et des effets qu'aurait un si coupable exemple lui avait ôté toute énergie morale. Au mois d'août, on le sortit de prison, et on le confina dans le couvent des Augustins. Barnès n'était pas le seul à Cambridge que le coup eût atteint. Dès l'an 1520 environ, le couvent de Saint-Edmondsbury possédait un frère hospitalier, Richard Bayfield, dont l'affabilité charmait les voyageurs. Un jour, comme il était occupé à recevoir Barnès qui venait visiter le docteur Ruffam, peu auparavant son compagnon d'étude à Louvain, il vit arriver au couvent deux hommes pieux, fort considérés à Londres, où ils étaient fabricants de briques, et à la tête de leur corporation.

Ils se nommaient Maxwell et Stacy, étaient bien entés dans la doc trine de Christ, » dit le chroniqueur, et avaient amené au Sauveur beaucoup d'hommes et de femmes, par leur conversation et par leur vie exemplaire. Ayant coutume de faire une fois l'an un voyage dans les comtés, pour visiter leurs frères et répandre la connaissance de l'Evangile, ils étaient alors logés, suivant les mœurs du temps, dans les couvents et les abbayes. Il s'engagea bientôt entre Barnès, Maxwell et Stacy une conversation qui frappa le frère hospitalier. Barnès, qui avait remarqué son attention, lui donna, en quittant le cou vent, un Nouveau Testament en latin, et les deux fabricants de briques y ajoutèrent un Nouveau Testament en anglais, avec Mammon et l'Obéissance du chrétien. Le frère hospitalier courut dans sa cellule, y cacha ces livres, et, pendant deux ans, ne cessa de les lire. On s'en aperçut; on le reprit; mais il confessa courageusement sa foi. Alors les moines le jetèrent en prison, le fouettèrent cruellement' [9], le placèrent dans les ceps, et lui mirent un bâillon dans la bouche pour l'empêcher de parler de la grâce. Le malheureux Bay field resta neuf mois dans cet état. Barnès ayant plus tard répété sa visite à Edmonds bury, ne trouva plus à la porte du couvent l'aimable hospitalier; il s'en enquit, découvrit son sort, et aussitôt mit tout en œuvre pour le délivrer. Le docteur Buffam lui vint en aide : « Donnez-le-moi, dit Barnès, je l'emmènerai à Cambridge. » Le prieur des Augustins était alors fort considéré ; on lui accorda donc sa demande, dans l'espérance qu'il ramènerait Bayfield aux doctrines de l'Eglise. Mais ce fut tout le contraire; la communion avec les frères de Cambridge affermit la foi du jeune moine.

Tout à coup son bonheur s'évanouit. Barnès, son ami, son bienfaiteur, fut emmené à Londres, et les moines d'Edmondsbury, effrayés par l'éclat de cette affaire, le sommèrent de revenir au couvent. Mais Bayfield, décidé à ne pas se remettre sous leur joug, se rendit à Londres et s'y cacha chez Maxwell et Stacy. Cependant, un

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jour qu'étant sorti de sa retraite il traversait Lombard Street, il rencontra un prêtre nommé Pierson et deux autres ecclésiastiques de son ordre, avec lesquels il eut une conversation qui les scandalisa fort. « Il vous faut partir en toute hâte, » lui dirent à son retour Maxwel et Stacy. Bayfield reçut d'eux quelque argent, se rendit à bord d'un navire, et arrivé sur le continent, il courut chez Tyndale. Pendant ce temps, des scènes d'une autre nature que celles qui avaient eu lieu à Cambridge, mais non moins déchirantes, se passaient à Oxford.

En effet, la persécution y soufflait avec plus de furie encore qu'à Cambridge. Clark et les autres con fesseurs du nom de Christ étaient toujours renfermés dans leur souterraine prison. L'air qu'ils respiraient, la nourriture qu'ils prenaient (ils ne mangeaient que du poisson salé [10]), la soif ardente qu'elle leur donnait, les pensées qui les agitaient, tout accablait à la fois ces hommes généreux. Ils maigrissaient à vue d'œil, et ils erraient comme des spectres dans les ténèbres de la cave. Ce n'étaient plus ces disputes animées des collèges, où les grandes questions qui ébranlaient la chrétienté étaient éloquemment discutées ; on eût dit une ombre rencontrant une ombre, des yeux caves laissaient tomber un regard 'vague et hagard, et après s'être quelque temps contemplés, ces malheureux passaient outre sans se rien dire. Clark, Sumner, Bayley, Goodman, consumés par la fièvre, se traînaient en chancelant le long des murs du cachot.

Le premier, qui était aussi le plus âgé, ne pouvait plus marcher que soutenu par l'un de ses frères. Bientôt il ne put plus se mouvoir et il demeura étendu sur le sol humide. Les frères, assemblés autour de lui, cherchaient à découvrir dans ses traits si la mort allait bientôt trancher les jours de celui qui avait amené plusieurs d'entre eux à la connaissance de Christ. Ils lui récitaient lentement des paroles de l'Écriture ; puis se mettant à genoux près de lui, ils faisaient une fervente prière. Clark, prévoyant sa fin prochaine, demanda la communion. Les gens de la prison portèrent sa demande à leur maître ; bientôt le bruit des verrous se fit entendre, et un guichetier s'avançant au milieu de la troupe éplorée, y prononça un cruel non [11]! Alors Clark, regardant en haut, s'écria avec un Père de l'Eglise : Crede et manducasti. « Crois, et tu as mangé'! [12] » Il demeurait dans le recueillement; il contemplait le Fils de Dieu immolé ; il mangeait et buvait par la foi la chair et le sang de Christ, et éprouvait dans sa vie intérieure l'action fortifiante du Rédempteur, Les hommes ont pu lui refuser l'hostie, mais Jésus lui a donné son corps ; et il se sent dès lors affermi par une union vivante avec le Roi du ciel. Clark n'était pas seul à descendre dans la sombre vallée ; Sumner, Bayley et Goodman déclinaient rapidement. La mort, triste habitante de cette horrible prison, avait pris possession de ces quatre amis [13]. Leurs frères firent parvenir de nouvelles sollicitations au cardinal, fort occupé alors de négociations avec la France, Rome et Venise [14] ; il trouva pourtant un instant à donner aux martyrs d'Oxford; et au moment où les quatre mourants étaient entourés des prières de leurs frères, le

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commissaire vint annoncer que Monseigneur, dans sa grande bonté, permet tait aux malades de se faire transporter dans leurs chambres. » Des hommes s'avancèrent avec des brancards; on y déposa les mourants, on les emporta [15] ; puis on tira de nouveau les verrous sur ceux dont cette affreux cachot n'avait pas encore miné la vie. On était au milieu d'août. En vain les malheureux qui avaient passé six mois dans ce souterrain retrouvèrent-ils leurs chambres et leurs lits-; en vain plusieurs membres de l'Université tentèrent-ils, par leurs soins et leur tendre charité, de les rappeler à la vie; il était trop tard; les rigueurs de la papauté avaient tué ces nobles témoins. Bientôt les approches de la mort se montrèrent; leur sang se glaça, leurs membres se raidirent, et leur regard voilé ne chercha plus que Jésus-Christ, leur éternelle espérance. Clark, Sumner et Bayley moururent dans la même semaine [16] ; Goodman les suivit de près.

Cette catastrophe inattendue adoucit Wolsey. Il n'était cruel qu'autant que son intérêt et le salut de l'Église l'exigeaient. Il craignit que la mort de tant de jeunes hommes ne soulevât contre lui l'opinion publique ; que ces catastrophes ne fissent tort à son collège ; peut-être même un sentiment d'humanité vint il toucher son cœur. « Faites mettre en liberté ceux qui restent, écrivit-il à ses agents, mais en leur faisant prendre l'engagement de ne pas s'éloigner d'Oxford. » Bientôt l'Université vit sortir ces jeunes hommes de leur tombeau, pâles, maigres, affaiblis, chancelants. Ils n'étaient point alors des hommes marquants, et c'était leur jeunesse qui touchait surtout les cœurs; mais plus tard ils occupèrent tous une place importante dans l'Église. C'étaient Cox, qui fut précepteur du prince royal Edouard et évêque d'Ély ; Drumm, qui devint sous craniner l'un des six prédicateurs de Cantorbéry ; Udal, le futur maître des écoles de Westminster et d'Éton; Salisbury, doyen de Norwich, puis évêque de Man, et qui au milieu de ses richesses et de sa grandeur rappelait souvent comme un titre de gloire son affreuse prison d'Oxford; Ferrar, plus tard chapelain de Cranmer, évêque de Saint-David et martyr jusqu'au sang, après trente années de relâche; Fryth, l'ami de Tyndale, pour qui cette délivrance n'était aussi qu'un délai, et plusieurs autres encore. Lorsqu'ils sortirent de l'affreux souterrain, leurs amis accoururent, soutinrent leurs pas chancelants, les embrassèrent en versant des larmes. Fryth quitta peu de temps après l'Université et se rendit dans les Flandres [17]. Ainsi s'apaisa la tempête qui avait cruellement ravagé Oxford. Mais le calme ne fut pas de longue durée; une circonstance inattendue devint funeste à la cause de la Réformation.

FOOTNOTES

[1] Suddenly arrested Dr Barnes openly in the Coir vocation-house to make ail others afraid. » (Fox, Acts, Y, p. 416.)

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[2] They were conveyed away. » [Fox, Acts, V, p. 416.)

[3] Going directly through the place where the books lay. » [Ibid.)

[4] And lay at master Parnell's house by the stocks. » (Fox, Acts, V,p. 416.)

[5] Waiting there all day and could not speak with him till night. » [Ibid.)

[6] » Kneeling on his knees. » [Ibid.)

[7] We were jollily that day laughed to scorn. » (Fox, Acts, V, p. 416.)

[8] There he stopped and said that this touched him. » (Givendish, Wolsey's Life, p. 89.)

[9] There sore whipped, with a gag in his raouth. » (Fox, Acts, IV, p. 681.)

[10] Eating nothing but salt fish. » (Fox, Acts, V, p. 5.)

[11] Not be suffered to receive the communion being in prison. » (Fox, Acts, V, 428.)

[12] Ibidem. Habe fidem, et tecum est quem non vides, » dit encore Augustin. (Voir Sermo 235, 472. Tract. 26. Evang. Joh.)

[13] Taking their death in the same prison. » (Fox, Acts, V, p. 56.)

[14] State papers, I, p. 169.

[15] Being taken out of the prison into their chambers. » (Fox, Acts, V, p. 5.)

[16] Master Clark, Master Sumner and sir Bayley died ail three together, within the compass of one week. » (Fox, Acts, V, p. S.)

[17] Escaped and fled into Flanders. » (Tynd. et Fryth, W., III» p. 75.)

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CHAPITRE IV

Lettre de Luther. Colère d’Henri. Sa réponse. Réplique de Luther. Nouvelles persécutions. Barnès distribue en prison le Nouveau Testament et s'enfuit. Ordonnance contre les Nouveaux Testaments. W. Roye à Caïphe.

On découvre une troisième édition du Nouveau Testament. Hacket poursuit l'éditeur à Anvers. Triomphe de la liberté et de la loi. Plaintes de Hacket. Saisie. L'an 1526 en Angleterre

Henri était encore sous l'impression de la fameuse Supplique des Mendiants, quand Luther vint exciter sa colère. La lettre que ce réformateur lui avait écrite en septembre 1525, à l'instigation de Christian, roi de Danemark, s'était égarée. Le docteur de Witlemberg n'en entendant pas parler, l'avait hardiment imprimée et en avait envoyé un exemplaire au roi : « J'apprends, y disait Luther, que Votre Majesté commence à favoriser l'Évangile [1]*, c’est à se dégoûter de la race perverse qui le combat dans voire noble royaume... Il est vrai que, selon l'Ecriture, les rois de la terre consultent contre l'Eternel, et qu'on ne peut, par conséquent, s'at tendre à les voir favorables à la vérité. Puisse toutefois ce miracle s'accomplir dans la personne de Votre Majesté ... [2]»

On peut se représenter la colère d’Henri en lisant cette épître. « Quoi! disait-il, ce moine apostat ose imprimer une lettre à nous adresser, sans nous l'avoir jamais envoyée, ou du moins sans savoir si nous l'avons jamais reçue!... Ce n'est pas assez; il insinue que nous sommes au nombre de ses partisans!... Il gagne même un ou deux misérables, nés dans notre royaume, et les engage à traduire le Nouveau Testament en anglais, en y ajoutant certaines préfaces et certaines gloses empestées!... »

Ainsi parlait Henri. L'idée qu'on associerait son nom à celui du moine de Witlemberg, lui faisait monter le rouge au visage... Il répondra royalement à une si effrontée impudence. Il appelle aussitôt Wolsey. « Tenez, » lui dit-il en mettant le doigt sur le passage qui concernait ce prélat, « lisez ce qu'on dit ici de vous... » Puis, lisant lui-même à haute voix : Illud monslrum et publicum odium Dei et hominum, cardinalis Eboracensis, peslis Ma regni lui... « Vous le voyez, milord, vous êtes un monstre, l'objet de la haine de Dieu et des hommes, la peste de mon royaume!... » Le roi avait jusqu'à présent laissé faire les évêques et observé une certaine neutralité. Il va maintenant en sortir et commencer une croisade contre l'Évangile de Jésus Christ ; mais auparavant Henri veut répondre à cette impertinente épître. Il prend l'avis de Thomas More, s'enferme dans son cabinet et dicte à son secrétaire une lettre au réformateur : « Tu as honte, m'écris tu, du livre que tu as fait contre moi : je te con seille d'avoir honte de même de tous ceux que tu as composés. De dégoûtantes erreurs, des hérésies insensées, voilà ce qu'on y trouve ; et pour les soutenir, la plus impudente opiniâtreté. Ta plume empoisonnée se moque de

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l'Église, déchire les Pères, outrage les saints, méprise les apôtres, déshonore la sainte Vierge et blasphème Dieu lui-même, en le faisant l'auteur du mal... Et, après tout cela, tu prétends être un auteur tel qu'il n'en est pas deux dans l'univers [3] !...

Tu m'offres de publier un livre à ma louange... Grand merci!... Tu me loueras magnifiquement si tu m'outrages ; tu me déshonoreras odieusement si tu me loues : Je dis comme Sénèque : Tarn turpe tibi sit laudari a turpibus, quam si lauderis ob turpia... »

Cette lettre écrite parle de Roi des Anglais au Roi des hérétiques* [4], fut aussitôt répandue dans toute l'Angleterre, avec l'épître même de Luther. Le roi, en la publiant, mettait son peuple en garde contre les infidèles traductions du Nouveau Testament, qui d'ailleurs allaient être partout brûlées. « Le raisin paraît beau, disait-il, mais gardez-vous de tremper vos lèvres dans le vin qu'on en a tiré, car l'adversaire y a jeté du poison. »

Luther, ému de cette rude leçon, chercha à s'excuser. « Je me suis dit : Il y a douze heures au jour. Qui sait ? Peut-être pourrais-tu trouver une heure favorable pour gagner le roi d'Angleterre ! J'ai donc jeté devant lui mon humble épître, mais, hélas! Les pourceaux l'ont déchirée. Je suis prêt à me taire, moi;... mais quant à ma doctrine, je ne puis lui imposer silence; il faut qu'elle crie, et qu'elle morde. S'il est un roi qui s'imagine me faire rétracter ma foi, il fait là un beau rêve ! Tant qu'une goutte de sang me restera, je dirai non! Les empereurs, les rois, le diable et même tout l'univers, ne sauraient m'effrayer dès qu'il s'agit de la foi. Je prétends être fier, très fier, extraordinairement fier. Si ma doctrine n'avait d'autres ennemis que le roi d'Angleterre, le duc George, le pape et leurs collaborateurs, toutes ces bulles de savon il y a longtemps qu'une petite prière les eût mis hors de combat. Où sont maintenant Pilate, Hérode, Caïphe? Où sont Néron, Domitien, Maximien? Où sont Arius, Pélage, Manichée? Où ils sont?... Là où seront bientôt tous nos scribes et tous nos tyrans. Mais Christ? Christ est toujours le même. Il y a mille ans que les saintes Écritures n'ont pas brillé dans le monde d'un aussi grand éclat que maintenant [5]. J'attends en paix ma dernière heure; j'ai fait ce que j'ai pu. 0 princes! Mes mains sont nettes de votre sang; c'est sur vous qu'il retombe. »

Ainsi Luther, s'inclinant devant la royauté souveraine de Jésus-Christ, parlait avec courage au roi Henri qui contestait les droits de la Parole de Dieu. Une lettre écrite contre le réformateur ne suffisait pas aux évêques. Profitant de la blessure faite par Luther à l'amour-propre d’Henri VIII, ils le pressèrent de comprimer cette insurrection de l'intelligence humaine, qui menaçait à la fois, disaient-ils, la papauté et la royauté. On se mit à persécuter. Latimer fut appelé devant Wolsey ; mais sa science et sa présence d'esprit lui firent trouver grâce. Bilney, cité aussi à Londres, reçut l'injonction de ne pas prêcher la doctrine de Luther. « Je ne prêcherai pas les doctrines de Luther, dit-il, s'il en a qui lui soient propres; mais je peux et je

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dois prêcher la doctrine de Jésus-Christ, quand même Luther la prêcherait. » Garret enfin, amené en présence des juges, tomba, saisi de terreur, devant les cruelles menaces de l'évêque. Remis en liberté, il s'enfuit de lieu en lieu [6], s'étirant de cacher sa douleur et d'échapper au despotisme des prêtres, en attendant le moment où il donnerait sa vie pour Jésus-Christ.

Les adversaires de la Réformation n'étaient pas encore satisfaits. Le Nouveau Testament continuait à se répandre, et certains couvents en recélaient des dépôts. Barnès, captif dans le monastère des Augustins de Londres, avait repris courage, et ne ces sait pas d'aimer la Bible. Un jour, vers la fin de septembre, comme trois ou quatre amis lisaient dans sa chambre, à haute voix, Barnès vit entrer deux simples paysans de Burnstead, dans le comté d'Essex, Jean Tyball et Thomas Hilles. « Comment, leur dit Barnès, êtes-vous Venus à la connaissance de la vérité? » Ils tirèrent de leurs poches de vieux volumes renfermant les Évangiles et quelques épîtres en anglais, Barnès les leur rendit avec tin sourire. «Ce n'est rien, [7] dit-il, en comparaison du Testament nouvellement imprimé. » Les deux paysans payèrent pour l'acquérir trois schellings et deux deniers. « Cachez-le bien ! » dit Barnès.

Le clergé l'ayant appris, fit transporter Barnès â Northampton, pour le livrer aux flammes; mais il s'évada ; ses amis répandirent le bruit qu'il s'était jeté à l'eau; et tandis qu'on faisait pendant sept jours toutes sortes de recherches sur le bord de la mer, il se glissait furtivement sur un navire, et se rendait en Allemagne. « Le cardinal, s'écria l'évêque de Londres, saura bien le rattraper, dût il lui en coûter beaucoup ! Un misérable tel que moi, dit Barnès en apprenant cette parole, ne vaut pas la dixième partie de ce qu'on dépenserait pour le prendre. D'ailleurs, s'ils me brûlent, qu'y gagneront-ils ?. . . Le soleil et la lune, le feu et l'eau, les étoiles et tous les éléments, que dis-je? Les pierres elles-mêmes se lèveront pour défendre la vérité! » La foi était revenue au cœur du faible Barnès.

La fuite de Barnès redoubla la colère du clergé. Il proclama en Angleterre que les saintes Écritures renfermaient un venin pestilentiel [8], et il ordonna une chasse universelle contre la Parole de Dieu. Le 24 octobre 1526, l'évêque de Londres enjoignit à ses archidiacres d'enlever toutes les traductions du Nouveau Testament en anglais, avec ou sans gloses, et quelques jours après l'archevêque de Cantorbéry publia un mandat contre tous les livres où il se trouverait» quelque particule du Nouveau Testament*. [9] » Le primat se rappelait qu'une étincelle suffit pour allumer un grand incendie.

A l'ouïe de ce jugement, William Roye, esprit mordant, publia une sanglante satire. On y voyait paraître Judas (c'était Standish), Pilate (c'était Wolsey), Caïphe (c'était Tonstall), et l'auteur s'écriait d'une voix énergique :

Christ aimant ses élus, comme son Père l'aime, Triompha par son sang de l'éternelle mort. Lisez, dit-il, croyez, car j'ai souffert moi-même Pour payer votre dette et vous

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ouvrir le port. » Caïphe!... pourquoi donc ce coupable blasphème? Pourquoi contre ce Livre un fatal jugement ? Prétends-tu nous priver de notre espoir suprême? Oses-tu bien brûler le sacré Testament [10] ? En effet, les efforts des Caïphe étaient mutiles;

Les prêtres entreprenaient une œuvre au-dessus de leur pouvoir. Quand, par une épouvantable révolution, toutes les formes sociales seraient détruites sur la terre, l'Église vivante des élus, institution divine au milieu des institutions humaines, subsisterait encore par la vertu de Dieu, comme le rocher au sein de la tempête, et transmettrait aux générations nouvelles la semence de la culture et de la vie chrétienne. Il en est de même de la Parole, principe créateur de l'Église. Elle ne peut périr ici-bas. Les prêtres de l'Angleterre allaient en savoir quelque chose.

Comme On exécutait l'ordonnance archiépiscopale, et qu'une chasse impitoyable se faisait partout aux Nouveaux Testaments venus de Worms, on en découvrit une troisième édition, toute récente, d'un format plus petit, plus portatif, par conséquent plus dangereux. C'était un typographe d'Anvers, Christophe Eyndhoven, qui l'avait imprimée et envoyée à ses correspondants des bords de la Tamise. Le dépit du clergé fut extrême, et Hacket, agent de Henri VIII dans les Pays-Bas, reçut aussitôt l'ordre de poursuivre cet homme. « Nous ne pouvons prononcer un jugement qu'avec connaissance de cause, répondirent les seigneurs d'Anvers, nous allons donc faire traduire le livre en flamand. Gardez-vous en bien, dit Hacket effrayé; quoi! On se mettrait aussi de ce côté de la mer à traduire ce livre dans la langue du peuple ! Eh bien, dit l'un des juges, moins consciencieux que ses collègues, que le roi d'Angleterre nous en voie un exemplaire de chacun des livres qu'il a brûlés, et nous les détruirons de même. » Hacket écrivit à Wolsey, et ces volumes étant arrivés, la cour siégea de nouveau. « Partie civile, dit l'avocat de Eyndhoven, ayez la bonté de nous indiquer a les hérésies qui se trouvent dans ces volumes. » Le margrave (officier du gouvernement impérial), invité à citer les passages hérétiques du Nouveau Testament, recula devant cette tâche, et dit à Hacket : « J'abandonne cette affaire ! » Eyndhoven fut renvoyé de la plainte.

Ainsi la Réformation réveillait en Europe la liberté et la légalité endormies. En affranchissant la pensée du joug de la papauté, elle préparait d'autres affranchissements, et en rétablissant l'autorité de la Parole de Dieu, elle ramenait le règne de la loi au milieu des peuples longtemps livrés aux passions turbulentes et au pouvoir arbitraire. La société religieuse prenait, comme toujours, les devants sur la société civile, et lui donnaient ces deux grands principes, l'ordre et la liberté, que la papauté compromet ou annule. Ce ne fut pas en vain que les magistrats d'une ville flamande, éclairée des premières lueurs de la Réformation, donnèrent un si bel exemple; les Anglais, fort nombreux dans ces cités hanséatiques, rapprirent ainsi cette liberté civile et religieuse qui est l'ancien droit de l'Angleterre, et dont euxmêmes devaient donner plus tard aux autres peuples de nécessaires leçons.

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Eh bien ! dit Hacket, irrité de ce qu'on plaçait la loi au-dessus de la volonté clé son maître, je vais acheter tous ces livres et les envoyer au cardinal pour qu'il les brûle. » A ces mots il quitta la cour.

Mais sa colère s'étant peu à peu calmée il se rendit à Malines, pour se plaindre à la Gouvernante et à son conseil de la sentence d'Anvers. « Quoi! dit-il, on punit celui qui répand de la fausse monnaie, et l'on ne punirait pas plus sévèrement encore celui qui la frappe, c'est-à-dire, dans ce cas-ci, l'imprimeur ? Mais, lui réponditon, c'est précisément la question en litige ; nous ne sommes pas sûrs que cette monnaie soit fausse. [11] Com ment ne le serait-elle pas, répliqua l'agent de Henri, puisque les prélats de l'Angleterre le déclarent? »

Le gouvernement impérial, peu disposé en faveur de l'Angleterre, maintint l'acquittement d'Eyndhoven, mais permit à Hacket de brûler tous les exemplaires du Nouveau Testament qu'il pourrait saisir. Il s'empressa de profiter de cette concession, se mit à chercher les saintes Écritures, et les prêtres se hâtèrent de lui venir en aide. Selon eux, comme selon leurs collègues d'Angleterre, le contrôle suprême en matière de foi devait appartenir, non à la Parole de Dieu, mais au pape, et le meilleur moyen d'assurer au pontife ce privilège était de réduire en cendres la sainte Écriture...

Malgré ces poursuites, l'année 1526 était pour l'Angleterre une année mémorable. Le Nouveau Testament en anglais avait été répandu des bords de la Manche aux rives de l'Écosse, et la Réformation y avait commencé par la Parole de Dieu. Nulle part moins qu'en Angleterre le renouvellement du seizième siècle n'est émané d'un décret royal. Mais Dieu, qui avait répandu les saintes Écritures dans la GrandeBretagne malgré les chefs de la nation, allait se servir de leurs passions pour écarter les difficultés qui s'opposaient au triomphe final de ses desseins. Nous entrons ici dans une phase nouvelle de l'histoire de la Réformation, et après avoir étudié l'œuvre de Dieu dans la foi des petits, nous devons contempler l'œuvre de l'homme dans les intrigues des grands de la terre.

FOOTNOTES

[1] Majestatem tuam cœpisse fa\ere Evangelio. » (Cochl., p. 186.)

[2] Huic mira,culo in Majestate tua quam opto ex totis medullis. » [Ibid., p. 427.)

[3] tantus autor haberi postulas, quantus nec hodie quisquam sit... » (Cochl.,p. 127.) »

[4] Rex Anglorum Regi hœreticorum scripsit. » (Strype's Memo riais, I, p. 91.) Le titre du pamphlet était Liiterarum quibus Pr. Heu riens VIII, etc., etc., respondit ad quamdam Epistolam li. Lutheri.

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[5] Als in tausend Jahren nient geweseu ist. » (Luth., Opera, XIX, p. 501.)

[6] Flying from place to place. » (Fox, Acts, V, p. 428.)

[7] Which books he did Title regard and made a twits of it* » [Con fessio J. Tyball.)

[8] Libri pestiferum virus in se continentes, in promiscuam provin sae Cant. multitudinem sunt dispersi. » Wilkins, Concilia, III, p. 706.)

[9] Vel aliquam ejus particulam. » [Ibid.)

[10] To burn God's word, the holy Testament. » Satire of W. Roye. (Harl. Mise, IV. bible Annals, I, p. 117.)

[11] My choler was descended. » (Harl., Mise., IV. Bible Armais, l, p. 117.)

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CHAPITRE V

Wolsey forme le dessein du divorce. Preuves. Le roi n'a pas de fils. Refroidissement et trouble d’Henri. Conférence du cardinal et du confesseur. Wolsey demande le divorcé à Henri. Secondes instances. Wolsey propose au roi Marguerite de Valois. Examen. Première mention publique par l'évêque de Tarbes. Agitation et consolation du roi. Effroi et plaintes de Catherine. Ruse contre ruse. Éclat de la reine

Wolsey, mortifié de n'avoir pu atteindre le trône pontifical qu'il avait recherché avec tant d'ardeur, irrité surtout d'avoir été repoussé par la mauvaise volonté de Charles-Quint, méditait un plan qui devait, sans qu'il s'en doutât, affranchir un jour l'Angleterre du joug de la papauté. « On se moque de moi, on me relègue à la seconde place, s'était-il écrié, eh bien ! Je susciterai dans le monde un bouleversement tel, que depuis des siècles on n'en aura pas vu de pareil ! . . . Je le ferai, du même l'Angleterre être engloutie dans la tempête [1] ! » Désireux de susciter une haine impérissable entre Henri VIII et Charles-Quint, il avait entrepris de rompre le mariage que Ferdinand le Catholique et Henri VII avaient formé pour unir à jamais leurs familles et leurs couronnes. Sa haine pour Charles n'était pas son seul motif;

Catherine lui avait reproché la dissolution de ses mœurs et il avait juré de se venger. On ne peut avoir de doute sur la part de Wolsey dans cette affaire. « Les premiers termes du divorce ont été mis en avant, par moi, dit-il plus tard à l'ambassadeur de France. Je l'ai fait, ajoutait-il, pour mettre perpétuelle séparation entre les maisons d'Angleterre et de Bourgogne [2]*. » Les écrivains les mieux instruits du seizième siècle appartenant aux partis les plus divers, Pole, Polydore Virgil, Tyndale, Meteren, Pallavicini, Sanders, Rooper, gendre de Thomas More, s'accordent à désigner Wolsey comme l'instigateur de ce divorce, de venu si fameux [3]. Il voulait même aller plus loin, et, après avoir porté le roi à renvoyer la reine, il prétendait engager le pape à déposer l'Empereur [4]. Ce ne fut pas la passion de Henri pour Anne Boleyn, comme l'ont tant répété les légendaires de Rome, ce fut celle d'un cardinal pour la tiare pontificale, qui donna le signal de l'affranchissement de l'Angleterre. Les froissements de l'orgueil sont au nombre des ressorts les plus énergiques de la nature humaine.

Le dessein de Wolsey était étrange, difficile à réaliser, mais n'était pas inexécutable. Henri vivait en apparence, il est vrai, dans les meilleurs rapports avec Catherine ; Érasme avait même célébré plus d'une fois la maison du roi d'Angleterre comme le modèle des vertus domestiques. Mais le plus ardent des désirs d’Henri n'était pas satisfait; il n'avait pas de fils ; ceux que la reine lui avait donnés étaient morts dans leur enfance, et Marie lui restait seule.

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Ces morts de petits enfants, toujours si déchirantes, l'avaient été particulièrement dans le palais de Greenwich. Il semblait à Catherine que l'ombre du dernier Plantagenet, immolé sur l'autel de ses noces, venait saisir l'un après l'autre les héritiers qu'elle donnait à la couronne d'Angleterre, et les emporter dans sa tombe. La reine versait d'abondantes larmes, et implorait la miséricorde divine ; mais le roi maudissait son sort. Le peuple anglais semblait s'unir à cette tristesse royale ; et des hommes instruits et dévots, Longland lui-même [5], se prononçaient contre la validité du mariage du roi. Quand il s'agit de droit divin, disaient-ils, les dispenses d'un pape sont de nulle valeur. » Toutefois Henri avait écarté jusqu'alors l'idée d'un divorce * [6].

Depuis 1509, les temps avaient changé. Le roi avait aimé Catherine; sa réserve, sa douceur, sa dignité l'avaient charmé. Avide de plaisirs et d'applaudissements, il se plaisait à voir sa femme se con tenter d'être le modeste témoin de ses joies et de ses triomphes. Mais peu à peu la reine avait vieilli, sa gravité espagnole s'était accrue, ses pratiques dévotes s'étaient multipliées, ses infirmités devenues plus fréquentes avaient même enlevé au roi l'espoir d'avoir un fils. Dès lors, tout en continuant à louer les vertus de la reine, Henri s'était refroidi à son égard, et peu à peu son amour s'était changé en répugnance. Bientôt il s'était demandé si la mort de ses enfants n'était pas un signe de la colère de Dieu. Cette pensée l'avait préoccupé et l'avait porté à prendre un appartement séparé de celui de la reine * [7].

Wolsey jugea le moment favorable pour commencer l'attaque. C'était dans les derniers mois de 1526; il appela Longland, confesseur du roi, et lui cachant son principal motif : « Vous savez, lui dit-il, les angoisses de Sa Majesté. La stabilité de sa couronne et son salut éternel paraissent également compromis. A qui m'en ouvrirais-je, si ce n'est à vous, qui doit connaître tous les secrets de son âme ? » Les deux évêques résolurent de faire sen tir à Henri les périls auxquels l'exposait son union avec Catherine [8] ; mais Longland insista pour que ce fût Wolsey qui fît la première démarche auprès de lui.

Le cardinal se rendit auprès du roi, et lui rappela ses scrupules avant ses fiançailles ; il exagéra ceux de la nation, et parlant avec une véhémence inaccoutumée [9], il supplia le prince de ne pas rester dans un si grand danger C'est de la sainteté de votre vie, lui dit-il, et de la légitimité de votre succession qu'il s'agit. Mon bon père, dit Henri, vous feriez bien de considérer la pesanteur de la pierre que vous avez la prétention de remuer [10]. La reine est d'une vie si exemplaire que je n'ai aucun motif de me séparer d'elle... » Le cardinal ne se tint pas pour battu ; il se présenta trois jours après chez le roi avec l'évêque de Lincoln. « Très grand prince, dit le confesseur, qui se sentait assez de courage pour parler le second, vous ne pouvez, comme Hérode, avoir la femme de votre frère *[11]. Je vous demande, je vous con jure, moi qui ai charge de votre âme *[12], de sou mettre cette affaire à des juges compétents. » Henri y consentit, et peut-être sans trop de peine.

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Ce n'était pas assez pour Wolsey de séparer Henri de l'Empereur; il fallait, pour plus de sûreté, l'unir à François Ier. Le roi d'Angleterre répudiera donc la tante de Charles-Quint, puis il épousera la sœur du roi de France. Fier du succès qu'il venait d'obtenir quant à la première partie de son plan, Wolsey entama la seconde. « Il est, dit-il au roi, une princesse, dont la naissance, les grâces, les talents, ravissent toute l'Europe; Marguerite de Valois, sœur du roi de France, est au-dessus de toutes les femmes, et nulle n'est plus digne de votre alliance [13]» Henri répondit que c'était un sujet très grave, dont il se réservait l'examen.

Wolsey remit pourtant au roi un portrait de Marguerite, et l'on a cru même qu'il avait fait sonder secrète ment cette princesse. Quoi qu'il en soit, la sœur de François Ier ayant appris qu'on la désignait comme future reine d'Angleterre, se révolta à la pensée d'enlever à une femme innocente une couronne qu'elle avait noblement portée. « La sœur du roi de France, dit Tyndale, connaissait trop Jésus-Christ pour consentir à une telle indignité * [14].»

Marguerite de Valois répondit : « Qu'on ne me parle pas d'un mariage qui ne s'accomplirait a qu'aux dépens du bonheur et de la vie de Catherine d'Aragon * [15].

» Celle qui devait un jour occuper le trône d'Angleterre avait appartenu à la cour de Marguerite. Peu après, le 24 janvier 1527, la sœur de François Ier épousa Henri d'Albret, roi de Navarre.

Henri VIII, voulant s'éclairer sur la pensée de son favori, chargea Fox, son aumônier, Pace, doyen de Saint-Paul, et Wakefield, professeur d'hébreu à Oxford, d'étudier les passages du Lévitique et du Deutéronome qui se rapportaient au mariage avec une belle-sœur; Wakefield, qui ne voulait pas se compromettre, demanda si Henri était pour ou contre le divorce Pace répondit à cet hébraïsant servile, que le roi ne lui demandait que la vérité. Mais qui fera publiquement le premier pas dans une entreprise si hasardeuse ? Chacun reculait ; le terrible Empereur les épouvantait tous. Ce fut un évêque français qui s'aventura ; toujours des évêques dans cette affaire de divorce, que des évêques ont si fort reprochée à la Réforme. Henri VIII, voulant excuser Wolsey, prétendit même plus tard que les objections de l'évêque français avaient devancé celles de Longland et- du cardinal. François Ier avait envoyé à Londres, en février 1527, une ambassade dont Gabriel de Grammont, évêque de Tarbes, était le chef, et dont le but était d'obtenir la main de Marie d'Angleterre.

Les ministres de Henri ayant demandé si les engagements de François Ier avec la reine douairière de Portugal ne s'opposaient pas à la demande dont l'évêque français était chargé : « Je vous demanderai à mon tour, répondit celui-ci, ce que l'on a fait pour lever les empêchements qui s'opposaient au mariage dont la princesse Marie est issue *[16]. » On communiqua à l'ambassadeur la dispense de Jules II, mais il la rendit en disant que cette bulle n'était pas suffisante, attendu

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qu'un tel mariage était interdit de juré divino. [17] « Vos Anglais auraient-ils donc, ajouta-t-il, un autre Evangile que le nôtre * [18] ? » En entendant ces paroles, le roi (c'est lui-même qui nous l'apprend [19]) fut rempli de trouble, de crainte et d'horreur. » Trois des évêques les plus considérés de la chrétienté se réunissaient pour l'accuser d'inceste ! Il commença à en parler à quelques personnes. « Le scrupule de ma conscience a «terriblement augmenté, disait-il, depuis que cet évêque français a tenu de cette affaire, en mon conseil, termes terriblement exprès * [20]. » Rien ne nous oblige à croire que ces troubles terribles, dont parlait le roi, fussent de sa part une pure invention.

Une succession contestée pouvait replonger l'Angleterre dans des guerres civiles. Si même les prétendants étaient écartés, ne verrait-on pas une maison rivale, un prince français, par exemple, s'unissant à la fille d’Henri, régner sur l'Angleterre ?

Le roi, dans son inquiétude, allait à Thomas d'Aquin, son auteur favori, et cet ange de Yécoîe déclarait son mariage illégitime. Alors Henri ouvrait la Bible, mais il y trouvait cette menace contre l'homme qui a pris la femme de son frère : « Il sera sans enfants ! a dit l'Eternel, » et cette parole augmentait son trouble, car il était sans héritier. C'est au milieu de ces ténèbres, qu'une nouvelle perspective s'ouvre devant lui. Sa conscience peut être déliée; son désir d'avoir une femme plus jeune peut être satisfaite; il peut avoir un fils ! ... Le roi résolut de déférer le cas à une commission de jurisconsultes, et cette commission eut bientôt écrit des volumes. [21]

Pendant ce temps, Catherine se livrait sans in quiétude à ses dévotions. Son cœur, déchiré par la mort de ses enfants et par le refroidissement du roi, cherchait quelque consolation dans ses prières et dans celles des moines ; elle se levait au milieu de la nuit, se jetait à genoux sur la pierre, et ne manquait pas un des saints offices. Mais un jour (c'était probablement en mai ou en juin 1527), quelque indiscret l'informa des bruits qui occupaient la ville et la cour. Pleine de colère, d'effroi, et tout en larmes, elle se rendit aussitôt auprès du roi, et lui fit entendre les plaintes les plus amères * [22]. Henri se contenta de la tranquilliser par des assurances vagues ; et le dur Wolsey, s'inquiétant moins encore que son maître de cette émotion de Catherine, l'appela en souriant, « une courte tragédie. »

L'épouse offensée ne perdit pas de temps ; il fallait que l'Empereur fût informé promptement, sûre ment, exactement, de cette injure inouïe. Une lettre serait insuffisante, et sans doute interceptée. Catherine résolut donc d'envoyer à son neveu son écuyer, l'Espagnol François Philippe : et pour cacher le but du voyage, on se mit, après la tragédie, à jouer une comédie dans le genre espagnol. « Ma mère très malade, dit François Philippe, me rappelle en Espagne. » Catherine conjura le roi de rejeter la demande de l'écuyer; et Henri, devinant l'intrigue, résolut d'employer ruse contre ruse [23]. « Madame, dit-il à la reine, la demande de Philippe est juste. » Catherine parut, par égard pour son époux, consentir au départ, et Henri ordonna que malgré tout sauf-conduit, ledit Philippe fût arrêté et clé tenu lors de

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son passage à Calais, de telle manière cependant que nul ne sût de qui cela provenait. »

En vain la reine se livrait-elle à une coupable dissimulation ; un trait empoisonné l'avait atteinte au cœur, et ses paroles, ses manières, ses plaintes, ses larmes, les nombreux messages qu'elle envoyait tantôt à l'un, tantôt à l'autre, divulguaient le secret que le roi voulait encore cacher* [24]. Ses amis la blâmaient de cet éclat ; on se demandait ce que Charles Quint allait dire s'il apprenait la douleur de sa tante ; on craignait pour la paix universelle ; mais Catherine, dont l'âme était brisée, n'était pas accessible aux considérations de la diplomatie. Cette douleur de Catherine n'arrêta pas Henri; aux deux mo tifs qui lui faisaient désirer son divorce, les scrupules de sa conscience et le désir d'un héritier, s'en joignit alors un troisième plus énergique encore. Une femme allait jouer un rôle important dans les destinées de l'Angleterre.

FOOTNOTES

[1] Sandoval, I, p. 358. Ranke, Deutsche Gesch., III, p. 17. SUGGESTION DU DIVORCE. 389

[2] Malos oderat mores. » (Polyd. Virg., p. 685.)

[3] Le Grand, Hist. du divorce; preuves, p. 186. Le Grand, Hist. du divorce : preuves, p. 65, 69.

[4] Instigator et auctor consilii existimabatur, » dit Pôle. [Apol. He was furious mad and imagined this divorcement between the king and the queen, » dit Tyndale. [Opera, I, 46S.) Voir aussi San ders, 7 et 9; P. Virgil, p. 685; Meteren, p. 20; Pallavicini, Conc. Trid., p. 203, etc. On a opposé à ces autorités [Pamphleteer, n° 42, p. 336) une assertion contraire de Wolsey; mais pour peu que l'on connaisse son histoire, on sait que la véracité était la moindre de ses vertus.

[5] Jampridem conjugium regium, veluti infirmum. » (Polyd.Virg., p. 685.)

[6] That matrimony winch the king at first seemed not disposed to annul.» (Strype, I, p. 135.)

[7] Burnet, p. 100. Lettre de Grynaens à Bucer, idem.

[8] Quam primum regi patefaciendum. » (Pol. Virgv p. 685.)

[9] Vehementer orat ne se patiatur diutius in tanto versari discri mine, a [Ibid.) i

[10] Bone pater, vide bene, qualc saxum suo loco jacens. movere co neris. » (Polyd. Virg:., p. 685.) s

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[11]Like another Herodes. » (More's Life, \). 129.)

[12] Ipse cui de sainte anima? tuae cura esl,hnrtor, rogo. persuadeo. » (Polyd. Vir?., p. G86.)

[13] Mulier, praeter esteras, digna matrimonio tuo. » {Polyd. Virg., p. C8B.)

[14] The French king's sister knows too much of Christ, to consent unto such wickedness. » (Tynd., Opera, I,p. 464.)

[15] Princeps illa, millier optima, noluerit quicquam audire de nup tiis, quae nuptiae non possunt conjungi sine miserahili Catharinae casu atque adpo interitu. » (Polyd. Virg., p. 687.)

[16] Utrum, staret ad te an contra te? » (Le Grand, preuves, p. ï) » What had been here provided for taking away the impediment of that marriage. » [State papers, I, p. 199.) Le Grand (I, 17) révoque en doute les objections de l'évêque de Tarbes. Cette lettre de Wolsey à Henri VIII, qui se trouve dans les State papers, les établit positivement. Au reste, Du Bellay, dans une lettre que Le Grand lui-même cite (voir plus bas), dit la chose plus fortement encore qm Wolsey.

[17] Where with the pope could not dispense; nisi ex urgentissima causa. » (Lettre de Wolsey à Henri VIII, du 8 juillet, State papers, I, p: 199.)

[18] Anglos, qui tuo imperio subsunt, hoc idem Evangelium colere quod nos colimus. » (Sanders, 12.)

[19] Quae oratio quanto metu ac horrore animum nostrum turba verit. » (Henri VIII, Oratio; Wilkins, Co»a7.,IH,p. 714.)

[20] Lettre de Du Bellay. Le Grand, Hist. du div., preuves, p. 218.

[21] So as the bookes excrescunt in magna volumina. » (Wolsey à Henri VIII, State papers, I, p. 200.)

[22] The queen hath broken with your Grace thereof. » [Ibid.)

[23] The king's Highnesse knowing greate collusion and dissimula tion between them doeth also dissimule. » (Knighteto Wolsey, State papers, l, p. 215.)

[24] By her manner, behaviour, wordes and messages sent to diverse hath published, divulged. » [lbid.)

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CHAPITRE VI

Anne Boleyn chez Marguerite de Valois. Anne, dame d'honneur de Catherine. Inclination de lord Perey. Wolsey les sépare. Siège de Rome et Cromwell. Intercession de Wolsey pour la papauté. Il demande Renée de France pour Henri. Il échoue. Anne reparaît à la cour. Elle repousse les hommages du roi. Lettre d’Henri. .JI se résout à hâter le divorce. Deux motifs qui portent Anne à refuser la couronne. Opposition de Wolsey

Marguerite de Valois, qui avait sans hésitation écarté la couronne qu'on lui faisait entrevoir, avait eu la jeune et aimable Anne Boleyn parmi ses dames d'honneur. Celle-ci, se livrant aux plaisirs avec toute la vivacité de son âge, avait brillé, aux fêtes de la cour, parmi les plus jeunes et les plus belles. Entourée, dans la maison de Marguerite, des hommes les plus éclairés, son intelligence et son cœur s'étaient développés en même temps que ses grâces ; elle commença à lire, sans le bien comprendre, le saint livre où Marguerite, dit Brantôme, trouvait son repos et sa consolation, et à diriger quelques pensées, légères et fugitives, vers ce doux Emmanuel, » auquel sa maîtresse adressait de si beaux vers.

Anne était retournée en Angleterre en 1522. On a dit qu'après la bataille de Pavie, la régente, craignant que Henri se jetât sur la France, lui avait envoyé Anne pour l'en dissuader. Mais ce fut une voix plus puissante que la sienne qui arrêta le roi d'Angleterre. « Demeurez en repos, lui écrivit Charles-Quint, j'ai le cerf dans mes toiles, et il ne nous faut songer qu'à partager la chasse. » D'autres ont cru que Marguerite, ayant épousé le roi de Navarre à la fin de janvier 1527, et pouvant en conséquence quitter Paris et la cour de son frère, sir Thomas Boleyn, qui ne se souciait pas pour sa fille d'un séjour dans les Pyrénées, la fit revenir seulement alors en Angleterre.

Mais, nous le répétons, Anne paraît être revenue en Angleterre en 1522. Boleyn demanda que sa fille fût reçue au nombre des dames d'honneur de la reine; on le lui accorda, et la nièce du duc de Norfolk éclipsa bientôt ses compagnes, nous dit un contemporain ennemi des Boleyn, « par les grâces de sa figure et l'excellence de sa conduite [1]. » Toute la cour était frappée de la régularité de ses traits, de l'expression de son regard, de la douceur de ses manières, de la majesté de son port* [2]. « C'était une belle créature, dit un ancien historien, bien proportionnée, courtoise, aimable, fort agréable, et qui s'entendait bien à la musique. [3]»

Parmi les jeunes nobles au service du cardinal se trouvait lord Percy, fils aîné du comte de Northum Berland. Tandis que Wolsey s'entretenait avec le roi, Percy se glissait dans les appartements de la reine, et plaisantait avec ses dames. Il ressentit bientôt pour Anne la passion la plus vive, et la jeune Boleyn, qui n'avait point accueilli les hommages des seigneurs de la cour de François Ier, répondit à cette

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affection de l'héritier de Northumberland. Les deux jeunes gens rêvaient déjà une vie heureuse, paisible, élégante, dans les beaux châteaux du nord de l'Angleterre. Ceci se passait en 1523.

Wolsey détestait les Norfolk, et par conséquent les Boleyn; c'était pour contrebalancer leur in fluence qu'il avait été «introduit à la cour; il s'irrita donc en voyant un jeune homme de sa maison rechercher la main de la fille et de la nièce de ses ennemis. D'ailleurs quelques partisans du clergé accusaient Anne d'être amie de la Réformation On a cru qu'à cette époque Wolsey avait déjà sur pris les regards de Henri s'arrêtant avec complaisance sur Anne Boleyn, et qu'il fut ainsi porté à contrarier l'inclination de Percy ; cela semble peu probable. De toutes les femmes de l'Angleterre, Anne était celle dont Wolsey devait craindre et craignit en effet le plus l'influence ; il eût donc été fort heureux de la voir épouser Percy. On a prétendu qu'Henri engagea le cardinal à s'opposer à l'affection des deux jeunes gens; mais, dans ce cas, confia-t-il à Wolsey le véritable motif de son opposition ?

Celui-ci eut il des intentions coupables, entreprit-il de livrer au déshonneur la fille et la nièce de ses adversaires politiques ? Cela serait horrible ; cela est possible, et l'on pourrait même le déduire du récit de Cavendish; mais il faut espérer que cela ne fut pas. Si cela fut, la vertu d'Anne déjoua énergique ment d'infâmes complots. Quoi qu'il en soit, un jour que le fils du comte de Northumberland était de service auprès du cardinal, celui-ci l'interpella brusquement : « As-tu perdu la tête, lui ditil, que tu oses t'engager avec cette jeune fille sans le consentement de ton père et du roi? Je t'ordonne de rompre avec elle. » Percy fondit en larmes [4], et conjura le cardinal de plaider sa cause. Je te défends de la voir, répondit sèchement Wolsey ; puis il se leva et sortit. Anne reçut en même temps l'ordre de quitter la cour. Fière et courageuse, attribuant son malheur à la haine de Wolsey, elle s'écria en sortant du palais : Je tirerai vengeance de cette injure ! » Mais à peine était-elle entrée dans les tourelles gothiques du château de Hever, qu'une nouvelle plus triste encore vint l'accabler ; Percy venait de se fiancer avec lady Mary Talbot. Elle versa d'abondantes larmes, et voua au jeune lord, qui l'abandonnait, un mépris égal à sa haine pour le cardinal. Anne était réservée à un sort plus illustre, mais plus malheureux. [5] -Wolsey était tout occupé de ses intrigues, lorsqu’un bruit étrange vint le remplir d'effroi. On disait que les armées impériales avaient pris Rome d'assaut, et même que quelques Anglais étaient montés à la brèche. Parmi eux on nommait Thomas Cromwell, qui, près de vingt ans auparavant, avait obtenu des indulgences de Jules II, en lui offrant des confitures anglaises. Ce soldat avait sur lui le Nouveau Testament d'Érasme, et l'on assure qu'il l'apprit par cœur pendant cette campagne. Plein de vivacité, d'intelligence, de courage, il conçut, en lisant l'Évangile et en voyant Rome, une grande aversion pour la politique, les superstitions et les désordres de la papauté; la journée du 6 mai 1527 décida de sa vie : détruire la puissance papale en devint l'idée dominante.

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Cependant le pape et les cardinaux captifs écrivaient des lettres remplies de larmes et de gémissements » Plein de zèle pour la papauté, Wolsey ordonna un jeûne public. « Jamais l'Empereur ne relâchera le pontife, à moins qu'on ne l'y force [6], dit-il au roi ; Sire, Dieu vous a fait défenseur de la foi, sauvez l'Église et son chef! Milord, répondit le roi en souriant, ce n'est pas pour la foi, je vous assure, mais pour de bonnes possessions temporelles que le pape est prisonnier de Charles.»

Wolsey ne se laissa pas décourager, et le 3 juillet, assis sur sa mule magnifiquement caparaçonnée, les pieds dans des étriers d'or, il traversait les rues de Londres, suivi de douze cents gentilshommes à cheval, pour aller demander à François Ier d'aider son maître à sauver Clément VII. Il n'avait pas eu de peine à décider Henri ; Charles parlait de transporter le pape en Espagne, et d'y établir à perpétuité le siège apostolique*[7]. Or, comment obtenir d'un pape espagnol divorce de Catherine d'Aragon? Wolsey, pendant la procession, paraissait accablé de tristesse et versait même des larmes [8]; mais bientôt relevant la tête, il s'écria : « Mon cœur est enflammé, et je veux qu'on dise du pape per secula sempiterna : Bediit Henrici octavi virtute serena. »

Voulant, pour l'accomplissement de ses desseins, unir étroitement la France et l'Angleterre, il avait jeté les yeux sur la princesse Renée, fille de Louis XII, et bellesœur de François Ier, pour en faire l'épouse future d’Henri VIII. Aussi le traité d'alliance entre les deux couronnes ayant été signé à Amiens le 1 8 août, François Ier, sa mère et le cardinal se rendirent à Compiègne, et là Wolsey, nommant Charles le partisan le plus âpre du luthéranisme [9], promettant con jonction perpétuelle d'un côté (entre l'Angleterre et la France), et disjonction perpétuelle de l'autre* [10] (entre l'Angleterre et l'Autriche),» demanda pour Henri la main de Renée. Staffileo, doyen de rote, affirma que le pape n'avait pu permettre le mariage entre Henri et Catherine, que par une erreur des clefs de saint Pierre. [11]

Cet aveu, si remarquable de la part du doyen de l'une des premières juridictions de Rome, rendit la mère de François Ier favorable à la demande du cardinal. Mais, soit que cette proposition déplût à Renée, qui plus encore que Marguerite de Valois, devait professer un jour la pure foi évangélique, soit que François ne se souciât pas d'une union qui aurait donné à Henri des droits sur le duché de Bretagne, Renée fut promise au fils du duc de Ferrare. C'était un échec pour le cardinal ; mais il devait à son retour en Angleterre en recevoir un plus rude encore.

Sir Thomas Roleyn qui avait été créé en 1525 vicomte de Rocheford, contrarié de l'éloignement de sa fille, obtint son rappel, et la jeune Anne, qui ne soupçonnait point qu'Henri eût eu quelque part dans son exil* [12], reparut à la cour avec une entière liberté.

Elle avait vingt ans; sa beauté, son port élégant, ses cheveux noirs, sa figure ovale, son œil vif, l'agrément de son chant, la légèreté et la noblesse de sa danse, son désir

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de plaire auquel se mêlait un peu de coquetterie, sa gaieté, la vivacité de ses reparties et surtout l'amabilité de son caractère lui gagnèrent tous les cœurs. Elle apportait à Greenwich et à Londres les belles manières de la cour de François Ier. Chaque jour, dit-on, elle inventait une toi lette nouvelle, et décidait des modes de l'Angleterre. Mais à toutes ses qualités elle joignait la modestie, et elle l'imposa même par son exemple.

Les dames de la cour, qui jusque-là avaient suivi un usage contraire, dit son plus grand ennemi, l'abandonnèrent pour se vêtir pudiquement comme elle; et les méchants, incapables d'apprécier les motifs d'Anne, attribuèrent cette modestie de la belle jeune fille, au désir de cacher quelque difformité secrète* [13]. De nombreux admirateurs entourèrent de nouveau Anne Boleyn, entre autres l'un des nobles et des poêles les plus distingués de l'Angle terre, sir Thomas Wyat, partisan de Wiclef [14]. Ce n'était pas lui pourtant qui devait remplacer le fils des Northumberland.

Henri, poursuivi par les préoccupations que lui donnait l'affaire de Catherine, était habituellement triste et pensif. Les rires, les chants, les reparties et la beauté d'Anne, le frappèrent, le captivèrent, et bientôt il fixa des regards complaisants sur la jeune dame d'honneur. Catherine avait passé quarante ans, et l'on ne pouvait espérer qu'un homme aussi passionné qu’Henri VIII, eût fait, comme parle Job, un accord avec ses yeux pour ne pas contempler une vierge. II voulut témoigner son admiration à Anne Boleyn, et lui présenta, selon l'usage, un joyau de prix; celle-ci l'accepta, s'en para et continua à danser, à rire et à babiller, sans attacher une importance particulière à ce cadeau royal. Les attentions d’Henri devinrent plus suivies ; et il profita d'une occasion où il se trouvait seul avec Anne pour lui déclarer ses sentiments. Étonnée, émue, la jeune fille se jeta tremblante aux pieds du roi, et s'écria tout en larmes : « Sire, je pense que c'est pour me mettre à l'épreuve que Votre Majesté parle de cette manière... Plutôt perdre ma vie que ma vertu [15]. » Henri lui dit avec grâce, qu'il espérait qu'elle ne voulait pas lui ôter toute espérance. Mais Anne, se relevant avec fierté, répondit au roi : « Je ne comprends pas, Sire, comment vous pourriez en avoir; je ne puis être votre femme, puisque vous en avez déjà une, et que d'ailleurs je suis indigne d'un tel honneur; et quant à être votre maîtresse, tenez pour certain que je ne le serai jamais! » Anne tint parole. Elle continua, après cet entretien, à montrer au roi le respect qu'elle lui devait ; mais à plusieurs reprises elle repoussa ses vœux avec fierté, et même avec véhémence [16].

On la vit, dans ce siècle de galanterie, résister pendant près de six années aux séductions dont Henri savait l'entourer. Un tel exemple ne se trouve pas souvent dans l'histoire des cours. Les livres qu'elle avait lus dans la maison de Marguerite, lui donnaient une force inconnue. Chacun la regardait avec respect; la reine ellemême la traitait avec égards. Cette princesse montra cependant qu'elle avait remarqué les prévenances du roi. Un jour qu'elle jouait aux cartes avec sa dame d'honneur, en présence de Henri, Anne ayant souvent le roi : Milady, s'écria la

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reine, vous avez du bonheur avec le roi... Mais vous n'êtes pas comme les autres, vous voulez tout ou rien* [17]. » Anne rougit ; les attentions de Henri acquéraient dès ce moment plus d'importance ; elle résolut de s'y soustraire, et quitta la cour avec lady Rochefort.

Le roi, qui n'était pas habitué à la résistance, fut désolé, et ayant appris qu'Anne ne voulait revenir à la cour, ni seule ni avec sa mère, il envoya au château de Hever un exprès chargé pour elle d'un message et d'une lettre. Si l'on se rappelle les mœurs du siècle d’Henri VIII, et combien alors les hommes étaient éloignés, dans leurs rapports avec les femmes, de cette réserve que la société leur impose mainte nant, on ne peut s'empêcher d'être frappé des expressions respectueuses du roi. «Puisqu'il me semble le temps être bien long, écrivait le roi [18] (en français), depuis avoir ouï de votre bonne santé et de vous, la grande affection que j'ai vers vous me persuade de vous envoyer ce porteur pour être mieux assertée (assuré) de votre santé et volonté.

Et puisque depuis mon département avec vous, on m'a averti que l'opinion en quoi je vous laissais, est de toute autre changée, et que ne vouliez venir en cour ni avec Madame votre mère, ni autrement, si ce rapport est vrai, je ne saurais assez m'en émerveiller, puisque je m'as a sure de n'avoir jamais commis une faute envers vous; et il me semble bien petite rétribution pour si grand amour que je vous porte, de m'éloigner et la parole et le personnage de la femme du monde que plus j'estime. Et si vous m'aimez de si bonne affection comme j'espère, je suis sûr que l'éloignement de nos deux personnes vous serait un peu ennuyeux ; toute fois ceci n'appartient pas tant à la maîtresse comme au serviteur. Pensez bien, ma maîtresse, que l'absence de vous fort me peine, espérant qu'il n'est pas votre volonté a que ainsi soit.

Mais si j'entendais par vérité que volontairement vous la désiriez, je ne pourrais plus faire, sinon plaindre ma mauvaise fortune, et relâcher peu à peu ma grande folie. Et ainsi à a faute de temps, je fais fin de ma rude lettre, suppliant de donner foi à ce porteur, en ce qu'il vous dira de ma part. Écrit de la main de tout votre tt serviteur, à H. T. Rex. » Le mot serviteur, qui se trouve dans cette lettre, explique le sens dans lequel Henri employait, celui de maîtresse. Dans le langage chevaleresque du temps, ce dernier mot signifiait une personne à qui l'on soumettait son cœur.

Il paraît que la réponse d'Anne à cette lettre fut celle qu'elle avait faite au roi dès le commencement, et que le cardinal Pole mentionne à plus d'une reprise, le refus opiniâtre d'un amour adultère [19]. Henri comprit enfin la vertu d'Anne Boleyn ; mais il fut loin, comme il l'avait promis, de relâcher peu à peu sa grande folie. Ce tyrannique égoïsme, que ce prince manifesta souvent dans sa vie, se montra surtout dans ses amours. Voyant qu'il ne pouvait atteindre son but par des voies illégitimes,

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il résolut de rompre le plus promptement possible les liens qui l'unissaient à la reine. La vertu d'Anne fut le troisième motif du divorce d’Henri VIII.

Cette résolution une fois prise, il fallait l'exécuter. Henri ayant enfin obtenu le retour d'Anne Boleyn, se procura un entretien secret avec elle, lui offrit sa couronne, et saisissant sa main, lui enleva une de ses bagues. Mais Anne, qui n'avait pas voulu être maîtresse du roi, se refusa également à devenir son épouse. La gloire d'une couronne ne pouvait l'éblouir, dit Wyatt, et deux motifs surtout contrebalançaient toutes les perspectives de grandeur que l'on faisait briller à ses yeux ; le premier était le respect qu'elle avait pour la reine : « Comment, s'écriaitelle, offenserais-je une princesse d'une si haute vertu? [20]» Le second était la crainte qu'une union avec celui qui était son seigneur et son roi, ne lui offrît pas cette ouverture de cœur et cette liberté dont elle jouirait en s'unissant à un époux du même rang qu'elle* [21].

Cependant les seigneurs et les dames qui entouraient Henri se disaient à l'oreille qu'Anne Boleyn deviendrait reine d'Angleterre. Les uns étaient tourmentés par la jalousie, les autres, ses amis, étaient ravis de la perspective d'un avancement rapide. Les ennemis de Wolsey surtout se délectaient dans la pensée de renverser ce favori. Ce fut au moment où toutes ces émotions remuaient la cour en des sens si divers, que le cardinal reparut à Londres, revenant de son ambassade auprès de François, et qu'un coup inattendu vint l'atteindre. Wolsey exprimait à Henri sa douleur de n'avoir pu obtenir pour lui ni Marguerite, ni Renée. « Consolez-vous, lui dit le roi; je veux épouser Anne Boleyn. » Le cardinal resta un moment inter dit. Que deviendra-t-il si le roi pose la couronne d'Angleterre sur la tête de la fille et de la nièce de ses plus mortels ennemis ? Que deviendra l'Église si une seconde Anne de Bohême monte sur le trône ? Wolsey se jeta aux pieds de son maître et le conjura de renoncer à un projet si funeste. [22]

Ce fut sans doute alors que, comme il le dit plus tard* [23], il demeura à genoux devant le roi, dans son cabinet, une heure ou deux, mais sans obtenir que Henri renonçât à son dessein. Wolsey, persuadé que s'il continuait à s'op poser ouvertement à la volonté de Henri, il perdrait à jamais sa confiance, dissimula sa douleur, se ré servant de se débarrasser par quelque intrigue de cette rivale importune. Pour commencer, il écrivit à Rome et prévint le pape qu'une jeune dame, formée par la reine de Navarre, par conséquent at teinte de l'hérésie de Luther, avait captivé le cœur du roi [24] ; dès lors toutes les haines et les calomnies de la papauté furent acquises à Anne Boleyn. Mais en même temps Wolsey, pour cacher ses desseins, se mit à donner à Henri des fêtes, où Anne brillait par-dessus toutes les dames de la cour.

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FOOTNOTES

[1] Among -whom, for her excellent gesture and behavior, she did excel ail others. » (Cavendish's Wolsey, p. 424.)

[2] Representing both mildness and majesty, more than can be ex pressed. » [Memoir of sir Th. Whyat. Appendice de Cavendish's Wol sey, p. 424.)

[3] Meteren, Hist. des Pays-Bas, fol. 20.

[4] Sir, quoth the lord Percy ail weeping. » (Cavendish's Wolsey, p. 123.)

[5] Plenas lacrymarum et miseri<e. » [State papers, l.) v 26

[6] Non dimittet pontificem nisi in manu forti. » [State papers, I, p. 217.)

[7] The see apostolique shoulde perpetually remain in Spam. » [Ibid., \, p. 227.) »

[8] I saw the lord cardinal weep very tenderly. » (Cavendish, p. 151.)

[9] Omnium maxime dolosus et hœresis lutheriana? fautor ac/ '<. ; rimus. » (Cavendish, p. 274.)

[10] Du Bellay à Montmorency. (Legrand, preuves, I, p. 186.)

[11] Nisi clave errante. » (State papers, I, p. 272.)

[12] For ail this while she knew nothing of the king's intended pur pose, » dit l'un de ses adversaires, Cavendish. [Wolser/s Life,\>. 129.)

[13] Ad illius imitationem, reliquae regias ancillae colli et pectoris superiora, quae ante nuda gestabant, operire cœperunt. » (Sanders, Schism., p. 16.)

[14] Voir Sanders, ibid. Il est inutile de réfuter les contes de Sanders. Nous renvoyons pour cela à l'évêque Burnet, à Herbert lord Cherbury [Vie de Henri VIII), à Wyatt et à d'autres écrivains. Il suffit, au reste, de lire Sanders lui-même pour apprécier convenablement les /'oui calomnies, comme parlent ces auteurs, de celui qu'ils appellent le légendaire romain.

[15] I will rather lose my life, than my virtue. » (Sloane, MSC, n» 2495. Turner, Hist., II, p. 196.)

[16] Tanto vehementius preces regias illa repulit. » (Sanders, p. 17.)

[17] You have a good hap to stop at a king. » (Wyatt, petit-fils de sir Thomas, Memoirs of Anne h., p. 448.)

[18] H est difficile de fixer l'ordre et la chronologie des lettres de Henri VIII à Anne Boleyn. Celle-ci est la seconde dans le recueil du Vatican, mais elle me semble être la plus ancienne. On la regarde comme étant de mai 1528, je la crois plutôt de

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l'automne 1527. Le recueil du Vatican a été imprimé dans le Pamphleteer, n 42 et 4S.

[19] Concubina enim tua fleri pudica millier nolebat, nxor volebat. Illa cujus amore rex deperibat, pertinacissime negabat sui corporis potestatem. » [Polus ad Regem, p. 176.) L'autorité du cardinal Pôle est plus digne de foi que celle de Sanders.

[20] The love she bare even to the queen, whom she served, that was also a personnage of great virtue. » (Wvatt, dans ses Mémoires de Anne B., p. 428.) s

[21] There was not that freedom of conjunction with one that was her lord and king. » [Ibid.)

