Ignacio Zuloaga (1870-1945), loin des avant-garde

Mardi, le prix d’entrée de la Kunsthalle de Munich est à moitié prix. Les salles d’expo sont donc pleines de retraités, de chômeurs et d’hommes au foyer comme le sage précaire.

La victima de la fiesta, 1910

Dans les années 1880 Zuloaga est allé à Paris mais au bout de quelques années, il fut lassé des courants d’avant-garde. Plutôt que de suivre les pas de son compatriote Pablo Picasso qui, lui, embrassa et incarna l’avant-garde, Zuloaga préféra rentrer en Espagne et peindre des gens de peu dans la campagne de Castille, des gitans, des paysans, et en particulier un bouleversant Picador vieillissant qui retourne d’une féria où il n’a pas été applaudi, ensanglanté comme son vieux cheval. On pense spontanément à Don Quichotte et Rossinante.

Le style de peinture est fascinant. Si les grands maîtres espagnols sont omniprésents, Zuloaga a pourtant intimement fait siennes les dévouvertes de la peinture moderne apprise à Paris. Grands à-plats de couleur, travail sur la surface et la bidimensionnalité, coups de pinceaux visibles, naïveté dans les formes de villages, cadrages décalés et asymétriques.

Après, que voulez-vous, il est devenu nationaliste, comme en atteste ce beau portrait de Maurice Barrès.

Barrès devant Tolède, 1913.

Barrès venait de publier son fameux livre sur Le Greco et Tolède, et il admirait l’art portraitiste de Zuloaga. Ce tableau est donc une commande. Il y eut de plus en plus de commandes, Zuloaga devint riche assez rapidement et tourna le dos aux audaces de la modernité.

Et enfin oui, il est tombé dans le camp de Franco, mais qu’aurions-nous fait, nous, en 1937 ? Dis qu’aurais-tu dit, toi que voilà ? Moi je sais ce qu’il faut dénoncer aujourd’hui, avec les informations que l’on a. Mais je ne peux pas juger les hommes d’il y a cent ans.

Reportage de la RTS

https://www.rts.ch/audio-podcast/2024/audio/parrain-de-l-edition-2024-du-printemps-des-poetes-sylvain-tesson-accuse-de-banaliser-l-extreme-droite-28074366.html

Un petit « sujet » dans lequel la journaliste m’a interviewé sur la polémique en cours.

Différence de traitements des médias français et francophones. En France, comme ils sont concentrés à Paris, ils n’interrogent que des professionnels des médias parisiens et ça tourne en rond. En Suisse, un.e journaliste n’a pas le même réflexe. En l’espèce, Pauline Rappaz a fait une recherche pour trouver des interlocuteurs légitimes et qui fassent sens. Cela prend plus de temps que ce que font les journalistes parisiens mais je pense que c’est payant sur le long terme.

Voyage à Munich

Museum Brandhorst

Nous avons décidé de passer un beau dimanche, ne pas nous laisser faire. Au Museum Brandhorst, l’espace café est très large, éclairé et confortable. Hajer ne voulait pas perdre son temps car elle avait beaucoup de cours à préparer.

Nous avons trouvé la parade : Hajer se réveillerait tranquillement au café, et travaillerait ses cours, pendant que Guillaume se promènerait dans les espaces d’exposition du musée.

Lepante (2001) de Cy Twombly

Le dimanche, en plus, le billet d’entrée ne coûte qu’un euro.

Le musée est organisé en trois étages : le premier, éclairé par la lumière zénithale, est consacré à l’œuvre du seul Cy Twombly, peintre américain du XXe siècle.

Le rez-de-chaussée présente de nombreuses œuvres d’artistes reconnus des soixante dernières années.

Le sous-sol, volontairement sombre, propose une exposition de photographies.

L’ensemble est intelligemment fait, facile d’accès, parfait pour une promenade méditative dans la création de l’après-guerre occidentale.

De retour au café, Hajer était intensément concentrée sur ses cours d’arabe. Elle aussi, comme Twombly à un étage d’écart, avait couvert des feuilles de gribouillis et de schémas abscons.

Quelques articles savants pour se repérer dans la polémique Tesson-poètes-fascisme

Les gens prennent la parole dans les médias mais ils manquent de connaissance et d’informations. Ils parlent des liens entre littérature et politique mais sans avoir étudié la question. C’est normal, ils n’ont pas le temps, il faut parler de Gabriel Attal, des abaya et des OQTF. De nombreuses inepties sont donc proférées mais ce n’est pas vraiment de la faute de ceux qui les profèrent. Ils ne savent pas ce qu’ils font.

