Amateurs et Professionnels de l’écriture

Lettre de ma soeur qui pensait n’avoir jamais écrit. Lettres du Brésil, 2015.

Pour choisir les livres que vous achetez et lisez, vous suivez des critères inconsciemment : vous êtes sensibles à l’apparence de la couverture car les apparences disent beaucoup de choses sur le sérieux de l’entreprise. D’un simple coup d’oeil vous déterminez si l’écrivain est fiable, et cela se détermine à des éléments extérieurs au texte, ce qu’on appelle le « paratexte ». La couverture est bien faite, donc l’éditeur est un professionnel. L’objet se trouve dans une librairie cossue du centre ville, donc c’est une affaire de professionnels. Un bandeau rouge couvre le livre indiquant éventuellement un prix littéraire, donc la chose est légitimée par la profession.

Le contraire absolu de ce professionnalisme, c’est le blog. J’ai rencontré beaucoup de lecteurs qui, bien que lecteurs de La Précarité du sage et inspirés par certaines de ses pages, ne le considèrent pas comme une lecture à part entière.

Une lettre d’un voyageur à son père. Lettres du Brésil, 2015.

Il est temps de faire l’éloge de l’amateurisme. Être un amateur ne signifie pas être moins bon qu’un professionnel, bien au contraire, cela signifie « agir par amour », par inclination. Cela implique qu’on ne cherche pas à être payé, mais pas qu’on ait peu de connaissance ni moins de talent dans le domaine en question.

Sur ce sujet, lire Intellectuel amateur contre Chercheur professionnel

La Précarité du sage, 2008

Gardons cela à l’esprit : nos écrivains préférés étaient pour la plupart des amateurs qui vivaient d’autre chose que l’écriture. Montaigne, Pascal, Descartes, Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot, Nerval, Baudelaire, Stendhal, Flaubert, Verlaine, Rimbaud. Aucun d’eux ne vivait des ventes de leurs livres. Vous allez me dire que je joue avec les mots car Il faut comparer ce qui est comparable et prendre en considération le contexte économique, culturel et industriel de la France du XXe siècle.

Voici pour le XXe siècle : Marcel Proust était un écrivain amateur qui gagnait sa vie comme rentier et homme d’affaires. Guillaume Apollinaire était un poète amateur qui gagnait sa vie comme journaliste. En revanche, l’anarchiste Octave Mirbeau, l’antisémite Drumont ainsi que le nationaliste Maurras étaient des écrivains professionnels, car ils vendaient beaucoup de livres.

Chez les écrivains géographes d’aujourd’hui, Antonin Potoski est un écrivain amateur qui gagne sa vie dans un emploi mystérieux et obscur, alors que Tesson, les époux Poussin ou Franceschi vendent assez de livres pour vivre de leur plume, ce qui fait d’eux des professionnels.

Pour en avoir le coeur net, j’ai lu des auteurs best-sellers comme Nothomb, Musso, Lévy, Grimaldi, etc. Ne perdez pas votre temps, vous imaginez que ça ne vaut pas grand chose et c’est en effet de la merde. Concentrons-nous sur les auteurs qui valent quelque chose.

Parmi eux, aujourd’hui, les écrivains professionnels ne vendent pas assez de livres pour générer un revenu digne de ce nom mais jouissent d’à-valoir et de contrats d’éditeurs qui mensualisent leurs revenus. Il sont donc obligés de publier un livre par an pour honorer leurs contrats. Comme cela demeure modeste, ils courent après les bourses, les prix littéraires, les résidences et les aides en tous genres. Ils font une cour humiliante aux journalistes pour obtenir une visibilité toujours décevante. Ce n’est pas une vie pour eux et cela ne constitue pas, pour nous, un patrimoine littéraire de grande valeur.

Alors le sage précaire revendique son statut d’amateur et d’écrivain blogueur. Et surtout, il met sa confiance de lecteur en ceux qui écrivent par amour, de manière désintéressée, car les chefs d’œuvre sont sortis de cerveaux en vacances.

16 commentaires sur “Amateurs et Professionnels de l’écriture

  1. Cette question du professionnel et de l’amateur m’a poursuivi quand j’étais peintre, installateur, sculpteur sur mon temps libre. J’ai créé mon Siret ce qui ne change rien, mais me permis de narguer ceux qui me refusaient le nom d' »artiste ». Car artiste nous sommes dans l’âme et bien malgré nous, et le marché n’y changera rien

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    1. Oui chez les artistes la différence est encore plus poignante car le champ de l’art est vraiment colonisé par le marché de l’art et ce marché n’a vraiment cure de la qualité ou de l’intérêt des œuvres. Dans l’art plus qu’ailleurs les statuts de professionnel sont sans corrélation aucune avec la qualité des productions.

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  2. Oui bien sûr, le marché de l’art, le commerce de l’art, certes mais on peut être un bon artiste professionnel, engagé dans sa tâche, attentif à faire du mieux possible sans que cela ne rapporte rien sur le plan pécunier. « amateur » n’est pas de l’amateurisme.

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    1. Ce n’est pas gentil de ta part Michel. Tu aurais pu me la laisser, celle-là, que j’aurais accrochée à ma cheminée, comme une tête de gibier.
      Tu es allé la chercher loin cette variante qui reste à mes yeux une simple faute, commise par des gens que citent le Littré. Mais je suis un libéral donc si des gens veulent vivre et écrire avec pécunier/pécunière, je ne vais pas m’en formaliser.
      Pour une autre référence en orthographe qui rejette cette variante, voir Projet Voltaire : https://www.projet-voltaire.fr/regles-orthographe/pecuniaire-ou-pecunier/

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      1. « par des gens que citent le Littré » hum hum « que cite le Littré », je pense.
        Mais je t’accorde que « pécuniaire » est plus joli et doré-navrant je n’écrirai plus que « pécuniaire », promis, en souvenir de cet échafaud fourré!

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  3. Et ce n’aurait pas été une coquille, si j’en crois la définition du terme en typographie ( Substitution d’une lettre à une autre, par erreur, dans la composition d’un texte) mais bien une grosse fote. Heureusement, la variante est admise.

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  4. « …les chefs d’œuvre sont sortis de cerveaux en vacances.  »
    Troublante assertion qui m’interroge sur la vacance ou les vacance d’un cerveau. Le cerveau vacant serait celui du maître zen, ayant atteint la vacuité ultime qui peut être considéré comme un chef d’oeuvre par les méditants, plus habitués aux douleurs aux genoux. Quant aux vacances (pluriel) – périodes légales de congés pendant lequelles les gens se déplacent – je ne suis pas certains qu’elles aient engendré des chefs d’oeuvre. Le vagabondage, « fut-il » de l’esprit, génère-t-il autre chose qu’un courant d’air?

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