A la sainte Catherine, tout bois prend racine.

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Il faisait très humide et très doux sur mes parcelles. Je me frayais un chemin avec mon arbre à la main, une houe et un arrosoir.

Il m’a fallu du temps pour retrouver ma source. Elle n’est pourtant pas cachée dans la forêt, mais il faut être un peu sourcier, comme mon frère qui l’a repérée autrefois. Il faut être sourcier ou sanglier, car les sangliers viennent volontiers se rouler dans la souille que ma source offre à l’année aux animaux de la forêt.

Au fond d’un renfoncement, l’eau est bien là, ignorée de tous, méprisée par les législateurs de Bruxelles qui ne la trouvent pas assez potable. L’eau était bien là, pure et fangeuse comme la sagesse précaire. Trouble et innocente comme le sage précaire. L’émotion de me trouver devant cette source est indescriptible. Un mouvement irrationnel me pousse à voir une sculpture de la vierge dans la roche. J’y mettrai sans doute, un jour, une déesse des ondes, pour surveiller les nymphes échappées de mes rêves.

En contrebas de la source se trouve un grand espace ouvert, sui sera le centre de vie de mon terrain. Aujourd’hui, comme la terre y est bonne et humide, il y pousse une végétation luxuriante hiver comme été. Une terrasse de toute beauté y verra le jour bientôt, un lieu de méditation et de plaisir. J’y planterai des arbres fruitiers et j’y bâtirai une petite cabane qui se fondra sans le paysage.

Pour l’heure, j’ai empoigné la houe et ai éclairci une dizaine de mètres carrés, pour placer mes deux cerisiers, pionniers de ma colonie. Pendant que je travaillais la terre, je laissais reposer les cerisiers dans l’eau de ma source, pour qu’ils s’habituent à l’eau magique qui les nourrira jusqu’au siècle prochain. Car ces cerisiers, ils sont comme moi, ils sont condamnés à durer. Il faudra s’y faire.

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C’était le 25 novembre, bonne fête à toutes les Catherine. La nuit tombait quand j’avais terminé de mettre mes arbres en terre. La brume entourait les montagnes en face de moi.  La source faisait glouglou car aujourd’hui, selon le proverbe, « tout bois prend racine ».

Deux cerisiers et un notaire

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Je me suis rendu jusqu’au fond de la haute vallée, où le propriétaire des parcelles m’attendait en voiture. Nous avions des bouteilles pour fêter notre affaire. Arrivés chez lui, dans un hameau qui domine la vallée de la Borgne, nous avons descendu, consciencieusement, méthodiquement, tous les nectars. Liquides à bulles, liquides de velours, liquides clairs liquides profonds. Nous leur avons fait un sort.

J’ai dormi dans la cabane, sur le terrain de mon frère, et le lendemain, après une toilette sommaire dans l’eau de la source, je suis allé chez monsieur le notaire.

Il n’y a pas plus éloigné d’un sage précaire qu’un notaire. Un notaire sert à éviter au maximum tout impondérable, toute précarité, dans un accord. Nous avons signé après lecture de l’acte notarié, et sommes allés célébrer l’événement au Café des Cévennes.

Après quoi j’ai loué une voiture et suis allé acheter mon premier arbre fruitier. j’ai voulu un cerisier, je ne sais pas vraiment pourquoi. Parce que j’aime les cerises, me dira-t-on. C’est vrai mais pas davantage que les figues, les prunes ou les pêches. Avant tout, le cerisier, ce sont des fleurs qui rappellent l’été, et qui me rappellent deux lieux qui m’ont enchanté : Dublin, en Irlande, et certains coins d’Asie.

C’est bizarre malgré tout, et je m’en avise au moment même où je vous en parle. Pourquoi diable n’ai-je pas choisi un prunier ? Le prunier aurait eu beaucoup plus de sens : cela m’aurait ramené à la Chine, en particulier à la montagne Pourpre et Or de Nankin, et au fameux motif calligraphique de la branche de prunus. Le fruit du prunier est magnifique et tout aussi érotique que celui du cerisier. Enfin, pour l’amoureux d’Asie, le cerisier rappelle plutôt le Japon, et ce n’est pas avec le Japon que j’ai initié une histoire d’amour… J’aurais dû choisir un prunier, et j’ai choisi un cerisier, c’est ainsi.

J’ai même choisi deux cerisiers. Peut-être parce qu’il y avait deux pépiniéristes dans le village et que je ne voulais pas faire de jaloux. Le premier donnera des fruits à partir de fin mai, le second à partir de juillet. Il y aura donc des cerises tout l’été, si Dieu le veut.

