Quatre singes et un enfant. La politique selon Begaudeau

Je suis né de parents profs dans la France des années 70 : la conjonction de ces trois données sature de politique l’air que je respire.

F. Bégaudeau, Deux singes ou ma vie politique, éditions Verticales, 2011, p. 20.

Son livre s’intitule mystérieusement deux singes ou ma vie politique (sans majuscule) parce qu’on y rencontre un macaque dans le jardin de la maison familiale, et un autre macaque, à la toute fin du livre, dans un appartement parisien. En réalité, le lecteur assidu verra d’autres singes glissés dans le récit, mais je n’en dirai mot car je n’aime pas beaucoup ces recettes formelles qui prennent le lecteur pour un détective.

Et puis la référence au film d’Arnaud Despléchin, à la fois dans le titre et avec le même animal, est trop branchée pour moi, ne me donne pas envie de l’investir.

L’enfance de Bégaudeau est racontée de manière passionnante car non seulement l’auteur poursuit le moment où l’individu a rencontré la politique, mais encore la narration prend en charge une famille entière, ainsi que les relations sociales de la famille, ce qui est plus agréable à lire que les récits concentrés sur les états d’âme d’un seul personnage.

La France des années 70 est un banquet gaulois où l’on boit et mange en parlant fort

Deux singes, 21.

Au milieu des portraits attachants d’adultes de gauche, Bégaudeau fait le choix de voir son enfance comme banale, heureuse et commune plutôt que de chercher à se faire passer pour exceptionnel :

Voudrait-on profiler le petit Français des années 70 qu’on gagnerait à me prendre pour modèle. Cheveux brun-châtain, droitier, signe particulier néant, un père une mère un frère une sœur pas d’inceste un chat, anorak l’hiver tee-shirt l’été, ancrage rural horizon citadin.

Deux singes, p.25.

Or l’enfance est le séjour de l’égoïsme, de la compétition, de la cruauté et des abus de pouvoir. C’est pendant l’enfance qu’on découvre sa volonté de puissance, la jouissance de dominer, l’acceptation d’être dominé. Sortir de l’enfance revient à se libérer de cette passion pour le pouvoir. C’est pourquoi les grands dictateurs, les chefs tyranniques et ceux qui sacrifient leur vie à la politique politicienne sont des cas psychiatriques dangereux pour la communauté. Leur soif de pouvoir n’est qu’une nevrose infantile dont ils peuvent guérir, au lieu de quoi nos systèmes politiques les y enfoncent en leur donnant une prime à l’autoritarisme.

Bégaudeau n’échappe pas à cette culture de la compétition qui sera incarnée par la droite et la réaction, culture que le garçon met en place très tôt pour

montrer à ses semblables que tout le monde ne le vaut pas, ce qui implique que tout le monde ne se vaille pas. Plusieurs fois j’entends ma mère confier à une copine : il est réac, tu peux pas savoir.

Deux singes, p. 45.

Il est réac comme tous les petits garçons qui veulent gagner, dominer, posséder. Et comme tous les enfants, il est raciste et se souvient avec honnêteté des horreurs qu’il a pu penser et dire, sans discours de légitimation : « Racisme primitif, qui ne se grime pas en défense de la laïcité si tu vois ce que je veux dire. » Puis il se souvient tenir des propos antiracistes, et c’est là que la politique est devenue pour l’enfant Bégaudeau la gauche

L’été 82 je suis raciste, et fin 83 l’inverse (…) La bascule a donc eu lieu dans les eaux de 83.

Deux singes, p. 48-49

L’auteur devient donc enquêteur pour chercher dans l’année 1983 ce qui a pu déclencher dans l’esprit d’un enfant de onze douze ans une prise de conscience. Et cette enquête ira d’échecs en échecs car, en bon lecteur de Spinoza (qui ne sera pas beaucoup cité dans le livre néanmoins), Bégaudeau montre l’autonomie des opinions par rapport au réel, le monde des idées et le monde des corps étant incommensurables.

Le plus intéressant dans Deux singes ou ma vie politique, ce sont les détails matériels et concrets qui permettent de comprendre un contexte social, psychologique et intellectuel : nombre de pièces dans le logement, salaires des parents, types de vêtements portés, programmes télé regardés, lieux de vacances. Frères, sœurs, place de l’individu dans la fratrie.

Grâce à cette qualité concrète, le livre fonctionne comme une usine de production qui peut servir de modèle au lecteur pour qu’il mène sa propre enquête.

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