Au coeur de l’Héraldie, chapitre 2.

Moi, le Fringant papillon aidé de mes deux cannes: l’Espoir et la Responsabilité et fortifié par mon blason entièrement recoloré, je m’aventurai alors sur les chemins de l’Héraldie. Les Héraldiens qui m’apercevaient ne savaient pas s’ils devaient rire ou pleurer, en effet ma démarche était incroyable: j’ avançais par déplacement d’équilibre en m’appuyant sur mes deux cannes afin de ne pas tomber. La surprise que créait une telle démarche, incitait les Héraldiens à rire, mais d’autre part, on sentait en moi une telle détermination à aller plus loin malgré les difficultés que, quelque part j’inspirais le respect.
Sur les chemins de l’Héraldie, je songeais au fait que je n’étais plus vide, l’illusion qu’était Antoinette n’avait plus aucun pouvoir sur moi, mais il restait la souffrance d’Antoinette, celle-ci était bien réelle. Où était-elle passée? que devenait-elle maintenant que son image était brisée par mon regard? Il ne fallait pas l’abandonner mais la considérer telle qu’elle était, c’était le meilleur moyen de l’aider à continuer à vivre.
Je serrai mon blason contre moi ce simple geste m’incita à avoir sans cesse à l’esprit que j’existe, sentir que j’existe, exister enfin pour qu’Antoinette s’aperçoive que, quoi qu’il advienne, moi, le Fringant papillon j’étais toujours là, mais que sa vie ne dépendait pas de la mienne. Mais cette prise de conscience de la part d’Antoinette serait-elle suffisante pour qu’elle se reconstruise, prenne confiance en elle et puisse exister par elle-même enfin?

Il fallait donc absolument trouver le nouveau blason d’Antoinette, songeai-je , pour qu’elle se rende compte de sa nouvelle existence. Alors, après ces réflexions, aidé de mes deux cannes, couvert par son blason, je me dirigeai vers le Centre de Recherche des Blasons.
Après plusieurs jours de marche, j’arrivai à l’orée d’une contrée plus qu’étrange: un bâtiment ocre se dessinait au sein d’une forêt si luxuriante qu’elle en était presque inquiétante, comme si la nature allait dévorer le reste d’humanité qui résidait là. Mais je n’avais pas le choix, il fallait aller de l’avant, de plus, entre nous, j’ aime bien les forêts. Je me remis donc en marche, grâce à mes deux cannes et avec mon blason. Paradoxalement ce dernier n’avait jamais été si coloré, si net, si vivant qu’au sein de cette forêt.

Sans aucun doute j’ approchais du Centre de Recherche des Blasons! Je me dirigeai donc vers le bâtiment ocre et frappai à la porte: «  Qui est -là? répondit une voix
-je m’appelle Fringant papillon, je suis exténué, je connais une Héraldienne qui n’a pas de blason, c’est grave, il faut que vous m’aidiez, je vous en prie, ouvrez-moi.
-Qui est cet Héraldienne? Reprit la voix.
-Elle se prénomme Antoinette
-Ah oui! je suis au courant, vous êtes fou Fringant papillon! Vous ne parviendrez jamais à constituer son blason.
-Je sais, on me l’a déjà dit, mais entre votre « jamais » et le retour vers le « vide », que voulez-vous que je choisisse?
-Ah! si vous me présentez les choses ainsi, je peux comprendre! eh bien en effet! il vaut mieux défier le « jamais » plutôt que de retourner vers le « vide ». Entrez donc Fringant papillon».
La vieille porte s’ouvrit, elle grinçait tant, qu’on comprenait aisément que très rarement les Héraldiens étaient autorisés à entrer. Peu importe! J’ étais si fatigué, je désirais tant combler le vide de l’humiliation et sauver Antoinette de l’autodestruction que j’entrai dans l’enceinte du Centre de Recherche des Blasons. La lourde porte se referma derrière moi. Plusieurs blasons m’encerclèrent, ils étaient tous identiques : vides.

Je compris alors que j’étais dans l’enfer des blasons : tous étaient vides, sans couleur ni meuble ni partition, c’était affreux mais ce n’est pas tout, je vis ensuite un horrible blason s’avancer vers moi : le Maître du vide

Ecartelé d’or et de plaisir
à la vanité brochant sur le tout,
l’écu surmonté d’un masque cornu
aux lambrequins de strasse griffée.
Devise :
Pareo ergo sum. (Je parais donc je suis.)