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Deux jeunes écrivains aux antipodes : Julien Blanc-Gras et Blaise Hofmann

Marquises de Blaise Hofmann

En lisant Les Marquises, de Blaise Hofmann, je pense constamment à un autre écrivain de voyage, Julien Blanc-Gras.

Ou plutôt, je pense à un récit spécifique de Blanc-Gras, publié en 2013 : Paradis avant liquidation (Au Diable Vauvert éd.). Les deux livres décrivent la vie et l’histoire d’îles lointaines où il ne fait pas forcément bon vivre, mais qui ont incarné, chacune à leur manière, l’image du paradis. D’un côté les Marquises, qui renvoient aux peintures sauvages de Gauguin et à la voix de Brel. De l’autre les îles Karabati, dans l’océan Pacifique, c’est-à-dire la carte postale du lagon et des cocotiers.

De ce point de vue (le paradis qui est devenu un enfer), le récit de Julien Blanc-Gras est plus convaincant, car il adopte cette question comme axe de narration. Chapitre après chapitre, le lecteur est atterré devant ce qui devrait être un territoire de bonheur simple, et qui se révèle un cloaque abominable.

Blaise Hofmann, lui, ne prétend pas dire la même chose. C’est d’ailleurs un peu le problème de son livre : Les Marquises (Zoé, 2014) n’a pas d’angle d’attaque particulier, il consiste en une narration plaisante et intéressante d’un séjour aux Marquises, sans plus. On passe de personnages en personnages, d’un lieu à l’autre, sans raison apparente, en dehors du fait que l’auteur a bel et bien rencontré ces gens et visité ces lieux.

Je n’aime pas donner de leçons, et je ne juge pas la qualité littéraire du livre d’Hofmann. Ce que j’écris là est seulement une impression de lecture, due au télescopage de deux livres qui sont parus presque en même temps. Si je me permets de dire ce qui est bon et ce qui ne va pas à mes yeux, c’est uniquement pour lancer une réflexion ; je me parle à moi-même, comme dirait Montaigne, et ne cherche aucunement à prescrire quoi que ce soit.

Le récit de voyage est un genre protéiforme et monstrueux, il peut s’adapter à tout. Il n’y a pas de règles auxquelles il faudrait obéir. On fait ce qu’on veut dans le récit de voyage et c’est très bien comme ça. Mais si l’on veut, ce qui est mon cas, que ce genre gagne les lettres de noblesse qu’il mérite, il faudrait peut-être structurer nos récits en leur donnant un axe, un angle ou une problématique. Qu’il y ait un projet de départ, quelque chose comme ça. Celui qui excelle à cela, c’est évidemment Jean Rolin, mais on me reproche de trop parler de Jean Rolin, alors je ferme ma bouche.

On sent qu’Hofmann ne veut pas choisir, car il ne veut rien délaisser. Qu’il veut parler de tout, et qu’il ménage, en quelque sorte, la chèvre et le chou. Le quotidien et les légendes, la nature et les profils Facebook, le renouveau culturel et les poulets aux hormones. Il est vrai que tout cela existe, mais l’impression laissée, à la lecture, est celle d’un témoin qui coche les cases de tout ce qui est important à dire, alors qu’un écrivain devrait nous emporter dans un voyage dont il est le capitaine.

Cette même indécision se retrouve à la quatrième de couverture, quand l’éditeur et l’auteur cherchent à qualifier le ton du livre : « C’est un carnet de route plein d’autodérision, un regard empathique, curieux, critique et généreux ». C’est un peu tout ça à la fois, et pour le coup, aucune de ces postures stylistiques et/ou éthiques ne s’impose.

Une scène m’a beaucoup intéressé, dans Marquises. Le narrateur assiste à un festival de danse traditionnelle, et publie sur son blog les petits reportages qu’il en retire. Grâce aux réseaux sociaux, son blog est lu dans son pays natal, la Suisse, mais aussi par des gens concernés, des Marquisiens furibards. Le billet de blog reçoit des commentaires injurieux et virulents. On l’accuse de ne rien comprendre, d’être un touriste dédaigneux qui juge du haut d’un mauvais complexe de supériorité. L’auteur du livre, et du blog, est évidemment très emmerdé : « Je reçois ma première baffe virtuelle. Virtuelle et anonyme ». Hofmann a raison de dire que les écrivains d’autrefois ne pouvaient pas connaître ce genre de déconvenue, car alors, on écrivait au retour, et exclusivement pour les compatriotes. On se foutait pas mal de savoir ce que ressentait les gens du pays visité.

