Photographie de Robert Doisneau
Patron, remplissez les pichets,
Aujourd’hui c’est jour de débauche !
Violoncelle, un bon coup d’archet
Pour tes airs de la Rive Gauche.
En buvant le soir à Paris,
On traite des sujets immenses ;
Et quand chacun est un peu gris,
On se sent rempli de clémence.
Le vin blanc est tenu au frais
Juste à côté du jus d’orange ;
Et d’autres breuvages sont prêts
Pour ceux qui ont le goût étrange.
L’un demande un café au lait,
L’autre une anisette, il me semble,
Hâtez-vous, patron, s’il vous plaît,
Il nous tarde de boire ensemble.
Donnez-nous des vins étrangers
Et des dattes de Palestine,
Des gâteaux de fleur d’oranger
Et des grillades de sardines ;
Du vin des vignes de Sion,
Du nougat, des crêpes dentelles,
Et des fruits de la Passion
Et des tranches de mortadelle.
Parmi le murmure des voix
Nul n’aperçoit le temps qui passe,
Tournent comme chevaux de bois
Les heures dans l’ombre avec grâce.
Un buveur parle avec les mains,
Un autre fait des gestes vagues
Et dit, de sa voix de gamin,
Des anecdotes et des blagues.
Un autre fouille sans effroi
Dans les profondeurs de son âme ;
Le dernier se prend pour un roi
Mais tremble devant une femme.
De leurs yeux à moitié ouverts
Ils voient les faces coutumières ;
Le reflet d’un liquide vert
Met du destin dans la lumière.
Ils ont moins soif, ils ont moins faim,
Et leur regard qui tout englobe
Admire les corps féminins
Et les vives couleurs des robes.
Voici Dionysos triomphant
Qui leur parle, sans mignardises,
De sa voix d’éternel enfant
Qui se gave de friandises.
Et la muse du cabaret
Qui capte ce discours en marche
L’écrit sur la nappe, à grands traits,
Pour en retenir la démarche.
Ainsi se sont passés mes jours :
Il faut que j’en trace la fresque
Mise en couleurs, avec amour.
Ça pourra vous amuser… presque.
Cochonfucius