Il représentait le vide absolu, la négation de la vie, l’absence d’amour,  et mon sang se glaça, j’aurais voulu disparaître, mais non ! j’étais venu pour contrer le vide et non pour être anéanti par lui . Quelle était cette comédie ou plutôt cette tragédie? Que faire? Moi qui voulais contrer le vide, pourquoi me retrouvais-je en face de lui? C’était absurde. Devant une telle vacuité mon blason se vida instantanément de ses couleurs.

Le Maître du vide s’approcha de moi et déclara:
« Si tu veux vraiment contrer le vide, tu dois l’affronter et l’évacuer de toi. Certes tu l’as déjà rencontré et tu l’as reconnu en toi, mais maintenant comment vas-tu pouvoir vivre sans lui, toi qui a toujours vécu autour de ce vide et en fonction de lui? Tu dois apprendre à vivre sans le vide qui t’ habite encore puisque tu ne l’as pas encore évacué. Pour l’instant tu n’es rien et tu ne peux donc rien faire » .
Ces paroles me blessèrent, mais je reconnus néanmoins que je n’étais encore rien puisque je venais de naître à l’existence depuis que j’avais compris la véritable nature d’Antoinette. Je devais maintenant construire mon identité sans l’image d’Antoinette en moi. Alors je répondis : «  Je suis prêt.
– Ce n’est pas facile Fringant papillon je te préviens! Maintenant, je te laisse, bonne chance.»
Je me retrouvai alors dans une forêt si obscure, si amère, que la mort doit l’être à peine plus. Un chat s’avança vers moi, il était si maigre, si plein de faim enragé, il me fit sentir un tel accablement que je perdis l’Espoir, la canne qui m’aidait à me tenir.
La forêt obscure où je me trouvais me semblait être un lieu où la lumière s’était tue. Seul un vent violent animait cette forêt. Je ressentis alors que j’étais rongé d’insatisfactions et de solitude puisque jusqu’à présent aucune relation réelle avec personne n’avait été possible. En effet les autres lorsqu’ils me rencontraient se heurtaient au vide absolu que j’étais, se heurtaient à la comédie que je jouais pour leur faire croire que j’existais afin qu’ils ne me rejettent pas. Je me sentais en fait comme le grand chat que j’ avais aperçu quelques instants auparavant, dévoré d’insatisfactions et bouillonnant de l’intérieur! Cependant, mes yeux commençaient à s’habituer à l’obscurité, je réalisai alors que dans cette forêt, à part les grands arbres qui s’agitaient dans la tourmente du vent, seuls quelques rochers noirs existaient. Une pluie noire et glaciale se mit à tomber, à tel point que je sentis mes pieds s’immerger dans l’eau boueuse. Vraiment j’avais perdu l’Espoir! La pluie cessa, et seul le vent infernal continua sa tourmente, ce vent était chaud et desséchant, la chaleur devint bientôt si insupportable que j’ eus la sensation de bouillir sous une pluie de feu. Je compris alors que dans ce lieu obscur j’ étais en présence du blason du désespoir qui s’avançait vers moi :

Les yeux d’or signifiaient que le chat était intelligent, il souffrait donc d’autant plus de la tristesse qui l’habitait ainsi que du néant dans lequel il se trouvait. Néant qui ne pouvait combler toutes les insatisfactions qui le rongeaient. Il était la matérialisation du néant actif. Ce blason acheva de m’accabler tout-à-fait. Je sentis que j’allais mourir, que j’ allais disparaître à tout jamais dans l’obscurité. Je m’appuyai désespérément sur la canne de la Responsabilité, mais comment être responsable quand on est vide? Je me mis alors à penser à mes amis résistants, n’avaient-ils pas fait tout leur possible pour moi? La Flamme avait tenté de me transmettre son feu intérieur, l’Acteur m’ avait suggéré de combler mon vide par la grande représentation de la vie qu’est le théâtre, le Prêtre m’ avait donné la Responsabilité et l’Espoir, L’Aigle avait toujours gardé un équilibre exemplaire face à mon vide et l’Arbre m’avait emmené chez Myriam afin que je prenne conscience de mon vide qui entretenait l’illusion qu’était l’Humiliation. Non vraiment, je ne pouvais pas finir ainsi! Je regardai le papillon de mon blason décoloré, comment était-ce possible? Où était le Taureau? Il fallait qu’il me recolore d’urgence ! Je me souvins alors d’un sentiment lumineux: la confiance. Le Taureau, l’Arbre, la Flamme, l’Acteur, l’Aigle et le Prêtre ne m’ avaient-ils pas fait confiance en m’ offrant le meilleur de ce qu’ils possédaient? La confiance en l’autre, n’était-ce pas le risque qu’il fallait prendre pour sortir du vide? Au moment même où cette pensée me traversa l’esprit, la clef de mon blason  retrouva sa belle couleur d’argent, je venais de découvrir la clef de l’existence pour sortir du vide: la confiance.