Cela pourrait introduire à de nombreux sujets de réflexion passionnants, compte tenu des moyens actuels du voyage, de la présence d’internet, de la relative immédiateté que proposent les blogs et les réseaux sociaux. Chemin faisant, c’est effectivement le statut de l’écrivain, du récit de voyage et de sa réception, qui est mis en question. Malheureusement, Blaise Hofmann fait son mea culpa et passe à autre chose. J’aurais aimé qu’il développe, surtout parce que j’ai vécu des histoires similaires, soit avec des lecteurs chinois, soit avec les néo-hippies du festival du Souffle du rêve. Cela aurait pu être une manière d’approche : les marquises connectées, le voyage virtuel, la cyber-écriture et les paysages redéfinis par les nouvelles technologies.

Blanc-Gras paradis

A l’inverse, Julien Blanc-Gras a abordé les îles Kiribati avec un angle d’attaque précis. Comme ces îles vont bientôt disparaître sous la mer, à cause du changement climatique, ce voyage est une sorte de dernier relevé avant disparition. Paradis, avant « liquidation ». Avec les deux sens, drolatiques et tragiques, du mot liquidation : dissolution d’une entreprise, et noyade dans un liquide hostile. L’océan aux couleurs turquoises devient un monstre pollué et toxique qui va tout recouvrir et tout avaler.

La différence entre ces deux auteurs est peut-être que l’un est grand reporter. Blanc-Gras a signé, notamment, quelques reportages pour le magazine M du Monde. Il a peut-être développé l’art et la manière de raconter des choses en fonction d’une question et de s’y tenir. Blaise Hofmann, lui, s’inscrit dans la tradition des écrivains marcheurs, qui écrit un livre comme une promenade, avec un souci du rythme et des détails ; sauf qu’une promenade, par définition, choisit un itinéraire, une route, qui laisse de côté le territoire qui n’est pas traversé, et que Marquises s’occupe de tout un territoire.

Ils sont allés aux antipodes, et ils sont un peu aux antipodes l’un de l’autre.

Source d’Aiguebonne, jardin de la sagesse précaire

Le sage précaire n’a jamais autant mérité son nom. Il n’a jamais été aussi précaire, et il n’a jamais subi la pauvreté avec autant de sagesse. Le SP n’a pas payé de loyer depuis des années, il vit sous le seuil de pauvreté. Il travaille pourtant beaucoup, mais soit bénévolement, soit pour des employeurs qui le rémunèrent de manière toute symbolique. Il vit ce que vivent des millions de Français : travailleur pauvre, il ne pourrait s’en sortir sans la solidarité familiale, la solidarité amicale et la solidarité nationale.

A strictement parler, le sage précaire est un SDF, et il ne doit de dormir dans un lit qu’à la générosité de ses proches. Qu’en sera-t-il quand il sera vieux et fatigué ? Il faudra peut-être qu’il aille sous les ponts.

Pour éviter cela, la sagesse précaire est sur le point d’acheter un terrain dans la montagne. Un nouveau Jardin suspendu, une retraite de jouissance.

On se souvient que mon frère, dans les Cévennes, avait réussi à construire un bel espace dans un repli de la montagne. Pour faire pousser ses arbres et fleurir son potager, il captait de l’eau d’une source qui ne lui appartenait pas. Une source délaissée, sur une parcelle perdue dans la forêt, loin de la route et des villages.

Une pauvre source connue seulement des sangliers, qui viennent se rouler dans la souille.

C’est cette source que je suis sur le point d’acheter. La source et le terrain qui va avec. Une véritable friche inculte, mais propice au bonheur. Qu’on se le représente : de l’eau, du soleil, une belle exposition sud, sud-ouest. Une vue directe sur le mont Aigoual.

En contrebas, les cendres de mon pères, et les travaux de mon frère aîné. Encore plus bas, des figuiers, des pruniers, des pommiers abandonnés. Et au fond de la vallées, les plus belles rivières qui soient. La vie du sage précaire sera, comme il convient, prise en sandwich entre l’eau et le soleil.

On appellera ce nouveau lieu « La Source d’Aiguebonne », et vous y serez les bienvenus pour vous reposer et pratiquer la sagesse précaire.

