1000 fleurs pour le sage précaire

Mesdames et messieurs, j’ai l’honneur et la joie de vous annoncer que ce billet est le millième du blog.

Voilà.

Je tenais à marquer le coup.

Femme granit

"Mimi", de Markus Raetz, dans le parc de la Cerisaie.
« Mimi », de Markus Raetz, dans le parc de la Cerisaie.

Au Parc de la Cerisaie, le coureur aime dessiner des boucles dans le paysage. Pour éviter la monotonie, il est bon de faire plusieurs fois le tour du parc, mais en empruntant des chemins variés, et, si possible, ne jamais emprunter deux fois le même itinéraire.

Arrivé vers la fin de la grande boucle, le coureur passe le long d’une sculpture qui m’avait toujours paru abstraite. Il s’agit de 14 blocs de granit disposés à même le sol.

Markus Raetz, "Mimi", 1982
Markus Raetz, « Mimi », 1982

Enchevêtrés et juxtaposés, ils se sont révélés parfaitement figuratifs le jour où j’ai lu le titre de l’œuvre : Mimi, du sculpteur suisse Markus Raetz. Quand on évolue tout autour, la perception de a sculpture se transforme et oscille entre abstraction et figuration.

Markus Raetz, "Mimi" de dos.
Markus Raetz, « Mimi » de dos.

Il s’agit évidemment d’une femme couchée sur le côté. Une femme ou un homme. A deux pas de la Villa Gillet, l’œuvre est située dans un sous-bois, comme une châtelaine qui s’isolerait une minute pour aller faire une sieste.

Markus Raetz, Mimi, 1982

Jogging au parc de la Cerisaie

La Villa Gillet et le parc de la Cerisaie
La Villa Gillet et le parc de la Cerisaie

Le matin, il est loisible de descendre à petites foulées la rue Jacquard, jusqu’à la rue Bony, pour aller au parc de la Cerisaie, en direction de la Saône. Ce parc est l’enceinte de la Villa Gillet, où se déroulent les Assises du roman chaque année.

Jean-Pierre Raynaud, "Autoportrait", 1980
Jean-Pierre Raynaud, « Autoportrait », 1980

Dans le parc, outre de très beaux arbres, un nombre impressionnant de sculptures contemporaines. Des sculptures des années 80. Les descendants de la grande famille lyonnaise Gillet collectionnent des artistes parce qu’il faut bien faire quelque chose de son argent, surtout quand ce n’est pas soi qui l’a gagné.

Le joggeur tourne ainsi autour d’un autoportrait en carrelage blanc de Jean-Pierre Raynaud, isolé dans un sous-bois, en contraste absolu avec son environnement.

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En face, un Signal Oblique d’Alain  Lovato, qui ressemble  une fusée démodée.

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C’est  l’avantage de la course au parc, sur la marche en musée. Le promeneur n’a pas à s’attarder devant chaque oeuvre, et surtout, il revient plusieurs fois autour de la même, au point de s’en imprégner un peu. A force, on finit par apprécier certaines sculptures qui nous laissaient froid au départ.

Les œuvres en métal rouillé de Gérald Martinand, par exemple.

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J’ai fini par m’y faire, et même à les trouver agréables.

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Surtout Duplex, qui prend tout son sens quand les deux modules, placés de part et d’autre d’un terrain en pente, se retrouvent face à face, et qu’on peut les voir l’un encastré dans l’autre.

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Plus loin, mais pas très loin, le joggeur aperçoit la sculpture d’un homme debout, qui se trouve avantageusement encadré par deux beaux arbres.

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Seule œuvre des années 1960, Hommage à Léon, de César, quand il était encore sous l’influence de Giacometti et de Germaine Richier, avant ses compressions.

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Vu de derrière, il semble surveiller un banc public. De devant, Léo pourrait donner une conférence.

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La plupart de ces œuvres on été créées in situ, donc ce sont les artistes qui ont choisi leur emplacement, quand ils n’ont pas conçu leur module en fonction du lieu lui-même. Gérard Michel, par exemple :

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Son œuvre au titre énigmatique, La nuit du 29 mai 1980, il l’a conçue et placée là, en découvrant le parc lui-même. Il l’a découvert une nuit, en 1980. Le 29 mai, pour être précis. D’où le titre de l’œuvre, qui, à première vue, donc, paraissait énigmatique.