Alors les ocelles du papillon de mon blason retrouvèrent aussi leur belle couleur de sinople, symbole de liberté, de joie, de santé, d’espoir et d’honneur. J’ avais également retrouvé l’espoir. J’avais gagné. Victoire! Je n’avais plus besoin de la canne de l’espoir, il faisait partie de moi désormais, je l’avais individué. Je pouvais reprendre ma route maintenant, je savais que je gagnerai quoi qu’il advienne.

Maintenant, que j’avais quitté l’état de vide absolu grâce au sentiment de confiance, je me confrontai à la question de l’altérité. De mes relations à l’autre dépendait mon intériorité, c’est-à-dire mon existence au monde car je venais de comprendre qu’il fallait être en communication avec le monde pour exister. Je sentis alors qu’une infinité de possibilités s’ouvraient à moi. Qu’était-ce qu’une relation à l’autre? L’autre par définition, c’est celui qui est différent, c’est donc celui qui s’oppose à soi en tant qu’autre, mais c’est aussi celui qui éclaire vers du nouveau. C’est ainsi que naquit mon premier principe de vie:
« Être à l’écoute de l’autre sans arrière-pensée, juste pour découvrir la nouveauté que peut être l’autre »
Il se produisit alors sur mon blason un phénomène exceptionnel, les ailes de mon papillon retrouvèrent toutes leurs belles couleurs.
L’écoute de l’autre à la place de la peur de ce qui est différent, était maintenant devenue une évidence pour moi. D’ailleurs autour de moi la forêt obscure avait disparu. Je me retrouvai maintenant sur une grande plage et je distinguai quatre étoiles, ces quatre étoiles s’appelaient: la Sirène, l’Aigle, le Renard et le Dragon. Je compris que c’était vers l’une d’elle qu’il fallait marcher. J’ étais heureux car je n’avais plus besoin de la canne de l’Espoir, il faisait partie de son intériorité. Je savais maintenant que j’existais et que pour rencontrer les autres, il fallait savoir les entendre et surtout respecter l’espace de parole qui existe entre deux individus, là se situait l’antidote au vide.
La théorie est toujours simple, la pratique l’est beaucoup moins, je ne me doutais pas de ce qui m’attendait. Quelle direction allais-je prendre? L’étoile de la Sirène brillait plus que les autres, sans doute indiquait-elle l’orientation à prendre.
Une sirène fut donc ma première vraie rencontre, elle était sur un rocher, éclairée par la lumière de la lune, elle chantait de sa voix douce et mélodieuse.
Lorsqu’elle m’aperçut , elle me sourit. J’étais fasciné et enchanté par le fait de me retrouver près d’une sirène, je m’assis donc à côté d’elle. Nous conversâmes, la sirène me questionna, s’intéressa à moi, c’est du moins ce que je pensais. Nous étions si différents! Au bout d’un certain temps j’ expliquai à la sirène qu’il fallait que je poursuive ma route, mais cette dernière semblait souhaiter que je restasse auprès d’elle. Nous passâmes alors une bonne partie de cette nuit de pleine lune à observer la mer, à examiner les coquillages, à parler de l’Univers. Au petit matin, alors que le soleil commençait à poindre, plusieurs sirènes surgirent de l’eau et rejoignirent leur compagne. Celle-ci se tourna vers moi et me dit d’une voix sans émotion aucune:
« Je m’en vais maintenant, j’étais seule, c’est pour cela que je t’ai retenu, c’était pour tromper ma solitude, maintenant je n’ai plus besoin de toi, j’ai retrouvé mes amies, tu ne m’intéresses plus. »
Et elle plongea avec ses compagnes au fond de l’océan. Je me demandai si je n’ avais pas rêvé. Peu importe! la leçon restait inscrite dans mon esprit. Ainsi une relation à l’autre pouvait être une pure comédie. L’autre pouvait faire semblant de vous rencontrer simplement parce qu’il a besoin de vous! Je compris pourquoi j’ avais mis tant de temps à accepter d’exister. Exister c’était se confronter à l’égoïsme des autres, aux fausses relations, celles où chacun ne songe qu’à s’ auto-satisfaire. Exister c’était accepter de souffrir. Mais je n’avais pas le choix, il fallait exister pour qu’Antoinette le puisse aussi, et il fallait trouver son blason car il était inadmissible qu’une Héraldienne puisse se passer de blason, cela rompait l’équilibre de l’Héraldie et laissait un espace à l’Humiliation.
Je m’appuyai alors fortement sur ma canne de la Responsabilité car cette nuit avec la sirène m’avait épuisé. Je m’allongeai au pied d’un pin parasol et m’endormis en ayant pris soin néanmoins, de bien ranger ma canne et mon blason. Au cours de mon sommeil, je fis un songe:
« Je me trouvais avec mes amis résistants et nous discutions des relations humaines. Moi, le Fringant papillon, je soutenais sans aucun scrupule que les relations humaines n’étaient que des nécessités afin de tromper la solitude de chacun. La vie n’était alors qu’un passage dans l’univers où chacun prétendait vivre les uns avec les autres, alors qu’il n’en était rien, chacun vivait pour soi »