Intervention (1) Femmes objet de l’art

Vénus de Wilendorf, -20 000.
Vénus de Wilendorf, -20 000

Le beau nom de Vaulx-en-Velin est connu pour les émeutes qui s’y sont déroulées dans les années 1980 et 1990. Depuis, la municipalité communiste tente de recoudre les déchirures du tissu social, notamment par une politique culturelle ambitieuse. Ainsi, le centre Charlie Chaplin est plus qu’une salle de spectacle. C’est un vaste lieu de rencontre et de culture, une espèce de ruches pour les paroles et les images.

J’y étais invité pour parler de la place des femmes dans l’art. Je poste ici les photos que j’ai utilisées pour nourrir et soutenir ma parole.

 

Artemisia Gentileschi, Autoportrait, 1630.
Artemisia Gentileschi, Autoportrait, 1630

Bernini, Extase de saine Thérèse.

Bernini Extases détail 1

Bernini_-Ludovica_Albertoni

Carracci_Jupiter_et_Junon 1555

 

Suzuki_Harunobu_Shunga

 

SHUNGA Hokusai_

 

Courbet l'origine du monde

Courbet_LAtelier_du_peintre

Courbet_Sommeil lesbien

Courbet Proudhon et ses filles

 

Le_Bain_Turc_Ingres

Odalisque JULES LEFEVRE

 

Manet OLYMP

 

Manet DEJ

 

Manet,_Berthe_Morisot,_1872

 

Berthe_Morisot,_Le_berceau1872

 

Intervention (2) Femmes sujet de l’art

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Deuxième intervention au centre Charlie-Chaplin de Vaulx-en-Velin, à côté de Lyon. Cette fois, je parlais des femmes sujets de l’art.

J’ai voulu commencer avec Sonia Delaunay. Ses rythmes, ses toiles abstraites qui cherchent la cinesthésie, la correspondance entre les sens. Comment rendre le rythme par l’image. Mais surtout, à mes yeux, Sonia Delaunay, c’est la grande dame d’un projet qui me fait rêver : La Prose du Transsibérien, le livre-poème de Blaise Cendrars.

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Là aussi se pose la question du rythme, du voyage, du chemin de fer : comment rendre la vie saccadée des trains en poésie, en peinture, en livre ? Je donnerais cher pour avoir un fac-similé de cette oeuvre de 1913. Il paraît que Cendrars, pour écrire ce texte, n’a jamais mis le pied dans le fameux train.

Or, Sonia Delaunay, c’est encore de l’art moderne. Là où les femmes se sont révélées le plus, c’est dans l’art contemporain. Cela peut paraître paradoxal, mais pas pour ceux qui, comme le sage précaire, pensent que les femmes se distinguent davantage par leur intellectualité que par leur sensibilité. Les femmes ont pris d’assaut les ouvertures de l’art contemporain pour y imposer leurs gestes, leurs concepts, et ont créé des espaces nouveaux pour mettre en scène leurs peurs, leurs désirs, leurs fantasmes.

Louise Bourgeois, par exemple, propose de gigantesques araignées. Leur titre ? Ma mère. Spontanément, on pense que les relations familiales étaient tendues. Or, l’artiste dit un jour : « Ma mère était ma meilleure amie. Elle était aussi intelligente, aussi patiente, propre et utile, raisonnable et indispensable qu’une araignée. »

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Par cette déclaration, on comprend que l’araignée doit être appréhendée avec tendresse et intelligence. Après tout, c’est vrai qu’une araignée est une pure merveille : légère et fragile, elle tisse des chefs d’oeuvre de textile, silencieusement. C’est vrai qu’elle est propre et patiente, l’araignée. Qu’elle est élégante et admirable.

C’est à cela que sert l’art, incidemment, revoir les choses dans une lumière nouvelle. Débarrasser les choses de leur image stéréotypée. Ma mère cette araignée, brodeuse et tricoteuse, nourricière et minutieuse.

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Une autre femme se veut moins minutieuse, et moins patiente. Niki de Saint Palle entre avec fracas dans la carrière avec des oeuvres cibles, des tableaux qui suintent de peinture quand on leur tire dessus à la carabine. Devenue célèbre avec ses peintures-cibles, elle crée de grosses sculptures féministes qu’elle baptise « Nanas ».

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Colorées, monstrueuses, maternelles, provocantes, les Nanas de Saint Phalle bouffent la vie et n’ont pas le temps de chercher à plaire. Elles nous engloutissent et ne nous demandent pas notre avis, comme ces femmes séductrices qui prennent les hommes, et qui n’attendent pas qu’on leur fasse la cour.

