Voyage au pays des Travellers irlandais, 2012

Premier livre publié par le sage précaire, aux éditions Cartouche.

Profitant du rare temps libre que me donnait ma thèse de doctorat, je partais sur les routes d’Irlande à la rencontre de ces Travellers mystérieux.

J’ai fait le tour de l’Irlande pour ce faire, et cela m’a donné un plaisir intense. J’ai aussi pris des risques – peu nombreux – et souvent les gens me disaient que j’étais fou de me lancer dans une telle entreprise, que j’allais me faire casser la gueule, que je l’aurais bien mérité.

J’ai lu tout ce qu’on pouvait lire sur eux, en anglais bien sûr, car mon livre sera, sauf erreur, le premier en langue française sur ce sujet. J’ai rencontré tout ce qui pouvait se rencontrer. Et j’ai écrit tout ce qui pouvait s’écrire.

Aujourd’hui, c’est fait, il n’y a plus rien à écrire, plus rien à lire que mon récit ethnologique pop.

On en parle dans les médias

Il s’agit d’un récit de voyage ethnographique. Une promenade en Irlande à la rencontre des nomades indigènes à l’île.
Rien qui puisse intéresser les foules, me direz-vous. Et pourtant, dès le jour de parution, un lecteur bienveillant composa un sonnet en guise de remerciement. Son auteur aux multiples facettes, qui signe ici des commentaires au nom de Cochonfucius, a fait rimer, en bon métaphysicien, « peuplade » et « rigolade » :

Guillaume a rencontré les Irlandais nomades ;
Son petit livre rouge en donne le récit.
J’écris ces quelques vers pour lui dire merci
De m’avoir entraîné dans cette promenade.

Que de choses j’apprends sur la rude peuplade
Que forment ces humains tendres et endurcis !
Si leur pain quotidien de misère est noirci,
Nul mieux qu’eux n’apprécie un temps de rigolade.

Eux pour qui le séjour n’est jamais marchandise,
Eux qui goûtent la vie comme une friandise,
Ils fondent leur sagesse en leur précarité ;

Négligeant du progrès les vertus dérisoires,
Sur la terre d’Irlande ils vivent leur histoire,
Merci encore à toi de nous la raconter.


Ce sonnet me porta chance, car ce petit livre a commencé à attirer l’attention de médias plus traditionnels (c’est-à-dire moins métaphysiques). Dans le cahier des livres de Libérationun article en rend compte. Cela fait plaisir, et ce n’est que le début. Mes éditeurs m’ont dit qu’un article avait été écrit pour Le Monde diplomatique, et qu’on ne savait pas quand il sortirait. Une radio française a aussi fait un direct avec moi, avant-hier, mais je ne suis pas sûr d’avoir accès à cette émission. Les journalistes m’ont posé des questions sur mon premier métier (ramoneur) autant que sur les Travellers.
C’est ce qui est sympathique avec la littérature factuelle (non fictionnelle) : on peut s’intéresser à l’aspect purement littéraire si l’on veut, le style, la poésie, toutes ces conneries. Mais on peut aussi se pencher sur d’autres aspects, plus pratiques ou plus spéculatifs. Cela dépend du lecteur.
Le Journal du dimanche, par exemple, m’a interviewé au téléphone l’autre jour, mais c’était pour un article à venir sur les criminels qui sévissent en France et qui se trouvent être des Travellers irlandais. Les fameux « bitumeurs irlandais ». C’est aussi à la faveur de cette criminalité qu’un petit article de Métro a mentionné mon livre.
Si bien que, d’un point de vue parfaitement cynique, on peut dire que cette nouvelle criminalité tombe à point nommé. Plus on en parlera, plus mon livre – qui constitue le seul travail sur les Travellers irlandais en français – aura des chances d’être mis en lumière.