Je m’éveillai glacé d’épouvante, c’était sûrement la rencontre avec la sirène qui m’ avait inspiré ce rêve. Mais je finis par me ressaisir: l’existence ne pouvait pas n’être qu’une vaste tromperie. L’Arbre n’avait eu aucun intérêt à m’aider, ni le Taureau, ni l’Acteur, ni le Prêtre, ni l’Aigle, ni la Flamme, ce qui les liait était d’un autre ordre que l’intérêt immédiat et individuel, ils avaient un objectif commun: que l’Héraldie soit un espace de Vie positive où chacun aurait sa place et sa raison d’être. Je quittai alors la plage et me dirigeai vers l’étoile de l’Aigle, cette direction me conduisit vers un splendide paysage montagneux. Sans tarder une grande Aigle plongea vers moi.

Son regard se fixa sur le mien, elle m’adressa la parole:
« Veux-tu être mon ami? »
Fort de l’expérience précédente, je lui répondis: « Pourquoi le serais-je?
-Parce que je te connais et j’ai beaucoup à t’apprendre, je sais que tu as connu le vide, tu cherches à exister dans ce monde, à te placer par rapport aux autres et à savoir qui tu es, je peux te l’enseigner.
-Pourquoi le ferais-tu?
-Je viens de l’étoile de l’Aigle, tu es sortie de l’enfer des blasons parce que tu as réalisé qu’il fallait faire confiance à l’autre pour ouvrir un espace entre l’autre et toi, il faut maintenant que tu apprennes à te diriger dans cet espace. Les autres resteront toujours les autres, il faut que tu saches ne pas te laisser envahir et détruire par eux, maintenant que tu es entré en contact avec les autres et  que tu n’es plus vide, tu as besoin de mon aide pour exister pleinement en relation avec les autres certes, mais également en étant toi-même. »
Je songeai que cette proposition était plutôt attirante, l’Aigle était magnifique, que risquai-je? Je regretterai sûrement de ne pas tenter cette expérience avec l’Aigle et j’ acceptai son amitié:

« Monte sur mon dos et regarde, Fringant papillon, regarde bien le monde. Avant d’entrer en relation avec les autres, songe bien que tu es dans ce monde, cette galaxie, cet univers ».