Ann Hamilton, le texte du textile

J’ai tenu à mentionner ma préférée de toutes, l’artiste américaine Ann Hamilton, née en 1956. Le Musée d’art contemporain de Lyon (MAC) lui avait consacré une rétrospective en 1997. À cette époque, j’étais employé par le musée comme animateur-conférencier. C’est un de mes plus beaux souvenirs d’art contemporain. Ce fut un véritable privilège de travailler pour cette exposition, même si je fus payé à coups de lance-pierre. Déjà à l’époque, le sage précaire se faisait allègrement exploiter et se donnait sans compter.

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Les trois étages du musée étaient consacrés à l’oeuvre de l’artiste américaine. C’était phénoménal, gigantesque, presque exhaustif. En plus des oeuvres passées et des traces diverses des anciennes performances et autres installations, Ann Hamilton avait aussi créé des installations in situ.

Pour nous, animateurs, c’était un bonheur sans précédent de concevoir ces visites qui étaient autant de déambulations dans l’imaginaire d’une femme. Jour après jour, nous trouvions toujours plus de cohérence et de complexité dans le défilement des oeuvres et leur mise en écho.

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Au deuxièmes étage, elle avait créé Bounded, une installation où elle brodait autour des symboles de la ville de Lyon : la soie, les métiers à tisser Jacquard, l’église catholique. Une grande installation rigoriste et sévère, immaculée de blanc, un espace austère et minimal, où l’on reconnaissait vaguement la forme des métiers à tisser face à un mur blanc.

"Bounden", d'Ann Hamilton. Lyon, 1997.

Or, en s’approchant, on aperçoit des gouttes d’eau qui suintent du mur et dégoulinent. Hamilton avait créé un mur qui pleure, un mur en larme. Les rideaux aux fenêtres ainsi que sur les cadres étaient brodés de textes. Le texte était, je crois, le monologue de Molly Bloom dans Ulysses de James Joyce. Les rayons du soleil servaient de projecteur du texte sur le mur, et la tristesse du texte faisait pleurer le mur.

Ann Hamilton, détails.

Au dernier étage du musée, un seul grand espace sans mur. Entre les spectateurs et le plafond, l’artiste a tendu un ciel de soie orange, tiré par un moteur pour créer un effet de vagues. Au dessus de ce ciel orange, une chaise d’arbitre trône et un personnage déroule une bandelette qui entoure sa main, et fait passer cette bandelette des étages supérieurs aux étages inférieurs.

"Mattering", d'Ann Hamilton. Lyon, 1997.
« Mattering », d’Ann Hamilton. Lyon, 1997.

Le MAC de Lyon étant infiniment modulable, on avait percé un trou dans les planchers pour faire passer la bandelette du plafond jusqu’au rez-de-chausée, où elle s’entassait en un gros tas qui s’agrandissait au fil de l’exposition.

Quand nous faisions visiter nos groupes, les gens s’interrogeaient sur ce gros tas de bande bleue, qui n’était rien d’autre que la bande encrée des machines à écrire. Nous en parlions avec les visiteurs d’une oeuvre abstraite qui se suffisait à elle-même, sans dévoiler que nous retrouverions ce fil bleue au second et au troisième étage.

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Aucun artiste ne m’a marqué autant qu’Ann Hamilton. L’exposition était d’une richesse infinie, et les installations étaient toutes ludiques, sensibles et intelligentes. J’ai tout appris de l’art à cette époque, dans cette exposition.

J’ai terminé ma conférence avec les oeuvres de mon amie Chen Xuefeng, qui était présente dans le public. J’ai déjà beaucoup écrit sur son travail. Par pudeur, je n’en dirai rien ici.

Emancipées, temps fort de Vaulx-en-Velin

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Jeudi 13 novembre au soir, vous êtes conviés à vous rendre à Vaulx-en-Velin, pour l’une des soirée Emancipées que propose le centre Charlie Chaplin.

Une soirée longue et riche, qui commence dès 18h30. D’abord une petite causerie où je parlerai de la place des femmes dans l’histoire de l’art classique, où son corps est infiniment représenté, chanté, glorifié et utilisé.

Puis Mademoiselle Else d’Arthur Schnitzler, adapté et joué par Anaïs Mazan.

Après quoi je réapparais et mène une nouvelle causerie sur les femmes comme « sujet de l’art », donc un survol de l’art du XXe siècle du point de vue des artistes femmes.

