Le sage précaire dans Télérama

À lire dans le numéro de Télérama daté de cette semaine, un reportage sur Sylvain Tesson à l’occasion de l’ouverture du Printemps des poètes.

Youness Bousenna, le journaliste en charge de l’enquête, a réalisé un travail plus fouillé et plus rigoureux que les autres journalistes car il ne s’est pas borné à interviewer deux ou trois personnes. Il est allé lire ce qui se fait dans la recherche littéraire à propos de l’écrivain voyageur. Cela devrait être un réflexe pour tout journaliste littéraire, de faire le lien entre le monde des idées et le grand public, mais à ce jour, seul Télérama l’a fait.

Il a donc lu plusieurs écrits du sage précaire car ce dernier se trouve être, à ce jour et en toute modestie, le meilleur chercheur spécialisé dans la littérature de voyage contemporaine. Le fait est que ce blog fut le premier organe public à montrer la médiocrité littéraire de Tesson, et le livre La Pluralité des mondes, publié en 2017, le premier à proposer une synthèse textuelle et contextuelle sur son œuvre, démontrant son caractère réactionnaire et sa piètre qualité stylistique.

Ce que j’avance ici est outrageusement prétentieux. Cela tombe bien, la sagesse précaire comprend dans ses maximes un usage optimal et modéré de l’arrogance.

Les jugements énoncés plus haut sont néanmoins factuels et vérifiables. Libre à chacun de faire savoir en commentaire de ce billet quelle publication fut plus précoce que celles du sage précaire.

Alors bravo a Télérama pour ce travail de qualité.

Bilan statistique de 2023

2023 fut une année de progression pour la Précarité du sage car le blog, ayant dû repartir de zéro lors du changement d’adresse survenu en 2019, n’a pas encore atteint son rythme de croisière et se trouve encore, si l’on peut s’exprimer ainsi, en convalescence.

La production régulière de contenu n’a repris qu’en 2021 après un ralentissement radical de cinq ans. Le blog est donc dans sa deuxième vie et n’est pas reférencé sur les moteurs de recherche comme dans les années 2010. De plus, les usagers d’internet se sont detournés des blogs pour regarder des vidéos, faire des tweets et scroller sur les réseaux sociaux.

Dans ce contexte défavorables, les chiffres de 2023 sont intéressants. Le chiffre qui me tient le plus à cœur est celui qui dénombre les visiteurs uniques : plus de 10 000 personnes se sont connectées cette année à la Précarité du sage. C’est peu par rapport à des images qui font des millions de vues, mais c’est beaucoup par rapport au nombre de lecteurs des livres publiés par les plus grands éditeurs.

En moyenne, un « visiteur » regarde deux billets. Cela fait un équilibre entre les fidèles lecteurs qui suivent ce blog et les gens qui y atterrissent par erreur et en repartent aussitôt.

Lire sur le même sujet : Top 10 des articles les plus lus depuis 2019

La Précarité du sage

Les commentaires se sont réduits comme peau de chagrin, preuve que la vie est ailleurs. Au demeurant je vois là une corrélation avec l’abandon de nombreux blogs que je suivais dans les années 2000. Souvenez-vous de la richesse qui s’exprimait entre Neige, Ebolavir, Ben, et plein d’autres comparses. Je regrette tellement qu’ils aient cessé d’écrire et de photographier. Comme s’il y avait dans la vie des choses plus importantes à faire.

Découverte d’un auteur oublié : André Germain

La Bibliothèque nationale de Bavière me met entre les mains des livres d’André Germain, homme de lettres richissime complètement oublié. Et pour cause, il n’a écrit aucun chef d’œuvre. Les étudiants en lettres le connaissent pour les critiques qu’il a écrites sur Proust. Des critiques très dures, assez géniales, qui disent beaucoup sur le prestige de Proust de son vivant.

André Germain, c’est le double de Proust, c’est l’ombre du grand homme. Homosexuel et fils à papa, il finance des revue littéraires qui publient ses articles, Germain n’a jamais eu le courage de tout abandonner pour se consacrer à une œuvre. Sa santé était trop bonne pour qu’il se sente mourir jeune, par conséquent il se laisse vivre et n’écrit que des textes courts. Mêmes ses livres se lisent comme une succession de courts chapitres, analogues à des billets de blog.

Il est jaloux de Proust, c’est entendu, mais parfois la jalousie occasionne des idées hilarantes. Les amateurs de Proust aiment rire et ils riront de bon cœur des critiques assassines de Germain. Il compare La Prisonnière à une soupe aux choux, la jalousie du narrateur à un phénomène de constipation :

De notre auteur, notre bourreau, nous réclamons à la fin un clystère, ou une cuvette.

André Germain, De Proust a Dada, 1924.

Il y a même quelquefois des idées bizarres et presque justes. À propos du Côté de Guermantes II, et alors que Proust est toujours vivant, il prétend ne pas connaître l’auteur de la Recherche, et l’imagine être en fait le pseudonyme d’une « vieille demoiselle » dont il fait la biographie. Il s’agirait d’une fille de la petite bourgeoisie, ayant profité d’une « excellente éducation » et qui travailla comme institutrice dans des familles de la haute. Amoureuse d’un cocher, cette vieille fille arrive à la maturité et écrit ses mémoires dans lesquels ne se trouvent que des « des grands seigneurs et des domestiques ».