L’Aigle s’envola très haut et j’ eus l’impression que les montagnes étaient des taupinières, les lacs me semblaient être des mares, les bois: des buissons. L’air était vif et s’engouffrait dans mes poumons, je me sentais bien sur le dos de l’Aigle, je sentis que j’ existais et que j’appartenais bien à ce monde. L’Aigle amorça sa descente en tournoyant et atterrit en douceur, puis après quelques instants reprit la parole: « Tu es infiniment petit dans l’univers et pourtant tu penses que l’univers est là pour toi. Vous êtes tous comme cela, c’est votre plus grande erreur, vous vous imaginez que vous êtes le centre de l’univers. Vous envisagez l’autre comme un intrus dans votre espace parce qu’il est différent. Souviens-toi de la Sirène, elle est seule, elle ne t’a pas rencontré, elle t’a utilisé pour tromper sa solitude en attendant ses congénères, elle ne supporte et n’admet que ce qui est identique à elle, toute personne étrangère à ce qu’elle est, est rejetée. Il n’y a pas eu de relation d’échange entre vous, elle t’a humilié en te faisant croire qu’elle s’intéressait à toi, elle s’est servie de toi comme d’un objet. Sache, Fringant papillon que ce genre de comportement est fréquent, l’un se sert de l’autre parce qu’il ne le reconnaît pas comme autre à découvrir mais il le reconnaît comme étranger  à utiliser puis à rejeter.
– Je t’en prie, ne me parle pas de l’Humiliation, je l’ai supportée pendant tant d’années, pourtant elle n’est pas parvenue à me détruire, tu vois j’existe encore.

-C’est exact Fringant papillon, malgré toutes les humiliations que l’autre a pu t’infliger, tu existes encore, même Antoinette n’est pas parvenue à  t’anéantir par l’humiliation, il restait en toi le désir d’exister, ce désir est indestructible.

– Tu connais Antoinette? Je l’aimais tant!

– Mais tu l’aimes toujours et elle également, je dirais même plus, votre amour peut enfin exister sainement.

– Tais-toi, Antoinette souffre horriblement, elle n’est plus elle-même, la réalisation de mon existence l’a anéantie.

-Elle est elle-même. Un être de souffrance qui se servait de toi en t’aimant pour contrer cette souffrance, tu étais le symbole de sa victoire contre la souffrance, or tu n’es que toi-même, tu dois trouver cette personne qui est toi et non pas le produit de la souffrance d’Antoinette. Aucune Humiliation ne peut atteindre ton existence, tu es dans l’univers, tu dois y trouver ta place. Je vais partir maintenant, Fringant papillon, tu dois encore rencontrer le Renard et le Dragon.

– Je ne les connais pas.

– Tu les connais, tu sais bien qu’ils sont  au fond de toi-même. Fais confiance au maître du vide, s’il t’a mis au défi, sache bien qu’il sait ce qu’il fait, mais il te présentera tes pires ennemis. »

L’Aigle me regarda une dernière fois de son regard perçant, puis s’envola. Je la suivis des yeux jusqu’à ce qu’elle eut disparu, je ne voulais pas perdre une seule image de cet oiseau magnifique qui offrait ainsi tant d’apaisement et de confiance. Je repris mon blason, qu’il était beau avec toutes ses couleurs!  j’ avais l’impression que mon blason stimulait en moi le sentiment de la joie.
L’Aigle ayant disparu,  je continuai mon chemin, je me demandais bien comment j’ allais trouver le blason d’Antoinette, je ne voyais pas vraiment son  rapport avec la Sirène, l’Aigle et le Renard:

« Salut, dit une voix dans un buisson »
Je m’en approchai  et de ma canne fourrageai dans les branches,
« Aïe! Reprit la voix ».

