Roux le Bandit d’André Chamson, un roman pour notre temps

Manuscrit de Roux le Bandit. Incipit du roman.

Publié en 1925, Roux le Bandit raconte l’histoire d’un déserteur. Le jeune Roux décide de disparaître dans les montagnes des Cévennes lorsque la France mobilise sa population pour aller se battre contre l’Allemagne dans ce qui va devenir la première guerre mondiale.

On comprend immédiatement combien cette histoire m’a charmé dès que mon ami Peter me l’a racontée. J’ai lu ce roman en 2012, lorsque je vivais moi-même dans une cabane cachée dans les montagnes cévenoles. Il était impossible de ne pas identifier le sage précaire quadragénaire et le héros trentenaire de 1914. Un siècle me séparait de Roux, et bien qu’il dût vivre une épreuve difficile et dangereuse, je me sentais proche de lui.

Au tout début, les Français partaient à la guerre la fleur au fusil et pensaient être de retour dans leur ferme quelques mois plus tard. C’est pourquoi les fermiers du roman racontent l’histoire en insistant sur le mépris qu’ils ressentaient vis-à-vis de Roux, quand ils s’aperçurent que le jeune paysan manquait à l’appel, qu’il s’était évaporé dans la nature.

Pendant le premier tiers du roman, peut-être la moitié, les Cévenols traitent Roux de lâche et le méprisent pour avoir cédé à la peur. Alors que les jeunes de la région se faisaient tuer ou blesser sur le champ de bataille, les vieux du village lui reprochaient de mener la vie de bohème et de tirer au flanc.

Mais la guerre s’éternisa et les Français se sentirent floués, trahis par leurs élites encore une fois. Déserter, finalement, n’était plus considéré comme une option aussi monstrueuse. C’est l’Etat qui est monstrueux et, dans des circonstances extrêmes, la désobéissance civile peut être la seule alternative à la barbarie. C’est ce que raconte le roman d’André Chamson à l’époque où l’auteur est pacifiste. Plus la guerre dure dans le temps, plus les paysans acceptent la fuite de Roux. Ils finissent par avoir des contacts avec le fugitif et, petit à petit, on comprend ses motivations : c’est un objecteur de conscience qui fuit la guerre par fidélité pour sa religion. Aujourd’hui, si le même héros était musulman et non protestant, on dirait de lui qu’il est « radicalisé » car il place sa foi au-dessus des lois de la république.

Homme des bois cévenol, déserteur de 14-18. Source inconnue.

Roux a vraiment existé, mais dans une région située plus au nord, en Lozère. Grosse différence entre le vrai Roux déserteur et le personnage de fiction : Alfred Roux ne parlait pas de religion, il se défendait avec des armes et n’attira jamais la sympathie des Cévenols car il était un sauvage incommode.

Le célèbre historien des Cévennes, Patrick Cabanel, qui m’a déçu lors de sa conférence à la médiathèque du Vigan mais dont j’apprécie les écrits, affirme qu’il existe un exemplaire de l’édition originale signée par André Chamson et par Alfred Roux lui-même, ce qui accréditerait l’idée selon laquelle l’écrivain et l’ancien déserteur se seraient rencontrés.

Je vous invite à lire l’article de Cabanel sur Roux le Bandit, il est un peu foutraque mais dans le bon sens du terme : bien écrit, c’est de la recherche historique de qualité, créative et réflexive, avec des sources faciles mais pertinentes, et quelques documents qui paraissent légèrement apocryphes, tout ce qu’on aime dans les bureaux de la Précarité du sage. Voir, en ligne ou sur papier, Patrick Cabanel, « André Chamson : Roux le Bandit, la guerre et la paix », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (1903-2015), Vol. 160, LES PROTESTANTS FRANÇAIS ET LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE (Janvier-Février-Mars 2014), pp. 507-521, ici p. 510.

Connaissant cet historien, plus proche intellectuellement du Sage précaire que d’un scientifique incorruptible, je ne peux exclure qu’il ait purement et simplement inventé ce livre dédicacé, que personne n’a vu à part lui. Les historiens ont parfois aussi de ces envies de légendes et de mythes, comme le sage précaire les fait naître à sa façon.

Roux le Bandit doit donc prendre sa place dans la jeunesse des années 2020, après avoir plus à celle des années 1920. À l’heure des réformes iniques sur l’âge de la retraite, ce roman nous invite à réfléchir sur l’idée de retraite, de mises en retrait. Au temps venu des expérimentations de vie autonome et alternative, ce récit nous montre une vie d’insoumis pacifique et auto-suffisante. Le personnage de Chamson se débrouille tout seul, sans l’aide de la société, mais continue d’entretenir des relations d’entraide avec des vieux et des vieilles, il n’hésite pas à offrir son aide clandestinement à ceux qui le voient sur la draille ou dans les forêts. De ce point de vue, il me fait penser aux jeunes Arc-en-ciel qui vivaient en marge des villages et qui organisaient un système de solidarité inouï. C’est donc le roman des néo-ruraux qui cherchent quelque chose comme une résistance durable aux dérives du capitalisme.

Jeunes gens qui prônez la désobéissance civile, plutôt que de brandir des auteurs américains, lisez dans vos yourtes et exposez dans vos manifs de beaux exemplaires de Roux le Bandit, le roman des réfractaires non violents.

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