Un hommage à Pouchkine

Bugac-H.jpg

Blason du  village de Bugac ( Hongrie)

Le fier Oleg sur un cheval
De son palais s’éloigne ;
Plus d’un ministre et d’un vassal
De sa grandeur témoignent.

Ils trouvent, au bout d’un moment,
Pas très loin du rivage,
De vénérables ossements
Sous les herbes sauvages.

Le prince a posé son soulier
Doucement sur le crâne
Du cheval, jadis familier ;
Puis il parle à ses mânes.

— « Dors, solitaire compagnon,
Te survit ton vieux maître ;
Et quand mes derniers jours viendront,
Tu ne pourras renaître
Pour offrir ton sang chaleureux
Sur ma tombe vermeille ».

Mais caché dans l’ossement creux
Un serpent se réveille :
Il s’enroule autour du talon
Comme une corde mince.
À peine un cri, ce n’est pas long,
Et c’est la fin du prince.

Cochonfucius

Le conte de Pouchkine

vasnetzoff

Toile de Victor Vasnetsoff

Ce conte de Pouchkine sur l’amitié, Le prince Oleg, m’a toujours beaucoup impressionnée, et cela depuis l’enfance :

Chevauchant son noir destrier, le prince Oleg s’en va par les sentiers de la forêt profonde combattre les Kamirs qui ont attaqué son royaume. La lumière de la lune filtrant à travers les arbres illumine sa cuirasse et l’étoffe brodée qui recouvre sa monture. Il galope sans fin dans les sentiers solitaires et l’ardeur de la lutte prochaine fait voler dans la nuit cavalier et cheval. La terre frémit sous les sabots qui la foulent et les feuilles murmurent, agitées par le vent de la course. Cependant, l’angoisse s’est insinuée dans le cœur d’Oleg. Quel sort lui a été réservé ? Conservera-t-il la vie, demain, sur le champ de bataille ?

   Brusquement, le cheval fait un écart et s’arrête en poussant un long hennissement. Devant eux, écartant les buissons, apparaît la silhouette haute et décharnée d’un vieillard revêtu d’une tunique blanche en haillons. C’est la prophète Agal qui vit en solitaire dans les bois, se nourrissant de racines et d’herbes et buvant l’eau claire des sources.

   Le prince s’incline sur sa monture et interroge :
– Dis-moi, Agal, toi qui connais le passé et l’avenir, toi qui comprends le langage des astres et le chant des oiseaux, peu-tu me révéler mon destin? Mourrai-je sur le champ de bataille ou sous la main d’un traître ? Les vagues de l’océan rouleront-elles mon corps? Ou bien connaîtrai-je longue vie et bonheur ? Réponds-moi et je te laisserai choisir ce qu’il te plaira parmi les trésors de mon immense royaume.
– Je ne demande aucune récompense, Ô prince, répond gravement le prophète. Je te dirai cependant ce que je vois dans ton avenir. Tu auras une vie longue et glorieuse. Tu navigueras sur les mers démontées, tu livreras de sanglantes batailles à tes ennemis, tu connaîtras les trahisons et les maladies. Mais tu surmonteras toutes les difficultés et atteindras un grand âge. La mort te viendra par ton cheval, celui que tu montes en ce moment.
– Mais il est mon plus fidèle ami, s’exclame Oleg en sursautant.
– Je le sais. Et pourtant c’est à travers lui que la mort t’atteindra.

   Oleg demeure pensif. Enfin, il met pied à terre, appelle le palefrenier qui le suivait à quelques pas et lui remet les rênes de sa monture.
– Conduis-le dans un pré, dit-il. Fais-lui manger de l’herbe fraîche et de l’avoine; donne-lui à boire de l’eau de source. Couvre-le d’un chaud manteau et mets-le à l’abri de tout péril. Mais veille à ce qu’il ne m’approche plus.

   Le prince flatte une dernière fois l’animal puis, montant sur le cheval que lui tend le palefrenier, il pique des deux et disparaît dans la forêt sombre.
La bête docile galope à perdre haleine dans la nuit, menant au combat un homme qui pleure la perte de son plus fidèle compagnon.
Les années passèrent…Oleg, toujours victorieux, allait de guerre en guerre, de péril en péril. Mille fois, il affronta la mort, mille fois il lui échappa.
Sa chevelure blanchit, son cœur ardent s’apaisa.