[22] Whose persuasion to the contrary, made to the king upon his knees. » (Cavendish, Works, p. 204.) s

[23] I have often kneeled before him in his privy chamber on my knees, the space of an hour or two. » (Cavendish, p. 388.)

[24] Méteren, Hist. des Pays-Bas, folio 20.

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CHAPITRE VII

Prédication de Bilney. On l'arrête. prédication et emprisonnement d'Arthur. Interrogatoire de Bilney. = Lutte entre le juge et l'accusé. Chute de Bilney. Ses tourments. Deux disettes. Arrivée de la quatrième édition du Nouveau Testament. Grande joie

Tandis que ces passions agitaient les palais d’Henri VIII, des scènes plus émouvantes, produites par la foi des chrétiens, remuaient alors la nation. Bilney, animé de ce courage que Dieu donne quelquefois au plus faible, semblait avoir perdu sa timidité naturelle, et prêchait depuis quelque temps avec une énergie apostolique. Il demandait à ses auditeurs de reconnaître d'abord leur condamnation, et puis d'avoir soif de la justice que Jésus-Christ donne [1]. Au témoignage rendu à la vérité, il joignait le témoignage contre l'erreur. « Depuis cinq cents ans, ajoutaitil, il n'y a pas eu un bon pape [2]; il n'y en a pas eu cinquante dans tout le cours des siècles... Les papes prétendent avoir des clefs en leurs mains; oui... je l'accorde, ils ont des clefs... mais ce sont celles de la simonie ! »

A peine descendu des chaires de Cambridge, le pieux Bilney parcourait avec Arthur, son ami, les villes et les bourgs des environs. « Il y a longtemps, disait-il à Wilsdon, que les Juifs et les Sarrasins se seraient convertis sans l'idolâtrie des chrétiens, sans leurs chandelles et leurs images! » Arrivé à Ipswich, où il y avait un couvent de franciscains, il s'écriait : « La robe de saint François, placée autour d'un mort, n'a pas la puissance d'ôter ses péchés... Ecce Agnus Dei qui tollit peccata mundi! » Les pauvres moines, peu versés dans les Écritures, eurent recours à l'Al manach, pour convaincre la Bible d'erreur. « Si saint Paul, dit le frère Jean Brusierd, n'a parlé que d'un seul médiateur, Jésus-Christ, c'est que de son temps il n'y avait pas de saints inscrits au calendrier. Invoquons le Père au nom du Fils, répondit Bilney, cela suffit! Vous ne voulez entendre parler que du Père, toujours du Père, et jamais des saints, reprit le moine ; vous êtes comme un homme, qui à force d'avoir contemplé le soleil, ne voit plus que le soleil [3]!... » En disant ces mots le moine étouffait de colère. « Si je ne savais, continua-t-il, que tous les saints tireront de toi une vengeance éternelle, je te déchirerais de mes ongles et je t'arracherais la vie avec le sang*[4]. » En effet, deux fois les moines escaladèrent la chair et en précipitèrent le frêle Bilney; on l'arrêta et on le conduisit à Londres.

Arthur, au lieu de s'enfuir, se mit à visiter tous les troupeaux que son ami avait évangélisés. «Bonnes gens, leur disait-il, si l'on m'enferme aussi pour la prédication de l'Évangile, il y en a sept mille qui le prêcheront comme je le prêche... Bonnes gens! Bonnes gens![5] (il répétait plusieurs fois ces mots avec l'accent de la douleur), si ces persécuteurs nous tuent, la prédication de l'Évangile ne sera pas arrêtée pour cela. Tout chrétien, même laïque, est un sacrificateur du Dieu vivant. Que nos adversaires s'appuient, pour prêcher, sur l'autorité du cardinal, d'autres sur celle de

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l'université, d'autres sur celle du pape ; quant à nous, nous nous appuierons sur l'autorité même de Dieu. Ce qui sauve une âme, ce n'est pas l'homme qui porte la Parole, c'est la Parole que l'homme «porte. Ni évêques, ni papes, n'ont le droit de défendre à un homme de prêcher l'Évangile [6], et s'ils le tuent, il n'est pas un hérétique, mais un martyr*. [7] » Les prêtres s'indignaient de ces doc trines. Selon eux, il n'y avait point de Dieu hors de leur Église, point de salut hors de leurs sacrifices.

On jeta Arthur dans la même prison que Bilney. Le 27 novembre 1527, le cardinal, l'archevêque de Cantorbéry, un grand nombre d'évêques, de théologiens et de jurisconsultes, s'étant réunis au Chapitre de Westminster, Bilney et Arthur furent amenés devant eux. Mais le premier ministre du roi croyait déroger à sa dignité en s'occupant de misérables hérétiques. A peine Wolsey avait-il commencé l'interrogatoire, qu'il dit en se levant : « Les affaires du royaume m'appellent ; vous contraindrez à l'abjuration quiconque sera trouvé coupable, et vous livrerez les rebelles au pouvoir séculier. »

Après quelques questions faites par l'évêque de Londres, on reconduisit les deux accusés en prison. L'abjuration ou la mort, tel était l'ordre de Wolsey. Mais c'était à Tonslall qu'il avait remis la di rection du procès; Bilney conçut quelque espoir* [8]. Est-il possible, se disait-il, que l'évêque de Londres, l'ami d'Érasme, donne gain de cause aux «moines?... Il faut que je lui dise que c'est le Testament grec de son maître qui m'a amené à la foi. » Là-dessus, l'humble évangéliste, ayant obtenu du papier et de l'encre, se mit à écrire à l'évêque, dans sa triste prison, des lettres admirables qui nous ont été conservées. Tonstall, qui n'é tait pas cruel, en fut profondément ému, et l'on vit alors une lutte étrange : un juge qui voulait sauver l'accusé, et un accusé qui voulait se perdre. Tonstall, en absolvant Bilney, désirait ne pas se compromettre : « Soumettez-vous à l'Église, lui disait-il, car Dieu ne parle que par elle. » Mais Bilney, qui savait que c'est dans son Écriture que Dieu parle, demeurait inflexible. « Eh bien, dit Tonstall en prenant en main les lettres éloquentes du prisonnier, pour la décharge de ma conscience, je remets ces feuilles à la cour. » Il espérait peut-être que ces lettres toucheraient ses collègues ; il se trompait. Il résolut donc de faire un nouvel effort. Le 4 décembre, Bilney étant de nouveau devant l'assemblée : « Abjurez vos erreurs, » lui dit Tonstall.

Bilney ayant fait un signe négatif : « Passez dans la chambre voisine, continua l'évêque, et réfléchissez. » Bilney sortit, et peu après rentra; la joie brillait dans son regard. Tonstall crut avoir remporté la victoire. « Eh bien, lui dit-il, vous revenez donc à l'Église?... » Le docteur répondit avec calme : « Fiat judicium in nomine Domini [9]. Hâtez- vous, reprit l'évêque, voici le dernier moment, vous allez être condamné ! Hœc est a dies quant fecit Dominus, reprit Bilney, exultemus et lœtemur in ea* [10]! » Alors Tonstall, indigné, se couvrit et dit : « ln nomine Patris, et Filii, et Spiritus sancti . . . Exsurgat Deus et dissipentur inimici ejus [11] ! » Puis,

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ayant fait le signe de la croix sur son front et sur sa poitrine : « Thomas Bilney, ditil, je te déclare convaincu d'hérésie. » Il allait prononcer la peine... un dernier espoir le retint; il s'arrêta. Pour le reste de la sentence, nous renvoyons à demain. » Ainsi se prolongeait la lutte entre ces deux hommes, dont l'un voulait marcher à l'échafaud, et l'autre lui faire une barrière de son corps. Voulez-vous rentrer dans le sein de l'Église ? «dit Tonstall le lendemain. J'espère, répondit Bilney, n'en être pas sorti. Allez, dit l'évêque décidé à sauver sa vie, consultez-vous avec vos amis, je vous donne jusqu'à une heure de l'après-midi. » L'après-midi, Bilney faisant la même réponse : « Je vous donne encore deux nuits, continua l'évêque ; samedi, 7 décembre, à neuf heures du matin, la cour attend votre réponse définitive. » Tonstall comptait sur la nuit, ses rêves, ses angoisses, ses terreurs, pour faire revenir Bilney.

Cette lutte extraordinaire en préoccupait plusieurs à la cour comme à la ville. Anne Boleyn, Henri VIII lui-même, suivaient avec intérêt les phases de cette tragique histoire. Qu'est-ce qui va avoir lieu ? disait-on. Cédera-t-il? Le verrons-nous vivre ou mourir? Un jour et deux nuits restaient encore ; tout fut mis en œuvre pour ébranler le docteur de Cam bridge. On se pressait autour de lui ; on l'accablait d'arguments et d'instances; mais une lutte intérieure, plus terrible encore que celle du dehors, agitait le pieux Bilney. « Quiconque voudra sauver son âme, la perdra, » avait dit Jésus. Cet amour égoïste de son âme, qui se retrouve même dans le chrétien avancé, ce moi, qui depuis sa conversion avait été, non absorbé, mais dominé par l'esprit de Dieu, reprenait peu à peu des forces dans son cœur, en présence de l'ignominie et de la mort. Ses amis, qui voulaient le sauver, ne comprenant pas que Bilney tombé ne serait plus Bilney, le conjuraient avec larmes d'avoir pitié de lui-même, et ces larmes amollissaient son cœur.

L'évêque le pressait, et Bilney se disait : « Un jeune soldat tel que moi saurait il mieux les règles de la bataille qu'un vieux guerrier tel que Tonstall? Une imbécile brebis connaîtrait-elle mieux le sentier de la bergerie que le premier pasteur de Londres [12] ? » Ses amis ne le quittaient ni nuit ni jour, et leur funeste affection l'enlaçait; il crut enfin avoir trouvé un compromis qui mettrait sa conscience en repos. « Je conserverai ma vie, dit-il, pour la consacrer au Seigneur. »

A peine cette illusion s'était-elle emparée de son âme, que sa vue se troubla, sa foi se voilà, le Saint-Esprit se retira, Dieu le livra à ses pensées charnelles, et sous prétexte d'être utile à Jésus Christ pendant beaucoup d'années à venir, Bilney lui désobéit dans le moment présent. Ramené le samedi matin, 7 décembre, à neuf heures, devant les évêques, il tomba... (Arthur était tombé avant lui), et tandis que les faux amis qui l'avaient entraîné osaient à peine lever les yeux, l'Église vivante de Christ, en Angleterre, poussait un cri de douleur. Si jamais, disait Latimer, vous êtes exposés à quel que persécution pour la cause de Dieu, abjurez toutes vos amitiés, sans en garder une seule ; car ce sont les amis de Bilney qui l'ont perdu

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[13]. » Le lendemain dimanche, 8 septembre, on plaça Bilney en tête d'une procession, et le disciple dé chu, la tête nue, un fagot sur l'épaule, se tint de bout à la croix de Saint-Paul, en présence du prédicateur qui l'exhorta à la pénitence; après quoi on le reconduisit en prison.

Quelle solitude pour ce malheureux ! Tantôt le? Froides ténèbres de son cachot lui semblaient un feu dévorant ; tantôt il croyait entendre, dans le silence de la nuit, des voix accusatrices. La mort, cet ennemi qu'il avait voulu éviter, fixait sur lui son regard glacé, et le remplissait de frayeur [14]. Il cherchait à fuir l'horrible spectre, mais en vain. Alors les amis qui l'avaient entraîné dans cet abîme arrivaient, et ils s'efforçaient de le consoler ; mais s'ils lui faisaient entendre une douce parole de Jésus Christ, Bilney reculait épouvanté et s'enfuyait au fond du cachot, en jetant un cri, comme s'il eût vu un ennemi armé d'un glaive se jeter sur lui pour l'égorger [15]. Ayant renié la Parole de Dieu, il ne pouvait plus l'entendre. L'imprécation de l'Apocalypse : Montagnes, cachez moi de la colère de l'Agneau! Était la seule parole de l'Écriture qui fût en harmonie avec son âme ; son esprit s'égarait, son sang se glaçait, il succombait à ses terreurs ; il perdait la connaissance, presque la vie, et demeurait inanimé dans les bras de ses amis consternés, à Dieu, s'écriaient ces malheureux qui l’avaient perdu, Dieu, par un juste jugement, livre aux tempêtes de leur conscience ceux qui renient sa vérité ! »

Ce n'était pas la seule douleur de l'Église. A peine Richard Bayfield, l'ancien hospitalier d'Edmonds bury, était-il arrivé chez Tyndale et chez Fryth, qu'il leur avait dit : « Disposez de moi ; vous serez ma tête, et moi je serai votre main; je vendrai dans les Pays-Bas, en France, en Angleterre, vos livres et ceux des réformateurs allemands. »

Bientôt, en effet, Bayfield s'était rendu à Londres. Mais Pierson, ce prêtre qui l'avait une fois rencontré dans Lom bard Street, le découvrit de nouveau et le dénonça à l'évêque. Le malheureux fut conduit devant Tonstall. « Vous êtes accusé, lui dit le prélat, d'avoir affirmé que toute louange est due à Dieu seul, et non aux saints ou aux autres créatures [16]... » Bayfield l'avoua. « Vous êtes accusé d'avoir prétendu que tout prêtre peut prêcher la Parole de Dieu, en vertu de l'autorité de l'Évangile, sans la licence du pape et des cardinaux. » Bayfield l'avoua de même. On lui imposa une pénitence ; puis il fut renvoyé à son monastère, avec ordre de se représenter le 25 avril ; mais il passa la mer et courut chez Tyndale.

Cependant les Nouveaux Testaments vendus par lui et par d'autres restaient en Angleterre. Les évêques contribuant alors pour supprimer les Écritures, comme on l'a fait plus tard pour les répandre, se procurèrent un bon nombre des exemplaires apportés par Bayfield et ses amis [17]. A la disette de la Parole de Dieu vint bientôt s'ajouter celle des vivres ; car le cardinal s'efforçant d'allumer la guerre entre Henri et l'Empereur, les navires flamands ne passaient plus la mer. Aussi, à peine Wolsey

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était-il revenu de son voyage en France, que le maire et les aldermen de la cité accoururent vers lui pour lui exprimer leurs appréhensions.

Ne craignez rien, leur dit-il ; si j'ai trois mesures de froment, l'Angleterre en aura deux, m'a dit le roi de France. » Mais rien n'arrivait, et le peuple allait se livrer à quelque violence, quand tout à coup on vit paraître à l'embouchure du fleuve un grand nombre de voiles. C'étaient des navires allemands et flamands chargés de blé, où de bons habitants des Pays-Bas avaient en même temps caché des Nouveaux Testaments. Un libraire d'Anvers, nommé Jean Raimond ou Ruremonde, du lieu de son origine, avait imprimé une quatrième édition, plus belle que les précédentes, dont chaque page était encadrée en rouge, et qui était enrichie de références et de gravures sur bois. Raimond lui-même s'était embarqué sur l'un de ces navires avec cinq cents exemplaires de son Nouveau Testament [18]. Vers Noël 1527, Le livre de Dieu fut répandu en Angleterre avec le pain qui nourrit le corps. Mais des prêtres et des moines ayant découvert l'Écriture sainte parmi les sacs de blé, en portèrent plusieurs exemplaires à l'évêque de Londres, qui fit jeter Raimond en prison.

Toutefois la plus grande partie de l'édition nouvelle lui échappa. On lisait partout le Nouveau Testament, et la cour elle-même était atteinte de cette contagion.

Anne Boleyn, malgré son riant visage, s'enfermait souvent dans son cabinet, à Greenwich ou à Hampton-Court, et y étudiait l'Évangile. Franche, fière et courageuse, elle ne cachait point le plaisir qu'elle trouvait dans cette lecture ; sa hardiesse étonnait les courtisans et indignait le clergé. Dans la ville on faisait plus encore. On expliquait le Nouveau Testament dans de fréquents conventicules, surtout dans la maison d'un certain Russel, et il y avait une grande joie parmi les fidèles* [19]. « Il suffit d'entrer à Londres, disaient les prêtres, pour devenir hérétique ! » La Réformation s'établissait parmi le peuple avant d'arriver aux classes supérieures.

FOOTNOTES

[1] lit omnes primum peccata sua agnoscant et damnent, deinde esuriant et sitiant justitiam illam. » (Fox, Acts, IV, p. 634.)

[2] These 500 years there hath been no good pope. » [Ibid.,$. 527.)

[3] Look so long upon the sun, that ne can see nothing else but the sun. » (Fox, Acts, IV, p. 129.)

[4] I would surely, with these nails of mine be thy death. »(/6., p. 630.)

[5] Therefore good people! Good people! » (Which words ne often rehearsed, as U were lamenting...) [Ibid., p. 623.) '

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[6] There is neither bishop, nor ordinary, nor yet the pope, that may make any law to hinder any man to preach the Gospel. » (Fox, Acts, IV, p. 623.)

[7] He is not therefore a heretic, but rather a martyr. » (Collyer's Church History, vol. II, p. 26.)

[8] In talem nunc me judicem incidisse gratuler. » (Fox, Acts, IV, P. 033.)

[9] Que le jugement se fasse au nom du Seigneur. »

[10] C'est ici la journée que le Seigneur a faite, égayons-nous et ré jouissons-nous en elle. » (Ps. CXVIU, 24.)

[11] Que Dieu se lève et que ses ennemis soient dispersés. » (Psaume LXVIII,ï.)

[12] 1 An old soldier or a young beginner, the chief pastor of London, or a poor silly shcep. » (Fox, Acts, IV, p. 638.)

[13] Abjure ail your friends. » (Latimer's Sermons, p. 222.)

[14] Had such conflicts with himself, beholding this image of death. » [Ibirt.)

[15] as though a man would run him through the heart with a sword. » [Ibid.)

[16] That ail laud and praise should be given to God alone. » (Fox, Acts, IV, p. 682.)

[17] Contribute certain sums of money. » [Bible Annals, 1, p. 168.)

[18] Fox, Acts, V, p. 27.

[19] The N. T. was read with jjreat application and jov. » (Strype, r, U3.)

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CHAPITRE VIII

La papauté intercepte l'Evangile. Henri consulte More. Consultation ecclésiastique. Les universités. Clarke. La sainte nonne (lu Kent. Wolsey se décide à faire la volonté du roi. Mission auprès du pape. Quatre documents.

Embarras de Charles-Quint. François-Philippe à Madrid. Accablement et résolutions de Charles. Il se détourne de la Réformation. Entrevue d'Angelis et du pape. Knight arrive à Rome. Pratiques et fuite. Traité du pape avec l'Empereur. Le pape s'échappe. Trouble d’Henri VIII. Ordres de Wolsey. Ses supplications.

Le soleil de la Parole de Dieu qui se montrait toujours plus radieux dans le ciel du seizième siècle était suffisant pour dissiper toutes les ténèbres de l'Angleterre ; mais la papauté, comme une immense muraille, en interceptait les rayons. A peine la Grande-Bretagne avait-elle reçu les Écritures en grec et en latin, puis en anglais, que les prêtres les avaient poursuivies avec une ardeur infatigable. Il fallait que la muraille fût abattue pour que le soleil pût pénétrer librement dans l'île des Bretons. Or il se préparait en Angleterre des événements qui devaient faire une grande brèche à la papauté. Les négociations d’Henri VIII avec Clément VII jouent un rôle dans la Réformation. En faisant connaître la cour de Rome, elles détruisirent le respect que le peuple avait pour elle; elles lui enlevèrent cette autorité et cette puissance, comme parle l'Écriture, que la royauté lui avait prêtée ; et le trône du pape une fois tombé en Angleterre, Jésus-Christ y affermit le sien.

Henri, désirant avec ardeur un héritier et pensant avoir trouvé la femme qui devait assurer son bon heur et celui de l'Angleterre, avait formé le dessein de rompre les liens qui l'unissaient à la reine, et, dans ce but il consultait sur son divorce ses plus intimes conseillers. Il y en avait un, surtout, dont il ambitionnait l'approbation; c'était Thomas More. Un jour donc que l'ami d'Érasme se promenait avec son maître dans la belle galerie de Hampton-Court, lui rendant compte d'une mission qu'il venait de remplir sur le continent, le roi l'interrompit brusquement : « Mon mariage avec la reine, dit-il, est contraire aux lois de Dieu, de l'Église et de la nature. » Puis prenant une Bible, il indiqua du doigt les passages en sa faveur [1]. « Je ne suis pas théologien, dit More embarrassé ; que Votre Majesté consulte une assemblée de docteurs. » Warham, sur l'ordre d’Henri, réunit donc à Hampton-Court les plus savants canonisent; mais des semaines s'écoulèrent sans qu'ils pussent s'entendre [2]. La plupart citaient en faveur du roi les passages du Lévitique (XVIII, 16; XX, 21), qui défendent de prendre la femme de son frère* [3].

Mais Fisher, évêque de Rochester, et les autres adversaires du divorce répondaient que, selon le Deutéronome (XXV, S), quand une femme reste veuve sans enfants, son beau-frère doit la prendre pour femme, afin de perpétuer en Israël le nom de son frère. Cette loi ne regardait que les Juifs, » répliquaient les partisans du

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divorce; ils ajoutaient qu'elle avait pour but de maintenir les héritages distincts et les généalogies intactes, jusqu'à la venue du Christ. La constitution judaïque a passé, mais la loi du Lévitique, qui est une loi morale, oblige tous les hommes, dans tous les siècles. »

Les évêques, pour sortir d'embarras, demandèrent que l'on consultât les universités les plus respectées; et des commissaires partirent pour Oxford, Cambridge, Paris, Orléans, Toulouse, Louvain, Padoue, Bologne, munis de sommes destinées à dédommager les docteurs étrangers, du temps et de la peine que ce travail devait leur coûter. On avait ainsi quelque relâche, et l'on allait mettre tout en œuvre pour faire revenir le roi de son dessein. Wolsey, qui le premier avait suggéré à Henri l'idée du divorce, en était maintenant tout effrayé. Il lui semblait qu'un signe de la fille des Boleyn al lait le précipiter de la place qu'il avait si laborieuse ment conquise, et il répandait autour de lui sa mauvaise humeur, tantôt menaçant Warham et tantôt persécutant Pace. Mais craignant de contrarier ou vertement Henri VIII, il fit venir de Paris Clarke, évêque de Bath, et Wells, alors ambassadeur en France. Celui-ci entra dans ses vues, et après avoir prudemment louvoyé, il se hasarda enfin à dire à Henri : « Sire, la marche du procès sera si lente, qu'il faudra plus de sept années pour en finir! En voilà dix-huit que je patiente, répondit froidement le roi, j'en attendrai bien encore quatre ou cinq. [4] »

Le parti politique ayant échoué, le parti clérical fit jouer un ressort d'une autre nature. Une fille, que l'on appelait la sainte nonne 'de Kent, Elisabeth Barton, avait été de bonne heure sujette à des convulsions épileptiques. Le prêtre de sa paroisse, nommé Masters, lui avait persuadé qu'elle était inspirée de Dieu, et s'associant un moine de Cantorbéry, nommé Becking, il s'était mis à exploiter la prophétesse. Elisabeth parcourait les campagnes, en trait dans les manoirs et les couvents, puis tout à coup ses membres se tordant, sa figure s'altérant, un mouvement violent agitant tout son corps, elle proférait des paroles étranges, que la foule ébahie recevait comme des révélations des anges et de la Vierge. Fisher, évêque de Rochester, Abel, agent ecclésiastique de la reine, More lui-même, étaient au nombre des partisans d'Elisabeth Barton. Le bruit du divorce étant parvenu jusqu'à la sainte, un ange lui ordonna de se rendre auprès du cardinal. A peine se trouve-t-elle en sa présence, que ses joues pâlissent, son corps frissonne, elle tombe en extase, et s'écrie : « Cardinal d'York, Dieu a mis trois glaives dans ta main, le glaive spirituel, pour ranger l'Église sous l'autorité du pape; le glaive civil, pour gouverner le royaume; et le glaive de la justice pour empêcher le divorce du roi... Si tu ne manies pas fidèlement ces trois glaives, Dieu t'en demandera compte. [5] » Après ces mots, la pythonisse se retira.

Mais d'autres influences se disputaient alors l'âme de Wolsey. La haine, qui le portait à combattre le divorce, et l'ambition, qui dans son opposition lui faisait voir

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sa ruine. Enfin, l'ambition l'emporta, et il se résolut à faire oublier ses objections imprudentes par l'énergie de son zèle.

Henri se hâta de mettre ce changement à profit. Prononcez vous-même le divorce, dit-il à Wolsey, le pape ne vous a-t-il pas nommé son vicaire général* [6]?» Le cardinal ne se souciait pas de s'avancer autant. « Si c'était moi qui décidait l'affaire, la reine en appellerait au pape, dit-il; il faut donc ou demander au Saint-Père des pouvoirs spéciaux, ou persuader à la reine de se retirer dans un cloître. Et si nous échouons dans l'un ou l'autre de ces expédients, alors nous obéirons aux arrêts de la conscience, même en dépit du pape. [7]»

On résolut de commencer par la tentative la plus régulière, et Grégoire da Casale, le secrétaire Knight et le protonotaire Gambara, furent chargés d'une mission extraordinaire auprès du pontife romain. Da Casale était l'homme de Wolsey et Knight celui d’Henri VIII. « Vous demanderez au pape, dit Wolsey aux envoyés :

1° une commission qui m'autorise à examiner ici cette affaire ;

2° sa promesse de prononcer la nullité du mariage de Catherine avec Henri, si nous reconnaissons que celui de cette princesse avec Arthur a été réellement accompli ;

3° une dispense qui permette au roi de conclure une nouvelle union. »

Wolsey voulait ainsi assurer le divorce, sans porter atteinte à l'autorité papale. On insinuait qu'un faux renseignement donné par l'Angleterre à Jules II, sur l'accomplissement du premier mariage, avait porté ce pontife à permettre le second. Le pape ne s'étant trompé que quant au fait, son infaillibilité était sauve. Wolsey voulut plus encore; sachant qu'on ne pouvait se fier à la bonne foi du pontife, il de manda un quatrième instrument, par lequel le pape s'engagerait à ne jamais rétracter les trois autres; il oublia seulement de prendre ses précautions pour le cas où ce serait le quatrième que Clément rétracte rait. « Avec ces quatre trappes, habilement combi nées, disait le cardinal, j'attraperai le lièvre (il voulait dire le pape) ; s'il échappe à l'une, il a tombera dans l'autre. » On se flattait à la cour d'un prompt dénouement. L'Empereur n'était-il pas l'ennemi déclaré du pontife? Henri VIII, au contraire, ne s'était-il pas constitué protecteur de la ligue clémentine ?

Clément VII, appelé à choisir entre son geôlier et son bienfaiteur, pouvait-il hésiter ? En effet, Charles-Quint se trouvait dans la position la plus embarrassante. Ses gardes se promenaient, il est vrai, en long et en large devant la porte du château Saint-Ange, où Clément était prisonnier, et l'on disait à Rome en souriant : « Maintenant il est vrai de dire : Papa non potest errare. [8] » Mais garder le pape prisonnier dans Rome n'était pas possible : et que faire de lui ? Le vice-roi de Naples proposa à Alarcon, commandant du château Saint Ange, de transporter Clément à Gaëte; mais le colonel espagnol, effrayé, s'écria : « A Dieu ne plaise que je traîne après moi le corps même de Dieu ! » Charles lui-même pensa à faire conduire le

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pontife en Espagne ; mais une flotte ennemie ne pouvait-elle pas l'enlever en route ? Le pape captif embarras sait Charles encore plus que le pape libre.

Ce fut alors que François - Philippe, écuyer de Catherine, ayant échappé aux combinaisons d’Henri VIII et de Wolsey, arriva à Madrid. Il y fut tout un jour en conférence avec Charles-Quint. Ce prince fut d'abord étonné, accablé même des desseins du roi d'Angleterre. La malédiction de Dieu semblait s'appesantir sur sa maison. Déjà sa mère était folle; sa sœur de Danemark, chassée de ses États ; sa sœur de Hongrie, devenue veuve lors de la bataille de Mohacz; les Turcs s'emparaient de ses domaines ; Lautrec était vainqueur en Italie, et les catholiques, irrités de la captivité du pape, détestaient son ambition. Ce n'est pas assez : Henri VIII prétend répudier sa tante, et le pape va naturelle ment donner la main à ce dessein coupable. Charles doit choisir entre le pontife et le roi. L'amitié du roi d'Angleterre pourrait l'aider à rompre la ligue qui prétend le chasser d'Italie, et en sacrifiant Catherine il serait sûr d'obtenir cet appui; mais, placé entre la raison d'État et l'honneur de sa tante, l'Empereur n'hésita pas; il renonça même à certains projets de réforme qu'il avait à cœur. Il se décida tout à coup pour le pape, et dès lors tout prit une direction nouvelle.

Charles, doué de beaucoup de discernement, avait compris son siècle ; il avait vu que des concessions étaient réclamées par les mouvements des esprits, et il aurait voulu opérer la transition du moyen-âge aux temps modernes par une pente habilement ménagée. Il avait en conséquence demandé un concile pour réformer l'Eglise et affaiblir en Europe la domination romaine. Il en arriva tout autrement. Si Charles se détournait d’Henri, il devait se tourner vers Clément; et après avoir fait descendre dans la prison le chef de l'Eglise, il fallait le faire remonter sur le trône. Charles-Quint sacrifia les intérêts de la société chrétienne à ceux de sa famille. Ce divorce, que l'on regarde en Angleterre comme la ruine de la papauté, fut. ce qui la sauva dans l'Europe continentale.

Mais comment l'Empereur gagnera-t-il le cœur du pontife, rempli d'amertume et de colère? Il jeta les yeux pour cette mission difficile sur un moine habile. De Angelis, général de l'Observance espagnole, et lui ordonna de se rendre au château SaintAnge, sous prétexte de négocier la mise en liberté du Saint-Père. On conduisit le cordelier dans la partie la plus forte du château, nommée le roc, où se trouvait Clément ; et ces deux prêtres firent assaut de ruse. Le moine, aidé de l'adroit Moncade, entremêlait habilement la délivrance du pape et le mariage de Catherine. Il assurait que l'Empereur voulait ouvrir au pontife les portes de la prison, et en avait même déjà donné l'ordre [9] ; puis il ajoutait aussitôt :

L'Empereur est décidé à soutenir les droits de sa tante et jamais il ne consentira au divorce * [10]. Si vous êtes pour moi un bon pasteur, écrivit Charles lui-même au pape le 22 novembre, je serai pour vous une bonne brebis. » En lisant ces mots. Clé

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ment sourit; il comprit la situation ; l'Empereur avait besoin du prêtre, Charles était aux pieds de son captif : Clément était donc sauvé ! Le divorce était une corde tombée du ciel, qui ne pouvait manquer de le tirer de la fosse ; il n'avait qu'à se tenir tranquille pour remonter sur son trône. Aussi Clément parut-il dès lors moins pressé de sortir du château, que Charles de l'en délivrer. « Tant que le divorce est en suspens, pensait le rusé Médicis, j'ai deux «grands amis; mais dès que je me serai prononcé pour l'un, j'aurai dans l'autre un ennemi mortel. [11] » Il promit au moine de ne rien décider dans cette affaire sans en avoir prévenu l'Empereur.

Pendant ce temps, Knight, envoyé par l'impatient Tudor, ayant ouï dire, en traversant les Alpes, que le pape était libéré, accourut à Parme où se trouvait Gambara : « Il ne l'est pas encore, ré pondit le protonotaire : mais le général des Franciscains espère, sous peu de jours, faire cesser sa 't captivité Continuez donc votre route, [12]» ajouta-t-il. Ce n'était pas sans de grands dangers que Knight pouvait le faire. « Quiconque n'a pas un sauf conduit ne peut aller à Rome sans exposer sa vie, » lui dit-on à Foligno, à soixante milles de la métropole ; Knight s'arrêta. Sur ces entrefaites, un messager d’Henri VIII lui apporta des dépêches plus instantes que jamais ; Knight partit avec un domestique et un guide.

A Monte-Rotondo, il fut presque assassiné par les habitants; mais le lendemain 25 novembre, protégé par une pluie et un vent impétueux l'envoyé d’Henri entra à dix heures dans Rome sans que personne ne le remarquât et s'y cacha. Impossible de parler à Clément; les ordres de l'Empereur étaient positifs. Knight se mit alors à pratiquer les cardinaux; il gagna le cardinal de Pise, et par son moyen fit parvenir ses dépêches au pontife. Clément les ayant lues, les posa avec un sourire de satisfaction [13]. Bon, dit-il, voici maintenant Vautre qui vient aussi à moi ! » Mais à peine la nuit était-elle arrivée que le secrétaire du cardinal de Pise accourut chez Knight, et lui dit : « Don Alarcon a connaissance de votre arrivée ; et le pape vous conjure de partir aussitôt. » Cet officier venait de s'éloigner, quand le protonotaire Gambara arriva aussi, fort agité. « Sa Sainteté vous presse de vous éloigner, lui dit-il, dès qu'elle sera en liberté, elle fera droit à la requête de Sa Majesté. » Deux heures après, deux cents soldats espagnols arrivèrent, entourèrent la maison où Knight s'était caché, la parcoururent en tous sens, mais inutilement; l'agent anglais s'était échappé [14]*.

La sûreté de Knight n'était pas le vrai motif qui portait Clément à presser son départ. Le jour même où le pape recevait le message du roi d'Angleterre, il signait avec Charles-Quint un traité qui le réintégrait sous certaines conditions dans l'un et l'autre de ses pouvoirs. En même temps le pape, pour puis de sûreté, faisait dire au général fiançais Lautrec, de hâter sa marche sur Rome, afin de le sauver des mains de l'Empereur. Clément, disciple de Machiavel, donnait ainsi la main droite à Charles, la main gauche à François Ier, et n'en ayant pas d'autre pour Henri VIII,

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lui faisait faire de bouche les promesses les plus positives. Chacun de ces trois princes pouvait au même titre compter sur l'amitié du pontife.

C'était le 10 décembre que devait finir la captivité de Clément; mais il préférait devoir sa liberté à l'intrigue plutôt qu'à la générosité de l'Empereur, il se procura donc un habit de marchand, et la veille du jour fixé pour sa délivrance, sa consigne étant déjà fort adoucie, il s'évada du château, n'ayant que Louis de Gonzague pour l'accompagner dans sa fuite, et il se rendit à Orviéto.[15]

Tandis que Clément éprouvait toute la joie d'un homme qui s'est échappé de sa prison, Henri semblait être dans l'agitation la plus vive. Ayant cessé d'aimer Catherine, il se persuadait qu'il était la victime de l'ambition de son père, le martyr du devoir, le champion de la sainteté conjugale. Sa dé marche décelait son ennui, et même au milieu des conversations de la cour, des soupirs s'échappaient de sa poitrine. Il avait de fréquentes entrevues avec Wolsey. [16] « Je regarde avant tout au salut de mon âme lui disait-il; mais aussi à la sûreté de mon royauté. Déjà depuis longtemps un remords in cessant déchire ma conscience, [17] et ma pensée s'arrête sur mon mariage avec une inexprimable douleur* [18]. Dieu, dans son indignation, m'a enlevé mes fils, et si je persiste dans cette union illégitime, il me poursuivra par des châtiments plus terribles encore [19]. Mon seul espoir est dans le Saint-Père...»

Wolsey s'inclinait profondément et répondait : « Sire, je m'occupe de cette affaire, comme si elle était pour moi le seul moyen de gagner le ciel. » Et en effet il redoublait d'efforts. Il écrivait à Da Casale, le 5 décembre : « A tout prix, parvenez jusqu'au pape. Déguisez-vous, présentez-vous comme le domestique de quelque seigneur * [20], ou comme un messager du duc de Ferrare. Distribuez l'argent à pleines mains; sacrifiez tout, pourvu qu'on vous procure un entretien secret avec Sa Sainteté; dix mille ducats sont à votre disposition. Vous ex poserez à Clément les scrupules du roi, et la nécessité de pourvoir à la perpétuité de sa race et à la paix de son royaume. Vous lui direz que le roi est prêt, pour lui rendre la liberté, à déclarer la guerre à l'Empereur, et à se faire connaître ainsi à tout l'univers comme le vrai fils de l'Eglise. »

L'essentiel, Wolsey le comprenait, était de présenter le divorce à Clément VII, comme propre à assurer le salut de la papauté. Le cardinal écrivit donc à Da Casale, le 6 décembre : « Nuit et jour, je tourne et retourne .en mon âme l'état actuel de l'Eglise et je cherche les moyens les plus propres à retirer le pape de l'abîme où il est tombé. Tandis que je roulais en moi-même ces pensées au milieu des veilles de la nuit... un moyen s'est offert tout à coup à mon esprit. Il faut, me suis-je dit, porter le roi à prendre la défense du Saint-Père. Ce n'était pas chose facile, car le roi est fortement attaché à l'Empereur [21]; toutefois, je me suis mis à l'œuvre. J'ai dit au roi que Sa Sainteté était prête à le satisfaire; j'y ai engagé mon honneur; j'ai

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réussi [22]... Le roi sacrifiera, pour sauver le pape, ses trésors, ses sujets, son royaume, même sa vie [23]... Je conjure donc Sa Sainteté d'accueillir notre juste demande... » Jamais de si vives instances n'avaient été faites à la papauté.

FOOTNOTES

[1] Layd the Bible open before me and showed me the words. » (More to Cromwell. Strype, I, 2 P., p. 197.)

[2] Consulting from day to day and time to time. » (Cavendish, p. 209.)

[3]Ex his doctoribus asseritur quod Papa non potest dispensare in primo gradu afflnitatis. » (Burnet, Record, l, p. 12.)

[4] Since his patience had already held out for eighteen years. » (Collyers, I, p. 24.)

[5] God would lay it sore to his charge. » (Strype, I, lre P., p. 279.

[6] Quand, par des motifs assez semblables, Napoléon voulut se séparer de Joséphine, craignant comme Henri VIII la mauvaise volonté du pape, il forma comme lui le dessein de se passer du pontife et de faire annuler son mariage par les évêques de son empire ; plus puissant, il y réussit.

[7] Quid possit clam fleri qnoad forum conscipntife. » (Collyers, II, P- 84.)

[8] Le pape ne peut errer. » (Jeu de mots, résultant des deux sens de l'expression, en latin comme en français.)

[9] La Caesarea Majesta si corne grandamente desidera la liberatione de nostro signor, cosi eflicacemente la manda. » [Capituli, etc., Le Grand, III, p. 48.)

[10] That in any wise he should not consent to the same. » (SMt papers, VII, p. 29.)

[11] Quod sperabat intra paucos dies auferre suae Sanctitati squalo rem et tenebras. » [State papers, VII, p. 13.)

[12] Veari trobelous with wynde and rayne and therefore more met for our -voyage. » [Ihid., p. 16.)

[13] Reopened the same saufly, as Gambara schewed unto me. » [State papers,f. 17.)

[14] I was not passed out of Home by the space of two hours; ère 200 Spaniards invaded and searched the house. » (Burnet, Records, I, p. 22.)

[15] Variis crebrisque cum regia majestate habitis sermonibus. » (Burnet, Records, l, p. 11.)

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[16] Deumque primo et ante omnia ac anima? suae quietem et salu tem respiciens. » [Ibid.)

[17] Longo jam tempore intimo suœ conscientiae remorsu. » (Burnet, Records, I, p. 11.)

[18] Ingenti cum molestia cordisque perturbatione. » [Ibid.)

[19] Gra-viusque a Deo supplicium expavescit. » [Ibid., p. 13.)

[20] Mntato habitii nt tanqnam alicujus minister. » [Ibid.)

[21] Diuque ac noctu mente volveus quo pacto.. . » [State papers, VII, p. 18.)

[22] Adeo tenaciter Caesari adhœrebat. » [llrid.)

[23] Usque ad mortem. » [Ibid., p. 19.)

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CHAPITRE IX

Les envoyés d'Angleterre à Orviéto Leur discours au pape. Clément gagne du temps. Les Anglais chez «QuatriSanti» Ruse du pape. Knight la découvre et revient. Les transformations de l'Antéchrist. Les Anglais obtiennent un nouveau document. Nouvelle ruse. Demande d'un second cardinal-légat. Nouvel expédient du pape. Fin de la campagne.

C'était donc comme sauveurs de Rome, que se présentaient les envoyés du roi d'Angleterre. Ceci n’était sans doute pas une ruse; et Wolsey regardait probablement comme venant du ciel cette pensée qui s'était présentée à lui dans l'une de ses longues insomnies. Le zèle de ses agents redoubla. A peine le pape fut-il en liberté, que Knight et Da Casale se présentèrent au pied du rocher escarpé sur lequel est bâti Orviéto, et demandèrent à être introduits auprès de Clément VII. Rien n'était plus compromettant pour le pontife qu'une telle visite. Comment paraître en bonne amitié avec l'Angleterre, quand Rome et tous ses États sont encore aux mains du neveu de Catherine d'Aragon? Le pape eut l'esprit bouleversé par la demande des deux envoyés. Il se remit toutefois; repousser la main puissante que l'Angleterre lui tendait, avait aussi son péril ; et comme il savait à merveille mener à bonne fin une négociation difficile, Clément reprit confiance en son habileté, et donna l'ordre d'introduire les envoyés d’Henri VIII.

Leur discours ne fut pas sans éloquence. « La” h mais l'Église ne s'est trouvée dans un état plus critique, dirent-ils. L'ambition démesurée des rois qui prétendent disposer à leur gré des choses spirituelles (ceci regardait Charles-Quint), tient suspendu au-dessus de l'abîme le navire apostolique. Le seul port qui lui soit ouvert au sein de a la tempête, c'est la faveur de l'auguste prince que nous représentons, et qui a toujours été le bouclier de la foi. Mais, hélas ! Ce monarque, boulevard imprenable de Votre Sainteté, est lui-même pour suivi par des tribulations qui égalent presque les vôtres. Sa conscience déchirée par les remords, sa couronne sans héritier, son royaume sans sécurité, son peuple exposé de nouveau à des troubles perpétuels... Que dis-je? Le monde chrétien tout entier livré à la plus cruelle discorde ...[1]

Voilà les conséquences d'une union fatale, que Dieu a frappée de sa réprobation... Il est même, ajoutèrent-ils en baissant la voix, il est des choses dont Sa Majesté ne peut vous parler dans sa lettre. . . certains malheurs. . . d'incurables maux dont la reine est atteinte, qui ne permettent pas au roi de la regarder jamais comme son épouse [2]. Si Votre Sainteté met fin à de telles misères en rom pant d'illégitimes nœuds, elle s'attachera ainsi Sa Majesté par d'indissolubles liens. Travaux, richesses, armées, couronne, vie même, le roi notre maître est prêt à mettre tout au service de Rome. Il vous tend la main, très saint Père... tendez-lui la vôtre; par votre union, l'Église sera sauvée, et l'Europe avec elle. »

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Clément était dans le plus cruel embarras. Sa politique consistait à tenir l'équilibre entre les deux princes, et l'on exigeait qu'il se décidât pour l'un d'eux. Il commença à regretter d'avoir reçu les ambassadeurs d'Henri VIII. « Considérez l'état où je me trouve, leur dit-il, et suppliez le roi d'at tendre que des événements plus favorables me laissent la liberté d'agir. Eh quoi ! répliqua fièrement Knight, Votre Sainteté n'a-t-elle pas promis de faire droit à la requête de Sa Majesté? Si vous manquez maintenant à votre promesse, comment pourrais-je persuader au roi que vous la remplirez un jour* [3]? » Da Casale crut alors que le moment était arrivé de porter un coup décisif. Que de maux, s'écria-t-il, que d'inévitables douleurs votre refus va enfanter!...[4] L'Empereur ne pense qu'à enlever à l'Église son pouvoir, et le roi d'Angleterre seul a juré de le lui maintenir... » Puis, parlant plus bas, plus lentement, et appuyant sur chaque mot . . . : « Nous craignons, continua-t-il, que Sa Majesté, réduite à de telles extrémités..., de deux maux ne choisisse le moindre [5], et qu'appuyée sur la pureté de ses in tentions, elle ne fasse de sa propre autorité... ce que maintenant elle demande avec tant de respect... Que verrions-nous alors?...

« Je frémis à cette pensée... Ah! Que Votre Sainteté ne se livre pas à une sécurité qui l'entraînerait infailliblement dans l'abîme... Lisez tout... remarquez tout... devinez tout... prenez note de tout*... [6] Très saint Père, ceci est une question de vie ou de mort! » Et l'accent de Da Casale disait beaucoup plus encore que ses paroles.

Clément comprit qu'un refus positif l'exposerait à perdre l'Angleterre. Placé entre Henri et Charles Quint, comme entre l'enclume et le marteau, il résolut de gagner du temps. « Eh bien, dit il à Knight et à Casale, je ferai ce que vous me demandez; mais je ne connais pas bien les formes que ces dispenses doivent avoir... Je consulterai à ce sujet le cardinal Quatri Santi... puis je vous en informerai. »

Da Casale et Knight, voulant devancer Clément VIl, coururent chez Laurent Pucci, cardinal Quatri Santi, et lui firent comprendre que leur maître saurait être reconnaissant. Le cardinal assura les députés de son affection pour Henri VIII, et ceux-ci, pleins d'espérance, lui présentèrent les quatre documents dont ils demandaient l'expédition. Mais à peine le cardinal eut il lut le premier, le projet qui chargeait Wolsey de décider en Angleterre l'affaire du divorce, qu'il s'écria : « Impossible ! . . . Une bulle ainsi conçue couvrirait d'un éternel déshonneur Sa Sainteté, le roi et le cardinal d'York lui-même!... » Les députés étaient fort embarrassés, car Wolsey leur avait prescrit de ne demander au pape que sa signature [7]. Ils se remirent pourtant. « Tout ce que nous voulions, dirent-ils, c'est une commission suffisante. » De son côté, le pape écrivit à Henri VIII une lettre où il trouva moyen de ne rien dire.

Des quatre documents demandés, il en était deux sur l'envoi immédiat desquels Knight et Da Casale insistaient : c'était la commission pour prononcer le divorce, et la dispense pour conclure dans ce cas un second mariage. [8] La dispense sans la

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commission était un papier de nulle valeur ; le pape le savait bien ; aussi résolut-il de ne donner que la dispense; c'était comme si Charles -Quint avait accordé à Clément captif la liberté de se rendre auprès de ses cardinaux, mais en lui refusant celle de quitter le château Saint-Ange. C'est ainsi qu'un système religieux qui se transforme en un système politique, lorsqu'il n'a pas la force, a recours à la ruse. « La commission, dit à Knight l'adroit Médicis, doit être corrigée selon le style de notre cour, mais voici la dis pense. » Knight saisit le document. « Nous vous accordons, y était-il dit à Henri VIII, pour le cas où votre mariage avec la reine Catherine serait déclaré nul [9], licence de vous unir à une autre femme, pourvu qu'elle n'ait pas été l'épouse de votre frère... «L'Anglais fut dupe de l'Italien, Selon mon pauvre jugement, dit-il, cet acte doit nous être utile ! »

Alors Clément parut ne plus se préoccuper que de la santé de Knight, et lui témoigna tout à coup le plus vif intérêt. « Il est bon que vous hâtiez votre départ, lui dit- il, car il est nécessaire que vous voyagiez à votre aise. Gambara vous suivra en courant la poste, et vous apportera la commission. » Knight, ainsi mystifié, prit congé du pape, qui se débarrassa de la même manière de Da Casale et de Gambara. Alors il commença à respirer. Il n'était pas de diplomate en Europe que Rome, même dans sa plus grande faiblesse, ne pût facilement abuser.

Il fallait maintenant éluder la commission. Tandis que les envoyés du roi s'en allaient débonnaire ment, comptant sur le document qui devait les suivre, le général de l'Observance espagnole répétait sur tous les tons au pontife : « Gardez-vous de livrer un acte qui autorise le divorce, et surtout ne permettez pas que l'on juge cette affaire dans les Étals du roi Henri. » Les cardinaux rédigèrent le document sous l'influence d'Angelis, et firent un chef-d'œuvre d'insignifiance. Si la bonne théologie ennoblit le cœur, la mauvaise, si féconde en subtilités, donne à l'esprit une habileté peu commune ; aussi les plus célèbres diplomates ont-ils été fort souvent des hommes d'Église. La pièce ainsi rédigée, le pape en expédia trois exemplaires, à Knight, à Da Casale et à Gambara.Knight était près de Bologne quand le courrier l'atteignit. Il fut stupéfait, et prenant des chevaux de poste, il retourna en toute hâte à Orviéto. [10] Gambara se rendit par la France en Angleterre avec la dispense inutile que le pape avait accordée.

Knight avait cru trouver plus de bonne foi à la cour du pape qu'à celle des rois, et on l'avait joué. Qu'allaient dire de sa sottise et Wolsey et Henri VIII ? Son amourpropre blessé commençait à lui faire croire tout ce que Tyndale et Luther disaient de la papauté. Le premier venait justement de publier l'Obéissance du chrétien et l'Injuste Mammon, où il représentait Rome comme l'une des transformations de l'antéchrist. « L'antéchrist, y disait-il, n'est pas un homme qui apparaîtra tout à coup avec de grands miracles ; c'est un être spirituel qui était sous l'Ancien Testament, qui a été du temps de Christ et des apôtres, qui est maintenant, et qui sera, je n'en doute pas, jusqu'à la fin du monde. S'il est vaincu par la Parole de Dieu,

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il cesse, pour un temps, son terrible jeu et se retire, mais il revient bientôt avec un nouvel habit et sous un nouveau nom. [11] Nous voyons d'abord dans l'Église des scribes, des pharisiens, des anciens; ensuite des papes, des cardinaux, des évêques; ce n'est pas le même nom, mais c'est la même chose. L'antéchrist n'en restera pas là, et quand nous l'aurons mis dehors, il changera encore une fois d'apparence et reviendra en ange de lumière. Déjà la Bête, voyant qu'on la poursuit, rugit et cherche à de nouvelles cavernes où elle puisse cacher sa honte et se transformer de nouveau. » Cette pensée, d'abord paradoxale, s'insinuait peu à peu dans les esprits. Les Romains, par leurs pratiques, faisaient accepter aux Anglais les peintures un peu vives des réformateurs. L'Angleterre devait avoir bien d'autres enseignements de cette nature, et apprendre ainsi peu à peu à se passer de Rome, pour sa prospérité et pour sa gloire.

Knight et Da Casale arrivèrent presque en même temps à Orviéto. Clément leur répondit par des soupirs : « Hélas! Je suis prisonnier de l'Empereur! Les impériaux pillent chaque jour des villes et des châteaux dans nos environs *... [12] Malheureux que je suis ! Je n'ai pas un ami, si ce n'est le roi votre maître, et il est loin de moi ! . . . Si je fais mainte nant quelque chose qui déplaise à Charles-Quint, je suis perdu... Signer la commission, c'est signer avec lui une rupture éternelle. » Mais Knight et Da Casale plaidèrent tellement leur cause auprès de Quatri Santi et pressèrent tellement Clément, que le pontife, à l'insu de l'Espagnol De Angelis, leur remit un document plus acceptable, mais non pas encore tel que Wolsey l'avait demandé. « En vous livrant cette commission, dit le pape, je vous livre ma liberté et peut-être ma vie. Je fais taire la prudence et n'écoule que l'amour. Je me confie à la générosité du roi d'Angleterre ; il est le maître de mes destinées... » Puis il se mit à verser des larmes,[13] et sembla près de s'évanouir. Knight, oubliant son dépit, promit à Clément que le roi ferait tout pour le sauver.

: « Ah ! dit Médicis, il «y aurait bien un moyen! Lequel? Demandèrent les agents d’Henri VIII. M. de Lautrec, qui dit chaque jour qu'il arrive, reprit Clément, et qui pourtant n'arrive jamais, n'a qu'à amener promptement l'armée française aux portes d'Orviéto. Alors je pourrai m'excuser en disant que ce général m'a contraint à signer la commission *[14]. Rien de plus facile, répondirent les Anglais; nous allons presser son arrivée. »

Clément n'était pas encore rassuré. Le salut de l'Église romaine ne l'inquiétait pas moins que le sien propre ! . . . Charles pouvait découvrir cette ruse et la faire payer cher à la papauté. Il y avait péril de toutes parts. Si les Anglais parlaient d'indépendance, l'Empereur ne menaçait-il pas d'une réforme.’. . . Les princes de la catholicité, disait-on au pape, sont capables, sans peut-être en excepter un seul, de sou tenir la cause même de Luther, pour satisfaire une coupable ambition [15]. Le pape réfléchit, et retirant sa parole, promit de donner la commission quand Lautrec serait sous les murs d'Orviéto; mais les agents anglais insistèrent pour l'obtenir

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immédiatement. Pour tout concilier, on convint que le pape donne rait l'acte au moment même, mais que dès que l'armée française serait arrivée, il en expédierait une nouvelle copie, portant la date du jour où il aurait vu Lautrec. « Conjurez le roi de tenir secret i l'acte que je vous livre *[16], dit le pape à Knight ; s'il commence le procès aussitôt après l'avoir reçu, je suis perdu pour toujours *[17]. » Ainsi Clément donnait permission d'agir à condition qu'on n’agisse pas. Knight prit congé le 1er janvier 1528, il promit tout ce que le pape voulait, puis craignant quelque nouvelle difficulté, il partit le même jour. Da Casale, de son côté, après avoir offert à Quatri Santi un don de quatre mille couronnes que le cardinal refusa, se rendit auprès de Lautrec, pour lui demander de venir contraindre le pape à signer un acte qui était déjà en route pour l'Angleterre. Mais, tandis que l'affaire paraissait se débrouiller à Rome, elle se compliquait à Londres.

Le projet du roi s'ébruitait, et Catherine s'abandonnait à la plus vive douleur. « Je protesterai, disait-elle, contre la commission donnée au cardinal d'York. N'est-il pas le sujet du roi, le vil flatteur de ses plaisirs ? » Catherine n'était pas seule dans sa résistance; la nation, qui haïssait le cardinal, ne pouvait le voir de bon œil revêtu d'une telle autorité. Pour obvier à cet inconvénient, Henri résolut de demander au pape un autre cardinal, qui serait chargé de terminer l'affaire à Londres, avec ou sans Wolsey.

Celui-ci entra dans cette idée; il est même possible que ce fut lui qui la suggéra, car il craignait fort de porter seul la responsabilité d'un jugement si odieux. II écrivit donc, le 27 décembre, aux agents du roi à Rome : « Obtenez l'envoi d'un légat, et surtout d'un légat habile, facile, traitable,... désireux de mériter la faveur du roi [18], Campeggi, »par exemple. Vous prierez instamment le cardinal élu de voyager en toute diligence, et vous l'assurerez que le roi sera libéral à son égard*.[19] » Knight, arrivé le 10 janvier à Asti, y trouva les lettres qui lui apportaient ces nouveaux ordres. Encore un arrêt! Tantôt c'est le pape qui l'oblige à rétrograder, tantôt c'est le roi. Le malheureux secrétaire d’Henri VIII, valétudinaire, craignant fort la fatigue, déjà défait et abattu par dix pénibles journées, fut de fort mauvaise humeur. Il résolut de laisser Gambara porter en Angleterre les deux documents ; de charger Da Casale, qui n'était pas éloigné du pape, de solliciter l'envoi du légat; et quant à lui, de s'en aller attendre à Turin des ordres ulté rieurs. Si Sa Majesté trouve bon que je retourne à Orviéto, dit-il, je ferai tout ce que ma pauvre carcasse sera en état d'endurer [20]. »

Da Casale, arrivé à Bologne, pressait Lautrec de venir contraindre le pontife à signer l'acte que Gambara emportait déjà ; quand il reçut les nouvelles dépêches, il retourna en toute hâte à Orviéto, et le pape, en apprenant son arrivée, fut fort effrayé. II avait craint de remettre un simple papier, destiné à demeurer secret; et maintenant on lui demandait l'envoi d'un prince de l'Église! Henri n'est donc jamais satisfait! « La mission que vous demandez serait pleine de dangers, répondit-il; mais

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nous avons découvert un autre moyen, seul propre à finir cette affaire. Gardez-vous de dire que c'est moi qui vous l'ai indiqué, ajouta le pape d'un ton mystérieux. Mettez-le sur le compte de Quatri Santi et de Simonetta. » Da Casale était tout oreille.

Il n'y a pas de docteur au monde, poursuivit le pontife, qui puisse mieux juger de cette affaire et de ses circonstances les plus intimes, que le roi lui-même*[21]. Si donc il croit vraiment que sa femme a été la femme de son frère, qu'il charge le cardinal d'York de prononcer le divorce, que sans plus de cérémonies il épouse une autre femme [22]; et puis, qu'il demande après coup la confirmation du consistoire. L'affaire ainsi conclue, je me charge du reste. Mais, dit Da Casale peu satisfait de cette nouvelle intrigue, je dois remplir ma mission, et c'est un légat que le roi demande!... Et qui enverrais-je? s'écria Clément; Da Monte? il ne peut se mouvoir; De Ceesis? il est à Naples. Ara Cœli? Il a la goutte. Piccolomini? il est partisan de l'Empereur... Campeggi serait le meilleur; mais il est à Rome, où il tient ma place, et il ne peut s'en éloigner sans péril pour l'Église. . . » Puis, tout ému, il ajouta : « Je me jette dans les bras de Sa Majesté. Jamais l'Empereur ne me pardonnera ce que je fais. S'il l'apprend, il me citera devant son concile; et il n'aura pas de repos qu'il ne m'ait enlevé la tiare et la vie*... [23] »

Da Casale se hâta de communiquer à Londres le résultat de la conférence. Clément ne pouvant dé nouer le nœud, invitait Henri à le couper. Ce prince hésitera-t-il à employer un moyen si facile, le pape (Clément lui-même le déclare) devant confirmer le tout?

Ici se termine la première campagne d’Henri VIII sur les terres de la papauté. Nous allons voir le résultat de tant d'efforts.

FOOTNOTES

[1] Discordiœ crudelissimae per omnem christianum orbem. » [State papers, VII, p. 19.)

[2] Noimulla sunt secreta S.D.N. secreto exponenda et non eredenda scriptis... ob morbos nonnullos quibus absque remedio regina Iabo rat. » [State papers, VII, p. 19.) '

[3] Perforai the promise once broken. » (Burnet, Records, I, p. 23.)

[4] Da Casale et Knight, voulant devancer ClémentVIl,

[5] Ex duobus malis minus malum eligat. » [State pap., VII, p. 20.)

[6] Dt non gravetur, cuncta legere et bene notare. » [Ibid., p. 18.)

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[7] Alia nulla re esset opus, praeterquam Ej us Sanctitatis signature.» (State papers, VU, p. 29.)

[8] Charissime in Christo fili, etc., » du 7 décembre 1527. [Ibid., VU, p. Î7.)

[9] Matrimonium cum Catharina nullum fuisse et esse declarari. » (Herbert's Henri VIII, p. 280.)

[10] I returned unto Orvieto with post horses. » (Burnet, Records, I, p. 23.)

[11] To corne again with a new name and new raiment. » (Preface to the Wicked Mammon. Tynd., Works, I, p. 80.)

[12] The cœsarian have taken, within these three days, two castles lying within six miles of this. » (Burnet, Records, p. 23.)

[13] Cum suspiriis etlacrymis. » (Burnet, Records, I, p. Î1.)

[14] And by this colour he would cover the matter. » [Ibid.)

[15] Non potest Sua Sanctitas sibi persuadera ipsos principes (ut forte aliqui jactant) assumpturos sectam Lutheranam contra Ecclesiam. » [State papers,X\l, p. 47.)

[16] Beseke your Highness to kepe secret the commission. » [Ibid., p. 36.)

[17] Is fully in your puissance with pubiishing of the commission to destroye for ever. » [Ibid.)

[18] Eruditus, indifferens, tractabilis, de regia majestate bene me rendi cupidus. » [State papers, VII, p. 33.)

[19] Regia majestas sumptus, labores, atque molestias libcralissime compenset. » [Ibid., p. 34.)

[20] I shall do as niush as my poor carcase may endure. » (Burnet, Records, 24.)

[21] Nullus doctor in mundo est, qui de hac re melius decernere possit quam ipse rex. » [Ibid., p. Î5.)

[22] Aliam uxorem ducat. » (Burnet, Records, ï, 25.)

[23] Vocabit eum ad concilium, vel nihil aliud quaret, nisi ut eum omni statu et vita privet. » [Ibid., p. 26.)

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CHAPITRE X

Désappointement en Angleterre. Déclaration de guerre à Charles-Quint. Wolsey veut le faire déposer par le pape. Nouveau projet. Envoi de Fox et de Gardiner. Leur arrivée à Orviéto. Leur première entrevue avec Clément. Le pape lit un livre d’Henri. Menaces de Gardiner et promesse de Clément. Le Fabius moderne. Nouvelle entrevue et nouvelles menaces. Le pape n'a pas la clef. Proposition de Gardiner. Difficultés et délais des cardinaux. Gardiner porte les derniers coups. Revers de Charles-Quint en Italie. Terreur et concession du pape. La commission est accordée. Wolsey exige l'engagement.

Une porte de derrière. Angoisses du pape

Jamais on ne vit un désappointement plus complet que celui d’Henri et de Wolsey après l'arrivée de Gambara et de sa commission ; le roi était en colère, et le cardinal plein de dépit. Ce que Clément appelait le sacrifice de sa vie, n'était en réalité qu'un morceau de papier bon à jeter au feu. « Cette commission, disait Wolsey, est sans aucune valeur. [1]» «Et memo, reprenait Henri VIII, pour la mettre à exécution, il nous faudrait attendre que les Impériaux eussent quitté l'Italie!... Le pape nous renvoie aux calendes grecques ! » Sa Sainteté, remarquait le cardinal, ne s'engage pas à prononcer le divorce; donc la reine en appellera de notre jugement. Et quand le pape se serait engagé, ajoutait le roi, il suffirait que l'Empereur lui fasse bonne mine, pour qu'il rétractât tout ce qu'il aurait promis. Tout ceci est une fraude ou une dérision, » concluaient le roi et son ministre.

Que faire? Le seul moyen d'avoir Clément pour nous, pensa Wolsey, c'est de se débarrasser de Charles ; il est temps d'abattre son orgueil. Le 21 janvier 1528, il fit donc déclarer la guerre à Charles-Quint par la France et par l'Angleterre. A l'ouïe de ce message, Charles s'écria : « Je reconnais la main qui jette au milieu de l'Europe le brandon de la guerre. Tout mon crime est de n'avoir pas placé le cardinal d'York sur le trône de Saint-Pierre. »

Cette déclaration de guerre ne suffisait pas à Wolsey; l'évêque de Bayonne, ambassadeur de France, le voyant un jour assez échauffé [2], lui dit à l'oreille : Les papes autrefois pour moindres occasions ont déposé des empereurs... » La déposition de Charles eût délivré le roi de France d'un rival fort importun ; mais Du Bellay, ayant peur de l'initiative dans une entreprise si hardie, en suggérait l'idée au cardinal. Wolsey réfléchissait ; cette pensée ne lui était pas encore venue. Il attira l'ambassadeur dans l'embrasure d'une fenêtre, et là lui jura bien étroit, dit l'ambassadeur, qu'il serait content de s'employer jusqu'au bout à faire déposer Charles-Quint par le pape : « Nul mieux que vous, reprit l'évêque, ne pourra engager Clément à le faire. J'y emploierai tout mon crédit, » repartit Wolsey ; et les deux prêtres se séparèrent.

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Cette idée lumineuse ne quittait plus le cardinal. Charles lui a enlevé la tiare; il lui répondra en lui enlevant la couronne. Œil pour œil et dent pour dent. Le doyen de rote Staphiléo, alors à Londres, toujours plein de ressentiment contre l'auteur du sac de Rome, accueillit favorable ment l'ouverture que lui fit Wolsey; enfin l'envoyé de Jean Zapolya, roi élu de Hongrie, appuya le projet. Mais les rois de France et d'Angleterre trouvèrent quelques difficultés à mettre ainsi le trône des rois à la disposition des prêtres. Il paraît cependant que le pape fut sondé à ce sujet ; et si l'Empereur avait été battu en Italie, il est probable que la bulle eût été fulminée contre lui. Son épée sauva sa couronne, et le dessein des deux évêques échoua.

On se mit à chercher, dans le conseil du roi, des moyens moins héroïques. « Il faut poursuivre l'affaire à Rome, » disaient les uns. Non, disaient d'autres, en Angleterre! Le pape craint trop l'Empereur pour prononcer lui-même le divorce. [3]»

Si le pape craint l'Empereur plus que le roi d'Angleterre, s'écria l'orgueilleux Tudor, nous saurons bien lui mettre l'esprit en repos. [4]» Ainsi, à la première contradiction, Henri portait la main sur son épée, et menaçait de couper la corde qui attachait son royaume au trône du pontife italien.

J'ai trouvé ! dit enfin Wolsey ; il faut combiner les deux avis, juger l'affaire à Londres, et lier en même temps le pontife à Rome. » Puis, l'habile cardinal proposa un projet de bulle, où le pape, en déléguant son autorité à deux légats, déclarait que les actes de cette délégation [5]* auraient une vertu perpétuelle, dussent même des décrets contraires émaner plus tard de son infaillible autorité. On décida une nouvelle mission pour l'accomplissement de ce hardi dessein.

Wolsey, irrité de la sottise de Knight et de ses collègues, voulait des hommes d'une autre trempe. Il jeta donc les yeux sur son secrétaire, le docteur Etienne Gardiner, homme actif, intelligent, souple, rusé, savant canonisé, désireux de la faveur du roi, et qui, par-dessus tout cela, était bon catholique romain, ce qui, à Rome, avait aussi son utilité.

