Sylvain Tesson et la haine des musulmans

Sylvain Tesson écrit sur l’islam, il ne peut pas s’en empêcher. Tesson est l’écrivain voyageur le plus célèbre de France donc, puisque je suis un chercheur en littérature viatique, je ne peux pas occulter ce qu’il écrit, ni ignorer ce qu’il dit quand il s’exprime dans les médias. Il entre dans les prérogatives de mon métier, malheureusement, d’effectuer une veille médiatique sur ce qui se fait dans le domaine des lettres géographiques. Les sottises proférées par les idéologues actuels en faveur d’une guerre civile entre Européens et Africains, ou entre chrétiens et musulmans, je peux encore les souffrir calmement car mon champ de recherche n’est pas associé à leur travail. Mais un écrivain du voyage qui publie un ou deux livres par an et qui a beaucoup de succès, je suis contraint de m’y astreindre, à mon grand dam, et mon dégoût le dispute à l’accablement.

Sur le même sujet : Sylvain Tesson et les écritures réactionnaires contemporaines

Guillaume Thouroude, La Pluralité des mondes. Le récit de voyage de 1945 à nos jours, PUPS, 2017.

Le journal de Tesson de 2014 à 2017 transpire la haine de l’islam et des musulmans. Son titre se veut pourtant fragile et subtil : Une très légère oscillation. Or loin de ressentir une vibration ou un tremblement, le lecteur se prend en pleine figure les certitudes d’un homme très à l’aise avec ses privilèges et ses préjugés. Je ne peux pas lire cela avec détachement, qu’on me le pardonne. Quelque chose en moi est blessé par les envolées de ce « vagabond » autoproclamé qui ne peut supporter l’altérité que lorsqu’elle est exotique, lointaine et décorative. Les musulmans sont trop proches de lui, et en même temps ils résistent trop bien à l’impérialisme de sa culture. Tesson ne peut les supporter alors il les fait passer pour des crypto-terroristes. La méthode est simple, elle comporte quatre étapes :

1. Citer les quelques phrases violentes et choquantes qui figurent dans le Coran, on les connaît tous, les sortir de leur contexte et les interpréter de la manière la plus simpliste qui soit.

2. Prétendre que ces phrases constituent l’essence de l’islam, que les musulmans tendent par définition à devenir aussi violents que le sont ces phrases quand elles sont mal comprises.

3. Décrire les crimes réels qui parsèment la vie des hommes, terrorisme, djihadisme, conflits armés, sans oublier de rappeler autant que possible lesdites phrases du Coran.

4. Laisser reposer. Le résultat vient de lui-même sans avoir besoin de produits additionnels. Le pauvre lecteur, l’innocent auditeur, l’exsangue téléspectateur tirera la conclusion de lui-même : les musulmans sont nos ennemis et nous devons nous en débarrasser.  

Pourtant, on pouvait attendre d’un écrivain du voyage qu’il essaie de dépasser les stéréotypes qui essentialisent des populations. Un voyageur n’a-t-il pas un rôle philosophique dans la société d’où il vient ? N’est-il pas censé ouvrir les yeux sur le réel et faire comprendre les cultures étrangères aux autochtones qui, eux, n’ont ni le temps ni le luxe de voyager ?

Lire sur ce sujet : Ermite limite, Sylvain Tesson en vacances au lac Baïkal

La Précarité du sage, 2013.

Au contraire, Sylvain Tesson incarne une autre figure éternelle du voyageur qui a déjà été longuement dénoncée dans les études postcoloniales notamment : supérieur, ethnocentrique, l’ explorateur sûr de lui qui prend la pose de l’aventurier pour établir des hiérarchies conservatrices entre les hommes, rappelant constamment l’opposition fantasmatique entre un « eux » et un « nous », et se conformant quant à lui, résolument, aux codes du camp du bien et de la civilisation.

Tesson n’est pas seul dans cette galère. C’est au contraire un courant majoritaire dans l’histoire du genre Voyage que j’étudie avec soin depuis vingt ans. Jetez un œil, par exemple, sur ce couple d’aventuriers sympathiques qui ont marché à travers l’Afrique, et qui donnent de l’islam une image de sauvagerie sexuelle.