Un jeune Renard sortit alors du buisson et s’assit en face de moi en me fixant. Nous restâmes longuement assis l’un en face de l’autre à nous observer.
Lassé de cette situation le Renard prit la parole:« Alors, quand allons-nous dîner, J’ai faim moi, pas toi?
– si, mais je n’ai pas l’intention de dîner avec toi.
– C’est dommage puisque nous sommes là tous les deux.
– C’est exact, rien ne s’oppose à ce que nous dînions ensemble en effet. »C’est alors qu’un phénomène surprenant se produisit, le Renard fut immédiatement entouré  d’une Renarde et de trois adorables Renardeaux, ils s’apprêtaient tous à déguster un gros jambon et quelques poules. Tout en me conviant à les rejoindre ils entamèrent leur repas joyeusement. Enfin repus et satisfaits, ils  s’allongèrent à l’ombre d’un pommier et se racontèrent leur journée puis quelques contes et fables, ils discutèrent aussi de leur avenir et se confièrent certaines de leurs pensées intimes. Le Renard se leva le premier car il devait partir chasser, il avait rendez-vous avec ses amis le Blaireau et le Loup, Dame renarde rejoignit ses amies, elles devaient se rendre à l’étang pour y pêcher, quant aux Renardeaux, ils retrouvèrent leurs camarades pour jouer. Avant de se quitter ils se promirent de se retrouver avant le coucher du soleil. Je me retrouvai donc seul, interdit, je m’assis sur un rocher et réfléchis: que signifie ce Renard? il vit très bien sans moi, pourquoi l’ai-je rencontré? Mieux vaut que je reste ici, ils ont dit qu’ils reviendraient avant le coucher du soleil! En effet quelques heures plus tard le Renard revint.
« Quelle est la signification de tout ceci Renard? A quoi cela sert-il que je reste là à attendre, j’ai à faire moi, je dois trouver le blason d’Antoinette.
– Mais Fringant papillon, comment veux-tu ne pas être vide si tu considères les autres ainsi? Si tu ne t’intéresses pas aux autres, comment veux-tu qu’un lien existe entre toi et l’autre? Tu dois entrer dans la vie de l’autre, ainsi il t’apportera autre chose que ce que tu es, cela t’épanouira et tu verras comme ton existence commencera à être réelle, mais si tu ne fais que poursuivre tes objectifs sans prendre le temps de les vivre avec les autres, très vite tu t’essouffleras car ton existence ne sera qu’une course vers un objectif qui, finalement te semblera vain. Profite de tes désirs pour t’ouvrir le plus possible aux autres, seules les relations avec les autres valent la peine d’être vécues. Tu aurais dû venir avec nous, partager notre repas, t’asseoir, écouter notre conversation et exprimer ce que toi, tu avais à dire. Chaque expérience avec l’autre est enrichissante. Surtout, et j’insiste sur ce point, surtout lorsque tu restes libre et que  ta relation à l’autre n’est pas aliénante, ce que je veux te dire, c’est qu’au cours d’une expérience commune, l’autre t’apporte ce qu’il est et toi tu lui offres ce que tu es, ensuite vous restez vous-même mais plus riches de la vie de l’autre. Toujours ensuite, tu gardes le souvenir de ce que tu as vécu avec l’autre qui est néanmoins resté lui-même, mais plus grand comme toi-même tu l’es devenu. Si tu t’étais intéressé à nous tu aurais vécu avec nous une expérience qui t’aurait construit. Réfléchis à cela Fringant papillon, tu ne peux pas te passer de l’autre et simultanément tu ne dois pas laisser l’autre t’envahir, c’est de cette rencontre avec l’autre que naît la vie. »
Le Renard rassembla sa famille et repartit dans la forêt, me laissant là  stupéfait et abasourdi. Quel flot de paroles sur l’altérité! Mais bon ce n’était pas le tout, il fallait trouver le blason d’Antoinette, quel personnage allais-je maintenant rencontrer? A peine eus-je achevé ces réflexions que l’étoile du Dragon se leva dans le ciel et qu’un grondement sourd se fit entendre, ce grondement se rapprochait, il était accompagné d’un souffle profond, qui était-ce encore? Songeai-je. Surgit alors de la forêt un Dragon, un Dragon comme on n’en voit jamais: furieux, écarlate, animé d’une énergie telle, qu’on ne pouvait songer un instant pouvoir le calmer.

