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Ces HLM qui vivent sur du « temps emprunté »

Comment expliquer le piètre état du parc HLM, alors que Québec y a investi 1 milliard $ en 3 ans?

Façade d'un HLM sur la rue de La Visitation, à Montréal, en hiver.

Depuis les années 1990, le gouvernement fédéral s'est grandement désengagé du financement des logements sociaux.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Radio-Canada

Le gouvernement Legault se défend de faire la sourde oreille quant aux problèmes qui rongent le parc d'habitations à loyer modique (HLM) de la province. Au cabinet de la ministre des Affaires municipales et de l'Habitation, on dit avoir investi 1 milliard de dollars depuis trois ans pour réparer et rénover les immeubles vétustes.

Un texte de Jean-François Thériault

Pourtant, à Montréal seulement, les chiffres fournis par la Fédération des locataires d’habitations à loyer modique du Québec (FLHLQ) montrent que 57 % des immeubles qui abritent des HLM ont besoin de rénovations d’urgence et ont reçu la cote E (très mauvais) lors de leur bilan de santé.

Lundi, les locataires de ces immeubles ont entrepris une campagne pour demander au gouvernement Legault d’accorder de nouvelles sommes pour la réfection de leurs logements, dont l’état ne cesse de se détériorer.

La Société d'habitation du Québec dispose d’un budget annuel de 300 millions de dollars pour son programme de remplacement, d’amélioration et de modernisation (RAM) des immeubles vieillissants, une somme qui est ensuite répartie à travers les différents offices d’habitation municipaux.

Malgré ces sommes imposantes investies par Québec, la situation sur le terrain ne s’améliore pas. Au contraire, le budget RAM alloué à l’Office municipal de l’habitation de Montréal (OMHM) pour l’entretien des HLM dans la métropole, lui, a fondu comme neige au soleil ces dernières années.

Selon les chiffres fournis par l’Office, son budget s’élevait à 102 millions en 2017, alors qu'il était de 62 millions en 2020.

Budgets de l'OMHM consacrés aux remplacement, amélioration et modernisation

  • 2020 : 62 millions $
  • 2019 : 94 millions $
  • 2018 : 87 millions $
  • 2017 : 102 millions $
  • 2016 : 101 millions $

(Ces chiffres arrondis n'incluent pas une somme complémentaire de 56 millions destinée à la revitalisation des Habitations Saint-Michel Nord, terminée en 2019.)

Jean Chrétien serre la main de Paul Martin. Derrière eux, des députés libéraux sont debout et applaudissent.

Alors qu'il était ministre des Finances du gouvernement de Jean Chrétien, Paul Martin (à droite) avait fait du remboursement de la dette fédérale une priorité.

Photo : La Presse canadienne / TOM HANSON

Les effets du retrait graduel d'Ottawa

Si Québec assure faire sa contribution, c’est une décision du gouvernement fédéral, prise dans les années 1990, qui pourrait en partie expliquer l’état actuel des choses

Pour comprendre cette situation, un retour en arrière s’impose.

Xavier Leloup, professeur à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et spécialiste de la question du logement social, explique qu’à la mise en place du programme d’habitations à loyer modique [dans les années 1970], il était prévu que le gouvernement fédéral contribue avec les provinces au financement du déficit d’exploitation annuel des immeubles HLM, c’est-à-dire qu’il finance une partie du manque à gagner lié au contrôle des loyers.

Une partie de ce financement était prévue pour l’entretien général et les rénovations, ajoute-t-il.

En fonction de ce qu’on a appelé les conventions d’exploitation des HLM, le gouvernement fédéral absorbait 50 % du déficit d’exploitation des nouveaux logements sociaux construits au Canada. Les provinces, quant à elles, devaient fournir 40 % de ce financement, et les municipalités, 10 %.

Ces conventions d’exploitation étaient valides pour une durée de 35 ans, à partir de la date de construction du bâtiment.

Or, en 1994, Paul Martin, alors ministre des Finances du gouvernement libéral de Jean Chrétien, annonçait la fin de cet engagement du fédéral.

Le gouvernement avait alors en tête de réduire et de contrôler le déficit de l’État fédéral, et [...] il a annoncé qu’il se retirait de la construction des HLM et des coopératives, explique Xavier Leloup. D’un même souffle, on a annoncé que lorsque les conventions [d’exploitation] des logements existants prendraient fin, elles ne seraient pas renouvelées.

Le professeur Leloup affirme que ce retrait d’Ottawa, même s’il a été graduel, a causé un retard structurel dans l’entretien de base qui doit être fait à ces bâtiments, puisque peu de provinces ont pu reprendre le financement de ces programmes tel quel.

Depuis 2015, le nombre de logements qui dépassent les 35 ans d’existence et qui se retrouvent donc sans convention d’exploitation augmente de façon exponentielle. Selon les chiffres de la FLHLMQ, ce sont aujourd’hui 20 000 unités HLM qui ne bénéficient plus de l’aide du fédéral, et ce chiffre pourrait grimper à 70 000 dans la prochaine décennie.