Pour être éclairé sur la question et se faire une opinion informée, il existe un champ de la recherche qui peut s’avérer utile : la recherche en littérature géographique. Mais comment savoir que lire et où trouver de telles recherches ?

Le sage précaire s’occupe de tout ! Il vous offre quelques liens menant à des articles savants en accès libre. Ces articles vous éclaireront sur le rapport qui existe entre style littéraire et posture sociale, entre l’esthétique et la politique. Dans une langue précise et abordable, ces textes prennent Sylvain Tesson comme exemple particulier, donc ils vous mâchent le travail.

À tout seigneur tout honneur, il faut lire le chapitre du livre qui fait référence sur le récit de voyage contemporain, dont l’auteur n’est autre que votre serviteur. Le dernier chapitre traite des récits publiés dans les annés 2000 et 2010, donc d’auteurs devenus aujourd’hui hypercélèbres (si vous voyez ce que je veux dire) :

Les écritures réactionnaires : Sylvain Tesson et les « Nouveaux explorateurs »

La Pluralité des mondes : le récit de voyage de 1945 à nos jours, PUPS, 2017.

Jean-Xavier Ridon, professor of French à l’université de Nottingham, a écrit un excellent article sur Tesson. Je suis très admiratif de ce qu’il y démontre.

Jean-Xavier Ridon, « De l’extrême comme nostalgie conquérante »

Voyages extrêmes, sous la dir. de Gilles Louys, Classiques Garnier, 2019.

Vous y lirez par exemple combien l’aventurier prétend résister à une société technophile et marchande alors qu’en réalité, la lecture serrée de ses textes montre qu’il se conforme à un discours dominant. La recherche en littérature peut ainsi aider celles et ceux qui veulent y voir plus clair sur cet écrivain qui déclenche tant de passions sur les ondes.

Enfin, un article qui examine l’usage de la philosophie par les écrivains du voyage, dont certains qui se trouvent omniprésents dans les médias (suivez mon regard), article dont l’auteur est encore le sage précaire :

La philosophie dans la littérature de voyage contemporaine. Sylvain Tesson, Antonin Potoski, Bruce Bégout.

Voyager en philosophe, sous la dir. Liouba Bischoff, Kimé, 2021.

Où il est démontré que les bons auteurs servent la réflexion philosophique par une écriture singulière, qui cherche à dire le réel, tandis que les mauvais se servent de la culture philosophique pour se distinguer et se démarquer socialement. Ces derniers, les auteurs qu’il faut dénoncer à mon avis, recouvre d’un vernis de culture scolaire des idées creuses, des banalités et des truismes.

Faut-il laisser les enfants voir les images pour adultes ?

Quand je travaillais dans les Biennales d’Art Contemporain de Lyon, des œuvres montraient des organes sexuels et des actes salaces. L’art choquait les bourgeois, c’était entendu. Les élus du Front National déposaient des plaintes contre le Musée.

Nous étions en 1997, puis en 2000.

Aujourd’hui les choses se sont renversées. L’extrême-droite impose des organes sexuels bien en vue dans des classes d’enfants et d’adolescents pour souligner son appartenance à la laïcité. Il s’agit en fait d’embêter les musulmans. La pudeur n’est plus de mise car elle est une vertu très prisée de nos concitoyens d’origine africaine. Aujourd’hui la fermeté, l’autorité, c’est d’obliger tout un chacun à regarder des œuvres réservées aux adultes. Et encore, pas tous les adultes. Autrefois, les artistes créaient des images osées pour des commanditaires. Ils peignaient, sculptaient des femmes et des hommes nus parce que des hommes riches le leur demandaient.

Au Musée de Lyon, nous savions où emmener nos groupes d’enfants et d’adolescents. De 1997 à 2000, nous ne montrions pas de choses qui nous paraissaient inappropriées.

