Ibn Battuta en son temps

Groupe de pèlerins

Replaçons Ibn Battuta dans son contexte historique et esthétique, c’est-à-dire dans son rapport à la poétique du genre littéraire qui est le sien.

Un des dangers, en effet, serait de parler de lui de manière abstraite et générale, comme d’un globe-trotter céleste, libre de toute attache, un vagabond magnifique, et de l’abandonner dans une singularité insignifiante. Pour qu’il puisse nous parler aujourd’hui, et pour qu’il retrouve sa puissance créatrice, il est nécessaire de comprendre les enjeux littéraires, moraux et politiques, de sa double activité de voyageur et d’écrivain.

Né en 1304, mort en 1377, Ibn Battuta part en pèlerinage la première fois en 1325 et dicte sa Rihla en 1355. Vingt-cinq ans de voyage et de narration, dans une vie contemporaine de celles de Marco Polo et de Jean de Mandeville (auteurs des deux récits de voyage les plus influents du moyen-âge chrétien).

L’époque où vit Ibn Battuta est très troublée et pouvait inciter un naturel aventurier à partir en voyage. Le monde musulman connaît un déclin relatif dans ses confins, avec des dynasties qui chutent en Inde et des guerres de plus en plus difficiles dans la péninsule ibérique. Après le pèlerinage à la Mecque, le désir de voyage d’Ibn Battuta penche vers l’Asie, où règne un empire mongol considérable de taille et de puissance. Les grands voyageurs occidentaux, qu’ils partent d’Europe ou d’Afrique, vont au moins une fois en Chine, c’est-à-dire dans l’empire du grand Mongol. Toutes les autres destinations sont essentielles pour des raisons internes aux communautés : la Mecque pour les musulmans, la terre-sainte pour les croisés.

Tanger, la ville de natale d’Ibn Battuta, est l’écrin prédestiné pour un grand voyageur. Porte de l’Espagne, au croisement des ambitions diplomatiques, internationale depuis la création des nations,  Tanger fut le tremplin des conquérants comme Tarik Ibn Ziad et, donc, des explorateurs comme Ibn Battuta. Tanger est une invitation à partir voir les curiosités des confins de l’empire.

Le titre complet de sa Rihla sera d’ailleurs : Présent à ceux qui aiment à réfléchir sur les curiosités des villes et les merveilles des voyages.

Fondamentalement, Ibn Battuta est mu par un désir d’aller voir du pays dans la mesure même où l’ailleurs peut constituer un déploiement harmonieux de l’ici.

5 commentaires sur “Ibn Battuta en son temps

    1. Très juste, notre voyageur a d’ailleurs judicieusement joué de sa compétence de voyageur. On l’a employé abondamment pour des voyages, lors de ses voyages et après son retour, dans la bonne ville de Fès.

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  1. Ceux qui ont envie de lire Ibn Battuta sans payer le trouveront en ligne sur le site « Classiques des sciences sociales » de l’université du Québec http://classiques.uqac.ca/classiques/ibn_battuta/ibn_battuta.html . C’est un repiquage de l’édition Maspero / La Decouverte, pas très légal mais le patron de Classiques des sciences sociales Jean-Marie Tremblay est un féroce militant du partage des connaissances. Excellents avant-propos et notes modernes, et traduction du XIXe siècle dans une langue très noble. L’édition papier est disponible d’occasion, 3 volumes, La Découverte poche, 1997, ISBN du tome 1 : 978-2707126771 .

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  2. L’ailleurs comme déploiement harmonieux de l’ici, c’est très joli, on dirait le titre de quelque chose. Ca t’est venu comme ça? Ca veut dire quelque chose?

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    1. Oh ça va, la perfidie africaine.
      A propos, le sage précaire remplace une prof de philosophie dans un lycée de la ville natale d’Hector Berlioz, ce qui retardera un peu l’avancement des autres chantiers, en particulier ceux que l’on peut qualifier de manuels. Mais ils ont démarré et la sagesse précaire saura les achever.

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