Comment je suis devenu guide touristique de luxe à Birkat al Mouz, Oman

Un jour, une amie nous demanda si nous serions intéressés de faire visiter notre village et notre région à des touristes fortunés venus de France. A priori non, nous n’étions pas intéressés, mais nous avions tellement d’affection pour notre amie que nous avons dit… mmmmoui pourquoi pas.

Une amie de notre amie avait une agence de tourisme ultra spécialisée pour les plus riches d’entre nous. Enfin, pour les plus riches d’entre vous, parce qu’entre les lecteurs de La Précarité du sage et le sage précaire, un gouffre économique tisse sa toile, si l’on peut s’exprimer ainsi.

Je ne sais pas trop pour mon épouse, mais pour moi l’oasis de Birkat al Mouz était trop précieuse, trop belle, trop intime pour être partagée avec des groupes de touristes. Comment vous faire comprendre cela ? Mon oasis était ma découverte, mon trésor, mon invention. Ma fille, ma bataille. La plupart des gens qui vivaient en Oman ne le connaissaient pas à cette époque. Je l’ai fait découvrir à des amis de Mascate qui pensaient connaître le pays comme leur poche. Je l’ai même fait découvrir à des habitants de Nizwa et de la nouvelle ville de Birkat al Mouz. Il faut s’imaginer que c’était un joyaux complètement inconnu et que les guides touristiques (les livres du genre Guide Gallimard et Lonely Planet), en français, en anglais et en allemand, n’en disaient que quelques mots, pour indiquer que ce village était la porte d’entrée de la route menant à la montagne, et qu’il était possible d’y faire le plein pour les 4×4.

Or, les voyageurs les plus riches, que faut-il leur offrir ? Ils veulent de l’exceptionnel, du luxe et de la qualité supérieure, mais il veulent aussi de l’authentique, du local et de l’expérience enracinée. Nous pouvions leur offrir cela, non le luxe mais l’exceptionnel et le local. Nous pouvions les emmener dans les ruines les plus incroyables d’Arabie ; nous pouvions même les faire entrer dans des mosquées rares et sublimes. Nous pouvions leur faire vivre une expérience unique, dans les profondeurs de l’islam ibadite dont notre oasis et la vieille ville de Nizwa étaient le coeur vibrant. Nous pouvions le faire, mais cela leur coûterait la peau des fesses, alors mieux valait laisser tomber.

Notre amie nous mit finalement en contact avec son amie, car nous traînions des pieds devant cette proposition. Notre but était de refuser poliment et gentiment l’offre de cette agence de voyage. Je ne savais pas comment le lui dire : nous n’avons pas de temps libre pour le tourisme, et puis nous sommes très occupés, nous sommes des profs d’université, nous avons des livres et des articles à écrire, nous sommes suffisamment payés, nous n’avons pas besoin d’arrondir nos fins de mois. J’essayais aussi de lui faire comprendre que ma femme n’était pas Madame Tout-le-monde, qu’elle avait des compétences qui la rendaient hors compétition, hors normes, sans comparaison avec la meilleure des guides touristiques, qu’on ne pouvait pas s’attacher les services de ma femme avec quelques billets. De mon côté, on pouvait me corrompre assez facilement, mais j’étais un être trop laborieux, il me fallait des mois pour écrire un article de recherche, j’étais trop paresseux, trop jouisseur, trop désireux qu’on me foute la paix pendant les week-ends.

L’amie de notre amie ne désarmait pas, et c’est ce qui me désarma. Elle gardait le sourire et c’était désarmant. Elle disait qu’on n’avait pas à bosser le week-end, que nous pouvions poser nos conditions et qu’elle se débrouillerait avec ses richissimes clients pour faire entrer nos conditions dans ses emplois du temps compliqués.

Nous ne savions plus comment refuser. Ma femme me demanda de ne rien faire qui puisse déplaire ou froisser l’amie qui nous avait mis en contact. Je me lançai à l’eau, toute honte bue, avec mon dernier argument massue : « Le problème, vois-tu, est que tout ce que l’on pourrait offrir est trop cher pour une agence de voyage. J’ai honte de le dire, car ça me fait passer pour un vile capitaliste, et moi-même je n’accepterais jamais de payer autant pour ce genre d’expérience, donc je ne mes sens pas bien de te parler ainsi, mais voilà, nous ne pourrions pas passer de temps avec tes clients à moins de & »/?£@≠÷€}«¶¶{ de l’heure.

L’amie de notre amie ne se départit pas de son sourire et dit : « D’accord ».

D’accord pour & »/?£@≠÷€}«¶¶{ de l’heure ?

Dans ce cas-là, nous ne pouvions plus vraiment faire machine arrière. Nous devînmes à cette minute des guides touristiques pour Français, Belges, Suisses et Québécois fortunés.

