Sollers a-t-il raté mai 68 ?

Mais 68 : Philippe Sollers consolide sa place dans le milieu littéraire en crachant dans la soupe dans un reportage télévisé extrêmement complaisant.

Le documentaire est fait par des amis, dans une mise en scène d’un maniérisme étonnant. On peut voir cela sur le site de l’INA. Pour faire de la pub, rien de tel que d’annoncer une polémique ou un scandale. La voix off prétend donc que Philippe Sollers est au centre d’une cabale contre Tel Quel et la littérature moderne. Sollers prend donc le rôle de l’écrivain qui refuse d’être écrivain, le littérateur qui veut la mort de la littérature. Il fallait se montrer révolutionnaire alors il lance des anathèmes où personne n’est visé : « Un certain type de pourriture particulièrement concentrée se trouve résiduellement accumulée dans ce qu’on appelle les milieux littéraires ; c’est vraiment là où la sordidité à l’état pur peut apparaître dans une société… ».

Il publie deux livres en 1968, Nombres et Logiques qui sont des élucubrations à la mode. Il cherche à incarner l’auteur qui accomplit la mort de l’auteur annoncée par Roland Barthes dix ans plus tôt. Avec sa coupe de cheveux qui imite Guy Debord, Sollers fait de lui un produit marketing.

Roland Barthes, parlons-en : il apporte son imprimatur, sa légitimation, en publiant une recension absconse dans Le Nouvel Observateur du 30 avril 1968 aux deux livres cités plus haut. On peut lire cette critique sur le blog Pileface, mais je n’en trouve pas trace dans ses Oeuvres complètes (tome 3, 1968-1971, édition de E. Marty, Éditions du Seuil, 1994, 2002). Ah si ! Cet article est repris dans un ouvrage de 1979 qui regroupe ses différentes recensions, Sollers écrivain (Roland Barthes, Oeuvres complètes, tome 5, 1977-1980.)

Barthes et Sollers s’entendent bien car l’un adoube l’autre et l’autre apporte son soutien avec ses divisions blindées d’une jeunesse radicale. Le sage précaire aime beaucoup Roland Barthes et l’a beaucoup lu pour ses recherches sur la philosophie du récit de voyage. Il lui pardonne donc beaucoup. Barthes aimait fréquenter des jeunes, il aimait les jolis garçons, c’est ainsi, il faut lui pardonner ses textes un peu complaisants. Lui pardonner aussi ses articles sur BHL, sur Renaud Camus. Il avait besoin de jeunesse autour de lui.

Pendant que les ouvriers faisaient grève, en mais 68, Sollers faisait de la stratégie commerciale.

6 commentaires sur “Sollers a-t-il raté mai 68 ?

  1. N’ayant me semble-t-il jamais rien lu de Sollers, je suis un peu perplexe. Il n’y a pas que Barthes qui ait défendu Sollers, il y a aussi Philippe Forest, dans un texte cité par le blog que tu cites toi-même, https://www.pileface.com/sollers/spip.php?article1240. J’ai l’impression que Sollers était face à la philo et aux sciences humaines en général comme beaucoup de littéraires qui sont à la fois persuadés de la nécessité de la théorie, repoussés par la technicité, et en même temps assurés par la pratique de l’écriture et de la fiction romanesque, du savoir qu’elle permet de fonder. On voit bien comment Sollers jouait et surjouait de sa gêne de littérateurs face aux « vrais intellectuels » au nom du « texte ». D’où le projet de Tel Quel, si j’ai bien compris. Et j’ai aussi l’impression qu’il y a là dedans quelque chose qui est au centre de la spécialité HLP, sans qu’on s’en rende compte parce qu’on est forcément d’un côté ou de l’autre, du côté philo ou du côté littéraire : l’impossibilité de mélanger la littérature et la philo, la condescendance de l’une, le ressentiment de l’autre, et leur éventuelle complémentarité. En tout cas, personnellement, je ne pourrais pas négliger la défense que fait Forest de Sollers, à cause de toi, c’est bien toi qui m’avais fait lire l’enfant éternel, il y a quelques années déjà, d’où conçu une admiration inconditionnelle pour Forest et donc aussi un peu par contagion pour Sollers.

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    1. Tout cela est bien vrai, Ben, et j’ajouterais que Sollers était venu à Paris au départ pour faire l’ESSEC, la grande école de commerce qu’il a abandonnée en bon homme d’affaires dès qu’il a su quel business était le sien. Il ne faut pas minimiser sa dimension de chef d’entreprise.
      Forest est comme les autres, il a besoin de soutiens dans le milieu. Tout le monde n’est pas doué comme le sage précaire pour se faire des ennemis et avancer dans des champs de mines.