Ce livre, encombré de leur double procession, dégage des parfums à la fois élégants et ancillaires et, par leur mariage, je ne sais quelle vive impression de cuistrerie. De la pédanterie dans la frivolité, une énorme exégèse de quelques saluts et de quelques hoquets, voilà ce qui finalement nous étreint.

André Germain, « Le dernier livre de Marcel Proust », juillet 1921.

Je trouve cela brillant et drôle, et même un peu vrai si l’on excepte la cuistrerie. Je me réjouis de lire cet esprit de second rang, capable de saisir le génie de Proust mais incapable de s’y hisser. J’ai de la tendresse pour ce type de penseurs un peu vains et talentueux.

Un autre admirateur talentueux de Jean Rolin

Jean Rolin, photo de Julien Barret, parue sur son site « Autour de Paris »

Quand je suis tombé sur ce « Guide de Paris« , et que j’ai déroulé le chapitre sur l’écrivain Jean Rolin, j’ai eu la sensation étrange de lire quelque chose que j’avais moi-même écrit.

Or, comme je suis retourné sur ce site et que je l’avais oublié entre temps, ma mémoire a joué son rôle dans ma lecture, si bien que je pensais vraiment l’avoir écrit en partie.

C’est en lisant les commentaires que je me suis retrouvé pour de bon : j’avais laissé un commentaire qui montrait ma différence avec ce brillant blogueur que je ne connais pas personnellement. Ce commentaire aussi je l’avais oublié mais je l’ai relu avec plaisir car je souscris toujours aux mêmes idées qu’à l’époque. En revanche j’ai vu que le webmaster du site m’avait répondu avec beaucoup d’urbanité.

Tout ceci est à lire ici : https://autour-de-paris.com/project/jean-rolin-profession-arpenteur

Le top 10 des articles les plus lus de 2019 à 2023

La chose la plus intéressante des statistiques de ce blog est que depuis deux ans, on retrouve les trois mêmes billets en tête des textes les plus lus. Un tiercé toujours dans le même ordre qui ne se dément pas, trois articles de 2021 et 2022.

Vous saurez quels sont les trois articles les plus populaires en allant à la fin de ce billet. En attendant, pour vous faire patienter, je vous laisse prendre connaissance des années 2019-2021.

En 2019, La Précarité du sage arrivait sur sa nouvelle adresse et ne publiait pas beaucoup de contenu car le sage précaire travaillait beaucoup dans son université omanaise. Il cumulait les tâches d’enseignant-chercheur et de vice-doyen de la faculté des arts et des sciences.

En 2020 aussi, le sage précaire publiait peu de billets pour la même raison d’occupation professionnelle, à quoi s’ajoutait une grande opération de harcèlement morale de la part de l’administration.

L’épidémie du COVID 19 ne m’a pas conduit à bloguer beaucoup. Les confinements m’ont plutôt permis d’écrire un livre sur Oman, qui parut en 2021.

Ceci dit, le billet le plus lu en 2020 concerne Sylvain Tesson et date des années 2010. C’était mon premier article critique du voyageur, inspiré par la lecture de son récit sur la Sibérie. C’est à cette époque que je découvrais que quelque chose clochait chez ce médiatique écrivain.

En 2021, j’ai décidé de reprendre l’activité de blogueur. J’avais plus de temps et je me rendais compte que ce blog avait été une belle réalisation dans ma vie d’auteur et de voyageur. La parution de plusieurs livres et de nombreux articles scientifiques et journalistiques m’autorisait à retourner au format blog avec un respect renouvelé.

On peine à déceler une ligne de force dans la liste des billets les plus lus cette année-là, alors que des tendances lourdes vont se dégager à partir de 2022.

Pour 2022, je renvoie à l’article consacré à cette liste, qui interprétait ces chiffres. En revanche il est intéressant de comparer 2022 et 2023 pour souligner les persistances et le retour étonnant d’un trio de tête deux années de suite.

Le billet sur les éditions L’Harmattan toujours largement en tête alors qu’il fut mis en ligne en 2021.

En n°2 et 3, les critiques des livres de voyage de Sonia & Alexandre Poussin, et de Sylvain Tesson. Ces deux billets furent mis en ligne en 2021 et 2022.

À noter : les rares billets datant de l’année en cours, 2023, concernent exclusivement le bac philo de juin dernier. Ils ne sont donc pas destinés à durer.

D’ailleurs je m’en avise en me relisant, aucun de mes billets de blog n’est destiné à durer. Et inversement, tout ce que j’écris est à destination d’un lecteur curieux et précaire des années 2100.