   D’autres années s’écoulèrent. Oleg, le victorieux, devint un vieillard fatigué qui se préparait pour recevoir la mort.
– Père, supplia un jour son fils, pourquoi demeures-tu confiné dans le palais ? Pourquoi ne te promènes-tu pas dans la campagne ? L’air du matin te redonnerait des forces.
– Non, mon fils, répondit le prince. Je dois me préparer à la mort et je veux que, lorsqu’elle se présentera, mon âme soit libre et forte comme l’aigle qui plane sur les sommets.
– Ne conserve pas d’aussi sombres pensées, père. Songe plutôt aux beaux jours de ta jeunesse, à tes brillantes victoires, à tes fougueux chevaux…
– A mes chevaux…Je n’en ai aimé qu’un, un cheval généreux, plein d’ardeur. Il était mon plus cher compagnon…Mais j’ai dû m’en séparer depuis longtemps et je ne sais ce qu’il est devenu.
– Appelons le palefrenier, père. Il pourra certainement te renseigner.

   Et le palefrenier arriva, essoufflé.
– Que désire mon prince? Demanda-t-il.
– J’aimerais savoir ce qu’est devenu mon vieux cheval, celui que je t’ai un jour confié. Est-il toujours fort, agile, hardi? Comment vit-il?
– Il est mort, Prince, voilà de nombreuses années et ses os reposent sur la colline, non loin du fleuve.

   Le cœur d’Oleg s’emplit de tristesse.
«Les paroles du prophète étaient donc trompeuses, pensa-t-il. J’ai abandonné sans raison mon plus fidèle compagnon!»

   Le vieillard se leva et se dirigea vers le fleuve. Son fils et le serviteur le suivait en respectant son silence.

   Sur la colline, dans l’herbe tendre, les os de l’animal blanchissaient au soleil. Le prince se pencha pour caresser d’une main tremblante le crâne du cheval.
– Tu t’en es allé avant moi, ami, murmura-t-il. Tu m’as laissé seul. Le vieux prophète avait menti…

   A ce moment, un cri de douleur s’échappa de ses lèvres. Il chancela et s’écroula à terre, mort. Un serpent s’était furtivement glissé hors du crâne du cheval et l’avait mordu à la cheville, lui injectant son venin mortel.
La prophétie s’était réalisée. Le fleuve continuait à rouler ses eaux chantantes, l’herbe de la colline se courbait sous le vent, mais Oleg gisait, mort, près de son cheval.

Conversation à partir du conte

Interlocuteur A:

Beau conte sur l’amitié mais aussi sur le destin (ou le karma, pour ceux qui sont familiarisés avec cette notion) auquel il est impossible d’échapper, malgré toutes les stratégies d’évitement. Bien entendu, l’idée d’un destin personnel ne procède nullement d’une conception mécaniste, unidimensionnelle et hasardeuse de l’existence mais induit celle d’un ordre cosmogonique. Alors tout serait écrit d’avance ? Non, pas tout, car ce serait réduire cet ordre à une mécanique implacable et le croire incapable d’inclure en lui sa propre relativité, c’est-à-dire son évolution. L’absolu n’est pas un état mais une puissance liante et absolutoire, sans laquelle l’idée même de liberté n’aurait aucune force ni aucun sens.

Interlocuteur B:

La liberté n’existerait que par rapport à un ordre cosmogonique ? cela revient à dire que notre liberté est limitée par cet ordre, peut-on alors parler de liberté ? Ce mot a-t-il encore un sens ? Ce que je retiens de votre intervention est que notre liberté ou plutôt notre responsabilité existe, certes, mais dans une limite que nous ne contrôlons pas. Quelle est cette limite ? Paradoxalement, je pense que cette limite de l’ordre cosmogonique, c’est en nous-même que nous la trouvons.
A:

L’ordre cosmogonique n’est pas simplement un état définitif mais le champ évolutif du monde phénoménal. Cet ordre ne limite pas la liberté mais lui donne un tracé et une place dans l’univers partagé, un peu comme le réseau routier qui ordonne la circulation sans pour autant empêcher de se déplacer et donc d’avancer. La liberté consiste essentiellement à trouver sa voie et donc aussi à s’affranchir des errements et des fourvoiements sur les chemins de traverse. La solution est évidemment et finalement toujours en soi-même.