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      1. Forest est professeur d’université à Nantes, il publie ses bouquins et est traduit, je ne suis pas sûr qu’il ait vraiment besoin de soutiens dans le milieu… Et même quand ce serait le cas, même si Sollers a fait l’ESSEC, je ne vois pas ce que ça peut changer à la valeur éventuelle de leurs textes.
        On ne peut pas faire comme si les gens écrivaient leur truc sans jamais se soucier d’être publiés et lus et peut-être même de gagner leur vie, ce qui entraîne peut-être un certain nombre de compromissions, et demande sans doute un sens de la pub et des lois du marché, dans un contexte qui est semble-t-il assez ingrat. Mais si quelqu’un réussit à écrire des choses qui ont de la valeur malgré cette situation, en jouant avec, et faisant de l’entrisme un peu subversif comme les situationnistes, où est le problème ? on peut peut-être saluer leur réussite.
        Encore une fois, je n’ai pas lu Sollers mais Forest, que je respecte beaucoup, a écrit une thèse sur Sollers et un bouquin universitaire sur Tel Quel, c’est pas juste un petit article de complaisance par-ci par-là. Ça suppose un engagement assez durable. Et la problématique que met Forest au centre de son argumentation pour défendre la posture de Sollers contre les critiques de Pinto et Bourdieu est à mon avis intéressante. Tu as lu l’article ? Je cite la conclusion :
        « le terme de « supercherie » introduit par Sollers est à entendre comme un synonyme de celui de « subversion ». Pour reprendre une formule introduite dans Paradis, c’est parce qu’il se « déguise en losophe » que Sollers « passe pour un mauvais philosophe ». La « supercherie » ne consiste donc pas à se prétendre doté d’une compétence universitaire qu’on ne détient pas mais à convoquer la voix du savoir dans l’espace d’une écriture qui scandaleusement s’énonce au singulier et, de ce fait, ne mime le discours philosophique que pour mieux parvenir par rapport à lui à une position de surplomb. Une fois que l’on a compris cela, les enthousiasmes successifs de Tel Quel pour Dante, Bataille, Joyce ou Duns Scot apparaissent clairement pour ce qu’ils sont en réalité : non pas des effets de mode, des engouements énigmatiques et frivoles — qu’on m’explique d’ailleurs en quoi parler de Dante, par exemple, relèverait aujourd’hui de la mode — mais les signes cohérents d’un intérêt constant pour cette posture dans laquelle le savoir — par le roman, la poésie, l’expérience intérieure voire l’infini — se trouve non pas nié mais mis en jeu. Le texte littéraire s’affuble du discours philosophique non pas pour le redoubler inutilement et se soumettre maladroitement à sa loi mais pour le déplacer et l’emporter dans un mouvement autre ; il devient le lieu où se met en musique tout savoir. Prenez, par exemple, un extrait de Paradis et vous en aurez l’indéniable démonstration. Ecoutez encore ce texte parmi les plus récents dans lequel Sollers fait voir et entendre on ne peut plus clairement que ce sont Heidegger et Freud qui sont les contemporains de Rodin et non l’inverse : vous en aurez alors la plus actuelle des vérifications et pourrez constater — sans doute, à votre plus grande surprise — la singulière constance des préoccupations de l’auteur ». https://www.pileface.com/sollers/spip.php?article1240

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      2. Oui Philippe Forest a fait sa thèse la-dessus de manière à avoir un sujet porteur. Grâce à ce sujet de recherche et à d’autres publications il a pu decrocher ce poste à Nantes. Bravo à lui.
        Franchement, l’extrait que tu cites me paraît plus de sous-Sollers que du bon Forest. S’il avait dû publier cela dans une revue sérieuse, son texte aurait été retoqué. C’est un style et un contenu dignes d’un journalisme branché et intello. Du point de vue de la recherche en littérature, c’est de la roupie de sansonnet.
        Sinon oui, connaître les lois du marché c’est bien, ça ne fait pas de vous un bon auteur mais ça ne vous disqualifie pas non plus.

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      3. Je ne serais pas aussi sévère que toi. Je pense que Forest a mérité son poste de prof-autant qu’un prof peut mériter son poste. En tout cas je ne crois pas qu’il suffise de travailler sur Sollers pour devenir prof en fac, mais de toute façon là dessus on ne peut que faire des hypothèses plus ou moins soupçonneuses et paranoïaques ou naïves et bêtement confiantes.
        Par contre, moi, son texte me parle, je ne comprends pas tout mais il me semble que ça touche un vrai problème qui est le rapport de la littérature avec la philosophie, comme je l’ai dit, et qui avance une possibilité de positionnement du littéraire par rapport au théorique qui pourrait peut-être être viable, mais me situant moi-même plutôt du côté théorique, je ne peux pas vraiment juger. Mais il est bien évident pour moi en tout cas que ce n’est pas un texte de théorie, en tout cas pas dans un style analytique, plutôt dans un style post-moderne. Y a des tas de trucs comme ça chez Derrida et autres.

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