Le soleil levé, je reprends la route en direction de Bonperrier, qui est rien moins que mon col préféré. Approcher de Bonperrier et de son ranch en pierre me fait penser à la pampa, et plus généralement, à l’Amérique. Un même esprit de mission, de foi, d’enthousiasme et de débrouillardise devait animer les Cévenols et les colons européens d’Amérique.
L’herbe de Bonperrier est propre comme un gazon anglo-saxon, et la vue accidentée comme un rêve de Patagonie.
Passé le col, je me trouve un coin d’ombre et mange les restes du dîner de la veille : pizza et saucisse de Lozère.
Quelques heures plus tard, j’approche du Col du Pas et aperçois une croix de Lorraine qui rappelle au marcheur que tous ces cols étaient occupés par des groupuscules de résistants, qui, par agglomérations successives, finirent par former en 1944 le Maquis Aigoual-Cévennes.
Les Cévenols n’avaient pas attendu longtemps avant de lutter contre l’occupant. Les Allemands le savaient bien ; dès 1943, ils rasaient des villages tels que Crottes et ratissaient Ardaillers, Valleraugue ou Saint-Hippolyte-du-Fort. Des dizaines de rebelles ont été capturés et pendus à Nîmes.
La promenade mène jusqu’à Aire de Côte, qui fut la dernière base du Maquis, avant la libération finale du territoire. Aire de Côte, c’est aussi la dernière étape avant la grimpette qui conduit au mont Aigoual. J’y arrive à dix heures du matin. Cela fait six heures que je suis parti. Un gîte d’étape me permet de remplir ma bouteille d’eau. Le mont Aigoual est tout prêt, sa tête est perdu dans les nuages.
Encore deux heures et demie de marche, me dit-on au gîte.
Le chemin est large, c’est une piste forestière qui passe dans une hêtraie. Le hêtre a vraiment une essence importante autour de l’Aigoual. C’est d’autant plus important à noter que le hêtre ne se plante pas, contrairement à ce que les lecteurs de La Précarité du sage pensent.
Pour que le hêtre existe ici, il a fallu inventer la forêt de l’Aigoual. Et contrairement aux idées reçues, il a fallu pour cela le travail d’un génie, Georges Fabre (1844-1911). Brillant polythechnicien sorti de l’école nationale forestière, il a choisi de venir travailler en Cévennes pour mener un projet de fou : reboiser les montagnes qui étaient devenues un véritable désert, à cause de la révolution industrielle, qui consommait énormemément de bois, et de l’élevage de mouton qui empêchait aux arbres de repousser.
Fabre a voyagé dans le Caucase, au Maghreb et en Norvège, pour étudier des montagnes aux climats similaires au Mont Aigoual, et trouver les essences qui pourraient résister et faire souche dans le massif cévenol. Avec le temps, des taillis ont pu résister et produire une véritable forêt, solide et créative. Une forêt capable de porter en elle, justement, des hêtres.
Et puis c’est le mont Aigoual lui-même qui apparaît. Silence.