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Sur les deux blocs, l’un en pierre l’autre en métal, des motifs eux aussi énigmatiques, qui ne sont autres que le plan du parc lui-même. On ne peut pas faire plus in situ.

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Les vieux copains, de la Croix-Rousse à Villeurbanne, et retour

Comme tous les étés, la vieille bande de copains de la fac de philo ont réussi à se retrouver à plusieurs endroits, puis à s’organiser une assemblée presque plénière sur une colline de Lyon.

Nous nous sommes rencontrés en 1991. Cela fait bientôt 25 ans. Nous ne sommes pourtant pas de bons organisateurs, je ne sais comment nous parvenons à nous retrouver si souvent malgré nos existences éclatées aux quatre coins du monde.

Cette année, les choses ont un peu tourné autour de Ben, qui a fini par devenir propriétaire. A plus de quarante ans, ce n’était pas dommage. Le sage précaire commençait même à trouver le temps long. A quoi ça sert d’être un fonctionnaire de l’Education nationale, pensait-on dans les couloirs de La Précarité Du Sage, si l’on ne s’endette pas sur vingt ou trente ans ? Retour du Tchad avec femme nouvelle et enfant supplémentaire, Ben a fait une visite éclair sur le marché de l’immobilier à Lyon. Résultat, un grand appartement de Villeurbanne, près du métro, doté d’une vue magnifique sur toute la plaine lyonnaise et le canal de Miribel Jonage.

Vue plongeante sur le périph’ et son échangeur, enchanteresse de lignes courbes et de lignes droites qui se tressent harmonieusement. Vue reposante sur le cimetière de Cusset. Vue excitante sur le barrage hydro-électrique des années 1920. Vue militaire sur le crayon du Crédit lyonnais. Vue magistrale sur le Mont Pilat tout là-bas. Ben voulait de la vue, il a obtenu, en une seule visite, ce qu’il a voulu. C’est le côté taoïste de Ben : il ne bouge pas une oreille pendant vingt ans, il peaufine son geste, il ourdit ses armes, et quand il est prêt, bam ! il fond sur sa proie, qui n’a rien vu venir.

Il a donc fait appel aux vieux copains pour déménager des meubles anciens, puis pour assembler les meubles neufs, achetés chez un fabricant scandinave. Le sage précaire s’est chargé, par exemple, du lit pour bébé. Les autres ont monté un lit double, un canapé convertible, des tables basses et Dieu sait quoi.

Nous avons terminé la soirée sur le plateau de la Croix-Rousse. Moi, je serais bien resté dans le quartier populaire de Villeurbanne, mais pour la bande, l’attraction de la Croix-Rousse, où nous habitions presque tous, dans les années 90, était trop forte. Et puis, la vue sur le périph’, ce n’est pas tout le monde qui trouve cela poétique. Beaucoup préfèrent encore les vieux immeubles canut, c’est ainsi.

Le restaurant La Famille, rue Duviard, derrière la mairie du 4ème , ne paie pas de mine. Ils ont des pots de Côte de toute beauté : c’est du Croze-Hermitage. Et un pot de Moulin à Vent qui a fait mon bonheur.

(Je dis cela parce qu’ils n’avaient plus de Croze-Hermitage, donc c’était un Côte du Rhône ordinaire. Or, comme certains convives continuent de déprécier le beaujolais, j’ai pu me régaler avec le Moulin à Vent jusqu’à ce que tout le monde s’aperçoive que le seul bon vin de la tablée était en fait ce pot de beaujolais), ndlr.

Nous avons pu nous rendre compte, comme chaque années, que personne n’avait fondamentalement changé, à part quelques pertes de cheveux par-ci et quelques prises de poids par-là, négligeables dans les deux cas. Certains gagnent plus d’argent qu’avant, d’autres glissent doucement sur la voie de la précarité.