Gardiner était en diminutif l'image vivante de son maître. Aussi le cardinal l'appelait-il la moitié de moi-même [6]. On lui adjoignit le grand aumônier Edouard Fox, homme modéré, considéré, ami particulier d’Henri, et avocat zélé du divorce. Fox fut nommé le premier dans la commission, mais on con vint que le chef réel de l'ambassade serait Gardiner. « Répétez sans cesse, leur dit Wolsey, que Sa Majesté ne peut faire autrement que de se séparer delà reine. Prenez chacun par son faible. Déclarez au pape que le roi s'engage à le défendre contre l'empereur; et aux cardinaux que leurs services seront royalement rétribués* [7]. Si tout cela ne suffit pas, que l'énergie de vos paroles donne au pontife une appréhension salutaire. »

Fox et Gardiner, après avoir été reçus gracieuse ment à Paris par François Ier, arrivèrent le 20 mars à Orvieto, après bien des détresses, et les habits en désordre, en sorte que personne ne les eût pris pour des ambassadeurs de Henri VIII. « Quelle

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ville ! disaient-ils à leur tour, en traversant les rues, quelles ruines! Quelle misère ! Certes, on l'a bien appelée Orvieto, Urbs vêtus ! » L'état de la ville ne leur donnait pas une haute idée de l'état de la papauté, et ils s'imaginaient qu'avec un pontife si pauvrement logé, leur négociation devait être facile. Je vous donne ma maison, leur dit Da Casale, chez lequel ils se rendirent, ma chambre, mon propre lit ; » et comme ils faisaient quelques façons : « Impossible de vous loger ailleurs ; j'ai même dû emprunter ce qui était nécessaire pour vous recevoir. [8]» Da Casale les pressant de quitter leurs babils qui dégouttaient encore (ils venaient de traverser une rivière sur leurs mulets), ils répondirent qu'obligés de courir la poste, ils n'avaient pu prendre d'autres vêtements. « Hélas ! dit Casale, que faire? Il est fort peu de personnes à Orvieto qui aient un babil de rechange [9] ; les marchands même n'ont pas d'étoffes à vendre ; Orvieto est une vraie prison. On dit que le pape y est en liberté. Belle liberté vraiment! La disette, le mauvais air, le mauvais logement, et mille autres incommodités, tiennent le saint -père plus à l'étroit que quand il était au château Saint-Ange. Aussi, me disait-il l'autre jour, mieux être prisonnier à Rome que libre ici. [10] »

Deux jours après, on apporta pourtant des habits aux agents d’Henri ; et se trouvant alors en état de se montrer, ils eurent le lundi 22 mars, après le dîner, leur première audience.

Da Casale les conduisit près d'un vieux bâtiment en ruine. « C'est ici, dit-il, que Sa Sainteté de meure. » Ils se regardèrent fort étonnés, passèrent par-dessus les décombres, traversèrent trois chambres dont les plafonds étaient enfoncés, les murailles nues, les fenêtres sans rideaux, et où trente personnes n'ayant ni mine ni façon, » se tenaient debout contre le mur, en guise d'ameublement [11]. C'était la cour du pape.

Enfin, les ambassadeurs arrivèrent dans la chambre du pontife, et lui remirent les lettres d’Henri VIII. Votre Sainteté, dit Gardiner, en envoyant au roi une dispense, a ajouté que si cet acte n'était pas suffisant, elle s'empresserait d'en donner un meilleur. C'est la grâce que le roi vous demande. » Le pape, embarrassé, chercha à pallier son refus. On assure, dit-il, que le roi est entraîné dans cette affaire par une inclination secrète, et que la dame qu'il aime est loin d'être digne de lui... »

Gardiner répondit fermement : « Le roi veut en effet se marier après son divorce, pour donner un héritier à sa couronne; mais la femme qu'il se propose de prendre est animée des plus nobles sentiments; le cardinal d'York et toute l'Angleterre rendent hommage à ses vertus*. [12]» Le pape parut convaincu. Au reste, continua Gardiner, le roi a écrit lui-même un livre sur les motifs de son divorce. Eh bien, venez demain me le lire, dit Clément. » Le lendemain, à peine les Anglais avaient-ils paru, que Clément prit le livre de Henri, se pro mena dans la chambre en le feuilletant, puis s'assit sur un long banc couvert d'un vieux tapis, « qui ne valait pas

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vingt sous, » dit un chroniqueur, et lut tout haut le livre. Il comptait à haute voix le nombre des arguments; il faisait des objections comme si Henri était présent, et les accumulait sans attendre de réponse. « Les mariages défendus dans le Lévi tique, dit-il d'un ton bref et rapide, sont permis dans le Deutéronome ; et le Deutéronome venant après le Lévitique, c'est au Deutéronome qu'il faut s'en tenir! Il s'agit de l'honneur de Catherine et de l'empereur, et le divorce susciterait une terrible guerre [13] !... » Le pape ne cessait de parler, et si l'un des Anglais voulait lui répondre : Silence ! » Disait-il, et il continuait sa lecture. Excellent livre ! dit-il pourtant d'un ton courtois, quand il eut fini; je le garde pour le relire, à loi sir. » Alors Gardiner ayant présenté une copie de la commission que Henri demandait : « Il est trop tard pour nous en occuper, répondit Clément; laissez-la-moi. Il faut se presser, ajouta Gardiner. Oui, oui, je le sais, répondit le pape. » Tous ses efforts allaient tendre à tirer l'affaire en longueur.

Le 28 mars, à trois heures, on introduisit les ambassadeurs dans le cabinet où couchait le pape ; les cardinaux Quatri Santi et De Monte, ainsi que le conseiller de rote Simonetta y étaient alors avec lui. Des chaises étaient disposées en demi-cercle, Asseyez-vous, dit Clément, qui se tenait debout au milieu*[14]. Maître Gardiner, dites maintenant ce que vous demandez. Il n'y a de débat entre nous, dit Gardiner, que sur une question de temps. Vous vous engagez à confirmer le divorce quand il sera accompli ; et nous, nous vous de mandons de faire avant, ce que vous promettez de faire après. Ce qui est juste un jour ne l'est-il pas un autre ? » Puis élevant la voix, l'Anglais ajouta : a Si Sa Majesté s'aperçoit qu'on n'a pas plus de respect pour elle que pour un homme du commun peuple [15], elle devra faire usage d'un remède que je ne nommerai pas, mais qui ne manquera pas son effet... »

Le pape et ses conseillers se regardèrent en silence '[16] ; ils avaient compris. Alors l'impérieux Gardiner, remarquant l'effet qu'il venait de produire, ajouta d'un ton absolu : « Nous avons nos instructions, et nous sommes décidés à nous y tenir. Je suis prêt à faire tout ce qui est compatible avec mon honneur, s'écria Clément effrayé. Ce que votre honneur ne vous permettrait pas d'accorder, dît le fier ambassadeur, l'honneur du roi mon maître ne lui permettrait pas de vous le demander. » Les paroles de Gardiner devenaient toujours plus impératives. « Eh! bien, dit Clément poussé à bout, je ferai ce que le roi demande, et si l'empereur se fâche, peu m'importe!... » L'entrevue, qui avait commencé par un orage, finit par un rayon de soleil.

Le rayon devait bientôt disparaître; Clément, qui s'imaginait voir dans Henri un Annibal aux prises avec Rome, voulait jouer le temporiseur, le Fabius Cunctator. Bis dat qui cito dat [17], lui dit vivement Gardiner qui remarqua cette manœuvre. « Il s'agit de la loi, répondit le pape, et comme je suis fort ignorant dans cette matière, je dois donner aux docteurs en droit canon le temps nécessaire pour l'éclaircir. Par ses délais, Fabius Maximus a sauvé Rome, répondit Gardiner ; mais vous, par

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les vôtres, vous la perdrez ... [18] Hélas! s'écria le pape, si je donne raison au roi, il me faudra reprendre le chemin de la prison*... [19] C'est de la vérité qu'il s'agit, dit l'ambassadeur; qu'importent les jugements des hommes ! » Gardiner en parlait à son aise, mais Clément trouvait que le château Saint-Ange avait bien son poids dans la balance. « Soyez sûrs, répondit le moderne Fabius, que je ferai pour le mieux. » La conférence se termina ainsi.

Telles étaient les luttes de l'Angleterre avec la papauté, luttes qui devaient finir par une rupture définitive. Gardiner reconnaissait qu'il avait rencontré un adversaire habile ; trop fin pour se laisser aller à la colère, il prit à froid la résolution d'épouvanter le pontife : cela était dans ses instructions. Le vendredi avant le dimanche des Rameaux, il se rendit dans le petit cabinet de Clément, où se trouvaient alors avec le pape, De Monte, Quatri Santi, Simonetta, Slaphiléo, Paul, auditeur de rote, et Gambara. « Impossible, lui dirent les cardinaux, d'accorder une commission décrétale dans laquelle le pape se prononcerait de jure en faveur du divorce, avec promesse de confirmation de facto. » Gardiner insista; mais aucune considération, ni douce, ni poignante [20], ne pouvait ébranler le pontife. L'envoyé jugea que le moment était venu de faire jouer sa plus forte batterie. « Grace perverse! dit-il aux ministres du pontife; au lieu d'être simples comme des colombes, vous êtes pleins de dissimulation et de malice comme des serpents ; promet tant tout en paroles, vous ne tenez rien en effet*[21] ! L'Angleterre sera obligée de croire que Dieu vous a retiré la clef de la connaissance, et que les lois des papes, incertaines pour les papes eux-mêmes, ne sont bonnes qu'à être jetées au feu [22]. Le roi a retenu jusqu'à cette heure son peuple, impatient du joug de la papauté ; mais il va maintenant lui lâcher la bride... »

Il se fit un long et morne silence. Alors l'Anglais, changeant tout à coup de langage, s'approcha avec douceur du pape qui s'était levé, et le conjura à voix basse de bien considérer ce que réclamait de lui la justice. « Hélas ! répondit Clément, je vous le dis encore, je ne suis qu'un ignorant! Selon les maximes du droit canon, le pape porte toutes les lois dans la cassette de son esprit'' [23] ; mais malheureusement Dieu ne m'en a jamais remis la clef! » N'ayant pu échapper par le silence, Clément se sauvait par un bon mot, et, sans trop s'en soucier, prononçait la condamnation de la papauté. S'il n'avait jamais reçu la fameuse clef, il n'y avait pas de raison pour que d'autres pontifes l'eussent possédée. Le lendemain, il trouva une troisième échappatoire. En effet, les ambassadeurs lui ayant déclaré que le roi ferait la chose sans lui, il soupira, tira son mouchoir, s'essuya les yeux, et dit : « Plût à Dieu qu'elle fût déjà faite ! » Médicis faisait entrer les pleurs dans les ressources de la politique.

Nous n'aurons pas la commission décrétale (celle qui devait prononcer le divorce), dirent alors Fox et Gardiner, et elle n'est pas absolument nécessaire. Demandons la commission générale (celle destinée à autoriser les légats à le prononcer), et exigeons une promesse qui tienne lieu de l'acte qu'on nous refuse. » Clément, prêt à

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faire toutes les promesses du monde, jura de confirmer sans délai la sentence des légats. Alors Fox et Gardiner ayant présenté à Simonetta le modèle de l'acte qu'ils demandaient, le doyen le lut, puis le rendit aux Anglais, en disant : « C'est bien, je pense, sauf la fin [24] ; communiquez cette pièce à Quatri Santi. » Le lendemain matin, ils portèrent leur projet à ce cardinal. « Depuis quand, s'écria-t-il, est-ce le malade qui écrit l'ordonnance? J'ai toujours cru que c'é tait le médecin... Nul ne connaît le mal comme le malade lui-même, répondit Gardiner, et ce mal peut être de telle nature que le docteur ne puisse pas prescrire le remède sans prendre l'avis du patient. [25] » Quatri Santi lut la recette, et la rendit en disant : « Ce n'est pas mal, sauf le commencement [26]. Portez cet acte à De Monte et aux autres conseillers. » Ceux-ci n'aimaient ni le commencement, ni le milieu, ni la fin. Nous vous rappellerons ce soir, » dit De Monte.

Deux ou trois jours s'étant écoulés, les envoyés d’Henri se rendirent chez le pape, qui leur montra le projet rédigé par ses conseillers. Gardiner y remarquant des additions, des retranchements, des corrections, le jeta dédaigneusement et dit avec froideur : « Votre Sainteté nous trompe, et elle a choisi ces hommes-là pour être les instruments de sa duplicité. » Clément, effrayé, fit appeler Simonetta ; et après une vive altercation les envoyés, toujours plus mécontents, quittèrent le pape à une heure du matin. [27]

La nuit porta conseil. « Je ne demande, dit, le lendemain, Gardiner à Clément et à Simonetta, « que deux petits mots de plus dans la commission. » Le pape invita Simonetta à se rendre immédiatement auprès des cardinaux; ceux-ci firent savoir qu'ils étaient à leur collation et renvoyèrent au lendemain.

A l'ouïe de ce message épicurien, Gardiner crut qu'il fallait enfin porter les derniers coups. Une nouvelle tragédie commença*[28] : « On nous trompe! s'écria-t-il, on se moque de nous. Ce n'est pas ainsi que l'on gagne la faveur des princes. L'eau mise dans le vin le gâte* [29]; vos corrections affadissent notre document. Ces prêtres ignorants et soupçonneux ont épelé notre projet, comme si un scorpion était caché sous chaque mot.[30] Vous nous avez fait venir en Italie, dit-il à Staphiléo et à Gambara, comme des éperviers que l'on attire en leur montrant de la viande sur le poing [31] , et maintenant que nous voici, l'appât a disparu, et au lieu de nous donner ce que nous avons cherché, on prétend nous endormir par la douce voix des sirènes [32]. »

Puis se tournant vers Clément : « C'est Votre Sainteté qui en répondra, « dit l'envoyé anglais. Le pape soupira et essuya ses larmes. « Dieu a voulu, continua Gardiner dont la voix devenait de plus en plus menaçante, que nous vivions de nos propres yeux la disposition des gens de céans. Il est temps d'en finir. Ce n'est pas un prince ordinaire, c'est, pensez-y bien, le Défenseur de la foi que vous insultez... Vous allez perdre la faveur du seul monarque qui vous protégé, et le siège apostolique,

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déjà chancelant, va s'écrouler, tomber en poudre et disparaître totalement, aux applaudissements de toute la chrétienté. »

Gardiner s'arrêta. Le pape était ému. L'état de l'Italie ne semblait que trop confirmer les prédictions sinistres de l'envoyé d’Henri VIII. Les troupes impériales,

frappées de terreur et poursuivies par Lautrec, avaient abandonné Rome et s'étaient retirées sur Naples. Le général français s'était mis à la poursuite de cette malheureuse armée de Charles

Quint, décimée par la peste et par la débauche; Doria, à la tête de ses galères, avait détruit la flotte espagnole ; Gaëte et Naples restaient seules aux Impériaux; et Lautrec, qui assiégeait Naples, faisait écrire à Henri VIII, le 26 août, que tout se rait bientôt fini. Le timide Clément VII avait suivi avec attention toutes ces catastrophes. Aussi, à peine Gardiner lui eut il dénoncé le danger qui menaçait la papauté, que saisi d'effroi, il pâlit, se leva, étendit les bras avec terreur, comme s'il eût voulu repousser quelque monstre prêt à l'engloutir, et s'écria : « Écrivez ! Écrivez ! Mettez tous les mots que vous voudrez ! »

En parlant ainsi, il parcourait la chambre, levait les mains au ciel, poussait des cris, tandis que Fox et Gardiner, debout et immobiles, le contemplaient en silence ; un vent impétueux semblait remuer les plus profonds abîmes ; les ambassadeurs attendaient que la tempête s'apaisât. A la fin Clément se remit [33], prononça quelques excuses, et congédia les ministres de Henri. Il était une heure après minuit.

Ce n'était ni la morale, ni la religion, ni même une loi de l'Église qui portait Médicis à refuser le divorce ; l'ambition et la peur étaient ses seuls mobiles. Il eût voulu qu’Henri contraignît d'abord l'Empereur à lui restituer son territoire. Mais le roi d'Angleterre, qui se sentait incapable de protéger le pape contre Charles, exigeait pourtant que ce malheureux pontife provoquât la colère de l'empereur. Clément recueillait le fruit du système fatal qui avait transformé l'Église de Jésus-Christ en une triste combinaison de politique et de ruse. Le lendemain, la tempête étant décidément tombée [34], Quatri Santi corrigea la commission. Elle fut signée, munie du sceau de plomb pendant à un fil de chanvre, puis remise à Gardiner. Celui-ci la lut. Elle était adressée à Wolsey, et l'autorisait, pour le cas où il reconnaîtrait la nullité du mariage de Henri VIII, à prononcer judiciairement la sentence de divorce, mais sans bruit, et sans apparence de jugement*[35] ; il pouvait pour cela s'adjoindre quelque autre évêque anglais. Tout ce que nous pouvons, vous le pouvez, disait le pape. Nous doutons fort, dit, après avoir lu cette bulle, l'exigeant Gardiner, que cette commission, sans les clauses de confirmation et de révocation, satisfasse Sa Majesté; mais nous ferons tout ce qui sera en notre pouvoir pour qu'elle l'accepte. Surtout, dit le pape, ne parlez pas de nos altercations. »

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Gardiner, en discret diplomate, ne manqua pas de tout écrire par le menu dans des lettres en chiffres desquelles nous avons tiré ces détails. Dites au roi, continua Médicis, que cette commission est de ma part une déclaration de guerre à l'Empereur, et que je me place en conséquence sous la royale protection de Sa Majesté. » Le grand aumônier d'Angleterre partit pour Londres avec le précieux document.

Mais à un orage en succédait aussitôt un autre. Il n'y avait pas longtemps que Fox avait quitté Rome, quand arrivèrent de nouvelles lettres de Wolsey, qui exigeait le quatrième des actes primitivement requis, engagement de confirmer à Rome tout ce que les commissaires pourraient décider en Angleterre. Gardiner devait s'y employer opportune et importune ; on n'avait gardé de se contenter de la promesse verbale du pape : il fallait cet acte, le pape fût-il malade, fût-il mourant, fût-il mort. [36] « Ego et rex meus, nous vous le commandons, disait Wolsey ; ce divorce nous tient plus à cœur que vingt papautés*. [37] » L'agent anglais revint à la charge. « Puisque vous refusez la décrétale, dit-il, raison de plus pour que vous ne refusiez pas V engagement. » Nouveaux combats; nouvelles larmes. Clément céda encore; mais les Italiens, plus fins que Gardiner lui-même, réservèrent dans l'acte une porte de derrière, par laquelle le pontife pouvait s'échapper. Le messager Thaddée porta à Londres ce document; et Gardiner se rendit d'Orvieto à Rome, pour conférer avec Campeggi.

Clément, doué d'un esprit pénétrant, et qui savait mieux que personne faire un discours habile, était * irrésolu et craintif; aussi à peine la commission fut elle partit, qu'il se repentit. Plein d'angoisse, il parcourait les chambres ruinées de son vieux palais, et croyait voir suspendue sur sa tête cette terrible épée de CharlesQuint, dont il avait naguère senti la pointe. « Malheureux que je suis! disait-il; des loups cruels m'environnent; ils ouvrent leurs gueules pour m'engloutir... Je ne vois partout que des ennemis. A leur tête, l'Empereur... Que va-t-il faire ? Hélas ! j'ai livré cette fatale commission que le général de l'Observance espagnole m'avait enjoint de refuser. A la suite de Charles, se présentent les Vénitiens, les Florentins et le duc de Ferrare... Ils ont jeté le sort sur ma robe Puis vient le roi de France, qui ne pro met rien, qui reste les bras croisés ; ou plutôt, ô perfidie ! Me demande, en ce moment critique, d'enlever à Charles-Quint sa couronne!... Enfin, le dernier, mais non pas le moindre, Henri VIII lui-même, le Défenseur de la foi, me fait entendre d'affreuses menaces... L'un veut maintenir la reine sur le trône d'Angleterre ; l'autre veut la renvoyer... Oh! Plût à Dieu que Catherine fût couchée dans le sépulcre ! Mais, hélas! Elle vit... pour être la pomme de discorde qui divise les plus grands monarques, et la cause inévitable de la ruine de la papauté!... Malheureux que je sois! Je me trouve dans une cruelle perplexité, et je ne découvre autour de moi qu'une horrible confusion a ! » [38]

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FOOTNOTES

[1] Nullius sitroboris vel effectus. » [State papers, VII, p. 50.)

[2] Du Bellay à François I. (Le Grand, preuves, p. 64.)

[3] Find some other way to set him at ease. » (Burnet, Ref., p. 50.)

[4] Sine strepitu et figura judicii. » (Burnet, Records,, I, p. 30.)

[5] Non obstantibus quibuscumque decretis, etc. » [Ibid., p. 31.)

[6] Mei dimidiu n. » (Burnet, Rec, I. p. 27.)

[7] Money to present the cardinals. » (Strype, Memor. p. 137.)

[8] Borrowing of divers men so much as might furnish three beds. » (Stryp., I, p. 1S9.)

[9] Few of them had more garments than one. » (Stryp., I, p. 139.)

[10] It were better to be in captivity at Rome, thenne here at liberty.» [State Pap., VII, p. 63.)

[11] Thirty persons riff-raff'a.ni others standing in the chambers for a garnishment. » (Strype, ï, p. 139.)

[12] The cardinal's judgement as to the good qualities of the gentle -woman. » (Strype, I, p. 141.)

[13] Quis praestabit ne hoc divortium raagni alicujus belli causam praebeat. » (Sanderus, p. 26.)

[14] In medio semicirculi. » (Strype, Records, I, p. 81.)

[15] Promiscuœ plebis. » (Strype, Records, l, p. 82.)

[16] Every man looked on other and so stayed. » [Ibicl.)

[17] Qui donne vite, donne deux fois.

[18] In Fabio Maximo qui rem romanam cunctando restituit. » (Strype, p. 90.)

[19] Materia novae captivitatis. » [Ibid., p. 86.)

[20] No persuasion ne dulce ne poynante. » (Strype, p. 114.)

[21]Pleni omni dolo et versutia et dissimulatione. Verbis omnia pol licentur, reipsa nihil praestant. » [Ibid., p. 98.)

[22] Digna esse quae mandentur flammis pontificia jura. » [Ibid.)

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[23] Pontifex habet omnia jura in scrinio pedoris. » [Ibid., p. 99.)

[24] Sighed and wyped his eyes. » (Strype, p. 100.)

[25] The matter was good, saving in the latter end. » [Ibid., p. 102.1 CORRECTIONS. 457

[26] The beginning pleased him not. » (Strype, p. 103.)

[27] Incalescente disputatione. » [Ibid., p. 104.)

[28] Here began a new tragedy. » [Ibid., p. 105.)

[29] Vinum conspurcat infusa aqua. » [Ibid.)

[30] Putantes sub omni verbo latere scorpionem » (Strype.)

[31] Praetendere pugno carnem. » [Ibicl.)

[32] Dulcibus sirenum vocibus incantare. » [Ibid.)

[33] Compositis affectibus. » (Strype, p. 106.)

[34] The divers tempests passed over. » (Strype, Records, I, p. 106.)

[35] Sine strepitu et figura judicii sententiam divortii, judicialiter proferendam. » (Rymer, Fœdera, VI, pars II, p. 95.)

[36] In casu mortis pontificis, quod Deus avertat. » (Burnet, Rec, I, p. 55.)

[37] The thing which the king and I more esteem than twenty papalties. » (Burnet, Records, l, p. 50.)

[38] His holiness findeth himself in a marvelous perplexitie and con fusion. » [Ibid.,$. 108.)

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CHAPITRE XI.

Rapport de Fox à Henri et Anne. Impression de Wolsey. Il demande la décrétale. Une petite manœuvre du cardinal. Il met sa conscience à l'aise. Gardiner échoue à Rome. Nouvelle perfidie de Wolsey. Colère du roi contre le pape. More prédit la liberté religieuse. Immoralité du socialisme romain. Érasme appelé. Dernier élan de Wolsey. Efforts énergiques à Rome. Clément accorde tout. Wolsey triomphe. Union de Rome et de l'Angleterre

Pendant ce temps, Fox se rendait en Angleterre. Le 27 avril, il était à Paris; le 2 mai il abordait à Sandwich, et se rendait en hâte à Greenwich, où se trouvait la cour et où il arrivait le lendemain à cinq heures du soir, au moment même où Wolsey venait de retourner à Londres. L'arrivée de Fox était un événement d'une grande importance. « Qu'il se rende dans les appartements de lady Anne, dit le roi, et qu'il m'y attende. » Fox raconta à Anne Boleyn ses efforts et ceux de Gardiner, et le succès de leur mission. Anne lui adressa quelques paroles aimables. Le temps, la volonté royale, l'ambition peut-être l'avaient presque décidée ; elle ne s'op posait plus au projet de Henri. « Madame Anne «, me nommait toujours maître Étienne, » écrit Fox à Gardiner, « tant son esprit était rempli de vous. » Le roi parut et Anne se retira.

Dites-moi le plus brièvement possible ce que vous avez fait, dit Henri. » Fox remit au prince la lettre insignifiante du pape, que le roi se fit lire par l'aumônier ; celle de Staphiléo, qui fut mise de côté, et enfin celle de Gardiner, que Henri prit précipitamment et lut à part : « Le pape nous a promis, dit Fox en terminant son rapport, de confirmer la sentence du divorce, aussitôt que les commissaires l'auraient prononcée. Admirable! » Dit le roi; puis il fit appeler lady Anne. « Répétez devant Madame, dit-il à Fox, ce que vous venez de me dire. » L'aumônier obéit. « Le pape, dit-il en finissant, est persuadé de la justice de votre cause, et la lettre du cardinal l'a convaincu que Madame est digne du trône d'Angleterre. Faites ce soir même votre rapport à Wolsey, dit le roi. »

Il était dix heures du soir quand le grand aumônier arriva au palais de Wolsey; celui-ci était couché ; mais il ordonna immédiatement qu'on introduisît Fox près de son lit. Homme d'Eglise, Wolsey pouvait mieux que Henri comprendre les finesses du pape ; aussi, ayant appris que Fox n'apportait que la commission, il fut effrayé de la tâche qu'on lui imposait. « Quel malheur! s'écria-t-il, votre commission ne vaut pas plus que celle de Gambara... Toutefois, allez-vous reposer; j'examine rai demain ces papiers. » Fox se retira tout confus. Ce n'est pas mal, dit Wolsey le lendemain, mais c'est encore sur moi que toute l'affaire retombe ! . . . N'importe, il me faut avoir l'air content, sans quoi!... »

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Puis, ayant fait venir après-midi dans son cabinet, Fox, le docteur Bell et le vicomte de Rocheford : « Maître Gardiner s'est surpassé, » s'écria le rusé et flexible cardinal; quel homme! Ô trésor inestimable ! Ô perle de notre royaume [1] ! » Il n'en croyait rien. Wolsey était mécontent de tout, du refus de la décrétale, et de la rédaction soit de la commission, soit de l'engagement (qui arriva bientôt après en fort bon état, quant à l'extérieur).

Mais la mauvaise humeur du roi eût rejailli infailliblement sur Wolsey; il faisait donc bonne mine à mauvais jeu, et ruminant en secret les moyens d'obtenir ce qu'on lui refusait : « Écrivez à Gardiner, dit-il à Fox, que tout me fait désirer la décrétale du pape, le besoin de décharger ma conscience, celui de pouvoir répondre aux calomniateurs qui attaqueront mon jugement *[2], la pensée des accidents auxquels la vie des hommes est exposée. Que Sa Sainteté prononce donc elle-même le divorce; nous nous engageons, de notre part, à tenir secrète sa résolution. Mais ordonnez à maître Etienne d'employer tous les genres de persuasion que sa rhétorique peut imaginer. » Dans le cas où le pape refuserait absolument la décrétale, Wolsey demandait que Campeggi partageât du moins avec lui la responsabilité du divorce.

Ce n'était pas tout ; en lisant l'engagement, Wolsey avait aperçu la porte de derrière qui avait échappé à Gardiner, et voici ce qu'il imagina. « L'engagement que le pape nous a envoyé, écrivit-il à Gardiner, est conçu en des termes tels qu'il peut le rétracter ; il nous faut donc trouver quel que bon moyen*[3] pour en obtenir un autre. Voici la couleur sous laquelle vous pouvez le faire. Vous vous présenterez à Sa Sainteté avec un air de doléance [4], et lui direz : Hélas ! Le courrier chargé de l'engagement est tombé dans l'eau avec ses dé pêches, en sorte que l'acte est illisible *[5]. On n'a pas osé le remettre au roi, et si Votre Sainteté ne m'en fait pas délivrer un double, j'encourrai de la part de Sa Majesté le blâme le plus sévère. Au reste, continuerez-vous, je me rappelle les expressions de l'ancien document, et pour éviter toute peine à Votre Sainteté, je les dicterai à votre secrétaire. Puis, ajoutait Wolsey, tandis que le secrétaire écrira, vous trouverez moyen d'introduire dans cet acte, sans qu'il s'en aperçoive, des mots significatifs, gros et forts [6], propres à lier le pape et à agrandir mes pouvoirs. Sa Majesté et moi, nous 't confions à votre habileté cette petite manœuvre politique *. [7] »

Tel était l'expédient inventé par Wolsey. Le secrétaire papal, s'imaginant faire une nouvelle expédition du premier document (qui était du reste en parfait état), devait, sous la dictée de l'ambassadeur anglais, en rédiger un d'une autre teneur. La petite manœuvre politique du cardinal-légat ne ressemblait pas mal à l'acte d'un faussaire, et jette un triste jour sur la politique du seizième siècle. Wolsey fit lire cette lettre au grand aumônier; puis, pour mettre sa conscience en paix, il ajouta pieusement : « Dans une affaire d'une si haute importance, de laquelle dépendent la gloire ou la ruine de cet empire, mon honneur ou mon ignominie, la condamnation de mon âme ou mon mérite éternel, je ne veux écouter que le cri de

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ma conscience et je prétends agir d'une manière si équitable que je puisse sans crainte en rendre compte à Dieu. [8] »

Wolsey fit plus encore ; il semble que l'audace de ses déclarations le rassurait sur la bassesse de ses œuvres. Étant le dimanche suivant à Greenwich, il dit au roi en présence de Fox, de Bell, de Wolman et de Tuke : « Sire, je suis lié à votre royale personne plus qu'aucun sujet ne le fut jamais à son prince. Je suis prêt à prodiguer pour vous mes biens, mon sang, ma vie... Mais mes obligations envers Dieu sont plus grandes encore. C'est pour quoi, plutôt que d'agir contre sa volonté, j'endurerai les maux les plus extrêmes [9]. J'essuierai votre royale indignation, et s'il le faut, je livrerai mon corps aux bourreaux pour qu'ils l'écartèlent.»

Quel esprit poussait alors Wolsey ? Était-ce aveuglement, était-ce impudence? Peutêtre était-il sincère dans ces paroles adressées à Henri ; peut-être désirait-il dans le fond de son âme faire passer le pape avant le roi, l'Église de Rome avant le royaume d'Angleterre, et ce désir lui paraissait-il un sublime vertu, capable de voiler une multitude de péchés. Ce que la conscience publique eût nommé trahison, était pour le prêtre romain de l'héroïsme.

Ce zèle pour la papauté s'est rencontré parfois avec la plus flagrante immoralité. Si Wolsey trompait le pape, c'était pour sauver la papauté dans le royaume d'Angleterre. Fox, Bell, Wolman et Tuke écoutaient Wolsey tout émerveillés V Henri, qui croyait connaître son homme, recevait sans alarme ses saintes déclarations, et le cardinal ayant ainsi mis sa conscience à l'aise s'en allait hardiment à ses iniquités. Il semble toutefois que le reproche intérieur qu'il faisait taire en public prît sa revanche dans le secret. Un de ses officiers entrant peu après dans son cabinet, lui présenta à signer une lettre adressée à Campeggi, qui finissait ainsi : « Tout se terminera à la gloire de Dieu, à la satisfaction du roi, à la «paix du royaume, et à notre propre honneur, avec une bonne conscience.» Wolsey ayant lu la lettre, effaça ces quatre derniers mots [10]. La conscience a un aiguillon auquel nul ne saurait échapper, pas même un Wolsey.

Cependant Gardiner ne perdait pas son temps en Italie. Arrivé auprès de Campeggi (auquel Henri VIII avait donné un palais à Rome et un évêché en Angleterre), il le conjura de venir à Londres prononcer le divorce. Ce prélat, qui devait être chargé en 1530 d'étouffer le protestantisme en Allemagne, semblait devoir se prêter à une mission qui sauverait dans la Grande-Bretagne le catholicisme romain. Mais fier de sa position à Rome, où il représentait le pape, il ne se souciait pas d'une fonction qui lui attirerait infailliblement la haine de Henri ou la colère de Charles. Il s'excusa. Le pape parla dans le même sens. En l'apprenant, le terrible Tudor, commençant à croire que le pape voulait l'enlacer, comme le chasseur enlace le lion dans ses rets, fit éclater sa colère et la déchargea sur Tuke, sur Fox, sur Gardiner lui-même, mais surtoutsurWolsey.il ne manquait pas de raisons pour le faire. Le cardinal,

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s'apercevant que sa haine contre Charles l'avait poussé trop loin, avait prétendu que c'était sans son ordre que Clarencieux, gagné par la France, s'était joint à l'ambassadeur français pour déclarer la guerre à l'Empereur; il avait ajouté qu'il ferait mettre à mort ce roi d'armes d'Angleterre, lors de son passage à Calais.

C'était un moyen infaillible d'empêcher de fâcheuses révélations. Clarencieux, informé à temps, passa par Boulogne, et obtint à l'insu du cardinal une audience de Henri, sous les yeux duquel il plaça les ordres que Wolsey lui avait donnés dans trois lettres consécutives. Le roi, étonné de l'impudence de son ministre, s'écria : « O Seigneur Jésus, celui en qui j'avais le plus de confiance m'avait dit tout le contraire!

» Puis, ayant fait appeler Wolsey, il lui reprocha rudement ses mensonges. Le misérable tremblait comme la feuille. Henri parut lui accorder son pardon, mais le temps de sa faveur était passé. Il ne conserva plus le cardinal que comme un de ces instruments dont on se sert pendant un temps, et qu'on met au rebut quand on n'en a plus besoin.

La colère du roi contre le pape surpassait encore celle qu'il éprouvait contre Wolsey; il tressaillait, se levait, s'asseyait, déchargeait son courroux par des paroles pleines d'emportement. Quoi? disait-il, j'épuiserai mes combinaisons politiques, je viderai mes trésors, je ferai la guerre à mes amis, je consumerai mes forces... Et pour qui?... pour un prêtre sans cœur, qui, ne considérant ni les exigences de mon honneur, ni la paix de ma con science, ni la prospérité de mon royaume, ni les nombreux bienfaits dont je l'ai comblé, me refuse une grâce qu'il devrait, comme père commun des fidèles, accorder même à. son ennemi... Hypocrite!... Tu te couvres des dehors de l'amitié, Tu nous flattes par de subtiles pratiques *[11], mais tu ne nous donnes qu'un document bâtard, et tu dis comme Pilate : Peu m'importe que ce roi périsse, et tout son royaume avec lui ; prenez-le vous-même et le jugez selon votre loi! Je te comprends... Tu veux nous embarrasser dans tes broussailles, tu veux nous prendre dans tes trappes, tu veux nous faire tomber dans le trou Mais nous avons découvert le piégé ; nous échapperons à tes embûches et nous braverons ton pouvoir ! »

Telles étaient les paroles qu'on entendait alors à la cour d'Angleterre, dit un chroniqueur. [12] Les moines et les prêtres commencèrent à s'effrayer, tandis que les esprits les plus éclairés entrevoyaient déjà dans le lointain les premières lueurs de la liberté religieuse.

Un jour, dans un moment où Henri se montrait sectateur zélé des doctrines romaines, Thomas More étant au sein de sa famille, son gendre Rooper, devenu zélé papiste, s'écria : O heureux royaume d'Angleterre, où pas un hé rétique n'ose montrer sa face! Cela est vrai, fils Rooper, dit More ; nous sommes maintenant au sommet de la montagne, et nous foulons les hérétiques sous nos pieds comme des fourmis; mais plaise à Dieu que nous ne voyions jamais arriver le jour où nous souhaiterons d'être en paix avec eux, et de leur laisser leurs églises, pourvu qu'ils nous laissent les nôtres! «Rooper répondit avec emportement: [13] « Par ma foi,

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Monsieur, c'est parler en désespéré ! » More avait pourtant raison ; le génie est quelquefois un grand devineur. La Réformation allait inaugurer la liberté religieuse, et as seoir ainsi la liberté civile sur une base inébranlable. Henri luimême s'éclairait peu à peu. Il commençait à avoir quelques doutes sur la hiérarchie romaine, et à se demander si un prêtre-roi, embarrassé dans toutes les complications de la politique, pouvait bien être le chef de l'Église de Jésus-Christ.

Des personnes pieuses de son royaume, reconnaissaient dans l'Écriture et dans la conscience, une loi supérieure à la loi de Rome, et refusaient d'immoler aux ordres de l'Église des convictions morales, sanctionnées par la révélation de Dieu. Le système hiérarchique, qui prétend absorber l'homme dans la papauté, avait opprimé, depuis des siècles, la conscience des chrétiens.

Quand l'Église romaine avait exigé des Bérenger, des Jean Huss, des Savona rola, des Jean Wesel, des Luther, la négation de leur conscience éclairée par la Parole, c'est-à-dire de la voix de Dieu, elle avait fait toucher au doigt tout ce qu'il y a d'immoral dans le socialisme ultramontain. « Si le chrétien consent à cette demande énorme de la hiérarchie, se disaient alors les hommes les plus éclairés, s'il abdique son propre sentiment quant au bien et au mal, dans les mains du clergé, s'il ne se réserve pas d'obéir à Dieu qui lui parle dans la Bible, plutôt qu'aux hommes, leur accord fut-il universel, si Henri VIII, par exemple, fait taire sa conscience qui condamne son union avec la veuve de son frère, pour obéir à la voix cléricale qui l'approuve ; il abdique par cela même la vérité, le devoir, et jusqu'à Dieu lui-même. » Mais il faut bien le dire : si les droits de la conscience commençaient à être compris en Angleterre, ce n'était pas de choses si saintes qu'il s'agissait entre Henri et Clément. Ils étaient deux intrigants, désireux, l'un d'amour, l'autre de pouvoir, et voilà tout.

Quoi qu'il en soit, une pensée de dégoût pour Rome germa alors dans le cœur de Henri, et rien ne put l'en chasser. Il fit aussitôt tous ses efforts pour attirer Érasme à Londres. En effet, si Tudor se séparait du pape, c'étaient ses anciens amis les lettrés qui devaient être ses auxiliaires, et non des docteurs hérétiques. Mais Érasme, dans une lettre du 1er juin, objecta sa santé, les voleurs qui infestaient les routes, les guerres et les bruits de guerre. « Les destins nous mènent, dit-il, cédons aux destins [14].» Il est fort heureux pour l'Angleterre qu'Érasme n'ait pas été son réformateur.

Wolsey remarqua ce mouvement de son maître, et résolut de faire un énergique effort pour réconcilier Clément et Henri VIII ; il y allait de sa propre sûreté. Il écrivit au pape, à Campeggi, à Da Casale, à toute l'Italie. Il déclara que s'il était perdu, la papauté l'était avec lui, au moins en Angleterre. « C'est de mon propre sang, ajouta-t-il, que je voudrais acheter la bulle décrétale [15]. Assurez sur mon âme le Saint-Père, que pas un œil mortel rte la verra.» Enfin, il fit écrire à Gardiner

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par le grand aumônier : « Si Campeggi ne vient pas, vous ne reviendrez a jamais » Moyen infaillible de stimuler le zèle du secrétaire [16].

C'était le dernier effort d’Henri VIII. Une année auparavant, Bourbon et le prince d'Orange n'avaient pas mis plus de zèle à escalader les murs de Rome. Le feu de Wolsey avait enflammé ses agents ; ils argumentaient? Ils suppliaient, ils criaient, ils menaçaient. Les cardinaux et les théologiens, effrayés, se rassemblaient à la voix du pape, examinaient, discutaient, mêlaient les intérêts politiques et les affaires de l'Eglise [17]. Ils comprirent enfin cette fois-ci ce que Wolsey leur faisait savoir. « Henri, dirent ils, est le défenseur le plus énergique de la foi. Ce n'est qu'en lui accordant sa demande qu'on peut conserver à la papauté le royaume d'Angleterre.

L'armée de Charles-Quint est en déroute et celle de François triomphe... » Le dernier de ces arguments trancha la question ; le pape fut pris subite ment d'une grande sympathie pour Wolsey et pour l'Église d'Angleterre ; l'Empereur était battu, donc l'Empereur avait tort ; Clément accorda tout. D'abord Campeggi fut invité à se rendre à Londres. Le pontife savait qu'il pouvait compter sur son intelligence et sur son inflexible adhésion aux intérêts de la hiérarchie ; la goutte même du cardinal était un avantage, car elle pouvait servir à d'in nombrables délais. Puis le 8 juin, le pape, alors à Vilerbe, donna une nouvelle commission par laquelle il conférait à Wolsey et à Campeggi, le pouvoir de déclarer nul le mariage d’Henri et de Catherine, avec liberté pour le roi et la reine de former de nouveaux nœuds [18]. Quelques jours plus tard, il signa la fameuse décrétale par laquelle il annulait lui-même le mariage d’Henri et de Catherine ; mais au lieu de la confier à Gardiner, il la remit à Campeggi, avec défense de s'en dessaisir. Clément n'était pas sûr des événements; si Charles perd décidément son pouvoir, la bulle sera publiée à la face de la chrétienté ; s'il le recouvre, la bulle sera brûlée*[19].

Les flammes consumèrent en effet plus tard ce décret que Médicis avait signé en l'arrosant de ses larmes. Enfin, le 23 juillet, le pape signa un bon engagement, en vertu duquel il déclarait à l'avance toute rétractation des actes, nulle et sans valeur*[20]. Campeggi et Gardiner partirent. La défaite de Charles- Quint était complète, à Rome comme à Naples ; la justice de sa cause s'était évanouie avec son armée.

Rien ne manquait donc aux désirs d’Henri VIII. Il avait Campeggi, la commission, la bulle décrétale de divorce signée par le pape, et l'engagement qui donnait à tous ces actes une irrévocable valeur. Wolsey était vainqueur, et vainqueur de Clément!... Souvent il avait voulu s'élancer sur le cheval rétif de la papauté pour le conduire à sa guise, mais chaque fois le coursier malicieux lui avait fait perdre les arçons.

Maintenant, il était ferme en selle, et tenait le cheval en bride. Grâce aux revers de Charles, il était maître à Rome. La papauté devait, bon gré mal gré, prendre le

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chemin qu'il avait choisi et devant lequel elle avait longtemps reculé. La joie du roi était sans bornes, et n'était égalée que par celle de Wolsey. Le cardinal voulant, dans le ravissement de son cœur, témoigner sa gratitude aux officiers de la cour romaine, leur fit offrir des tapis, des chevaux, des vases d'or [21]. Tout se ressentait autour d’Henri de la bonne humeur de ce prince. Anne souriait ; la cour s'amusait ; la grande affaire allait s'accomplir ; le Nouveau Testament allait être livré aux flammes; l'union entre l'Angleterre et la papauté paraissait à jamais affermie, et la victoire que Rome semblait remporter dans les îles Britanniques pouvait assurer son triomphe dans tout l'Occident. Vains présages ! C'étaient d'autres destinées que renfermait l'avenir.

FOOTNOTES

[1] O non œstimandum thosaurum, margaritaraque regni nostri. » (Strype, Records, l, p. 119.)

[2] Justissime obstruere ora calumniantium et temere dissentien tium. » (Strype, Records, l, p. 120.)

[3] Ye shall by some good way find the mean to attain a new pol licitation. » (Btirnet, Records, p. 60.)

[4] By way of sorrow and doleance. » [Ibid.)

[5] Were totally wet, defaced, and not legible. » [Ibid.) v 30

[6] 1 May find the raeans to get as many of the new and other pre gnant, fat and available words. » (Burnet, Records, p. 61.)

[7] Politic handling. » [Ibid., p. 61.)

[8] Reclamante conscientia. » (Strype, Records, T, p. 124.)

[9] «Eitrema quaeque... contra conscientiam suam. » (Strype, Rie, I,p. 126.) > To mj great mervail and no less joy and comfort. » [Ibid.)

[10] The cardinal dashed out. » (Burnet, I, p. 52.)

[11] By crafty means and under the face and visage of entire amity. » (Strype, I, p. 166.)

[12] To involve and cast us so in the briers and fetters. » [Ibid.) * Strype

[13] My uncle said in a rage. » [More's Life, p. 155.)

[14] Fatis agimur, fatis cedendum. » (Er. Ep., p. 103Î.)

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[15] Ut proprio sanguine id vellemus posse impetrare. » (Burnet, Rec, 1, p. 36.)

[16] Neither should Gardiner ever return. » (Strype, I, p. 167.)

[17] Negotia ecclesiastica politicis rationibus interpolantes. » (San clers, p. 27.)

[18] Ad alia vota commigrandi. » (Herbert, p. 262.)

[19] State Papers, VII, 78. Le Dr Lingard reconnaît l'existence de cette bulle et l'ordre de la livrer au feu.

[20] Si (quod absit) aliquid contra praemissa faciamus, illud pro casso irrito, inani et vacuo omnino haberi volumus. » (Herbert, p. 250.)

[21] Num illi, aulaea, vas aureum aut equi maxime probentur. » (Bur net, Records, I, p. 28.)

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LIVRE XX. LES DEUX DIVORCES.

CHAPITRE I

Progrès de la Réformation. Les deux divorces. Instances auprès d'Anne. Les lettres du Vatican. Henri à Anne. Seconde lettre d’Henri. Troisième. Quatrième. Effroi de Wolsey. Ses démarches infructueuses. Il tourne. La suette. Craintes d’Henri. Nouvelles lettres à Anne. Anne malade; sa paix. Henri lui écrit. Terreur de Wolsey. Campeggi n'arrive pas. Chacun dissimule à la cour

Tandis que l'Angleterre semblait se rattacher à la cour de Rome, la marche générale de l'Église et du monde faisait pressentir de plus en plus l'émancipation prochaine de la chrétienté. Le respect qui entourait depuis tant de siècles le pontife romain était partout ébranlé; la Réforme, déjà solidement établie dans plusieurs États de l'Allemagne et de la Suisse, se propageait en France, dans les Pays-Bas, en Hongrie, et commençait en Suède, en Danemark, en Ecosse. Le midi de l'Europe semblait, il est vrai, soumis au catholicisme romain ; mais l'Espagne se souciait peu, au fond, de l'infaillibilité pontificale, et l'Italie elle-même se demandait si la domination du pape n'était pas l'obstacle qui s'opposait à sa prospérité. L'Angleterre, malgré les apparences, allait aussi s'affranchir du joug des évêques du Tibre, et déjà des voix fidèles demandaient que la Parole de Dieu fût reconnue dans l'Église comme suprême autorité.

La conquête de la Bretagne chrétienne par la papauté remplit, nous l'avons vu, tout le septième siècle. Le seizième fut la contrepartie du septième. La lutte que l'Angleterre eut alors à soutenir pour s'émanciper de la puissance qui l'avait enchaînée pendant neuf cents ans, fut pleine de péripéties, comme celle des temps d'Augustin et d'Oswy. Cette lutte se retrouva sans doute dans chacune des contrées où l'Église se réforma ; mais nulle part elle ne peut être suivie dans ses diverses phases aussi distinctement que dans la Grande-Bretagne. L'œuvre positive de la Réforme, celle qui consista à retrouver la vérité et la vie si longtemps perdues, fut à peu près la même partout; mais quant à l'œuvre négative (la lutte avec la papauté), on dirait que les autres peuples remirent à l'Angleterre le travail dont ils devaient tous profiter.

Une piété peu éclairée regardera peut-être les rapports de la cour d'Angleterre avec la cour de Rome, à l'époque de la Réformation, comme sans intérêt pour la foi; mais l'histoire ne pensera pas de même. L'essentiel dans cette lutte, on l'a trop oublié, ce n'est pas le divorce (il n'en est que l'occasion), c'est la lutte elle-même et ses graves conséquences. Le divorce d’Henri Tudor et de Catherine d'Aragon est un événement secondaire; mais le divorce de l'Angleterre et de la papauté est un événement premier, l'une des grandes évolutions de l'histoire, un acte pour ainsi dire créateur,

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qui exerce encore une influence normale sur les destinées de l'humanité. Aussi tout ce qui s'y rapporte est-il à nos yeux plein d'instruction. Déjà un grand nombre d'hommes pieux s'étaient attachés à la grâce de Jésus-Christ; mais le roi, et avec lui la partie de la nation étrangère à la foi évangélique, tenaient à Rome, qu'Henri avait si vaillamment défendue. La Parole de Dieu avait séparé spirituellement l'Angle terre de la papauté ; la grande affaire l'en sépara matériellement. Il y a entre les deux divorces que nous venons de rappeler, un rapport intime, qui donne au procès d’Henri et de Catherine une extrême importance.

Quand une grande révolution doit s'accomplir au sein d'un peuple (nous avons ici surtout en vue la Réformation), Dieu instruit la minorité par les saintes Écritures, et la majorité par les dispensations du gouvernement divin. Les faits se char gent de pousser en avant ceux que la voix plus spirituelle de la Parole laissait en arrière. L'Angle terre, profitant de ce grand enseignement des faits, a cru dès lors devoir éviter tout contact avec une puissance qui l'avait trompée ; elle a pensé que la papauté ne pouvait dominer sur un peuple sans porter atteinte à sa vie, et que ce n'était qu'en s’émancipant de cette dictature d'un prêtre, que les nations modernes pouvaient avancer sûrement dans les voies de la liberté, de l'ordre et de la grandeur. Depuis plus d'une année, les plaintes d’Henri l'attestent, Anne Boleyn rejetait les hommages de Tudor.

Le roi désolé comprit qu'il fallait faire jouer d'autres ressorts, et prenant à part lord Rocheford, il lui découvrit son dessein; l'ambitieux Boleyn promit de tout faire pour décider sa fille. « Le divorce est une chose résolue, lui dit-il; vous n'y pouvez rien. Il s'agit seulement de savoir si ce sera vous ou une autre qui donnerez un héritier à la couronne. Rappelez-vous que de terribles révolutions menacent l'Angleterre, si le roi n'a pas un fils. » Ainsi tout se réunissait pour ébranler celte jeune femme. La voix de père, les intérêts de sa patrie, l'amour du roi et sans doute aussi quelque ambition secrète, la sollicitaient à saisir le sceptre qui lui était offert. Ces pensées la poursuivaient dans le monde, dans la solitude et jusque dans ses rêves. Elle se voyait tantôt sur un trône, distribuant au peuple ses bienfaits et la Parole de Dieu, tantôt dans quelque exil obscur, menant une vie inutile, dans les larmes et l'ignominie. Quand dans les jeux de son imagination la couronne d'Angleterre lui apparaissait resplendissante, elle la rejetait d'abord ; mais ensuite cet ornement royal lui semblait si beau et le pouvoir si digne d'envie, qu'elle les repoussait moins énergiquement. Cependant Anne se refusait encore à dire le oui si vive ment sollicité.

Henri, contrarié par ses hésitations, lui écrivait souvent et presque toujours en français. La cour de Rome se servant de ses lettres, qu'elle garde au Vatican, pour inculper la Réformation, nous croyons devoir les citer. Le vol qu'en a fait un cardinal nous les a conservées ; on verra que loin de pouvoir être invoquées à l'appui des calomnies qu'on a répandues, elles sont propres à les réfuter. Nous sommes loin d'en

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approuver tout le contenu ; mais on ne saurait refuser à la jeune femme qui les a écrites des sentiments nobles et généreux.

Henri ne pouvant supporter les angoisses que lui causaient les refus d'Anne, lui écrivit, à ce que l’on suppose, en mai 1528 [1]: « En débattant par de vers moi le contenu de vos lettres, je me suis mis en grande agonie, ne sachant comment les entendre, ou à mon désavantage, comme quelques passages le montrent, ou à mon avantage comme je le conclurais de quelques autres. Je vous supplie donc de bien bon cœur, me vouloir certifier expressément votre intention entière, touchant l'amour entre nous deux. Car nécessité me contraint de pourchasser cette réponse, ayant été plus d'une année atteint du dard d'amour, sans être assuré si j'échouerais (faliere), ou si je trouverais une place certaine dans l'affection de votre cœur.

Ce point m'a gardé depuis peu de temps en ça de ne vous point nommer ma maîtresse, parce que si vous ne m'aimez d'autre sorte que d'amour ordinaire, ce nom ne vous est point approprié, car il dénote une singularité qui est bien loin de l'ordinaire... Je vous supplie me faire entière réponse de cette ma rude lettre, en sorte que je puisse connaître à quoi et en quoi me puis fier. Et s'il ne vous plaît de me faire réponse par écrit, assignez moi quelque lieu là où je la pourrai avoir de bouche, et je m'y trouverai de bien bon cœur. Je ne veux pas vous ennuyer davantage. Écrit de la main de celui qui volontiers demeurerait votre loyal serviteur et ami. « H. T., rex. » Tels étaient les termes affectueux, et l'on peut dire (si l'on pense au temps et à l'homme) respectueux qu'employait Henri, en écrivant à Anne. Celle-ci, sans rien promettre, laissa voir quelque affection pour le roi et joignit à sa réponse un bijou emblématique, représentant une jeune fille seule dans une nacelle battue par la tempête, » voulant ainsi faire comprendre à ce prince les grands dangers auxquels l'exposait son amour. Henri fut ravi et répondit aussitôt :

Je vous remercie très cordialement du présent si beau que rien ne le dépasse, nonseulement pour le beau diamant et navire dans lequel la seulette demoiselle est tourmentée, mais principalement pour la belle interprétation et trop humble sou mission dont votre bénignité en ce cas use. Mon immuable intention est selon ma devise : Aut illic, aut nullibi, « Ou ici, ou nulle part. » Les belles mots de votre lettre sont si cordialement couchés, qu'ils m'obligent à tout jamais de vous honorer, aimer et servir. Je vous supplie de vouloir continuer en ce même ferme et constant propos, vous assurant que de ma part je l'augmenterai plutôt que de le faire rétrograder (resliproche), tant est grande la loyauté du cœur, qui désire de vous complaire.

Je vous prie aussi que si aucunement vous ai par ci-devant offensé, vous me donniez la même absolution que vous demandez, vous assurant que dorénavant à vous seule mon cœur sera dédié ; et je désire fort que le corps ainsi pouvait, comme Dieu le peut faire s'il lui plaît; à qui je supplie une fois le jour pour cela faire, espérant que à la longue ma prière sera ouïe, désirant le temps bref, le pensant long. Jusqu'au

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revoir d'entre nous deux. Ecrite de la main du secrétaire qui en cœur, corps et volonté est Votre loyal et plus assuré serviteur H. T., rex. »

Henri était passionné, et l'histoire n'est pas appelée à réhabiliter ce prince cruel ; mais on ne peut reconnaître dans cette lettre la parole d'un séducteur. Il est

impossible d'imaginer Tudor demandant à Dieu une fois le jour autre chose qu'une union légitime. Ces prières journalières du roi semblent présenter cette affaire sous un aspect différent de celui que les écrivains romains ont imaginé.

Henri s'était cru plus avancé qu'il ne l'était. Anne fit alors un pas en arrière ; embarrassée de la position qu'elle occupait à la cour, elle en demanda une plus modeste. Le roi, d'abord fort contrarié, se sou mit : « Néanmoins qu'il n'appartienne pas à un gentilhomme, lui écrivit-il, de prendre sa dame en place de servante, toutefois en suivant vos dé sirs, volontiers le vous octroierais, si par cela vous pusse trouver moins ingrate en la place que vous choisissez, que vous avez été en la place par moi donnée. Je vous remercie très cordialement qu'il vous plaise encore avoir quelque souvenance de moi. » [2]

Pressée par son père, par ses oncles, par Henri, Anne fut ébranlée. Cette couronne, repoussée par Renée et par Marguerite, éblouissait la jeune An glaise ; chaque jour elle y trouvait un charme nouveau. Elle se familiarisa peu à peu avec ce nouvel avenir, et dit enfin: « Si le roi devient libre, je consens à l'épouser. » Ce fut une grande faute; mais Henri fut au comble de la joie, et Anne, s'étant rendue en mai au château de Hever, dans le Kent, résidence de son père, le roi lui écrivit :

Ma maîtresse et amie, moi et mon cœur s'en remettent en vos mains, vous suppliant les avoir pour recommandés à votre bonne grâce. Ce serait grande pitié que d'augmenter leur peine, car l'absence leur fait assez, et plus que jamais j'eusse pensé. Cela nous fait remonte voir un point d'astronomie qui est tel, que tant plus longs les jours sont, tant plus est éloigné le soleil, et nonobstant. « Sa chaleur est plus fervente. Ainsi est-il de notre amour ; par absence nous sommes éloignés, et néanmoins il garde sa ferveur, au moins de notre côté, et j'ai en espoir du vôtre. L'ennui que par force il faut que je souffre m'est presque intolérable, si ce n'était le ferme espoir que j'ai de votre indissoluble affection vers moi. Pour vous rappeler cela quelquefois et voyant que personnellement je ne puis être en votre présence, je vous envoyai la chose la plus approchant possible, c'est-à-dire ma peinture mise en bracelet avec la devise que vous connaissez déjà [3]. Me souhaitant en leur place quand il vous plaira.

C'est de la main de votre loyal serviteur et ami, H. T., rex. » Les courtisans suivaient d'un œil attentif ces développements de l'affection du roi, et préparaient déjà les hommages dont ils se proposaient d'entourer Anne Boleyn. Mais il y avait à la cour un homme que la résolution d’Henri remplissait de douleur; c'était Wolsey.

Le premier il avait suggéré au roi l'idée de se séparer de Catherine ; mais si Anne

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doit lui succéder, plus de divorce ! Il avait d'abord aliéné le parti de Catherine ; maintenant il allait irriter celui des Boleyns ; aussi commençait-il à craindre que quelle que fût l'issue de cette affaire, elle n'amenât sa ruine.

Il se promenait souvent dans le parc de Hampton-Court avec l'ambassadeur de France, confident de ses douleurs : « Je voudrais qu'on me coupât un doigt de la main, lui disait-il, pourvu qu'on me permît de parler deux heures seulement au roi de France. » Un autre jour, se croyant poursuivi par toute l'Angleterre : « Le roi mon maître et tousses sujets crieront au meurtre contre moi, disait-il avec effroi ; ils me courront sus plus qu'à un Turc, et toute la chrétienté s'élèvera contre moi ! ... » Le lendemain Wolsey, pour gagner l'ambassadeur français, lui faisait une longue histoire de ce qu'il avait fait pour la France, contre le vouloir de toute l'Angleterre : « Il me faut, ajoutait-il, beaucoup de dextérité en mes affaires, et user d'une terrible alchimie. [4] » Mais Valchimie ne devait pas le sauver. Rarement tant d'angoisses s'étaient cachées sous tant de grandeurs. Du Bellay était ému de pitié à la vue des souffrances de ce malheureux. « Quand il s'y met, écrivait-il à Mont morency, c'est pour un jour entier; il crie toujours et à toute heure. De toutes les passions que vîtes onc en un homme, vous n'en avez vu la pareille [5] »

En effet, Wolsey perdait la tête. Cette fatale idée du divorce était la cause de tous ses malheurs, et il eût donné pour la retirer, non pas un doigt, mais un bras, et peut-être davantage. Il était trop tard ; Henri avait lancé son char à la descente, et celui qui aurait voulu l'arrêter aurait été broyé sous ses roues. Toutefois le cardinal essaya d'obtenir quelque chose. François Ier avait intercepté une lettre de Charles Quint, où l'Empereur parlait du divorce comme devant soulever le peuple anglais. Wolsey fit lire cette lettre au roi, dans l'espoir qu'elle lui donnerait quelque appréhension sérieuse; mais Henri s'en renfrogna fort, et Du Bellay, à qui le prince attribua le rapport sur ces troubles supposés par Charles, en reçut quelque petit coup de fouet [6]. Ce fut tout l'effet de cette manœuvre.

Alors Wolsey résolut d'aborder sans détours ce sujet important. Sa démarche pouvait le perdre; mais s'il réussissait, il était sauvé, et la papauté avec lui. Un jour donc (c'était un peu avant la suette, dit Du Bellay, probablement en juin 1528), Wolsey de manda ouvertement au roi de renoncer à son dessein ; sa propre réputation, lui dit-il, la prospérité de l'Angleterre, la paix de l'Europe, le salut de l'Église, tout l'exigeait; d'ailleurs le pape n'accorde rait jamais le divorce. Pendant que le cardinal par lait, le visage de Henri se rembrunissait. A peine le discours futil achevé, que la colère royale éclata. Le roi usa de terribles termes, » dit Du Bellay. Il eût donné mille Wolseys pour Anne Boleyn. « Autre que Dieu ne me la saura ôter, » telle était son inébranlable résolution.

Alors Wolsey ne doutant plus de sa disgrâce, commença à prendre ses mesures. Il bâtissait en plusieurs lieux, afin de s'attirer l'amitié du peuple; il prenait grand soin

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de ses évêchés, qui pouvaient lui assurer une belle retraite ; il faisait bonne mine aux courtisans ; il couvrait ainsi le terrain de fleurs, pour amortir sa chute. Puis il poussait des soupirs comme s'il eût été dégoûté des honneurs, et il célébrait les douceurs de la solitude [7].

Il fit plus encore. Comprenant que le meilleur moyen de regagner la faveur du roi était de se concilier celle d'Anne Boleyn, il lui envoya de superbes présents, et l'assura que tous ses efforts tendraient mainte nant à la porter sur le trône d'Angleterre. Anne, croyant à ces déclarations, répondit à Wolsey qu'elle le servirait à son tour, tant qu'il lui reste rait un souffle de vie [8]. Henri même ne douta plus que le cardinal n'eût profité de la leçon. Ainsi tous les partis s'agitaient, Henri voulait épouser lady Anne, les courtisans se débarrasser de Wolsey, et celui-ci demeurer au pouvoir, quand un grave événement sembla mettre tout le monde d'accord. Vers le milieu de juin, la terrible suette éclata en Angleterre. Les bourgeois de Londres, « dru comme mouches, » dit Du Bellay sentaient tout à coup un mal à la tête et au cœur, se jetaient des rues et des boutiques dans leurs appartements, commençaient à transpirer, et se mettaient au lit. Bientôt le mal faisait des progrès effrayants, une chaleur brûlante dévorait les malades; s'il leur arrivait de se découvrir, la transpiration s'arrêtait, le délire sur venait, et en quatre heures on était mort et roide comme un pan de mur, » dit l'ambassadeur de France [9].

Toutes les familles étaient dans le deuil. Thomas More, à genoux devant un lit, fondait en larmes *[10], et criait à Dieu de sauver sa fille, sa bien-aimée Marguerite. Wolsey, qui était à Hampton-Court, ne se doutant de rien, arriva à Londres, pour présider comme d'habitude la cour de chancellerie; mais aussitôt, il fit brider ses chevaux et se sauva. En quatre jours, deux mille personnes moururent à Londres

La cour fut d'abord à l'abri de la contagion ; mais le quatrième jour, une des dames d'Anne Boleyn fut atteinte; ce fut comme si la foudre était tombée sur le palais. A grande hâte le roi délogea et se rendit à douze milles de là, car il n'était pas disposé à mourir. Il ordonna à Anne d'aller chez son père, fit venir la reine près de lui et s'établit à Waltham. Sa véritable conscience se réveillait en présence de la mort. Quatre de ses gens et un moine, confesseur d'Anne Boleyn, à ce qu'il paraît [11], étant tombés malades, le roi partit pour Hemsden. Il n'y était que depuis deux jours, quand Powis, Carew, Carton et d'autres hommes de sa cour furent enlevés en deux ou trois heures; Henri a rencontré un ennemi qu'il ne peut vaincre. Il quitte le lieu que le mal a frappé ; il se transporte ailleurs ; et quand la suette vient atteindre quelqu'un des siens dans sa nouvelle retraite, il la quitte encore.

La terreur le glace; il erre poursuivi par la faux terrible dont le coup va peut-être l'atteindre; il se prive de toute communication, même avec ses serviteurs; il s'enferme dans une chambre, au haut d'une tour isolée; il y mange tout seul et ne

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voit que son médecin * [12]; il prie, il jeûne, il se confesse, il se réconcilie avec la reine; il communie tous les dimanches et jours de fête; il reçoit son Créateur, selon l'expression d'un gentilhomme de sa chambre * [13], et la reine et Wolsey font de même. Ce n'est pas assez : son conseiller, sir Brian Tuke, était malade en Essex ; n'importe ; le roi lui ordonne de se rendre auprès de lui, fût-ce en litière; et le 20 juin, Henri, ayant entendu trois messes (il n'avait jamais tant fait en un jour), il dit à Tuke : « C'est pour «écrire mon testament.» Il n'était pas seul à prendre cette précaution : « Il s'en était fait cent mille, i> dit Du Bellay.

Pendant ce temps, Anne, retirée dans le château de son père, était calme et recueillie et priait beau coup, surtout pour Henri VIII et pour Wolsey [14]. Mais Henri, beaucoup moins soumis, était dans de vives inquiétudes. « L'ennui que j'avais du doute de votre santé me troubla et égara beaucoup, lui écrivit-il ; mais puisque encore n'avez rien senti, j'espère qu'il se passera de vous comme de nous …

Je vous supplie; ma entière aimée, de n'avoir point de peur, ni de notre absence vous trop ennuyer, car où que je sois, vôtre suis. Nonobstant il faut aucune fois à telle fortune obéir, car qui contre for tune veut lutter en tel endroit, en est bien souvent tant plus éloigné. C'est pourquoi réconfortez-vous et soyez hardie et éviter le mal tant que vous pourrez '[15]....»

Ne recevant point de nouvelles, l'inquiétude d’Henri augmenta ; il envoya à Anne un messager avec une lettre : « Pour m'acquitter de l'office du vrai serviteur, disaitil, je vous envoie cette lettre, vous suppliant de m'avertir de votre prospérité, laquelle je prie à Dieu qu'elle soit aussi longue comme je voudrais la mienne. »

Les craintes de Henri étaient fondées ; la maladie redoublait; en quatre heures dixhuit personnes moururent chez l'archevêque de Cantorbéry ; Anne Boleyn ellemême et bientôt son frère furent at teints. Le roi fut fort alarmé; Anne seule paraissait tranquille, la force de son caractère l'élevait au-dessus de craintes exagérées ; mais ses ennemis attribuaient son calme à d'autres motifs : « Son ambition est plus forte que la mort, disaient-ils. Le roi, la reine, le cardinal tremblent pour leur vie, mais elle... elle mourrait contente, pourvu qu'elle mourût reine. » Henri changea de nouveau de demeure.