B:

Il est vrai que l’univers, c’est-à-dire l’ordre cosmogonique, est en expansion… Pensez-vous que le monde phénoménal, c’est-à-dire ce que nous percevons par nos sens et notre conscience, ait une influence sur le devenir de cet univers ? Est-ce bien cela que vous avancez ?

A:

Bien évidemment car nous faisons partie de l’univers. L’univers c’est aussi nous, notre pensée, notre conscience. En fait, la notion de cosmos s’entend comme l’ensemble des champs de manifestations du réel. Il ne s’agit pas simplement d’un espace physique mais aussi psychique, intérieur, émotionnel, mental… La cosmogonie englobe la pluridimensionnalité, le manifesté et le potentiel, les différents plans de l’être et donc de l’expérience. L’homme est dans l’univers et l’univers est dans l’homme.

B:

Il me vient cette réflexion sur l’individu, la société et l’univers… Si l’enfance reçoit avec une certaine passivité les sensations heureuses, l’idée que l’adolescent ou l’adulte se font du bonheur et le style d’existence qui en dérive révèlent leur personnalité. C’est qu’il n’est pas facile d’être heureux. Nous ne sommes que trop enclins à porter la réussite ou l’échec d’une vie au compte des circonstances, des caprices du hasard, comme si le bonheur n’était pas d’abord une aventure spirituelle où l’homme, par sa réaction devant l’événement, manifeste sa capacité ou son refus de modeler son destin.
Ainsi le bonheur, loin d’être simplement reçu comme cadeau des fées, se conquiert et s’élabore dans un effort qui exige lucidité et maîtrise de soi. Mais il est des âmes trop fragiles pour affronter l’aventure du bonheur, ou trop exigeantes pour ne pas se révolter contre l’image grossière que la société leur en propose, ou trop éprises de justice pour le savourer sans partage.
Il en est des civilisations comme des individus. S’il existe un réactif qui nous fasse connaître leur vraie nature, c’est bien leur conception du bonheur telle qu’elle peut s’exprimer dans un mythe, c’est-à-dire dans l’image embellie qu’une société nous livre d’elle-même, dans le mirage collectif où se projette un rêve de noblesse, de savoir, de raffinement. Ainsi sont nées ces utopies dont chacune prétend révéler à l’humanité le secret du bonheur.

Tenez, j’ai trouvé une formule de Goethe dans Wilhelm Meister à propos de l’individu et de son influence sur l’univers :

« Chacun a son propre bonheur entre les mains, comme l’artiste la matière brute à laquelle il veut donner une forme. Mais il en est de cet art comme de tous les autres; nous n’en avons, par nature, que l’aptitude, et il nous appartient de faire l’apprentissage de cet art et de l’exercer avec soin.« 

J’ai encore un mot à dire sur l’homme et l’univers et je vais pour cela citer quelques phrases qui font de l’être humain une métaphore de l’arbre.

« Plus l’arbre étend sa couronne au soleil, plus il pénètre par ses racines dans les profondeurs de la terre. Il prend sa nourriture autant en haut qu’en bas et manifeste l’union des quatre éléments par une mystérieuse alchimie.« 

« Plus haut dans les Cieux se haussera la tête, plus ferme sur la Terre seront les pieds. Une connaissance transcendante qui ne s’authentifierait pas dans la vie quotidienne dans ses moindres détails deviendrait rapidement stérile.« 

« La Sagesse lève son front vers l’étendue, l’Amour l’incline vers le point. C’est ainsi que les Cieux se marient avec la Terre, que s’unissent Dieu et l’Homme, que s’authentifie l’Esprit et se sanctifie la Matière.« 

Qu’en pensez-vous?
A:

Ces extraits me parlent beaucoup et j’ai dû rencontrer cet auteur-là il y fort longtemps, à une époque où j’étais plongé dans les écrits de l’hindouisme, du bouddhisme, du taoïsme et des textes métaphysiques de la philosophie grecque et occidentale. C’est aussi l’époque où j’avais croisé Lanza del Vasto qui, outre d’avoir développé la philosophie de la non-violence suite à sa rencontre avec Gandhi, avait œuvré pour une convergence des traditions spirituelles sans toutefois tomber dans la déviance du syncrétisme. Gandhi déconseillait d’ailleurs fortement à quiconque de se convertir à une autre religion mais d’approfondir la sienne propre, attitude qui crée d’elle-même la convergence et donc l’unité par le sommet. Se convertir à une autre religion équivaut à simplement revêtir le même corps avec un autre costume sans cependant changer la nature du corps. C’est un leurre.

Se convertir signifie « se tourner ensemble (comme un) vers l’intérieur » (hors du monde de la projection). L’adverbe ensemble contient « sem« , une ancienne racine qui désignait l’unité. Cet ensemble-là concerne tous nos aspects, enfin tout ce qui fait que l’on est ce qu’on est. Il s’agit en effet de s’individuer, c’est-à-dire d’exister par soi-même, de sorte que le moi ne soit plus dépendant de l’attente ou du désir d’autrui à notre égard. Cette conversion est un acte de liberté car elle nous délivre du regard de l’autre (qui ne peut, de toute façon, appréhender le monde qu’à l’intérieur des limites de sa propre intelligence).

On a certes besoin des autres pour se construire. Mais arrivé à un certain niveau de conscience (c’est-à-dire de connaissance de soi-même), ce besoin est moins affirmé, jusqu’à s’étioler et disparaître. Il arrive un moment, dans la vie, où le désir de l’autre (en fait, le détournement du désir de soi par autrui interposé) se transforme en une pure considération, en une reconnaissance dénuée de dessein propre. L’individuation est une rupture franche avec l’égocentrisme et le grégarisme. On passe, en quelque sorte, de l’autre côté du miroir. La conversion est un acte religieux en ce qu’il rétablit le lien (religion signifiant relier) avec sa nature. Mais elle n’est pas réductible à la manifestation religieuse ni même dépendante d’elle. Idéalement, la religion doit être quelque chose qui amène la personne à se réaliser et donc à se libérer du monde de la projection et du miroir déformant du monde extérieur. C’est dire qu’on en est loin car la plupart des religions ne sont que des déviances de la recherche du pouvoir sur les esprits, le plus exaltant de tous. Si la religion ne me libère pas, non seulement de l’attente du monde à mon égard, mais aussi de mes propres détournements, alors elle n’est qu’un instrument d’aliénation, une imposture, une mystification, un fourvoiement. La religion, dans son sens le plus irréductible, est une voie d’évolution. Or, évoluer signifie proprement « enlever le voile ». C’est dire que…

L’unité par le sommet établit de même l’unité par le fondement. Cet universalisme (tourné vers l’Un) n’a rien à voir avec la globalisation (qui n’est qu’une plate rotondité centrifuge). C’en est même le contraire car si le premier affermit, conjugue, harmonise et révèle, la seconde est niveleuse, réductrice, exclusive et négative. Cette élévation vers l’universalité se traduit par une pleine considération de l’unicité. Et c’est là que nous rejoignons l’auteur que vous citez et dont nous ignorons s’il est à la hauteur de ses écrits. Mais cela importe peu dans la mesure où celui-ci ne cherche pas à se les approprier mais à transmettre une pensée évolutive, c’est-à-dire destinée à être complétée, poursuivie et relayée par d’autres. Chacun de nous n’est qu’un neurone dans un vaste cerveau, mais il lui échoit d’assurer la synapse et donc de contribuer à la cohésion de l’ensemble.

B:
Moi, je suis d’accord, ça me plaît d’assurer des synapses et d’être un neurone contribuant à la cohésion de l’ensemble, cette image de moi-même et de l’univers me donne encore plus envie de vivre.
blason Pierrette_devise

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Héraldie est né le 30 avril 2012, ceux qui l'ont fondé sont maintenant partis. Mais moi, Le Fringant Papillon, je reste dans ses jardins pour butiner ses fleurs. C'est là aussi que l'Enchanteur aux mille poèmes a un atelier.

Hortus Closus

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