Je pense que notre amie entrepreneuse avait l’idée suivante en tête : je vends cette prestation à perte pendant quelques mois, je vois si ça fonctionne et si les clients en ont pour leur argent, et en attendant je vois si je peux trouver du personnel moins cher et tout aussi compétent que ces deux-là pour atteindre à moyen terme à un équilibre dans lequel tout le monde pourra se retrouver.

Du moins, moi, si j’avais été elle, c’est ainsi que j’aurais réfléchi.

Cruising au soleil couchant, Seeb

Quand nous n’avons pas l’énergie d’aller nager dans la mer, parce qu’il fait trop chaud et que nous sommes de gros flemmards, Hajer et moi partons au hasard des rues, à pied ou en voiture.

Parfois, Hajer sort son téléphone et, possédée par je ne sais quel génie intérieur, elle filme ce qu’elle voit, surtout quand le soleil couchant se trouve dans notre ligne de mire. Ce sont de rares moments où l’on se dit que l’on pourrait faire des reportages de ouf, si nous nous y mettions.

Nous ne filmons pas la plupart des choses que nous voyons, encore moins les gens que nous rencontrons. Et pourtant Dieu sait qu’ils méritent d’être vus et entendus.

L’art de la promenade en voiture nous vient de la culture américaine, c’est pourquoi on utilise des mots anglais pour la décrire, le « cruising ». En Irlande, mes amis dublinois m’avaient introduit à ce passe-temps philosophique de rouler pour rouler. L’écrivain-philosophe Bruce Bégout a publié plusieurs livres de littérature géographique en Amérique dans lesquels il parle du « cruising« . Or, ici en Oman, les Indiens ont introduit un nouveau terme : « roaming« . On peut donc dire que mon épouse et moi roamions à Seeb. Ce n’est pas très heureux, comme expression.

Nous nous faisions systématiquement klaxonner car nous étions trop lents, trop contemplatifs. N’oublions pas qu’ici, en juin 2021, l’épidémie du COVID 19 est repartie à la hausse et que le gouvernement a instauré un nouveau couvre feu à 20h00. Nombreux sont les automobilistes qui voulaient rentrer chez eux avant l’heure fatidique et ne supportaient pas les touristes comme nous. Alors à partir de 19h00, le roaming sur la corniche n’est plus possible, pollué qu’il est par une armée de citoyens qui respectent la loi.

Un ballet automobile autour d’un arbre

Hier, à la nuit tombante, nous sommes allés voir le margousier le plus intéressant de Seeb. Il est seul sur une grand place vide, dont je ne sais pas si elle est un terrain vague ou un espace volontairement vide, pour faire respirer ledit margousier.

Les enfants jouent non loin, et le long des maisons, les femmes et les hommes prennent le frais relatif de la fin de journée, assis par terre sur des tapis où ils se servent du thé.

Cet arbre m’a plu au premier regard, quand je l’ai découvert lors de promenades hasardeuses. Nous venions de déménager à Seeb et je découvrais mon quartier à pied et en voiture, en me laissant porter dans les méandres des vieilles rues. Ce sont les arbres qui m’ont de suite intéressé. Ce sont les arbres qui m’ont parlé de l’histoire de ma ville.

Celui-là, par exemple, il me parut grand et majestueux. J’ai senti immédiatement qu’on le respectait, voire qu’on le vénérait, ou plutôt qu’on l’avait vénéré et qu’il était aujourd’hui à la retraite. Mais je crains qu’il souffre. Non de la sécheresse, car pour être aussi vieux il a dû plonger ses racines dans une terre riche, mais des maltraitances humaines. Des branches sont cassées autour de lui. Des clous lui ont été plantés dans l’écorce.

Souvent, mes joggings et mes promenades me mènent à lui et je ressens quelque chose près de lui. À l’aube, il m’arrive de grimper sur son tronc et de me reposer sur une branche. Qu’est-ce que je ressens exactement ? Je ne saurais le dire.

Malade du Covid 19, je me forçais à faire des promenades le soir et/ou le matin. Plusieurs fois, j’ai dépassé mes forces et mon énergie pour marcher jusqu’à ce margousier qui m’apaisait. Les femmes assises sur les tapis devant leur maison me regardaient. Je n’osais leur dire bonjour ni les regarder, pour ne pas les gêner. Je touchais l’arbre magnifique sans savoir pourquoi. Je n’allais pas jusqu’à l’étreindre mais j’y collais mon dos endolori. Dire que l’arbre me revigorait serait exagéré. Ce qui est vrai est que je suis attiré vers cet arbre, par cet arbre, que je vais le voir intentionnellement, et que je ne sais pas pourquoi.