Il s’arrêta devant moi, je ne savais que faire, prendre la fuite était dérisoire… l’interroger? Mais aucun son ne put sortir de ma gorge. Le Dragon semblait interdit également, comme s’il me connaissait depuis fort longtemps. j’ avais presque envie de rire de moi-même car je sentais que j’aimais ce Dragon, qu’il était même ma propre énergie, je songeai un instant au discours du Renard sur la rencontre, mais comment rencontrer un tel personnage? que partager avec lui? Le Dragon agitait sa queue dans tous les sens, soufflait tant qu’il pouvait, crachait du feu sur tout ce qui bougeait. Cependant c’était comme si je communiquais avec ce Dragon et cela sans se parler, comme si nous nous connaissions depuis toujours et le Dragon semblait me dire:
« Je souffre, je souffre, pourquoi ne fais-tu rien? Je vais te tuer si tu continues, tu dois m’aider, qu’est-ce que tu attends? » et je semblais lui répondre:
«  Que veux-tu que je fasse? Calme-toi déjà. Qui es-tu? Je ne te reconnais pas vraiment.
– Je suis comme cela parce que les autres se moquent de moi. Le monde est mauvais, je suis supérieur aux autres parce que moi je ne me moque de personne, je vais me construire un monde où le respect des autres sera la règle, viens avec moi.
-Mais que fais-tu là  dans cette forêt, seul et furieux, et tu veux reconstruire le monde en plus?J’ai croisé un Renard qui m’a expliqué que pour construire la vie donc le monde, il fallait rencontrer les autres tout en restant soi-même, rencontrer les autres, échanger avec eux tout ce qu’on pouvait, de cette échange résultait la vie. J’ai croisé une Aigle qui m’a montré combien le monde déjà existant était riche, j’ai aussi croisé une Sirène hypocrite et finalement fort seule puisque uniquement capable de supporter ses semblables. Sais-tu pourquoi les autres se moquent de toi?
-Parce que je suis différent.
-J’ai appris que ce n’était pas une raison suffisante, au contraire la différence construit la vie. Es-tu certain que tout le monde se moque de toi? Ce n’est peut-être que ceux qui sont comme la Sirène, incapable d’envisager la différence? N’est-ce pas autre chose en toi qui fait que tu ne vois que ceux qui se moquent?
-Et quelle serait cette chose qui ferait que je ne vois que ceux qui se moquent de moi? Pour qui me prends-tu petit idiot? Crois-tu que je ne sois pas capable de voir la réalité en face?
-Que de questions Dragon, du calme! Je pensais que peut-être, comme moi, la conscience de ton existence se résumait à un sentiment de vide intérieur qui t’empêche de rencontrer véritablement les autres, et je voulais te dire que le sentiment de vide est le premier ennemi à abattre. Si tu sais que tu es vide tu commences déjà à ne plus l’être et ensuite, paradoxalement, c’est en tenant compte des autres et de leur différence que finalement ton intériorité commence à se tisser et à t’apparaître comme réelle et non vide.
-Mais si tu continues à délirer ainsi, je vais de tuer Fringant papillon car tu m’énerves, tu dis n’importe quoi, je ne connais pas ton sentiment de vide, bien au contraire, je suis le meilleur, le reste du monde est médiocre, je vais le changer.
-Alors c’est sans doute que tu cherches à me protéger du vide Dragon, voilà tout. En étant le meilleur, le plus fort, tu crois que tu peux combler mon vide. Mais sache bien que si je suis ici dans cette forêt, c’est entre autre pour te dire que je n’ai pas besoin de ta protection, même si ce fut toi en effet, qui, il y a fort longtemps fut mon protecteur. C’est terminé maintenant, je peux exister par moi-même, j’ai réalisé qu’Antoinette n’était pas une créature parfaite, Antoinette souffrait et j’ai voulu atténuer sa souffrance à tel point que  toute son existence avait pris la place de la mienne, mais c’est fini, Antoinette est vaincue, elle apparaît telle qu’elle est: un être de souffrance, je le sais maintenant et c’est en existant que je pourrai atténuer sa souffrance et te faire abandonner l’illusion qu’il faut absolument combler le vide qu’Antoinette sans le vouloir d’ailleurs, a créé en moi.
-Mais que vais-je devenir moi alors? Qui suis-je? Si je devais te protéger du vide, tu n’as pas le droit de me détruire en m’enlevant ma raison d’être. »

Ivre de douleur le Dragon se rua sur moi et  me frappa de toutes ses forces, la violence des coups étaient telle que je tombai à terre. De grosses larmes coulaient de mes yeux, je ne savais pas si ses larmes étaient dues à la souffrance de voir le Dragon dans un tel état ou à la souffrance des coups qu’il m’ infligeait, j’allais perdre connaissance, j’ entendis juste le souffle du Dragon, il allait cracher une flamme fatale pour moi, quand une voix se fit entendre : « Dis-donc toi, pour qui te prends-tu? Cesse immédiatement »
Le Dragon se retourna et distingua dans sa colère, le Taureau-Soleil.