Ecrire pour Télérama

guillaumethouroudeIrlandeLivresMédiasUniversité  17 septembre 2012 3

J’ai le plaisir d’annoncer la parution du hors-série de Télérama (septembre 2012) dans lequel je signe un article de quatre page sur les Travellers irlandais. Le titre de mon article n’est pas de moi, il a été conçu par l’équipe du magazine culturel : « Tinkers, contre vents et marées ».

Gilles Heuré, le directeur de ce numéro spécial « Bohèmes », a dû entendre parler de mon petit livre d’ethnologie vagabonde dans quelque article de Libération ou dans une émission de France inter, et s’est dit que, parmi les images habituelles des bohémiennes à la Carmen, ou des gitans à la Django, on pouvait faire de la place pour ces Tinkers irlandais que peu de gens connaissaient en France. 

Il m’a donc demandé un article qui présente cette population nomade, en reprenant le ton qu’il avait apprécié dans mon livre, et en insistant sur tel ou tel aspect qui avait attiré son attention, tout en indiquant un nombre de signes qui permettrait de couvrir une double-page dans le magazine. Finalement, comme les illustrations sont superbes et relativement nombreuses (des photos de Josef Koudelka et d’Inge Maroth), mon article court sur quatre pages. Cela ne donne pas plus à lire, mais plus à regarder, et surtout, cela donne plus de place à mes chers Pavees.

En trois courts paragraphes, je viens d’utiliser trois mots différents pour évoquer une même communauté : « Pavee« , c’est le mot qu’ils utilisent en langue Cant, leur langue, pour s’auto-désigner . « Tinker« , c’est le nom qui leur fut longtemps assigné, avant de devenir péjoratif. « Traveller« , enfin, est l’appellation actuelle, en langue anglaise, qui sert pour tous à désigner cette minorité sociale nomade et discriminée que sont les nomades d’Irlande. 

Bref. Ce qui me plaît, dans cette aventure éditoriale, outre le pur plaisir de feuilleter ce très bel objet de presse, et en dehors de la fierté d’y voir mon nom, c’est la diversité de réactions que je rencontre autour de moi en fonction de ce que je publie. De tout ce que j’ai réalisé (achevé) en 2012, c’est clairement ma thèse de doctorat qui m’a demandé le plus de travail, le plus de joie, le plus d’émotion, le plus de souffrance, et dont la fin heureuse m’a apporté le plus de satisfaction. Mais pour beaucoup de gens qui ont aussi fait des thèses ou non, c’est la publication d’un livre de voyage en Irlande (celui qui suit à la trace ces fameux Pavees) qui impressionne plutôt. 

Pour d’autres, ce qui mérite de hausser les sourcils, c’est la parution d’un ouvrage collectif aux Presses de l’université de Montréal, car, je suppose, c’est  une publication proprement universitaire, et résolument international. Soit. 

Mais pour d’autres encore, ce n’est rien de tout cela. Pour certaines personnes rencontrées, faire une thèse, des livres, tout cela est sympathique mais ne vaut pas que l’on s’exclame.  Cela tombe bien, je n’aime pas beaucoup que l’on s’exclame. Ce qui étonne ces gens un peu blasés, au contraire, c’est le fait d’ « écrire pour Télérama ». C’est pourtant la chose la plus facile que j’ai faite cette année (avec l’aide de mon amie Sarah, cependant, que je tiens à remercier ici pour son excellent travail de relecture et de conseil, dans une de ces parenthèses qu’elle n’apprécie guère.) 

C’est ainsi, et il faut s’y faire. On peut suer sang et eau pour faire avancer la science et n’inspirer qu’une polie indifférence. Dans le même temps, on peut éructer dans un micro de France Bleu et allumer des étoiles dans certains yeux. Cela est bien connu. En revanche, on ne m’enlèvera pas de l’idée que si l’on se borne à « écrire pour Télérama » sans entreprendre de gros travaux souterrains plus austères, moins lus, cette relative visibilité tombe à l’eau très rapidement. La thèse de doctorat, au final, est peut-être moins glamour, mais c’est sur elle qu’il faudra s’appuyer pour la suite des aventures, s’il est envisageable d’imaginer une suite.