Il est appréciable que les communautés humaines l’aient laissé là, au milieu de nulle part, depuis plus de cent ans. J’ai déjà dit combien cette essence d’arbre était précieuse et médicinale dans le sous-continent indien, nul doute que celui-ce en particulier jouait un rôle de pharmacie collective tandis que tous les autres, à Seeb, appartiennent clairement à une habitation privée.

Pourquoi tant d’acharnement contre Jean-Luc Mélenchon ?

J.-L. Mélenchon : « Je pense à ces milliers d’hommes venus de si loin pour libérer la France des nazis. Des troupes des différentes colonies, et beaucoup, beaucoup, beaucoup sont morts dans la prise de la colline. » Marseille, mai 2021.

On peut se demander ce qui leur prend, à tous, de taper si fort sur Jean-Luc Mélenchon. Le seul qui ait subi une telle animosité contre lui dans l’histoire récente fut Jean-Marie Le Pen dans les années 1980 et 1990. Moi-même, j’avoue que j’avais peur de Le Pen à l’époque.

Cette unanimité fait réfléchir. Mélenchon doit faire peur, mais pourquoi fait-il peur ? Pourquoi lui préférer François Ruffin, Adrien Quatennens ou tout autre figure de la gauche ? Pourquoi tant de gens ont peur d’un vieil homme littéraire qui n’a pas de bons sondages, qui n’a pas commis d’autres crimes que de hausser la voix quand des hommes lui interdisaient d’entrer dans ses propres locaux, un vieil homme franc-maçon, ancien professeur, député de la nation ?

Que peut-on craindre d’un homme comme lui ? Au point pour le philosophe Raphael Einthoven d’aller dire que Le Pen lui est préférable ? Au point pour l’autre philosophe (Ô ma France, pays des intellectuels) Michel Onfray de le traiter d’homme malade et « condensé de pathologies » ? Au point pour le pouvoir en place de le traiter d' »ennemi de la République »…

Je ne sais pas si Mélenchon ferait un bon président et je ne sais pas si je voterai pour lui. D’ailleurs, je ne sais plus pour qui j’ai voté au premier tour de la présidentielle de 2017. Et le sage précaire n’a que peu d’appétence pour l’Assemblée constituante voulue par la France insoumise ; pas davantage pour l’usine à gaz que sera sans doute la sixième république. Mais la sagesse précaire n’a pas peur de Jean-Luc Mélenchon, ceci est une chose certaine. La sagesse précaire n’appelle pas à voter, la sagesse précaire s’en fout, mais elle aime bien écouter les gens qui ont quelque chose à dire, à droite, à gauche, au centre, et parmi toutes les religions. La sagesse précaire a plus peur des racistes, des suprématistes, des délinquants, des voleurs, des évadés fiscaux, des prédateurs économiques, que des populistes lyriques qui appellent à la réconciliation nationale.

Alors voici mon hypothèse. Mélenchon fait peur car il est le seul en France à posséder un art rhétorique capable de faire vibrer une corde sensible chez des populations très variées. Si ces populations se mettaient soudain à voter, et personne ne peut être sûr qu’elles ne le feront pas, cela ferait bouger les lignes de manière irréversible.

Jean-Luc Mélenchon est le seul orateur capable de se faire entendre par des ouvriers, des chômeurs, des profs, des fonctionnaires, des intellectuels et surtout aussi des immigrés, des musulmans et des gens originaires d’Afrique. Personne d’autre ne sait faire cela aujourd’hui en France. Et tout ce petit monde mis bout à bout fait largement 50 % de Français.

Alors il est certain que si l’on pouvait « se débarrasser » de Mélenchon « le plus vite possible » (dixit une ancienne ministre de François Hollande), il y aurait moins de risque qu’une jonction apparaisse entre les différents mouvements sociaux, les différentes luttes pour le respect et la reconnaissance, les différents combats des pauvres gens et les différentes soifs de dignité.

Les pur-sang du Sultan sur ma plage

Les chevaux du Sultan font leur sortie quotidienne au coucher du soleil, Seeb.

À quelques kilomètres de Seeb où j’habite, à Mabaila, se trouvent les haras privés du Sultan d’Oman. Comme l’Oman est une monarchie absolue, les possessions privées du Sultan sont un peu la propriété de toute la nation, avec la spécificité que personne n’en a l’usufruit, excepté le Sultan.

Le sultan actuel, Haythem, on peine à le connaître, à savoir ses goûts, ses tendances, ses prédilections. Dieu sait que son grand prédécesseur aimait la musique, les chevaux, les palais et l’architecture. Du coup, Qabous avait installé ses haras somptueux au bord de la mer, dans la commune de Mabaila, où se trouve aussi l’un des grandioses palais royaux entouré de hauts murs.