Mais surtout, un certain d’entre nous, dont le nom restera secret, ne cesse de produire beaucoup plus d’enfants que tous les autres, faisant monter dangereusement notre fertilité moyenne. Peut-être devrons-nous, lors de nos prochains congrès, rappeler que la sagesse précaire est adossée à un malthusianisme fanatique.

California in my mind

Je ne sais pas pourquoi mon cœur se serre si fort quand des images me viennent de la Californie. Je repense souvent à mon petit séjour là-bas avec une intense nostalgie. Un sentiment proche du désespoir. Que ce soit Los Angeles, son centre ville ou sa lointaine banlieue, San Francisco ou Oakland, que ce soit des paysages ruraux ou des ambiances urbaines, toute la Californie me revient en mémoire comme un paradis perdu.

Comment cela est-il possible ? Certes, j’y ai rencontré et retrouvé des personnes formidables. Les Californiens d’adoption ont été généreux avec moi, hospitaliers, stimulants, intéressants, et il n’est pas étonnant que j’en garde un bon souvenir. Mais ce n’est pas ça. Non, ce n’est pas suffisant. Des gens sympas et intelligents, j’en rencontre partout, je les attire, comme la fleur attire les abeilles. Comme le sombre lac attire les baigneuses. Comme le mont pelé attire les randonneurs. Je peux en faire à la pelle, des images de ce calibre. Comme la vieille fontaine attire les juments…

Il y a autre chose, quelque chose de mystérieux et de caché, qui fait de la Californie un lieu de ma mémoire particulier, lumineux et bouleversant. Tous les matins, j’étais angoissé. Des crises de panique me sautaient à la gorge et je voulais en finir. Ma vie ne valait plus rien, je voulais mourir. Avec le recul, on m’a dit que j’étais sous le coup d’une dépression due à la mort imminente de mon père. Je faisais mon deuil avant la mort.

Ces angoisses dans une région magnifique ont créé un stock d’images et d’émotions, en moi, qui se sont cristallisées en souvenirs fulgurants, éclatants. Ce furent des épiphanies à répétition, qui se sont succédé comme une réaction en chaîne, et qui, emprisonnées dans la cage de ma mémoire, sont devenues une pure splendeur.

Enfin, il y a une dernière chose. J’ai beau retourner les idées dans tous les sens, j’ai le sentiment tenace que les gens qui habitent en Californie sont les plus chanceux du monde. Ils me font l’effet d’être privilégiés sur la terre. Je n’avais jamais eu ce sentiment avant, dans aucun autre pays du monde. Partout, j’étais émerveillé, mais je percevais quand même les côtés négatifs. Là, sur la côte ouest des Etats-Unis, je crois avoir vu l’endroit le plus heureux du monde, le plus parfait.

Le sage précaire finira peut-être sa vie là-bas, en immigré clandestin. Il construira une cabane et se rendra parfois, deux fois l’an, à des dîners en ville avec des intellectuels de Berkeley ou des poètes d’Albany. Il vivra de peu, dans la sagesse toute relative de son âme inquiète, et dans la tiédeur des grains de raisin qu’il picorera en attendant d’être expulsé comme un vulgaire chicano.

L’été à la Croix-Rousse

Selon Michelet, la Croix-Rousse était la « colline qui travaille ». En face, de l’autre côté de la Saône, la « colline qui prie » avec sa basilique de Fourvière. Entre les deux collines lyonnaises, on s’observe, on se jauge, on se méfie.

Un siècle après Michelet, Paul-Jacques Bonzon inaugurait sa série de romans pour enfants avec Les Six compagnons de la Croix-Rousse. Les moins jeunes se souviennent de l’histoire : un enfant quitte sa Provence natale pour suivre ses parents à Lyon, dans l’affreux quartier de la Croix-Rousse. Son chien ne peut pas suivre la famille en ville, alors l’enfant s’organise avec sa bande de petits citadins pour retrouver le berger allemand.