Tous les gentilshommes de sa chambre étaient atteints, sauf un; il resta seul se tenant sevré, » dit Du Bellay, et se confessa chaque jour. Il écrivit de nouveau à Anne, en lui envoyant son médecin * [16].

Nouvelles me sont cette nuit soudainement venues, les plus déplaisantes qui me pourraient à venir, car pour trois causes touchant icelles faut-il que je lamente. La première pour entendre la maladie de ma maîtresse, laquelle j'estime plus que tout le monde, et voudrais volontiers porter la moitié de votre souffrance pour vous avoir guérie.

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La seconde, pour la crainte que j'ai d'être encore plus longuement pressé de mon ennuyeuse absence, qui jusqu'ici m'a fait tout l'ennui à elle possible, et quand je puis délibérer de faire pis, alors je prie Dieu qu'il me défasse de pensée si importune et si rebelle. La troisième, que le médecin à qui plus me fie est absent. Néanmoins, en faute de lui, je vous envoie le second, priant Dieu que bientôt il vous puisse rendre saine; et adonc que je l'aimerai plus que jamais. Je vous prie d'être gouvernée par ses avis touchant votre maladie, en quoi faisant, j'espère bientôt vous revoir; ce qui me sera plus grand cordial que toutes les pierres précieuses du monde. » Bientôt la suette redoubla autour de Henri; il s'enfuit effrayé à Hatfield, ne prenant avec lui que les gentilshommes de sa chambre ; puis il quitta ce nouveau séjour pour Tittenhanger, maison qui appartenait à Wolsey, et d'où il ordonna des processions générales dans tout le royaume, afin de dé tourner le fléau de Dieu [17].

En même temps il écrivait à Wolsey : « Aussitôt que quelqu'un tombe malade dans l'endroit où vous êtes, courez dans un autre; allez ainsi de lieu en lieu. »

Le pauvre cardinal était encore plus épouvanté qu’Henri. Il ne lui survenait pas la plus légère sueur, sans qu'il se crût mort. « Je supplie Votre Altesse, écrivait-il -” h tout tremblant au roi le 5 juillet, de se montrer pleine de commisération pour mon âme ; c'est peut-être la dernière parole que je lui adresse...

Le monde entier verra par mon testament que ce n'est pas à un ingrat que vous avez accordé votre faveur... » Le roi, s'apercevant que Wolsey avait l'esprit frappé, lui fit répondre de chasser les fantômes de son imagination' [18], et d'avoir l'humeur gaie au milieu de la mort.

Enfin la suette commença à diminuer, et aussitôt le désir de revoir Anne se réveilla chez Henri ; le 18 août elle reparut à la cour, et le roi ne pensa plus qu'au divorce.

Mais cette affaire semblait aller en raison inverse de ses désirs. On ne savait rien de Campeggi ; s'était-il perdu dans les Alpes ou sur la mer? Sa goutte le retenait-elle dans quelque village, ou l'annonce de son voyage n'était-elle qu'une feinte ? Anne Boleyn elle-même s'inquiétait, car elle attachait une grande importance à la venue de Campeggi. Si l'Église annulait le premier mariage du roi, Anne voyant les plus grands obstacles écartés, croirait pouvoir accepter la main de Henri. Elle écrivit donc à Wolsey : « Je désire savoir de vous des nouvelles du légat, et j'espère que venant de vous, elles seront très bonnes. » Le roi ajouta en postscriptum : « N'apprenant rien de l'arrivée du légat en France, cela nous donne à penser. Cependant nous espérons que par votre diligence et votre vigilance, avec l'assistance du Dieu tout puissant, nous serons bientôt sortis de ce trouble. [19] »

Mais toujours point de nouvelles. En attendant cet ambassadeur si désiré, chacun à la cour d'Angleterre jouait son rôle le mieux qu'il pouvait. Anne, soit conscience, soit prudence, soit modestie, refusait les honneurs dont le roi eût voulu la combler, et ne s'approchait de Catherine qu'avec les marques d'un profond respect. Wolsey avait

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l'air de désirer un divorce qu'en réalité il avait en horreur, comme devant entraîner sa ruine et celle de la papauté. Henri s'efforçait de cacher les motifs qui le portaient à se séparer de la reine ; aux évêques, il parlait de sa conscience, aux nobles d'un héritier, à tous de la triste obligation où il se voyait d'éloigner une princesse si justement aimée. En attendant, il semblait vivre avec elle dans la meilleure harmonie, à ce que dit Du Bellay Mais Catherine était celle qui dissimulait le mieux ses sentiments ; elle était avec le roi comme lors de ses plus beaux jours, avait pour Anne toutes sortes d'égards, adoptait un costume élégant, encourageait autour d'elle la musique et la danse, se montrait souvent en public, et paraissait vouloir capter par ses gracieux sourires la bienveillance de l'Angleterre. Triste comédie, qui devait finir par une tragédie pleine d'angoisse et de larmes ! [20]

FOOTNOTES

[1] Lettres du Vatican. Pamphleteer, n° 43, p. 114. La date ci-dessus est indiquée par l'éditeur; je crois cette lettre un peu plus ancienne.

[2] Lettres du Vatican. Pamphleteer, n” h 43, p. 115. Après la signature vient la devise suivante :ne cherche H. T.

[3] Sans doute Aut illic, aut nullibi. Voir pour cette lettre Pamphlt teer, n' 42, p. 346.

[4] Alquemie. (Le Grand, preuves, p. 157.)

[5] Le Grand, preuves (26 avril 1528), p. 93.

[6] Du Bellay à Montmorency, 24 mai 1528. (Le Grand, preuves, p. 102.)

[7] Du Bellay à Montmorency, 20 août 1528. (Le Grand, preuves, p. 165.)

[8] Your rich and goodly present. » [Pamphleteer, n° 43, p. 150.) ' As long as any breath is in my body. » [Ibid.)

[9] Le Grand, preuves, p. 138.

[10] Upon his knees, with many tears. » [More's Life, p. 136.)

[11] Votre frère maître Jesonere est tombé malade. » Henri à Anne, Pamphleleer, n° 42, p. 347.)

[12] With his physician, in a chamber, within a tower, to suppe a parte. » [State Pap., I, p. 296.)

[13] Hath received his Maker. » [Ibid., 290.

[14] I thank Our Lord that them that I desired and prayed for are escaped, and that is the king and you. » (Anne to Wolsey, Pamphl. n” h 43, p. 150.)

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[15] Lettres du Vatican, Pamphleteer, n° 42, p. 347.

[16] Lettres du Vatican, Pamphleteer, n° 43, p. 120.

[17] General procession to be made, universally through the regime.» (State Papers, I, p. 308.)

[18] «Put apart fear and fantasies. » [Ibid., p. 314.)

[19] Pamphleteer, n° 43, p. 149.

[20] Du Bellay à Montmorency, 16 octobre 1528. (Le Grand, preuves p. 170.)

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CHAPITRE II

Coverdale et l'inspiration. Il entreprend de traduire les Écritures. Sa joie et ses cantiques. Tyball et les laïques. Coverdale prêche à Bompstead. Réveil à Colchester. Les sociétés in- 4. Complètes et l'Église du Nouveau Testament. Persécution. Mon- mouth arrêté et relâché

Pendant que ce drame se jouait dans les palais royaux, d'autres débats avaient lieu parmi le peuple. Après avoir quelque temps contemplé les agitations de la cour, on se retourne avec bonheur vers les humbles disciples de la sainte Ecriture. La Ré formation d'Angleterre (et ceci la caractérise) fait comparaître tour à tour devant nous le roi sur son trône, et le simple artisan dans son humble de meure ; puis, entre ces deux extrêmes, le docteur dans son collège et le prêtre dans sa chaire. Parmi les jeunes hommes qui s'étaient formés à Cambridge sous la direction de Barnès, et qui Ils avaient assisté lors de son jugement, Miles Coverdale (plus tard évêque d'Exeter) devait se distinguer par son zèle pour l'Évangile de Jésus-Christ.

Quelque temps après la chute du prieur, la veille de Pâques 1527, Coverdale et Cromwell s'étaient rencontrés dans la maison de Thomas More, et Cromwell avait exhorté l'étudiant de Cambridge à s'appliquer à l'étude des saintes lettres. [1]

La chute de son malheureux maître avait effrayé Coverdale, et il sentait le besoin de s'éloigner de cette activité extérieure qui avait été si fatale à Barnès. Il se tourna donc vers les Écritures, les lut, les relut, et comprit, comme Tyndale, que la réformation de l'Église devait s'accomplir par la Parole de Dieu. L'inspiration de cette Parole, base unique de sa souveraine autorité, avait frappé Coverdale. « Partout où l'Écriture est connue, disait- il, elle dissipe les ténèbres et réforme toutes choses. Pourquoi? Parce qu'elle est donnée par Vin aspiration même de Dieu* [2]. » Ce principe fonda mental de la réformation en Angleterre, doit être en tout temps celui de l'Église.

Coverdale trouva le bonheur dans ses études : Maintenant, disait-il, je commence à goûter les saintes Écritures ' ! Gloire à Dieu ! Je savoure leur inexprimable douceur ! » Il ne s'en tint pas là, et crut devoir entreprendre en Angleterre le même travail que Tyndale faisait en Allemagne. La sainte Ecriture était si importante aux yeux de ces chrétiens, que deux traductions furent entreprises presque simultanément. « Pourquoi le peuple de l'Angleterre, dit Coverdale, serait-il moins richement pourvu des oracles de Dieu que d'autres «peuples du monde [3]?

Gardez -vous de traduire la Bible ! s'écrièrent les partisans des scolastiques ; votre travail ne servirait qu'à produire des divisions*[4]. Dieu a donné maintenant à son Église, répliquait Coverdale, le don de traduire et le don d'imprimer ; il faut les faire va loir. » Et si quelques amis lui parlaient de la traduction de Tyndale : « Ne savez-vous pas, répondait-il, que quand plusieurs tirent ensemble à la cible, chacun

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s'efforce d'atteindre plus près du but que les autres? [5] Mais l'Écriture ne doit exister qu'en latin ! disaient les prêtres.

Non, répondait encore Coverdale, le Saint-Esprit en est aussi bien l'auteur en hébreu, en grec, en français, en allemand et en anglais qu'en latin La Parole de

Dieu a toujours la même valeur, quelle que soit la langue dans laquelle le SaintEsprit parle [6]. » Ceci ne voulait pas dire que les traductions des saintes Ecritures fussent inspirées, mais que la Parole de Dieu, fidèlement traduite, a toujours une divine autorité. Coverdale résolut donc de traduire les saintes Ecritures, et pour avoir les livres qui lui étaient nécessaires, il s'adressa encore à Cromwell, qui, pendant ses voyages, avait recueilli des écrits précieux. Je ne désire rien au monde que des livres [7], lui écrivit-il ; vous avez, comme Jacob, recueilli la rosée du ciel Je demande à boire de votre torrent*[8]. » Cromwell ne refusa pas ses trésors à Coverdale : « Puisque le Saint-Esprit vous pousse à faire les frais de ce travail, s'écria celui-ci, Dieu me donne aussi le courage de l'entreprendre'[9]; » et il se mit aussitôt à l'œuvre en disant : « Celui qui ne croit pas aux Écritures, ne croit pas en Jésus Christ [10]; et celui qui les rejette, rejette Dieu lui-même. » Telles furent les bases de l'Église ré formée en Angleterre.

Ce ne fut pas en scribe que Coverdale traduisit les Écritures. L'Esprit qui les avait inspirées parlait à son cœur ; et savourant leurs promesses vivifiantes, il exprimait son bonheur dans de pieux cantiques : Vous tous, chrétiens, soyez joyeux [11],

Chantez vos transports sur la lyre!

Ce salut qui descend des cieux,

La plume ne peut le décrire.

Satan me tenait sous sa loi ;

Mais le Fils de Dieu vint me dire :

Je suis à loi ; toi, sois à moi ;

Désormais rien ne peut te nuire.

Ils ont, m'accablant de douleurs, Dans mon sang leur rage assouvie; Mais ne crains rien : pour toi je meurs, Et pour toi je reprends la vie »

Coverdale ne resta pas longtemps dans la solitude qu'il avait désirée. L'étude de la Bible, qui l'y avait attiré, l'en fit bientôt sortir. Un réveil s'opérait alors dans le comté d'Essex; un homme de Bompstead, John Tyball, ayant appris à trouver dans Jésus Christ le vrai pain du ciel, n'en demeura pas là. Un jour qu'il lisait la première épître aux Corinthiens, ces mots : « manger de ce pain » et boire de cette coupe » répétés quatre fois dans un petit nombre de versets, le persuadèrent qu'il n'y avait pas de transsubstantiation.

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Un prêtre n'a pas le pouvoir de créer le corps du Seigneur, dit-il; Christ, il est vrai, est présent dans la Cène, mais il ne l'est que pour celui qui croit, et seulement par une présence et une action spirituelles. » Bientôt Tyball, dé goûté du clergé et du culte romains, convaincu que les chrétiens sont appelés à un sacerdoce universel, crut que l'on pouvait se passer d'un ministère spé cial, et sans rejeter les charges dont parlent les saintes Écritures, comme l'ont fait dès lors quelques chrétiens, il n'y attacha pas d'importance. « La prêtrise n'est pas nécessaire [12], disait-il; tout laïque peut administrer les sacrements aussi bien qu'un prêtre. » Le pasteur de Bompstead, Richard Fox, puis un cordelier de Colchester, nommé Medow, furent successivement convertis par la parole énergique de Tyball.

Coverdale, qui n'était pas éloigné de ces contrées, ayant ouï parler de ce réveil religieux, vint à Bomp stead et y monta en chaire le 29 mars 1528, pour annoncer les richesses que renferment les Écritures. Parmi ses auditeurs se trouva un moine augustin, nommé Topley, qui remplaçait Fox, alors absent. Ce moine, logé au presbytère, avait trouvé dans sa chambre le Guichet de Wycleff ; il l'avait lu avec avidité; sa conscience en avait été agitée, et tout lui avait paru chanceler autour de lui [13]. Plein de trouble, il s'était rendu à l'église, et après le service divin il était accouru auprès du prédicateur, en s'écriant : « Oh! Mes péchés! Mes péchés ! Con fessez-les à Dieu, lui dit Coverdale, et non à l'oreille d'un prêtre. Dieu accepte la confession qui vient du cœur, et il efface tous les péchés'. [14] »

Le moine crut au pardon de Dieu, et devint un évangéliste zélé pour les contrées d'alentour. A peine la Parole divine avait-elle allumé un flambeau, que ce flambeau en allumait un autre. Dans le même comté, à Colchester, un homme honnête, nommé Pykas, avait reçu les épîtres de saint Paul de sa vieille mère qui lui avait dit : « Mon fils, vis selon ces épîtres, et non selon l'enseignement du clergé. » Quelque temps après, Pykas ayant acheté un Nouveau Testament, l'avait lu et relu [15], et un changement fondamental s'était opéré en lui. Il faut, disait-il, être baptisé du Saint-Esprit, » et ce mot avait passé comme un souffle de vie sur cette simple population. Un jour, Pykas ayant appris que Bilney, le premier des docteurs de l'université qui avait connu la puissance de la Parole de Dieu, prêchait à Ipswich, s'y était rendu, car il' ne se refusait pas à écouter un prêtre, quand ce prêtre annonçait la vérité. «Oh! dit Pykas, quel sermon plein de l’Esprit-Saint ! »

Dès lors les réunions des frères en Christ (c'est ainsi qu'on les appelait) se multiplièrent. On lisait le Nouveau Testament, et chacun communiquait aux autres ce qu'il avait reçu pour l'édification commune. Un jour, le vingt-quatrième Chapitre de saint Matthieu ayant été lu : « Quand le Seigneur déclare,» dit Pykas, qui se trompait quelquefois dans l'interprétation spirituelle de l'Écriture, « qu't'i ne sera pas laissé pierre sur pierre dans le temple, il parle de ces prêtres orgueilleux, qui persécutent ceux qu'ils appellent hérétiques et qui prétendent être le temple de Dieu; Dieu les détruira tous. »

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Après avoir protesté contre le prêtre, il protestait contre l'hostie : « C'est dans la Parole qu'est le vrai corps de Jésus-Christ, disait-il; Dieu est dans la Parole, la Parole est en Dieu. Dieu et la Parole ne peuvent être séparés [16]; Christ est la Parole vivante qui nourrit les âmes. » Ces humbles prédicateurs se multipliaient. Des femmes mêmes savaient par cœur les évangiles et les épitres; Marion Matthew, Dorothée Long, Catherine Swain, Alice Gardiner, et surtout la femme de Gyrling qui avait servi chez un prêtre brûlé naguère pour hérésie, prenaient part aux conférences évangéliques. Et ce n'était pas seulement dans les chaumières que l'Évangile était alors annoncé ; Bower-Hall, manoir où résidaient les seigneurs de Bompsteadj était ouvert à Fox, à Topley, à Tyball, qui y lisaient souvent les saintes Écritures dans la grande salle du château, en présence des maîtres et de toute leur maison. Humble réformation, plus réelle que celle d’Henri VIII !

Il y avait, pourtant, quelque diversité de vues entre les frères. « Tous ceux qui ont commencé à croire, disaient Tyball, Pykas et d'autres, doivent se réunir afin d'entendre ensemble la Parole et de croître en la foi ; nous prions en commun et voilà l'Eglise! »

Coverdale, Bilney, Latimer, reconnaissaient volontiers ces sociétés incomplètes, où l'on se réunissait simplement comme disciples; ils les croyaient nécessaires dans le moment où l'Église se formait. Elles prouvaient, selon eux, que l'organisation n'a pas la priorité dans la société chrétienne, comme Rome l'assure, et que c'est à la foi et à la vie que cette priorité appartient. Mais cette forme imparfaite n'était à leurs yeux que provisoire. Il fallait, pour prévenir de nombreux dangers, qu'à cette société informe en succédât une autre, l'Église du Nouveau Testament, avec ses anciens ou évêques et ses diacres. La Parole de Dieu, selon eux, rendait nécessaire un ministère de cette Parole; et il fallait, pour l'exercer, non-seulement la piété, mais aussi la connaissance des langues saintes, le don de l'éloquence, son exercice et son perfectionnement. Toutefois il n'y avait pas de division entre ces chrétiens pour ces choses secondaires.

Depuis quelque temps l'évêque de Londres suivait ce mouvement avec inquiétude. Il fit arrêter Hacker, qui depuis six ans lisait la Bible de maison en maison, à Londres et en Essex, l'examina, le menaça, rechercha soigneusement les noms de ceux qui lui donnaient l'hospitalité, et le pauvre Hacker, fort effrayé, nomma quarante de ses frères. Sébastien Harris, curé de Kensington; Forman, recteur de Tous-les-Saints; John et William Pykas, et beaucoup d'autres, furent cités devant l'évêque. On les conduisait en prison, on les ramenait devant le juge, on les mettait dans les ceps, on les tourmentait de mille manières ; leurs pensées se troublaient ; leur esprit s'égarait, et plusieurs firent les aveux exigés par leurs bourreaux.

Les adversaires de l'Évangile, fiers de ce succès, ambitionnèrent alors une plus belle victoire. Si l'on ne pouvait atteindre Tyndale, n'avait-on pas à Londres le patron de

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son œuvre, Monmouth, le plus influent des marchands qui obéissaient alors à la foi?

Le clergé avait fait de la religion son affaire, et la Réformation la rendait au peuple. Rien ne choquait les prêtres comme ces laïques qui s'attribuaient le droit de croire sans leur intervention et même celui de répandre leur foi. L'un des hommes les plus aimables du seizième siècle, Thomas More, vint servir leur haine. « L'Allemagne, écrivait-il à Cochlée, enfante chaque jour des monstres plus affreux que ceux que produit l'Afrique [17] ; mais hélas ! Elle n'est plus seule à le faire ; que d'Anglais qui, il y a quelques années, ne pouvaient consentir à entendre nommer Luther, et qui aujourd'hui publient ses louanges ! L'Angleterre est maintenant semblable à la mer qui s'enfle et s'agite au mo ment où une grande tempête est près d'éclater [18]. » More était surtout irrité de ce qu'à la timidité des lollards succédait la hardiesse des évangéliques. A Les hérétiques, disait-il, ont déposé l'hypocrisie et revêtu l'impudence. » Il résolut donc de mettre la main à l'œuvre.

Le 14 mai 1529, Monmouth était dans ses magasins, quand un huissier vint le sommer de se rendre chez sir John Dauncies, membre du conseil du roi. Le pieu marchand obéit, en cherchant à se persuader qu'il s'agissait d'affaires ; mais il se trompait, et il ne fut pas longtemps à le reconnaître.

Quelles lettres et quels livres avez-vous reçus dernièrement d'outre-mer ? » Lui dit sévèrement Thomas More, qui, avec Sir W. Kingston, assistait Sir' John*[19]. Aucuns, répondit Monmouth. Quels secours avez-vous donnés à des gens qui se trou vent sur le continent ? Aucun depuis trois ans. W. Tyndale, continua-t-il, a demeuré chez moi pendant six mois, et y a vécu comme un bon a prêtre doit le faire.

Je lui ai remis dix livres sterling au moment de son départ, mais rien depuis lors. Au reste, il n'est pas le seul que j'aie se couru ; le chapelain de l'évêque de Londres, par exemple, m'a coûté plus de cinquante livres sterling. Quels livres possédezvous ? » Continua More. Le marchand nomma le Nouveau Testa ment et d'autres écrits. « Tous ces livres sont restés plus de deux ans sur ma table, dit-il, et je n'ai jamais ouï dire que ni prêtres, ni moines, ni laïques, y aient puisé de grandes erreurs. [20]»

More hochait la tête. « Il est difficile, avait-il coutume de dire, de mettre un bâton sec dans le feu sans qu'il brûle, ou de nourrir un serpent sans «qu'il nous pique. [21]

Cela suffit, continua-t-il ; nous allons visiter votre maison. » Pas un papier n'échappa à leurs recherches, mais on ne trouva rien qui pût compromettre Monmouth ; on le conduisit pourtant à la Tour.

Le marchand ayant été plus tard ramené devant ses juges : « Tu es accusé, lui dit More, d'avoir tt acheté des écrits de Martin Luther, d'avoir sou tenu ceux qui traduisaient en anglais la sainte Écriture, de les avoir aidés à se rendre en Allemagne, d'avoir contribué à faire imprimer, avec et sans gloses, le Nouveau Testament en anglais, de l'avoir introduit dans ce royaume ; et enfin, d'avoir affirmé

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que la foi sauve sans les œuvres. [22] » Il y avait là de quoi brûler plus d'un homme. Monmouth, convaincu que Wolsey avait seul le pouvoir de le délivrer, résolut de s'adresser à lui.

Que vont devenir, pendant mon emprisonnement, mes pauvres ouvriers de Londres et des comtés?... lui écrivit-il. Il leur faut chaque semaine leur argent; qui le leur donnera ?.., De plus, je fais en pays étranger des ventes considérables, qui rapportent beaucoup aux douanes de Sa Majesté [23]. Si je demeure en prison, plus de commerce, et partant plus de droits pour le fisc!...»

Wolsey, homme d'État non moins qu'homme d'Église, commença à s'apitoyer ; à la veille d'une lutte avec le pape et l'Empereur, il craignit d'ailleurs de mécontenter le peuple : Monmouth fut relâché. Alderman, puis shérif de Londres, il fut fidèle jusqu'à sa mort, et ordonna dans son testament que trente sermons seraient prêchés par les ministres les plus évangéliques de l'Angleterre, « pour faire connaître la sainte Parole de Jésus-Christ. Cela vaut mieux, pensait-il, que de fonder des messes. » La Réformation montra dès le seizième siècle qu'une grande activité dans le commerce peut s'associer à une grande piété.

FOOTNOTES

[1] Coverdale to Cromwell. (Coverd., Remains, p. 490.) Les éditeurs des Remains datent cette lettre du Ie' mai 1527; d'autres la croient postérieure.

[2] Reformed ail things. And why? Because it is given by the inspi ration of God. » (Coverd., Remains, p. 10.) 3 Now I begin to taste ofHoly Scriptures. » (/6t't7.,p. 49.)

[3] It grieved me that other nations should be more plenteously provided. » (Coverd., Remains, p. 12.)

[4] Many translations make division in the faith. » [Ibid.)

[5] Every one doth his best to be highest the mark. » [Ibid., p. 14.)

[6] Of like worthings and authority in what language so ever the Holy Ghost speaketh it. » [Ibid., p. 26.)

[7] Nothing in the world I desire but books. » [Rem., p. 490.)

[8] De tuo ipso torrente maxime potare exopto. » [Ibid., p. 491.)

[9] So was I broadened in God to labor in the same. » [Ibid., p. 10.)

[10] Whosoever believed not the Scripture, believed not Christ. » [Ibid., p. 19, 22.)

[11] Be glad now, all ye Christian men. » [Ibid., p. 550.)

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[12] Pristhoode was not necessary. » (Strype's Records, I, p. 51.)

[13] I felt in my conscience a great vravering. » [Bible Ânnals,ç. 185.)

[14] Coverdale, Remains, p. 481.

[15] And read it thoroughly many times. » (Strype, I, ch. i, p. 121.)

[16] God is in the word and the word is in God. » (Strype, I, ch. i, p. 130.)

[17] Germany now daily brings the forth more monsters. » [More's Life, p. 82

[18] Like as before a greatslorm the sea swelleth... » [More's Life, p. 117.)

[19] What letters and what books I received lately from beyond the «eas. » (Strype's Records, p. 363.)

[20] 1 I never heard priest, nor fryer, nor lay man... » (Strype's Records, I, p. 365.)

[21] To nourish a snake in our bosom and not to be stung with it. » [More's Life, p. 116.)

[22] That faith only is sufficient to save a man. » (Strype's Mem., p. 490.)

[23] Which was worth to the king's Grace in his customs. » (Strype'3 Records, \, p. 867.)

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CHAPITRE III

Revirement politique. Nouvelles instructions du pape à Campeggi. Ses retards. Il s'ouvre à François I. Une prédiction. Arrivée de Campeggi. Inquiétude de Wolsey et joie du roi. Un projet du cardinal. Réception de Campeggi. Première entrevue avec la reine. Avec le roi. Efforts inutiles pour que Campeggi donne la décrétale. La conscience du nonce. Opinion publique. Mesures prises par le roi. Son discours aux lords et aux notables. Fêtes. Wolsey recherche l'appui français. Nouvelle contrariété

Pendant que ces persécutions agitaient les campagnes et la capitale de l'Angleterre, tout avait changé dans le monde ecclésiastique, parce que tout avait changé dans le monde politique. Le pape, pressé par Henri VIII et intimidé par les armées de François Ier, avait accordé la décrétale et envoyé Campeggi. Mais tout à coup, nouvelle évolution ; autres faits, autres conseils. Doria avait passé à l'Empereur ; sa flotte avait ramené l'abondance dans Naples ; l'armée de François Ier, ravagée par la famine et par la peste, avait capitulé, et Charles-Quint, triomphant en Italie, avait dit fièrement au pape : Nous sommes décidé à défendre la reine d'Angleterre contre l'injustice du roi Henri. [1] »

Le pouvoir étant revenu à Charles, le pape effrayé ouvrit les yeux sur la justice de la cause de Catherine. « Envoyez quatre messagers après Campeggi, dit-il à ses officiers; que chacun d'eux prenne un chemin différent; qu'ils voyagent à » bride abattue, et lui remettent en toute hâte nos dépêches*. [2] » On atteignit le légat qui ouvrit les lettres du pape. «Premièrement, lui disait Clément VII, traînez votre voyage en longueur. Secondement, quand vous serez arrivé en Angleterre, mettez tout en œuvre pour réconcilier le roi et la reine. Troisièmement, si vous ne pouvez y parvenir, persuadez à la reine de prendre le voile. Quatrièmement enfin, si elle s'y refuse, ne prononcez aucune sentence favorable au divorce sans un commandement exprès et nouveau de ma part. Ceci est l'essentiel. Summum et maximum mandatum. » L'ambassadeur du souverain pontife avait donc pour mission de ne rien faire. C'est une instruction comme une autre.

Campeggi, le moins ancien des cardinaux, était le plus intelligent et le plus lent ; et cette lenteur l'avait fait choisir par le pape. Il comprit son maître. Si Wolsey était l'éperon de Henri pour activer Campeggi, Campeggi devait être la bride de Clément pour arrêter Wolsey [3] L'un des juges du divorce al lait tirer en avant et l'autre en arrière ; l'affaire ne risquait donc pas d'avancer. C'était tout ce que de mandait le pape.

Le légat, fort empressé à ralentir ses pas, mit trois mois à se rendre d'Italie en Angleterre. Il avait dû s'embarquer pour la France le 23 juillet ; mais la fin d'août approchait que l'on ne savait pas en France ce qu'il devait devenu*[4]. Enfin on

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apprit que le 22 août Campeggi était arrivé à Lyon. L'ambassade d'Angleterre en France lui ayant envoyé chevaux, voitures et argent, pour qu'il hâtât sa marche, le légat se plaignit de la goutte, et Gardiner eut toute la peine du monde à le faire avancer. Henri écrivait jour par jour à Anne Boleyn les lenteurs et les progrès du nonce. « Il est arrivé à Paris dimanche ou lundi dernier, lui écrivait-il au commencement de septembre; lundi prochain nous apprendrons son arrivée à Calais, et alors j'obtiendrai ce que j'ai si longtemps désiré pour votre bonheur et pour le mien. [5]» En même temps ce prince impatient envoyait coup sur coup des messages pour hâter la marche du légat.

Anne commençait à désirer un avenir qui dépassait tout ce que sa jeune imagination avait pu concevoir, et son cœur agité s'ouvrait à l'espérance. Je veux, écrivait-elle à Wolsey, exprimer à Votre Grâce ma reconnaissance de toutes les peines qu'elle se donne pour m'assurer le plus grand état qu'une créature vivante puisse obtenir, surtout si l'on compare ma petitesse à la gloire de Sa Majesté. Ah ! Monseigneur, vous savez combien peu il est en mon pouvoir de vous récompenser ; toutefois, quoi que ce soit qui puisse vous être agréable, je serai, si je puis vous le procurer, la plus heureuse des femmes. [6]»

Mais l'impatience du roi d'Angleterre et d'Anne Boleyn ne paraissait pas devoir être satisfaite. Campeggi, en passant à Paris, dit à François Ier que le divorce n'aurait pas lieu, et qu'il se rendrait bientôt on Espagne, auprès de Charles-Quint Ceci était significatif. « Il faut que le roi d'Angleterre sache, dit François indigné au duc de Suffolk, que Campeggi est impérial dans l'âme, et que toute sa mission en Angleterre ne sera qu'une longue dissimulation'. [7] »

En effet, la faction espagnole et romaine mettait tout en œuvre pour empêcher une union qu'elle dé testait. Anne, reine d'Angleterre, ce n'était pas seulement Catherine humiliée, Charles-Quint offensé; C’était le parti clérical affaibli, peut-être perdu, et le parti évangélique mis à sa place. La faction romaine trouvait des complices jusque dans la famille d'Anne Boleyn. La femme de son frère George, fière, emportée, stricte catholique, avait juré à sa jeune belle-sœur une haine implacable. On pouvait ainsi porter jusque dans le sanctuaire, domestique des coups qui, pour être plus intimes, n'en étaient que plus profonds. Un jour, dit-on, Anne trouva sous sa main un livre de prétendues prophéties, et ses regards tombèrent sur une image représentant un roi, une reine versant des larmes, et à leurs pieds une jeune fille décapitée. Anne détourna les yeux avec dégoût. Elle voulut pourtant savoir ce que cette image signifiait, et des amis officieux lui amenèrent un de ces soi-disant savants, assez nombreux alors, qui, abusant de la crédulité des ignorants, prétendaient interpréter de tels mystères.

Cette image prophétique, dit-il, représente l'histoire du roi et de son épouse. » Anne n'était pas crédule, mais elle comprit ce qu'on voulait lui insinuer, et congédia

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le prétendu interprète sans montrer de frayeur puis s'adressant à celle de ses femmes qu'elle aimait le plus : « Viens ici, Nanne, lui dit- elle, regarde bien ; ceci représente, dit-on, le roi, ceci la reine, et cela (posant le doigt sur la tête sanglante), c'est moi ... Ah ! s'écria la jeune fille épouvantée, si j'étais à votre place, je n'épouserais jamais le roi, fût-il même empereur ! Rassure-toi, Nanne, répondit Anne Boleyn avec un doux sou rire, ce livre n'est qu'une niaiserie. [8] Quel que soit l'avenir qui m'attende, continua-t-elle, l'espoir de faire le bonheur de ce peuple en lui don nant un prince, ne doit-il pas contrebalancer ces cruels présages? » Cette histoire repose sur une bonne autorité, et il y avait alors tant de prédictions de ce genre, qu'il se peut que l'une d'elles ait rencontré juste ; on ne se rappelait plus tard que les prophéties confirmées par les événements. Quoi qu'il en soit, cette jeune femme châtiée un jour sévèrement, devait pourtant trouver en Dieu une abondante consolation.

Enfin Campeggi s'embarqua le 29 septembre à Calais, et malheureusement pour lui, il eut une excellente traversée ; une tempête qui l'eût rejeté sur les côtes de la France l'aurait admirablement servi. Mais le i octobre il était à Cantorbéry, et annonçait son arrivée au roi. A cette nouvelle Henri oublia tous ces délais qui l'avaient tant indigné. « Sa Majesté ne pourra jamais témoigner à votre Sainteté une reconnaissance qui réponde à tant de faveur, écrivit Wolsey au pape ; mais elle y emploiera ses richesses, son royaume, sa vie même, et méritera le nom de Restaurateur de l’Eglise a aussi juste titre que celui de Défenseur de la foi... »

Ce zèle effraya Campeggi, car le pape lui écrivait que toute démarche qui irriterait Charles Quint entraînerait inévitablement la ruine de l'Eglise [9]. Le nonce redoubla donc de lenteur, et arrivé à Cantorbéry le 1er octobre, il n'atteignit Dartforci que le 5, mettant cinq jours à faire deux ou trois lieues.

Cependant on se préparait à le recevoir à Londres. Wolsey, plein de dédain pour la pauvreté des cardinaux romains, et fort inquiet de l'équipage dans lequel son collègue allait faire son entrée dans la capitale, lui envoya des coffres précieux, de riches tapis, des carrosses drapés et des mules enharnachées. Campeggi, dont la mission secrète était de ne pas paraître et surtout de ne rien faire, craignait au contraire les panaches, les caparaçons et tout l'éclat d'une entrée triomphale.

Il allégua donc la goutte pour se soustraire aux pompes que son collègue lui avait préparées, se mit modestement dans un bateau, et arriva ainsi au palais de l'évêque de Bath qui lui était destiné.

Pendant que le nonce remontait incognito la Tamise, les équipages envoyés par Wolsey entraient à Londres au milieu d'une multitude ébahie, qui les contemplait avec curiosité, comme s'ils arrivaient des bords du Tibre. Quelques mules ayant fait un écart, les coffres tombèrent, s'ouvrirent, et chacun se précipita pour voir les objets précieux qu'ils devaient contenir,... mais, ô surprise!... ils étaient vides! Cela

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divertit fort les bourgeois de Londres. « Brillants au dehors, vides. au dedans... bel emblème de la papauté, de son ambassade et de ses pompes ridicules! disait-on;... Légat en peinture, procession de carnaval, vraie scène de comédie!... [10]»

Campeggi était enfin arrivé, et maintenant ce qu'il redoutait le plus, c'était une audience. « Je ne puis me mouvoir, dit-il, ni supporter même le mouvement d'une litière [11]. » Jamais goutte n'était venue si à propos. Wolsey, qui le visitait souvent, reconnut bientôt en lui un prêtre qui l'égalait en finesse. En vain l'entourait-il d'égards, lui serrait il la main, l’embrassait il, le choyait-il [12]; c'était peine perdue, le nonce romain restait bouche close, et Wolsey perdait courage. Le roi était, au contraire, plein d'espérance, et croyait avoir déjà la lettre de divorce dans son portefeuille, parce qu'il avait le nonce dans son royaume.

Le plus grand effet de l'arrivée du nonce fut de mettre fin aux indécisions d'Anne. Elle avait des retours; les épreuves qu'elle prévoyait, la douleur que Catherine devait ressentir, avaient agité son imagination et troublé son âme. Mais quand elle vit l'Eglise, ses propres ennemis, prêts à prononcer le divorce du roi, ses doutes se dissipèrent, et elle regarda comme légitime la position qui lui était offerte. Le roi, qui souffrait de ses scrupules, fut ravi de ce changement. « Je veux vous dire, lui écrivit-il (en anglais), toute ma joie en apprenant que. Vous vous conformez enfin à la sagesse, que vous supprimez vos inutiles pensées et vos vaines imaginations, et les maîtrisez par la bride de la raison [13]. La possession de tous les biens du monde ne saurait me donner une si grande satisfaction. La maladie non feinte de ce légat bien disposé, retarde seule le moment où il se présentera chez vous. » Ce fut donc la résolution du pape qui décida Anne Boleyn à accepter la main de Henri VIII ; c'est là un renseignement important dont nous sommes redevables aux lettres du Vatican. Il faut être reconnaissant envers la papauté qui nous les a si soigneusement conservées.

Mais plus Henri se réjouissait, plus Wolsey se désespérait; il eût voulu pénétrer dans la pensée de Clément VII, et il ne pouvait y parvenir. S'imaginant que De Angelis, général de l'Observance espagnole, connaissait tous les secrets du pape et de l'Empereur, il conçut le projet de le faire enlever. S'il se rend en Espagne par mer, dit-il à Du Bellay, un bon brigantin ou deux feront l'affaire; si par terre, ce sera plus facile encore. » Du Bellay ne faillit (dit-il lui-même), « à lui mettre au nez qu'après de tels actes, c'en serait fait de la bonne volonté du Saint-Père... » N'importe, ré pondit Wolsey, je n'ai rien à perdre ! » En disant cela, la larme lui en venait à l'œil' [14]. Enfin, il se résigna à ignorer les desseins du pontife, sécha ses pleurs, et attendit, non sans trembler, l'entrevue de Henri et de Campeggi.

Ce fut le 22 octobre, un mois après son arrivée, que le nonce, porté sur un fauteuil de velours écarlate, se rendit à la cour. Il fut posé à la droite du trône, et son secrétaire fit en son nom un discours pompeux, saluant Henri du nom de Sauveur

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de Rome, Lïberator urbis. « Sa Majesté, répondit Fox au nom du roi, s'est acquittée des devoirs imposés à un prince chrétien, et elle espère que le Saint-Siège s'en souviendra. » Bien assailli, bien défendu, dit Du Bellay. » Pour le moment, quelques déclamations latines avaient tiré d'affaire le nonce du pape.

Campeggi ne se faisait pas d'illusion ; derrière le refus du divorce, il entrevoyait la réformation de l'Angleterre. Cependant il espérait encore, car on assurait que Catherine se soumettrait au jugement de l'Eglise ; et persuadé que la reine ne refuserait rien au Saint-Père, le nonce commença les approches, » comme parle Du Bellay. Ce fut le 27 octobre que les deux cardinaux se rendirent chez Catherine, et lui insinuèrent avec des paroles flatteuses, qu'elle pouvait prévenir le coup qui la menaçait en se retirant volontairement dans un cloître. Puis, pour faire cesser toute indécision dans l'esprit de la reine, Campeggi prit un air sévère et s'écria :

Eh quoi! Madame, expliquez-nous ce mystère : Du moment que le Saint-Père nous a commis pour examiner la question de votre divorce, on vous à vue non-seulement à la cour, mais en public, vous parer d'ornements magnifiques, assister avec une apparence de gaieté et de dissipation à des divertissements, à des fêles, que vous n'aviez pas tolérés jusqu'alors!... L'Église est à votre sujet dans l'embarras le plus cruel ; le roi, votre époux, % se trouve dans une grande perplexité; la princesse, votre fille, vous est retirée... et au lieu de verser des larmes, vous vous livrez à la vanité... Renoncez au monde, Madame, entrez en religion, c'est notre Saint-Père luimême qui vous le demande [15].

La reine troublée était près de s'évanouir; elle surmonta pourtant son émotion, et dit avec douceur, mais avec fermeté : « Quoi ! Monseigneur, on demande si je suis la femme légitime du roi! Mais voilà près de vingt ans que je le suis, et personne n'a jamais élevé le moindre doute à ce sujet Des lords, des prélats qui vivent encore, ont déclaré notre mariage légitime et honorable, au moment où il fut contracté ; et maintenant il serait abominable ! Quand je me rappelle la sagesse du roi Henri VII et l'amour que me portait le roi Ferdinand mon père, puis-je croire que ces princes il ôte lustres m'aient fait contracter une union illicite? » A ces mots l'émotion de Catherine la contraignit à s'arrêter. « Si je pleure, Monseigneur, reprit-elle aussitôt, ce n'est pas pour moi-même, c'est pour une personne qui m'est plus chère que la vie. Quoi! Je consentirais à un acte qui priverait ma fille de la couronne ! Non, je ne sacrifierai pas mon enfant. Je connais les dangers qui me menacent. Je ne suis qu'une faible femme, étrangère, sans lettres, sans conseillers, sans amis et mes adversaires sont habiles, versés dans les lois, et jaloux de mériter la faveur de leur maître Il y a plus ; mes juges mêmes sont mes ennemis. Puis-je recevoir comme tel, dit-elle en regardant Campeggi, un homme arraché au pape par de manifestes mensonges ?..... Et quant à vous, ajoute-t-elle en se tournant avec hauteur vers Wolsey, n'ayant pu obtenir la tiare, vous avez juré de vous venger de l'Empereur mon neveu et vous avez tenu votre serment C'est de vous seul que k viennent tous

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les chagrins qu'il a endurés. Une victime ne vous a pas suffi. Forgeant d'abominables suppositions, vous voulez plonger sa tante dans un affreux abîme Mais ma cause est juste, et je la remets au Seigneur. » Après ces courageuses paroles, l'infortunée Catherine se retira dans ses appartements. L'imminence du danger opéra chez elle une révolution salutaire : elle posa ses brillants atours, prit les vêtements graves sous lesquels on la représente ordinairement, et passa les jours et les nuits dans le deuil et dans les larmes [16].

Ainsi Campeggi voyait ses espérances déçues ; il avait cru trouver une nonne, et il avait rencontré une reine, une mère... Il va mettre en mouvement tous les ressorts imaginables *, Catherine ne voulant pas renoncer à Henri, il fallait obtenir de Henri qu'il renonçât à se séparer de la reine. Le légat romain changea donc ses batteries, et les tourna contre le roi.

Henri, toujours impatient, s'étant rendu sans cérémonie chez Campeggi, accompagné de Wolsey. [17] « Nous voici sans témoins, dit-il en s'asseyant familièrement entre les deux cardinaux; parlons a de nos affaires à cœur ouvert* [18]. Comment allons-nous procéder? » Mais quels furent son étonnement et sa douleur [19], lorsque le nonce l'engagea, il est vrai avec tous les ménagements imaginables, à renoncer au divorce* [20]! Aces mots, le bouillant Tudor s'emporte : « Est-ce ainsi que le pape tient sa parole? s'écrie-t-il. Il m'envoie un ambassadeur pour annuler mon mariage, mais en réalité pour l'affermir! » Il se fit une pause. Campeggi ne savait que dire.

Henri et Catherine étant également persuadés de leur bon droit, le nonce se trouvait placé entre l'enclume et le marteau; Wolsey lui-même endurait le martyre [21]. La colère du roi s'accrut; il avait pensé que le légat se hâterait de retirer une parole imprudente, et Campeggi demeurait muet. « Je le vois, dit Henri au nonce, votre parti est pris ; le mien, soyez-en sûr, ne tardera pas à l'être. Que le pape persévère seulement dans cette manière d'agir, et le siège apostolique, couvert d'une infamie perpétuelle, sera frappé d'une affreuse destruction. [22]» Le lion avait rejeté la peau d'agneau dont il s'était un instant couvert ; il rugissait en bondissant. Campeggi sentit qu'il fallait apaiser le monarque. « Finesse et délai, lui écrivait-on de Rome; et dans ce but le pape l'avait muni des armes nécessaires. Il se hâta d'exhiber la fameuse décrétale qui prononçait le divorce. « Le Saint-Père, dit-il au roi, désire ardemment que cette affaire se termine par une heureuse réconciliation entre vous et la reine ; mais si cela est impossible, vous allez juger vous-même si Sa Sainteté veut tenir ses promesses. » Puis il lut la bulle, et la montra même à Henri, sans toutefois la laisser sortir de ses mains.

Cette exhibition produisit l'effet désiré; 'Tudor se calma. « Me voilà rassuré, dit-il; ce talisman miraculeux ranime tout mon courage. Cette décrétale est le remède énergique qui va rendre la paix à ma conscience oppressée et la joie à mon cœur

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brisé [23]. Écrivez à Sa Sainteté que cet immense bienfait m'unit tellement à elle, qu'elle peut attendre de moi au-delà de tout ce que son imagination peut concevoir. » Cependant quelques nuages se formèrent peu après dans l'esprit du roi.

Campeggi ayant montré la bulle, s'était hâtée de la remettre sous clef. Prétendrait-

il la garder dans sa cassette? Henry et Wolsey vont mettre tout en œuvre pour l'obtenir; ce point gagné, la victoire leur appartient.

Wolsey s'étant rendu chez le nonce, il lui de manda la décrétale d'un air de candeur, et comme chose toute naturelle ; il désirait, dit-il, la montrer aux conseillers privés du roi. « Le pape, répondit Campeggi, a accordé cette bulle, non pour qu'on s'en serve, mais pour qu'on la tienne secrète' [24]; il a simplement voulu montrer au roi les bons sentiments qui l'animent. » Wolsey ayant échoué, Henri vint à son tour. « Veuillez, dit-il, me remettre cette bulle que vous m'avez montrée. » Le nonce la refusa respectueusement. Pour un seul mo ment, » reprit le roi. Même refus. L'orgueilleux Tudor se retira en étouffant sa colère. Alors Wolsey revint à la charge et fonda sa demande sur la justice. « Je suis, comme vous, délégué par Sa Sainteté pour décider cette affaire, dit-il, et j'ai besoin d'étudier l'acte important qui doit régler nos opérations.» Nouveau refus. Eh quoi! s'écria le ministre de Henri VIII, ne suis-je pas cardinal comme vous?... juge comme vous?... votre collègue?... »

N'importe, le nonce ne voulut à aucun prix se dessaisir de la décrétale*[25].

Clément ne s'était pas trompé dans le choix qu'il avait fait de Campeggi; l'ambassadeur était digne de son maître. Il était évident que le pape, en accordant la bulle, avait joué la comédie ; cette ruse révoltait le roi. Ce n'était plus de la colère qu'il ressentait; c'était du dégoût. Wolsey comprit que le mépris d’Henri était plus à craindre que son courroux ; il s'en alarma et se rendit de nouveau chez le nonce. « La commission générale, lui dit-il, est insuffisante, la commission décrétale peut seule nous servir, et vous ne nous permettez pas d'en lire un seul mot'… [26]. Le roi et moi nous nous reposions avec confiance sur les bonnes intentions de Sa Sainteté, et nous nous voyons frustrés dans notre attente*[27]. Où est cette affection paternelle dont nous nous étions flattés? Quel est le prince qui n’ait jamais été joué par le pape comme l'est maintenant le roi d'Angleterre ?

Si c'est ainsi que l'on récompense le Défenseur de la foi, la chrétienté saura ce que doivent attendre de Rome ceux qui la servent, et toutes les puissances lui retireront leur appui. Ne vous y trompez pas; la base sur laquelle le Saint-Siège repose est si peu solide que le moindre mouvement suffit pour le précipiter dans une ruine éternelle*[28]. Funeste avenir... Tourment inexprimable!... Soit que je veille, soit que je dorme, de sinistres pensées ne cessent de me poursuivre comme un affreux cauchemar*... [29]»

Cette fois-ci Wolsey disait la vérité. Mais toute cette éloquence était inutile ; Campeggi refusait la bulle tant désirée; en l'envoyant, Rome lui avait dit: « Surtout,

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ne réussissez pas! » Ce moyen ayant échoué, il restait pourtant à Wolsey une autre voie pour accomplir le divorce : « Eh bien, dit-il à Campeggi, prononçons-le nousmêmes. Gardons-nous-en bien, répondit le nonce; l'indignation de l'Empereur serait telle, que la paix de l'Europe en serait à jamais troublée. Je sais comment arranger tout cela, répliqua le cardinal anglais ; en fait de politique vous pouvez vous reposer sur moi. [30] » Alors le nonce prit un autre langage, et s'enveloppant fièrement du manteau de sa moralité : « Je ne suivrai que la voix de ma con science, dit-il ; si je reconnais que le divorce est possible, je franchirai le fossé; sinon, non. Votre conscience ! Il est facile de la satisfaire, reprit Wolsey. La sainte Écriture défend d'épouser la veuve de son frère ; or, nul pape ne peut accorder ce que la loi de Dieu défend. Dieu nous préserve d'un tel principe ! s'écria le prélat romain ; la puissance du pape est sans limites. »

A peine le nonce avait-il mis sa conscience en avant, qu'elle faisait naufrage; elle le liait à Rome et non au ciel. Au reste, l'opinion publique, et les amis de Campeggi eux-mêmes, n'avaient pas grande idée de sa moralité; ils pensaient que pour lui faire franchir le fossé, il fallait seulement connaître le prix auquel il voulait se vendre. L'évêque de Bayonne écrivait à Montmorency : « Mettez-moi en quelque bout de lettre, que je puisse montrer à Campeggi, quelque chose de sonnant, qu'on lui donnera des bénéfices... Cela ne vous coûtera rien, et pourra servir à la matière du mariage ; car je sais bien qu'il en désire. Que reste-t-il donc à faire? a dit enfin Wolsey, étonné de rencontrer une résistance à laquelle il n'était point accoutumé. Je vais informer le pape de ce que j'ai vu et entendu, répondit Campeggi, et j'attendrai ses instructions.»

Henri dut consentir à cette nouvelle démarche, car le nonce faisait mine, si l'on s'y opposait, d'aller chercher lui-même à Rome les directions du pontife, et il n'en fût jamais revenu. Encore quelques mois de gagnés. Pendant ce temps les esprits fermentaient. La perspective d'un divorce entre le roi et la reine avait ému la nation; et la majorité, surtout parmi les femmes, se prononçait contre le roi. « Quoi que l'on fasse, disait-on hautement, qui épousera la princesse Marie, sera roi d'Angleterre [31]. » Les espions de Wolsey l'informaient que Catherine et Charles Quint avaient à la cour même des partisans dévoués. Il voulut s'en assurer. « On prétend, dit-il un jour d'un air indifférent, que l'Empereur s'est vanté de faire jeter le roi hors de son royaume, et cela par les propres sujets de Sa Majesté... Qu'en pensez-vous, milords? Durs à l'éperon, dit Du Bellay, » les lords demeurèrent muets. A la fin pourtant, l'un d'eux, plus imprudent que les autres, s'écria : « Cette parole fera perdre à l'Empereur plus de cent mille Anglais ! » Wolsey en savait assez. Pour les perdre, pensait-il, il faut bien les avoir. Si Catherine pensait à faire la guerre à son mari, suivant l'exemple de quelques reines d'Angleterre, elle aurait donc un parti prêt à l'appuyer ; ceci devenait dangereux.

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Le roi et le cardinal prirent aussitôt leurs me sures. On fit sortir de Londres plus de quinze mille sujets de Charles; on saisit les armes des bourgeois, « afin qu'il ne leur demeurât pire bâton que la langue*[32] ; » on renvoya les conseillers flamands que l'on avait accordés à Catherine, après qu'ils eurent été entendus du roi et de Campeggi (car à l'aulre, [Wolsey], ils dirent n'avoir charge de parler ») ; enfin on fit sur tout le pays un guet grand et continuel. » On craignait une descente en Angleterre, et Henri n'était pas d'humeur à soumettre son royaume au pape.

Ce n'était pas assez ; le roi alarmé crut devoir compter avec son peuple, et ayant convoqué, le 13 novembre [33], dans son palais de Bridewell, les lords spirituels et temporels, les juges, les membres du conseil privé, le maire de Londres, les aldermen et la plupart des grands seigneurs du pays, il leur dit d'un air de condescendance : « Vous savez, mi lords, que depuis vingt années la divine Providence a accordé à notre patrie une prospérité qu'elle n'avait jamais connue. Mais au milieu de toute la gloire qui m'environne, la pensée de mon dernier moment s'offre souvent à moi', et je crains que si je meurs sans héritier, ma mort ne fasse plus de mal à mon peuple que ma vie ne lui aura fait de bien. A. Dieu ne plaise que, faute d'un roi légitime, l'Angleterre soit de nouveau livrée aux horreurs de la guerre civile ! » Puis ayant rappelé les illégalités qui invalidaient son mariage avec Catherine : « Ces pensées, continua le roi, ont rempli mon âme de crainte, et viennent sans cesse bourreler ma conscience. Voilà le seul motif, j'en prends Dieu à témoin [34], qui m'a fait porter cette affaire devant le souverain pontife. Depuis vingt ans que je connais la reine, elle est à mes yeux tellement au-dessus de toutes les femmes, que si j'étais sans épouse, et que le droit divin le permît, je la choisirais encore.

Mais, ô deuil ! ô larmes ! . . . si Dieu interdit d'épouser la femme de son frère, je dois me séparer d'une femme si illustre, je dois me reconnaître coupable d'avoir vécu vingt ans dans une union illicite ; je vois mon trône sans héritier, et cet empire sans chef après ma mort... Invitez mon peuple, nobles seigneurs, à joindre ses prières aux miennes, pour que Dieu nous fasse connaître sa volonté suprême. »

Ces paroles manquaient de sincérité, mais elles étaient bien calculées pour calmer les esprits. Malheureusement, il paraît qu'après ce discours de la couronne, dont la copie officielle nous a été conservée, Henri ajouta quelques mots de sa façon. « Si cependant, dit-il, selon Du Bellay, en portant autour de lui un regard menaçant, il se trouvait un homme quel qu'il fût qui tînt de son prince d'autres termes qu'il ne faut tenir, je montrerai que je suis maître, et il n'y aura si belle tête que je n'en fasse voler*. [35] » Ceci était un vrai propos à la Henri VIII ; mais on ne peut accorder un crédit sans limites aux assertions de Du Bellay, ce diplomate aimant, comme d'autres, à donner du piquant à ses dépêches. Quoi qu'il en soit du postscriptum, le discours à l'occasion du divorce fit effet. Dès lors plus de plaisanteries, pas même de la part des ennemis des Boleyns. Les uns approuvaient

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le roi, d'autres se contentaient de plaindre la reine en secret; la plupart se préparaient à profiter d'une révolution de cour que chacun prévoyait. « Le roi, dit encore l'ambassadeur de France, leur a fait si vivement entendre sa fantaisie, qu'ils parlent plus sobrement qu'ils n'ont fait. »

Henri, voulant étouffer les clameurs du peuple et remettre les grands de leur effroi, donna des fêtes magnifiques, tantôt à Londres, tantôt à Greenwich, quelquefois à Hampton-Court et à Richmond. La reine l'accompagnait, mais Anne restait d'ordinaire dans un fort beau logis que Henri lui avait fait accoutrer, » dit du Bellay. Le cardinal, suivant l'exemple de son maître, faisait jouer des farces en français avec grand appareil. Tout son espoir était dans la France. « Je ne veux rien en Angleterre, ni en fait, ni en paroles, qui ne soit français [36], » disait-il à l'évêque de Bayonne.

Enfin, Anne Boleyn avait accepté la position brillante qu'elle avait d'abord refusée, et chaque jour ses beaux appartements se remplissaient d'une cour nombreuse ; plus grosse que de longtemps il n'avait été fait à la reine. Oui da, disait Du Bellay en voyant la foule se tourner vers le soleil levant, on veut accoutumer ce peuple par les petits à l'endurer, afin que quand on viendra à donner les grands coups, il ne les trouve si étranges. » Au milieu de ces fêtes, la grande affaire ne sommeillait pas. L'ambassadeur de France sollicitant le subside destiné à la rançon des fils de François I, le cardinal lui demanda en échange un écrit prouvant que le mariage n'avait jamais rien valu. Du Bellay s'excusa sur son âge et son peu de science ; mais comprenant enfin qu'il n'aurait pas autrement le subside, il écrivit le mémoire en un seul jour. Le cardinal et le roi, ravis, le conjurèrent de parler luimême à Campeggi.

L'ambassadeur y consentit et réussit au-delà de toute espérance. Le nonce, sachant qu'un arc trop tendu peut se rompre, faisait passer Henri tour à tour par la crainte et par l'espoir. « Gardez-vous bien d'avancer que le pape n'avait pas le droit d'accorder une dispense au roi, disait-il à l'évêque français ; ce serait nier son pouvoir, qui est infini. Mais, ajouta-t-il d'un ton mystérieux, je veux vous faire connaître un chemin qui vous mènera infailliblement au but. Montrez que l'on a trompé le Saint-Père en alléguant de faux motifs. Poussez-moi cela roide, ajouta-t-il, afin de me faire tomber à déclarer la dispense mal fondée. [37] » Ainsi le légat révélait lui-même la brèche par laquelle on pouvait surprendre la forteresse. «Victoire! » s'écria Henri en entrant rayon nant de joie chez Anne Boleyn.

Mais cet épanchement de Campeggi n'était qu'une nouvelle ruse. « Il se fait à la cour un grand bruit, écrivit bientôt Du Bellay, que l'Empereur et le roi de France appointent ensemble et laissent Henri VIII derrière, en sorte que tout retombera sur ses épaules. [38]» Wolsey voyant que les intrigues de la diplomatie échouaient,

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crut devoir faire jouer de nouveaux ressorts, « et par tous bons et honnêtes moyens tirer le pape en bonne dévotion*. [39] »

Il voyait d'ailleurs avec une grande peine la nouvelle catholicité qui se formait dans le monde, et qui unis sait par d'intimes liens les chrétiens de l'Angleterre à ceux du continent. Frapper l'un des chefs de ce mouvement évangélique pourrait incliner la cour de Rome en faveur d’Henri VIII. Le cardinal entre prit donc de poursuivre Tyndale, et c'est en Allemagne que cette résolution va nous transporter.

FOOTNOTES

[1] Cum Cœsar materterae suae causam contra injurias Henrici pro pugnaverit. » (Sanders, p. 28.)

[2] Quatuor nuncios celerrimo cursu, diversis itineribus ad Campe gium misit. » (Sanders, p. 28, et Herbert, p. 253.)

[3] Wolsey might spur Campegius, and Campegius would bridle Wolsey. » (Fuller, book V, p. 172.)

[4] State Papers, VU, p. 91, 92.

[5] Which I have so long longed for, to God's pleasure, and our both comforts. » [Pamphleteer, n° 43, p. 117.)

[6] «The gladdest woman in the world. » (Pamphleteer,na 43, p. 151.)

[7] Only to use dissimulation with Your Grace. » (State Papers, VII, p. 183.)

[8] I think the book a bauble. » [Anne Boleyn, Wyat, p. 430.)

[9] Sanga à Campeggi, Viterbe, 27 septembre (Ranke, Deutsche -Gtsch., III, p. 135.)

[10] State Papers, VU, p. 94, 95, note.

[11] Dépèche de l'évèque de Bayonne, du 16 octobre 1529. (Le Grand, preuves, p. 169.)

[12] Quem saepius visitavi, et amantissime sum complexus. » [State Papers, VII, p. 103.)

[13] The supressing of your inutile and vaine thoughts and fantasys with the brydl of reason. » [Pamphleteer, n° 43, p. 1Î3.1

[14] Du Bellay à Montmorency, 21 octobre. ( Le Grand, preuves p. 185.)

[15] Du Bellay à Montmorency, 1 novembre. (Le Grand, preuves, .p. 186.)

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[16] Rejinain luctu et lacrymis noctes diesque egit. » (Sanders,29.)

[17] Regia majestas et ego ad eum crebro accessiraus. » [State Pa pers, VII, p. 103.)

[18] Rex et duo cardinales, remotis arbitris, de suis rebus multum et diu collocuti. » (Sanders, 29.)

[19] Incredibili utriusque nostrum animi mœrore. » [State Papers, VII, p. 104.)

[20] Conatus est omne divortium inter regiam majestatem et regi nam dissuadere. » [Ibid.)

[21] Non absque ingenti cruciatu. » (Ibid.)

[22] Ingemiscendum excidium, perpetua infamia... » [Ibid.)

[23] Remedium levamenque afflictœ oppressaeque conscietitiae. » [State Papers, VII, p. 104.)

[24] Non ut ea uteremur, sed ut secreta haberetur. » [State Papers, VII, p. 104.)

[25] Nullo pacto adduci vult, ut rnihi, suo colleges, çommissionem hanc decretalem e suis manibus credat. » [Ibid., 105.)

[26] Nec ullum verbum aut mentionem ullam. » [State Papers, VII, p. 105.)

[27] Esse omni spe frustrates quara in prœfata Sanctitate tam iii* genue reposueramus. » [Ibid.)

[28] A fundamento tam levi, incertaque statera pendeat, ut in sem piternam ruinam. » [Ibid., p. 106.)

[29] Quanto animi cruciatu... vigilans dormiensque... » [Ibid., 105.)

[30] Du Bellay à Montmorency. (Le Grand, preuves, p. 66.)

[31] Du Bellay à Montmorency, 8 novembre 1528. (Le Grand, preuves p. 204.)

[32] Le Grand, preuves, p. 232. » Idibus novembris, porte l'acte. (Wilkins, Concilia, III, p. 714.) Her bert et Collyers disent le 8 novembre.

[33] In mentem una venit et concurrit mortis cogltatio. » (Ibid.)

[34] Hœc una res, quod Deo teste et in regis oraculo affirmamus. » (Wilkins, Concilia, III, p. 714.)

[35] Du Bellay à Montmorency, 17 novembre 1528. (Le Grand, preuves, p. 218.)

[36] Du Bellay à Montmorency, 1er janvier. (Le Grand, preuves, p.268.

[37] Du Bellay à Montmorency. (Le Grand, preuves, p. 200.) » Ibid., p. 217.

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[38] 1 Du Bellay à Montmorency. (Le Grand, preuves, p. 219.)

[39] Ibid., p. 225.

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CHAPITRE IV

Vraie catholicité. Wolsey. Affaire de Harman. West envoyé à Cologne. Travaux de Tyndale et de Fryth. Rincke à Francfort. Il fait une découverte. Tyndale à Marbourg. West retourne en Angleterre. Ses tourments dans le cloître

Le séjour de Tyndale et de ses amis dans des contrées étrangères, et les rapports qu'ils y formèrent avec de pieux chrétiens, manifestèrent l'esprit de fraternité que la Réformation rendait alors à l'Église. C'est dans le protestantisme que la vraie catholicité se trouve. L'Église romaine n'est point une Église catholique. Séparée des Églises d'Orient, qui sont les plus anciennes de la chrétienté, et des Églises réformées qui en sont les plus pures, elle est une secte et une secte dégénérée. Une Église qui ferait profession de croire à une unité épiscopale, mais qui serait séparée de l'épiscopat de Rome, séparée de l'épiscopat d'Orient, séparée des Églises évangéliques, ne serait pas non plus une Église catholique ; elle serait une secte plus sectaire encore que celle du Vatican, un fragment de fragment. Il faut à l'Église du Sauveur une unité plus divine, plus vraie, que celle de sacrificateurs qui se condamnent les uns les autres. Ce furent les réformateurs, et Tyndale en particulier [1], qui proclamèrent dans la chrétienté l'existence d'un corps de Christ, dont sont membres tous les enfants de Dieu. Les disciples de la Réformation sont les vrais catholiques.

C'était une tout autre catholicité que Wolsey voulait maintenir. Il ne se refusait pas à certaines réformes dans l'Église, surtout si elles lui apportaient quelque profit ; mais avant tout il voulait conserver à la hiérarchie ses privilèges et son uniformité. L'Église romaine, en Angleterre, était alors incarnée dans sa personne, et s'il tombait, elle serait près de sa ruine. Ses talents politiques, ses rapports multipliés avec le continent, lui faisaient discerner mieux que d'autres les dangers qui menaçaient la papauté. La publication des Écritures de Dieu en anglais ne semblait à quelques-uns qu'un nuage sans importance, qui disparaîtrait bientôt de l'horizon ; mais aux yeux du prévoyant Wolsey, ce nuage présageait une grande tempête. Il n'aimait pas, d'ailleurs, ces rapports fraternels qui se formaient alors entre les chrétiens évangéliques de la Grande-Bretagne et ceux des autres nations. Offusqué par cette catholicité spirituelle, il résolut de faire saisir Tyndale, qui en était le principal organe.

Déjà l'envoyé d’Henri dans les Pays-Bas, Hacket, avait fait mettre en prison Harman, négociant d'An vers, l'un des principaux soutiens du réformateur anglais. Mais en vain Hacket avait-il demandé à Wolsey des documents propres à convaincre Harman de trahison (car le crime d'aimer la Bible ne suffisait pas pour le faire condamner dans le Brabant) ; l'envoyé était demeuré sans lettres d'Angleterre, et le

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dernier terme fixé par la loi étant écoulé, Harman et sa femme avaient été relâchés, après sept mois d'emprisonnement.

Toutefois, Wolsey n'avait pas été inactif. Le cardinal espérait trouver ailleurs la coopération que lui refusait Marguerite d'Autriche. C'était Tyndale qu'il lui fallait, et tout semblait indiquer qu'il était alors caché à Cologne ou dans ses environs. Wolsey, se rappelant le sénateur Rincke et les services qu'il lui avait déjà rendus, résolut de lui envoyer John West, religieux du couvent des Franciscains à Greenwich. West, dont l'esprit n'était pas d'une grande portée, était actif, fort désireux de se faire valoir, et s'était distingué en Angleterre parmi les adversaires de la Réforme. Flatté de cette mission, ce moine vaniteux partit aussitôt pour Anvers accompagné d'un autre religieux, afin de saisir Tyndale, et même Roye, jadis son confrère à Greenwich, et qu'il y avait inutilement combattu.