La progression annuelle de ce blog

La Précarité du sage existe depuis 2005 mais il a dû changer d’adresse en 2019 car le journal Le Monde ne voulait plus héberger de blogs. Un changement d’adresse est une catastrophe pour un blog car la plupart des lecteurs suivent leurs habitudes avec des adresses pré-enregistrées. Quand un lecteur ne voit plus apparaître votre blog sur son ordinateur ou son téléphone, il l’ignore et l’oublie aussi sec. La plupart des gens ne cherchent pas à retrouver la trace de votre blog si celui-ci ne profite d’aucune publicité.

Il est donc normal de voir une ascension drastique dans les statistiques depuis 2019. L’année 2023 n’est pas encore terminée mais on voit qu’elle a déjà realisé une augmentation suffisante pour soutenir une croissance à deux chiffres. On pourrait s’arrêter là et reprendre notre activité de blogueur en janvier 2024, avec comme nouvel objectif 18 000 visites et 10 000 visiteurs.

La littérature en classe de FLE ? « C’est difficile ! »

Cela fait bientôt vingt ans que le sage précaire enseigne la littérature à des étudiants étrangers. Je n’en reviens pas moi-même. Ma vie a été si flottante que je n’imaginais pas pouvoir dire une phrase qui exprime une telle continuité.

Je n’ai pas enseigné la littérature tous les ans pendant vingt ans, il y a quand même des trous dans le gruyère, mais enfin, si je résume, voici les institutions qui m’ont payé pour cette activité, entre autres activités :

2001-2004 : Saint Patrick College, Dublin, Irlande.

2005-2006 : Université de Nankin, Chine.

2006-2008 : Université Fudan, Shanghai, Chine.

2011-2012 : Université Queen’s de Belfast, Royaume-Uni.

2015-2020 : Université de Nizwa, Sultanat d’Oman.

2021 – en cours : Université des études internationales de Jilin, Changchun, Chine.

Mon rôle pédagogique a beaucoup évolué dans ces diverses institutions. Parfois on me faisait confiance au point d’être en charge de construire le programme d’enseignement, de développer ce qu’on appelle le « curriculum », et à dans d’autres cas au contraire on me jugeait à peine capable d’animer un groupe de théâtre.

De même mon statut administratif a varié du tout ou tout. Dans certains cas, j’étais la cinquième roue du carrosse, dans d’autres j’étais carrément le chef du département.

Dans tous les cas, une chose ne change pas : enseigner la littérature française à des étudiants étrangers m’a mis en première ligne pour saisir ce que ressentent ces mêmes étudiants, leurs désirs, leurs peurs, leurs rejets ou leurs passions.

Or, comme la littérature est pour moi le plaisir des plaisirs, il m’a fallu des années pour ouvrir les yeux sur la réalité : les étudiants la trouvent « difficile ». Pour eux, pour la plupart d’entre eux, étudier des romans est un véritable calvaire.

Ici le sage précaire pourrait se faire mousser. Il le pourrait. Il pourrait rappeler qu’il a reçu des compliments qui lui disaient en substance : « Avant je trouvais les cours de littérature difficiles et ennuyeux mais avec vous j’ai compris que ça pouvait être amusant et intéressant. » L’un des compliments les plus beaux fut envoyé par une Chinoise : « pour la première fois j’ai réalisé qu’un poème de langue française pouvait être aussi beau qu’un poème chinois. » Et puis il y a celles qui me trouvaient beau et qui voulaient partager mon lit… non, ça c’était dans mon rêve seulement.

Je pourrais me vanter, donc, mais ce n’est pas mon genre.

Ce que je voudrais dire, ici, c’est qu’il y a un impensé dans l’enseignement des lettres dans le domaine du FLE (français langue étrangère). Comme c’est impensé, c’est désordonné et confus, c’est un embrouillamini que je vais tenter de dénouer. Cet angle mort concerne notamment le fait que la majorité des étudiants et des professeurs n’aiment pas la littérature alors même que nous, nous l’adorons. C’est cette distance entre des gens comme moi qui viennent avec leur amour de la lecture et des gens comme mes étudiants, que je voudrais essayer de comprendre.

La lecture est tellement consubstantielle à ma vie quotidienne que je ne pouvais pas saisir l’effroi qu’elle inspirait chez certains. Le livre est à mes yeux une créature si agréable, si chaleureuse, si amicale qu’il me fallut des années de patience pour accepter l’idée qu’il est un objet inerte pour beaucoup, voire une arme contondante, un poing fermé qui blesse. Pour de nombreuses personnes, le livre est une chose hostile.

Il y a un grand décalage entre ce que nous croyons faire en tant que passionnés de littérature, d’idées, de philosophie et d’art, et ce que nous faisons réellement au yeux des étudiants. De plus, il me semble qu’une forme d’hostilité envers les lettres est en train de croître au sein des formations d’enseignants elles-mêmes.

Alors puisque l’université se rapproche de l’entreprise, puisque le monde de l’éducation adopte les valeurs et les méthodes du management, le sage précaire parle comme un manager : il faut conduire un audit de la situation des lettres en contexte de langues étrangères, basé sur un benchmarking sans concession, pour élaborer dans un second temps un action plan qui rende l’enseignement de la littérature plus efficace.

Ou alors, solution alternative, on peut s’en foutre et gratter sa guitare en chantant du Brassens.