Il a fallu attendre longtemps, donc, pour l’autre colline de Lyon, celle qui travaille, fasse partie de l’aire urbaine de Lyon. Pendant longtemps, ce n’était que des champs et des polissons. Ce n’est devenu urbain qu’avec la révolution industrielle, quand l’industrie de la soie est devenue mécanique, grâce notamment au métier à tisser Jacquard.

Au centre de la Croix-Rousse, c’est justement Jacquard lui-même qui est célébré, avec la grande statue qui orne la place principale. En plein mois d’août, le sage précaire s’assoit sur le large piédestal et regarde étonné les nombreux passants.

Petit à petit, des bords de Saône jusqu’au plateau, les ouvriers et les entrepreneurs ont colonisé les pentes de la Croix-Rousse pour couvrir un grand territoire manufacturier, artisan et bigarré.

Se promener aujourd’hui dans les rues de ce quartier renvoie encore à une respiration d’ouvrier. La place Tabareau, moins fréquentée que la place des Tapis, opère sur moi une attraction indéfinissable. Je n’ai pas forcément envie de m’y arrêter, ni d’y boire l’apéro, mais l’ouverture soudaine que produit la percée de l’avenue Cabias me coupe le souffle, ou retient mon souffle. Ouverture sur le ciel, et hauteur de vue sur les vieux immeubles. Sur la place Tabareau, on joue d’autant plus aux boules que les jeunes s’y mettent. De leur côté, les artisans continuent de s’y donner rendez-vous avec les entrepreneurs et les promoteurs immobilier.

Il est de bon ton, à Lyon, de railler la Croix-Rousse et son ambiance de village. Cette frime de jeunes familles adeptes des terrasses, ces parcs parsemés d’œuvres d’art, ce marché quotidien de légumes bio. Ce faisant on raille un quartier qui a perdu son authenticité ouvrière et qui n’en gardé que le décor. On méprise la fatalité qui a amené les nouveaux venus pleins de fric à racheter les appartements de Canuts, et à imposer leurs valeurs et leur mode de vie.

Le sage précaire laisse railler, et regarde passer la caravane. Pour lui, passer quelques semaines à la Croix-Rousse est une vraie cure de jouvence, de promenades et de courses, de rencontres et de retrouvailles. J’y ai vécu mes années 90, alors les critiques acerbes n’ont que peu de poids sur moi. Mon ancienne amoureuse est restée sur la bordure du plateau, et est à la tête d’une belle galerie d’art, construite par un grand architecte. Elle contribue à faire revivre la Croix-Rousse de sa nouvelle existence post-manufacturière.

Sur la terrasse du grand café de la Soierie, établissement moral qui a peu changé depuis un siècle, un équilibre est trouvé entre anonymat et familiarité. Le sage précaire aime y parcourir les journaux après avoir travaillé quelques heures. Installé à sa table, il lit Le Progrès, Le Monde ou L’Equipe, et distingue fréquemment de vieilles connaissances à des tables voisines. La beauté de cette ambiance « de village » vient du fait qu’on ne se sent pas obligé de bouleverser le cours de son existence pour si peu : on se salue de loin, on se claque des bises furtives, et on retourne à son journal.

Mais on ne s’interdit pas non plus de se parler comme si on n’avait jamais quitté le quartier. À la Croix-Rousse, on se revoit, on se donne rendez-vous, on discute business et art, on fait des affaires en buvant du Beaujolais. C’est la vie, la vie authentique des gens qui ne sont plus ouvriers.

 

Splendeur du Forez

Aimer une femme du Forez doit être extrêmement doux. On doit pouvoir lui dire des paroles d’amour d’une grande finesse. « Ma nymphe des eaux et Forez », des choses comme ça.

JUILLET 2014 329

J’étais de passage à Montbrison, capitale du Forez. Mo ami Ben, de retour du Tchad, m’invitait à passer un petit weekend avec sa famille décomposée, recomposée et reconfigurée. Des promenades au centre ville, sur les hauteurs de la ville et dans les vieilles rues, ont enchanté le Lyonnais que je suis.

Qui parle de Montbrison ? Qui parle du Forez ?