La soirée se poursuit avec une pièce de Virginia Woolf, tirée d’Une chambre à soi, mise en scène par Sylvie Mongin-Algan (compagnie « Les trois huit ») et jouée par Anne de Boissy.

 

Reportage chinois (2) De la dégustation du vin

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Lundi 10 novembre, l’émission Détours diffuse sur la Radio télévision suisse mon documentaire sur la découverte du vin en Chine. Ci-dessous le lien de l’émission.

http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/detours/6253201-detours-du-10-11-2014.html

Je n’ai pas voulu parler une énième fois des richissimes chinois qui rachètent des vignobles français. Cela, c’est l’habituelle vie dégoûtante des gens trop riches qui, plutôt que d’aider leur peuple (en l’occurrence, les Chinois qui tirent le diable par la queue), investissent n’importe où. Ces gens-là ne méritent qu’une chose, que les précaires leur volent leur argent et le redistribuent. Bon.

Ce qui m’intéresse beaucoup plus, c’est ce qui se passe dans la rencontre entre un verre de vin et un palais chinois.  Comment cela se passe, un verre de vin rouge, quand on a grandit dans une culture sans vigne, sans vin, sans fromage et sans pain ? Comment parle-t-on d’arôme de myrtille, de groseille, du mûres, quand on a grandi dans un pays où il n’y a pas de groseille, ni de mûre ni de myrtille ?

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Le Voyage des deux docteurs

Le temple Jing An, Shanghai.
Le temple Jing An, Shanghai.

Docteur JB est un acupuncteur du sud de la France. Je l’ai accompagné pour un voyage éclair en Chine. Comme le dit mon cousin Thomas, « au fond c’est ça ton truc, dans la vie : tu accompagnes, tu guides les gens. Tu les prends par la main et tu leur montres des trucs. » C’est ça mon truc.

Cela faisait des années que je tannais JB pour réaliser ce voyage. Je lui faisais remarquer qu’il ne pouvait continuer à exercer l’acupuncture sans connaître la Chine. Pour des raisons familiales et professionnelles, il ne pouvait pas partir plus d’une semaine. Je lui ai concocté un petit séjour aux petits oignons. Outre les rencontres avec des médecins et thérapeutes, masseurs de pieds, poseurs de ventouses et piqueurs d’abeille, j’organisais les choses pour que JB sente la vie quotidienne des rues et des parcs. Qu’il s’imprègne de cette ambiance sympathique des ruelles, qu’il mange dans des boui-boui exquis, qu’il voie passer sans y toucher le corps admirable des femmes, qu’il contemple les vieux faire du taichi de bon matin. Qu’il hume la profonde sagesse des jardins.

Jardin Yu, Shanghai
Jardin Yu, Shanghai

Moi docteur en lettres, lui docteur en médecine. Moi précaire, lui confortablement installé. Moi célibataire, lui marié. Moi sans descendance, lui père de trois enfants. Moi amoureux de la Chine, lui familier de l’Inde. Nous étions bizarrement assortis, mais tout s’est très bien passé entre nous. J’ai eu le bonheur de le voir aimer la Chine et les Chinois. Je n’ai pas ménagé mes efforts pour cela, lui ai fait rencontrer des amis très charmants, ai commandé chaque jour des plats délicieux et variés. J’ai équilibré les journées entre tradition et modernité.

Hôtel Hyatt, tour Jin Mao, Pudong, Shanghai.
Hôtel Hyatt, tour Jin Mao, Pudong, Shanghai.

Mais c’est à lui-même qu’il doit d’avoir apprécié ce séjour si court. D’autres personnes ne se laissent pas toucher si facilement par les différences culturelles. JB partait avec un a priori assez fort sur les Chinois, mais il a su voir, en très peu de temps, le charme qui se dégage de leur pratique de vie au quotidien. En bon père de famille, il a été agréablement surpris de voir la tendresse qu’exprimaient les hommes pour les petits enfants. Il était très sensible aux ambiances et à tous les phénomènes de soins, de solidarité et de sociabilité. J’ai été très ému de l’entendre dire, au bout de quelques jours : « Ils s’occupent quand même beaucoup de leurs vieux, leurs handicapés et leurs aveugles. C’est curieux, cette mauvaise réputation qu’ils se trimbalent, pour un peuple aussi affable. »

Reportage chinois (1) Femmes en surplus

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Ci- dessous l’adresse de mon reportage diffusé sur la RTS. Un documentaire radiophonique sur les femmes chinoises célibataires.

http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/detours/6169467-detours-du-08-10-2014.html