Conférence à Paris 8

  28 mai 2014

Dieu sait pourquoi, je ne portais pas de ceinture à mon jean le jour où je donnai cette conférence à Saint-Denis. Titre de la présentation :

Voyage au pays des Travellers, by Guillaume Thouroude. Ethnography of a Nomadic Minority in Ireland

D’ailleurs, tout bien considéré, j’étais habillé un peu comme un clodo ce jour-là. Encore une fois, Dieu seul sait pourquoi. Bon, l’objet de la conférence était le monde des nomades irlandais, alors, à la rigueur, avoir l’air d’un romano pouvait être perçu comme une tentative, de la part du conférencier, de se mettre dans l’ambiance du thème choisi.

J’honorais une sympathique invitation lancée par une faculté de civilisation britannique, dans le cadre d’un séminaire doctoral sur la question de la frontière. La doctorante à l’origine de cette initiative, doctorante  qui s’est identifiée à moi comme « kabyle », m’accueillit et me fit visiter le campus. Belle ambiance, très cosmopolite. Nous croisons une autre Kabyle, voilée, qui prend congé de son amie par un étrange « Vive l’Algérie ». Ma doctorante me regarde et, pour évaluer mes origines ethniques, me demande en souriant : « Pour vous c’est plutôt Vive la France ? »

Oh, moi, je suis pour que tout le monde gagne. Vive l’Algérie, vous avez raison.

Un problème de clés nous empêche d’entrer dans la salle de conférence. Ce contretemps nous permet de marcher dans les couloirs et de faire la connaissance d’une doctorante italienne aux yeux splendides, dont la thèse porte sur Proust. Nous rencontrons aussi des géographes, grâce à qui nous obtenons de jolies cartes vintages de l’Irlande.

Puis nous nous reposons sur la pelouse en attendant l’heure de mon intervention. Pour compléter le tableau de ma déconvenue vestimentaire, j’ôte mes chaussures et prends un selfie avec mon amie algérienne. Elle me dit qu’elle connaît un bon restaurant kabyle dans une rue de Saint-Denis. C’est décidé, nous irons dîner là-bas après mon exposé.

Ma conférence se passe sans heurt majeur. Je fais le choix illogique de me lever à plusieurs reprises, soit pour détailler la carte de l’Irlande, soit pour montrer aux étudiants un des dessins de mon frère qui illustrent mon livre sur les Travellers. En toute circonstance, je dois garder une main sur mon pantalon pour ne pas me retrouver en caleçon devant l’auditoire, majoritairement féminin.

Avec, sur le dos, la chemise en jean de mon père, trop grande pour moi, et aux pieds, des souliers de faux jeunes achetés sur un marché de Saint-Denis le matin même, j’ai donné involontairement une image prometteuse de la sagesse précaire : s’adresser aux élites de la nation en costume de mendiant.

En mangeant chez le Kabyle d’une rue piétonne de Saint-Denis, je dis à mon amie que je ne connais que l’abbatiale de cette ville, et que je serais ravi qu’elle me fasse visiter son quartier si elle en a le temps. Elle accepte avec plaisir car, de toute façon, elle m’hébergera chez elle ce soir. Plaît-il ? « Oui, mon unité de recherche a bien voulu te payer le train mais pas l’hôtel. Alors je te prête mon appartement et j’irai dormir chez une copine. » Je proteste, je ne peux pas la déloger de chez elle, mais elle insiste avec tant de chaleur  et de simplicité que je ne peux pas refuser.

« Je viendrai te chercher demain matin à ton réveil pour prendre le petit déjeuner avec toi, et après on visitera Saint-Denis. Il y a un marché avec plein de choses intéressantes… » Elle sourit, elle a envie de dire un truc mais quelque chose l’en empêche. Je souris en retour pour l’encourager : « Tu trouveras une ceinture pour ton pantalon si tu veux. »

Nous éclatons de rire. Vive l’Algérie.

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