Sage plaquiste

Tout le monde parle du « placo ». On ne peut plus faire de travaux tranquillement sans entendre ce mot dix fois par jour. De mon temps on n’en parlait jamais.

Il s’agit de monter des cloisons sans briques, sans béton, sans bois, sans rien qui coûte cher. Les plaques de plâtre sont à la fois simples à poser, faciles à découper, à percer, à trouer, à manipuler, à visser. Grâce à ces cloisons en plâtre, on peut isoler son logement en glissant de la laine de verre entre elles et les murs. On peut enfin faire passer les câbles électriques, les tuyaux d’eau et tout ce qui nous déplaît derrière la cloison en « placo ».

Or je ne savais pas faire ce travail de plaquiste et cela me frustrait.

J’ai fini par acheter le matériel et essayer avec les moyens du bord.

Un beau mois de juillet

Hannah Arendt sur le chantier de notre appartement

Ces vacances d’été n’ont de vacances que le nom.

Le sage précaire passe un mois de juillet 2022 extrêmement laborieux et studieux. Quand il ne travaille pas dans son appartement, il écrit des conférences et des articles. Quand sa femme ne fait pas de la maçonnerie, elle travaille sa thèse. Quand ils ne se rendent pas au café pour avoir de l’internet, le sage précaire et son épouse décapent, vissent, scient, posent, font du carrelage, plaquent, consolident, assemblent, peignent, vernissent, construisent, gondent et dégondent, bref apprennent les métiers du bâtiment.

Non seulement le sage et son épouse partagent les travaux du même appartement, mais en outre, ils écrivent sur un sujet assez proches et en viennent à lire des sources voisines. En conséquence, il leur arrive de discuter sur Hannah Arendt le matin, de se disputer sur des étagères l’après-midi, de se réconcilier pour faire la sieste et de relancer une discussion au soir tombé sur l’opposition entre « désolation » et « isolement ».

Pourquoi aller sur une plage ?

Histoire de l’aid : une mosaïque inattendue

Je vais vous raconter une histoire qui ne pouvait nous arriver que le jour de l’Aid. Fête musulmane majeure.

Tout commence il y a deux jours. Nous achetons pour une poignée d’euros des carreaux de vieilles faïences. Dieu sait ce que mon épouse planifiait de faire avec ces carreaux.

Arrivés à la maison nous jetons un œil sur la faïence et réalisons que c’est une sorte de puzzle. Il y a des motifs et nous essayons de composer des fleurs, des détails architecturaux et des lignes qui semblent être des tiges.

Petit à petit nous voyons apparaître un tableau charmant. Une porte orientale sous un ciel étoilé. J’y vois, personnellement, une porte de mosquée. À l’intérieur, plutôt que des jets d’eau qui servent aux ablutions, un jaillissement de végétaux et de fleurs.

Chemin faisant, nous vîmes que les carreaux étaient made in Tunisia.

C’était notre cadeau de l’Aid. Un Signe envoyé par le tout-miséricordieux pour nous encourager dans nos efforts de rénovation.

Notre joie fut intense et durable. Joyeux aïd à tous. Que votre vie soit pleine de surprises et de trésors inattendus.

Que dire de la guerre ? Jonathan Littell le sait, mais peut-en encore lire Jonathan Littell ?

Je me demande comment font les gens pour avoir des opinions aussi fermes sur la Russie et l’Ukraine, sur Poutine et sur Biden, sur la guerre et sur l’importance d’une victoire de tel ou tel. Les belles âmes, surtout, semblent tellement sûres d’elles-mêmes, c’en est effrayant. Les gens comme Jonathan Littell, par exemple, sont tellement clairs avec eux-mêmes et avec le monde, qu’ils n’hésitent pas réclamer notre entrée en guerre pour écraser l’armée russe.

Prix Goncourt 2006, J. Littell est une belle âme professionnelle et un mauvais écrivain de langue française soutenu par une gauche ralliée au néo-conservatisme. Il parle comme BHL, on peine à voir une différence entre eux, et il publie des tribunes dans la presse dont voici quelques extraits. Tout y est : la paix nous rend faible, Poutine est comparé à Hitler, le désir de guerre totale, l’idée simpliste qu’il suffit de gagner une guerre, l’indifférence totale devant les difficultés économiques des pauvres gens.

La petite musique délétère monte de tous côtés.

Si nous n’avions pas été aussi impuissants, aussi timorés, aussi aveugles, si nous avions réarmé l’Ukraine dès 2015…

Poutine – qui ne comprend qu’une seule loi, celle du plus fort – …

Maintenant, nous pleurons parce que le prix à la pompe dépasse les 2 euros, et commençons déjà à chercher une porte de sortie. C’est une honte, c’est un scandale.