Un jour, des enfants ont regardé par mégarde des vidéos inappropriées. Quel raffut. Chacun blâmait l’autre. Une polémique m’opposa à celui qui avait conçu l’exposition car il avait avoué qu’il n’était pas au courant de tout ce qui se trouvait dans les vidéos. Il se défendait qu’on ne pouvait pas passer des heures à tout regarder, et il m’insulta quand je me permis d’exprimer mon étonnement. Moi, simple animateur-conférencier, j’avais passé des heures à tout regarder pour préparer mes visites. Je devais être prêt à accueillir des enfants, des adolescents, mais aussi des étudiants et professeurs en art qui s’y connaissaient plus que moi et qui posaient des questions pointues sur lesdites vidéos.

La médiation culturelle a toujours dû se confronter à ces moments de gêne dans les musées et les expositions, où des corps nus provoquent le rire et les embarras des classes d’adolescents. En règle générale, la solution adoptée par le médiateur est de ne pas trop s’attarder et de les éviter si possible. Et c’est ce que la sagesse précaire préconise aux professeurs pour qu’ils ne se trouvent embourbés dans des tensions inutiles.

L’Atlas de Sibérie, de Semyon Remezov, 1697

Début du feuilletage

J’ai découvert le fac simile de ce vieil atlas du XVIIe siècle à la Bibliothèque nationale de Munich, dans la salle des cartes.

Ce qui m’émeut le plus, c’est la manière dont les tracés de cours d’eau ressemblent à une écriture. On dirait des encres d’Henri Michaux.

Au-dessus de ce superbe atlas, deux bouquins incroyables qui trônent dans cette même bibliothèque : La Pluralité des Mondes, du sage précaire, et le premier numéro de la revue Imago Mundi, daté de 1933.

À la fin du livre, on suit les courbes de fleuves jusqu’à l’océan final. Le lecteur est soudain pris de rêveries de fin du monde. D’ailleurs, le vent souffle très fort à Munich aujourd’hui.

Fin du feuilletage

Soutien aux députés qui ont dormi sous la tente

À l’appel de l’association Droit Au Logement (DAL), une poignée de députés ont passé une nuit sous une tente en compagnie de vrais sans-abris, pour alerter les medias du scandale que représentent les centaines de milliers de Français condamnés à vivre dans la rue.

Les médias ont bien été alertés, et certains d’entre eux ont choisi de se moquer abondamment de cette poignée de députés.

Moi qui suis un homme de droite, tendance abbé Pierre, je proteste contre ces indignes quolibets, et je soutiens l’action du DAL.

Lettre ouverte à une passionnée… de Sylvain T.

Cliché libre de droit généré quand j’ai saisi « Genius Wanderer »

Chère XXX

Merci à vous pour cet échange.

Restons-en là puisque à partir de maintenant nous allons tourner en rond. Vous ne voyez rien de politique chez cet auteur, très bien. Moi, j’ai fait ma part de travail sur ce point et ai publié les fruits de mes recherches en différents endroits. Depuis quelques années, d’autres prennent le relais de ce dévoilement d’une idéologie réactionnaire à l’œuvre dans un courant de littérature de voyage qui se fait passer pour sympathique et humaniste.

Cela étant dit, votre passion me permet de mesurer combien le travail marketing de Tesson, son « story telling » et sa mise en image, a été très efficace. Naturellement l’identité de son père, grand patron de presse et flamboyant journaliste, lui a donné toutes les cartes du jeu promotionnel. Grâce à un carnet d’adresses extraordinaire, Tesson fils a su tirer remarquablement son épingle du jeu. Certes, il est né et a grandi au centre du pays, au centre de la bourgeoisie et au centre d’un monde médiatique dont il a très tôt maîtrisé les rouages. Mais cela ne suffit pas pour trouver le succès commercial. Il a su profiter de manière optimale de ses privilèges en développant un sens aiguë des affaires et de l’entreprise. Selon moi, Tesson n’est pas un bon écrivain mais c’est assurément un très bon homme d’affaire. Sa place serait plus légitime à l’assemblée du Medef qu’au Printemps des poètes. Il a mérité sa place parmi les grands « écrivains médiatiques » qui bénéficient d’une image de marque. Réussir à imposer sa marque, imprimer son image, c’est rare et c’est ce qu’ont réussi à faire les Houellebecq, Nothomb, Beigbeder, Moix, BHL, Onfray, Matzneff, etc. En général, ce sont de mauvais auteurs, mais ce n’est pas automatique.

