Le monologue de Lucky. Beckett revivifié par Lambert-wild

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La meilleure preuve du rôle prépondérant que joue Jean Lambert-wild dans le théâtre français contemporain est le fameux monologue de Lucky dans En attendant Godot de Samuel Beckett.

C’est Lambert-wild lui-même qui interprète ce personnage. Un personnage ingrat à jouer, le plus ingrat de tout le répertoire contemporain. Un personnage muet et tenu en laisse par un maître odieux.

Lucky et son maître Pozzo viennent sur scène à deux reprises et c’est Pozzo qui a le beau rôle, dans le sens où son rôle permet de belles acrobaties d’acteur. Lucky, lui, est effacé et martyrisé. Encombré des affaires qu’il doit porter pour son maître, il ne lui est laissé aucune place pour exprimer un quelconque talent.

Le sadisme de Beckett pour ce personnage est allé encore plus loin, car il a donné à Lucky un moment de gloire, une tirade pour lui tout seul. Las, c’est un texte incompréhensible que le comédien est censé jouer sans laisser respirer les mots, comme un gros bloc de langage inarticulé.

On ne peut même pas le faire jouer par un mauvais comédien, un non-comédien, car il lui faut quand même articuler des mots, et des mots qui ne produisent aucun sens.

Jean Lambert-wild s’y est collé avec jouissance, comme une gageure. Comme un pari fou, comme un soldat malade. Je rappelle, à toute fin utile, que cette production se tient à La Cartoucherie de Vincennes, un ancien lieu militaire. Or, Lambert-wild est fasciné par l’esthétique militaire. Mais il aime les capitaines qui deviennent dingues, il apprécie les meneurs d’hommes sans hommes, les héros sans victoire et les mots d’ordre criés de telle sorte qu’on ne sache plus si on est dans une caserne ou dans une salle de théâtre.

Pour la première fois de ma vie, j’ai vu les gens rire devant le monologue de Lucky. Je ne sais pas comment il s’y est pris, mais il a su respecter le texte à la lettre et le rendre étonnamment comique et même, même, presque compréhensible. Même et surtout les enfants riaient. J’entends encore les rires d’enfants et d’adolescents. Ce sont eux qui m’ont fait prendre conscience qu’il se passait quelque chose. Lambert-wild réussissait le monologue de Lucky.

L’acteur metteur en scène a incarné le rôle le plus ingrat du répertoire dans un geste d’une immense vanité. C’est moi qui saurai jouer ce rôle, et si je me plante, ce sera un échec en pleine Cartoucherie, sous le regard de Beckett et du tout Paris, ce sera un échec pour toute ma carrière et toute ma compagnie tombera avec moi.

2 commentaires sur “Le monologue de Lucky. Beckett revivifié par Lambert-wild

  1. Tirade de Lucky dans « Godot » (extraits)

    Etant donné l’existence telle qu’elle jaillit des récents travaux publics de Poinçon et Wattmann d’un Dieu personnel quaquaquaqua à barbe blanche quaqua hors du temps de l’étendue qui du haut de sa divine apathie sa divine athambie sa divine aphasie nous aime bien à quelques exceptions près on ne sait pourquoi mais ça viendra et souffre à l’instar de la divine Miranda avec ceux qui sont on ne sait pourquoi mais on a le temps dans le tourment dans les feux dont les feux les flammes pour peu que ça dure encore un peu et qui peut en douter mettront à la fin le feu aux poutres assavoir porteront l’enfer aux nues si bleues par moments encore aujourd’hui et calmes si calmes

    (…)

    il est établi sans autre possibilité d’erreur que celle afférente aux calculs humains qu’à la suite des recherches inachevées inachevées de Testu et Conard il est établi tabli tabli ce qui suit qui suit qui suit assavoir mais n’anticipons pas on ne sait pourquoi à la suite des travaux de Poinçon et Wattmann il apparaît aussi clairement si clairement qu’en vue des labeurs de Fartov et Belcher inachevées inachevées on ne sait pourquoi de Testu et Conard que l’homme enfin bref que l’homme en bref enfin malgré les progrès de l’alimentation et de l’élimination des déchets est en train de maigrir et en même temps parallèlement

    (…)

    bref je reprends en même temps parallèlement de rapetisser on ne sait pourquoi malgré le tennis je reprends l’aviation le golf tant à neuf qu’à dix-huit trous le tennis sur glace bref on ne sait pourquoi en Seine Seine-et-Oise Seine-et-Marne Marne-et-Oise assavoir en même temps parallèlement on ne sait pourquoi de maigrir rétrécir je reprends Oise Marne bref la perte sèche par tête de pipe depuis la mort de Voltaire étant de l’ordre de deux doigts cent grammes par tête de pipe environ en moyenne à peu près chiffres ronds bon poids déshabillé en Normandie on ne sait pourquoi bref enfin peu importe les faits sont là et considérant d’autre part ce qui est encore plus grave qu’il ressort ce qui est encore plus grave qu’à la lumière la lumière des expériences en cours de Steinweg et Petermann il ressort ce qui est encore plus grave qu’il ressort ce qui est encore plus grave à la lumière la lumière des expériences abandonnées de Steinweg et Petermann qu’à la campagne à la montagne et au bord de mer et des cours d’eau et de feu l’air est le même et la terre assavoir l’air et la terre par les grands froids l’air et la terre faits pour les pierres par les grands froids

    (…)

    mais n’anticipons pas je reprends la tête en même temps parallèlement on ne sait pourquoi malgré le tennis au suivant la barbe les flammes les pleurs les pierres si bleues si calmes hélas la tête la tête la tête la tête en Normandie malgré le tennis les labeurs abandonnés inachevés plus grave les pierres bref je reprends hélas hélas abandonnés inachevés la tête la tête en Normandie malgré le tennis la tête hélas les pierres Conard Conard

    (…)

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