Tous les matins à l’aube, et tous les soirs au coucher de soleil, les cavaliers de la garde royale font faire des exercices aux magnifiques chevaux de Sa Majesté. Souvent, hommes et femmes montent ces belles bêtes tous ensemble. De jeunes princesses avenantes suivent des formations équestres sous nos yeux de baigneurs rêveurs. Ces princesses arabes se savent regardées et savent adopter une mine hautaine sans tomber dans le dédain.

Les cavaliers sont assez généreux avec nous, le petit peuple. Ils nous rendent nos saluts, ils permettent aux enfants de caresser leur bête, ils prennent des poses pour que nous puissions faire de jolies photos.

Eux seuls avaient le droit de pratiquer la plage, avec les pêcheurs, lorsqu’elle était interdite à tous les baigneurs et les promeneurs, à l’époque des restrictions dues au COVID 19. La police veillait et nous exhortait à quitter même la corniche. Nous étions donc condamnés à marcher et courir dans les rues avoisinantes, ce qui m’a fait découvrir de nombreux arbres remarquables.

Et même là, dans les rues calmes de Seeb, aux vieilles maisons centenaires et aux gros arbres à Neem, on croisait encore les pur-sang arabes. Je dis « pur-sang » pour faire classe, en vérité je ne connais rien aux races de chevaux. Dans mon esprit, les cavaliers faisaient marcher les beaux coursiers du Sultan dans tous les territoires de la ville pour les y habituer en prévision des actions de maintien de l’ordre où l’on aura besoin de chevaux capables de garder leur sang-froid dans des contextes humains agités.

À moins que le seul objectif de ce merveilleux carrousel soit de divertir la jeunesse dorée du sultanat, dans une colonie de vacances à la dimension d’un pays.

La détresse de Michel Onfray

M. Onfray : « La personnalité de J.-L. Mélenchon est un concentré de pathologies », juin 2021

Cela fait trente ans que j’observe Michel Onfray. En 1991, je commençais des études de philosophie à l’Université Jean-Moulin Lyon 3. J’y retrouvai une vieille copine, Catherine, et j’y rencontrai des jeunes gens bien sous tous rapport, Ben, Philippe, Alex, Habib, Willy, Françoise et j’en oublie, qui sont restés mes copains.

Dès la première année de fac, notre vieux prof, Pierre Carriou, nous parlait des Cyniques grecs. Les Cyniques étaient des philosophes de l’antiquité qui vivaient de précarité et de provocations. L’un des rares auteurs à avoir publié sur les Cyniques, en France, s’appelait Michel Onfray, alors notre professeur l’invita à Lyon pour une conférence-débat.

Dans le milieu de la philosophie universitaire, Onfray n’a jamais été terriblement respecté. Il était regardé comme un beau parleur qui n’apportait rien à la discipline. Mais enfin il avait écrit un livre sur les Cyniques et sur Georges Palante (le professeur de philosophie qui avait inspiré Cripure de Louis Guilloux), il se voulait à la fois nietzschéen et de gauche, comme Georges Palante, il parlait de vin, de bouffe, il était quand même plutôt sympathique.

Je suis donc ahuri de voir ce que Michel Onfray est devenu ces vingt dernières années. Nous assistons à un véritable désastre obscur, devant nos yeux, un lent suicide en direct, en vitesse réelle, en grandeur nature. L’hédoniste prolétarien est devenu râleur, raciste, nationaliste, aigri, judéo-chrétien, coincé, réac. Que s’est-il passé ?

Je verrais trois étapes dans sa carrière :

1- Du Ventre des philosophes (1989) jusqu’au début de son université dite « populaire » (2002) qui ne fut ni une université ni populaire.

2- De son Antimanuel de philosophie (2001) à son Freud (2010).

3- La série de non-livres, entretiens publiés, articles, opinions, chroniques sur l’actualité, où toute pensée se dissout comme un cachet d’aspirine.

Le pire de cette dernière partie de son oeuvre est à mon avis Penser l’islam (2016) publié à l’occasion des attentats terroristes de 2015. Livre non écrit, collage de diverses interventions dans les médias, sans corrections ni relecture. Onfray a accompagné ce livre d’une conférence d’une heure toujours disponible en podcast : Un paradis à l’ombre de l’épée. Penser l’Islam. Dans cette double production islamophobe, le philosophe ne cite que trois sources : le Coran, les Hadith et la vie du prophète. En réalité, il ne cite qu’une ou deux fois le Coran, et passe plus de temps à citer un récit de la vie de Mohammed que personne ne lit et, surtout, qu’aucun musulman ne considère ni comme sacré ni comme fondamental dans sa foi. C’est comme si un raciste anti-européen critiquait le catholicisme en s’appuyant sur La Légende dorée de Jacques de Voragine, un peu d’Évangile (quelques détails polémiques), et les Apocryphes bibliques ainsi que d’obscurs prédicateurs de l’Inquisition. On lit cela avec effarement.