Pendant que l'on conjurait sa perle, Tyndale composait divers écrits, les livrait à la presse, les envoyait en Angleterre, et priait Dieu nuit et jour d'éclairer son peuple. « Pourquoi vous donner tant de peine ? lui disait-on. Ils brûleront vos livres comme ils ont brûlé l'Évangile!... Ils ne feront que ce que j'attends, répondait-il, s'ils me brûlent aussi moi-même. » Il entrevoyait déjà dans le lointain son bûcher; mais cette vue ne faisait qu'exciter son zèle. Caché, comme Luther à la Wartbourg, non toutefois dans un château, mais dans une humble maison, Tyndale, comme le réformateur saxon, traduisait nuit et jour les Écritures. Mais, n'ayant pas un électeur de Saxe pour le garder, il changeait de- temps en temps de résidence.

A cette époque, Fryth, échappé des prisons d'Oxford, avait rejoint Tyndale, et les joies de l'amitié adoucissaient pour eux l'amertume de l'exil. Tyndale ayant fini le Nouveau Testament et commencé la traduction de l'Ancien, le savant Fryth lui était d'un grand secours. Plus ils étudiaient la Parole de Dieu et plus ils l'admiraient. Au commencement de 1529 ils publièrent la Genèse et le Deutéronome, et s'adressant, dans un prologue, à leurs compatriotes : « Quand tu lis l'Écriture, dirent-ils, pense que chaque syllabe t'appartient, et suces-en la moelle. [2] » Puis, niant que les signes visibles communiquent naturellement la grâce, comme l'avaient prétendu les scolastiques, Tyndale soutint que les sacrements n'opèrent que quand le Saint Esprit les accompagne de sa vertu. « Les cérémonies de la loi, disait-il, étaient pour les Israélites ce que les sacrements sont pour nous. Ce qui sauve, ce n'est pas l'œuvre en elle-même, c'est la foi en la promesse, dont l'œuvre est le signe. Le SaintEsprit n'est pas un Dieu muet [3]. Partout où la Parole est annoncée, ce témoin intérieur opère. Si le baptême me prêche la purification par le sang de Christ, alors le Saint-Esprit accompagne le baptême *[4], et cette prédication ôte mes péchés par la foi. L'arche de Noé ne sauva que ceux qui crurent. »

Il fallait nécessairement emprisonner un homme qui osait adresser à l'Angleterre des paroles si contraires aux enseignements du moyen âge. John West, envoyé dans

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ce but, arrivait alors à Anvers ; Hacket lui procurait pour interprète un religieux, Anglais d'origine, lui faisait prendre d'autres vêtements, et lui remettait enfin trois livres sterling, » pour le compte du cardinal ; moins l'ambassade se ferait remarquer et mieux son but serait atteint. Mais quel fut le chagrin de West en arrivant à Cologne ! Rincke était à Francfort. N'importe, le moine de Greenwich cherchera Tyndale à Cologne, et priera Rincke d'en faire autant à Francfort ; ce seront deux perquisitions au lieu d'une. West se procura un agile » messager (c'était encore un moine), et lui remit la lettre que Wolsey adressait à Rincke.

La foire se tenant à Francfort, la ville était rem plie de marchands et de marchandises. Rincke eut à peine achevé de lire la lettre de Wolsey, qu'il courut chez les bourgmestres, et leur demanda de confisquer les Écritures traduites en anglais, et sur tout de saisir l'hérétique qui troublait l'Angle terre comme Luther troublait l'Empire. Tyndale et ses amis n'ont pas paru dans nos foires depuis le mois de mars 1528, répondirent les magistrats, et nous ne savons s'ils sont morts ou vivants. »

Rincke ne se découragea pas. Jean Schoot, de Strasbourg, qui passait pour avoir imprimé des livres de Tyndale, et qui tenait moins, disait-on, aux livres qu'il publiait qu'à l'argent qu'il en retirait, se trouvait à Francfort. « Où est Tyndale? lui dit Rincke.

Je ne le connais pas, répondit l'imprimeur; » mais il avoua que mille volumes avaient été imprimés par lui sur la demande de Tyndale et de Roye. « Apportez-les, continua le sénateur de Cologne. Si l'on m'en donne un bon prix, je les livrerai. »

Rincke paya tout ce qu'on voulut. Wolsey allait donc être satisfait, car le Nouveau Testament l'inquiétait presque autant que le divorce ; ce livre, à ses yeux si dangereux, lui semblait de voir allumer un grand incendie, qui consumerait infailliblement l'édifice du traditionalisme romain. Rincke, qui partageait l'idée de son patron, ouvrit avec impatience les volumes qu'on venait de lui remettre ; mais, pénible mécompte ! Ce n'était pas le Nouveau Testament, pas même un ouvrage de Tyndale ; c'était un écrit de William Roye, homme léger, enclin à l'insulte, que le réformateur avait employé quelque temps à Hambourg, et qui même l'avait suivi à Cologne, mais dont il s'était bientôt dégoûté. « Je lui ai dit adieu pour nos deux vies durant, disait Tyndale, et un jour de plus. » Roye s'était rendu à Strasbourg en quittant le réformateur, s'y était vanté de ses rapports avec lui, et y avait fait imprimer une satire contre Wolsey et les ordres monastiques, connue sous le titre de Sépulture de la messe; c'était le livre qu'on venait d'apporter. L'esprit sarcastique du moine y avait dépassé les bornes légitimes de la controverse, aussi le sénateur osait-il à peine l'envoyer en Angleterre. Il ne s'arrêta pas dans ses perquisitions, fouilla dans tous les lieux où il pensait découvrir le Nouveau Testament, accapara tous les volumes suspects [5], et se mit en route pour Cologne.

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Cependant il n'était pas satisfait. Il lui fallait Tyndale, et il allait partout répétant : « Et Tyndale, où est-il? » Or ce Tyndale que l'on cherchait en tant de lieux et surtout à Francfort et à Cologne, se trouvait presque à égale distance de ces deux villes, en sorte que Rincke, en se rendant de l'une à l'autre, aurait pu le rencontrer face à face, comme l'envoyé d'Achab rencontra Élie*[6]. Tyndale était à Marbourg, où plusieurs motifs l'avaient attiré. Le prince Philippe de Hesse était le grand protecteur des doctrines évangéliques. L'université avait marqué dans la Réforme par les Paradoxes de Lambert d'Avignon. Un jeune Écossais, Hamilton, illustre comme martyr, y avait étudié peu auparavant, et un célèbre imprimeur, Jean Luft, y avait ses ateliers. Tyndale et Fryth s'y étaient donc établis en septembre 1528, et cachés sur les rives paisibles de la Lahn, ils y traduisaient l'Ancien Testament; si Rincke les eût cherchés dans cette ville, il n'eût pas manqué de les trouver. Mais, ou il n'y pensa pas, ou il eut peur du terrible landgrave. La route directe descendant le Rhin, ce fut celle qu'il prit, et Tyndale échappa.

Arrivé à Cologne, Rincke conféra aussitôt avec West. Leurs recherches ayant échoué, il fallait adopter des moyens plus énergiques. Le sénateur renvoya donc le moine en Angleterre, lui donna pour compagnon son fils Hermann, et les chargea de dire à Wolsey : « Il nous faut, pour saisir Tyndale, des pouvoirs plus étendus et ratifiés par l'Empereur. Les traîtres qui conspirent contre la vie du roi d'Angleterre ne sont point tolérés dans l'Empire, combien moins doivent l'être Tyndale et tous ceux qui conspirent contre la chrétienté ! Il faut qu'il meure; un éclatant exemple peut seul arrêter l'hérésie de Luther. Quant à ce qui nous regarde, devaient-ils ajouter, il se présentera peut-être à Votre Grâce quelque occasion de nous récompenser [7]. » Rincke n'avait pas oublié le subside de dix mille livres sterling qu'il avait reçu de Henri VII pour la guerre contre les Turcs, lorsqu'il était allé à Londres, comme envoyé de Maximilien.

West retournait en Angleterre, très chagrin d'avoir échoué dans sa mission. Qu'allait-on dire à la cour et au monastère ? Une nouvelle humiliation lui était encore réservée : Roye, que West était allé chercher sur les bords du Rhin, était venu visiter sa mère sur les rives de la Tamise ; et pour comble d'infortune, la nouvelle doctrine avait envahi son propre couvent. Le gardien lui-même, le père Robinson, l'avait embrassée, et on lisait nuit et jour à Greenwich le Nouveau Testament que West était allé poursuivre à Cologne ...

Le religieux d'Anvers qui l'avait accompagné dans son voyage était la seule personne à laquelle il pût confier sa douleur; mais les franciscains renvoyèrent ce moine étranger au-delà des mers j puis ils se mirent à plaisanter aux dépens du malheureux West. S'il voulait ra conter ses exploits des bords du Rhin, on en riait; s'il se vantait du nom de Wolsey et de Henri VIII, on se moquait encore de lui. Il voulut parler à la mère de Roye, espérant obtenir d'elle d'utiles informations; les moines l'en empêchèrent. « C'est dans ma commission! » répondit-il. On lui rit au

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nez. Le père Robinson s'apercevant que cette commission faisait prendre à West des airs d'indépendance, demanda à Wolsey de la lui retirer. West effrayé s'imagina qu'on finirait parle jeter en prison.

Je suis las de la vie, » s'écria-t-il. Et il conjura un ami qu'il avait à la cour de lui procurer, avant Noël, une obédience sous le grand sceau de Monseigneur, afin de pouvoir quitter le monastère. « Quoi que ce soit qu'il faille payer, ajoutait-il, don nez-le... » Ainsi West expiait le zèle fanatique qui l'avait porté à poursuivre le traducteur des oracles de Dieu. Ce qu'il devint, je l'ignore; on n'en parle plus.

Wolsey avait alors bien autre chose à faire qu'à s'occuper de cette obédience. Pendant quels plaintes de West arrivaient à Londres, celles du roi arrivaient à Rome. La grande affaire, aux yeux du cardinal, était de maintenir l'accord entre Henri et l'Eglise. Il ne fut plus question de perquisitions en Allemagne, et pour le moment Tyndale fut sauvé.

FOOTNOTES

[1] The Church of Christ is the multitude of ail them that believe in Christ, etc.... » (Tyndale, Exposition of Matthew, prologue.)

[2] Suck out the pith of the Scripture. » (Prologues to the five books of Moses. I, p. 8.)

[3] The Holy Ghost is no dumb God, no God that goeth a mumming.» (Prologues to the live books of Moses. XXX, 16, 17, 27,29, 49.)

[4] If baptism preaches me the washing in Christ's blood, so doth the Holy Ghost accompany it. » [Ibid.)

[5] I gathered together and packed up all the books from every quarter. » (CottonMSC, Galba, fe. IX, fol. 186. Bible Armais, p. 213.)

[6] 1 Rois, XVIIf, v. 7.

[7] By the favour of God there may be an opportunity to recom pense us. » Cotton MSC, Bible Armais, I, p. 403.)

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CHAPITRE V

Une nécessité pour la Réformation. Instances de Wolsey à Da Casale. Une audience de Clément VII. Position cruelle du pape. Un baiser de Judas. Un nouveau bref. Bryan et Vannes envoyés à Rome. Henri et Du Bellay. Motifs de Wolsey contre le bref. Excitation à Londres. Métamorphose. Décadence de Wolsey. Ses angoisses

Le roi et une partie de son peuple tenaient encore à la papauté, et tant que ces liens n'étaient pas rom pus la Parole de Dieu ne pouvait avoir un libre cours. Mais pour que l'Angleterre renonçât à Rome, il lui fallait de puissants motifs ; ces motifs ne devaient pas lui manquer.

Jamais Wolsey n'avait donné des ordres si pressants aux ambassadeurs d’Henri YIU. « Le roi, écrivait-il le 1 novembre 1528 à Da Casale, remet cette affaire à votre prudence, à votre dextérité, à votre fidélité ; et moi je vous adjure d'y employer toutes les forces de votre génie, ou plutôt de les surpasser. Sachez bien que vous n'avez rien fait et que vous ne ferez jamais rien qui soit plus agréable au roi, plus désiré par moi, et pour vous et votre famille plus utile et plus glorieux. [1]

Da Casale, d'une ténacité qui justifiait la confiance du cardinal, et d'un esprit vif et facile à émouvoir, tremblant à la pensée de voir Rome perdre l'Angleterre, demanda aussitôt une audience à Clément VII. « Quoi, lui dit-il, au moment où il a s'agissait enfin de procéder au divorce, votre nonce s'efforce d'en détourner le roi!... Il n'y a plus d'espoir que Catherine d'Aragon donne un héritier à la couronne. Saint-Père, il faut en finir. Ordonnez à Campeggi de remettre la décrétale entre les mains de Sa Majesté. Que dites-vous? s'écria le pape, je donnerais l'un de mes doigts pour ravoir cette bulle, et vous me demandez de la rendre publique!... Ce serait ma ruine!... [2]

Da Casale insista. « Nous avons un devoir à accomplir, dit-il ; nous vous rappelons à cette heure suprême dans quel péril se trouvent les rapports qui unissent Rome et l'Angleterre. La crise est imminente. Nous heurtons à votre porte, nous crions, nous vous pressons, nous vous conjurons, nous vous dévoilons les dangers présents et futurs qui menacent la papauté [3]! ... Le monde saura du moins que le roi a rempli les devoirs d'un fils dévoué de l'Église. Si Votre Sainteté veut conserver l'Angleterre dans le bercail de saint Pierre, je vous le répète... il est temps! Il est temps!... [4] A ces mots, Da Casale ne pouvant plus contenir son émotion, tomba aux pieds du pape et le conjura de sauver l'Église dans la Grande Bretagne. Le pape en fut ému. « Levez-vous, dit-il avec l'accent de la plus profonde douleur [5], je vous accorde tout ce que je puis vous accorder; je suis prêt à confirmer la sentence que les légats croiront devoir rendre ; mais je me décharge de toute responsabilité quant aux maux inouïs que cette affaire pourra entraîner après

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elle... Si le roi, après avoir défendu la foi et l'Église, veut ruiner l'une et l'autre, c'est sur lui seul que retombera la responsabilité d'un si grand malheur ! »

Clément n'accordait rien. Da Casale se retira découragé et convaincu que le pontife allait traiter avec Charles-Quint.

Wolsey voulait sauver la papauté, mais la papauté s'y opposait. Clément VII allait perdre cette île que Grégoire le Grand avait pris tant de peine à conquérir. Le pape était dans la position la plus cruelle. A peine l'envoyé du roi d'Angleterre était-il sorti du palais que l'envoyé de l'Empereur y en trait plein de menaces. Le malheureux pontife n'échappait aux assauts d’Henri, que pour être en butte à ceux de Charles ; on le lançait et on le relançait comme une balle. « J'assemblerai un concile général, lui faisait dire le terrible Empereur, et s'il se trouve que vous ayez violé en quelque point les canons de l'Église, on procédera contre vous selon toute leur rigueur. N'oubliez pas, ajoutait-on à voix basse, que votre naissance est illégitime et «vous exclut par conséquent du pontificat!... »

Alors, croyant déjà voir la tiare tomber de sa tête, le timide Clément jurait de tout refuser à Henri VIII v ct Ah ! disait-il à ses plus intimes confidents, je me a repens sur la poudre et sur la cendre d'avoir accordé cette bulle décrétale. Si le roi d'Angleterre a demandé avec tant d'instances qu'on la lui remette, ce n'est certes pas pour connaître ce qui s'y trouve ; il ne le sait que trop! Mais c'est pour me lier les mains dans l'affaire du divorce ; plutôt mille fois mourir!... » Clément, pour calmer son agitation, envoya à Londres un de ses camériers les plus habiles, François Campana, en apparence pour faire au roi de nouvelles promesses, mais en réalité pour trancher le seul fil auquel tînt encore l'espoir de Henri. « Nous embrassons Votre Majesté, écrivait le pape dans la lettre remise à Campana, avec cet amour paternel que requièrent vos nombreux mérites, [6] » Or Campana arrivait en Angleterre pour brûler clandestinement la fameuse décrétale [7] ; Clé ment cachait ses coups sous un embrassement. Rome avait accordé bien des divorces moins motivés que celui d’Henri VIII; mais c'était d'autre chose que d'un divorce qu'il s'agissait ici; le pape voulant relever en Italie sa puissance ébranlée allait sacrifier Tudor et préparer le triomphe de la Réformation. Rome se séparait de l'Angleterre.

Toute la crainte de Clément était que son camérier n'arrivât trop tard pour brûler la bulle ; il fut bientôt rassuré ; un calme plat empêchait la grande affaire d'avancer. Campeggi, qui se gardait bien de s'occuper de sa mission, s'abandonnait, en diplomate habile, à ses goûts de mondanité, et quand il ne pouvait, vu l'état de ses jambes, se livrer à la chasse dont il était grand amateur, il s'adonnait au jeu, dont il n'était pas moins passionné ; de graves historiens prétendent même qu'il recherchait d'autres plaisirs moins licites encore [8]. Cependant cela ne pouvait toujours durer, et le nonce cherchait quelque nouveau moyen dilatoire, quand il s'en

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offrit un de la manière la plus inattendue. Un jour, un officier de la reine présenta au légat romain un bref de Jules II, portant la même date que la bulle de dis pense, signé comme elle du secrétaire Sigismond, et dans lequel le pape s'exprimait de telle manière que les objections de Henri VIÏI tombaient d'elles-mêmes.

L'Empereur, dit l'envoyé de Catherine, a découvert ce bref parmi les papiers de Puebla, ambassadeur d'Espagne en Angleterre à l'époque du mariage. Impossible de procéder ! dit alors Campeggi à Wolsey ; toute votre argumentation est maintenant ruinée par la base. Il nous faut de nouvelles instructions. » C'était, à chaque nouvel incident, la conclusion du cardinal, et le voyage de Londres à Rome étant fort long (sans compter les lenteurs romaines), l'expédient était infaillible. Il se trouvait donc deux actes du même pape, signés le même jour, mais l'un secret, l'autre public, qui se contredisait, Henri résolut d'envoyer une nouvelle mission à Rome. Anne Boleyn lui proposa à cet effet l'un des seigneurs les plus accomplis de la cour, son cousin, sir Francis Bryan. On lui adjoignit l'Italien Pierre Vannes, secrétaire pour la langue latine. « Vous dépouillerez, leur dit Wolsey, tous les registres du temps de Jules II ; vous étudierez l'écriture du secrétaire Sigismond, et vous examinerez attentivement l'anneau du pêcheur usité sous ce pontife.[9] De plus, vous in formerez le pape que l'on se propose d'établir à sa place un certain cordelier nommé De Angelis, auquel Charles donnerait l'autorité spirituelle, en prenant pour lui l'autorité temporelle.

Vous ferez en sorte que Clément s'effraye de ce projet, et vous lui offrirez, pour prévenir ce malheur, une garde de deux mille hommes. Vous demanderez si, dans le cas où la reine ne voudrait embrasser la vie religieuse qu'à condition que le roi fit de même, Henri, cédant à ce désir*[10], pourrait avoir l'assurance que le pape le dispenserait ensuite de ses vœux. Enfin, vous vous informerez si, dans le cas où la reine s'obstinerait à ne pas entrer en religion, le pape permettrait au roi d'avoir deux femmes, comme on le voit dans l'Ancien Testament. [11]» L'idée tant reprochée au landgrave de Hesse n'était donc pas nouvelle, et c'est à un cardinal et légat romain qu'en appartient l'honneur, quoi qu'en dise Bossuet. « Enfin, continua Wolsey, comme le pape est d'un naturel timide, vous ne manquerez pas d'assaisonner toutes vos remontrances de beaucoup de menaces. Vous, Pierre, vous le prendrez à part, et lui direz qu'ayant à cœur plus que personne, en votre qualité d'Italien, la gloire du Saint-Siège, vous devez l'avertir que s'il persiste, le roi, son royaume, et beaucoup d'autres princes, se détacheront pour jamais de la papauté. . . »

Ce n'était pas sur l'esprit du pape seulement qu'il fallait agir; le bruit que l'Empereur et le roi de France appointaient ensemble troublait Henri. En vain Wolsey avait-il cherché à sonder Du Bellay ; ces deux prêtres faisaient assaut de ruse. D'ailleurs le Français n'était pas toujours renseigné à temps par sa cour, les lettres mettant alors dix jours de Paris à Londres [12]. Henri résolut d'avoir une

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conférence avec l'ambassadeur. Il commença par lui parler de sa matière, dit Du Bellay, et vous promets, ajoute-t-il, qu'il ne lui faut point d'avocat, tant bien il l'entend. » Puis Henri aborda le Chapitre des torts de François Ier, « ramenant tant de choses que l'ambassadeur ne savait où s'en mettre. Je vous demande, Monsieur l'ambassadeur, dit Henri en terminant, de prier le roi mon frère, d'un peu abandonner ses plaisirs une bonne année seulement pour la prompte exécution de ses affaires. Avertissez ceux que cela touche. » Ayant donné ce coup d'éperon au roi de France, Henri tourna toutes ses pensées vers Rome.

En effet, le fatal bref d'Espagne le tourmentait nuit et jour, et le cardinal mettait son esprit à la torture pour trouver des preuves de sa non-authenticité; s'il y parvenait, il déchargerait la papauté de l'accusation de duplicité, et chargerait l'Empereur de celle de faussaire. Il crut enfin avoir réussi. « D'abord, dit-il au roi, le bref porte la même date que la bulle. Or, si l'on avait reconnu les défauts de celle-ci le jour même où on l'avait rédigée, il était plus naturel d'en faire une autre que d'y ajouter un bref qui en démontrât les erreurs. Quoi ! Le même pape, le même jour, à la demande des mêmes personnes, et sur le même sujet, donnerait deux rescrits, dont l'un contredirait la teneur de l'autre [13]!... Ou la bulle était bonne, alors pour quoi le bref? Ou la bulle était mauvaise; alors pourquoi tromper les princes par une mauvaise bulle ? Plusieurs noms se trouvent mal écrits dans la lettre, et ce sont des fautes que n'eût pas commises le secrétaire pontifical, bien connu par son exactitude*[14]. Enfin, jamais en Angleterre on n'a entendu parler de ce bref ; et pourtant c'est là qu'il devait se trouver. » Henri chargea Knight, son principal secrétaire, de rejoindre en toute hâte les autres envoyés, afin de prouver au pape la non authenticité de ce nouveau document. Ce papier importun ranima l'irritation que l'on avait en Angleterre contre Charles, et l'on forma le dessein d'en venir aux dernières extrémités. Tout ce qui était mécontent de l'Autriche accourait alors à Londres, les Hongrois en particulier. L'ambassadeur de Hongrie proposa à Wolsey de décerner la couronne impériale d'Allemagne à l'électeur de Saxe ou au landgrave de Hesse, les deux chefs du protestantisme [15]. Wolsey, effrayé, s'écria : « Il en a adviendra inconvénient à la chrétienté, si luthériens qu'ils sont! »

Mais l'ambassadeur hongrois le satisfit si bien qu'il finit par trouver la chose convenable. On triomphait à Londres, quand tout à coup s'accomplit sous les yeux de Du Bellay une nouvelle métamorphose. Le roi, le cardinal, les ministres paraissaient dans une étrange consternation. Vincent Da Casale venait d'arriver de Rome, avec une lettre de son cousin, le protonotaire, annonçant à Henri que le pape voyant le triomphe de Charles Quint, les indécisions de François I, l'isolement du roi d'Angleterre, et la détresse de son cardinal, se jetait dans les bras de l'Empereur. On allait même à Rome jusqu'à plaisanter de Wolsey, et l'on disait que puisqu'il ne pouvait être saint Pierre, on le ferait saint Paul. Tandis qu'à Rome on se moquait de Wolsey, à Saint-Germain on se moquait de Henri. « Je lui ferai bien passer les

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fantaisies qu'il a dans la tête, disait François Ier. Enfin les Flamands, que l'on renvoyait de nouveau, disaient en quittant Londres, que cette année, ils feraient la guerre si forte, que ce serait vraiment belle chose ! »

Outre ces douleurs publiques, Wolsey en avait de particulières. Anne Boleyn, qui exerçait déjà son crédit en faveur des victimes du despotique cardinal, ne se donna pas de repos que Cheney, courtisan disgracié par Wolsey, n'eût été rétabli dans la faveur du roi. Anne lança même au cardinal de piquantes paroles, et le duc de Norfolk et sa bande commencèrent à parler gros, » dit Du Bellay. Au moment où le pape, épouvanté par Charles-Quint, se sépare de l'Angleterre, Wolsey lui-même chancelle. Qui soutiendra la papauté?... Après Wolsey, personne! Rome va perdre le pouvoir que pendant neuf siècles elle a exercé au sein de cette illustre nation ! . . . L'angoisse du cardinal ne saurait se décrire ; sans cesse poursuivi par des imaginations funestes, il voyait Anne sur le trône faire triompher la Réformation; ce cauchemar l’étouffa. « Croyez, Mon seigneur, que Monsieur le légat est en grand' peine... écrivait l'évêque de Bayonne. Toutefois... ils ont à faire à plus fin qu'eux. [16]»

Pour conjurer la tempête, il ne restait à Wolsey qu'un moyen, c'était de rendre Clément favorable aux desseins de son maître. Le rusé camérier du pape, Campana, qui venait de brûler la décrétale, le conjurait de ne point croire les rapports qu'on lui faisait sur Rome. « Pour satisfaire le roi, lui disait-il, le Saint-Père ira, s'il le faut, jusqu'à descendre du trône pontifical [17]. » Wolsey résolut donc d'en voyer à Rome un agent plus énergique que Vannes, Bryan ou Knight, et il jeta les yeux sur Gardiner. Il commençait à reprendre courage quand un événement inattendu vint exalter ses plus orgueilleuses espérances.

FOOTNOTES

[1] Vobis vestraeque familiae utilius aut honorificentius. » (State Pap., VII, p. 114.)

[2] 1 Burnet, II.

[3] Admonere, exclamare, rogare, instare, urgew, pulsare, pericula presenlia et futura demonslrare. » [State Papers, VII, p. 112.)

[4] Tempus jam in promptu adest, » [Ibid.)

[5] With great signs of unusual grief. » (Burnet,!, p. 57.)

[6] Nos illum paterna charitate complecti.» [State Papers,\U,UG.)

[7] To charge Campegius to burn the decretai. » (Herbert3 p. 259.)

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[8] Hunting and gaming ail the day long, and following whores ail the night. » (Burnet, (, p. 267.)

[9] State Papers, p. 126.

[10] Only thereby to conduce the queene thereunto. [State Papers, -VII, p. 136.)

[11] De duabus uxoribus. » Instructions du milieu de décembre 1528. [State Papers, VII, p. 137.) Some grete reasons and presidentes of the Old Testament appere. »

Instructions du 1 déc. [Ibid., p. 136, pote.)

[12] Ladite lettre du roi, combien qu'elle fût du 3, je l'ai reçue sinon le 13; le pareil m'advint quasi de toutes autres.» (Du Bellay à Mont morency, du 20 décembre. Le Grand, preuves, p. 250.)

[13] The same pope, the same day, at the petition of the same persons. give out two rescripts for one effect. » [State Papers,~VU, p. 130.)

[14] La reine Isabelle y était appelée Elisabeth; mais j'ai vu un document de la cour de Madrid, où la reine Elisabeth d'Angleterre était appelée Isabelle; ce n'est donc pas une faute sans exemple.

[15] Du Bellay à Montmorency, 12 janvier. (Le Grand, preuves, p. 279.)

[16] Le Grand, preuves, p. 295 et 296.

[17] Burnet, Hist. of the Ref., p. 60.

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CHAPITRE VI

Maladie du pape. Désir de Wolsey. Conférence sur les membres du conclave. Instruction de Wolsey. Le pape se rétablit. Discours des envoyés anglais au pape. Clément veut abandonner l'Angleterre. Les Anglais demandent au pape de renier le bref. Alarme de Wolsey. Intrigues. Clairvoyance de Bryan. Menaces d’Henri. Nouveaux efforts de Wolsey. H demande l'appel à Rome et se rétracte. Wolsey et Du Bellay à Richmond. Le navire de l'Angleterre.

Le 6 janvier, jour de l'Epiphanie, au moment où l'on célébrait la grande messe, le pape se trouva mal ; on l'emporta, le croyant perdu. Cette nouvelle étant parvenue à Londres, le cardinal résolut de se hâter d'abandonner l'Angleterre, dont le sol tremblait sous ses pieds, et de monter hardiment sur le trône des pontifes. Bryan et Vannes, alors à Florence, se rendirent précipitamment à Rome, à travers des chemins infestés de brigands. A Orviéto on leur dit que le pape n'était pas mort; à Viterbe, on ne savait s'il était mort ou vivant ; à Ronciglione on leur affirma qu'il avait rendu l'âme ; enfin, arrivés le 14 janvier dans la métropole de la papauté, ils apprirent que Clément ne pouvait échapper et que les impériaux, soutenus par les Colonnes, s'efforçaient d'avoir un pape dévoué à Charles-Quint.

Mais quelque grande que l'agitation fût à Rome, elle l'était plus encore à Whitehall. Si Dieu faisait descendre Médicis du trône pontifical, ce ne pouvait être, pensait Wolsey, que pour l'y faire monter lui-même. « Il faut un pape qui sauve le royaume, dit-il à Gardiner. A l'âge où je me trouve, la a tiare ne peut que m'incommoder; mais, examen fait de tous les cardinaux, je suis, soit dit sans jactance, le seul qui puisse et qui veuille mener le 'divorce à bonne fin. S'il ne s'agissait pas de sauver le roi et l'Église, il n'y a ni richesses, ni honneurs qui me fissent accepter la triple couronne; mais il faut que je m'immole. Courage donc, maître Etienne, et pour que cette affaire réussisse, faites effort, mettez-y tout votre esprit, n'épargnez ni argent, ni travail. Je vous donne les plus amples pouvoirs, sans limites et sans conditions [1]. » Gardiner partit pour aller conquérir au profit de son maître la tiare tant désirée.

Henri YIII et Wolsey, qui contenaient à peine leur impatience, apprirent bientôt de divers lieux la mort du pontife*[2]. « C'est l'Empereur, dit alors Wolsey aveuglé par sa haine, qui a mis fin à la vie de Clément.[3] Charles, répliqua le roi, va s'efforcer d'obtenir, par violence ou par fraude, » un pape selon ses désirs. Oui, répondit Wolsey, pour en faire son chapelain, et abolir peu à peu le pape et la papauté...[4] Il faut courir à la défense de l'Église, reprenait Henri, et pour cela, Monseigneur, vous résoudre à être pape. Cela seul, répliquait le cardinal, peut mener à bonne fin la grande affaire de Votre Majesté, et en vous sauvant sauver l'Église... et me sauver moi-même, pensait-il tout bas. Voyons, comptons les voix. »

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Henri et son ministre écrivirent alors sur un grand parchemin les noms de tous les cardinaux, en marquant de la lettre A ceux qui étaient du côté des rois d'Angleterre et de France, et de la lettre B ceux de l'Empereur. « Il n'y eut pas un C, dit ironique ment un chroniqueur, pas un cardinal qui fût du côté de Christ. » La lettre N désigna les neutres. Les cardinaux présents, dit Wolsey, ne dépasseront pas trenteneuf, et il nous en faut les deux tiers, c'est-à-dire vingt-six. Or, il y en a vingt sur lesquels nous pouvons compter ; il nous faut donc à tout prix en gagner six parmi les neutres. »

Wolsey, pénétré de l'importance d'une élection qui devait décider si l'Angleterre serait ou non ré formée, s'empressa de rédiger des instructions qu’Henri signa et que l'histoire doit enregistrer. « Nous voulons, nous ordonnons, y était-il dit aux ambassadeurs, que vous assuriez l'élection du cardinal d'York, n'oubliant pas qu'après le salut de son âme, il n'est rien que Sa Majesté désire avec plus d'ardeur. »

Pour gagner les cardinaux indécis, vous emploierez surtout deux moyens. Voki le premier. Les cardinaux étant assemblés et ayant Dieu et le Saint-Esprit devant eux [5], vous leur montrerez que le cardinal d'York peut seul sauver la chrétienté.

Voici le second. La fragilité humaine pouvant s'opposer à ce que l'on prenne en considération de si graves motifs, vous vous efforcerez, pour la consolation de la chrétienté, de subvenir à cette fâcheuse infirmité*[6]... non pour corrompre, comprenez-le bien!... mais pour réparer les défauts de l'humaine nature. C'est pourquoi vous promettrez des promotions, des offices ecclésiastiques, des dignités, des rétributions d'argent, et autres choses qui vous paraîtront propres à faire pencher la balance du bon côté [7].

Puis vous unirez tous les cardinaux qui nous seront favorables, de manière à en former un in dissoluble faisceau*[8]. Et pour lui donner plus de force, vous offrirez les troupes du roi d'Angle terre, du roi de France, du vicomte de Turin et de la république de Venise.

Si malgré tous vos efforts l'élection échouait, alors les cardinaux du roi se rendraient en une place sûre, pour y procéder à une élection selon le bon plaisir de Dieu [9].

Pour gagner plus d'amis au roi, vous promettrez d'un côté au cardinal de Médicis et à son parti notre faveur spéciale, et de l'autre aux Florentins, l'exclusion de ladite famille des Médicis*[10]. De même, vous assurerez d'une part aux cardinaux la restitution et l'intégrité du patrimoine de l'Église, et d'autre part vous confirmerez aux Vénitiens la possession de Ravenne et de Cervia qui font partie de ce patrimoine, et qu'ils convoitent si fort'[11]. » Voilà par quelles voies le cardinal prétendait arriver au siège de Saint-Pierre. A droite il dirait oui, à gauche il dirait non. Qu'importe que ces perfidies se découvrent un jour, pourvu que ce soit après

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l'élection ! La chrétienté pouvait se tenir assurée que le choix du futur pontife serait l'œuvre du Saint Esprit. Alexandre VI avait été un empoisonneur; Jules II s'était adonné à l'ambition, à la colère et au vice ; le libéral Léon X avait passé sa vie dans la mondanité ; le malheureux Clément VII avait vécu de ruse et de mensonge ; Wolsey serait leur digne successeur :

Les sept péchés mortels ont porté la tiare*[12]. » Wolsey trouvait son excuse dans la pensée que s'il réussissait, le divorce était assuré, et l'Angleterre asservie pour jamais à la cour de Rome. Le succès parut d'abord probable. Plusieurs cardinaux parlaient hautement en faveur du prélat anglais ; l'un d'eux demandait un récit détaillé de sa vie, afin de le présenter comme modèle à l'Église; un autre le vénérait, disait-il, comme une divinité...

On en avait vénéré, à Rome, parmi les dieux et parmi les papes, qui ne valaient pas mieux. Mais bientôt d'alarmantes nouvelles arrivent en Angleterre. O douleur! Le pape se rétablit. « Cachez vos instructions, écrivit le cardinal, et conservez-les in om n nem eventum. »

Wolsey n'ayant pas obtenu la tiare, il fallait du moins gagner le divorce. « Dieu déclare, dirent au pape les ambassadeurs d'Angleterre, que si Christ ne bâtit pas la maison, ceux qui la bâtissent y travaillent en vain [13]. Le roi donc, prenant Dieu seul pour son guide, vous demande en premier lieu un engagement de prononcer le divorce dans l'espace de trois mois, et en second lieu l'appel à Rome. D'abord la promesse et seulement ensuite l'appel, avait dit Wolsey *, car je crains que si le pape commence par l'appel, il ne prononce jamais le divorce. Au reste, dirent les envoyés, les secondes noces du roi ne souffrent pas de refus*[14], quels que soient les bulles et les brefs. La seule issue à cette affaire, c'est le divorce ; le divorce d'une manière ou d'une autre, mais enfin le divorce. »

Wolsey avait recommandé aux envoyés de prononcer ces paroles avec une certaine familiarité et en même temps avec un sérieux propre à faire de l'effet [15]. Son attente fut déçue; Clément resta plus froid que jamais. Il s'était décidé à abandonner l'Angleterre pour s'assurer les États de l'Église, dont Charles-Quint disposait seul alors; il sacrifiait ainsi le spirituel au temporel. « Le pape ne fera pas la moindre chose pour Votre Majesté, écrivit Bryan au roi ; votre affaire peut bien être dans son Pater noster, mais elle n'est certainement pas dans son Credo [16]. Redoublez d'instances, répondit le roi, que le cardinal de Vérone ne quitte jamais le pape et contrebalance l'influence de De Ange lis et de l'archevêque de Capoue. Plutôt perdre mes deux couronnes que d'être vaincu par ces deux moines ! »

Ainsi la lutte allait devenir plus vive encore, quand une rechute de Clément remit tout en question. Il était toujours entre la vie et la mort; et cette alter native perpétuelle agitait en tous sens le roi et l'impatient cardinal. Celui-ci avisa que le pape avait besoin de mérites pour entrer dans le ciel. «Arrivez jusqu'au pape,

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écrivit-il aux envoyés, fut-il même dans l'agonie de la mort [17]; et représentez-lui que rien n'est plus propre à sauver son âme que la bulle de divorce. » On n'admit pas les commissaires de Henri ; mais vers la fin de mars, les députés s'étant présentés tous ensemble [18]', le pape promit d'examiner la lettre d'Espagne.

Vannes commençait à craindre ce document ; il représenta que ceux qui avaient su le fabriquer, sauraient bien lui donner l'apparence de l'authenticité. « Déclarez plutôt immédiatement que ce bref n'est pas un bref, dit-il au pape. Le roi d'Angleterre, qui est le fils de Votre Sainteté, ne l'est pas comme tout le monde. On ne peut chausser les pieds de tous avec un seul et même soulier*[19]. »

Cet argument un peu vulgaire ne toucha pas Clément : « Si pour contenter votre maître dans cette affaire, dit- il, je ne puis y mettre toute la tête, j'y mettrai au moins le doigt [20]'. Expliquez-vous, répliqua Vannes, qui trouvait le doigt trop peu de chose. Je veux dire, reprit le pontife, que je mettrai tous les moyens en œuvre, pourvu qu'ils soient honnêtes. » Vannes se retira découragé.

Il conféra aussitôt avec ses collègues, et tous ensembles, effrayés à la pensée de la colère de Henri VIII, revinrent à la charge auprès du pontife; ils repoussèrent à droite et à gauche les valets qui essayaient de les arrêter, et se frayèrent un passage jusqu'à son lit. Clément leur opposa cette force d'inertie avec laquelle la papauté gagne ses plus belles victoires; saluait, il se tut. Qu'importaient au pontife, Tudor, son île et son Église, quand Charles d'Au triche le menaçait avec ses armées?

Clément, moins fier qu'Hildebrand, se soumettait volontiers au pouvoir de l'Empereur, pourvu que l'Empereur le protégeât. « Plutôt, disait-il, être le domestique de César, non-seulement dans un temple, mais s'il le faut dans une écurie, que de me voir exposé aux insultes d'hommes de rien, de rebelles. [21] » En même temps il écrivait à Campeggi : « N'aigrissez pas le roi, mais prolongeons le plus possible cette «affaire; le bref d'Espagne nous en donne les moyens. [22] »

En effet, Charles-Quint avait exhibé deux fois à Lee l'original de ce document, et Wolsey, d'après le rapport de cet ambassadeur, commençait à croire que ce n'était pas Charles qui avait forgé le bref, et que c'était bien le pape Jules qui avait donné le même jour deux actes contradictoires. Aussi le cardinal appréhendait-il maintenant de voir cette lettre entre les mains du pontife. « Faites tout pour dissuader le pape de chercher l'original en Espagne, écrivit-il à l'un des ambassadeurs; cela pourrait irriter l'Empereur. » On sait comment le cardinal en était aux ménagements avec Charles. L'intrigue atteignait alors son plus haut paroxysme, et Anglais et Romains faisaient assaut de ruse. « Dans des affaires si chatouilleuses, dit Burnet (un peu diplomate lui-même), cela fait partie des instructions des ambassadeurs. [23]» Les envoyés de Henri VIII auprès du pape interceptaient les lettres qui partaient de Home' et faisaient saisir celles de Cainpeggi. De son côté le pape usait de sourires flatteurs et de réticences perfides. Bryan écrivait à Henri : Le pape n'a jamais répondu à vos bienfaits que par de

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belles paroles et de belles écritures [24]. Vous n'en manquerez pas à l'avenir, mais quant à des faits, vous n'en verrez jamais. » Bryan avait compris la cour de Rome, mieux peut-être que bien des politiques. Enfin Clément lui-même, voulant pré parer le roi au coup dont il allait le frapper, lui écrivit : « Nous n'avons rien pu trouver qui satis fasse vos ambassadeurs*. [25]»

Henri crut comprendre ce que ce message voulait dire, qu'on n'avait rien trouvé et que l'on ne trouverait rien à l'avenir ; aussi ce prince qui, s'il faut en croire Wolsey, avait montré jusqu'alors une patience et une douceur incroyables [26], s'abandonnal-il à toute sa violence. « Eh bien, dit-il, moi et mes nobles, nous saurons nous soustraire à l'autorité du saint -siège. » Wolsey pâlit et conjura son maître de ne pas se précipiter dans cet affreux abîme [27]; Campeggi, de son côté, s'efforça de ranimer les espérances du roi. Mais tout fut inutile ; ce prince rappela ses ambassadeurs.

Henri, il est vrai, n'avait pas encore atteint l'âge où des caractères violents deviennent inflexibles par l'habitude qu'ils ont prise de céder à leurs penchants. Mais le cardinal, qui connaissait son maître, savait que l'inflexibilité n'attendait pas chez lui le nombre des années ; il crut Rome perdue en Angle terre, et, placé entre Henri et Clément, il s'écria ;

Comment faire pour éviter les rochers de Scylla, sans tomber dans le gouffre de Charybde [28]!» Il sup plia pourtant le roi de faire un dernier effort en en voyant le docteur Bennet au pape avec ordre d'appuyer l'appel à Rome, et lui donna une lettre dans laquelle il déployait toutes les ressources de son éloquence. « Comment imaginer, écrivait-il, que c'est l'empire des sens qui porte le roi d'Angleterre à rompre une union dans laquelle il a saintement passé les ardentes années de sa jeunesse*[29]?... C'est de tout autre chose qu'il s'agit. Je suis sur les lieux, je connais l'état des esprits... Veuillez m'en croire... Le divorce n'est que la question secondaire; il s'agit de la fidélité de ce royaume au siège papal. Les grands, les nobles, les bourgeois s'écrient tous, dans leur indignation : Faut-il que le sort de notre fortune et même de notre vie dépende d'un mouvement de tête fait par un personnage étranger? Il faut abolir ou du moins diminuer l'autorité du pontife romain'... [30] O très saint Père ! Nous ne pouvons sans horreur rapporter de tels discours !... » Cette nouvelle tentative fut encore inutile. Le pape demanda à Henri comment il pouvait douter de sa bonne volonté, puisque lui, roi d'Angleterre, avait tant fait pour le saint siège apostolique ... Ceci parut à Tudor une sanglante ironie; le roi demandait au pape un bienfait, et celui-ci répondait en rappelant ceux que la papauté avait reçus de sa main. « Est-ce donc là, disait-on en Angleterre, la manière dont Rome paye ses dettes? [31] »

Wolsey n'était pas au terme de ses malheurs. Gardiner et Bryan venaient d'arriver à Londres; ils déclarèrent que demander l'appel à Rome, était perdre leur cause.

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Aussitôt Wolsey, qui tournait à tout vent, ordonna à Da Casale, si Clément prononçait l'appel, d'en appeler du pape, le faux chef de l'Église, au vrai vicaire de Jésus-Christ’ [32]. Ceci était presque du Luther. Qui était ce vrai vicaire? Probable ment un pape nommé sous l'influence de l'Angleterre.

Mais cette démarche ne rassurait pas le cardinal ; il perdait la tête. Déjà peu auparavant, Du Bellay, revenant de Paris, où il s'était rendu pour retenir la France dans les intérêts de l'Angleterre, avait été invité à Richmond par Wolsey. Les deux prélats se promenant dans le parc, sur les hauteurs d'où la vue domine ces campagnes riches et ondulées où la Tamise étendent çà et là les nappes tranquilles de ses eaux : « Ma peine, disait à l'évêque le malheureux Wolsey, est la plus grande qui fut jamais!...

J'ai suscité et poursuivi cette affaire du divorce, pour rompre l'union des deux maisons d'Espagne et d'Angleterre, en mettant entre elles la mésintelligence comme si je n'y étais pour rien C'était, vous le savez, dans l'intérêt de la France ; je sup plie donc le roi votre maître et Madame, de tout faire pour la réussite du divorce. J'estimerai plus une telle faveur que s'ils me faisaient pape; mais s'ils me refusent, ma ruine est inévitable. » Puis, s'abandonnant à son désespoir, il s'écria : « Hélas ! je voudrais être prêt à être mis en terre dès demain! [33] »

Ce malheureux buvait la coupe amère que ses perfidies lui avaient préparée. Tout semblait conspirer contre Henri, et peu après Bennet fut rappelé. On disait à la cour et parmi le peuple : « Puisque le pape nous sacrifie à l'Empereur, sacrifions le pape ! » Clément VII, intimidé par les menaces de Charles-Quint et agité sur son trône, repoussait follement du pied le navire de l'Angleterre. L'Europe était attentive, et commençait à croire que le fier vaisseau d'Albion, se passant de la remorque des pontifes, déploierait hardiment ses voiles, et désormais naviguerait seul, avec le vent du ciel. L'influence de Rome sur l'Europe est en grande partie politique. Elle perd un royaume par une brouillerie royale, et pourrait ainsi en perdre dix.

FOOTNOTES

[1] Omncs nervos ingenii tui... amplissima potestas, nullis terminis àut conditionibus limitata seu restricta. » (Fox, Acts, IV, p. 601.)

[2] By sundry ways, hath been advertised of the death of your Holy Father. » [Ibid., Instructions of the king.)

[3] By some detestable act committed for the late Pope's destruc tion. » [Ibid., p. 603.)

[4] By little and little utterly to exclude and extinguish him and hii authority.» (Fox, Acts, IV, p. 603.)

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[5] Having God and the Holy Ghost before them. » (Fox, Acts, Vf, p. 604.) »

[6] To the comfort of ail Christendom, to succor the infirmity. » [Ibid.)

[7] With solicitation of promotion, spiritual offices, dignities, rearwards of money, or other things. » [Ibid.)

[8] With good dexterity combine and knit those, in a perfect fas tenessandin an indissoluble knot. » (Ibid., p. 605.)

[9] As may be to God's pleasure. » (Fox, Acts, IV, p. 605.)

[10] Inculke unto them (le parti des Médicis) the singular devotion and special favour... and semblably put the Florentines in comfort of the exclusion of the said family the Medicis. » [Ibid.,p. 606.)

[11] Likewise putting the cardinal in perfecthope of recovery of the patrimonies of the Church. » [lbid.)

[12] Casimir Delavigne, Derniers chants, le Conclave.

[13] Where Christ is not the fundament, surely no building can he of good work. » [Stale Papers, VU, 22.)

[14] CoQvolare ad secundas nuptias non patitur negotiunu » [Ibid., p, 138.)

[15] Which wordeS, fashioned with a famyliaryte and somewhat wilh earnestness and gravite... »

[16] It niight well be in his Pater noster, but it was nothing in his Credo. » [State Pupers, I,p. 330.)

[17] And though he were in the very agony of death. » (Burnet, I, p. 63.)

[18] Postquam conjunctim omnes... » [State Papers, VII, p. 154.)

[19] Uno eodemque calceo omnium pedes velle vestire. » [Ibid., p. 156.)

[20] Quod forsan non licebit toto capite assequi, in eo digitum impo nam. » [Ibid., p. 157.)

[21] Malle Caesari a stabulo nedum a sacris inservire, quam inferio rum hominum subditorum, \assalorum, rebellium, injurias susti nere. » (Herbert, I, p. 261.)

[22] » Le Grand, I, p. 131.

[23] 1 Burnet, I, p. 69.

[24] De intercipiendis litteris. » [State Papers, VII, p. 185.)

[25] With fayre wordys and fayre wrytinges. » [Ibid., p. 107.)

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[26] Tametsi noctes ac dies per nos, ipsi, ac per juris peritissimos vi ros, » ajoutait-il. [Ibid., p. 165.)

[27] Incredibili patientia et humanitate. » (Burnet, Records, l, p. 64.) 6 Ne praceps, hue vel illuc, rex hic ruat, curamus. » [Ibid.} p. 66.)

[28] Hanc Charybdin et hos scopulos evitasse. » (Burnet, Rec, p. 64.)

[29] Sensuum suadela eam abrumpere cupiat. » [Ibid., p. 65.)

[30] Qui nullam aut certe diminutam hic romani pontiflcis authori tatem vellent. » [Ibid., p. 66.)

[31] Dubitare non debes si quidera volueris recordare tua erga nos mérita. » [State Papers, VIT, p. 178.)

[32] A non vicario ad verum vicarium. * [Ibid., p. 191.)

[33] Du Bellay à Montmorency, 22 mai. (Le Grand, preuves, p. 319.)

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CHAPITRE VII

Discussion entre les évangéliques et les catholiques. Union de la science et de la vie. Les laïques : Tewkesbury. Sa comparution devant la cour épiscopale. Il est mis à la torture. Deux classes d'adversaires. Un duel théologique.

L'Écriture et l'Église. Affranchissement des esprits. Mission dans les PaysBas. Embarras de Tyndale. Tonstall veut acheter les livres. Ruse de Packington. Tyndale part pour Anvers. Son naufrage. Il arrive à Hambourg. Il y trouve Coverdale.

D'autres circonstances rendaient de jour en jour plus nécessaire l'émancipation de l'Église. Si derrière les débats politiques ne s'était pas trouvé un peuple chrétien, décidé à ne jamais pactiser avec l'erreur, il est probable que l'Angleterre, après quelques années d'indépendance, serait retombée dans le giron de Rome. L'affaire du divorce n'était pas la seule qui agitât les esprits; les débats religieux, qui depuis quelques années préoccupaient le continent, étaient toujours plus animés à Cambridge et à Oxford.

Les évangéliques et les catholiques (peu catholiques au fond) discutaient ? Enfeu les grandes questions que les événements posaient devant le siècle. Les évangéliques soutenaient que l'Église primitive des apôtres et l'Église actuelle de la papauté n'étaient pas identiques ; les catholiques au contraire maintenaient l'identité de la papauté et du christianisme apostolique. D'autres docteurs romains, trouvant cette thèse embarrassante, ont affirmé plus tard que le catholicisme n'existait qu'en germe dans l'Église apostolique et s'était développé depuis lors.

Mais mille abus, mille erreurs, peuvent se glisser dans l'Église au moyen de cette théorie. Une plante sort de sa semence et se développe en suivant des lois immuables; tandis qu'une doctrine ne saurait se transformer dans l'esprit de l'homme sans subir l'influence du péché. Les disciples de la papauté ont supposé, il est vrai, dans l'Église catholique, une action continue de l'Esprit divin, qui exclut toute in fluence d'erreur. Pour imprimer au développement de l'Église le caractère de la vérité, ils ont imprimé à l'Église même le caractère de l'infaillibilité; quod erat demonstrandum. Leur raisonnement est une pétition de principe. Pour savoir si le développement romain est identique avec l'Évangile, on doit l'examiner d'après l'Écriture.

Ce n'étaient pas seulement les hommes des universités qui s'occupaient de la vérité chrétienne. La séparation que l'on a remarquée en d'autres temps entre l'opinion du peuple et celle des docteurs n'existait pas. Ce que les savants exposaient, les bourgeois le mettaient en pratique; Oxford et la Cité se donnaient la main. Les théologiens savaient que, la science à besoin de la vie, et les bourgeois croyaient que la vie a besoin de cette science qui puise la doctrine dans les profondeurs des

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Écritures de Dieu. Ge fut l'accord de ces deux éléments, l'un théologique, l'autre pratique, qui fit la force de la Réformation anglaise.

La vie évangélique dans la Cité alarmait plus le clergé que la doctrine évangélique dans les collèges. Puisque Monmouth avait échappé, il en fallait frapper un autre.

Parmi les marchands de Londres, on remarquait John Tewkesbury, l'un des plus anciens amis des saintes Écritures en Angleterre. Il en possédait, déjà en 4512, un exemplaire manuscrit et l'avait étudié avec soin ; quand le Nouveau Testa ment de Tyndale parut, il le lut avec un nouveau zèle ; enfin l'injuste Mammon avait achevé l'œuvre de sa conversion. Homme de cœur et d'intelligence, habile dans tout ce qu'il entreprenait, d'une élocution prompte et facile, aimant à tout approfondir, Tewkesbury devint, avec Monmouth, l'un des hommes évangéliques les plus versés dans les Écritures et les plus influents de la Cité.

Décidés à consacrer à Dieu les biens qu'ils en avaient reçus, ces généreux chrétiens furent les premiers dans cette série de laïques qui devaient être plus utiles à la vérité que beaucoup de ministres et d'évêques. Ils surent trouver le temps de s'occuper des moindres détails du règne de Dieu ; et l'histoire de la Réformation britannique doit inscrire les noms de Tewkesbury et de Monmouth à côté de ceux de Tyndale et de Latimer.

L'activité de ces laïques ne pouvait échapper au cardinal. Clément VII abandonnait l'Angleterre : il fallait que les évêques anglais, foulant aux pieds les hérétiques, montrassent qu'ils ne voulaient pas abandonner la papauté. On comprend le zèle de ces prélats, et sans excuser leurs persécutions, on est disposé à atténuer leur faute. Les évêques résolurent la perte de Tewkesbury. Un jour que le marchand était au milieu de ses pelleteries, en avril 1529, des sergents entrèrent dans ses magasins, se saisirent de lui et le conduisirent dans la chapelle de l'évêque de Londres, où siégeaient, outre l'ordinaire (Tonstall), les évêques d'Ély, de Saint-Asaph, de Bath, de Lincoln et l'abbé de Westminster. La composition de ce tribunal indiquait l'importance qu'on attachait à cette cause.

L'émancipation des laïques, pensaient ces juges, est une hérésie plus dangereuse peut-être que la justification par la foi. John Tewkesbury, dit l'évêque de Londres, je vous invite à vous moins confier dans votre science et dans votre intelligence, et davantage dans l'autorité de votre sainte mère l'Église. » Tewkesbury répondit, qu'il croyait n'avoir pas d'autre doctrine que celle de l'Église de Christ. Tonstall aborda alors l'inculpation principale, celle d'avoir lu sans horreur l'Injuste Mammon, et en ayant cité plusieurs passages, il s'écria : « Abandonnez ces erreurs! [1] Je ne trouve aucune erreur dans ce livre, répondit Tewkesbury Il a éclairé ma conscience et consolé mon cœur. Mais il n'est pas pour moi l'Évangile. Voilà dix-sept ans que j'étudie les saintes Écritures et que j'y découvre les taches de mon cœur, comme dans un miroir j'aperçois les taches de mon visage. S'il y a dissidence entre vous et

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le Nouveau Testament, mettez-vous d'accord avec lui, plutôt que de vouloir le mettre d'accord avec vous. »

Les évêques se demandaient comment il se faisait qu'un marchand parlât si bien, et citât les Écritures si à propos qu'ils se trouvaient incapables de lui répondre*[2].

Pleins de dépit de se voir catéchisés par ce laïque, Bath, Saint-Asaph et Lincoln crurent le réduire plus facilement avec le chevalet qu'avec leurs raisonnements'[3]. On le conduisit à la Tour; ils ordonnèrent qu'on l'appliquât à la torture. On brisa ses membres, ce qui était contre les lois de l'Angleterre, et la force des tourments lui arracha un cri de douleur, auquel les prêtres répondirent par un cri de joie ; l'inflexible marchand avait enfin promis de rejeter l'Injuste Mammon de Tyndale. Tewkesbury sortit de la Tour presque estropié*[4], et retourna dans sa maison pleurer le mot fatal que la question lui avait arraché, et se préparer dans le silence de la foi à confesser bientôt sur un bûcher le nom précieux de Jésus-Christ.

La question n'était pas, il faut le reconnaître, le seul argument do Rome. L'Évangile avait au seizième siècle deux classes d'adversaires, comme dans les premiers temps de l'Église. Les uns l'attaquaient avec la torture, les autres avec des écrits. Thomas More devait plus tard avoir recours à la première de ces preuves; mais pour le moment, ce fut la plume qu'il saisit. Il avait d'abord étudié les écrits des Pères et des Réformateurs, mais en avocat plus qu'en théologien; puis armé de toutes pièces, il s'était lancé dans la polémique et avait porté dans ses at taques ces convictions de plaidoirie, et cette subtilité malveillante, dit l'un de ses grands admira leurs [5], auxquelles n'échappent pas les hommes les plus honnêtes de sa profession. » Les plaisanteries, les sarcasmes étaient sortis de sa plume dans sa dispute avec Tyndale, comme dans sa Controverse avec Luther. Peu après l'affaire de Tewkesbury, en juin 1329, oh vit paraître un Dialogue de sir Thomas More, chevalier, concernant la secte empestée de Luther et de Tyndale, que le premier a établie en Saxe, et que le second introduit en Angleterre*[6]. Tyndale eut promptement connaissance de l'écrit de More, et l'on vit s'établir un combat singulier entre ces deux représentants des deux doctrines qui devaient partager la chrétienté, Tyndale champion de l'Écriture, et More champion de l'Église. More ayant intitulé son livre Dialogues, Tyndale adopta cette forme dans sa réponse [7], et les deux combattants croisèrent vaillamment l'épée par-dessus les mers. Ce duel théologique a son importance dans l'histoire de la Réformation. Des luttes de diplomatie, de sacerdotalisme et de royauté, ne suffisaient pas; il fallait des luttes de doctrine. La hiérarchie avait été mise par Rome au-dessus de la foi ; la foi devait être remise par la Réforme au-dessus de la hiérarchie.

Thomas More. « Christ n'a pas dit que le Saint Esprit écrira, mais que le SaintEsprit enseignera. Les opinions que l'Eglise enseigne sans l'Écriture ont donc la même autorité que l'Écriture elle-même.

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Tyndale. « Quoi ! Christ et les apôtres n'auraient pas parlé des Écritures!... Je vous écris ces choses, dit saint Jean, à cause de ceux qui vous égarent (i Jean II; 1 Rom. XY, 4 ; Matth. XXII, 29).

Th. More. « Les apôtres ont enseigné de bouche bien des choses qu'ils n'ont pas écrites, de peur qu'elles ne tombassent dans les mains des païens qui s'en seraient moqués.

Tyndale. « Est-il une doctrine plus propre à exciter les moqueries des païens, que celle d'une résurrection, ou celle d'un homme-Dieu qui meurt entre deux brigands? Voilà pourtant ce que les apôtres ont écrit. Au contraire, qu'y a-t-il de plus conforme aux superstitions des païens que le purgatoire, les pénitences, les satisfactions pour le péché, l'invocation des saints. Voilà pourtant, selon vous, ce que les apôtres ont craint d'écrire ! … [8]

Th. More. « Il ne faut pas examiner la doctrine de l'Église au moyen des Écritures ; mais il faut comprendre les Écritures au moyen de ce que l'Église dit Tyndale. « Quoi donc! Est-ce l'air qui éclaire le soleil, ou le soleil qui éclaire l'air? L'Église estelle avant l'Évangile, ou l'Évangile avant l'Église? Le père n'est-il pas plus âgé que le fils? Nous sommes engendrés par la Parole, dit saint Jacques (1, 18). Si celui qui engendre est avant celui qui est engendré, la Parole est donc avant l'Eglise, ou, pour mieux parler, avant la congrégation.

Th. More. « Pourquoi dites-vous congrégation et a non Eglise?

Tyndale. « Parce que par Eglise vous entendez cette multitude d'hommes rasés, tondus et huilés, que l'on appelle aussi clergé; tandis que la vraie Église, ou la congrégation, est la multitude de tous ceux qui croient*[9].

Th. More. « L'Église, c'est le pape et ceux qui le suivent.

Tyndale. « Selon le pape, on est sauvé par les œuvres, les pénitences, les mérites des saints et les capuchons des moines [10]. Or celui qui croit être sauvé autrement que par Jésus-Christ n'est pas de l'Eglise de Christ.

Th. More. « L'Église romaine, d'où les luthériens sont sortis, est plus ancienne qu'eux, et par conséquent elle est la véritable.

Tyndale. « Vous pourriez dire de même : L'Église pharisaïque, d'où les apôtres de Christ sont sortis, était plus ancienne qu'eux, et par conséquent elle était la véritable, et Christ et ses disciples étaient des hérétiques.

Th. More. «Non; les apôtres sont sortis de l’église des pharisiens parce qu'ils n'y trouvaient pas Jésus-Christ; mais vos prêtres, en Allemagne et ailleurs, sont sortis de notre Église romaine parce qu'ils voulaient prendre femme.

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Tyndale. « Erreur... Ces prêtres se sont d'abord attachés à ce que vous appelez des hérésies, et alors ils ont pris une femme ; mais les vôtres se sont d'abord attachés à la sainte doctrine du pape, et alors ils ont pris des prostituées.[11]

Th. More. « Les livres de Luther sont ouverts ; lisez-les, si vous ne voulez pas nous croire.

Tyndale. « Vous et vos amis avez bien su les fermer; et même les brûler!... [12]

Th. More. « Si vous niez le purgatoire, Monsieur Tyndale, c'est, je pense, parce que votre intention est d'aller en enfer.

Tyndale. « Je ne connais d'autre purgatoire que la foi seule en la croix de JésusChrist ; mais vous, vous achetez du pape, pour six ou quatre sous [13], je ne sais quelles mystérieuses pilules ou indulgences, qui vous purifient, pensez-vous, de vos fautes.

Th. More. « La foi seule est votre purgatoire, dites-vous ; il n'est donc pas besoin des œuvres. Oh! Doctrine immorale...

Tyndale. «C'est la foi seulement qui nous sauve, mais ce n'est pas une foi qui demeure seule. Si un cheval porte une selle, Monsieur More, et qu'il y ait Un homme dessus, nous disons que c'est le cheval seul qui porte la selle, mais nous ne voulons pas dire par là, qu'il porte la selle sans cavalier*. [14] »

C'est ainsi que combattaient alors l'évangélique et le catholique. Selon Tyndale, ce qui constituait la vraie Église, c'était l'œuvre du Saint-Esprit au dedans; selon More, c'était la constitution de la papauté au dehors. Le caractère spirituel de l'Évangile était ainsi opposé au caractère formaliste de l'Église romaine.

La Réformation restituait aux croyances la base solide de la Parole de Dieu ; au sable elle substituait le roc. Dans la lutte dont nous venons d'être témoins, ce ne fut pas au catholique que l'avantage demeura. Érasme, ami de More, embarrassé de la marche que celui-ci prenait, écrivit à Tonstall : « Je ne félicite pas extrêmement Thomas More. [15]»

Henri vint interrompre dans ses luttes le célèbre chevalier, pour l'envoyer à Cambrai, où se négociait la paix entre l'Empire et la France. Wolsey eût fort désiré s'y rendre ; mais les ducs, ses ennemis, dirent au roi que c'était uniquement pour ne pas expédier l'affaire du divorce. »

Henri envoya donc à Cambrai Thomas More, Tonstall et Knighl ; mais Wolsey avait suscité tant de longueurs qu'ils arrivèrent après la conclusion de la paix des Dames (août 1529). Le dépit du roi fut extrême. En vain Du Bellay lui avait-il fait passer ce qu'il appelait un bon juillet préparatoire pour lui faire avaler la médecine. Henri

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était indigné contre Wolsey, Wolsey je tais la faute sur Du Bellay, et l'ambassadeur se dé fendait, nous dit-il, « du bec et des ongles [16]. »

Pour se dédommager, les envoyés anglais conclurent avec l'Empereur un traité qui interdisait, de part et d'autre, l'impression et la vente de tout livre luthérien'.

Quelques-uns auraient voulu une bonne persécution, peut-être même quelques bûchers. Une occasion unique se présentait. Au printemps de 1529, Tyndale et Fryth avaient quitté Marbourg pour An vers, et se trouvaient ainsi tout près des envoyés d'Angleterre. Ce que West n'avait su faire, les deux hommes les plus intelligents de la Grande-Bretagne ne pouvaient manquer de l'accomplir : « Tyndale sera pris, dirent More et Tonstall. Vous ignorez dans quel pays vous êtes, leur répondit Hacket. Savez-vous que le 7 avril, à Anvers, Harmann m'a fait arrêter pour l'indemniser des dommages que sa prison lui a causés ! Si l'on a quelque chose contre ma personne, dis-je à l'officier, je suis prêt à répondre ; mais si l'on m'arrête comme ambassadeur, je ne reconnais d'autre juge que l'Empereur. Sur quoi le procureur dudit Harmann a eu l'audace de me répondre que c'était bien comme ambassadeur que j'étais arrêté;[17] et Messeigneurs d'Anvers ne m'ont mis en liberté que sous la condition de me présenter au premier appel.

Ces marchands sont si fiers de leurs franchises, qu'ils résisteraient même à Charles-Quint. » Cette anecdote n'était pas propre à encourager More. Ne se souciant pas d'une poursuite dont il prévoyait l'inutilité, il retourna en Angleterre. Mais l'évêque de Londres, demeuré seul, persista dans son projet et se rendit à Anvers pour l'exécuter.

Tyndale était alors dans un grand embarras ; des dettes considérables, contractées vis-à-vis des imprimeurs, l'obligeaient à suspendre ses travaux. Ce n'est pas tout; le prélat qui l'a repoussé si durement à Londres arrive dans la ville même où il se trouve caché... Que va-t-il devenir?... Un marchand nommé Augustin Packington, homme habile, même un peu dissimulé, qui se trouvait à Anvers pour son commerce, s'empressa de rendre ses devoirs à l'évêque de Londres. Celui-ci lui dit dans la conversation : J'aimerais bien m'emparer des livres dont on empoisonne l'Angleterre! Je puis peut-être vous servir en cette affaire, répondit le marchand ; je connais les Flamands qui ont en mains les livres de Tyndale, et si Votre Seigneurie veut les bien payer, je me fais fort de les lui procurer. «Oh! oh! pensa l'évêque, maintenant, comme dit un proverbe, je vais prendre Dieu par l'orteil. [18]

Gentil maître Packington, dit-il d'un ton flatteur, je payerai tout ce que l'on voudra. Je veux brûler ces volumes à la croix de Saint-Paul. » L'évêque, ayant déjà la main sur les Testaments de Tyndale, se croyait sur la voie pour saisir Tyndale lui-même. Packington était de ces esprits qui aiment à se concilier tous les partis; il courut chez Tyndale avec lequel il était lié : « William, lui dit-il, es-tu embarrassé pour tes payements? je veux te tirer de peine. Tu as un tas de Nouveaux

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Testaments et autres livres de ta façon, pour lesquels tu t'es ruiné; eh bien, je viens de te trouver un marchand qui t'achètera le tout, et te payera comptant.