La tribune, quant à elle (ce n’est pas une petition mais une tribune) n’a rien de scandaleux, et ne demande en rien l’effacement d’un auteur. Il n’y est pas exprimé de haine ni de mépris. Elle n’est sans doute pas écrite comme je l’aurais écrite. D’ailleurs, il ne me serait jamais venu à l’esprit de lancer une telle tribune. Je l’ai signée et je la relaie car je soutiens ceux qui veulent faire déciller les yeux des gens exposés aux médias de masse. Quand on vous assène des centaines de fois, sur toutes les chaines, que Tesson est un génial vagabond, que Houellebecq est un génial visionnaire, que Nothomb est une géniale excentrique, il est normal qu’on se laisse influencer.

Le CNRS tourne le dos à Scopus

Image libre de droit générée quand j’ai saisi le mot « scopus »

Je peux comprendre que le titre de ce billet puisse laisser perplexe. Je vais expliquer sans attendre. L’université n’est pas qu’un lieu d’enseignement, c’est avant tout un lieu de recherche. Voyez l’article « Université » dans l’Encyclopaedia Universalis, trois missions sont attendues d’elle : 1. Élaboration du savoir. 2. Transmission du savoir. 3. Questionnement du savoir.

Mais la question se pose de savoir comment juger de la qualité d’une recherche. Il faut rendre public les fruits de nos recherches, au moins de temps en temps, mais comment juger si on est bon ou si on n’est qu’un gros nullos ? Après la guerre, des Americains ont mis au point des systèmes pour évaluer les recherches. Ils ont, par exemple, compter le nombre de citations qu’un article avait inspirées, et cela déterminait un « facteur d’impact » de cet article.

Scopus est la base de donnée qui est censée garantir la qualité des recherches d’individus, de revues scientifiques ou d’institutions. De nos jours, il y a des universités qui exigent pour vous recruter un nombre minimum d’articles publiés dans des revues référencées par Scopus.

Dans certaines facs, des spécialistes vous disent que Scopus est un gage d’excellence. Je peux parler de ce sujet avec sérénité puisque j’ai dans mon tableau de chasse au moins cinq articles estampillés Scopus. Or je peux garantir que l’excellence de la recherche n’est plus corellée depuis longtemps avec ce système de classement.

En effet, il y a eu beaucoup d’effets pervers liés à cette bibliométrie. Comme c’est un classement américain, seules les revues anglophones sont prises en considération. Si vous écrivez vos articles en allemand, en chinois ou en arabe, vous serez toujours perçus comme un mauvais chercheur car vos travaux ne seront pas référencés dans le système Scopus.

Conséquence perverse de cet effet pervers : de nombreux chercheurs abandonnent leur langue natale pour écrire directement en anglais. Ce n’est pas gênant dans les sciences expérimentales, où l’important gît dans les chiffres et les résultats de laboratoire, mais c’est gravissime dans les lettres et les arts. Imaginez que Heidegger, Deleuze ou Gramsci aient écrit dans un anglais international, leur pensée n’aurait simplement pas existé. C’est ce que je répondais à mes collègues qui ne comprenaient pas pourquoi la majorité de mes publications étaient toujours en français. Pour eux, je me tirais une balle dans le pied en restant fidèle à ma langue et aux éditeurs des pays francophones.

Les effets pervers sont nombreux et c’est l’ensemble des scientifiques qui pointent les lacunes et les défauts de Scopus. Triches, corruptions, gabegie, mauvais calculs, les critiques s’amoncellent pour alerter sur l’obsolescence des systèmes de référencement.

Pour vous donner un autre exemple tiré de mon expérience, voyez mon profil de chercheur sur Google scholar ou Scopus : les citations répertoriées sont très peu nombreuses alors qu’une recherche manuelle d’une minute suffit pour voir que des dizaines de citations ont été purement et simplement omises par les algorithmes en charge de cette affaire.

Et voici que la fine fleur de la recherche scientifique française se désabonne, carrément, de la base de publication Scopus. Pour en savoir plus, cliquer sur le lien ci-dessous :

https://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/le-cnrs-se-desabonne-de-la-base-de-publications-scopus

Ce qui se passe dorénavant, c’est que chaque champ de recherche se compose son petit catalogue de revues reconnues comme qualitatives, et discute pour trouver un consensus dans les méthodes d’évaluation de la recherche.

Restent malheureusement les pays et les universités sous-cotés qui, n’ayant pas les moyens ni les ressources humaines pour se doter d’un système propre, n’ont pas d’autres choix que d’être pieds et poings liés aux systèmes Scopus et apparentés.