le Soleil lumineux, chaud et joyeux mais aussi, le Taureau furieux, impitoyable et injuste. C’était la tendance Taureau furieux qui dominait en ce moment. Le Dragon resta un instant interdit comme s’ il craignait le Taureau-Soleil mais finit par se ruer sur lui. Ce dernier puisa alors sa force dans le Soleil et asséna au Dragon un coup de corne si puissant que le Dragon, en hurlant de douleur et fou de rage, partit se ressourcer dans un endroit de lui seul connu. Pour le remercier je souris faiblement au Taureau-soleil et tombai, sans connaissance. Personne ne sut jamais que c’était la douleur de voir le Dragon et le Taureau-Soleil se battre à mort qui me terrassait. Lorsque je repris connaissance, Taureau-Soleil se tenait près de moi, un sourire lumineux éclairait son visage, Taureau-Soleil en effet était fasciné par les couleurs de mon papillon, de me voir ainsi recouvrer mes forces le réjouissait. « qu’est devenu le Dragon? » demandai-je faiblement. « Il est parti répondit Taureau-Soleil»

Je réalisai alors qu’il fallait absolument que  le Dragon prenne conscience de son existence, qu’il abandonne l’illusion d’être le seul capable de détruire l’Humiliation et le vide qu’elle engendre. Il fallait que le Dragon réalise et accepte que moi, le Fringant papillon, j’étais libéré du vide et qu’il pouvait abandonner  la lourde responsabilité de me protéger de lui. Mais comment pouvait-on aider le Dragon  à regarder cette nouvelle réalité en face, comment pouvait-il abandonner cette confortable position de défenseur-protecteur lui-même protégé par moi puisqu’il combattait l’Humiliation et le vide? Ce qui était insupportable pour lui maintenant c’est que je ne  le protégeai plus puisque je  savais qu’en le protégeant je le détruisais en lui faisant croire que j’avais besoin de lui et qu’il avait besoin de moi. Je l’empêchais alors d’être lui-même. Telle était finalement la nature du véritable amour: absolu et absolument libérant.
Le vrai Soleil réchauffe et éclaire le monde, personne normalement, n’est par lui, enchaîné dans l’ombre. J’ avais rencontré ce curieux blason versatile qui pouvait être un Soleil radieux et apaisant mais aussi un Taureau violent et cruel. Sans doute le Dragon avait-il peur de cette instabilité, sans doute croyait-il que le reste des Héraldiens étaient ainsi, tantôt souriant tantôt violent et cela sans aucune raison apparente ! Il fallait qu’il comprenne qu’il n’en était rien et qu’il était inutile de sombrer dans la violence par peur à chaque fois que  Taureau-Soleil passe du sourire à la colère,  qu’il cesse de sombrer dans l’angoisse face à une telle instabilité, il fallait qu’il apprenne à résister au Taureau-Soleil mais non par la violence mais en ne se laissant pas envahir par cette instabilité. Maintenant je comprenais d’où venait la colère du Dragon, elle venait du vide et de l’instabilité, il écumait de rage car il était dévoré par cette angoisse, il fallait qu’il trouve l’apaisement de l’existence pleine et lucide.
J’ étais maintenant prêt à quitter le Centre de Recherche des Blasons pour que le le Dragon et Antoinette trouvent  leur place dans l’Héraldie comme j’avais commencé à trouver la mienne et pour cela  il fallait qu’ils affrontent leur peur du Taureau-Soleil si déroutant par son instabilité.
C’était cela que m’avait appris le Dragon, Antoinette avait peur de l’instabilité qui entretenait son vide intérieur. Quand je l’aurai trouvé, son blason sera sûrement magnifique! Pensai-je.

Fin du Chapitre deux

Une réflexion sur « Au coeur de l’Héraldie, chapitre 2. »

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Héraldie, seconde fondation: 13 mars 2017. (Héraldique et Poésie)

Héraldie est né le 30 avril 2012, ceux qui l'ont fondé sont maintenant partis. Mais moi, Le Fringant Papillon, je reste dans ses jardins pour butiner ses fleurs. C'est là aussi que l'Enchanteur aux mille poèmes a un atelier.

Hortus Closus

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