Sonia & Alexandre Poussin s’emmêlent les pinceaux sur la religion en Afrique

La Précarité du sage, 2020.

En revanche, je vous supplie de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Je vous certifie qu’à chaque époque vous pourrez lire des récits de voyage fins et créatifs, informés et généreux. Il convient seulement de ne pas se laisser guider par des médias paresseux.

11 commentaires sur “Sylvain Tesson et la haine des musulmans

    1. Sylvain Tesson aime-t-il la France ? À le lire, cela ne me paraît pas évident. La France d’Émile Zola, de Victor Hugo, de Lamartine, de Voltaire, de Molière et de Montaigne ne consiste pas à détester une religion. Tous ceux que je viens de citer ont en commun, au contraire, d’avoir défendu des moeurs, des croyances ou des communautés qui paraissaient choquants aux yeux d’une majorité de Français de leur temps.

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  1. C’est curieux parce qu’il n’aime pas non plus le bouddhisme qu’il trouve triste, il n’aime pas les religions et il peut bien le dire sans que cela affecte ceux qui aiment croire. Je lis en ce moment Psychothérapie de Dieu par Boris Cyrulnik, et cela me fait poser bien des questions, par exemple les examens réalisés par imagerie médicale sur le cerveau lors des émotions prouvent-ils quelque chose ? Distance et scientisme (ou science) font-elles bon ménage ?

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    1. Tesson aime certaines religions. Il aime le christianisme même s’il n’a pas la foi. Mais il se plaît à singer les chevaliers du Moyen-âge qui défendaient le Christ à coups de croisades et d’anathèmes contre les hérétiques. Tesson fait écho aux mouvements identitaires d’extrême droite qui fleurissent sur internet.

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      1. Penses-tu qu’il y a un lien avec la souffrance ? Par exemple, ne pas être seul à souffrir (de maladie ou d’injustice) et donc s’agréger à d’autres, se forger une identité ?

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  2. Sylvain Tesson était proche de Jean Raspail un théoricien d’extrême droite qui avait lancé le concept de grand remplacement qu’il nommait en 1972 dans son livre « le camp des saint » qu’il nommait submersion migratoire bien avant Renaud Camus. Dans l’histoire de la littérature d’extrême droite, Jean Raspail a procédé Renaud Camus avec le concept du grand remplacement. Beaucoup d’historiens de l’historiens de l’extrême droite ne le précisent pas et c’est bien dommage. Jean Raspail était proche de Jean-Marie Le Pen aussi. Sylvain Tesson prétend que son ami Jean Raspail aujourd’hui décédé n’était pas raciste… Sylvain Tesson n’est pas raciste mais peut tenir des propos xénophobes à l’encontre des musulmans et ça n’a pas trop déranger France Inter qui il y a quelques années lui confiait l’antenne pour sa série Odyssée où il raconte ses voyages. Sylvain Tesson a aussi côtoyé des gens de l’Oas et passait sur Radio Courtoisie à ses débuts. Tout ceci c’est dans le dernier livre de François Krug qui parle de Sylvain Tesson, Yann Moix et Michel Houellebecq et de leurs liens avec l’extrême droite de leurs débuts jusqu’à aujourd’hui. Le livre m’a l’air passionnant en ayant lu l’introduction. On peut ne pas voyager voir rarement sortir de sa ville et ne pas être comme Sylvain Tesson fort heureusement! Il a du connaître qu’une ou deux personnes musulmanes et encore…

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  3. Pas besoin de lire Tesson pour constater ce qu’il se passe dans les rues de France, qui deal, qui insulte les passantes, qui aggresse, qui ne travaille pas et j’en passe. Sans même mentionner les « faits divers » et les « attentats » c’est fou que les gens comme vous nient la réalité que chacun expérimente quotidienement.

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    1. Merci François. Tesson ne parle pas de cela. Pour vous répondre : qui deale, qui agresse ? En France, ce sont les mêmes qu’en Russie, qu’en Colombie, qu’au Congo, qu’en Chine et qu’en Amérique : des gens issus des quartiers défavorisés, ayant des problèmes psy, connaissant la précarité, et parfois la clandestinité. La majorité d’entre eux n’est pas musulmane.
      Êtes-vous d’accord avec moi François ? Ou pensez-vous que je nie la réalité ?

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