Qui est-il? dit Tyndale. L'évêque de Londres. Tonstall!... S'il achète mes livres, ce sera pour les brûler! Sans doute, répondit Packington, mais qu'y gagnera-t-il ?

Le monde tout entier criera contre un prêtre qui ose brû1er la Parole de Dieu, et les yeux de plusieurs seront ouverts. Allons, décide-toi, William; l'évêque aura les volumes, toi l'argent, et moi les remercîments » Tyndale répugnait à cette proposition ;

Packington insista. « La question se réduit à ceci, lui dit-il : L'évêque payera-t-il les livres ou ne les payera-t-il pas?... car fais-en ton compte... il les aura... J'y consens, dit en fin le réformateur; j'acquitterai mes dettes, et j'imprimerai une nouvelle édition du Testament plus correcte que les premières. » Le marché fut conclu.

Bientôt le danger augmenta autour de Tyndale. Des placards, affichés à Anvers et dans toute la province, annonçaient que l'Empereur, conformément au traité de Cambrai, allait sévir contre les réformateurs et leurs écrits. Il ne paraissait pas dans la rue un officier de justice sans que les amis de Tyndale ne tremblassent pour sa liberté.

Comment, en de telles circonstances, imprimer sa traduction de la Genèse et du Deutéronome? Il résolut, vers la fin d'août, de quitter Anvers et de se rendre à Ham bourg. Il prit son passage sur un navire en charge ment, y monta avec ses livres, ses manuscrits et le reste de son argent, puis descendit l'Escaut et se trouva bientôt dans les eaux de la Hollande. Mais à un danger en succéda un autre. A peine avaitil passé l'embouchure de la Meuse, qu'une tempête l'assaillit, et son navire, comme jadis ce lui qui portait l'apôtre Paul, fut presque englouti par les flots. «Satan, dit le chroniqueur, regardant avec l'œil de la haine les succès de l'Évangile, mettait tout en œuvre pour arrêter les travaux de cet homme de Dieu. [19] » Les matelots manœuvraient; Tyndale priait; on était battu de la tempête, et chacun perdait espérance. Tyndale seul était plein de courage, ne doutant pas que Dieu ne le gardât pour l'accomplissement de son œuvre. Tous les efforts de l'équipage furent inutiles; le navire se brisa sur la côte, et les passagers ne sauvèrent que leur vie. Tyndale contemplait avec douleur cette mer qui venait d'engloutir ses chers livres, ses précieux manuscrits, et de le priver de ses dernières ressources [20]. Que de travaux, que de dangers! L’exil, la pauvreté, la soif, les injures, les veilles, la persécution, la prison, le bûcher Comme Paul, il est en péril de sa nation, en péril des autres peuples, en péril dans les villes, en péril sur la mer. Toutefois, ranimant ses esprits, il monta sur un autre navire, entra dans l'Elbe et atteignit enfin Hambourg. Une grande joie lui était réservée dans cette cité. Coverdale, nous dit Fox, l'y attendait pour conférer avec lui, et l'aida aussitôt dans son travail*[21].

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On a cru que Coverdale se rendit alors à Hambourg pour inviter Tyndale, de la part de Cromwell, à revenir en Angleterre *[22] ; mais cette invitation n'est qu'une supposition que rien ne confirme. Dès 1527, Coverdale avait manifesté à Cromwell son désir de traduire les Écritures*[23]. Il était naturel que rencontrant des difficultés dans ce travail, il désirât s'en entre tenir avec Tyndale. Les deux amis, logés chez une veuve pieuse, Marguerite d'Emmersen, passèrent donc quelque temps ensemble dans l'été de 1529, sans s'inquiéter de la suette qui exerçait alors au tour d'eux de cruels ravages. Peu après, Coverdale retourna en Angleterre ; les deux réformateurs avaient reconnu, sans doute, qu'il valait mieux traduire, chacun à part, les saintes Écritures. Avant le retour de Coverdale, Tonstall était revenu à Londres, tout glorieux d'apporter avec lui les livres qu'il avait si bien payés. Mais arrivé dans la métropole, il pensa devoir attendre pour Vaulo da-fé qu'il méditait, quelque événement un peu saillant qui relevât l'éclat des flammes. Pour le mo ment, d'ailleurs, c'était de tout autre chose qu'il s'agissait sur les rives de la Tamise, et les plus vives émotions y agitaient tous les esprits.

FOOTNOTES

[1] That he find eth no fault in it. » (Fox, Acts, IV, p. 690.)

[2] That they were not able to resist him. » [Ibid.,p. 689.)

[3] He was sent to be racked in the Tower. » [Ibid.)

[4] Till lie was almost lame. » [Ibid.)

[5] Nisard, Hommes illustres de la Renaissance. [Revue des Deux Mondes.)

[6] Le dialogue avait 250 pages et fut imprimé par Jokn Rastels, beau-frère de More, La réponse de Tyndale ne .parut que plus tard, mais on a cru devoir en faire mention ici.

[7] Answer to sù' Thomas More's dialogue. (Tynd., Works, â” h vol.)

[8] Tyndale's Works, II, p. 26 et 29.

[9] «Jôirf, p.l2, 13.

[10] Ibid.,p. 40.

[11] Tyndale's Works, p. 104.

[12] Ibid., p. 193-198.

[13] By out their purgatory there of the pope, for a groat or six pence. » (Tyndale's Works, p. 223.)

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[14] /i(rf.,p. 206.

[15] » Thomas Moro non admodum gratulor. » (Er., Epp., p. 1478.)

[16] Du Bellay à Montmorency. (Le Grand, 111, p. 328.) » Herbert, p. 316.

[17] Harman's Procurator answered that I was arrested as ambassador. » (Hacket to Wolsey, Brussels, 13 april 1529. [Bible Armais, X, p. 199.)

[18] The bishop thinking he liad God by the toe. » (Fox, Acts, IV, p. 670.)

[19] To hinder the blessed travail of that man. » (Fox, Acts, V, p. 120.)

[20] Having lost both his money, his copies.. . » (Fox, Acts, V, p. 120.)

[21] Coverdale tarried for him and helped hira. » [Ibid.)

[22] Bible Armais, p. 240.

[23] C'est la date indiquée dans les Coverdale's Remains, p. 490.

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CHAPITRE VIII

Les séances royales. Séance du 18 juin ; protestation de la reine. Séance du 21 juin. Sommations au roi et à la reine. Discours de Catherine. Elle sort. Impression sur l'assistance. Déclaration du roi. Réclamation de Wolsey.

Querelle entre les évêques Nouvelle séance, débats peu édifiants. Apparition à la vierge du Kent. Wolsey est frotté par Henri. Wiltshire chez Wolsey. Conférence secrète de Catherine et des deux légats.

Les choses avaient changé en Angleterre pendant l'absence de Tonstall et de More; et, déjà même avant leur départ, des événements d'une certaine importance s'étaient accomplis. Henri voyant qu'il n'y avait plus rien à espérer à Rome, s'était tourné vers Wolsey et vers Campeggi. Le nonce romain était parvenu à tromper le roi. « Campeggi est tout autre qu'on ne l'avait prétendu, disait Henri à ses familiers; il n'est point porté pour l'Empereur, comme on le disait; je lui ai dit quelque chose qui J’ai changé. [1] » C'était sans doute quelque brillante promesse.

Henri se croyant donc sûr des deux légats, leur demanda d'instruire sans délai la cause du divorce. Il n'y avait pas de temps à perdre, car on disait au roi que le pape était sur le point de révoquer la commission donnée à ses deux cardinaux ; et dès le 19 mars Jacques Salviati, oncle du pape et son secrétaire d'État, en écrivait à Campeggi [2]. Une fois dans le sac de la chancellerie pontificale, l'affaire d’Henri VIII aurait été longtemps à en sortir. Le roi adressa donc le 30 mai aux deux légats une lettre munie du grand sceau, par laquelle il consentait à ce qu'ils s'acquittassent de leur charge, « en ayant Dieu seul devant les yeux, et sans aucun égard à sa propre personne*. [3] » Les légats eux-mêmes avaient suggéré au roi cette formule.

Le lendemain, 31 mai, la commission s'assembla ; mais commencer le procès n'était pas le finir. Toutes les lettres que le nonce recevait le lui défendaient de la manière la plus absolue. « Avancez lentement, et ne finissez jamais; » telles étaient les instructions de Clément [4]. Ce jugement devait être une comédie, jouée par un pape et deux cardinaux.

Ce fut dans la grande salle de Black Fryars, communément appelée Chambre du parlement, » que la cour ecclésiastique se réunit. Les deux légats ayant successivement pris en main avec respect la commission papale, déclarèrent dévotement qu'ils étaient résolus à l'exécuter (il eût fallu dire à l'éluder), prêtèrent le serment requis, et ordonnèrent que l'on citât le roi et la reine pour le 18 juin, à neuf heures du matin. Campeggi se hâtait de procéder lentement ; on s'ajournait à trois semaines. La citation causa parmi le peuple une grande agitation. «Quoi! di sait-on, un roi, une reine, contraints à comparaître, dans leur propre royaume,

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devant leurs propres sujets! » La papauté donnait un exemple qui devait être plus tard fidèlement suivi en Angleterre et en France.

Le 18 juin, Catherine se présenta devant la commission dans la chambre du parlement, et s'avançant avec noblesse, elle dit d'une voix ferme : Je récuse les juges, pour cause d'incompétence, et j'en appelle au pape. [5]» Cette démarche de la reine, sa fierté, sa fermeté, inquiétèrent ses ennemis, et dans leur dépit ils s'irritèrent contre elle.

Au lieu de prier Dieu pour qu'il amène à bonne fin cette affaire, disaient-ils, la reine s'efforce de détourner du roi le cœur de ses sujets. Au lieu de témoigner à Henri l'amour d'une fidèle épouse, elle s'éloigne de lui nuit et jour. Il est même à craindre, ajoutait-on, qu'elle ne s'entende avec certaines gens qui ont formé l'horrible dessein de * tuer le roi et le cardinal. » Mais les âmes généreuses voyaient en elle une mère, une épouse, une reine attaquée dans ses plus intimes affections, et se montraient pleines de sympathie.

Le 21 juin, jour auquel la cour s'était ajournée, les deux légats, entourés de la pompe que comportait leur rang, entrèrent dans la chambre du parlement et s'assirent en un lieu élevé. Près d'eux se placèrent les évêques de Lincoln et de Bath, l'abbé de Westminster et le docteur Taylor, maître des rôles, qu'ils avaient adjoint à leur commission. A leurs pieds se trouvaient leurs secrétaires, parmi lesquels l'habile Gardiner tenait le premier rang. En face, à droite, sous un dais, le roi siégeait entouré de ses officiers. Au-dessous, à gauche, était la reine, accompagnée de ses dames. L'archevêque de Cantorbéry et les évêques étaient assis entre tes légats et Henri VIII, et des deux côtés du trône se trouvaient les conseillers du roi et de la reine. Ces derniers étaient Fisher, évêque de Rochester, Standish de Saint-Asaph, West d'Ely, et le docteur Ridley. Le peuple, en voyant défiler ce cortège, n'avait pas été ébloui de toute cette pompe : « Moins d'éclat et plus de vertus, disait-on, siérait mieux à de tels juges !

La commission pontificale ayant été lue, les légats déclarèrent qu'ils jugeraient sans faveur et sans crainte, et n'admettraient ni récusations ni appel [6]. Puis l'huissier cria : « Henri, roi d'Angleterre, paraissez devant la cour ! » Le roi, sommé, dans sa propre capitale, d'accepter pour juges deux prêtres, ses sujets, comprima les mouvements de son cœur orgueilleux, et répondit, dans l'espérance que cet étrange jugement aurait une issue favorable : « Me voici, Milords. » L'huissier continua : « Catherine, reine d'Angleterre, comparaissez devant la cour! »

La reine remit en silence aux légats un écrit par lequel elle rejetait les juges comme sujets de sa partie adverse, et le lieu même du jugement [7]. Les cardinaux déclarèrent ne pas admettre cette récusation ; en conséquence on appela Catherine une seconde fois. Cette princesse se leva, fit dévotement le signe de la croix, franchit

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l'espace qui la séparait de son époux, s'inclina avec dignité en passant devant les légats, et tomba à genoux aux pieds du roi. Tous les regards étaient fixés sur elle.

Alors, prenant la parole en anglais, mais avec un accent espagnol, qui, en rappelant la distance où elle était de sa patrie, plaidait éloquemment pour elle, Catherine, le visage baigné de larmes, dit d'une voix à la fois noble et passionnée : « Sire ! Je vous conjure par tout l'amour que nous avons eu l'un pour l'autre, je vous supplie au nom du Dieu très saint, faites-moi justice ! Femme, étrangère, sans pouvoir, sans amis, sans conseillers, seule et sans aucun secours, c'est auprès de Votre Majesté que je me réfugie, comme auprès du juge suprême de a ce royaume, chargé de défendre les innocents. Sire, en quoi vous ai-je offensé ?

Vous voulez vous séparer de moi Et pourquoi? J'en prends à témoin Dieu et les hommes, j'ai toujours été pour vous une femme humble et obéissante ; je me suis conformée à votre volonté ; je me suis complu dans ce qui vous plaisait ; je n'ai jamais manifesté le plus léger mécontentement, la moindre jalousie j'ai aimé ceux que vous aimiez, je les ai aimés pour vous, quand même ils étaient mes ennemis. Voilà vingt ans et plus, que j'ai toujours été à votre égard une femme tendre et fidèle. Je vous ai donné plusieurs enfants, et s'il a plu à Dieu de nous les ôter, hélas ! En suis-je coupable, moi?.... »

Les juges, et même les courtisans les plus serviles, étaient émus en entendant ces simples et éloquentes paroles, et la douleur de la reine leur arrachait presque des larmes. Catherine continua : « Sire! Quand vous me prîtes pour femme, j'étais vierge ; j'en prends Dieu à témoin ! Que votre conscience prononce elle-même et dise si ce n'est pas la vérité Si l'on peut alléguer quelque chose contre moi, qu'on le fasse! Je consens alors à quitter votre palais, et, s'il le faut, votre royaume. Mais si l'on ne peut me reprocher aucune faute, laissez-moi, Sire, jusqu'à ma mort, cette place qui m'appartient. Qui nous a unis ? C’est le roi votre père, qui était appelé le second Salomon ; c'est le roi Ferdinand, mon père, qui était considéré comme l'un des princes les plus sages dont le sceptre ait gouverné les Espagne. Comment donc révoquer en doute la légitimité d'une union que ces augustes monarques ont formée ? Quels sont mes juges ? L’un d'eux n’est-il pas l'homme qui a mis le trouble entre vous et moi?... un juge que je récuse et que j'abhorre! [8] Quels sont les conseillers qui m'ont été assignés ? Ne sont-ce pas des dignitaires de votre couronne, qui vous ont prêté serment dans votre propre conseil?... Sire, je vous conjure de ne pas me citer devant une cour ainsi composée. Toutefois, si vous me refusez cette faveur, « que votre volonté soit faite... Je me tairai, je réprimerai les émotions de mon âme, et je remettrai ma juste cause entre les mains de Dieu. [9]»

Ainsi dit Catherine, d'une voix altérée par ses larmes [10]; humblement prosternée, elle semblait embrasser les genoux de Henri. Elle se releva et fil au roi une profonde révérence. On s'attendait à ce qu'elle retournerait à sa place ; mais s'appuyant sur

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le bras de son receveur général, maître Griffith, elle se dirigea vers la porte. Le roi, s'en apercevant, ordonna de la rappeler. L'huissier la suivit et cria à trois reprises : « Catherine, reine d'Angleterre, comparaissez devant la cour! Madame, dit Griffith, on vous rappelle. N'importe, répondit la reine; ce n'est pas ici une cour où je puisse trouver justice : sortons ! » Catherine retourna au palais et ne reparut plus devant la cour, ni en personne ni par procuration.

Elle avait gagné sa cause dans l'esprit de plusieurs. La noblesse de sa personne, l'antique simplicité de son discours, la convenance avec laquelle, forte de son innocence, elle avait parlé des choses les plus délicates, ses larmes enfin qui trahissaient son émotion, avaient fait une impression profonde. Mais l'aiguillon de son discours, comme parle un historien [11], c'était l'appel qu'elle avait fait à la conscience du roi et au jugement de Dieu même, sur le point capital de la cause. «Comment, disait-on, une personne si modeste, si sobre de paroles, aurait-elle osé proférer un tel mensonge ? Le roi, d'ailleurs, ne l'a point contredite. »

Henri était fort embarrassé ; les paroles de Catherine l'avaient ému; ce noble plaidoyer, l'un des plus touchants de l'histoire, avait gagné jusqu'à l'accusateur luimême. Il se sentit contraint de rendre témoignage à l'accusée. « Puisque la reine s'est retirée, dit le roi, je déclare, Milords, qu'elle a toujours été pour moi une épouse obéissante, fidèle, telle que je pouvais la désirer. Elle a toutes les vertus que peut avoir une femme. Noble par sa naissance, elle ne l'est pas moins par son caractère. »

Mais le plus embarrassé était Wolsey. Au moment où la reine avait dit, sans le nommer, que l'un de ses juges était la cause de tous ses malheurs, des regards d'indignation s'étaient dirigés vers lui *[12]. Il ne voulut pas demeurer sous le poids de cette accusation. « Sire, dit-il quand le roi eut fini de parler, je prie humblement Votre Majesté de déclarer devant cette audience si c'est moi qui suis l'auteur de cette affaire. » Wolsey s'était vanté naguère à Du Bellay d'avoir mis en avant les premiers termes du divorce, pour rompre à jamais la conjonction des deux maisons d'Espagne et d'Angleterre [13]; » mais il lui convenait maintenant de dire le contraire. Le roi, qui avait besoin de lui, se garda de le démentir. « Non, Milord cardinal, répondit-il, vous vous êtes plutôt opposé à mon dessein ; ce fut l'évêque de Tarbes, ambassadeur de France, qui fit naître mes premiers scrupules, en exprimant des doutes sur la légitimité de la princesse Marie. » Ceci n'était point exact ; l'évêque de Tarbes ne fut ambassadeur de France en Angleterre qu'en 1527, et l'on a des preuves que le roi pensait au divorce dès 1526 [14]* : « Dès lors, continua Henri, cette pensée n'a cessé de me troubler; je me suis dit que le Seigneur, dont la justice s'exerce tôt ou tard, voulant punir un mariage incestueux, avait frappé de mort les fils que la reine m'avait donnés.

J'exposai ma douleur à Milord de Lincoln, qui est mon père spirituel; d'après son conseil, j'en parlai à Milord de Cantorbéry, puis à vous tous, Milords et évêques, et

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vous me files tous connaître par écrit que vous partagiez mes scrupules. C'est la vérité, Sire, dit l'archevêque. Non, s'é cria l'évêque de Rochester, je n'ai point donné, moi, mon approbation ! Quoi ! reprit le roi étonné en montrant à l'évêque un papier qu'il te nait en ses mains, n'est-ce pas là, Milord, votre signature et votre sceau ? Non, Sire, ce n'est ni ma main ni mon sceau... » La surprise de Henri redoubla, et se tournant d'un air sévère vers l'archevêque de Cantorbéry : « Ne m'avez-vous pas t dit, Milord, que vous m'apportiez la signature de l'évêque de Rochester ? Oui, Sire, répondit Warham. Cela n'est pas! s'écria vivement «Rochester; je vous ai déclaré, Milord archevêque, que je ne consentirais jamais à signer un tel acte. Vous le dîtes en effet, répondit l'archevêque, mais à la fin vous consentîtes à ce que je signasse pour vous. Cela est faux ! » Répliqua Rochester, hors de lui. L'évêque ne ménageait pas son primat. « Bien, bien, dit le roi qui voulait en finir, nous ne disputerons pas avec vous sur ce sujet, Milord évêque, car vous êtes seul de votre avis. [15] » La cour s'ajourna. La journée avait été meilleure pour Catherine que pour les prélats.

Autant la première séance avait été pathétique, autant les débats de la seconde entre jurisconsultes et évêques furent propres à révolter les esprits délicats. Les avocats des deux parties soutinrent vivement le pour et le contre quant à l'accomplissement du mariage d'Arthur et de Catherine. C'est une question très difficile, dit l'un des assistants-, nul ne peut connaître la vérité. Moi, dit alors l'évêque de Rochester, je la connais. Que voulez-vous dire ? s'écria Wolsey. Mi lord, répliqua Rochester, il est la Vérité même, celui qui a dit : Ce que Dieu a uni, l'homme ne le séparera point; cela me suffit. Chacun pense de même, reprit Wolsey, mais que ce soit Dieu qui ait uni Henri d'Angleterre et Catherine d'Aragon, hoc restat probandum, c'est ce qu'il faut prouver. Le conseil du roi établit que ce mariage est illégitime, et par conséquent que ce n'est pas Dieu qui Va fait. » Les deux évêques échangèrent alors quelques paroles moins édifiantes encore que celles de la veille. Plusieurs des assistants éprouvaient un sentiment de dégoût. « C'est une honte pour cette cour, dit avec indignation le docteur Ridley, que l'on ose y discuter des questions dont tout homme honnête doit avoir horreur. » Cette réprimande mit fin au débat.

L'agitation de la cour passa dans les couvents ; les prêtres, les moines, les nonnes étaient partout en émoi. Bientôt d'étonnantes révélations circulèrent dans toutes les sacristies. On ne parla pas de quelque vieux portrait de la vierge Marie clignant les yeux ; on inventa d'autres miracles. « Un ange, dit-on, est apparu à Elisabeth Barton, la vierge du Kent, comme autrefois à Adam, aux patriarches et à JésusChrist. »

Lors de la création, de la rédemption, et dans le temps qui mène de l'une à l'autre, les miracles sont naturels; Dieu paraît alors, et sa venue sans actes de puissance serait aussi étonnante que le lever du soleil sans rayons de lumière. Mais l'Eglise

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romaine ne s'en tient pas là; elle revendique en tout temps pour ses saints et ses saintes le privilège du miracle, et ces miracles se multiplient en proportion directe avec l'ignorance des peuples. L'ange dit donc à la fille épileptique du Kent : « Rendstoi auprès du prince infidèle de l'Angleterre, et dis-lui qu'il est trois choses qu'il convoite et que je lui interdis à toujours. La première, c'est le droit des papes; la seconde, c'est la nouvelle doctrine; la troisième, c'est Anne Boleyn. S'il la prend pour femme, Dieu le frappera ! » La vierge aux apparitions fit au roi ce message, ajoute le document [16]; mais rien ne pouvait arrêter Henri VIII.

Au contraire, il commençait à trouver que Wolsey procédait trop lentement, et la pensée d'être trahi par ce ministre traversait quelquefois son esprit. Par une belle matinée d'été, Henri, à peine levé, fit mander le cardinal à Bridewell. Wolsey accourut, et resta de onze heures à midi enfermé avec le roi. Celui-ci s'abandonna à toute la fougue de sa passion et à toute l'énergie de son despotisme. « Il faut promptement terminer cette affaire, disait-il, il- le faut décidément ! » Wolsey le quitta fort in quiet, et retourna par la Tamise à Westminster. Le soleil dardait ses rayons sur le fleuve. L'évêque de Carlisle, qui était assis à côté du cardinal, lui dit en s'essuyant le front : « Voilà, Milord, un jour bien chaud ! Ah ! répliqua le malheureux Wolsey, si vous aviez été frotté comme je viens de l'être pendant une heure, vous auriez raison de dire que la journée est chaude ! » Arrivé à son palais, le cardinal se jeta sur son lit pour chercher quelque repos; il n'y fut pas longtemps tranquille.

Catherine avait grandi aux yeux d’Henri comme à ceux de la nation. Le roi répugnait à un jugement; il doutait même de son succès; il désirait que la reine consentît à une séparation. Cette idée se présenta à son esprit après le départ de Wolsey, et à peine le cardinal avait-il fermé les yeux, qu'on vint lui annoncer le comte de Wiltshire (Thomas Boleyn), porteur d'un message royal. « Le bon plaisir du a roi, dit Wiltshire, est que vous représentiez à la reine la honte qui résulterait pour elle d'une condamnation judiciaire, et que vous lui persuadiez de s'en remettre à la sagesse de Sa Majesté. » Wolsey, chargé d'une tâche qu'il savait inexécutable, s'écria : « Pourquoi logez-vous de semblables fantaisies dans la tête du roi? » Puis il ajouta des paroles d'une véhémence si extraordinaire, que Wiltshire, troublé, tomba à genoux devant le lit du cardinal [17].

Peut-être que, désireux de voir sa fille reine d'Angleterre, Boleyn craignait qu'on ne s'y fût mal pris. « C'est bien, reprit le cardinal en se rappelant que le message venait de Henri VIII, je suis prêt à tout faire pour plaire au roi. » Il se leva, alla à BathPIace prendre Campeggi et se rendit avec lui chez la reine.

Les deux légats trouvèrent Catherine travaillant paisiblement au milieu de ses filles d'honneur. Wolsey s'adressa à la reine en latin : « Parlez anglais, dit-elle, je voudrais que le monde entier fût ici pour vous entendre. Nous désirons, Madame,

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dit le cardinal, vous communiquer, mais à vous seule, notre manière de voir. Milords, dit la reine, vous venez me parler de choses qui passent ma capacité. Voilà, continua-t-elle avec une noble simplicité, en montrant un écheveau de fil suspendu à son cou, voilà mes occupations, et tout ce dont je suis capable. Je ne suis qu'une pauvre femme, sans conseils sur cette terre étrangère, et sans l'intelligence nécessaire pour répondre à des hommes tels que vous ; toutefois, Milords, pour vous complaire, passons dans mon cabinet. »

A ces mots, la reine se leva, et Wolsey lui donna la main. Catherine maintint avec vivacité ses droits de femme et de reine. « Nous qui étions dans la première chambre, dit Caveudish, nous entendions de temps en temps la reine parler très haut, mais nous ne pouvions comprendre ce qu'elle di sait. [18] » Catherine, au lieu de se justifier, accusa hardiment son juge. « Je sais, Monsieur le cardinal, dit-elle avec une noble franchise, je sais qui a donné au roi les conseils qu'il suit; c'est vous! Je n'ai pas servi votre orgueil, j'ai blâmé votre conduite, je me suis plainte de votre tyrannie, et l'Empereur, mon neveu, ne vous a point fait pape...

De là tous nos malheurs. Vous avez, pour vous venger, allumé la guerre en Europe, et m'avez suscité à moi-même la plus méchante affaire. Dieu sera mon juge... et le vôtre!...» Wolsey voulut répliquer, mais Catherine refusa fièrement de l'entendre, et tout en traitant civilement Campeggi, déclara qu'elle ne les reconnaîtrait ni l'un ni l'autre. Les cardinaux se retirèrent, Wolsey plein de dépit, et Campeggi rempli de joie; car l'affaire s'embrouillait. Toute espérance d'accommodement était perdue ; il ne restait donc plus qu'à procéder par voie judiciaire.

FOOTNOTES

[1] We have said somewhat to him. » (Burnet, Records, p. 71.)

[2] E quanto altro non si possa, forse si pensera ad avocare la causa a se. » (I.ettere di XIII, uomini illustri, du 19 mars 1529.)

[3] Ut solum Deum prœ oculis habentes. » (Rymer, Acta ad an.)

[4] Sua beatitudine ricorda, che il procedera sia lento ed in modo alcuno non si venghi al giudicio. » (Al card. Campiggi, 29 maggio 1529. Lett. di Principi.)

[5] Se in illos tanquam judioes suos non asseatire, ad papam provocavit. » (Sanders, p. 32.)

[6] Lettre An roi à ses ambassadeurs à Home, 23 juin. {Burnet, Records, p. 72.)

[7] Personas judicum non solum Regi devinctas verum et subjectas esse. » (Sanders, p. 35.)

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[8] Qui dissensionem fecisset inter ipsam et vifura suum. » (Polyd. Virg.,p. 688.)

[9] Haec illa flebiliter dicente. » (Polyd. Virg., p. 688.) Voir aussi Cavendish.

[10] Lettre du roi. (Burnet, Records, ï, p. 73.) Henri dit dans cette lettre : « Both we and the queen appeared in person. »

[11] The sting in her speech. » (Fuller, p. 173.)

[12] Vidisses Wolseuminfestis fere omnium oculis conspici. » (Polyd. Virg., p. 689.)

[13] Du Bellay à Montmorency. (Le Grand, preuves, p. 186 et 319.)

[14] Voir la lettre de Pace à Henri VIII, de 1526. (Le Grand, preuves, p. 1.) Pace y montre qu'il est faux de dire : Deuteronomium abro gare Leviticum, quant à la défense de prendre la femme de son frère.

[15] For you are but one man. » (Cavend., Wolsey, p. 223.)

[16] She shewed this unto the king. » (Lettre à Crorawell, Strype, I, p. 472.)

[17] Water in his eyes, kneeling by ir.y lord's bed side. » (Gaven dish, p. Î26.)

[18] We might hear Ihe queen speak very loud. » (Gavend.,p. 229.)

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CHAPITRE IX

Le procès commence. Citation de Catherine. Douze articles. Audition des témoins. Arthur et Catherine ont été époux. Campeggi s'oppose à l'argument du droit divin. Autres arguments. On demande aux légats la sentence. Leurs tergiversations. Changement dans les esprits. Séance définitive. Attente générale. Renvoi pour les féries des moissons et des vendanges. Campeggi pallie cette impertinence. Indignation du roi. Violence de Suffolk. Réponse de Wolsey. Il est perdu. Accusations générales. Le cardinal se tourne vers la vie épiscopale.

Le procès recommença. L'évêque de Bath et de Wells se rendit auprès de la reine, à Greenwich [1], et la cita péremptoirement à comparaître dans la chambre du parlement. Le jour indiqué, Catherine se borna à envoyer son appel au pape. Elle fut déclarée contumace, et les légats procédèrent en justice. On rédigea douze articles qui devaient servir à examiner les témoins, et dont le sommaire était, que le mariage entre Henri et Catherine étant dé fendu et par le droit divin et par le droit ecclésiastique, était nul* [2].

L'audition des témoins commença, et le docteur Taylor, archidiacre de Buckingham, fit les fonctions d'examinateur. On peut lire cet interrogatoire, de la nature de ceux qui se font maintenant à huis clos, dans Herbert de Cherbourg [3]. Le duc de Norfolk, lord trésorier d'Angleterre, le duc de Suffolk, Maurice Saint-John, écuyer tranchant du prince Arthur, le vicomte de Fitzwater et Antoine Willoughby, ses échansons, déclarèrent avoir assisté, le lendemain du mariage, au déjeuner du prince, alors très bien portant, et rapportèrent les discours [4]»…qu'il avait tenus [5]. La vieille duchesse de Norfolk, le comte de Shrewsbury, le marquis de Dorset, confirmèrent ces déclarations, et l'on établit qu'Arthur et Catherine avaient été réellement époux. On rappela même que lors de la mort d'Arthur, on ne permit pas à Henri de prendre le titre de prince de Galles, parce que Catherine espérait de donner un héritier à la couronne d'Angleterre*[6].

Si Arthur et Catherine ont été réellement époux, dirent les conseillers du roi après ces étranges dépositions, le mariage de cette princesse avec Henri, frère d'Arthur, était interdit de droit divin, par un commandement exprès de Dieu, contenu dans le Lévitique, et aucune dispense ne pouvait permettre ce que Dieu avait défendu. » Campeggi ne voulut jamais admettre cet argument qui limitait le droit des papes; il fallut donc abandonner le droit divin (ce qui était réellement perdre la cause), et chercher dans la bulle de Jules II et dans son fameux bref quelques défauts propres à les invalider'; c'est ce que firent les conseillers du roi, quoique sans se dissimuler l'insuffisance de cette méthode. « Le motif allégué dans la dispense, dirent-ils, est la nécessité de maintenir entre l'Espagne et l'Angleterre une entente cordiale ; a or, il n'y avait rien qui menaçât ce bon accord. De plus, il est dit dans ce document que le

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pape l'octroi à la demande d’Henri, prince de Galles ; or ce prince n'ayant que treize ans, n'était pas en âge de faire une telle demande. Quant au bref, il ne se trouve ni en Angleterre, ni à Rome ; on ne peut donc en reconnaître l'authenticité. »

Il ne fut pas difficile aux amis de Catherine de montrer le peu de valeur de ces objections. « D'ailleurs, dirent-ils, voilà vingt ans que ce mariage a été contracté; cela ne suffit-il pas pour en établir la légitimité? Et veut-on déclarer illégitime la princesse Marie, au grand détriment de ce royaume ? »

Les avocats du roi changèrent alors de marche. Le légat romain n'était-il pas muni d'une décrétale qui prononçait le divorce, pour le cas où le mariage entre Arthur et Catherine aurait été réellement accompli? Or ce fait avait été établi par les débats. Voici le moment de rendre la sentence, dirent à Campeggi Henri et ses conseils. Publiez la décrétai du pape. » Mais le pape craignait l'épée de Charles-Quint, suspendue alors sur sa tête; aussi, quand le roi faisait un pas en avant, le prélat romain en faisait-il plusieurs en arrière. « Je prononcerai la sentence dans cinq jours, » disait-il ; et les cinq jours écoulés, il s'engageait à la prononcer dans six. « Rendez la paix à ma conscience trou blée, » s'écriait Henri. Le légat répondait par quelques belles paroles ; il avait ainsi gagné quelques jours, et c'était tout ce qu'il désirait.

Cette conduite du légat romain fit un mauvais effet en Angleterre, et un changement s'opéra dans les esprits. Le premier mouvement avait été pour Catherine; le second fut pour Henri. Les atermoiements sans fin de Clément et les ruses de Campeggi indignaient la nation. L'argument du roi était simple et populaire : « Le pape ne peut dispenser des lois de Dieu ; » tandis que l'argument de la reine, qui en appelait à l'autorité du pontife de Rome, déplaisait soit aux grands, soit au peuple. « Aucun précédent, disaient les jurisconsultes, ne justifie le mariage du roi avec la veuve de son frère. »

Quelques hommes évangéliques pourtant croyaient Henri troublé par sa passion plus que par sa conscience, et ils demandaient comment ce prince, qui se disait si agité par la transgression possible d'une loi dont l'interprétation était contestée, voulait, après vingt ans, violer la loi incontestable qui interdit le divorce!... Le 21 juillet, jour fixé ad concludendum, la cause fut prorogée au vendredi suivant, et personne ne douta que l'affaire ne fût alors terminée.

Chacun se prépara pour ce grand jour. Le roi ordonna aux ducs de Norfolk et de Suffolk d'assister à cette séance; et lui-même, impatient d'ouïr le jugement tant désiré, se glissa dans une galerie de la salle du parlement, en face des juges.

Les légats du Saint-Siège ayant pris place, le procureur général leur signifia que, « tout ce qui était requis pour l'information de leur conscience leur ayant été exposé judiciairement, ce jour avait été assigné pour la conclusion de l'affaire, » Il se fit une

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pause ; chacun comprenant la portée de ce jugement, l'attendait avec impatience : « Que la papauté prononce mon divorce de Catherine, avait dit le roi, ou je me divorcerai de la papauté; » c'était ainsi que le roi posait la question. Tous les regards, et surtout ceux d’Henri, étaient arrêtés sur les juges; Campeggi ne pouvait plus reculer; il fallait, dire oui ou non. Il garda quelque temps le silence. 11 savait alors d'une manière certaine que l'appel de la reine avait été admis par Clément VII, et que celui-ci avait conclu une alliance avec Charles; il n'était donc plus en son pouvoir d'accorder au roi sa demande. Comprenant qu'un non perdrait peut être en Angleterre la puissance de Rome, tandis qu'un oui pouvait éloigner les projets d'émancipation religieuse qui l'alarmaient si fort, il ne pouvait se résoudre à dire ni oui ni non.

Enfin le nonce se leva lentement de son fauteuil, et toute l'assemblée, suspendue à ses lèvres, attendait avec émotion l'oracle que depuis tant d'années le puissant roi d'Angleterre demandait au pontife romain. Les grandes féries des moissons et des vendanges, dit Campeggi, étant observées chaque année par la cour de Rome à dater du jour de demain 24 juillet [7], commencement des jours caniculaires, nous renvoyons à une époque future la conclusion de ces débats. »

L'assistance demeura ébahie. « Quoi ! Parce que la malaria rend l'air de Rome dangereux à la fin de juillet, et oblige les Romains à fermer leurs tribunaux, il faut que sur les bords de la Tamise on interrompe un procès dont la conclusion est si impatiemment attendue ! » On espérait une sentence judiciaire, et l'on n'avait qu'une plaisanterie; c'est ainsi que Rome se moquait de la chrétienté. Campeggi, pour prévenir la colère d’Henri, voulut mettre en avant quelques grandes pensées. Il le fit avec habileté ; mais toute sa conduite fit naître des doutes légitimes sur sa sincérité. « La reine, dit-il, récuse le jugement de la cour; je dois donc faire mon rapport au pape, qui est la source de la vie et de l'honneur, et attendre ses ordres souverains. Ce n'est pas pour plaire à un homme, même à un roi, que je me suis transporté sur ces lointains rivages. Vieux et malade, je ne crains que le Juge suprême, devant lequel je dois bientôt comparaître. J'ajourne donc cette cour jusqu'au 1er octobre. » Il était évident que cet ajournement n'était qu'une forme destinée à signifier le rejet définitif de la demande de Henri VIII. Cette formule est encore en usage, comme on le sait, dans le parlement d'Angleterre.

Le roi, qui du lieu où il était caché avait entendu Campeggi, avait peine à contenir son indignation. Il voulait un jugement régulier ; il tenait aux formes ; il désirait que sa cause traversât heureusement tous les défilés de la procédure ecclésiastique, et voilà qu'elle échoue contre les féries de la cour romaine ! Toutefois Henri se tut, soit par prudence, soit parce que la surprise lui ôtait l'usage de la parole, et il sortit précipitamment.

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Norfolk, Suffolk et les autres courtisans, ne le suivirent pas. Le roi, ses ministres, ses nobles, le peuple, le clergé même, étaient presque unanimes, et le pape mettait son veto! Il humiliait le Défenseur de la foi pour flatter l'auteur du sac de Rome. C'en était trop. Le bouillant Suffolk se leva avec violence de son siégé, frappa du poing la table qui se trouvait devant lui, jeta sur les juges un regard terrible et s'écria : « Par la messe, le vieux dicton est aujourd'hui confirmé, savoir que jamais légat ni cardinal n'a apporté quelque chose de bon à l'Angleterre [8].

Cela vous plaît à dire, répondit Wolsey, nous sommes bons à quelque chose en Angleterre; et sans moi, pauvre cardinal, votre tête, Milord duc, ne serait pas maintenant sur vos épaules*. [9] » Il paraît que ce fut Wolsey qui apaisa Henri VIII lors du mariage de Suffolk avec la princesse Marie. « Je ne puis, continu Wolsey, prononcer la sentence sans connaître le bon plaisir de Sa Sainteté. »

Les deux ducs et les autres lords sortirent tout enflammés de colère [10], et coururent au palais. Les légats, restés avec leurs officiers, se regardèrent quelques moments. Enfin Campeggi, qui seul était demeuré impassible au milieu de cette scène de violence, se leva, et l'audience se dispersa.

Henri ne se laissa point abattre par ce coup et leva fièrement la tête. Rome, par ses étranges procédés, réveillait en lui cet esprit ombrageux et despotique dont il devait donner plus tard de si tragiques preuves. On se jouait de lui. Clément et Wolsey se renvoyaient l'un à l'autre son divorce comme une balle qui, tantôt à Rome et tantôt à Londres, semblait destinée à rester perpétuellement dans les airs. Le roi crut avoir assez longtemps servi de jouet à Sa Sainteté et au rusé cardinal ; il était au bout de sa patience, et se décida à montrer à ses adversaires qu'en fait de jeu, Henri VIII était plus habile que ces évêques. Il va prendre la balle au bond, et donner à toute cette affaire une solution inattendue.

Wolsey baissait tristement la tête; en se rangeant du côté du nonce et du pape, il venait de signer l'arrêt de sa ruine. Tant qu’Henri avait une lueur d'espérance, il croyait devoir dissimuler encore avec Clément VIT ; mais il pouvait montrer à Wolsey sa colère. Depuis l'affaire des fériés de Rome, le cardinal fut perdu dans l'esprit de son maître. Les ennemis de Wolsey voyant sa faveur décliner, se hâtèrent de lui porter de rudes coups.

Suffolk et Norfolk surtout, impatients de se débarrasser d'un prêtre insolent qui avait si longtemps irrité leur orgueil, disaient à Henri que Wolsey n'avait cessé déjouer la comédie; ils reprenaient mois par mois, jour par jour, toutes ses négociations, et en tiraient des conclusions accablantes. Sir William Kingston et lord Manners présentèrent au roi une lettre du cardinal, que sir Francis Bryan avait obtenue de l'archiviste du pape. Le cardinal y engageait Clément à traîner le divorce en longueur, et finalement à s'y opposer, attendu, disait-il, que si Henri était séparé de Catherine, ce serait une amie des réformateurs qui deviendrait reine

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d'Angleterre [11]. Cette lettre exprimait bien la pensée intime de Wolsey : Rome à tout prix... et périsse Henri et l'Angleterre plutôt que la papauté! On peut comprendre la colère du roi.

Les amis d'Anne Boleyn n'étaient pas seuls à .l'œuvre. Il n'y avait personne à la cour que le faste et la tyrannie de Wolsey n'eussent blessé; personne dans les conseils du roi, à qui ses continuelles intrigues n'eussent donné de graves soupçons. Il avait, disait-on, trahi en France la cause de l'Angleterre; entretenu, en temps de paix ou de guerre, intelligence secrète avec Madame, mère de François Ier; reçu d'elle de grands présents [12]; opprimé la nation et foulé aux pieds les lois du royaume. Le peuple même l'appelait hautement français et traître,' et toute l'Angleterre semblait jeter à l'envi des brandons enflammés dans l'édifice superbe que l'orgueil de ce prélat avait si péniblement élevé [13].

Wolsey était trop clairvoyant pour ne pas discerner les signes de sa ruine prochaine. Le soleil levant et le soleil couchant (c'est ainsi qu'un historien appelle Anne Boleyn et Catherine d'Aragon), se voilaient tour à tour, et le ciel, devenu sombre autour de lui, annonçait l'orage qui allait l'écraser*[14]. Si l'affaire échouait, Wolsey encourrait la vengeance du roi ; si elle réussissait, il serait livré à la vengeance des Boleyns, sans parler même de celle de Catherine, de l'Empereur et du pape. Heureux Campeggi! pensait-il, il n'avait rien à craindre. Si les bonnes grâces d’Henri VIII lui étaient retirées, Charles-Quint et Clément VII sauraient l'en dédommager. Mais Wolsey perdait tout en perdant la faveur de Tudor. Détesté de ses concitoyens, méprisé et haï de toute l'Europe, il ne trouverait, de quel que côté qu'il se tournât, que le juste salaire de son avarice et de sa fausseté. En vain s'efforçait-il, comme autrefois, de s'appuyer sur l'ambassadeur de France; Du Bellay était sollicité d'autre part. J'endure ici une si lourd et si continuelle batterie que j'en suis à demi-mort! » S’écriait l'évêque de Bayonne [15] ; et le cardinal trouvait dans son ancien confident une réserve inaccoutumée.

Cependant la crise approchait. Pilote habile, mais effrayé, Wolsey jetait les yeux à l'entour de lui pour découvrir un port où il pût trouver un refuge. Il n'en aperçut d'autre que son archevêché d'York. Il commença donc de nouveau à se plaindre des fa ligues du pouvoir, des ennuis de la carrière diplomatique, et à exalter les douceurs de la vie épiscopale. Il s'éprenait tout à coup d'amour pour des brebis auxquelles il n'avait jamais pensé. Ceux qui l'entouraient branlaient la tête, sachant bien qu'une telle retraite ne serait pour Wolsey que la plus amère disgrâce. Une seule pensée le soutenait ; s'il tombait, c'est qu'il avait tenu au pape plus qu'au roi; il se rait martyr de sa foi. Quelle foi et quel martyr!

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FOOTNOTES

[1] In quadam superiori camera : The queen's dining chamber, nuncupata, 26 die mensis junii. » (Rymer, Acta, p. 119.)

[2] Divino, ecclesiastico jure... nullum omnino et invalidum. » (Herbert, p. 263.)

[3] » Ibid., p. 270 à 274.

[4] Quod Arthurus mane postridie potum flagitaret, idque, ut aicbant, quoniam diceret se illa nocte in calida Hispaniarum regione peregrinatum fuisse. » (Sanders, p. 43.)

[5] » Fox, Acts, Y, p. 51.

[6] Herbert les donne tout au long, p. S64-267.

[7] Feriae generales messium et vindemiarum. » (Herbert, p. 278; Cavend., Wolsey, p. 229.)

[8] Mensam quœ proponebatur magnoictu concutiens : Per sacram, inquit, missam, nemo unquara legatorum aut eardwialium quicquam boni ad Angliam apportavit. » (Sanders,p. 49.)

[9] No head upon your shoulders. » (Cavend., p. 233.)

[10] Duces ex judicio diseedentes, ut ipsi omnibus iracundiaeflammis urebantur. » (Sanders, p. 49.)

[11] Edm. Campion, De Divortio. Herbert, p. 289.

[12] Lettres de Du Bellay. (Le Grand, preuves, p. 374.)

[13] Novis eliam furoris et insaniae facibus incenderunt, » (Sanders, p. 49.)

[14]* liolh ihe sun rùing and setting frowned upon him. » (Fuller, p. 176.)

[15] Du Bellay à Montmorency, 15 juin. {Le Grand, preuves, p. 324.)

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CHAPITRE X

Anne Boleyn à Hever. Elle lit l'Obéissance du chrétien. Elle est rappelée à la cour. Miss Gainsford et George Zouch. Le livre de Tyndale convertit Zouch. Zouch à la chapelle royale. Le livre confisqué. Anne chez Henri. Le roi lit le livre. Prétendue influence du livre sur Henri. La cour à Woodstock. Le parc et ses esprits. Estime d’Henri pour Anne.

Tandis que ces choses se passaient, Anne Boleyn vivait au château de Hever dans la retraite et la tristesse. Des scrupules alarmaient encore de temps en temps sa conscience. Le roi ne cessait, il est vrai, de lui représenter que son salut et celui de son peuple demandaient la rupture d'une union con damnée par la loi divine, et que ce qu'il sollicitait, plusieurs papes l'avaient accordé. Alexandre VI n'avait-il pas rompu, après dix ans de mariage, l'union de Ladislas et de Béatrice de Naples ?

Louis XII, le père du peuple, n'avait-il pas été divorcé de Jeanne de France? Rien de plus ordinaire, disait-il, que de voir le divorce d'un prince autorisé par un pape; le salut de l'État doit marcher avant tout.

Entraînée par ces arguments, éblouis par l'éclat du trône, Anne Boleyn consentait à usurper à côté d’Henri le rang qui appartenait à une autre. Toutefois, si elle était imprudente, ambitieuse, elle était honnête et sensible, aussi le malheur d'une reine qu'elle respectait lui faisait bientôt repousser avec effroi l'idée de prendre sa place. Les fertiles campagnes du Kent et les gothiques salles de Hever étaient tour à tour témoins des combats de cette, jeune femme. La crainte qu'elle avait de revoir la reine, la pensée que les deux cardinaux, ses ennemis, tramaient sa ruine, lui firent prendre la résolution de ne pas retourner à la cour, et elle s'en ferma dans une chambre solitaire.

Anne n'avait ni la profonde piété d'un Bilney, ni la spiritualité parfois un peu mystique que l'on remarque dans Marguerite de Valois; ce n'était pas le sentiment qui dominait dans sa religion, c'était plutôt la connaissance, l'horreur de la superstition et du pharisaïsme. Son esprit avait besoin de lumière et d'activité, et elle cherchait alors dans la lecture les consolations nécessaires à sa position. Un jour elle ouvrit l'un des livres prohibés en Angle terre, qu'un ami de la Réformation lui avait donné: l'Obéissance du chrétien. Il avait pour auteur cet homme introuvable, que Wolsey faisait chercher en Brabant et en Allemagne, William Tyndale; c'était pour Anne une recommandation. « Si tu crois les promesses, y étaitil dit, la vérité de Dieu te justifie, Dieu te pardonne tes péchés et te scelle du SaintEsprit; si tu contemples l'amour infini de Dieu, il faut nécessairement que tu l'aimes à ton tour; si tu aimes, il faut que tu agisses ; et si, quand les tyrans te persécutent, tu as le courage de confesser Jésus-Christ, alors tu dois être sûr de ton salut [1]. Si tu es sorti du chemin de la vérité, retourne ! et tu seras sauvé. Oui, Christ te sauvera, et les anges des cieux se réjouiront. » Ces paroles ne changèrent pas le

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cœur d'Anne, mais elle marqua de l'ongle, selon sa coutume, d'autres passages qui la frappaient davantage, et qu'elle voulait signaler au roi, si, comme elle l'espérait, elle devait le revoir [2]. Elle croyait que la vérité était là ; et elle s'intéressait vivement à ceux que persécutaient alors Wolsey, Henri VIII et le pape. Anne fut bientôt arrachée à ces bonnes lectures, et lancée au milieu d'un monde plein de dangers. Henri, persuadé qu'il n'avait désormais rien à attendre de Campeggi, ne se soucia plus des ménagements qu'il s'était imposés, et aussitôt après l'ajournement du procès, il ordonna à Anne Boleyn de revenir à la cour ; il lui rendit la place qu'elle avait auparavant occupée, et il l'entoura même d'un plus grand éclat.

Chacun comprit que c'était Anne qui dans l'esprit du roi était reine d'Angleterre ; et il se forma autour d'elle un parti puissant, qui se proposa d'accomplir la ruine définitive du cardinal. Revenue à la cour, Anne lut beaucoup moins l’Obéissance chrétienne le Testament de Jésus-Christ. Les hommages d’Henri, les intrigues de ses amis, les fêtes et leur étourdissement, risquaient fort d'étouffer les pensées que la solitude avait fait germer dans son cœur. Un jour qu'elle avait posé sur une fenêtre le livre de Tyndale, une jeune et belle dame [3] attachée à sa personne, Miss Gainsford, le trouva et le lut.

Un jeune gentilhomme, nommé George Zouch, de bonne mine, d'une grande gaieté et d'une parfaite douceur, appartenant aussi à la maison d'Anne Boleyn, et fiancé à Miss Gainsford, profitant de la liberté que lui donnait cette position, se permettait parfois un badinage [4]. Un jour que George désirait avoir un entretien avec sa fiancée, il fut fort dépité de la voir absorbée par un livre dont il ignorait le contenu, et, profitant d'un moment où la jeune fille tournait la tête, il le lui enleva en riant. Miss Gainsford courut après George pour reprendre son livre ; mais dans ce moment elle entendit la voix de sa maîtresse qui l'appelait, et elle quitta Zouch, en lui faisant un petit signe menaçant.

Comme elle tardait à revenir, George retourna dans son appartement et ouvrit le volume ; c'était l'Obéissance du chrétien. Il en parcourut quelques lignes, puis quelques pages, puis il lut et relut le livre tout entier. Il lui semblait entendre la voix de Dieu. «Oh! disait-il, je sens l'Esprit de Dieu qui parle dans mon cœur comme il a parlé dans le cœur de celui qui a écrit ce livre [5] ! » Les paroles qui n'avaient fait qu'une impression passagère sur l'esprit préoccupé d'Anne Boleyn, pénétraient au cœur de George et le convertissaient. Miss Gainsford, craignant qu'Anne Boleyn lui redemandât son volume, conjura George de le lui rendre; mais il s'y refusait absolu ment, et les larmes [6] même de sa fiancée ne pouvaient le décider à se séparer de ce livre, où il avait trouvé la vie de son âme. Devenu plus sérieux, il ne plaisantait plus comme autrefois ; et quand miss Gains ford exigeait impérativement le volume, il était, dit le chroniqueur, « tout prêt à pleurer luimême. »

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Zouch, trouvant dans ce livre une édification que ne pouvaient lui donner de vaines cérémonies, le parlait avec lui quand il allait à la chapelle royale. Le doyen Sampson officiait; le chœur chantait les prières, et pendant ce temps, George, les yeux sur son livre, y lisait ces mois : « Quand tu vois célébrer la cène du Seigneur, si tu crois cette promesse de Christ : Ceci est mon corps rompu pour vous; et si tu la gardes vivante dans ton cœur, tu es ainsi justifié et sauvé ; tu manges le corps de Christ et tu bois son sang. Mais si tu ne crois pas à la mort expiatoire du Fils de Dieu, alors quand même tu entendrais mille messes par jour, ces messes ne te sauveraient point. Prendre la cène du Seigneur sans croire à la vertu du sang de Jésus-Christ, nous est aussi inutile, que si, ayant soif et apercevant à la porte d'une taverne un rameau de verdure, cette enseigne ne nous faisait pas comprendre et croire que l'on vend du vin dans cette maison-là. [7] » Le jeune homme savourait ces paroles : par la foi il mangeait la chair et buvait le sang du Fils de Dieu.

Voilà ce qui se passait alors dans les palais d’Henri VIII ; il y avait des saints dans la maison de César.

Wolsey, désireux d'éloigner de la cour tout ce qui pouvait favoriser la Réformation, venait de recommander au docteur Sampson une extrême vigilance pour arrêter la circulation des livres novateurs. Un jour donc que George, debout dans la chapelle, était absorbé dans son livre, le doyen qui, tout en officiant, n'avait pas perdu de vue le jeune gentilhomme, l'appela après le service et lui arrachant brusquement le volume : « Quel est votre nom, dit-il, et au service de qui êtes-vous at taché? » Zouch ayant répondu, le doyen se retira, l'air fort irrité, et porta sa proie au cardinal. Quand Miss Gainsford apprit cette mésaventure, sa douleur fut extrême; elle tremblait en pensant que l’Obéissance du chrétien était entre les mains de Wolsey. Peu de temps après, Anne lui ayant demandé son livre, la jeune fille se jeta à genoux, avoua tout, et demanda grâce [8]. Anne ne lui fit aucun reproche; sa vive intelligence comprit aussitôt l'avantage qu'elle pouvait tirer de cette affaire. « Je vous assure, dit-elle d'un ton ferme, que de tous les livres que le doyen et le cardinal ont jamais confisqués, c'est celui qui leur coûtera le plus cher. »

Aussitôt la noble femme, comme l'appelle le chroniqueur, se dirigea vers les appartements du roi. Arrivée en présence de Henri, elle se jeta à ses pieds [9]*, et invoqua son secours. « Qu'avez-vous, Anne? » lui dit le roi étonné. Elle lui raconta ce qui venait d'arriver, et Henri lui promit que le livre ne resterait pas dans les mains de Wolsey.

Anne était à peine sortie des appartements du roi, que le cardinal arriva tenant le fameux volume, et se proposant de se plaindre à Henri de certains passages qu'il savait fort bien devoir l'irriter, et d'en profiter même pour attaquer Anne si le roi se montrait offensé L'accueil glacé de Henri lui ferma la bouche; le roi se contenta de

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prendre le livre, et congédia son ministre. C'était précisément là ce qu'Anne avait espéré. Elle supplia le roi de lire le livre, et celui-ci le lui promit.

En effet Tudor, s'enfermant dans son cabinet, lut l'Obéissance du chrétien. Peu d'ouvrages étaient plus propres à l'éclairer, et nul, après la Bible, n'a eu plus d'influence sur la Réformation en Angleterre. Tyndale traitait de V obéissance, « principe essentiel, disait-il, de toute communauté politique ou religieuse. » Il s'élevait contre le pouvoir illégitime des papes, qui usurpaient l'autorité légitime de Jésus Christ et de sa Parole. Il professait des doctrines politiques trop favorables sans doute au pouvoir absolu, mais propres à montrer que les réformateurs n'étaient pas, comme on le disait, des fauteurs de rébellion. Henri lisait dans ce livre ce qui suit : Le roi est, dans ce monde, à la place de Dieu. Celui qui résiste au roi résiste à Dieu, et celui qui juge le roi, juge Dieu lui-même. Le roi est le ministre de Dieu pour te défendre contre mille maux divers; c'est pourquoi, fût-il le plus grand des tyrans, il est pour toi un bienfait de Dieu ; car il vaut mieux payer la dîme que de tout perdre, et être maltraité par un homme que de l'être par tous. [10] »

Vraiment, pensait le roi, voilà pour des rebelles de singulières doctrines ! Il continuait :

Le roi, s'il est chrétien, doit, à l'exemple de Jésus-Christ, se donner lui-même pour le bien de ses sujets. Il doit penser qu'ils ne sont pas son peuple, mais le peuple même de Dieu, racheté par le sang de Jésus-Christ. L'homme le plus méprisé du royaume est (s'il est chrétien) égal au roi dans le royaume de Christ. Que le roi donc s'anéantisse lui-même, et devienne le frère du plus pauvre de ses sujets. »

Il est probable que ces paroles satisfirent moins le monarque. Il poursuivit :

Les empereurs et les rois sont devenus aujourd'hui les exécuteurs des hautesœuvres des papes, pour tuer tous ceux que ces pontifes condamnent, comme PoncePilate fut le bourreau des sacrificateurs pour crucifier Jésus-Christ. »

Ceci semblait un peu fort à Henri VIII. Le pape n'a reçu de Christ d'autre pouvoir que celui de prêcher la Parole de Dieu. C'est cette Parole qui doit gouverner toutes choses, et non les décrets des pontifes. In prœsentia majoris, cessat potestas minoris. Christ a dit : Mon royaume n'est pas de ce monde ; le pape donc, qui a usurpé les droits de l'Empereur, est opposé à la doctrine de Christ. Le roi n'a de comptes à rendre qu'à Dieu. Personne n'est exempt de l'obéissance qui lui est due. Ni moines, ni évêques, ni papes, ne peuvent, s'ils transgressent les lois, se soustraire à l'épée du prince. Toute âme, dit l'Écriture (Rom. XIII), doit se soumettre aux autorités ordonnées de Dieu [11]»

Quelle excellente lecture ! s'écria Henri, quand il eut terminé; vraiment, voilà un livre que tous les rois doivent lire, et moi tout le premier. [12]» Captivé par l'écrit de Tyndale, le roi commença à s'entretenir avec Anne de l'Eglise et du pape, et celle-ci

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qui avait vu Marguerite de Valois s'efforcer d'instruire François Ier sans en avoir l'air, s'efforça aussi d'éclairer Henri VIII. Elle n'eut pas sur lui l'influence qu'elle désirait ; ce malheureux prince fut, jusqu'à la fin de sa vie, opposé à la Réformation évangélique; protestants et catholiques se sont également trompés quand ils l'ont considéré comme lui ayant été favorable : « En peu de temps, dit, au terme de ce récit, le chroniqueur cité par Strype, le roi, par le moyen de cette vertueuse dame, eut les yeux ouverts à la vérité *[13]. Il apprit à chercher cette vérité, à avancer la religion et la gloire de Dieu, à détester la doctrine du pape, et à délivrer ses sujets des ténèbres de l'Egypte et des liens de Babylone. Méprisant les rébellions des papistes en Angleterre et la rage des potentats au dehors, ce prince accomplit une réformation religieuse qui, commençant par celui dont la tête porte une triple couronne, descendit à tous ses membres. »

L'histoire a rarement porté un jugement plus erroné. Henri n'eut jamais les yeux ouverts à la vérité, et ce ne fut pas lui qui fit la Réformation. Elle fut accomplie avant tout par la sainte Écriture, et puis par le ministère d'hommes simples et fidèles, baptisés du Saint-Esprit.

Cependant le livre de Tyndale et l'acte des légats avaient fait naître dans l'esprit du roi des pensées nouvelles qu'il voulait se donner le temps de méditer. Il désirait aussi cacher sa colère à Wolsey et à Campeggi, et dissiper son spleen, dit l'historien Col Iyers; il donna donc des ordres pour que la cour se transportât dans le château de Woodstock. Le parc magnifique de cette demeure royale, où se trouvait le labyrinthe construit par Henri II pour y cacher la belle Roseuionde, lui offrait tous les agréments de la promenade, de la chasse et de la solitude [14]. De là il pouvait se rendre facilement à Langley, à Graf ton et dans d'autres lieux de plaisance. Bientôt les courses et les divertissements commencèrent.

Le monde, ses plaisirs et ses grandeurs étaient, au fond, l'idole d'Anne Boleyn; mais elle sentait un certain attrait pour la nouvelle doctrine, qui se con fondait dans son esprit avec la cause des lumières, peut-être avec la sienne. Plus éclairée qu'on ne l'était généralement alors, elle se distinguait par la supériorité de son esprit, nonseulement des personnes de son sexe, mais encore de bien des hommes de la cour. Tandis que Catherine, membre de l'ordre tertiaire de Saint-François, se jetait dans de petites pratiques, Anne, plus intelligente, si ce n'est plus pieux, se souciait peu des amulettes bénies par les moines, des revenants, et des visions d'anges.

Woodslock lui offrit l'occasion de guérir Henri VIII des idées superstitieuses qui lui étaient naturelles. Il se trouvait dans la forêt un lieu qu'on disait hanté par les mauvais esprits; pas un prêtre, pas un courtisan n'eût osé s'en approcher; une tradition portait même que si un roi osait franchir cette enceinte, il tomberait mort. Anne entreprit d'y conduire Henri VIII. Un jour donc, elle dirige la promenade vers le lieu où des puissances mystérieuses se manifestent, dit-on, par d'étranges

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apparitions ; on entre dans le bois; on arrive jusqu'à la retraite si redoutée; on hésite alors; mais la tranquillité de la jeune Boleyn rassure ses compagnons ; ils avancent, ils ne trouvent... que des arbres et du gazon, et parcourent en riant le fameux domicile des esprits infernaux.

Anne retourna au château, se félicitant du triomphe que Henri venait de remporter sur de fantastiques terreurs [15]. Ce prince qui, à cette époque, pouvait encore supporter chez les autres quelque supériorité, fut frappé de celle d'Anne Boleyn. Jamais trop gay, ne trop mélancolique, Elle a au chef un esprit angélique, Le plus subtil qui onc au ciel vola. 0 grand' merveille ! On peut voir par cela Que je suis serf d'un monstre fort étrange: Monstre je suis, car pour tout vrai elle a Corps féminin, cœur d'homme et tête d'ange. »

Ces vers de Clément Marot, faits à l'honneur de Marguerite de Valois, expriment fidèlement ce que Henri VIII éprouvait alors pour Anne, qui avait été avec Marot dans la maison de cette princesse. L'amour d’Henri lui faisait peut-être illusion.

FOOTNOTES

[1] If when tyrants oppose thee, thou have power to confess. » (Tyndalc's Works, 1, p. 295.)

[2] She noted with her nail. « ( Wyat's Memoirs, p. 438.)

[3] A young fair gentlewoman. » (Strype, I, p. 171.)

[4] Among other love tricks. » (Strype, I, p. 172.)

[5] He was so ravished with the Spirit of God speaking now as well in the heart of the reader. » [Ibid.)

[6] She wept because she could not get the book. » (Ibid.)

[7] To behold abufh at a tavern's door. » (Tynd., Works,!,^. Î66.)

[8] She on her knees told ail. » (Strype, I, p. 17Î.)

[9] Upon her knoes she desireth the king's help for herbook. » [Ibid.)

[10] Wyat's Memoire, p. 441.

[11] 1 Tyndale's Works, edited by Russell, vol. I, p. 212, 238, 274, 242, Ï44, 220, 213.

[12] This book is for me and ail kings to read. » (Strype, I, p. 172.)

[13] The king by the help of this virtuous lady had his eyes opened to the truth. » [Ibiif.)

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[14] Les lettres de Gardiner et de Tuke, secrétaires du roi, à Wolsey, datées de Woodstock, vont du 4 août au 8 septembre. [St/ite Papers, I, p. 335 à 347.)

[15] Fox. Benger's Life of Anne Boleyn, p. 299.

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CHAPITRE XI

Embarras du pape. Les triomphes de Charles le décident. Il appelle la cause à Rogne. Accablement de Wolsey. Colère d’Henri. Ses craintes. Wolsey obtient un adoucissement. Ar-' rivée des deux légats à Grafton. Wolsey accueilli par Henri. Wolsey et Norfolk à (liner. Henri chez Anne. Conférence entre le roi et le cardinal. Joie et douleur de Wolsey. Le souper d'Enston. Audience de congé de Campeggi. Disgrâce de Wolsey Campeggi à Douvres. Les courtisans l'accusent. Il quitte l'Angleterre. Wolsey prévoit sa ruine et celle de la papauté

Pendant que la cour s'amusait à Woodstock, Wolsey était, à Londres, en proie aux plus vives angoisses. « L'appel à Rome, écrivait-il à Bennet, entraînera l'abaissement du siège pontifical et la perturbation de la chrétienté. [1] » A peine ce message était-il parvenu au pape, que les ambassadeurs d'Autriche lui remettaient la protestation de la reine, et ajoutaient d'un ton significatif : « Si votre Sainteté n'appelle pas cette cause devant elle, l'Empereur, décidé à en finir, aura recours à d'autres arguments. » La même perplexité agitait toujours Clément : Qui doit-il sacrifier, d’Henri ou de Charles ?

Antoine de Leyva, qui commandait les troupes impériales, ayant mis en dé route l'armée française, Clément ne douta plus que Charles ne fût l'élu du ciel. Ce n'était pas seulement l'Europe qui reconnaissait le pouvoir de ce prince ; un nouveau monde venait de déposer à ses pieds sa puissance et son or. Le redoutable roi prêtre des Aztèques n'avait pu résister à Cortez ; le roi-prêtre de Rome pouvait-il résister à Charles Quint? Cortez, revenu du Mexique en Espagne, y avait paru, avec la splendeur barbare des chefs mexicains, des milliers de pesos, de l'or, de l'argent, des émeraudes d'une grosseur extraordinaire, de magnifiques tissus et des oiseaux au plumage éclatant. Il avait accompagné Charles, qui se rendait alors en Italie, jusqu'au lieu de l'embarquement, et avait envoyé à Clément VII de riches métaux, de superbes pierreries, et une troupe de danseurs, de bouffons et de jongleurs mexicains, qui avait sur tout charmé le pape et les cardinaux'[2].