On est surtout triste de voir un homme chuter de la sorte.

Selon moi, Michel Onfray est un homme en grande souffrance. Physiquement d’abord, bien sûr. On sait qu’il a des problème de coeur, qu’il a subi des AVC dès son plus jeune âge, et son récit médiatique du COVID 19 montre un patient qui n’a pas beaucoup de résistance. On diagnostique qu’il va mal dans la vision qu’il offre de son corps. Je souffre quand je le vois à la télévision, son corps adipeux, sans colonne vertébrale, ses mains enflées, gonflées, qui témoignent d’une mauvaise circulation sanguine et probablement d’une consommation médicamenteuse mal contrôlée. Ses vêtements bouffants pour cacher un corps sans vigueur.

Mais c’est pour sa santé mentale que je m’inquiète le plus. Michel Onfray est en grande détresse psychologique. Partir d’un hédonisme rigolo pour dire, trente ans plus tard, que les Français sont incompatibles avec les Arabes, que l’islam doit être bouté hors d’Europe, qu’on aime les autres cultures mais « chacun chez soi », que notre « pays » est une « civilisation », que cette civilisation est « judéo-chrétienne », que ce judéo-christianisme trouve son origine en Terre-sainte il y a deux mille ans, il faut vraiment être le jouet d’une maladie intime, un Horla silencieux qui vous ronge, qui vous broie et va vous tuer.

Dans la première partie de sa carrière, son public était constitué de professeurs et d’étudiants en philosophie, de journalistes et de lecteurs curieux.

Dans la deuxième partie de sa carrière, son public était des profs à la retraite, des fonctionnaires et des professions libérales.

Dans la dernière partie de sa carrière, son public est constitué de fans, de followers, et on les trouve chez les bourgeois qui achètent des livres pour des raisons de prestige social, on les trouve aussi chez les téléspectateurs de CNews, les abonnées de Valeurs actuelles, du Figaro et du Point. C’est dans ces organes de presse qu’Onfray s’exprime. Il est devenu le meilleur ami d’Éric Zemmour avec qui il converse en étant d’accord sur tout sous couvert de débat. Leurs échanges sur la France font pleurer tous les sages précaires qui aiment la France.

Je vous le prophétise, il va lui arriver un malheur. Non pas un attentat ni une agression quelconque, mais un malheur interne. On va le retrouver dans une prostration sans lendemain.

Prions pour la santé de Michel Onfray. Il a bien mérité de se reposer et de prendre soin de lui, d’arrêter ses activités professionnelles pour profiter de sa fortune calmement, tranquillement, et de retrouver la sérénité de la promenade silencieuse.

Un symptôme inattendu du Covid 19 : la dépression

J’arrive au seizième jour de symptôme, donc je suis presque guéri.

S’il y a un symptôme auquel je ne m’attendais pas et qui tarde à s’évanouir, c’est la déprime et les idées noires.

C’est bien simple, pendant cette longue période de COVID 19, j’ai beaucoup broyé de noir. Tout m’était pénible à supporter, sauf mon épouse qui s’est occupée de moi de manière magistrale, et toute bonne nouvelle était transformée dans mon esprit en mauvaise nouvelle.

J’avais à disposition Netflix et aucune série n’a eu grâce à mes yeux. Moi qui suis bon public, prêt à rire, à m’enthousiasmer, à m’émouvoir pour un peu n’importe quoi du moment que c’est bien écrit et bien joué, je n’arrivais pas à supporter un seul épisode et je trouvais que tout était mal écrit. J’essayais de me divertir avec les site de partage de vidéos, et là aussi je trouvais tout fade et sans humour. J’y retournais tous le jours en me disant que les fameux algorithmes allaient bien finir par me conseiller des vidéos spécialement formatées pour moi. Que nenni, il n’y avait que des daubes sans intérêt qui ne m’ont pas fait sourire une seconde.

Au milieu de ma maladie, je reçois une offre d’emploi d’une belle institution universitaire de Paris à laquelle j’avais postulé. Comme ce n’était pas le boulot que j’espérais, j’ai pris cela comme une catastrophe et une humiliation. Vous m’offrez ce job à la con à moi, le grand sage précaire que tout le monde devrait s’arracher ? Vous me prenez pour quoi ? Après quelques jours de réflexion dépressive, j’ai décliné l’offre en essayant de rester poli.

Plus tard, un grand éditeur parisien m’écrivait pour accepter mon manuscrit sur le sultanat d’Oman. Voilà qui aurait dû me réjouir, mais non, j’ai pris cela pour une terrible nouvelle et j’ai eu le réflexe de leur envoyer un refus tonitruant. Vous vous croyez assez bien pour mon manuscrit ? Non mais pour qui vous vous prenez ? Je sentais que ma carrière était foutue et que ce que j’écrivais n’avait décidément plus aucune valeur. Il fallait que j’arrête d’écrire, voilà la vérité, l’âpre vérité. Heureusement, mon épouse m’a calmé et m’a convaincu de ne prendre aucune décision, sur aucun sujet, jusqu’à ce que je sorte de cette maladie.