Des impacts réels, et pas juste à Montréal

Montréal n’est pas la seule municipalité à voir ses logements sociaux dépérir faute de financement. Le maire de Saint-Amable, au sud de l’île, a lancé cette semaine un appel à Québec sous la forme d'une vidéo publiée sur YouTube (Nouvelle fenêtre), dans laquelle il demande de l’aide pour reconstruire 12 logements sociaux destinés à des familles.

 Un bâtiment barricadé, pour moi, c’est comme une cicatrice dans le paysage. À chaque fois que je passe ici, mon cœur saigne.

Une citation de Stéphane Williams, maire de Saint-Amable

L’immeuble en cause – le 300, rue Dominique – abrite normalement 12 logements à loyer modique destinés à des familles. Il a été déserté puis barricadé en 2019 après la découverte d’un important problème de moisissures causé par des infiltrations d’eau.

Un immeuble dont les fenêtres et les portes sont barricadées.

Le 300 rue Dominique, à Saint-Amable, est barricadé depuis deux ans pour cause de problèmes structurels majeurs.

Photo : MELANIE SANCHE

Les fonds étant alors indisponibles pour procéder aux travaux nécessaires, les familles ont dû être relocalisées dans d’autres logements abordables de municipalités avoisinantes.

Dans le cas de ce bâtiment, il s’agissait effectivement d’une fin de convention [avec le fédéral], confirme Mélanie Sanche, directrice générale de l’Office municipal d’habitation Marguerite-D’Youville, duquel relève l’immeuble.

Jointe au téléphone, Mme Sanche affirme que tout est prêt pour reconstruire le 300, rue Dominique. La municipalité de Saint-Amable a en main les plans du nouvel immeuble et n’attend plus que le feu vert de la Société d’habitation du Québec pour procéder aux travaux.

Mais les discussions stagnent. Il n’y a rien qui se passe, déplore Mélanie Sanche. On a fait plusieurs demandes, on est prêts, on a les plans, on veut démolir et reconstruire. Mais on n’a pas de financement, et pas d’autorisation pour commencer les travaux.

Pendant de ce temps, elle affirme recevoir chaque semaine des appels des familles relocalisées, qui souhaitent revenir dans leur milieu de vie.

Questionnée sur la teneur du budget RAM alloué par la SHQ à son office d’habitation, Mélanie Sanche dit n’avoir à sa disposition que 345 000 $ pour couvrir 8 immeubles qui totalisent 148 logements. Aucun de ces bâtiments n’a une cote de vétusté supérieure à C (acceptable) et, dans la majorité des cas, leur convention d’exploitation est échue.

Avec mon budget actuel, j’en ai à peine assez pour refaire deux toits qui coulent. Après, il ne reste plus rien, affirme Mme Sanche. Elle précise que l’OMH Marguerite-D’Youville aurait besoin d’un budget de 5 millions pour remettre l’ensemble de son parc HLM dans un état jugé acceptable.

J’ai l’impression que certains immeubles sont sur du temps emprunté. Ils sont habitables encore, mais pour combien de temps?

Une citation de Mélanie Sanche, DG de l’Office municipal d’habitation Marguerite-D’Youville

L’espoir du retour du financement fédéral

En 2017, le gouvernement Trudeau annonçait le retour de la participation du fédéral dans la construction et la réfection de logements sociaux. Après trois ans de négociations, le gouvernement Legault a ratifié en septembre 2020 avec Ottawa une entente, qui prévoit un investissement fédéral de 2 milliards de dollars sur 10 ans.

Le deuxième volet de l’entente prévoit 1,1 milliard de dollars pour l’entretien et la réparation du parc public déjà existant, ce que confirme le cabinet de la ministre Laforest.

Dans le cadre de la nouvelle entente Canada-Québec sur le logement, des sommes additionnelles seront d’ailleurs consacrées à la rénovation des HLM au cours des prochaines années.

Une citation de Andrée Laforest, ministre des Affaires municipales et de l'Habitation

Toutefois, la répartition de ces montants est laissée à la discrétion de Québec. La ministre Laforest a annoncé la tenue de consultations avec différents acteurs du milieu qui doivent se tenir en mars.

Du côté de l’OHM Margueritte-D’Youville, Mélanie Sanche fonde beaucoup d’espoir sur ce retour des investissements fédéraux. Il faut en avoir, de l’espoir. Maintenir nos actifs, c’est important. Il faut maintenir en état les logements qui sont habités en ce moment, dit-elle.

Elle dit oser espérer que cette nouvelle entente débloque les fonds nécessaires pour que le dossier du 300, rue Dominique aille enfin de l’avant, avec l’aval de la Société d’habitation du Québec.

La SHQ, qui sera chargée d’administrer ces sommes, n'a pas souhaité nous accorder d'entrevue.

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