Comment puis-je prétendre être moi-même traducteur du Livre saint ? Mon niveau d’arabe n’est pas suffisant pour une tâche si noble.
Je vais vous dire comment je procède. Vous comprendrez que je n’ai pas fait le travail tout seul, bien au contraire. Le possessif « ma traduction » signifie que j’en suis le seul responsable. S’il y a une erreur, elle est de mon seul fait, mes collaborateurs n’y sont pour rien. Ils m’ont par contre beaucoup aidé.
Je lis une traduction, puis une autre et une autre. Sur certaines phrases, elles ne s’accordent pas sur tel ou tel mot, ce qui produit parfois de gros écarts de sens. Je dois donc me faire ma propre idée et partir à la recherche du sens véritable et choisir en conscience les mots français qui constitueront l’équivalent le plus approprié.
Par exemple quand un mot est traduit tantôt par « mécréants », tantôt par « polythéistes », tantôt par « associateurs », l’écart de sens est énorme. « Mécréant » peut équivaloir à une insulte du genre « payen » ou « pas très catholique ». « Polythéistes » désigne des gens qui n’appartiennent pas aux religions monothéistes (animistes, grecs antiques, perses zoroastriens, etc.). Enfin « associateurs » renvoie en général aux chrétiens puisque ces derniers sont accusés d’associer à Dieu un fils de Dieu qu’ils prient et vénèrent. La traduction est donc déterminante.
Il est bon de savoir qu’en arabe le mot en question est Mushrikin, et que ce mot est basé sur l’idée d’additionner. Ainsi, il ne désigne pas les chrétiens ni les juifs comme certains le prétendent, mais des gens qui ont plusieurs dieux. Mais dans le contexte de la sourate en question, on comprend qu’il s’agit simplement des adversaires du moment, et que ce mot renvoie plutôt à une insulte pour galvaniser les troupes, afin de défendre la paix de la tribu. Cela correspondrait plutôt à des jurons grognards des armées françaises de type » salauds de payens », « damnés d’antechrist », ou « satanés hérétiques » sans réelle considération sur la religion des adversaires combattus.
Je lis donc le texte en arabe mais avec beaucoup d’humilité. Quand des mots ou des phrases ne me sont pas clairs, je vais à la pêche aux informations et interroge les mots arabes eux-mêmes.
Il y a d’excellents dictionnaires savants qui génèrent des données étymologiques necessaires.
Souvent enfin je demande à mon épouse de bien vouloir éclairer ma lanterne et c’est le moment le plus doux de ma recherche. Hajer n’est pas seulement arabe, elle est une lettrée polyglotte et professeure de langues, enseignant l’arabe, le français et l’allemand. Sa connaissance des langues est à mes yeux infinie. Elle me dit le mot arabe, la clé du mot et le type de vocabulaire qui lui est associé. Souvent elle est inspirée, alors je la laisse parler et me baigne dans son érudition. Elle me donne ainsi des indications précieuses de toutes sortes qui pourraient par leur richesse créer de la confusion mais qui se révèlent toujours très éclairantes.
Je lui pose des questions, je lui propose mes hypothèses de compréhension qu’elle valide ou pas. Je chemine avec la femme que j’aime dans les méandres de la langue arabe, de la langue française, et du texte coranique.
C’est ainsi baigné d’un savoir multiple sur les mots arabes que je choisis les termes français qui me paraissent les plus appropriés. Je suis seul dans cette phase finale car les mots français que je choisis sont le fruit de ma réflexion sur la langue.
C’est ainsi que je fonde ma traduction sur une certaine vision et perception du message coranique.
Voilà pourquoi j’ai l’outrecuidance de dire « ma traduction ».