J’ai broyé un noir considérable. Je trouvais que ma vie était pourrie de A à Z, que rien de ce que j’avais fait ne valait un kopeck. Mon avenir me paraissait sans intérêt et très sombre.

Alors je me suis remis au sport, sans plaisir, mais dans un but rationnellement calculé : si je parviens à courir, nager et marcher pendant une heure matin et soir, et si je fais suffisamment de pompes sur la plage, normalement, mon cerveau sera contraint à produire cet endorphine qui me fait défaut et qui me fait voir la vie en noir.

Je dis « sans plaisir » mais ce n’est pas vrai. C’est toujours avec un certain plaisir que je me rends sur la plage et que je m’amuse dans les vagues. Je cours peu et suis rapidement essoufflé. Les pompes, je n’en faisais pas plus de cinquante il y a trois jours et je retrouve le rythme de cent par jour depuis hier. Je sens que cette stratégie commence à porter ses fruits. Je suis toujours déprimé mais la vie reprends des couleurs.

Je n’ai pas encore donné ma réponse à l’éditeur mais je sens que je vais me laisser faire.

Hier, j’ai donné une conférence sur l’écriture féminine du voyage, lors d’une Journée d’étude organisée par l’Université de Côte d’Azur. Ma performance ne cassa pas trois pattes à un canard mais, curieusement, elle m’a remonté un peu le moral. Elle m’a confirmé dans l’intuition que travailler sur les oeuvres viatiques de Chantal Thomas, de Catherine Cusset, de Laure Murat, de Sophie Calle et quelques autres était une très bonne idée, très joyeuse, très porteuse et très riche de bonheurs à venir. Une idée grosse de publications aussi.

Comme dans un poème de Victor Hugo, le sage précaire retrouve progressivement les couleurs de la vie.

Rapports anciens de l’islam avec la France. Comment Zemmour prend nos ancêtres pour des cons

Cordoue européenne et islamique, Photo de Rafael Albaladejo sur Pexels.com

La France est inséparable de ses voisins et les historiens qui pensent qu’autrefois les peuples étaient clos sur eux-mêmes font fausse route. Les origines de la France, par exemple, sont en lien assez direct avec l’histoire européenne de l’islam : la littérature française n’avait pas commencé à exister que l’Espagne et le Portugal parlaient déjà arabe, que des régions françaises avaient déjà été islamisées et que les seigneurs francs avaient mené des batailles contre tous les voisins, dont des chefs de guerre musulmans. On a passé aussi des alliances avec des chefs de guerre musulmans, que ces derniers fussent arabes, berbères ou européens.

En débat face à Jack Lang qui dirige l’Institut du Monde Arabe, Éric Zemmour se lance dans des contre-vérités crasses concernant la langue et la culture arabe. Il assène l’idée selon laquelle l’arabe est une « langue de chanson » mais pas une « langue de science et de culture ». Il mentionne l’historien Sylvain Gouguenheim qui avait écrit contre toute évidence que la culture européenne médiévale ne devait rien aux savants du monde islamique. Puis il cite Ernest Renan qui, au XIXe siècle, développait des idées d’un racisme épouvantable. Renan étant justement abondamment cité par l’historien français faute de références récentes (voir cet article de Guillaume Dye pour approfondir « l’affaire Gouguenheim »)

Tout ce petit monde, Renan, Gouguenheim et Zemmour, rejoint l’armée des xénophobes qui désirent ardemment que l’Europe fût autarcique et n’ait connu aucun échange avec la civilisation islamique qui était pourtant vibrante, là, juste à côté de chez nous, en Espagne, en Sicile, dans les Balkans. Tout indique que nous étions proches des musulmans, que nos sociétés étaient poreuses, pour des raisons géographiques et musicales, pour des raisons médicales ou des raisons de campagnes militaires. Car même nos guerres sont des signes de communauté de vie. Les musulmans et les chrétiens se faisaient la guerre, tranquilles, comme tous les voisins. Nos guerres contre les musulmans n’ont rien à envier aux guerres inlassables entre les Français et les Anglais, les Bourguignons et les Armagnac. D’ailleurs, en Espagne, les musulmans se faisaient aussi la guerre entre eux, et les chrétiens étaient fréquemment des alliés de tel ou tel chef musulman. Enfin, on partageait énormément de choses. Il n’est pas jusqu’à Denis de Rougemont qui, dans L’Amour et l’Occident, fait naître dans la poésie arabe la nouvelle façon de parler des Cathares qui mèneront les Occitans à créer le Fin’amor et l’amour courtois.