Clément, tout en se refusant aux demandes de Henri VIII, n'avait pas encore accédé à celles de l'Empereur. Il crut ne pouvoir résister plus long temps à l'étoile d'un monarque vainqueur des deux mondes, et se hâta d'entrer en négociation avec lui. De subites terreurs venaient bien encore l'as saillir : Mon refus, se disait-il. Nous fera peut-être perdre l'Angleterre! Mais Charles, le serrant de sa puissante main, l'obligeait à se soumettre. Les antécédents d’Henri rassuraient un peu le pontife.

Comment imaginer qu'un prince qui, seul entre les monarques de l'Europe, avait naguère combattu le grand réformateur, se séparerait maintenant de la papauté?

Clément déclara, le 6 juillet, aux envoyés d'Angleterre qu'il évoquait à Rome le procès d’Henri VIII et de Catherine d'Aragon. C'était refuser le divorce. « Il y a

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vingt-trois points dans cette affaire, disait-on, et les débats sur le premier viennent de durer une année; avant la fin de la procédure, le roi aurait passé l'âge de se marier ou serait même enseveli*. [3] »

En apprenant que le coup fatal était porté, Bennet saisi de douleur, s'écria : « Hélas ! Très saint Père, cet acte sera la ruine de l'Église en Angle terre ; le. roi me l'a déclaré en fondant en larmes [4]. Oh ! Pourquoi mon sort est-il de vivre en des jours si funestes, répondit le pape en versant aussi des pleurs ; mais la puissance de l'Empereur m'enveloppe, et si je complais au roi, j'attire sur «moi et sur l'Église une ruine épouvantable. Dieu sera mou juge ! ... »

Le 15 juillet Da Casale écrivit au ministère anglais la fatale nouvelle. Le roi était cité devant le pape, et en cas de refus condamné à une amende de dix mille ducats.

Le 18 juillet, la paix fut proclamée à Rome entre le pontife et l'Empereur, et le lendemain, 19 juillet (ces dates sont importantes), Clément, voulant tenter encore de détourner le coup dont la papauté était menacée, écrivit au cardinal Wolsey : « Mon cher fils, comment vous peindre notre douleur ! Montrez en cette affaire la prudence qui vous distingue, et retenez le roi dans la bienveillance qu'il nous a toujours témoignée*. [5] » Tentative inutile ! Loin de sauver la papauté, Wolsey allait faire naufrage avec elle.

Wolsey fut consterné. Au moment où il ne cessait d'assurer Henri du dévouement de Clément et de François, l'un et l'autre l'abandonnaient. La politique que le cardinal avait crue si habile et qui n'avait été que tortueuse, échouait. Henri n'avait plus en Europe que des adversaires, et la Réformation al lait se répandre dans tout le royaume. L'angoisse de Wolsey ne peut se décrire. Sa puissance, son faste, ses palais, tout était menacé ; qui sait même s'il garderait la liberté et la vie ! Juste salaire de tant de duplicité !...

Mais la colère du roi devait être encore plus grande que l'effroi de son ministre. Ses serviteurs épouvantés se demandaient comment ils lui annonceraient la décision du pontife. Gardiner, qui, après son retour de Rome, avait été nommé secrétaire d'État, se rendit le 3 août à Langley, pour la lui communiquer. Quelle nouvelle pour le fier Tudor!

Le juge ment du divorce interdit en Angleterre, la cause appelée à Rome pour y être ensevelie et iniquement perdue, François Ier traitant avec l'Empereur, Char les et Clément VII sur le point de se donner à Bologne des signes éclatants de leur inaltérable accord, les services rendus par le roi à la papauté payés de la plus noire ingratitude, son espérance de donner un héritier à la couronne indignement frustrée, en fin, et par-dessus tout, Henri VIII, le pins fier monarque de la chrétienté, sommé de se rendre à Rome pour y comparaître devant un tribunal ecclésiastique,... c'était trop pour Henri. Sa colère, un moment con tenue, éclata comme la foudre [6], et tout trembla autour de lui. « Prétend-on, s'écarta-t-il,

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instruire ma cause ailleurs que dans mes propres États ? Moi, le roi d'Angleterre, cité en Italie devant un tribunal!... Eh bien, oui... je me rendrai à Rome, mais ce sera avec une si puissante armée, que le a pape, ses prêtres et tous ses Italiens en seront frappés de terreur![7] Je défends, reprit-il, que les lettres de citation soient exécutées. Je défends que la commission se regarde comme déchargée de ses fonctions. » Henri eût voulu déchirer la pourpre de Campeggi, jeter en prison ce prince de l'Église, afin d'épouvanter Clément VII, mais la grandeur même de l'injure l'obligea à se modérer.

Il craignait par-dessus tout de paraître humilié aux yeux de l'Angleterre, et il espérait, en montrant quelque douceur, voiler l'affront qu'il venait de recevoir : « Que l'on fasse tout au monde, dit-il à Gardiner, pour cacher à mes sujets ces lettres de citation, si préjudiciables à ma gloire. Écrivez à Wolsey que j'ai la plus grande confiance dans sa dextérité et qu'il doit, par de bons traitements, gagner le cardinal Campeggi [8], les conseillers de la reine, et surtout obtenir à tout prix que l'on ne me présente pas ces lettres de citation. » Mais à peine Henri avait-il donné ses instructions que l'outrage dont il venait d'être l'objet se représentait à lui; la pensée de Clément VII le poursuivait nuit et jour, et il jurait de tirer du pontife une éclatante vengeance. Rome ne veut plus de l'Angleterre... l'Angleterre, à son tour, ne voudra plus de Rome. Henri sacrifiera Wolsey, Clément, l'Église; rien n'arrêtera sa fureur. L'astucieux pontife a caché son jeu, le roi le battra à jeu découvert ; et de siècle en siècle la papauté versera des larmes sur l'imprudente folie d'un Médicis.

Ainsi, après les insupportables longueurs qui avaient fatigué la nation, une trombe venait de fondre sur l'Angleterre. La cour, le clergé, le peuple, auxquels on n'avait pu cacher ces grands événements, étaient profondément émus, et le trouble était dans tout le royaume. Wolsey, espérant encore pré venir sa ruine et celle de la papauté, déploya aussi tôt toute la dextérité qu’Henri avait réclamée ; il obtint qu'on ne présentât pas au roi les lettres de citation, et qu'on se contentât de lui dénoncer le bref adressé à Wolsey par Clément VII [9]. Le cardinal, joyeux de ce petit succès, et voulant en profiter pour relever son crédit, résolut d'accompagner Cam peggi qui allait à Grafton prendre congé du roi.

Quand on apprit l'arrivée prochaine des deux légats, l'agitation fut grande à la cour. Les dites virent dans cette démarche un dernier effort de leur en nemi, et conjurèrent Henri de ne pas le recevoir. Le roi le recevra ! disait-on ; Le roi ne le recevra pas! » Enfin, un dimanche matin, on vint annoncer que les deux prélats étaient aux portes du château. Wolsey regardait d'un œil inquiet s'il ne découvrait pas les grands officiers qui avaient coutume de l'introduire. Us parurent et invitèrent Campeggi à les suivre. Le légat romain une fois installé, Wolsey attendait son tour ; mais quelle fut sa consternation quand on lui dit qu'il n'y avait pas d'appartement pour lui! Sir Henri Norris, gentilhomme de la garde-robe, offrit à Wolsey d'entrer dans sa modeste chambre, et le légat l'y suivit, le cœur navré de

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l'humiliation qu'il venait de subir [10]. Il se prépara à paraître devant le roi, et s'armant de cou rage, se rendit à la salle d'audience.

Les lords du conseil y étaient placés selon leur rang; Wolsey, ôtant son chapeau, fit le tour du cercle et salua chacun d'eux avec une civilité affectée. Un grand nombre de courtisans arrivaient, impatients de savoir comment Henri recevrait son ancien favori; et la plupart triomphaient de la disgrâce éclatante dont ils croyaient être témoins. Enfin, on annonça le roi.

Henri s'étant placé sous le dais royal, Wolsey s'avança et fléchit le genou. Le plus profond silence régnait dans l'assemblée O surprise ! Le roi lui tend la main, le prend par les deux bras, et le relève'[11] Puis, avec un sourire aimable, il conduit Wolsey dans la large embrasure de la grande fenêtre, l'invite à se couvrir et l'entretient familière ment. « Alors, dit Cavendish, écuyer du cardinal, vous auriez ri de voir la contenance des courtisans. »

Mais c'était le dernier rayon du soir qui éclairait alors le front assombri de Wolsev ; l'astre de sa faveur allait se coucher pour toujours... Le silence s'était accru, car chacun eût voulu entendre quelques mots de la conversation. Le roi semblait accuser Wolsey, et Wolsey paraissait se justifier. Tout à coup Henri tirant une lettre de son habit, la plaça vivement sous les yeux du cardinal, et lui dit en haussant la voix : « Comment cela se fait-il? N’est-ce pas votre main? »

C'était sans doute la lettre que Bryan avait interceptée. Wolsey répondit à voix basse, et parut avoir apaisé son maître. L'heure du dîner étant arrivée, le roi sortit en annonçant à Wolsey qu'il ne tarderait pas à le rejoindre; les courtisans s'empressèrent de faire au cardinal de profondes salutations, mais il traversa la salle avec hauteur, et les ducs coururent porter à Anne Boleyn la nouvelle de cet étonnant accueil.

Wolsey, Campeggi et les lords du conseil se mirent à table. Le cardinal, comprenant que la terrible lettre le perdait sans retour, et que les bonnes grâces de Henri n'avaient d'autre but que de pré parer sa chute, commença à faire pressentir sa retraite. « Vraiment, dit-il d'un ton dévot, il serait bon que le roi renvoyât à leurs bénéfices tous les prêtres et les évêques qui résident à la cour... » On se regardait étonne. Oui-da ! s'écria un peu rudement le duc de Norfolk, et vous aussi, milord? . . . Je serais fort content, répondit Wolsey, que le roi voulût bien me permettre de me retirer dans mon bénéfice de Winchester. Non, non, reprit Norfolk, dans celui d'York, s'il vous plaît ! » Norfolk se souciait fort peu que Wolsey résidât si près de Henri. Comme il plaira au roi, » répondit Wolsey, et il changea de conversation.

Henri s'était fait annoncer chez Anne Boleyn, qui, dit Cavendish, tenait à Grafton un état de reine plutôt que de dame d'honneur. Douée d'une extrême sensibilité et

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d'une ardente imagination, Anne, qui ressentait la moindre injure avec la sensibilité d'un cœur de femme, était fort mécontente du roi après le rapport des ducs; aussi, sans se soucier des gens qui les servaient : « C'est une chose étonnante, Sire, lui ditelle, que les dangers où vous a précipité le cardinal d'York.

Comment cela? » Dit Henri. Anne continua : « Ne savez-vous pas la haine que ses exactions vous ont attirée ? Il n'y a pas un homme dans votre royaume, valant cent livres sterling, dont il ne vous ait fait le débiteur. » Anne voulait parler d'un emprunt du roi. « Bien, bien, dit Henri qui n'aimait pas cette conversation, je connais cela un peu mieux que vous, Madame. Si le duc de Suffolk, si mon oncle, si mon père avaient fait la moitié autant de mal que le cardinal d'York, continua Anne, il y a longtemps qu'ils «l'eussent payé de leur tête! … Oh! oh! dit Henri, je m'aperçois que vous n'êtes pas de ses amis. Non, Sire, ni moi ni aucun de ceux qui vous aiment, » répliqua-t-elle. Le dîner fini, le roi, sans paraître ébranlé, se rendit à la salle d'audience où Wolsey l'attendait.

Après l'avoir entretenu quelques moments à voix basse, Henri le prit par la main et le conduisit dans son cabinet. Les courtisans attendaient avec impatience la fin d'une entrevue qui pouvait décider du sort de l'Angleterre ; ils se promenaient dans les corridors du château, passant souvent devant la porte du cabinet, dans l'espoir de surprendre sur les traits de Wolsey, lorsqu'elle s'ouvrirait, le résultat de cette conférence secrète ; mais les quarts d'heure, les heures même se succédaient et Wolsey ne sortait pas !... Henri, ayant résolu que celte conversation serait la dernière, recueillait sans doute, auprès de son ministre, des informations qui lui étaient nécessaires. Mais les courtisans s'imaginèrent que le cardinal rentrait dans la faveur de son maître; Norfolk, Suffolk, Wiltshire et les autres ennemis du premier ministre commencèrent à s'alarmer et coururent chez Anne Boleyn, qui était leur dernier espoir [12].

La nuit était venue : le roi et Wolsey sortirent enfin du cabinet royal ; le premier paraissait gracieux et le second satisfait; Henri eut toujours pour coutume de sourire à ceux qu'il allait immoler. A demain matin, dit-il au cardinal avec un signa de bienveillance. » Wolsey salua profondément, et en se retournant vers les seigneurs de la cour, il vit leurs traits refléter le sourire du roi. Wiltshire Tuke, Suffolk même lui témoignaient leurs civilités. Bien, se dit-il, le mouvement de ces girouettes m'annonce de quel côté souffle la faveur*. [13] »

Mais un moment après le vent commença à tourner. Des hommes, munis de torches, attendaient le cardinal aux portes du château, pour le conduire au lieu où il devait passer la nuit. Ainsi il ne coucherait pas sous le même toit qu’Henri. C'était à Enston, chez maître Empson, à trois milles de là qu'on l'envoyait. Wolsey, réprimant son dépit, monta à cheval, les valets le précédèrent en agi tant leurs

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flambeaux et après une heure de route par de fort mauvais chemins, il arriva au domicile qu'on lui avait assigné [14].

On se mit à table ; quelques-uns de ses plus in times amis avaient été invités; tout à coup on annonça Gardiner. Gardiner devait tout au cardinal et néanmoins il ne s'était pas présenté chez lui depuis son retour de Rome. Il vient sans doute faire l'hypocrite et m'épier, pensa Wolsey [15]. Mais à peine le secrétaire était-il entré, que Wolsey se levant, lui fit un compliment gracieux et l'invita à s'asseoir.

Monsieur le secrétaire, dit-il, où donc avez-vous été depuis votre retour de Rome?

J'ai suivi la cour dans ses voyages. Vous avez donc chassé? Avez-vous des chiens lévriers ? demanda le premier ministre, qui savait fort bien ce que faisait Gardiner dans le cabinet du roi. Quelques-uns, répliqua Gardiner. » Wolsey pensait que Gardiner lui-même était un lévrier à ses trousses. Toutefois, après le souper, il le prit à part et causa avec lui jusqu'à minuit. Il croyait prudent de ne rien négliger de ce qui pouvait éclairer sa position; et Wolsey sondait Gardiner, comme Henri venait de le sonder lui-même.

Le même soir, à Grafton, le roi reçut Campeggi en audience de congé, et il le traita fort bien, « tant de présents que d'autres choses, » dit Du Bellay, Puis Henri retourna chez Anne Boleyn. Les ducs avaient fait comprendre à cette jeune femme l'importance du moment; elle demanda donc et obtint d’Henri, sans grande difficulté, la promesse de ne plus jamais parler à son ministre [16]. L'injure de la papauté avait aigri le roi d'Angleterre, et ne pouvant la punir, il se vengeait sur son cardinal.

Le lendemain matin, Wolsey, impatient d'avoir l'entrevue qu’Henri lui avait promise, se rendit de bonne heure à Grafton. Mais comme il arrivait, il aperçut un grand train de valets et de chevaux d'équipages, et bientôt il vit paraître Henri luimême, Anne Boleyn, et plusieurs seigneurs et dames de la cour, s'avançant à cheval [17]. Qu'est-ce à dire? se demanda le cardinal, troublé. « Milord, lui dit le roi, je ne puis m'arrêter avec vous. Vous retournerez à Londres avec le cardinal Campeggi. » Puis, piquant des deux, Henri salua amicalement son ministre et s'éloigna,. Après le roi s'avança Anne Boleyn, qui passa devant Wolsey la tête haute et lui lançant un fier regard. La cour se rendait à Hartwéll-Park, où Anne avait résolu de retenir le roi tout le jour. Wolsey était confondu. Il n'y a plus à en douter; sa disgrâce est certaine. La tête lui tourne, il reste un moment immobile; enfin il se remet ; mais l'affront qu'il a reçu n'a pas échappé aux courtisans, et l'on annonce partout la chute définitive du cardinal.

Après le dîner les légats partirent, et arrivèrent le second jour au manoir du Moor, château bâti par un prédécesseur de Wolsey, l'archevêque Néville, qui, pour cause de haute trahison, avait été envoyé en prison d'abord à Calais, puis au château de Ham. Ce souvenir ne fut pas agréable au superstitieux Wolsey. Le lendemain, les

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deux cardinaux se séparèrent, Campeggi se dirigeant sur Douvres, et Wolsey sur Londres.

Campeggi était impatient de se trouver hors de l'Angleterre, et fut très chagrin quand, arrivé à Douvres, il se vit arrêté par les vents. Mais un contretemps plus fâcheux encore lui était réservé. A peine avait-il pris quelque repos que la porte de sa chambre s'ouvrit, et une troupe d'archers s'y précipita. Le cardinal, qui savait ce que signifiaient en Italie des scènes de cette espèce, se crut mort [18]', et tomba tout tremblant aux pieds de son chapelain, en lui demandant l'absolution. Pendant ce temps les archers ouvraient ses paquets, enfonçaient ses mal les, dispersaient ses effets, et secouaient ses hardes*[19].

La tranquillité d'âme d’Henri n'avait pas été de longue durée. « Campeggi porte à Rome des lettres de Wolsey, disait-on autour de lui ; qui sait si elles ne contiennent pas quelque acte de haute trahison ? Il a encore dans ses papiers la fameuse décrétale qui prononce le divorce, disait un autre; cet acte, si nous l'avions, termine rait l'affaire. » Un troisième affirmait qu'il se trouvait dans son bagage de grands tonneaux con tenant les trésors du cardinal d'York, et que celui-ci irait jouir des fruits de sa trahison dans la ville des pontifes. [20] « Il est certain, assurait un quatrième, que Campeggi, aidé du cardinal, a su se procurer la correspondance de Votre Majesté avec Madame Anne Boleyn et qu'il l'emporte. » Henri avait donc envoyé un courrier après le nonce, avec ordre de le fouiller soigneusement.

On n'avait rien trouvé, ni lettre, ni bulle, ni trésors. La bulle, elle avait été détruite ; les trésors, Wolsey n'avait pas pensé à les remettre à son collègue; les lettres d’Henri et d'Anne Boleyn, Campeggi les avait envoyées en avant par son fils Rodolphe, et le pape tendait déjà les mains pour les recevoir, fort glorieux, ainsi que ses successeurs, de ce vol commis par deux de ses légats.

Campeggi rassuré, et voyant qu'on ne voulait ni le tuer ni le voler, fit grand bruit de cet acte de violence et des discours outrageux qui l'avaient provoqué. « Je ne sortirai pas d'Angleterre, fit il dire à Henri, que l'on ne m'ait donné satisfaction. Monseigneur oublie sans doute qu'il n'est plus légat, répondit le roi, puisque le pape lui a retiré ses pouvoirs; il oublie de plus qu'il est mon sujet, puisqu'il tient de moi l'évêché de Salisbury; quant aux discours contre Monseigneur et le cardinal d'York, c'est une liberté que le peuple a coutume de prendre en Angleterre, et à laquelle on n'est pas maître de s'opposer. » Campeggi, impatient d'arriver en France, se contenta de ces raisons, et oublia bientôt tous ses ennuis, à la table somptueuse du cardinal Duprat.

Wolsey n'était pas si heureux. Il avait vu partir Campeggi, et restait comme un naufragé jeté sur une île déserte, qui a vu s'éloigner les amis seuls capables de lui donner quelque secours. La nécro mancie lui avait appris que cette année lui serait fatale [21]. L'ange de la nonne de Kent avait dit : « Va vers le cardinal et annonce-

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lui sa chute, parce qu'il n'a pas fait ce que tu lui avais commandé de faire'[22]. »

D'autres voix se faisaient encore entendre : la haine de la nation, les mépris de l'Europe, et surtout la colère d’Henri VIII, tout lui criait que son heure était arrivée. Le pape, il est vrai, lui disait qu'il ferait tout pour le sauver ; mais les bons offices de Clément ne devaient que hâter sa ruine. Du Bellay, que le peuple croyait complice du cardinal, constatait le changement qui s'était opéré dans les esprits. Pendant qu'il traversait à pied les rues de la capitale, suivi de deux valets, « on lui remplissait, en passant, les oreilles de moquerie, tant qu'il ne savait, dit-il, où s'en tourner*. [23] » Le cardinal s'en va totalement, écrivait-il, et n'y vois ordre au contraire. » Il venait parfois à Wolsey la pensée de prononcer lui-même le divorce; mais c'était trop tard. « Votre vie est en danger ! » lui disait-on. La fortune, aveugle et chauve, le pied sur la roue, s'enfuyait rapidement sans qu'il lui fût possible de l'arrêter. Ce n'était pas tout; après lui, pensait-il, il n'y avait personne qui pût maintenir dans la Grande-Bretagne l'Église des pontifes. Le navire de Rome était à cette heure sur une mer agitée et sillonnée d'écueils; Wolsey, à la barre du gouvernail, cherchait vainement un refuge; le navire faisait eau de toutes parts ; il sombrait, et le cardinal poussait un cri de détresse. Hélas! Il avait voulu sauver Rome, mais Rome ne l'avait pas voulu...

FOOTNOTES

[1] Lettre en chiffres de Wolsey à Bennet. [State Papevs,, p. 195.)

[2] Conquête du Mexique, par Prescott. Livre VII, ch. IV.

[3] Not only past remarrying, but past living. » (Fuller, p. 178.)

[4] The Church of England utterly to be destroyed... with weeping tears. » (Burnet, Records, I, p. 75.)

[5] Ut dictum regem in solita erga nos benevolentia retinere velis. » [Ibid., p. 76.)

[6] He becarn-; much incensed. » (Herbert, 287.) Supra quam dici potest excanduit. » (Sanders, p. 50.)

[7] He would do the same with such a mayn and army royal, as should be formidable to the pope and ail Italy. » (Wolsey to Bennet. State Papers, VII, 194. Burnet, I, p. 75.)

[8] Tour grace's dexterity... by good handling of the cardinal Campeggius. » [State Papers, I, p. 336.)

[9] The exhibition of the brief in lieu of the letters citatorial. » [StaU Papers, p. 343.)

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[10] Cavendish, écuyer de Wolsey, nous a donné tous les détails de ce séjour à Grafton. [Life of Wolsey, p. 237 à 245.)

[11] Then he took my lord up by both arms and caused him to stand up. » (Cavendish, p. 239.)

[12] Which blanked his enemies very sore. » (Cavcndish, p. 242.)

[13] From the motions of such weathercocks the air of prince's affection was best gathered. » (Burnet, I, p. 77.)

[14] Whither mylord came by torch light. » (Cavendish, p. 243.)

[15] Mylord took it that he came to dissemble or to espy » [Ibid.)

[16] Du Bellay au Grand-Maître. (Le Grand, preuves, p. 375.)

[17] At whose coming the king was ready to ride. » (Gavendish, p. 244.)

[18] Le Grand, Histoire du divorce, 156. Vie de Campeggi, parSi gonius.

[19] Sarcinas excuti jussit. » (Sanders,p. 51.)

[20] The king was informetl that he carried with him great treasures of my lord’s, conveyed in great tuns. » (Cavendish, p. 246.) Voir aussi Le Grand, II, p. 258.

[21] He had learned of his necromancy that this would be a jeopar dose year for him. » (Tyndale, I, p. 480.)

[22] » The angel commanded her. » (Strype, I, p. 373.) » Herbert, p. 289.

[23] » Du Bellay à Montmorency, 12 octobre. (Le Grand, preuves, p. 365.)

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CHAPITRE XII

Une rencontre à Waltham. La jeunesse de Th. Cranmer. Ses premiers enseignements. Il étudie pendant trois ans l'Écriture. Ses fonctions d'examinateur. Le souper de Waltham. Une vue nouvelle sur le divorce. Fox la communique à Henri. Chagrin de Cranmer. Sa conférence avec le roi. Cranmer chez les Boleyns.

Tandis que l'astre de Wolsey disparaissait à l'occident au milieu de nuages enflammés, il s'en montrait un autre, à l'orient, qui devait indiquer le chemin propre à sauver la Grande-Bretagne. Les hommes, comme les étoiles, apparaissent sur l'horizon au commandement de Dieu.

En retournant de Woodstock à Greenwich, Henri, plein d'inquiétude, s'arrêta un soir à Waltham, en Essex. Les gens de sa suite se logèrent dans les maisons environnantes ; l'aumônier Fox et le secrétaire d'Etat Gardiner furent placés chez un gentil homme nommé Cressy, à Waltham Abbey. L'heure du souper étant arrivée, Gardiner et Fox virent avec surprise entrer dans la chambre un de leurs amis, Thomas Cranmer, docteur de Cambridge.

C'est vous! lui dirent-ils; et comment se fait-il que vous soyez ici ? La femme de notre hôte est ma parente, répondit Cranmer, et l'épidémie sévissant à Cambridge, j'ai ramené à mes amis leur fils qui se trouvait sous ma direction. »

Ce nouveau personnage devant jouer un rôle important dans l'histoire de la Réformation, il vaut la peine de nous y arrêter. Issu d'une ancienne famille, venue à ce que l'on croit en Angleterre avec Guillaume le Conquérant, Cranmer était né à Aslac ton, comté de Nottingham, le 2 juillet 1489, six ans après Luther. Sa première éducation avait été très négligée ; son précepteur, prêtre ignorant et sévère, ne lui avait enseigné qu'à endurer avec patience de rudes châtiments, science qui devait un jour lui être fort utile.

Son père, honnête gentil homme campagnard, ne s'occupant que de chasse, de courses et d'armes, le fils apprit à son école à monter à cheval, à manier l'arc et l'épée, à pêcher, à chasser au tir et au vol ; et il ne négligea jamais entièrement ces exercices qu'il croyait nécessaires à sa santé. Thomas aimait la promenade, la belle nature et les méditations solitaires, et l'on a longtemps montré, près de sa maison paternelle, une élévation où il allait souvent s'asseoir, parcourant du regard la contrée d'alentour, fixant ses yeux sur les églises, prêtant mélancoliquement l'oreille au tintement des cloches, et se livrant à de douces contemplations. Vers 1504, il fut envoyé à Cambridge, où” h la barbarie régnait encore, » dit un historien [1].

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D'une apparence simple, noble et modeste, il se concilia l'affection de plusieurs, et en 1510 il fut élu membre (fellow) du collège de Jésus. Doué d'un cœur tendre, il s'attacha, à vingt-trois ans, à une jeune personne de bonne naissance, dit Fox, d'un rang inférieur, ont dit d'autres écrivains. Cranmer ne voulait point imiter les désordres des étudiants, et bien que le mariage dut lui fermer la carrière des honneurs, il épousa sa fiancée, quitta le collège (conformément aux règlements), et se logea modeste ment à l'hôtellerie du Dauphin. Il se mit alors à étudier avec zèle les écrits les plus remarquables du temps, polissant, a-t-on dit, son ancienne aspérité aux productions d'Erasme, de Lefèvre d1Etaples, et d'autres beaux génies ; chaque jour sa rude intelligence en recevait un nouvel éclat [2]. Il commença alors à enseigner dans le collège de Buckingham (appelé plus tard de Madeleine), et pourvut ainsi à ses besoins.

Ces leçons excitèrent l'admiration des hommes éclairés, et la colère des hommes obscurs, qui l'appelèrent avec dédain (à cause de l'auberge où il logeait) un valet d'écurie. » Ce nom lui convient à merveille, dit Fuller, car dans ses leçons, il frottait rudement le dos robuste des moines, et étrillait de belle manière la peau des prêtres paresseux. » Sa femme étant morte après un an de mariage, Cranmer fut élu de nouveau membre de son ancien collège ; et les premiers écrits de Luther ayant alors paru : « Il faut, dit-il, que je sache de quel côté la vérité se trouve. Il n'y a qu'une source infaillible, les saintes Écritures ; je vais y chercher la vérité divine. [3] » En effet, pendant trois années, il ne cessa d'étudier les saints livres* [4], sans commentaire, sans théologie humaine, et s'attira ainsi le nom de Scriptural. Enfin ses yeux furent ouvert; il vit le lien mystérieux qui unit toutes les révélations bibliques, et comprit l'ensemble du dessein de Dieu. Alors, sans abandonner les Écritures, il étudia toutes sortes d'auteurs [5]. Lent à lire, il était véhément à observer * [6]; jamais il n'ouvrait un livre sans avoir la plume à la main [7]. Il ne se casait ni dans tel parti ni dans tel siècle ; mais doué d'un esprit libre et philosophique, il pesait toutes les opinions à la balance de son jugement [8], en prenant pour règle la sainte Écriture.

Les honneurs vinrent bientôt le chercher; il fut nommé successivement docteur en théologie, professeur, prédicateur et examinateur de l'Université. C'est aux Écritures, disait-il aux candidats, que Christ renvoie ses auditeurs, et non à l'Église [9]. Mais, lui répondaient les moines, elles sont si difficiles ! Expliquez les passages obscurs par les passages clairs, répondait le professeur, l'Écriture par l'Écriture; cherchez, priez, et celui gui a la clef de David vous ouvrira. » Les moines, effrayés de cette tâche, se retiraient pleins de colère; et bientôt le nom de Cranmer fut redouté dans tous les couvents. Quelques-uns se soumirent pourtant à ce travail, et l'un d'eux, le docteur Barret, bénit Dieu de ce que l'examinateur l'avait renvoyé, « car a dit-il, j'ai trouvé la connaissance de Dieu dans les saints Livres qu'il m'a forcé d'étudier. » Cranmer travaillait à la même œuvre que Latimer, Staffoid et Bilney.

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Fox et Gardiner ayant renouvelé connaissance avec leur ancien ami à WalthamAbbey, on se mit à table, et l'aumônier et le secrétaire demandèrent au docteur ce qu'il pensait du divorce ; on ne parlait guère d'autre chose, et peu auparavant Cranmer avait été nommé membre d'une commission appelée à donner son avis sur cette affaire. « Vous n'êtes pas dans la bonne voie, dit Thomas à ses amis; ce n'est pas aux décisions de l'Église qu'il faut vous attacher. Il est un chemin plus sûr, plus court, qui peut seul procurer la paix à la conscience du roi. Lequel ? s'écrièrent Fox et Gardiner.

La vraie question, répondit Cranmer, est celle-ci: Que dit la Parole de Dieu ? Si Dieu a déclaré mauvais un mariage de cette nature, le pape ne peut le déclarer bon. Laissez ces interminables négo dations romaines. Quand Dieu a parlé, l'homme doit obéir. Mais comment connaître ce que Dieu a dit? Demandez-le aux Universités; elles le discerneront plus sûrement que la cour de Rome. »

Ceci était une vue nouvelle. On avait bien pensé à consulter les Universités; mais c'était leur avis propre qu'on leur avait demandé ; maintenant il s'agissait de savoir d'elles simplement ce que Dieu dit dans sa Parole. « La Parole de Dieu est au-dessus de l'Église, tel était le principe établi par Cranmer, et toute la Réformation était dans ce principe-là. La conversation du souper de Wallham devait être un de ces ressorts secrets qu'une main invisible fait mouvoir pour l'accomplissement de ses grands des seins. Le docteur de Cambridge, transporté subite ment de son cabinet au pied du trône, allait devenir l'un des principaux organes de la sagesse divine.

Le lendemain de cette conversation, Fox et Gardiner arrivèrent à Greenwich, et le roi les fit appeler le soir même. « Eh bien! Messieurs, leur dit-il, voilà nos vacances finies; que ferons-nous maintenant ? S'il faut encore recourir à Rome, Dieu sait quand nous verrons la fin de cette affaire [10] ... a Il ne sera plus nécessaire de faire ce long voyage, dit Fox ; nous savons un chemin plus court et plus sûr. Parlez, dit le roi avec vivacité. Le docteur Cranmer, que nous avons rencontré hier à Waltham, pense que la sainte Écriture doit seule être juge dans votre cause. » Gardiner, fâché de la franchise de son collègue, s'efforçait de s'attribuer l'honneur de cette idée lu mineuse; mais Henri ne l'écoutait pas. «Où est ce docteur Cranmer? disait- il tout ému*[11]. Envoyez-le chercher sur l'heure! Mère de Dieu! (c'était son jurement habituel), cet homme a saisi la truie par la bonne oreille [12]. Si l'on m'avait, il y a deux ans, suggéré cette idée, que d'argent et de troubles l'on m'eût épargnés! »

Cranmer était allé dans le Nottinghamshire; un messager l'y suivit et le ramena. « Pourquoi m'avez-vous mêlé dans cette affaire? dit-il à Fox et à Gardiner. « Excusezmoi, je vous en conjure, au près du roi. » Gardiner, qui ne demandait pas mieux, promit de faire ce qu'il pourrait ; mais tout fut inutile : « Point d'excuse ! » Dit Henri. Le rusé courtisan dut se résoudre à introduire l'homme simple et droit

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auquel devait un jour appartenir la place qu'il eût si fort ambitionnée ; Cranmer et Gardiner s'acheminèrent vers Greenwich, aussi mécontents l'un que l'autre.

Cranmer avait alors quarante ans, une figure agréable, un regard doux et prévenant, dans le quel semblait se refléter la candeur de son âme. Sensible aux peines comme aux plaisirs du cœur, il devait être plus exposé que d'autres à des soucis et à des chutes ; une vie tranquille, passée au milieu des joies de la famille, dans quelque simple presbytère, eût été plus selon ses goûts que la cour d’Henri VIII. Doué d'un esprit généreux, il n'avait malheureusement pas cette fermeté, si nécessaire à un homme public ; une petite pierre suffisait pour le faire trébucher. Sa belle intelligence lui faisait reconnaître la meilleure voie ; mais sa grande timidité lui faisait craindre la plus dangereuse. Il aimait un peu trop à s'appuyer sur le pouvoir des hommes, et leur faisait facilement de fâcheuses concessions. Jamais si le roi l'avait interrogé, il n'eût osé conseiller une marche aussi hardie que celle qu'il avait indiquée ; cette parole lui était échappée, à table, dans l'intimité d'une conversation familière. Toutefois il était sincère, et après avoir tout fait pour se sous traire aux suites de sa franchise, il était prêt à maintenir l'opinion qu'il avait émise.

Henri, s'apercevant de la timidité de Cranmer, s'approcha de lui avec grâce : « Comment vous appelez-vous? lui dit-il, en s'efforçant de le mettre à l'aise ; ne vous êtes-vous pas trouvé à Waltham avec mon secrétaire et mon aumônier?» Puis il ajouta : « N'avez-vous pas parlé avec eux concernant notre grande affaire? » et Henri rap porta les paroles attribuées à Cranmer. Celui-ci ne pouvait reculer : « Sire, ditil, il est vrai, je l'ai dit. Eh bien, reprit le roi avec animation, je vois que vous avez trouvé la brèche par laquelle il nous faut pénétrer dans la place. Maintenant, Monsieur le docteur, je vous prie, et comme vous êtes mon sujet, je vous ordonne, de mettre de côté toute autre occupation et de faire en sorte que cette affaire se termine selon les idées que vous avez émises.

Tout ce que je désire savoir, c'est si mon mariage est ou non contraire aux lois de Dieu. Mettez donc toute votre habileté à vous en enquérir, et soulagez ainsi ma conscience et celle de la reine [13] »

Cranmer était atterré; il reculait à la pensée de décider une affaire dont dépendait peut-être les destinées de la nation, et soupirait après la campagne solitaire d'Aslacton ; mais saisi par la main vigoureuse de Henri, force lui était d'avancer. « Sire, dit-il, de grâce, chargez de cette affaire de plus savants docteurs. J'y consens, dit le roi, mais je veux que vous aussi, vous m'écriviez votre avis. [14]» Puis ayant fait appeler le comte de Wiltshire : « Milord, lui dit-il, recevez le docteur Cran mer dans votre maison, à Durham-Place, et qu'il aille toute la tranquillité nécessaire pour écrire un mémoire que je viens de lui demander. [15]» Après ce commandement précis, qui ne souffrait pas de résistance, Henri se retira.

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Cranmer fut ainsi introduit par le roi auprès du père d'Anne Boleyn, et non point, comme des écrivains romains l'ont prétendu, par sir Thomas Boleyn auprès du roi Wiltshire conduisit Cranmer à Durham-Place (maintenant Adelphi-Strand), .et bientôt le pieux docteur, auquel Henri avait imposé ce séjour, contracta une étroite amitié avec Anne et son père, et en profila pour leur faire apprécier la Parole divine, comme la perle de grand prix [16]. Henri, tout en profitant de l'adresse d'un Wolsey et d'un Gardiner, faisait peu de cas de leur personne ; mais il respecta Cranmer, même quand il était d'un avis contraire au sien, et jusqu'à sa mort il le mit audessus de tous les courtisans et de tous les clercs. Souvent l'homme pieux réussit mieux, même au près des grands du monde, que les ambitieux et les intrigants.

FOOTNOTES

[1] Fœda barbaries. » (Melch. Adam, Vita Theol., I.)

[2] Ad eos non aliter, quam ad cotem, quotidie priscam deterg-ebat scabritiem. » (/ii'rf.)

[3] Beheld the very fountains... » (Fox, Aets, VIII, p. 4.)

[4] Totum triennium Sacra Sriptura monumentis perlegendis im pendit. » (M. Adam, p. 1.)

[5] Like a merchant greedy of all good things. » (Fox, Acts, VIII, p. 4.)

[6] u Tardus quidem lector, sed vehemens erat observator. » (Melch. Ad.,p.l.)

[7] Sine calamo nunquam ad scriptoris cujusquam librum accessit.» [Ibid., p. 1.)

[8] Omnes omnium opiniones tacito secum judicio trutinabat. » (/é.)

[9] Christ sent his hearers to the Scriptures and not to the Church. » (Cranmer, Works, p. 17, 18.)

[10] God knows and not I. » (Fox, Acts, VIII, 7.)

[11] He was much affected with it. » (Burnet, I, 77.)

[12] I perceive that that ibar. hath tho sow by the vighl ear. » (Foi,, Jets, VIII, p. 7.)

[13] For the discharging of both our consciences. » (t'ox, Acts, VIII, p. 8.)

[14] Sanders,p. 57.

[15] Lingard, tome VI, ch. m. Comp. avec Fox, Acts, VIII, p. 8.

[16]» Teque nobilis iHius margaritae desiderio teaeri. » (Er. Sp., p. 1754.)

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CHAPITRE XIII

Wolsey à la chancellerie. Les ducs le dénoncent. Il refuse de rendre le grand sceau. Son désespoir. Il remet le sceau. Ordre de partir. Son inventaire. Alarme. La scène du départ. Message favorable du roi. Joie de Wolsey. Son fou. Arrivée à Esher

Tandis que Cranmer s'élevait en dépit de son humilité, Wolsey tombait en dépit de ses ruses. Le cardinal gouvernait encore le royaume, donnait des instructions aux ambassadeurs, négociait avec les princes, et remplissait de son orgueil ses somptueux palais. Le roi ne pouvait se résoudre à l'en chasser; la force de l'habitude, le besoin qu'il avait de lui, le souvenir des services qu'il en avait reçus plaidaient en sa faveur. Wolsey, sans les sceaux du royaume, sembla presque aussi inconcevable que le roi sans sa couronne. Cependant, la chute de ce favori, l'un des plus puissants dont parle l'histoire, s'approchait inévitablement, et nous devons la retracer.

Le 9 octobre, la cour de chancellerie devant se rouvrir après les vacances de SaintMichel, Wolsey voulut faire bonne mine à mauvais jeu, et s'y rendit avec sa pompe accoutumée; mais il remarqua avec inquiétude qu'aucun des serviteurs du roi ne marchait devant lui, comme ils avaient coutume de le faire. Il présida la séance avec un serrement de cœur inexprimable, et les membres de la cour siégèrent d'un air distrait; il y avait dans cette audience quelque chose de sombre et de solennel, comme si l'on eût assisté à des funérailles ; ce devait être en effet le dernier acte de pouvoir du cardinal. Déjà quelques jours auparavant (le 1er octobre selon Fox), les ducs de Suffolk et de Norfolk et les autres lords du conseil privé s'étaient rendus à Windsor, et avaient dénoncé au roi les rapports inconstitutionnels de Wolsey avec le pape, ses usurpations, « ses pille ries, et les brouilleries semées par son moyen entre les princes chrétiens [1]» De tels motifs n'au raient pas suffi, mais Henri en avait de plus forts. Wolsey n'avait tenu aucune de ses promesses dans l'affaire du divorce; il paraît même qu'il conseilla au pape d'excommunier le roi et de soulever ainsi le peuple contre lui [2]*. Ce fait énorme ne fut pas alors connu de ce prince ; il est même probable qu'il ne se passa que plus tard. Mais Henri en savait bien assez ; il ordonna à son avocat général, sir Christophe Haies, de poursuivre Wolsey.

Tandis que le cardinal, le cœur brisé, étalait le 9 octobre à la chancellerie les restes de son pouvoir, l'avocat général l'accusait à la cour du banc du roi, comme ayant obtenu du pape des bulles qui lui conféraient une juridiction attentatoire à l'autorité royale; et il concluait à ce qu'on lui appliquât les peines du prémunir. Les deux ducs reçurent l'ordre de redemander les sceaux à Wolsey; et celui-ci, instruit de ce qui se passait, ne quitta pas son palais pendant la journée du 10, s'attendant à chaque moment à voir arriver les messagers de la colère du roi; mais personne ne parut. Le lendemain, les ducs se présentèrent : « Le bon plaisir du roi, dirent-ils au cardinal,

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qui demeura assis dans son fauteuil, est que vous nous remettiez le grand sceau et vous retiriez à Esher (maison de campagne, près de Hampton Court). » Wolsey, à qui la présence d'esprit ne faisait jamais défaut, demanda à voir la commission en vertu de laquelle ses collègues agissaient. « Nous avons des ordres de la bouche de Sa Majesté, lui dirent-ils. Cela suffit pour vous, répliqua le cardinal, mais non pour moi. J'ai reçu le grand sceau d'Angleterre des mains du roi; il me faut une commission écrite pour le rendre. » Suffolk laissa échapper des paroles violentes; Wolsey resta maître de lui-même, et les ducs se rendirent à Windsor. Ce fut le dernier triomphe du cardinal.

Le bruit de sa disgrâce faisait une immense sensation à la cour, à la ville et parmi les ambassadeurs étrangers. Du Bellay accourut à York - Place (Whitehall), pour contempler cette grande ruine et consoler son malheureux ami. Il trouva Wolsey le visage défait, le regard éteint, « déchu de moitié, écrit l'ambassadeur à Montmorency, le plus grand exemple de fortune que on ne saurait voir. » Wolsey voulut lui remontrer son cas ; » mais ses pensées se troublaient, sa langue s'embarrassait, il restait court ; cœur et parole lui faillaient entière ment; » il se mit à fondre en larmes. L'ambassadeur le contemplait avec compassion. « Hélas ! pensait-il, ses ennemis même ne sauraient se garder d'en avoir pitié ! » Enfin le malheureux cardinal retrouva la parole, mais pour se livrer au désespoir. « Je ne veux plus d'autorité, s'écria-t-il, plus de légation du pape, plus de grand sceau d'Angleterre, plus de crédit!... Je suis prêt à tout abandonner, tout jusques à la chemise [3]... Qu'on me laisse seul dans un ermitage, pourvu que le roi ne me tienne pas en sa mauvaise grâce! » L'ambassadeur se mit à le réconforter au mieux qu'il put. » Alors Wolsey, saisissant la planche qui lui était offerte, s'écria : « Que le roi de France et Madame mère prient le roi de modérer son affection contre moi. Mais surtout, ajouta-t-il effrayé, que le roi ne sache jamais que je vous en ai requis ! » Du Bellay écrivit en effet en France que le roi et Madame pouvaient seuls retirer leur affectionné serviteur des portes de l'enfer; » et Wolsey, informé de ces dépêches, reprit un peu d'espérance ; ce mieux ne dura pas.

Le dimanche, 17 octobre, Suffolk et Norfolk reparurent à Whitehall, accompagnés de Fitz William, de Taylor et de Gardiner, l'ancien protégé de Wolsey. Il était six heures du soir; ils trouvèrent le cardinal dans une chambre haute, près de sa grande galerie et lui présentèrent les lettres du roi. Il les lut. « Je suis heureux, ditil, d'obéir aux ordres de Sa Majesté ; » puis ayant fait apporter le grand sceau, et l'ayant retiré de l'étui de cuir blanc dans lequel il le gardait, il le remit aux ducs qui le déposèrent dans un étui de velours cramoisi, orné des armes d'Angleterre [4], le firent sceller de cire rouge par Gardiner, et le confièrent à Taylor pour le porter au roi.

Wolsey était anéanti ; il devait boire la coupe jusqu'à la lie : on exigea qu'il quittât immédiatement son palais en ne prenant ni habits, ni linge, ni vais selle; les ducs

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avaient craint qu'il n'emportât ses richesses. Wolsey comprit toute la grandeur de sa misère; il trouva cependant assez de force pour dire : Puisque le bon plaisir du roi est de prendre ma maison avec ce qu'elle contient, je suis content de me retirer à Esher. » Les ducs partirent. Wolsey resta seul. Cet homme étonnant, qui s'était élevé de la boutique d'un boucher jusqu'au faîte de la grandeur, qui, pour un mot qui lui déplaisait, envoyait à la Tour les serviteurs les plus dévoués de son maître (Pace, par exemple), et qui avait gouverné l'Angleterre comme s'il en eût été le monarque, davantage même, car il avait gouverné sans le parlement, était chassé et comme jeté sur un fumier.

Un espoir subit traversa son esprit comme un éclair; peut-être que la magnificence de sa dépouille apaiserait Henri. Esaïe ne fut-il pas calmé par le présent de Jacob?

Wolsey appela ses officiers : Faites dresser des tables dans la grande galerie, leur dit-il, et placez-y tout ce que je vous ai con fié, afin de m'en rendre compte. » Ces ordres furent aussitôt exécutés. On étala une quantité infinie d'étoffes de soie, de velours de toutes couleurs, des fourrures splendides, des chapes et autres vêlements d'église d'une grande magnificence; on tendit les murs de draps d'or, d'argent et de baldaquin [5], pro venant des métiers de Damas, de tapisseries à personnages représentant des scènes de la Bible ou des romans de chevalerie. La chambre dorée et la chambre du conseil, qui étaient attenantes, furent remplies de vaisselles, où les perles et les pierres précieuses étaient incrustées dans l'or et dans l'argent : ces objets de luxe étaient en telle abondance que l'on avait jeté négligemment dans des paniers sous les tables beaucoup de pièces de prix, mais passées de mode. Sur chaque table était un catalogue exact des trésors qu'elle portait, car l'ordre le plus parfait régnait dans la maison du cardinal. Wolsey jeta un regard d'espérance sur ces riches ses, et ordonna à ses officiers de les remettre au roi.

Alors il s'apprêta à quitter cette magnifique de meure. Ce moment si triste fut rendu encore plus poignant par une affection indiscrète: «Ah ! Monseigneur, lui dit sir William Gascoigne, son trésorier, ému jusqu'aux larmes, ils vont mener Votre Grâce droit à la Tour! » C'était trop pour Wolsey : aller rejoindre ses victimes!... Sa colère s'enflamma. Sont-ce là les consolations que vous me donnez ? dit-il ; sachez, sir William, vous et tous les blasphémateurs qui vous ressemblent, qu'il n'y a rien de plus faux ! »

Il fallait partir; Wolsey passa autour de son cou une chaîne avec une petite croix en or, dans laquelle se trouvait un prétendu morceau de la vraie croix; ce fut tout ce qu'il prit. « Plût à Dieu, dit-il, en la mettant, que je n'en eusse jamais eu d'autre ! » C'était une allusion à la croix de légat, qu'il faisait porter avec pompe devant lui. Il descendit par son escalier privé, entouré de ses serviteurs, les uns mornes et silencieux, les autres fondant en larmes, et arriva sur les bords de la Tamise, où une barque l'attendait. Mais, hélas ! Elle n'était pas seule. Plus de mille bateaux, remplis d'une foule immense, s'agitaient en tous sens. Le peuple de Londres,

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s'attendant à voir conduire le cardinal à la Tour, voulait assister à son humiliation, et s'apprêtait à l'accompagner. De tous côtés partaient des cris de joie qui saluaient sa chute; il s'y joignait même des sarcasmes cruels. « Le chien du boucher ne mordra plus, disait-on (c'était le nom qu'on donnait à Wolsey) ; voyez, il tient la tête basse. »

En effet, l'infortuné, navré d'un spectacle si nouveau pour lui, baissait ses yeux jadis si fiers et maintenant remplis de larmes.

Cet homme, qui faisait trembler toute l'Angle terre, était alors comme une feuille sèche emportée par le courant du fleuve. Tous ses serviteurs étaient émus; son fou même, maître William, surnommé Patch, sanglotait comme les autres. » O multitude inconstante ! » S’écriait Cavendish, son premier gentilhomme [6]. L'attente des bourgeois fut déçue; la barque, au lieu de descendre la Tamise, la remonta dans la direction de Hampton-Court; peu à peu les cris cessèrent et la flottille se dispersa. Le silence du fleuve eût permis à Wolsey de se livrer à des pensées moins amères, mais il semblait que des furies invisibles, succédant au peuple, le poursuivissent. La barque étant arrivée devant Putney, il se mit avec peine sur sa mule, et s'avança lentement en laissant tomber la tête. Peu après, ayant levé les yeux, il aperçut un cavalier qui descendait rapidement la colline. « Qui pensez-vous que ce soit? dit-il aux valets qui l'entouraient. Monseigneur, répondit l'un d'eux, je crois que c'est sir Henri Norris. » Un éclair de joie traversa l'âme de Wolsey. N'était-ce pas Norris qui, de tous les officiers du roi, lui avait montré le plus d'égards, lors de sa visite à Crafton? Norris arriva, le salua respectueusement, et lui dit : « Le roi vous fait dire qu'il a toujours pour vous la même bienveillance, et comme gage de sa confiance il vous envoie cet anneau. » Wolsey le saisit d'une main tremblante : c'était bien celui que le roi avait coutume de lui envoyer dans les occasions importantes.

Aussitôt le cardinal se jette à bas de sa mule, se met à genoux dans la boue, et élève ses mains vers le ciel, avec l'expression d'un indicible bon heur. Le pauvre homme s'efforçait d'ôter son bon net de velours ; ne pouvant y parvenir, il en arracha violemment les cordons, et le jeta à terre [7]; puis il demeura à genoux, la tête nue, priant avec ferveur, au milieu du plus profond silence. Le par don de Dieu n'avait jamais causé à Wolsey autant de joie que celui de Henri.

Ayant fini sa prière, le cardinal se couvrit, puis remonta sur sa mule. « Noble Norris*[8],* dit-il au messager du roi, si j'étais maître d'un royaume, la moitié de mes Etats ne suffirait pas pour vous récompenser ; mais on ne m'a laissé que mes habits. » Alors, ôtant de son cou sa chaîne d'or : Prenez, dit-il, il s'y trouve un morceau de la vraie croix; dans le temps de ma prospérité, je ne m'en serais pas séparé pour mille livres sterling. » Le cardinal et Norris se quittèrent ; mais bientôt Wolsev s'arrêta, et toute la bande fit halle au milieu de la bruyère. La pensée qu'il n'avait rien à envoyer au roi le troublait fort ; il rappela Norris, et portant ses

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regards autour de lui, il aperçut, monté sur sa petite bête, le pauvre Patch, qui depuis l'in fortune du cardinal avait perdu toute sa gaieté.

Offrez de ma part au roi ce pauvre fou, dit Wolsey à Norris, ses bouffonneries sont plaisir de prince; il vaut mille livres sterling. » Alors Patch, blessé de se voir ainsi

traité par son maître, tomba dans un accès de rage, ses yeux brillaient, sa bouche écumait, il étouffait, il se débattait des pieds et des mains, frappait et mordait tous ceux qui l'approchaient [9] ; mais l'inexorable Wolsey, qui ne voyait en lui qu'un jouet, ordonna à six de ses plus grands estafiers de s'en emparer. On emmena le pauvre homme qui longtemps encore poussa des cris aigus.

Au moment même où son maître venait d'avoir pitié de lui, Wolsey, comme le serviteur de la parabole, n'eut pas pitié de son chétif compagnon d'infortune*[10]. Enfin, on arriva à Esher. Quelle demeure, en sortant de Whitehall !... Il n'y avait que les quatre murs. On emprunta le strict nécessaire, mais Wolsey ne pouvait se faire à ce cruel contraste. D'ailleurs, il connaissait Henri VIII, il savait que ce prince pouvait un jour lui envoyer Norris avec un anneau d'or, et le jour suivant un bourreau avec une corde. Sombre et abattu, il se tenait assis dans ses appartements déserts. Soudain il se levait, s'agitait, criait de toute sa force, puis retombant sur sa chaise, il pleurait comme un enfant. Cet homme, qui naguère ébranlait les royaumes, avait été renversé en un clin d'œil, et expiait ses perfidies dans l'humiliation et dans l'épouvante, éclatant exemple des jugements de Dieu.

FOOTNOTES

[1] Du Bellay à Montmorency, 22 octobre. (Le Grand, preuves,p. 377.)

[2] Ranke, Deutsche Geschichte, III, p. 140.

[3] Du Bellay à Montmorency. (Le Grand, preuves, p. 377.)

[4] In quadam teca de veluto crimisino. » Rymer, Acts, p. 138.)

[5] Baldekinum, pannus omnium ditissimus cujus utpote stamen ex fllo auri, subtegmen ex serico texitur, plumario opere intertextus. » (Ducange, Glossarium.)

[6] O wavering and new fanglcd multitude ! » Cav., Wolsey, p. 451 .)

[7] » Wherefore with violence he rent the laces. » (Cavendish, Wol sey,p. 255.)

[8] «Gentle Norris. » [Ibid.)

[9] The poor fool took on and flred so in suoh a rage. » Cavendish, Wolsey, p. 287.)

[10]» Évangile selon saint Matthieu, XVIII, 23-35.

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CHAPITRE XIV

Th. More élu chancelier. Le gouvernement laïc, un des grands faits de la Réforme. Wolsey accusé d'avoir subordonné au pape la couronne d'Angleterre. Il implore la clémence du roi. Sa condamnation. Cromwell à Esher. Son caractère. Il part pour Londres. Sir Chr. Hales le recommande au roi.

Entrevue de Henri et de Cromwell dans le parc. Une nouvelle théorie. Cromwell élu membre du parlement. Ouverture par Th. More. On attaque les abus ecclésiastiques. Réformes prononcées par la convocation. Trois bills. Rochester les attaque. Résistance des communes. Luttes. Henri sanctionne les trois bills. Alarme du clergé et troubles

Pendant ce temps tout se remuait à la cour. Norfolk et Suffolk, mis à la tête du conseil, avaient annoncé à la chambre étoilée la disgrâce du cardinal ; et Henri ne savait comment le remplacer. On parla de l'archevêque de Cantorbéry ; le roi l'écarta. Wolsey, dit un écrivain français, avait dégoûté le roi et l'Angleterre de ces sujets de deux maîtres qui, presque toujours, vendaient l'un à l'autre. On préférait un ministre laïque. » Je crois bien que les prêtres n'y toucheront plus, » écrivait Du Bellay. On prononça le nom de Thomas More. II était laïque, et cette qualité, qui eût pu l'exclure quelques années auparavant, était maintenant une recommandation. Un souffle du protestantisme portait au faîte des honneurs l'un de ses plus grands ennemis. Henri crut que, placés entre le pape et son souverain, Thomas se déciderait pour les intérêts du trône et l'indépendance de l'Angleterre; son choix fut arrêté.

More savait que le cardinal avait été mis de côté, parce qu'il n'avait pas été un instrument assez docile dans l'affaire du divorce; l'œuvre qu'on lui demandait était contraire à ses convictions ; mais l'honneur qu'on lui faisait était sans exemple ; on avait rarement confié les sceaux à un simple chevalier. Il suivit le chemin de l'ambition et non celui du devoir; toutefois, il devait montrer un jour qu'il n'était pas un ambitieux vulgaire. Il est même probable que voyant les dangers qui menaçaient de détruire en Angleterre la puissance des papes, More voulut entreprendre de la sauver.

Norfolk installa le nouveau chancelier dans la chambre étoilée. « Sa Majesté, dit le duc, n'a pas regardé à la noblesse du sang, mais au mérite de la «personne; elle a voulu montrer, par ce choix, qu'il se trouve parmi les laïques, et même parmi les simples citoyens de l'Angleterre, des hommes dignes d'occuper les hautes charges du royaume, que jusqu'à cette heure les évêques et les nobles ont cru seuls mériter [1].

» La Réformation, qui rendait la religion aux simples membres de l'Église, ôtait en même temps la puissance politique au clergé. Les prêtres avaient enlevé au peuple l'activité chrétienne et aux gouvernements le pouvoir ; l'Évangile restituait aux uns et aux autres ce que les clercs avaient accaparé. Ce résultat devait être favorable

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aux intérêts de la religion; moins les rois et les peuples auront à craindre l'intrusion du pouvoir clérical dans les affaires du monde, plus aussi ils se livreront avec confiance au souffle vivifiant de la foi.

More ne perdit pas de temps; jamais lord chance lier n'avait déployé tant d'activité.

Il mit prompte ment à jour toutes les affaires qui traînaient dans les cours judiciaires, et installé le 26 octobre, il appela le 28 ou le 29 la cause de Wolsey. « La couronne d'Angleterre, dit l'avocat général, n'a jamais reconnu de suzerain, et a toujours relevé immédiatement de Dieu même [2]. Or, ledit Thomas Wolsey, légat à latere, a obtenu du pape certaines bulles en vertu desquelles il a exercé, dès le 28 août 1523, une autorité attentatoire au pouvoir de Sa Majesté et de ses cours de justice. La couronne d'Angleterre ne doit pas être soumise au pape ; nous accusons donc ledit légat d'avoir enfreint le statut du prémunir. »

Sans doute Henri avait eu, pour renverser Wolsey, d'autres motifs que celui qu'indiquait l'avocat général; mais l'Angleterre avait des préoccupations plus élevées que celles de son monarque. Elle voyait dans Wolsey le complice du pape, et cette complicité était la véritable cause de la grande sévérité du ministère public et du peuple, par excuse ordinairement le cardinal, en disant que le roi et le parlement même avaient reconnu l'autorité anticonstitutionnelle dont Rome l'avait revêtu; mais les pouvoirs que le pape lui avait donnés, n'avaient-ils pas eu des conséquences injustifiables dans une monarchie constitutionnelle [3]? Wolsey, légal du pape, avait gouverné l'Angleterre sans communes et sans lords ; et comme si l'on fût revenu au règne de Jean Sans Terre, il avait substitué, de fait, si ce n'est en théorie, aux institutions de la grande charte, le système monstrueux de la fameuse bulle Unam sanctam*. En vain, le roi, le parlement même, avaient-ils connivé à ces illégalités; les droits de la constitution d'Angleterre ne demeuraient pas moins inviolables, et les meilleurs du peuple avaient pro testé. Aussi Wolsey, comprenant sa faute, s'en remit-il simplement à la clémence de Sa Majesté, [4] » et ses avocats se contentèrent de déclarer en son nom l'ignorance où il avait été des statuts qui lui étaient contraires. On ne peut argumenter ici, comme on l'a fait, de la prostration des forces morales de Wolsey; il sut, même après sa chute, répondre avec énergie à Henri VIII.

Quand, par exemple, le roi lui fit demander pour la couronne le palais de Whitehall, qui appartenait à l'archevêque d'York, le cardinal répondit : « Je vous charge de rappeler à Sa Majesté qu'il y a un ciel et un en fer ; » et quand d'autres accusations que celle de complicité à l'agression papale lui furent intentées, il se défendit courageusement, comme on le verra plus tard. Si donc, le cardinal ne se justifia pas d'avoir porté atteinte aux droits de la couronne, c'est que sa conscience lui fermait la bouche. Il avait commis l'une des plus grandes fautes dont un homme d'État puisse être trouvé coupable. Ceux qui ont cherché à l'excuser ne se sont pas rappelé suffisamment, que, dès la grande charte, l'op position aux agressions romaines a

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toujours caractérisé la constitution et le gouvernement de l'Angleterre. Wolsey sut bien s'en souvenir; et cette explication est plus honorable pour lui, que celle qui attribue son silence à la faiblesse ou à la ruse.

Le cardinal fut déclaré coupable, et la cour arrêta qu'en vertu du prémunir, il serait privé de tous ses biens et pourrait être amené devant le roi en son conseil. L'Angleterre, en immolant un homme d'Église qui s'était placé au-dessus des rois, donna un mémorable exemple de son inflexible opposition aux envahissements de la papauté. Wolsey fut consterné, et son imagination troublée ne lui fit voir de tous côtés qu'embûches et périls.

Tandis que More se prêtait à la condamnation de son prédécesseur dont il avait été l'ami, un autre laïque, d'une origine plus humble encore, se prépa rait à défendre le cardinal ; et cet homme allait de venir, par cet acte même, le marteau destiné à abattre les couvents de l'Angleterre et à briser les liens séculaires qui l'unissaient au pontife romain. Le 1er novembre, jour de la Toussaint, deux jours après la condamnation de Wolsey, l'un de ses officiers, ses matines à la main, appuyé contre la muraille de la grande salle, paraissait absorbé dans ses prières. « Bonjour, lui dit en passant Cavendish, qui se rendait auprès du cardinal pour son service du matin. A ces mots le personnage s'étant retourné, Cavendish vit son visage inondé de larmes. Maître Cromwell, lui dit-il effrayé, monseigneur court il quelque danger? »

Je ne le pense pas, répondit Cromwell, mais il est dur de se voir au moment de perdre le travail de toute une vie ! » Dans la chute de son maître, Cromwell voyait aussi la sienne. Cavendish lui donna quelque consolation. «Voici, Dieu aidant, ma résolution, reprit l'ambitieux solliciteur de Wolsey ; aujourd'hui, après le dîner de monseigneur, je me rendrai à Londres; j'irai à la cour; j'entendrai ce que l'on dit. Je veux me perdre ou me sauver [5] » En ce moment on appela l'écuyer, qui entra dans le cabinet du cardinal.

Cromwell, dévoré d'ambition, s'était attaché à la robe de Wolsey pour arriver aux régions du pouvoir ; mais Wolsey était tombé, et le solliciteur, en traîné avec lui, cherchait à atteindre par une autre voie le but de ses désirs. Cromwell était une de ces natures vigoureuses que Dieu prépare pour les temps de crise. Doué d'un jugement solide, d'une intrépide fermeté, il avait une qualité rare dans tous les temps, surtout sous Henri VIII, la fidélité dans le malheur. L'habileté qui le distinguait ne fut pourtant pas toujours irréprochable ; le succès semble avoir été sa première pensée.

Après le dîner, Cromwell suivit Wolsey dans son appartement : « Monseigneur, lui dit-il, permettez-moi d'aller à Londres ; je veux entreprendre de vous sauver. » Une lueur parut sur les traits assombris du cardinal. « Laissez-nous, » dit-il à ses gens. Il eut alors avec Cromwell une longue et secrète conférence [6], à la suite de laquelle celui-ci, s’élançant sur un cheval, partit pour Londres au galop, allant à l'assaut du

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pouvoir avec l'intrépidité qu'il avait mise à l'assaut de Rome. Il ne se cachait point qu'il lui serait difficile d'aborder le roi ; car des ecclésiastiques jaloux de Wolsey avaient desservi son solliciteur, à l'occasion de la sécularisation des couvents, et ce prince ne pouvait le souffrir. Mais Cromwell se disait que la fortune aide les audacieux, et, emporté par ses rêves d'ambition, il fendait l'air et se disait : « Un pied dans l'étrier, et ma fortune est faite ! »

Sir Christophe Haies, zélé catholique -romain, avait pour lui beaucoup d'amitié; ce fut à cet ami que Cromwell s'adressa. Haies s'étant immédiate ment rendu au palais (2 novembre), y trouva une nombreuse société qui s'entretenait de la chute du cardinal : « Il avait parmi ses officiers, dit Haies, «un homme qui servirait bien Votre Majesté. Et qui ? dit le roi. Cromwell. Ne me parlez pas de cet homme, je le déteste, » répondit vivement Henri [7] ; et aussitôt tous les courtisans d'applaudir et d'enchérir sur le jugement du roi. Ce début n'était pas encourageant ; mais lord Russel, comte de Bedford, s'avançant au milieu du groupe qui entourait le prince, dit avec hardiesse [8] : « Permettez, sire, que je m'oppose à ce qu'on accuse en ma présence un homme auquel je dois la vie. Lorsque vous m'envoyâtes secrètement en Italie, les ennemis de votre Majesté m'ayant découvert à Bologne, allaient me faire périr, quand Thomas Cromwell me sauva. Sire, puisque vous avez maintenant à lutter avec le pape, il n'y a pas dans toute l'Angleterre, je vous le déclare, un homme qui puisse être plus utile à vos desseins. Vraiment? dit le roi, en réfléchissant quelque temps: Eh bien, dit-il à Haies, que votre recommandé se trouve dans le parc de Whitehall. »

Les courtisans et les prêtres se retirèrent de fort mauvaise humeur. L'entrevue eut lieu le même jour, au lieu fixé. Sire, dit Cromwell au roi, le pape vous refuse le divorce... Mais pourquoi demander son consente ment ? Chaque Anglais est maître dans sa maison, et vous ne le seriez pas, vous, sire, en Angle terre ? Un prélat étranger y partagerait avec vous le pouvoir ! Les évêques, il est vrai, prêtent serment à Votre Majesté ; mais ils en prêtent ensuite un autre au pape, et le dernier, les relève du premier. Sire, vous n'êtes qu'un demi-roi, et nous tous, citoyens de l'Angleterre, nous ne sommes que vos demi-sujets [9]. Ce royaume est un monstre à deux têtes. Supporterez-vous plus longtemps une telle énormité? Eh quoi, ne vivez-vous pas dans le siècle où Frédéric le Sage et les autres princes allemands ont brisé le joug de Rome ? Faites de même ; redevenez roi; gouvernez votre royaume, d'accord avec vos seigneurs et vos communes. Que des Anglais seuls aient désormais quelque chose à dire en Angleterre ; que l'argent de vos sujets n'aille plus s'engloutir dans le béant abîme du Tibre ; qu'au lieu d'imposer à la nation de nouvelles charges, vous appliquiez au bien-être universel des richesses qui jusqu'à présent n'ont fait qu'engraisser des prêtres superbes et des moines paresseux. Voici le moment d'agir. Appuyé sur votre parlement, proclamez-vous le

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Chef de l'Église d'Angleterre. Alors vous verrez croître la gloire de votre nom et la prospérité de votre peuple ! »

Jamais de telles paroles n'avaient été adressées à un monarque de la GrandeBretagne. Ce n'était plus seulement à cause du divorce qu'il fallait rompre avec Rome ; c'était, selon Cromwell, à cause de l'indépendance, de la gloire et de la prospérité de la monarchie. Ces considérations parurent plus importantes à Henri que celles qui lui avaient été jusqu'alors présentées ; aucun des rois d'Angleterre n'avait été mieux placé que lui pour les comprendre.

