Une famille de Malaisie s’étonne des traductions françaises du Coran

Calligraphie du verset du Trône, Ayyat Al Kursi, sourate II, 255

L’Arabie saoudite est parcourue par un réseau de voie ferrées, il faut le dire car c’est une chose rarissime dans les pays riches en hydrocarbure. Partout où l’essence ne vaut rien, c’est la voiture qui règne et le chemin de fer est snobé. J’imagine que ce réseau a été décidé dans la perspective des temps prochains où le pétrole viendra à manquer, comme tant d’autres projets dans les pays du Golfe. Hajer et moi prenons donc place dans le train et cela me téléporte immédiatement dans ma vie quotidienne des années 1990, quand je prenais le train dans la région lyonnaise. C’est ici, dans l’Arabie des année 2020, que je réalise combien le même train était l’allié fidèle de mes escapades à Paris, à Marseille ou à Montpellier.

Nous faisons la connaissance d’une famille de Malais qui font leur pèlerinage. Quand ils apprennent que je suis français ils présument que je suis d’origine algérienne, comme beaucoup de gens dans la péninsule arabique. Je dois ressembler à un Algérien. Comme tout le monde, ils me demandent si je suis « 100 % français ». Eux disent qu’ils sont malais à 100 % et pas du tout chinois. Le père est ingénieur, la mère s’occupe du foyer et tous s’expriment dans un très bon anglais. Ils ne parlent pas arabe mais la jeune fille de la famille est en train d’apprendre le coran par cœur, comme sa mère l’a fait avant elle. Le père avoue ne pas avoir appris tout le Coran, mais qu’il a pu en retenir un bon tiers. L’adolescente commence par les courtes sourates de la fin.  

Les Malais et moi comparons nos versions respectives et les traductions en français, en anglais et en malais. En Malaisie, disent-ils, il n’y a qu’une traduction officielle. Ils m’expliquent l’histoire de cette traduction, effectuée d’abord par un éminent linguiste, puis corrigée et améliorée par des savants religieux, avant d’être sanctuarisée par le ministère des affaires religieuses. Dorénavant, personne n’a le droit de traduire le coran en langue malaise, je préfère le notifier tout de suite à mes lecteurs, à toute fin utile et à bon entendeur salut.

Ils sont étonnés de voir plusieurs traductions françaises. Je trimballe avec moi une anonyme, celle de Denise Masson, celle de Jacques Berque et celle de Malek Chebel. Je ne peux même pas leur dire combien il en existe en français tellement elles sont nombreuses. Nous étudions ensemble les traductions possibles du fameux verset du « trône » (Al Kursi, II, 255). Il y est dit notamment que Dieu ne dort jamais, qu’il subsiste par lui-même et qu’il « connaît le passé et le futur ». Je vous intercale ci-dessous le texte du verset en arabe :

ٱللَّهُ لَآ إِلَٰهَ إِلَّا هُوَ ٱلْحَىُّ ٱلْقَيُّومُ ۚ لَا تَأْخُذُهُۥ سِنَةٌ وَلَا نَوْمٌ ۚ لَّهُۥ مَا فِى ٱلسَّمَٰوَٰتِ وَمَا فِى ٱلْأَرْضِ ۗ مَن ذَا ٱلَّذِى يَشْفَعُ عِندَهُۥٓ إِلَّا بِإِذْنِهِۦ ۚ يَعْلَمُ مَا بَيْنَ أَيْدِيهِمْ وَمَا خَلْفَهُمْ ۖ وَلَا يُحِيطُونَ بِشَىْءٍ مِّنْ عِلْمِهِۦٓ إِلَّا بِمَا شَآءَ ۚ وَسِعَ كُرْسِيُّهُ ٱلسَّمَٰوَٰتِ وَٱلْأَرْضَ ۖ وَلَا يَـُٔودُهُۥ حِفْظُهُمَا ۚ وَهُوَ ٱلْعَلِىُّ ٱلْعَظِيمُ

Mes amis malais protestent gentiment car selon selon eux le texte ne dit pas que Dieu « connaît le passé et le futur », mais il dit :

« Il connaît ce qui est devant et ce qui est derrière. »

En effet ce n’est pas la même chose. Une traduction parle de temps tandis que l’autre traite de l’espace. Je consulte la traduction de Malek Chebel :

« Il sait ce qu’ils tiennent entre leurs mains et ce qu’ils cachent. »

On s’éloigne, car ce n’est plus ni du temps ni de l’espace qu’il est question. Je vais alors chercher la traduction de Denise Masson qui date des années 1960 :

« Il sait ce qui se trouve devant les hommes et derrière eux »

Ah, on retrouve là l’idée de la traduction malaise. Pour finir, j’ouvre la version de Jacques Berque, revue et corrigée en 1995 :

« Lui qui sait l’imminent et le futur des hommes »

On retombe sur une question de temps, mais la situation est confuse. 

J’attends qu’Hajer se réveille pour qu’elle nous rende le texte original en arabe et qu’elle nous éclaire sur les sens cachés des mots. Le texte arabe dit, en transcription : « Ya ‘alamou ma baïna aïdihim wa ma khalfahum », c’est-à-dire :

« Il sait ce qui est entre leurs mains et ce qui est derrière eux »

On n’en saura pas beaucoup plus. Mes amis de Malaisie se disent que toutes ces incertitudes confirment l’intérêt de n’avoir qu’une seule traduction et de laisser chacun réfléchir à son interprétation. Pour moi, cela confirme que la pluralité des traductions est un encouragement à réfléchir et à approfondir la lecture du texte sacré. 

Nous nous séparons bons amis, très heureux de nous être rencontrés. Nous les reverrons quelques jours plus tard, mais ceci est une autre histoire.

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