Ce qu’ils ont en commun, Renan, Goughenheim et Zemmour, est de n’être formé ni en arabe ni en islamologie, ni en histoire du monde islamique… À la lettre, ils n’y connaissent rien. Leur talent consiste à impressionner des shampouineuses abonnées à Valeurs Actuelles. Ils sont des idéologues qui nient la réalité simple que les Européens doivent beaucoup à la culture arabe. Se battre pour prouver le contraire est vraiment une perte de temps.

Basé sur des mensonges de pseudo-historiens, Zemmour dit que l’islam a permis la traduction de textes scientifiques et mathématiques mais qu’il refusait la philosophie grecque car le savoir philosophique « contesterait le Coran et le Dieu unique. » Certes, il faut être stupide pour penser de la sorte puisque le Coran est un texte ouvert à la science et à la réflexion personnelle, mais surtout, il faut vouloir à tout prix fermer les yeux sur le réel. Il faut n’avoir jamais ouvert un livre d’Averroès, d’Avicenne, d’Al Farabi, de Ghazali, et de centaines d’autres philosophes arabes qui commentaient notamment le De l’âme d’Aristote.

Bon, mais en quoi cela heurte-t-il le coeur d’un patriote français ? En ceci que lorsqu’on aime la France, on aime se représenter que les créateurs français ont eu l’intelligence de voir ce qui se faisait à côté de chez eux et ont eu le goût d’imiter les voisins pour acquérir de nouveaux savoir-faire. Cette aberration historique d’une culture européenne étanche à la culture islamique voisine n’est pas un signe d’amour de la culture européenne, bien au contraire. Pendant sept siècles, l’Espagne était musulmane et s’en portait bien, sept siècles de vie plus développée qu’en France, sept siècles de paix relative et de prospérité plus manifeste qu’en France. Et pendant ces sept siècles, nous n’aurions eu aucun échange avec nos voisins ibériques ? Nous n’aurions été au courant de rien, nous nous serions bouchés les oreilles et aurions tout fait pour rester dans l’obscurité qui était la nôtre ? Quelle fierté française en effet.

Nous savons que cela est faux, qu’il y a eu de nombreux échanges, mais même si nous ne le savions pas, ce serait méprisant pour l’esprit français que d’imaginer nos ancêtres vivant en contigüité avec une civilisation supérieure et n’en rien retirer, ne pas s’y intéresser, ne nourrir aucune curiosité à son égard. Quelle gloire y a-t-il à rester sourds et aveugles aux avancées culturelles, technologiques, architecturales et culturelles des voisins andalous ?

Éric Zemmour, l’idéologue chéri de l’extrême-droite, est tellement obsédé par sa haine des Arabes qu’il est prêt à tous les mensonges et toutes les perversités rhétoriques pour les exclure du roman national. Il veut croire que Napoléon méprisait les Arabes lorsqu’il cherchait à se faire accepter d’eux, que François 1er n’aimait pas l’arabe au moment même où il ouvrait une chaire d’arabe au Collège de France. Il faut pourtant que les Français qui gardent un bon fond se méfient de ce prophète de malheur. Si vous aimez la France, ne la réduisez pas à un peuple sans ouverture d’esprit, sans capacité d’apprécier ce qui se fait à côté de lui. Aimer la France, c’est préférer imaginer les Français comme de fins observateurs plutôt que des autistes rejouant éternellement des farces racistes.

Mon expérience du Covid 19 à la moitié du chemin

J’entre aujourd’hui dans le septième jour de symptômes du Covid 19.

C’est une maladie assez pénible car on ne sait pas comment en parler. Les effets que le virus produit sur le corps ressemblent un peu à une grippe mais il y a beaucoup de sensations d’inconfort qu’on ne sait pas comment décrire. Et puis ça change beaucoup d’un patient l’autre. Moi c’est beaucoup la tête qui tourne, une sensation désagréable au niveau de la cage thoracique mais sans réelle difficulté pour respirer.

Tout a commencé mardi matin. Il n’y avait plus de café à la maison, mon épouse me propose que l’on sorte pour prendre un petit-déjeuner dans le quartier piéton d’Al Mouj avant de commencer nos cours en ligne. Je lui annonce que je ressens un début de fièvre mais je mets cela sur le compte de l’absence de café. Je suis tellement intoxiqué que lorsque je bois mon café noir, je pense aller mieux. Le lendemain, mercredi dernier, je comprends que j’ai la grippe. C’est jeudi matin au réveil, à cause d’un mal de gorge qui vient d’apparaître, que je soupçonne le Covid. Nous allons faire le test dans le Drive Thru de l’aéroport de Mascate. Cela coûte 19 rials (40 euros).