Quand un Tudor avait succédé aux rois saxons, normands et Plantagenets, un homme de la race libre des Celtes avait remplacé sur le trône de l'Angleterre des princes soumis aux pontifes romains. L'Eglise bretonne, indépendante de la papauté, allait se relever avec cette dynastie nouvelle, et la race des Celtes, après onze siècles d'humiliation, allait ressaisir son antique héritage. Sans doute, Henri ne fit pas ce rapprochement ; mais il agit conformément au caractère distinctif de sa race, sans se rendre compte de l'instinct qui le faisait mouvoir. Il sentait qu'un souverain qui se soumet au pape, se fait, comme Jean Sans-Terre, son vassal; et après avoir été le second dans son royaume, il voulait devenir le premier.

Le roi réfléchissait aux paroles que Cromwell venait de lui faire entendre; saisi, étonné, il cherchait à s'orienter dans la position nouvelle que lui faisait son hardi interlocuteur. « Votre avis, dit-il enfin, me plaît fort; mais pouvez-vous prouver ce que vous avancez ? Certainement, reprit l'habile politique, j'ai même sur moi une copie du serment que vos évêques prêtent au pontife romain. »

A ces mots il sortit un papier de sa poche. et plaça le serment des évêques sous les yeux du roi. Henri, jaloux de son autorité jusqu'au despotisme, fut saisi d'indignation, et sentit la nécessité d'abattre cette autorité étrangère qui osait lui disputer le pouvoir dans son propre royaume. Il ôta son anneau, le donna à Cromwell, lui déclara qu'il le prenait à son service, et le fit bientôt membre de son conseil privé. L'Angleterre, on peut le dire, était virtuellement émancipée de la papauté. Cromwell venait de poser la première base de sa grandeur. Il avait remarqué la voie que son maître avait suivie et qui l'avait conduit à sa perte, la complicité avec le pape; et il prétendait réussir en suivant la voie contraire, l'opposition à la papauté. Il avait l'appui du roi, mais il lui fallait davantage. Possédant une parole nette et facile, il comprenait l'influence que pouvait lui donner une place dans le grand conseil de la nation. C'était un peu tard pour y entrer; la session s'ouvrait le lendemain, 3 novembre; mais pour Cromwell il n'y avait rien d'impossible. Le fils de son ami sir Thomas Rush avait été élu; ce jeune membre du parlement donna sa démission, et Cromwell fut nommé à sa place.

Il y avait sept ans que le parlement n'avait été convoqué, le royaume étant gouverné par un prince de l'Église romaine. La réforme de l'Église, dont le souffle

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régénérateur se faisait déjà sentir, allait rendre à la nation les antiques libertés dont un cardinal l'avait privée. Henri, sur le point de prendre de grandes résolutions, sentait le besoin de se rapprocher de son peuple. Tout présageait qu'un bon accord réglerait entre le parlement et la couronne, et que les prêtres auraient de terribles alarmes [10]. » Tandis que Henri allait attaquer l'Église romaine dans la suprématie papale, les communes allaient la combattre dans les abus nombreux dont elle avait couvert l'Angleterre. « Quelques-unes même, dit Tyndale, pensaient que cette assemblée réformerait l'Église et établirait un âge d'or *[11]. »

Mais ce n'était pas des bills du parlement que la Réformation devait sortir, c'était uniquement de la Parole de Dieu. Toutefois, les communes, sans toucher aux doctrines, allaient faire énergiquement leur devoir dans les choses qui sont de leur compétence, et le parlement de 1529 peut être regardé (Herbert de Cherbury le remarque) comme le premier parlement protestant de l'Angleterre [12]. « Les évêques exigent des sommes énormes pour enregistrer les testaments, dit l'ancien ami de Tyndale, sir Henri Guilford. Exécuteur testamentaire de sir William Compton, j'ai dû leur payer mille marcs sterling. Les gens d'Église, dit un autre membre, aiment mieux voir mourir de faim de pauvres orphelins, que de leur laisser la maigre et chétive vache, seul bien légué par leur père*[13]. Des prêtres, remarqua un troisième, sont partout en possession des fermes, des tanneries, des magasins. Bref, les clercs enlèvent tout à leurs trou peaux, et ne leur donnent rien, mais surtout pas la Parole de Dieu. »

Le clergé fut consterné. Le pouvoir de la nation semblait ne se réveiller dans ce parlement que pour attaquer le pouvoir du prêtre. Il fallait parer ces coups. La convocation cléricale de Cantorbéry, as semblée à Westminster, le 5 novembre, crut devoir, pour se défendre, réformer les abus les plus criants : Il fut donc décidé (12 novembre) que les prêtres ne pourraient plus tenir boutiques et cabarets, jouer aux dés ou autres jeux défendus, passer la nuit dans des lieux suspects, assister à des spectacles déshonnêtes [14], traverser les rues et les villages avec des chiens de chasse en laisse, et en tenant sur le poing des éperviers, des faucons ou autres oiseaux de proie [15]; enfin, avoir avec des femmes de coupables entretiens*[16]. Des peines furent prononcées contre ces divers désordres ; elles furent doublées pour l'adultère; triplées pour l'inceste; accrues encore pour des souillures plus abominables [17]. Telles étaient les lois que nécessitaient les mœurs du clergé.

Ces mesures ne suffirent pas aux communes. Trois bills furent rédigés sur l'enregistrement des testaments, les droits d'enterrements, la pluralité des bénéfices, la non résidence, et l'exercice des professions séculières. « C'est la destruction de l'Église qu'on se propose, s'écria l'évêque Fisher quand on apporta ces bills à la chambre haute, et si l'Église tombe, la gloire de ce royaume périra. Le luthéranisme fait de grands progrès parmi nous, et le cri sauvage qui a déjà retenti en Bohême : A bas l'Église ! Est poussé maintenant par la chambre des communes...

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D'où vient cela? Uniquement du manque de foi. Milords, sauvez votre pays! Sauvez l'Église ! »

L'orateur des communes, sir Thomas Audley, et une députation de trente membres, se rendirent aussitôt à Whitehall, « Sire, dirent-ils au roi, on nous accuse de manquer de foi et d'être presque des Turcs; nous demandons qu'on nous fasse réparation. » Fisher prétendit que c'était seulement des Bohèmes qu'il avait voulu parler; et les communes, peu satisfaites, poursuivirent avec zèle leurs réformes.

Le roi était décidé à les leur concéder; mais il résolut d'en profiter pour présenter un bill qui lui abandonnait l'argent emprunté par lui à ses sujets. John Petit, représentant de Londres, s'opposa à la demande du prince. « Je ne connais pas les affaires des autres, dit-il, je ne puis donner ce qui ne m'appartient pas; mais pour ce qui me concerne personnellement, je donne sans réserve au roi tout ce que je lui ai prêté [18]. » Le bill du roi passa, et Henri satisfait, donna son consentement aux bills des communes. Toute dispense venant de Rome, qui se trouverait contraire aux statuts, y était sévère ment interdite. Les évêques s'écrièrent que les communes devenaient schismatiques ; des troubles furent même suscités par des prêtres ; mais les clercs perturbateurs furent punis, et le peuple, en l'apprenant, fit éclater sa joie.

FOOTNOTES

[1] Which bishops and noblemen think they can only deserve. » [More's Life, p. Ï72.)

[2] The crown of England, free at all times, has been in no earthly subjection, but immediately subject to God in ail things. » (Herbert, p. 251.)

[3] Du 13 novembre 1302. (Raynold ad an.)

[4] Uterque ergo gladius est in potestate Ecclesiae, spiritualis scilicet et materialis. » Cavendish, p. 276.

[5] «I will either make or mar. » (Cavendish, p. Î60.)

[6] Long communication with mylord in secret. » (Cavendish,p. 270.) »

[7] The king began to detest the mention of him. » (Fox, Acts, V, p. 366.)

[8] » In a vehement boldness. » [Ibid., p. 367.)

[9] He was but as half a king, and they but half his subjects. » (Fox, Acts, V, p. 867.) Voir aussi Apol. Regin. Poli ad Car., I, p. 120, 121.)

[10] Du Bellay à Montmorency. (Le Grand, preuves, p. 378, 880.)

[11] As though the golden world should corne again. » (Tynd., Works, I, p. 481.)

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[12] It was the first step, a great and bold sally towards that Refor mation. » (Herbert, p. 3Î0.)

[13] Rather than give to them the silly cow, if he had but only one. » (Fox, Acts, IV, p. 611.)

[14] Quod non exerceant tabernas, nec ludant taxillis vel aliis ludis prohibitis, quod non pernoctent in locis suspectis, quod non intersint inhonestis spectaculis, etc. » (Convoeatio praelatorum. Wilkin's Con cilia, III, p. 717.)

[15] Canes venaticos loris ducere ac accipitres manibus. » (Wilkin's Concilia, p. 723.)

[16] Mulierum colloquia suspecta nullatenus haheat. » [Ibid., p. 722.)

[17] Et in cœteris carnis spurcitiis pœna crescat. » [Ibid., p. 721.)

[18] Strype's Memorials, l, p. 31î.

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CHAPITRE XV

L'heure suprême. Fanatisme de More. Débats de la convocation. Proclamation royale. L'évêque de Norwich. Sentences condamnées. Latimer s'oppose. Le Nouveau Testament brûlé. La persécution commence. Hitton. Bayfield. Tonstall et Packington. Bayfield arrêté. Le recteur Patmore. La tour des Lollards. John Tyndale et Th. Patmore. Un musicien. Le peintre Freese. Pancartes et martyre de Benet. Thomas More et John Petit. Bilney

Le moment où Henri VIII portait à Rome ses premiers coups fut précisément aussi celui où il. Commença à répandre le sang des disciples de l'Evangile. Prêt à rejeter l'autorité du pape, il ne voulait point reconnaître celle de Jésus-Christ : obéir à la Parole est pourtant l'essentiel de la Réformation. Les débats du roi avec Rome avaient rempli d'espoir les amis de la sainte Écriture. Les artisans, les marchands, surtout ceux qui habitaient près de la mer, étaient généralement gagnés à l'Evangile. Le roi est des nôtres, disaient-ils publiquement; il veut que ses sujets lisent le Nouveau Testa ment. Notre foi, qui est la véritable, se répandra dans tout le royaume, et à la prochaine Saint Michel, ceux qui croiront comme nous seront plus nombreux que ceux de l'opinion contraire. Nous sommes prêts, s'il le faut, à mourir dans le combat [1]» Il le fallut en effet pour plusieurs.

Le clergé s'émut : « Voici l'heure suprême, s'é cria Stokesley, qui avait remplacé sur le siège de Londres Tonslall, devenu évêque de Durham; si nous ne voulons pas que l'hérésie de Luther envahisse toute l'Angleterre, il faut nous hâter de la jeter à la mer. » Henri y était fort disposé ; mais comme il ne se trouvait pas en très bons termes avec le clergé, il fallait un homme qui servît de médiateur entre lui et les évêques ; cet homme se trouva.

La belle intelligence de Thomas More tombait alors de l'ascétisme dans le fanatisme, et l'humaniste se transformait en inquisiteur. Selon lui, le brûlement des hérétiques était juste et nécessaire [2]*. On lui a même reproché d'avoir fait attacher des chrétiens évangéliques à un arbre de son jardin qu'il appelait l'Arbre de la vérité, » et de les y avoir fouettés de sa main [3]. More a déclaré n'avoir jamais donné une chiquenaude à un seul de ses adversaires religieux [4] ; nous acceptons cette dénégation. On est heureux de penser que si l'auteur de l’Utopie a sévi comme juge, la main qui a tenu l'une des plumes les plus illustres du seizième siècle n'a pas fait au moins l'office du bourreau. Les évêques furent les premiers à l'attaque. « Il faut nettoyer le champ du Seigneur des épines qui l'obstruent, » dit, le 29 novembre 1529, dans la convocation, l'archevêque de Cantorbéry; et aussitôt l'évêque de Bath lut à ses collègues le catalogue des livres dont il demandait la condamnation. C'était un grand nombre d'ouvrages de Tyndale, de Luther, de Mélanchthon, de Zwingli,

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d'OEco lampade, de Poméranus, de Brenz, de Bucer, de Jonas, de François Lambert, de Fryth, et de Fyshe [5].

La Bible surtout était signalée. « Il est impossible de traduire l'Écriture en anglais, » disait l'un des prélats.[6] Il n'est pas permis aux laïques de la lire dans leur langue maternelle; disait un autre. Tolérer la Bible, ajoutait un troisième, o c'est vouloir nous rendre tous hérétiques. La répandre, s'écriaient plusieurs, c'est soulever la nation contre le roi ! » More porta devant Henri la supplique des évêques, et quelque temps après le roi ordonna que nul ne prêchât, n'écrivit un livre, ni ne tînt une école, sans la licence de l'évêque ; [7] que personne ne gardât dans sa maison un livre hérétique ; que tout évêque mît en prison les délinquants, pour aussi longtemps qu'il le trouverait bon et procédât à l'exécution des coupables *[8]; enfin, que le chancelier, les juges et autres officiers de l'État, prêtassent main forte aux évêques. » Telle fut la cruelle proclamation de Henri VIII, « le père de la Réformation d'Angleterre. »

Le clergé n'était pas encore satisfait. L'évêque de Norwich, aveugle et octogénaire, mais plus ardent que le plus jeune de ses prêtres, revint à la charge. « Mon diocèse est encombré de ces lecteurs de la Bible, dit-il à l'archevêque de Cantorbéry'[9], et il ne nous vient pas de Cambridge un seul clerc qui ne sente la poêle à frire*[10]. Si cela dure, ils nous détruiront tous. Il faut que l'on nous donne une plus grande autorité. »

En conséquence, le 24 mai 1530, More, Warham, Tonstall et Gardiner, ayant été admis, dans la chambre de Saint-Édouard à Westminster, à faire rapport au roi concernant l'hérésie,'[11] lui proposèrent d'interdire d'une manière absolue le Nouveau Testament, et certains livres désignés, où l'on lisait entre autres les doctrines suivantes : « Christ a offert son sang pour nos iniquités comme sacrifice à son Père. » La foi seule nous justifie. » La foi sans les œuvres n'est pas une petite foi ou une faible foi, ce n'est pas la foi. » Faire de bonnes œuvres dans le but de gagner le ciel, c'est se moquer du sang de Christ. [12]»

Tandis que presque tous les assistants appuyaient la commission, trois ou quatre docteurs gardaient le silence. Enfin Latimer, l'un d'eux, s'opposa à la proposition. L'ami de Bilney était plus décidé que jamais à n'écouler d'autre voix que celle de Dieu. Les brebis de Jésus-Christ ne connaissent que sa voix, avait-il dit à maître Jledman, qui lui de mandait de se soumettre à l'Église; ne m'empêchez pas de m'entretenir avec le Seigneur mon Dieu [13] ! »

L'Église, selon Latimer, prétendait mettre sa propre voix à la place de celle de Jésus Christ, et la Réformation faisait le contraire; tel était selon lui l'abrégé de la controverse. Appelé à prêcher pendant les jours de Noël, il avait censuré ses auditeurs de ce qu'ils célébraient la fête en jouant aux cartes, comme des gens du monde, et il avait mis sous leurs yeux les cartes (chartes) de Christ, c'est-à-dire ses

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lois *[14]. Nommé membre de la commission de Cambridge pour examiner la question du mariage du roi, il s'était concilié l'estime du député de Henri, le docteur Butts, médecin de la cour, qui l'avait présenté à son maître, et celui-ci l'avait fait prêcher à Windsor.

Henri parut d'abord disposé à céder quelque chose à Lalimer. « Plusieurs de mes sujets, dit-il aux prélats réunis dans la chambre de Saint Edouard, croient qu'il est de mon devoir de faire traduire la sainte Écriture et de la donner à mon peuple. »

La discussion s'engagea aussitôt entre les deux partis [15]; et Latimer conclut en demandant que l'Écriture circulât librement en anglais*[16].» Mais l'avis du plus grand nombre, dit-il, l'emporta sur l'avis le meilleur. »

Henri déclara que l'enseignement des prêtres suffisait au peuple, et se contenta d'ajouter qu'il donnerait les Écritures à ses sujets, quand ceux-ci renonceraient à la prétention de les interpréter dans le sens de leurs rêveries. [17] »

Ayez ces livres en horreur, dit-on bientôt du haut des chaires, livrez-les au clergé, effacez de votre esprit leurs enseignements. Sinon, votre prince, qui a reçu de Dieu le glaive de la justice, en usera pour vous punir! » Rome avait tout lieu d'être satisfaite de Henri VIII. Tonstall, qui tenait encore sous clef les Nouveaux

Testaments achetés à Anvers avec l'aide de Packington, voulant profiter de l'occasion longtemps attendue, fit transporter ces livres au cimetière de Saint-Paul, où on les brûla publiquement. Les spectateurs se retirèrent en branlant la tête, et en disant : « Il faut que les doctrines des prêtres et celles de la sainte

Écriture se contredisent, puisque les prêtres la brûlent. » Latimer fit davantage : « Vous nous avez promis la Parole de Dieu, écrivit-il courageusement au roi ; accomplissez votre promesse, et aujourd'hui plutôt que demain ! Le jour s'approche où vous rendrez compte de votre administration et du sang que vous aurez répandu [18]. » Latimer savait qu'en parlant ainsi il hasardait sa tête; mais il était prêt à la donner, nous dit-il lui-même*[19].

La persécution ne se fit pas longtemps attendre. Au moment où le soleil semblait près de se lever sur la Réforme, une tempête éclata. «Il n'y eut pas de pierre que les évêques ne remuassent, dit le chroniqueur, pas de coin, où ils ne fouillassent, pour exécuter la proclamation du roi ; aussi fut elle suivie d'un affreux massacre des fidèles [20]. »

Un ministre du Kent, pauvre et pieux, Thomas Hitton, se rendait fréquemment à Anvers, pour se procurer des Nouveaux Testaments. Comme il revenait de l'un de ces voyages, en 1529, l'évêque de Rochester le fit arrêter à Gravesend, et lui fit subir les tourments les plus cruels pour le contraindre à renier sa foi*[21]. Mais le martyr répétait avec un saint enthousiasme : « Le salut est par la foi et non par les œuvres,

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et Christ le donne à qui il veut ... [22]» Le 20 février 1530, on l'attacha sur un bûcher où il expira*[23].

A peine Hitton était-il mort pour avoir apporté les Écritures en Angleterre, qu'un navire chargé de Nouveaux Testaments arrivait à Colchester. L'in fatigable Bayfield, qui accompagnait ces livres, les vendit à Londres, retourna sur le continent, et revint en novembre en Angleterre; mais, cette fois ci, les Écritures tombèrent entre les mains de Thomas More. Bayfield, sans se décourager, retourna dans les Pays-Bas, et reparut bientôt apportant avec lui le Nouveau Testament et les œuvres de presque tous les réformateurs. « Comment se fait-il qu'il arrive tant de Nouveaux Testaments de l'étranger, dit Tonstall à Packington; vous m'aviez promis de les acheter tous. Depuis lors, répondit le rusé marchand, ces gens en ont imprimé d'autres, et c'est ce qu'ils feront, tant qu'ils auront les lettres et les poinçons [24]. Monseigneur, permettez que je vous donne un conseil : achetez aussi les poinçons ; vous n'aurez plus rien à craindre. »

Au lieu de ses poinçons, ce fut Bayfield lui-même que les prêtres poursuivirent. L'évêque de Londres ne pouvait supporter cet homme juste. Ayant un jour demandé à Bainham (plus tard martyr), s'il connaissait une seule personne, qui, depuis le temps des apôtres, eût vécu selon la vraie foi en Jésus Christ? Oui, avait répondu Bainham à l'évêque, je connais Bayfield. [25]» On le traqua de lieu en lieu, il se sauva de la maison de sa pieuse hôtesse, et se cacha chez son relieur; là, il fut découvert, et on le jeta dans la tour des Lollards*[26].

En y entrant, Bayfield remarqua un prêtre nommé Patmore, pâle, affaibli par la souffrance, et près de succomber aux mauvais traitements de ses bourreaux. Patmore, bientôt gagné par la piété de Bayfield, lui ouvrit son cœur. Recteur à Hadham, il avait trouvé la vérité dans les écrits de Wycleff. Ils ont brûlé ses os, disait-il, mais de ses cendres jaillissent des sources d'eau vive'[27]. » Abondant en bonnes œuvres, il remplissait ses greniers, et si le blé devenait rare, il envoyait ses grains sur le marché, afin de faire baisser les prix*[28]. « Il est contre la loi de Dieu de brûler des hérétiques, » disait-il; et s'enhardissant il ajoutait : « Je ne fais pas plus de cas de la malédiction du pape que d'une botte de foin [29]. »

Son vicaire, Simon Smith, ne voulant point imiter les désordres des prêtres, et trouvant dans Jeanne Bennore, servante du recteur, une personne honnête et pieuse, désira l'épouser. « Dieu, lui dit le recteur, a déclaré le mariage légitime entre tous; aussi le permet-on aux prêtres d'oui re-mer[30]. » Patmore voulait parler de Wittemberg, où il avait été visité Luther. Smith ayant épousé Jeanne, quitta pour quelque temps l'Angleterre avec sa femme, et Patmore les accompagna jusqu'à Londres. A l'ouïe de ce mariage d'un prêtre, fait inouï dans la Grande-Bretagne, Stokesley fit jeter Patmore dans la tour des Lollards, et quoiqu'il fût malade, ne lui accorda ni feu, ni lumière, ni aucune commodité de la vie. L'évêque et son vicaire

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général en traient seuls dans sa prison, et s'efforçaient, par leurs menaces, de lui faire renier sa foi.

C'est dans ces circonstances que Bayfield fut mis à la tour. Il ranima par ses paroles chrétiennes la foi languissante de Patmore*[31], et celui-ci se plaignit au roi de ce que l'évêque de Londres l'empêchait de paître le troupeau que Dieu lui avait confié. Stokesley, comprenant d'où venait à Patmore ce nouveau courage, fit enlever Bayfield de la tour des Lollards, l'enferma dans le charbonnier de l'évêché [32], et l'y fit attacher debout contre la muraille, par le cou, par la ceinture et par les jambes. Le malheureux évangéliste d'Edmondsbury passa de puis lors ses jours dans de perpétuelles ténèbres, jamais couché, jamais assis, crucifié pour ainsi dire contre le mur, et n'entendant jamais une voix humaine ; nous le verrons plus tard sortir de cette affreuse prison, pour mourir sur l'échafaud. Patmore n'était pas seul de sa famille à endurer persécution; il avait à Londres un frère, nommé Thomas, ami de John Tyndale, frère cadet du célèbre réformateur. Thomas avait dit que la vérité de la sainte Ecriture reparaissait enfin dans le monde après avoir été cachée pendant des siècles [33]; et John Tyndale avait envoyé cinq marcs à son frère William, et avait reçu de lui des lettres. De plus, les deux amis (tous deux marchands), avaient répandu un grand nombre de Nouveaux Testaments et d'autres écrits.

Mais leur foi n'avait pas des racines bien profondes, et c'était plutôt par respect pour leurs frères qu'ils avaient cru ; aussi Stokesley les enlaça-t-il si bien, qu'ils confessèrent leur faute. More, ravi de l'occasion qui se présentait de couvrir de honte le nom de Tyndale, ne se contenta pas de condamner les deux amis à une amende de cent livres sterling chacun ; il inventa un nouvel opprobre; il fit coudre sur leurs habits des feuilles de ce Nouveau Testament qu'ils avaient répandu, fit monter sur deux chevaux les deux pénitents, le vi sage tourné vers la queue, et les fit promener ainsi dans les rues de Londres, au milieu des rires de la populace. Cela réussit mieux à More que la réfutation des écrits du réformateur.

Dès lors la persécution devint plus violente. Des cultivateurs, des artistes, des marchands, des nobles même, éprouvèrent les cruelles étreintes du clergé et de Thomas More. On jeta en prison un pieux musicien qui parcourait les villes et les campagnes, en chantant sur sa harpe un hymne à l'honneur de Luther et de la Réformation *[34]. Un jeune peintre plein d'esprit, nommé Êdouard Freese, ayant été appelé à décorer une maison, y plaça quelques inscriptions tirées des Écritures. On le saisit, on le conduisit au palais de l'évêque de Londres, à Fulham, et on l'y emprisonna, en ne lui don nant guère pour nourriture que du pain fait avec de la sciure de bois [35]. La femme du pauvre peintre, qui était enceinte, arriva à Fulham pour voir son mari; mais le portier de l'évêque avait ordre de n'admettre personne ; cet homme grossier lui donna dans le ventre un coup de pied qui tua l'enfant et causa plus tard la mort de la mère [36]. Le malheureux Freese fut transporté à la tour des Lollards.

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Les chaînes qu'on lui mit dans la prison, ne lui laissèrent de libre que la main. Il prit un charbon et écrivit sur la muraille quelques paroles pieuses; on lui mit alors des menottes, et on lui serra tellement le poignet, que la chair crût par-dessus les fers. Son esprit se troubla; ses cheveux en désordre couvrirent bien tôt sa figure, et quand il secouait la tête pour les écarter, on apercevait à travers son épaisse chevelure des yeux sombres et égarés. Le manque de nourriture, les mauvais traitements, la mort de sa femme, la longueur de son emprisonnement, altérèrent tout à fait sa raison. Amené à Saint-Paul, il y demeura trois jours sans nourriture* [37]; et quand il comparut devant le consistoire, le pauvre homme, muet, chancelant, porta tout à l'entour de lui des regards vagues et étonnés, comme eût fait un sauvage [38]. On commença l'interrogatoire; mais à tout ce qu'on lui demandait, Freese faisait toujours la même réponse : « Mon Seigneur est un homme bon [39]; » on ne put obtenir de lui que cette touchante parole. Hélas! La lumière n'était plus dans son intelligence, mais l'amour de Jésus était encore dans son cœur. On l'envoya à l'abbaye de Bearsay; plus tard il en sortit, mais il ne recouvra jamais entièrement la raison. Henri VIII et ses prêtres avaient des supplices plus cruels que les bûchers.

La terreur commençait à se répandre. Les évangélistes les plus actifs avaient dû fuir sur une terre étrangère ; quelques-uns' des plus pieux étaient en prison, et parmi les plus haut placés, il y en avait, Latimer peut-être, qui semblaient vouloir s'abriter sous une modération exagérée. Mais au moment même où la persécution faisait taire, à Londres, des voix trop timides, d'autres, plus courageuses, se faisaient entendre dans les comtés. La ville d'Exeter était alors dans une grande agitation; on avait trouvé sur les portes de la cathédrale des placards contenant quelques-unes des paroles de la nouvelle doctrine. » Tandis que le maire et ses officiers cherchaient l'auteur de ces blasphèmes, l'évêque et ses docteurs, aussi rouges que des charbons en flammés, dit le chroniqueur [40], jetaient feu et flammes du haut des chaires. Le dimanche suivant, pendant le sermon, deux des hommes qui s'étaient donné le plus de peine pour découvrir l'auteur des placards, remarquèrent à côté d'eux un individu dont l'apparence les frappa. « Certainement, dirent-ils, c'est l’hérétique ! » Mais la dévotion de leur voisin, qui n'ôtait pas les yeux de dessus son livre, les dérouta; ils ne s'aperçurent pas que c'était un Nouveau Testament latin.

Cet homme, nommé Thomas Benet, était en effet le coupable. Converti à Cambridge par la parole de Bilney, dont il était l'ami, il était venu à Torrington par crainte de la persécution, puis à Exeter, et après s'y être marié, pour fuir l'impureté, dit-il [41], il s'é tait fait maître d'école. Tranquille, humble, doux envers tout le monde, même un peu timide, Benet avait vécu six ans à Exeter sans qu'on se doutât de sa foi. Enfin sa conscience s'étant réveillée, il résolut d'afficher de nuit, aux portes de la

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cathédrale, des pancartes évangéliques. « Chacun lira l'écrit, pensa-t-il, et personne ne connaîtra l'écrivain. » Ainsi fut fait.

Peu après le dimanche où Benet avait été presque découvert, les prêtres préparaient un grand spectacle et s'apprêtaient à prononcer contre l'hérétique

inconnu la grande malédiction, « avec cloche, livre et chandelle. » La cathédrale était pleine, et Benet lui-même s'y trouvait. Au milieu était une grande croix, sur laquelle on avait mis des cierges allumés, et qu'entouraient tous les franciscains et les dominicains d'Exeter. Un prêtre ayant prêché sur ces paroles : « Il y a de l'interdit au milieu de toi, Israël! » (Josué VII, 13), l'évêque s'approcha de la croix et prononça contre le coupable la malédiction. Il prit l'un des cierges et dit : « Que l'âme de l'hérétique inconnu, s'il est déjà mort, soit éteinte cette nuit même dans le feu de l'enfer, comme j'éteins cette chandelle; [42]» puis il souffla le cierge. Alors en prenant un second, il continua : « Si l'hérétique est encore vivant, que les yeux lui soient arrachés et qu'on lui ôte l'usage de tous les sens, comme j'ôte à cette chandelle sa lumière; » puis il souffla le second cierge.

Alors l'un des prêtres s'approcha de la croix, la frappa, et le bruit qu'elle fit en tombant retentit avec tant d'éclat sous les voûtes de la cathédrale, que les assistants épouvantés poussèrent un cri d'effroi et levèrent les mains vers le ciel, comme pour demander que la colère divine ne tombât pas sur eux. Témoin de la comédie des prêtres, Benet avait souri. « Pourquoi «ris-tu? lui dirent ses voisins: Holà! Accourez! Voici l'hérétique ! Saisissez-le ! » Aussitôt toute l'assistance fut dans la plus grande agitation ; chacun criait, frappait des mains, courait çà et là ; mais grâce au tumulte même, Benet put s'échapper.

L'excommunication accrut encore son désir d'at taquer les superstitions romaines ; aussi le lendemain, avant cinq heures du matin (c'était en octobre 1530), un garçon qui le servait affichait-il de nouveau, par son ordre, aux portes de la cathédrale, les feuilles qu'on avait déchirées. Un bourgeois matinal qui se rendait à la première messe le remarqua, lui courut sus, l'arrêta, arracha la pancarte; puis, te nant le garçon d'une main et la feuille de l'autre, il se rendit chez le magistrat. On reconnut le domestique de Benet ; et aussitôt celui-ci fut mis dans les ceps et traité comme un chien, » dit Fox. Exeter était décidé à se montrer en Angleterre le grand champion du sacerdotalisme. Pendant une semaine, non-seulement l'évêque, mais tous les prêtres et tous les moines de cette ville ne cessèrent, jour et nuit, de visiter Benet. Mais en vain s'efforçaient-ils de lui prouver que l'Église romaine est la véritable Église : « Dieu m'a fait la grâce d'entrer dans une meilleure, disait-il. Ne sais-tu pas que la nôtre est bâtie sur saint Pierre? L'Église qui est bâtie sur un homme, répondait-il, est l'assemblée du diable et non de Dieu. »

Sa chambre ne désemplissait pas ; et à défaut de preuves, les moines les plus ignorants appelaient le prisonnier hérétique et crachaient contre lui [43]. Enfin on

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lui amena un savant docteur en théologie qui devait infailliblement le convertir. « Nos voies sont les voies de Dieu, » dit gravement le docteur.

Mais il éprouva bientôt que tous les théologiens ne puissent rien contre la Parole du Seigneur. Ce lui qui a dit : Je suis la voie, la vérité et la vie, est le seul que je

veuille connaître, répliqua Benet. Sa voie, j'y marcherai; sa vérité, je l'embrasserai; Sa. vie éternelle, je l'attendrai... » On le condamna à être brûlé ; et More ayant envoyé de Londres avec empressement l'ordonnance de comburendo, les prêtres livrèrent Benet au shérif le 15 janvier 1531 [44] et le shérif le conduisit à Livery Dole, hors d'Exeter, où était l'échafaud. Benêt y étant arrivé, adressa au peuple quelques paroles, et le greffier en les entendant, s'écria : « Certainement cet homme est un serviteur de Dieu ! » Deux figures cependant paraissaient insensibles ; c'étaient deux gentilshommes nommés Thomas Carew et John Barnehouse. Jetant sur le martyr un regard farouche, ils lui crièrent d'une voix menaçante : « Dites : Precor sanctam Mariant et omnes sanctos Dei ! Je ne connais d'autre avocat que Jésus-Christ, » répondit Benet.

A ces mots Barnehouse, hors de lui, saisit une pique, mit au bout un buisson de genêt épineux, l'enflamma, et le jeta à la face du martyr, en criant : « Prie NotreDame, affreux hérétique, ou je t'y contraindrai! Hélas! répondit Benet avec douceur, ne me troublez pas! » Puis joignant les mains, il s'écria : « O Dieu! Pardonne-leur! » Alors on mit le feu au bûcher, et les plus fanatiques des assistants, hommes et femmes, saisis d'une indicible rage, arrachèrent les pieux, les buissons, prirent tout ce qu'ils trouvèrent sous la main et jetèrent tout dans les flammes pour les alimenter. Be net levant les yeux vers le ciel, dit : « Seigneur! Reçois mon esprit! » C'est ainsi que mouraient, au seizième siècle, les disciples de la Réformation, immolés par Henri VIII.

Les prêtres, grâce au glaive du roi, commençaient à compter sur la victoire ; cependant des maîtres d'école, des musiciens, des marchands, des ecclésiastiques même, ne leur suffisaient pas; il leur fallait de plus nobles victimes ; ce fut à Londres qu'on les chercha. More se rendait lui-même dans les maisons suspectes, accompagné du lieutenant de la Tour [45]. Peu de citoyens étaient plus estimés à Londres que John Petit, ce membre des Communes qui avait noblement résisté à la demande du roi concernant l'emprunt.

Petit ‘était versé dans l'histoire et les lettres latines; il parlait avec éloquence, et depuis vingt ans il représentait dignement la Cité. Quand une affaire importante se débattait au parlement, le roi inquiet avait coutume de demander : « De quel côté Petit se trouve-t-il ? » Cette indépendance politique, fort rare dans les parlements de Henri VIII, faisait ombrage au prince et à ses ministres.

Une circonstance d'un autre genre augmenta leur déplaisir. Ami de Fryth, de Bilney, de Tyndale, Petit avait été l'un des premiers en Angleterre à goûter la

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douceur de la Parole de Dieu* [46], et il avait aussitôt manifesté le beau caractère auquel on reconnaît la foi évangélique, la charité. Il abondait en aumônes, soutenait un grand nombre de pauvres prédicateurs de l'Évangile, dans sa patrie et au-delà des mers ; puis? Quand il notait dans ses livres ces généreux subsides, il se contentait d'écrire ces mots : Prêté à Christ [47]; il dé fendit à ses exécuteurs testamentaires de réclamer ces dettes. Petit goûtait en paix, dans sa modeste demeure, les douceurs du bonheur domestique, entre sa femme et ses deux filles, Blanche et Audrey, quand il y reçut une visite inattendue. Un jour qu'il était à genoux dans son cabinet, on frappa rude ment à la porte de la rue. Sa femme, entendant heurter, courut ouvrir ; à la vue du lord chancelier Thomas More, elle retourna tout émue vers son mari, en lui disant : « Venez, mon ami, le lord chancelier vous demande ! » More, qui la suivait, arriva dans le cabinet et d'un regard inquisiteur parcourut les rayons de la bibliothèque ; mais malgré ses efforts il n'y découvrit rien de suspect.

Bientôt il fit mine de se retirer, et Petit l'accompagna : « Vous prétendez donc, dit le chancelier, sur le seuil de la porte, que vous n'avez aucun de ces nouveaux livres?

Vous avez vu ma bibliothèque, répondit Petit. On assure pourtant, reprit More, que non-seulement vous les lisez, mais encore que c'est vous qui les faites imprimer. » Puis il ajouta d'un ton sévère : « Suivez M. le lieutenant ! »

Malgré les larmes de sa femme et de ses filles, le membre du parlement fut conduit à la Tour, et enfermé dans un cachot humide où il n'avait pour couche que de la paille. En vain sa femme se présentait-elle chaque jour, de mandant avec larmes la permission de le voir, ou au moins de lui envoyer un lit ; on lui refusait tout; et ce ne fut que quand Petit tomba dangereusement malade, qu'on lui accorda cette dernière faveur. Ceci se passait en 1530; le jugement eut lieu en 1531 [48]; nous retrouverons plus tard Petit dans son cachot. Il en sortit, il est vrai, mais pour succomber aux suites du rude traitement qu'il y avait souffert. Ainsi les témoins de la vérité étaient frappés par les prêtres, par Thomas More et par Henri VIII.

Une nouvelle victime devait faire répandre beau coup de larmes. Un homme doux et humble, cher au cœur de tous les amis de l'Évangile, celui que l'on peut considérer comme le père spirituel de la Réformation en Angleterre, était sur le point de monter sur le bûcher des persécuteurs. Quelque temps avant que Petit parût devant ses juges (ce fut en 1531), un bruit inaccoutumé se fit entendre dans le cachot situé au-dessus du sien; c'était Thomas Bilney qu'on amenait à la Tour*[49]. Nous l'avons laissé à la fin de 1528, après sa chute.

Tourmenté par les remords, Bilney était revenu à Cambridge; mais en vain ses amis l'entouraient-ils nuit et jour; ils ne pouvaient le consoler, et les Écritures même ne lui faisaient entendre qu'une voix de condamnation [50]; la crainte lui donnait un tremblement continuel, et à peine pouvait-il manger et boire. Enfin une lumière

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céleste et inattendue se leva dans l'âme du disciple déchu ; un témoin qu'il avait contristé, le Saint-Esprit, parla de nouveau à son cœur. Bilney tomba au pied de la croix, en versant des torrents de larmes, et y trouva la paix. Mais plus Dieu le consolait, plus sa faute lui paraissait grande. Il n'avait plus qu'une seule pensée, celle de donner sa vie pour la vérité. Il a reculé devant les flammes du bûcher; il faut que ces flammes le consument. Ni la faiblesse de son corps, que ses longues angoisses avaient fort augmentée, ni la cruauté de ses ennemis, ni sa timidité naturelle, rien ne pouvait le retenir; il lui fallait la couronne des martyrs. Un soir, à dix heures, au moment où chacun, dans Trinity-Hall, allait se livrer au repos, il rat semble ses amis'[51], il leur rappelle sa chute, et il ajoute : « Vous ne me verrez plus... Ne m'arrêtez pas : ma décision est prise, et je l'exécuterai. Je me mets en chemin, résolu d'aller à Jérusalem*. [52] »

Ainsi Bilney répétait la parole dont l'Évangile se sert quand il montre Jésus se rendant au lieu où l'on devait l'immoler. Ayant serré la main de ses frères, cet homme vénérable, le premier des évangélistes de l'Angleterre dans l'ordre du temps, quitta Cambridge à la faveur des ténèbres, et se rendit dans le Norfolk pour affermir ceux qui avaient cru et pour appeler au Sauveur la multitude ignorante. Nous ne le suivrons pas dans ce dernier et solennel mystère ; ces faits, et d'autres du même genre, appartiennent à une époque postérieure. Avant que l'an 1531 se soit écoulé, Bilney, Bainham, Bayfield, Tewkesbury et bien d'autres, atteints par le glaive d’Henri VIII, auront scellé de leur sang le témoignage rendu par eux à la grâce parfaite de Jésus-Christ.

FOOTNOTES

[1] By Michael mass day, there shall be more that shall believe. » (L'évèque de Norwich au primat, Cotton MSC, Cleop., E. V., fol. 360 . Bible Annals, l, p. 256.)

[2] English. Works. A dialogue concerning here syes, p. 274.

[3[And whipt him at a tree in his garden. » (Strype's Memorials, p. 315. Fox,Acts, IV, p. 698.)

[4] Else had never any of them any stripe or stroke give them, so much as a fylippe on the forehead. » [Apol., ch. xxxvi, p. 901, 902.)

[5] Voir le catalogue, Wilkin's Concilia, p. 713 à 720. Wilkins pense (p. 717, noté) que ce document se rapporte à l'an 1529. Il y a pourtant quelques parties de ces Statuta qui doivent se rapporter à l'année suivante.

[6] It is impossible to translate the Scripture into English. » Tyn dale, Works, l, p. 1.)

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[7] As it shall seem best to his discretion. » (Fox, Acts, IV, p. 677.)

[8] Put them to further execution. » [Ibid., p. 678.)

[9]> Accumbered. » (Cotton MSC, Cleop., E. V., fol. 360.)

[10] But savoureth of the frying pan. » [Ibid.)

[11] They shall undo us all. » [Ibid.)

[12] Wilkins, Concilia, 111, p. 728-731.

[13] Trouble me no more for talking with the Lord my God. » [Remains, p. 297.)

[14] Latimer, Sermons, p. 8.

[15] Both parties spoken, deduced. » (Wilkins, Concilia, III, p. 736.)

[16] Would have that the Scripture do go forth in English. » (Latim., Remains, p. 305.)

[17]» So decline from arrogance of understanding the Scriptures after your fantasies. » (Wilkins, Concilia, III, p. 736.)

[18] You shall give account of your office and of the blood... » (Latim., Remains, p. 308.)

[19] I had rather suffer extreme punishment. » [Ibid., p. 298.)

[20] J Grievous persecution and slaughter of the faithful. » (Fox, Acts, \V, p. 679.)

[21] Dieted and tormented him secretly. » (Tynd., Works, l, p. 485.)

[22] Manifest testimony of Jesus-Christ and of his free grace and salvation. » (Fox, Acts, IV, p. 619.)

[23] The bishops murdered him most cruelly. » (Tynd., Works, I, p. 485.)

[24] so long as they have letters and stamps. » (Fox, Acts, IV. p. 670.)

[25] Whether he knew any person? He said... Bayfield. » (Foi, Acts, p. 699.)

[26] He was betrayed and dogged from that house. » [Ibid., p. 681.)

[27]When WY clefts bones were burnt, sprang up a wellspring. » [Ibid., V,p. 34.)

[28] He would send plenty of his corn to pluck down the priées. » [Ibid., IV, p. 681.)

[29] He did not set a bundle of hay by the pope's curse. » [Ibid., y. 36.)

[30] Yetit was in other countries beyond sea. » (Fox, Acts,\V, p. 36.)

[31] Confirmed by him in the doctrine. » [Ibid., IV, p. 681.)

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[32] /i!rf.,V,p. 29.

[33] Fox, Ads, V, p. 34.

[34] II s'appelait Robert Lambe. (Fox, Acts, V, p. 34.)

[35] Fed with fine manchet made of saw dust. » [Ibid., IV, p. 695.)

[36] The porter lifted up his foot and struck her on the hody. » [Ibid.)

[37] «They kept him three days without meat. » [Ibid.)

[38] Like a wild man. » (Fox, Acts, IV, p. 695.)

[39] My Lord is a good man. » [lbid.)

[40] As hot as coals. » [lbid., V, p. 19.)

[41] Ut ne scortator aut immundus essem, uxorem dira. » (Foi, Acts, v, p. 19.)

[42] Let us quench thpir soûls Uns night in the pains of hell fire. » Fox, Acts, V, p. M.)

[43] And spat upon him, calling him heretic. » (Fox, Acts, V, p. 23.)

[44] C'est la date donnée par Fox, et répétée ailleurs. Dans les documents politiques et judiciaires l'année commençait en mars ; mais Fox la lait toujours commencer en janvier. Ce fut donc en janvier 1531 et non en janvier 1532 qu'eut lieu l'exécution de Benet.

[45] He would go himself in person, to apprehend such as he suspected and search their houses. » {Strype, I, p. 312.)

[46] He was one of the first that caught sweetness in God's word. » [Ibid.)

[47] Lent unto Christ. » (Strype I, p. 314.)

[48] Strype I, p. 312. s

[49] He (Petit) lodged underneath him (Bilney). » (/4i'd.,p. 313.)

[50] He thought that all the while the Scriptures were against him.» (Latim., Sermons, p. 52.)

[51] He took his leave in Trinity-Hall, at ten o'clock at night. » (Fox, Acts, IV, p. 642.)

[52] He said that he would go to Jerusalem. » [Ibid.) Voir Luc IX, 51. v 43

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CHAPITRE XVI

Terreurs de Wolsey. Acte d'accusation des pairs. Cromwell le sauve. Maladie du cardinal. L'ambition lui revient. Ses pratiques dans le Yorkshire. Northumberland l'arrête. Son départ. Arrivée du gouverneur de la Tour. Wolsey à l'abbaye de Leicester. Paroles de persécution. Il meurt. Trois mouvements, la suprématie, la sainte Écriture et la foi.

Tandis que de pieux chrétiens étaient jetés dans les prisons de l'Angleterre, le grand antagoniste de la Réformation disparaissait de la scène du monde. Il nous faut retourner à Wolsey, toujours consigné à Esher [1].

Le cardinal, tombé du faîte des grandeurs, était saisi de ces terreurs paniques que ressentent ordinairement, après leur chute, ceux qui ont fait trembler tout un peuple, et derrière chaque porte il croyait voir un assassin. Cette nuit, écrivait-il un jour à Cromweli, j'ai été près de la mort Ah ! Si je le pouvais, je me rendrais à Londres, fût-ce même à pied, tant j'ai besoin de vous parler! Gagnez la faveur d'Anne Boleyn par tous les moyens imaginables. »

Cromwel, en conséquence, deux ou trois jours après son entrée au parlement, accourut à Esher, et Wolsey tout tremblant, ayant pris sa main, lui raconta ses frayeurs, ... « Norfolk, Suffolk, lady Anne peut-être veulent sa mort [2] ... Thomas Becket, archevêque comme lui, n'a-t-il pas rougi l'autel de son sang?... » Cromweli le rassura, et, touché des craintes du vieillard, il demanda pour lui à Henri VIII et obtint de ce prince une ordonnance de protection.

Les ennemis de Wolsey voulaient en effet sa mort ; mais c'était aux décrets des trois pouvoirs et non au poignard des assassins qu'ils la demandaient. La chambre des pairs chargea Thomas More, Norfolk, Suffolk et quatorze autres de ses membres, de poursuivre le cardinal-légat pour crime de haute trahison. Ils n'oublièrent rien : cette orgueilleuse for mule moi et mon roi [3], que Wolsey avait souvent employée, les atteintes portées par lui aux lois du royaume, les revenus ecclésiastiques accaparés, les injustices criantes dont il s'était rendu coupable ; John Stanley, par exemple, jeté en prison pour donner son bail au fils d'une femme dont le cardinal avait des enfants; plusieurs familles ruinées pour satisfaire son avarice; des traités conclus avec les puissances étrangères sans l'ordre du roi; des exactions qui avaient appauvri l'Angleterre ; des maladies honteuses et l'haleine empoisonnée dont il avait souillé la face de Sa Majesté [4]...; voilà quelques-uns des quarante-quatre griefs qui furent présentés au roi par les pairs, et que Henri renvoya à l'examen de la chambre basse.

On crut d'abord que personne dans les Communes n'oserait prendre la défense de Wolsey, et l'on s'at tendait à ce qu'il serait livré, comme le demandait le bill, à la vindicte des lois, c'est-à-dire à la hache du bourreau. Mais bientôt un homme se

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leva, et s'apprêta, quoique seul, à justifier le cardinal; ce fut Cromwell. Les membres se demandèrent l'un à l'autre qui était cet inconnu; {'inconnu ne tarda pas à se faire connaître. Son intelligence des faits, sa connaissance des lois, la force de son éloquence et la modération de ses paroles, étonnèrent la chambre.

A peine les adversaires de Wolsey avaient-ils porté un coup, que son défenseur l'avait déjà paré. S'il se présentait quelque accusation à laquelle il ne pût répondre, il demandait l'ajournement au lendemain, partait pour Esher après la séance, conférait avec Wolsey, revenait dans la nuit, et le matin même paraissait aux Communes avec de nouvelles armes. Cromwell entraîna la chambre; le bill de haute trahison échoua, et le défenseur de Wolsey prit place parmi les hommes d'État de l'Angleterre. Cette victoire, l'un des plus beaux triomphes parlementaires de cette époque, satisfaisait à la fois la reconnaissance et l'ambition de Cromwell. Il était maintenant bien établi dans la faveur du roi, estimé des Communes, admiré du peuple; ceci lui fournissait les moyens de mener à bonne fin l'émancipation de l'Église d'Angleterre.

Le ministère, composé des ennemis de Wolsey, fut indigné de la décision de la Chambre, et nomma une commission pour examiner cette affaire; en l'apprenant, Wolsey tomba dans de nouvelles angoisses. Il n'avait plus ni appétit ni sommeil [5], et la fièvre le prit pendant les fêtes de Noël. Dans quatre jours le cardinal sera mort, dit à Henri son médecin, si vous et Madame Anne ne le consolez. Pour vingt mille livres sterling, je ne voudrais pas qu'il mourût! » S’écria le roi. Il te nait à garder Wolsey en réserve pour le cas, fort possible, ou l'habileté consommée de son ancien ministre lui deviendrait nécessaire. Henri remit au docteur son portrait, et Anne, sur la demande du roi, y joignit des tablettes montées en or qu'elle portait habituellement à la ceinture. Wolsey, ravi, plaça ces cadeaux sur son lit, et en les contemplant il sentit ses forces renaître. On le transporta de son pauvre manoir dans la résidence royale de Richmond, et bientôt il put descendre dans le parc, où chaque soir il disait son bréviaire.

L'ambition et l'espérance lui revinrent avec la vie. Si le roi voulait détruire la papauté en Angle terre, le fier cardinal ne pouvait-il pas la sauver? Ce que Thomas Becket avait fait sous Henri II, Thomas Wolsey ne le ferait-il pas sous Henri VIII? Son archevêché d'York, l'ignorance des prêtres, la superstition du peuple, le mécontentement des grands, tout lui viendrait en aide; et en effet, six ans plus tard, quarante mille hommes furent en un moment sous les armes à York, pour défendre la cause romaine. Wolsey, fort en Angleterre de l'assentiment de la nation (c'était au moins son opinion), soutenu au dehors par le pape et les puissances continentales, ferait la loi à Henri VIII, et écraserait la Ré formation ! Le roi lui ayant permis de se rendre à York, Wolsey lui demanda d'augmenter ses revenus archiépiscopaux, qui étaient pourtant de quatre mille livres sterling [6]. Henri lui accorda mille

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marcs, et le cardinal, peu avant Pâques 1530, partit avec une suite de cent soixante personnes. Il crut que c'était le commencement de son triomphe.

Wolsey s'établit dans un de ses châteaux du Yorkshire avec cette nombreuse maison, et s'efforça aussitôt de gagner la faveur du peuple. Ce prélat, naguère

l'homme le plus hautain, » dit celui qui l'a le mieux connu et le mieux servi, son écuyer Cavendish* [7], devint un modèle d'affabilité, tint table ouverte, fit distribuer à sa porte de riches aumônes, dit la messe dans les villages, alla dîner chez de simples gentilshommes, donna de grandes fêtes, et écrivit à divers princes pour implorer leur secours. On assure même qu'il demanda au pape d'excommunier Henri VIII. Tout étant ainsi préparé, il crut pouvoir faire dans York son entrée solennelle, et fixa à cet effet le lund15 novembre.

On savait à la cour le moindre de ses mouvements, on commentait chacune de ses actions, on en doublait l'importance. « Nous croyions l'avoir abattu, disait-on, et le voilà qui se relève. » Henri lui-même fut alarmé : « Le cardinal, par de détestables langues, dit-il, conspire contre ma couronne, et machine au dedans et au dehors ; [8]» le roi ajoutait même où et comment*[9]. La perte de Wolsey fut résolue.

Le lendemain de la Toussaint, vendredi 2 novembre, le comte de Northumbertand, suivi d'une nombreuse escorte, arriva devant le château de Cawood, où se trouvait le cardinal. C'était ce même Percy dont Wolsey avait contrarié l'inclination pour Anne Boleyn; peut-être y avait-il quelque intention dans ce choix d’Henri VIII. Le cardinal s'avança avec empressement à la rencontre de cet hôte inattendu, et impatient de savoir le but de sa mission, il le conduisit dans sa chambre, sous prétexte de le laisser changer d'habit [10]. Ces deux personnages restèrent quelque temps debout près de la fenêtre sans dire un mot ; le comte avait l'air embarrassé et tremblait, tandis que Wolsey tâchait de comprimer son émotion. Enfin, faisant un effort, Northumber land posa la main sur le bras de son ancien maître, et lui dit d'une voix douce et lente : « Mylord, je vous arrête pour cause de haute trahison. » Le cardinal, consterné, resta muet. On le consigna dans sa chambre.

Il est douteux que Wolsey fût coupable du crime dont on l'accusait. On peut croire qu'il eut la pensée de faire triompher un jour la papauté en Angleterre, dût-il perdre Henri VIII; mais ce fut tout peut-être. Or, une pensée n'est pas encore un complot; toutefois, elle peut promptement le devenir.

Plus de trois mille personnes, attirées, non par la haine (comme le peuple de Londres quand Wolsey avait quitté Whitehall), mais par l'enthousiasme, se réunirent le lendemain devant le château, pour saluer le cardinal. Dieu sauve Votre Grâce! » S’écriait-on de tous côtés, et une foule nombreuse l'escorta pendant la nuit; quelques-uns tenaient des flambeaux, à la main, et tous faisaient retentir l'air de leurs cris. On conduisit l'infortuné prélat à Sheffield Park, chez le comte de Shrewsbury. Quelques jours après son arrivée, le fidèle écuyer Cavendish accourant

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vers son maître, s'écria : « Bonne nouvelle! Mylord, sir William Kingston et vingtquatre hommes de la garde arrivent pour nous escorter jusqu'au palais de Sa Majesté. Kings ton! s'écria le cardinal en pâlissant, Kingston!...» puis il frappa de la main sur sa cuisse, et poussa un grand soupir. Cette nouvelle lui avait bouleversé l'esprit. Un jour, un diseur d'aventures qu'il consultait lui avait dit : « Vous devrez votre fin à Kingston; » dès lors le cardinal avait évité soigneusement cette ville. Mais, maintenant, il croyait comprendre le présage. . . Kingston, gouverneur de la Tour, allait le faire périr. On partit; mais l'effroi avait donné à Wolsey le coup de la mort. Il faillit à plusieurs reprises tom ber de sa mule, et le troisième jour, comme on arrivait à l'abbaye de Leicester : « Père abbé, dit le cardinal, je viens laisser mes os parmi vous. » Il se mit aussitôt au lit ; c'était le samedi soir 26 novembre.

Le lundi matin, tourmenté par de sinistres pensés, Wolsey demanda l'heure. « Huit heures, Mylord, dit Cavendish. Cela ne se peut, reprit le cardinal, huit heures... Non! Car à huit heures, vous perdrez votre maître! [11] » Le mardi matin, à sept heures, Kingston étant venu s'informer du malade : « Je ne vivrai pas longtemps, lui dit Wolsey. Prenez courage, répondit le gouverneur de la Tour. Ah! Maître Kingston, s'écria le cardinal, si j'avais servi Dieu aussi fidèlement que j'ai servi le roi... Dieu, lui! N’eût pas abandonné mes cheveux blancs. [12] » Et il ajouta en baissant la tête : « J'ai mérité ce que j'endure! » Quelle parole! Quel jugement sur sa propre vie!

Sur le seuil de l'éternité (il n'avait plus que quelques minutes à vivre), le cardinal ranima toute sa haine contre la Réformation, et fit un dernier effort. La persécution était trop lente à son gré : « Maître Kingston, dit-il, écoutez mon suprême message : Dites au roi que je le conjure, au nom de Dieu, de détruire la secte pernicieuse des luthériens*. [13]»

Puis, avec une présence d'esprit étonnante à cette heure dernière, Wolsey décrivit les malheurs que les hussites avaient, selon lui, attirés sur la Bohême, et en venant à l'Angleterre, il rappela les temps de Wiclef et d'Oldcastle. Il s'animait; ses yeux éteints lançaient encore quelques feux. Il tremblait que Henri VIII, infidèle au pape, ne donnât la main aux réformateurs. « Maître Kingston, s'écria-t-il en finissant, il faut que le roi sache que s'il se montre tolérant envers l'hérésie, Dieu lui ôtera son pouvoir, et nous aurons alors infortune sur infortune... sécheresses, famines, désordres inouïs, jusqu'à l'entière destruction de ce royaume !... »

Cet effort avait épuisé Wolsey; après un mo ment de silence, il reprit d'une voix mourante : Maître Kingston, adieu! Mon temps s'approche. N'oubliez pas, je vous en conjure, le message dont je vous ai chargé! Quand je serai mort, vous comprendrez mieux mes paroles. » Il eut de la peine à prononcer ces mots, sa langue s'embarrassait, ses yeux devenaient fixes, sa vue s'éteignait [14]; il rendit l'esprit.

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Au même moment l'horloge sonna huit heures, et ses gens, rangés autour de son lit, se regardèrent avec effroi. C'était le 29 novembre 1530.

Ainsi finit cet homme si longtemps redouté. Le pouvoir avait été son idole; pour l'obtenir dans l'Étal, il avait immolé les libertés de l'Angleterre, et pour le conquérir ou le conserver dans l'Église, il avait combattu la Réformation. Il n'avait pas eu d'autre pensée. S'il avait permis aux nobles le luxe et les plaisirs de la vie, c'était pour les rendre plus souples et plus serviles ; s'il avait encouragé les lettres, c'était pour avoir des clercs capables de tenir les laïques sous tutelle. Ambitieux, intrigant, impur, il avait été aussi zélé pour la prérogative sacerdotale que l'austère Becket ; et par un singulier contraste, on trouva une haire sur le corps de cet homme voluptueux. Le but de sa vie avait été de porter plus haut que jamais la puissance de la papauté, au moment même où la Réformation prétendait l'abattre, et de s'asseoir sur le trône pontifical avec l'autorité d'un Hildebrand. Wolsey, pape, eût été Thomme de son siècle, et il eût fait, dans l'ordre politique, pour la primauté romaine, ce que fit bientôt pour elle, dans l'ordre fanatique, le célèbre Ignace de Loyola. Obligé de renoncer à cette pensée digne du moyen âge, il avait voulu du moins sauver la cause de Rome dans sa patrie ; mais ici encore il avait échoué. Le pilote qui avait tenu en Angleterre le gouvernail de l'Église romaine, était jeté pardessus bord, et le navire, abandonné à lui-même, allait sombrer. Toutefois, même dans la mort, il n'avait pas perdu courage. Les derniers battements de son cœur avaient demandé des échafauds ; la dernière parole tombée de ses lèvres mourantes, son dernier message à son maître, son testament, avait été... Persécution!

Ce testament ne devait être que trop fidèlement exécuté.

L'époque de la chute et de la mort du cardinal Wolsey, qui est celle à laquelle nous nous arrêtons, n'est pas seulement importante parce qu'elle ter mine la vie d'un homme qui avait présidé aux des tinées de l'Angleterre, et s'était efforcé de saisir les rênes du monde. Elle l'est surtout parce qu'on vit alors s'accomplir trois mouvements, desquels devait résulter la grande transformation du seizième siècle. Chacun de ces mouvements a son représentant qui le caractérise.

Le premier est représenté par Cromwell. La suprématie allait être enlevée au pape dans la Grande Bretagne comme dans toutes les Églises réformées. Mais on fit un pas de plus en Angleterre ; cette suprématie fut transportée sur la tête du roi. Wolsey avait exercé, comme vicaire général, une autorité jusqu'alors inconnue. Ne pouvant être pape au Vatican, il s'était fait pape à Whitehall. Henri avait laissé son ministre élever ce trône hiérarchique à côté de son trône royal. Mais bientôt il avait pensé qu'il ne devait pas y avoir deux trônes en Angleterre, ou du moins pas deux rois. Il avait détrôné Wolsey ; et s'asseyant résolument à sa place, il allait ceindre dans White hall la tiare que l'ambitieux prélat avait fabriquée pour lui-même. Quelques-uns, à cette vue, s'écrièrent que si la suprématie papale était abolie, il

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fallait lui substituer uniquement celle de la Parole de Dieu. En effet, ce n'est pas dans ce premier mouvement que fut la vraie Réformation.

Le second, qui fut essentiel au renouvellement de l'Église, fut représenté par Cranmer, et consista surtout à rétablir l'autorité des saintes Écritures. Wolsey ne tomba pas seul, et ce ne fut pas seul que Cranmer s'éleva; chacun de ces deux hommes porta avec lui le système qu'il représentait. L'échafaudage des traditions romaines tomba avec le premier; le fondement des saintes Écritures fut posé avec le second. Cependant, tout en rendant justice à la sincérité du docteur de Cambridge, il faut reconnaître ses faiblesses, ses complaisances pour le pouvoir, et même quelque négligence qui, laissant croître çà et là des plantes parasites, leur permit de monter et de s'étendre sur le roc vif de la Parole de Dieu. Ce n'est pas là non plus que fut la déformation dans toute son énergie et toute sa pureté.

Le troisième mouvement fut représenté par les martyrs. Ce qui féconde l'Église, quand elle prend une vie nouvelle, c'est le sang de ses confesseurs; et sans cesse exposée à la corruption, elle a sans cesse besoin d'être purifiée par les souffrances [15].

Ce n'était pas dans les palais d’Henri VIII, pas même dans les conseils où l'on s'occupait de sous traire l'Angleterre à la suprématie du pape, qu'il fallait chercher les vrais enfants de la Réformation ; c'était à la Tour de Londres, dans les (ours des Lollards, de Saint-Paul et de Lambeth, dans les autres prisons de l'Angleterre, dans les souterrains des évêques, dans les chaînes, dans les ceps, sur les chevalets et les échafauds. Les hommes pieux qui invoquaient l'intercession unique de Jésus-Christ, seul chef de son peuple, qui erraient çà et là dé nués de tout, qui étaient liés, bâillonnés, bafoués, battus de verges, torturés, et qui au milieu de toutes ces tribulations demeuraient dans -la patience chrétienne, et tournaient, comme leur Maître, les regards de leur foi vers Jérusalem; tels étaient en Angleterre les disciples de la Réformation. L'Église la plus pure est l'Église sous la croix.

Le père de cette Église en Angleterre ne fut pas Henri VIII. Quand Henri jetait en prison ou dans les flammes les Hitton, les Benet, les Patmore, les Petit, les Bayûeld, les Bilney et tant d'autres, il n'était pas le père de la Réformation d'Angleterre, » comme l'a dit un grand mensonge ; il en était le bourreau.

L'Église en Angleterre devait être, dans son renouvellement, une Église de martyrs; et le vrai père de cette Église, c'est Celui qui est clans le ciel. Ici, nous nous arrêtons. Nous avons raconté l'histoire de la Réformation dans les temps héroïques de Luther; une autre figure se présente mainte nant à nous, celle de Calvin.

Au moment où nous allons nous occuper de ce docteur, de Genève, d'où il agit avec tant de puissance, par le secours de Dieu, pour avancer la cause de la Réforme

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évangélique dans tant de peuples divers, nous commençons une nouvelle série de notre travail, el nous croyons en conséquence devoir y consacrer au nouvel ouvrage.

Nous avons navigué jusqu'à cette heure sur des eaux diverses, au sein de différentes contrées, en Allemagne, en Suisse, en France, en Angleterre. Si nous interrompons ici cette navigation, ce n'est, s'il plaît à Dieu, que pour la reprendre. Nous continuerons notre voyage, en déployant nos voiles au même souffle du ciel. Toute la différence consistera en ce que nous aurons un nouveau pilote, et en ce que le vent nous poussera vers des terres nouvelles.

FOOTNOTES

[1] Burnet (liv. II) et des historiens plus modernes se sont, je crois, trompés en affirmant que Wolsey assista au parlement de la fin de 1529. Voyez State Papers, I, p. 347 à 354.

[2] Timebat sibi damnum et periculum de corpore suo per quos dam suos semulos. » (Ryrner, Fœdera, p. 139.)

[3] Ego et rex meus, » dit Fox.

[4] Knowing himself to have the foui and contagious disease, blowing upon ^our noble Grace with Lis perilous and infective breath. » (Herbert, p. 295.)

[5] Cum prostratione appetitus et continuo insomnie » (Wolsey à Gardiner. Cavendish, append.,p. 474.)

[6] Wolsey to Oomwell. [State Papers, I, p. ' 54.)

[7] He was the haughtiest man in ail his proceedings that then lived.» (Cavendish, p. 394.)

[8] «The cardinal had purchased a bull to curse the king. «(HaU.,?-773')

[9] Cosi mi disse el Re, che contra de S. M. el machinava nel regno e fuori, e m'a detto dove e come. » (Le Grand, preuves, p. 529.)

[10] And there you raay shift your apparel. » (Cavend., p. 347.)

[11] By eight of the clock ye shall lose your master. » (Cav., p. 381 .)

[12] He would not have given me over in my grey hairs. » (Cavend., p. 387.)

[13] To destroy this _new pernicious sect of Lutherans. » [Ibid., p. 389.)

[14] His tongue to fail, his eyes being set in his head, » (Cavend.,p. 393.)

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[15] 1Pierre IV, 17. Plerumque Ecclesia est cœtus exigu us susti nens varias et ingentes aerumnas. » (Mélanchthon, Loti.)

FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER VOLUME

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