Portrait de femme : Zina

Cette dame de petite taille a épousé un Nahdi et règne sur la fermette de Ftiss avec douceur et grandeur d’âme.

Ses gestes sont tous emprunts de lenteur et de précision. Elle ne me regarde pas dans les yeux, ma femme m’explique que c’est à cause de la pudeur des femmes de cette génération. Elle reste rarement oisive. En bonne villageoise, tous ses mouvements trouvent leur utilité dans une des categories de la culture rurale : planification, alimentation, rangement, lavage, nourrissage, affection, séparation homme/animal, aspersion d’eau, refroidissement, arrosage, etc.

Zina, ma belle-mère, est une femme d’une grande beauté et, comme tous les membres de ma belle-famille, d’une grande élégance. Elle n’est jamais débraillée, jamais vulgaire, toujours noble dans ses manières.

Il paraît qu’elle était vive et énergique quand elle était jeune. Aujourd’hui, elle vit au rythme d’une lenteur sacrée. « C’est la maladie », me dit-on.

Voici ce que j’observe le soir, quand chacun sort les nattes, les draps et les matelas pour faire sa couche dehors. Zina marche de ci de là, pose une couverture là et en déplace une autre ici. Elle traverse la cour plusieurs fois, pour faire un brin de toilette ou pour poser des choses. Puis elle se tient immobile une minute entière au bord d’une couverture en laine qu’elle a elle-même tissée jadis. Je me dis bêtement qu’elle souffre de démence, quand soudain je la vois s’incliner, se relever, puis se prosterner. Depuis cinq ou dix minutes, ma belle-mère se préparait à la prière du soir, sans que personne ne la remarque. Ce n’était pas « la maladie », c’était la foi simple et puissante des gens qui vivent près des bêtes et des lacs asséchés.

Quand nous passons nos vacances dans sa fermette, Zina pleure quand elle nous dit bonjour. Zina et Youssef pleurent quand nous leur disons au-revoir. Dans tous les cas, elle débite des paroles religieuses pour nous bénir et prier Dieu pour qu’il nous protège.

Ma femme lui reproche d’avoir perdu les robes et les accessoires qu’elle lui a offerts les années précédentes. Zina prétend d’abord ne pas savoir où se trouvent ses affaires, puis elle confesse qu’elle a donné telle robe à telle cousine, tel foulard à telle voisine. On dit d’elle qu’elle se fait abuser par des visiteuses intéressées. Je ne suis pas tout à fait d’accord. Selon moi, Zina est heureuse et fière de pouvoir être généreuse avec les braves gens de Ftiss. Elle donne ses plus belles robes et ses bijoux pour tenir son rang.

Avec Inès, Salman et Zina, juillet 2023.

Les enfants du coin viennent parfois passer quelques minutes avec elle. Dieu sait quelle transaction se noue entre les générations. Ce qui est sûr, c’est que Zina est la grand-mère que l’on ne manque jamais de visiter. Elle pleure parfois de ne pas voir suffisamment ses enfants, surtout celui qui est en exil dans un pays lointain et qui n’a pas pu embrasser Zina depuis 2016. Mais elle reçoit plus de visites que la plupart de nos ancêtres.

Avec Zina sur la plage de Hammamet, juillet 2023.

Toujours partante pour l’aventure, Zina nous accompagne sans broncher à la mer et à la montagne, dans les bars et les bowlings, dans les hôtels et les bolides. En reine mère accomplie, Zina est toujours à sa place dans son royaume, sur lequel jamais le soleil ne se couche.

10 commentaires sur “Portrait de femme : Zina

  1. J’aime beaucoup des textes de voyage en Tunisie. D’abord parce que j’ai l’impression d’avoir un peu de vacances et de découvrir la Tunisie, ensuite parce que j’ai le sentiment de rencontrer ceux dont tu nous parles, avec beaucoup de délicatesse. Et j’aime cette capacité à voir, dire, décrire, en ne retenant que le meilleur. Tu fais à l’écrit ce que la peintre Marie-Claire Mitout fait en peinture depuis des années et qui m’enthousiasme : toi aussi tu peins « les plus belles heures ». https://mcmitout.com/works/les-plus-belles-heures/article/part-50
    Comme elle, on te trouve dans les photos. Mais là, c’est la chose qui me chagrine : je trouve très laid ces selfies à la mode où l’espace se déforme et où le preneur d’image est au premier plan comme pour dire : « le plus important, c’est que j’y étais ». Je trouve qu’il y a là un décalage avec l’élégance du point de vue exprimé en mot.

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    1. Merci Cécilia pour ton gentil commentaire. Moi aussi je trouve ces selfies super laids mais je n’ai pas d’autres images de Zina. Voici l’explication : mon téléphone est détérioré et ne peut plus faire que des selfies ou des photos grand angle. Pour faire des portraits, je dois photographier avec l’appareil de quelqu’un d’autre puis télécharger l’image sur mon blog. Or pour cette opération apparemment simple, il faut beaucoup de paramètres qui ne sont pas souvent réunis pendant ce séjour en Tunisie : une connexion internet, des appareils chargés, des collaborateurs, une bonne lumière, des gens OK pour me genir en aide alors que j’ai râlé et traîné des pieds pour faire d’autres photos, etc. Résultats, je n’ai à ce jour que ces images idiotes. Je les mets en ligne car à leur manière elles disent aussi quelques chose de ma relation avec ma belle-mère.

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