En fait, je pense à mon ami Asim qui a été malade avant moi et qui m’a raconté comment ça s’était passé. Je compare ce qui m’arrive avec son récit, et c’est sous son influence que je pense avoir été infecté. Il me dit que pour lui ça a duré 16 jours.

Mon ami Ben aussi l’a eu, mais Ben habite au Congo, alors je me dis que le virus n’est pas le même. Nous devons avoir des variants différents en Oman et au Congo.

J’ai pris un petit carnet et ai couché mes principaux symptômes ainsi que les étapes principales de ce qui m’arrivait. Je notais aussi les heures où j’avalais un comprimé de Paracetamol pour évaluer l’évolution de la maladie, je ne voulais pas dépasser les 3 grammes. Je voulais savoir aussi combien de temps l’effet d’un cachet durait sur moi. Jusqu’à présent, en ce qui me concerne, ce sont des périodes de 5 à 6 heures.

Quand le verdict tombe, nous transformons notre vie quotidienne. Je me confine dans la chambre d’amis tandis que mon épouse, qui, par chance, n’est pas contaminée, désinfecte le reste de notre appartement.

Tous les jours, malgré la fièvre et les vertiges, je sors me promener soir et matin en m’assurant de ne croiser personne.

Jour cinq, on croit tenir le bon bout et sortir du tunnel quand la maladie repart dans une phase plus profonde. Sensation que le virus vous travaille intérieurement, en lâchant des étages différents de sa fusée. Asim m’avait dit que la période la plus critique avait débuté pour lui à partir du cinquième jour. C’est vrai que les nuits 5 et 6 sont assez pénibles, sans beaucoup de sommeil, et avec pas mal de toux et de transpiration, et un grand inconfort.

Heureusement, cette maladie ne m’a pas empêché de travailler, car c’est la période des examens finaux pour certaines classes. Il faut corriger des centaines de copies, et envoyer les notes aux administrations.

Aujourd’hui, jour 7, je ne suis pas en bonne forme, j’ai des courbatures, la tête qui tourne et un dos douloureux, mais j’ai vaguement la sensation que c’est le début de la fin, que j’ai passé le moment le plus difficile la nuit dernière. Attention, c’est peut-être une ruse de ce virus. En effet, ce n’est pas la première fois que j’ai cette sensation d’en avoir bientôt fini. Il est préférable de se mettre en tête que je n’en suis qu’à la moitié et qu’il faut repartir au combat pour une deuxième semaine.

Éric Zemmour n’aime pas la littérature française

L’extrême-droite se réarme avec force, et avec l’aide de médias complaisants et d’intellectuels coopérants et compatibles, elle impose ses mots, sa vision des choses et sa conception de l’ennemi à abattre. Nous l’avons vu en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, aux Philippines, en Europe orientale.

En France, cela prend un tour particulier. L’extrême-droite préempte l’amour de la France, de l’histoire et de la haute culture. Or je suis personnellement blessé d’entendre Eric Zemmour laisser croire qu’il aime la France et la littérature, et même qu’il incarne la France et sa culture. Selon moi, le meilleur antidote contre cette offensive politique est de pratiquer la littérature française.

Je voudrais montrer que ce que Zemmour aime, ce n’est ni la France ni sa littérature.

Premier point, première vidéo : il dit que Jacques Bainville est son écrivain préféré. Bainville (1879-1936) est un écrivain réactionnaire intéressant mais qui n’a pas apporté d’avancées significatives dans le champ littéraire. On peut aimer Bainville, cela ne me dérange pas, chacun ses goûts, mais que l’on considère ces quelques noms d’écrivains de la même génération : Paul Claudel né en 1868, Marcel Proust né en 1871, Paul Valéry né en 1871, Max Jacob né en 1876, Victor Ségalen né en 1878, Guillaume Apollinaire né en 1880, Blaise Cendrars né en 1887. N’en jetez plus.

Peut-on dire qu’on aime la littérature quand on préfère Jacques Bainville à Marcel Proust ? J’affirme que non. On a le droit de préférer un auteur d’extrême-droite, je ne me situe pas sur le terrain du droit. Ce qu’on aime dans ce cas-là c’est autre chose : une idée politique, une posture existentielle, une image, je ne sais pas, tout ce que l’on veut mais pas la littérature.

Deuxième point : il ne cite que des Français, prétendant par là n’aimer que la France. Quand on ne lit pas les grands auteurs des autres pays, c’est qu’on n’aime pas vraiment la littérature, et en particulier la littérature française. C’est comme si vous prétendiez aimer le football mais que vous ignoriez tout de Messi, de Ronaldo et de tous les championnats étrangers. Vous seriez juste un adorateur fanatique de votre équipe de village mais certainement pas un connaisseur.