Aujourd’hui, c’est 1939.

Comme avec le Troisième Reich de Hitler, le chemin vers la paix passera à terme par l’effondrement total du régime de Poutine.

En Europe, nos dirigeants, toujours engoncés dans leurs mythes, leur paresse intellectuelle et la faiblesse morale induite par une trop longue paix, semblent perpétuellement tentés par le compromis.

Seule une défaite militaire complète des forces russes en Ukraine pourra ramener un semblant de sécurité sur le continent.

Sans une victoire claire et nette de l’Ukraine, toute diplomatie ne sera que bavardage, ou capitulation.

Ce n’est pas à nous de présenter nos excuses, mais bien plutôt de lui infliger une bonne leçon et de le renvoyer à la place qui est la sienne.

Jonathan Littell, « La Russie doit perdre cette guerre », L’Obs, 7 juillet 2022.

Qui croit à des conneries pareilles ? Dans le monde réel, je veux dire, qui pense vraiment qu’on doit faire la guerre totale avec une puissance nucléaire capable de tout faire sauter ? Parmi les lecteurs de L’Obs, par exemple, j’en appelle aux lecteurs maintenant, y en a-t-il qui adhèrent vraiment ?

Choisissez les bons auteurs de voyage

A. Potoski et le sage précaire, juin 2022

Visite d’Antonin Potoski dans les Cévennes.

Il travaille beaucoup et vit toujours en voyage mais ne publie plus rien depuis bientôt dix ans. Il laisse toute la place aux écrivains-voyageurs qui se vautrent dans les poncifs sur les voyages et la liberté.

Je profite de cette visite pour rappeler une énième fois que la littérature des voyages n’est pas seulement représentée par les auteurs réacs et faussement cultivés du genre de ceux que je critique sur ce blog et dans mes publications scientifiques. La littérature géographique est aussi le théâtre de formidables courants d’écriture où l’on entend des voix singulières, puissantes et nouvelles.

Pour vos vacances d’été, oubliez les stars de l’esbroufe qui garnissent vos librairies innocentes, et jetez dans vos bagages les récits géniaux d’Antonin Potoski, de Bruce Bégout, de Philippe Vasset, ou des frères Rolin.

La cuisine en granit

Je suis très fier des travaux que nous faisons dans notre appartement, mais mon épouse en ras-le-bol de m’entendre faire des visites guidées. Je parle de notre chantier avec la même énergie qu’une exposition d’art dans un musée.

Mon épouse aimerait que je la mette en veilleuse car elle trouve que ma façon de parler s’apparente à de la vantardise. Elle a peur que ma forfanterie nous attire le mauvais œil.

Ce qu’elle ne comprend pas, c’est que c’est son talent à elle que je mets en avant, pas le mien, et certainement pas notre richesse matérielle.

Prenons l’exemple du plan de travail de la cuisine. Hajer voulait du marbre, au début, pour éviter les inconvénients du bois et des plans en aggloméré vendus dans les grandes enseignes. Or le marbre est trop cher. Elle a trouvé la solution en cherchant sur internet un couple de retraités qui vendait leur ancienne cuisine dont le plan était en granit.

Nous sommes allés chercher ces plaques de granit en Dordogne. Nous en avons profité pour visiter et dormir une nuit à Sarlat.

Nous avons ensuite pris contact avec le tailleur de pierre de Saint-Hyppolite-du-Fort pour qu’il nous creuse des trous adaptés aux plaques de cuisson et aux éviers. Ce tailleur de pierre nous a appris que notre granit était connu dans sa communauté : il vient d’Inde et s’appelle « Colonial White« . Il nous en a même montré des plaques entières qu’il entreposait.

Comment voulez-vous que je ne m’enthousiasme pas ? Tout est admirable et romanesque dans ce que je viens de décrire et tout est redevable du génie de ma femme. Tout est beau, et il faudrait que je me taise ?

Tout est beau dans ce que je viens de vous raconter. Tout. Le granit, le nom du granit, le nom du village où on a trouvée le tailleur de pierre.

Le fait même qu’on aille chez un tailleur de pierre. Quel roman. Qui savait que de tels métiers existaient encore ? Tailleur de pierre. Je me répète cette information avec émotion, en jouant au mec cool, indifférent, alors que je jubile à l’intérieur. « Nous sommes allés chez notre tailleur de pierre… »

Où cela ? Mais à Saint-Hyppolite-du-Fort, figurez-vous. Non loin de Saint-Bauzille-de-Putois.

Et vous savez comment on appelle ce granit ? C’est notre tailleur de pierre qui nous l’a dit.

Et tout cela nous à coûté moins cher qu’une cuisine bas de gamme achetée dans une grande enseigne. Alors je m’en vante, mais un truc de ouf.