JUILLET 2014 334

Il y a mille ans, le Forez était dirigé par les Comtes de Lyon. Quand l’Eglise a vu son pouvoir augmenter, Lyon est devenu la chasse gardée des Archevêques et les Comtes se sont concentrés sur le Forez seulement. Vu d’aujourd’hui, on pourrait croire que les Comtes se sont fait avoir et que les gens d’église ont touché le Jackpot. Parce que Lyon, évidemment, ça a une autre dimension que Montbrison.

Or, se promener à Montbrison revient à remonter le temps à une époque où le Forez était flamboyant, et faisait jeu égal avec le Lyonnais. J’ai aimé mettre mes pas dans ceux des fameux Guy IV, Jean 1er, les Comtes d’un fastueux XIIIe siècle.

Ah ! Guy IV, mon héros. Orphelin, il est élevé par Renaud de Forez, archevêque de Lyon. Il fait édifier la principale église de la ville, la Collégiale Notre-Dame-d’Espérance, où je suis allé dimanche dernier, le cœur serré. Engagé dans la 6ème croisade en Terre Sainte, il meurt en Italie lors du trajet de retour, en 1241. Il n’a que 45 ans.

Son gisant, sculpté dans un beau marbre, peut se voir au fond de la Collégiale. Entouré d’anges, Guy IV repose dans l’affection des siens. Je le contemplais quand l’orgue fit flûter de douces mélodies. Les cloches sonnaient au dehors. Je me retournais et vis avec surprise que l’église s’était remplie de fidèles. J’assistais à la messe avec une certaine émotion, une émotion obscure à moi-même.

Un restaurant qui domine la plaine

JUILLET 2014 373

Depuis la mort de mon père, j’ai décidé d’être un bon fils. C’est un peu tard, me dira-t-on, mais il n’est jamais trop tard pour commencer à être bon.

Il me reste une mère. Or, comme cette mère est douce et gentille, ma grande résolution s’avère assez facile à tenir.

JUILLET 2014 359

Pour son anniversaire, je l’ai invitée dans un beau restaurant de Lyon. Sur la colline de Fourvière, Christian Têtedoie a fait construire un écrin magnifique pour sa cuisine. Dans une architecture limpide aux lignes épurées, le chef étoilé veut rapprocher l’expérience culinaire et le plaisir musical. Tête d’oie est un chant gastronomique, idéal pour les hommes d’affaire du XXIe siècle. C’est là que les Lyonnais décontractés vont parler business, tandis que les vieux politicards préfèrent l’ambiance confinée de la Mère Brazier, près de l’Hôtel de Ville.

A Lyon, l’homme politique est un humaniste centriste, un peu pourri, amoureux de bonne bouffe et pétri de culture lettrée : Edouard Herriot était un spécialiste de musique classique. Aujourd’hui, l’agrégé de lettres Gérard Collomb récite du Saint-John Perse par cœur.

Si vous voulez séduire un Lyonnais, finalement, ce n’est pas très compliqué : un peu de patience, du gras délicat au niveau du palais, et surtout, beaucoup de poésie.

JUILLET 2014 379

Après avoir essayé plusieurs grandes tables lyonnaises, ma mère et moi pouvons commencer à esquisser une certaine préférence. Nous préférons être à l’aise, avoir de l’espace autour de nous. Nous préférons un service simple, mixte si possible, et surtout peu obséquieux.

À choisir, nous aimerions bien que les serveurs parlent un peu plus fort. Parfois, la jeune femme (aux yeux admirables, orange perçant), nous donnait les explications d’une voix si douce que ma mère n’entendait rien. Les chips de fenouil, les décompositions de ratatouille, les « gastriques », les gouttes de concentrés d’agrume et autres beurre au citron auraient mérité une voix de stentor, fleurie et suave.

JUILLET 2014 369

Viens chez moi (j’habite chez une copine)

JUILLET 2014 490

 

Catherine m’a donné les clés de son appartement à la Croix-Rousse, le temps d’un séjour en Asie du sud-est.

 

 

JUILLET 2014 500

 

Elle m’a fait promettre de ne pas y accueillir de prostituées, ce que je trouve très injuste vis-à-vis de ce corps de métier méritant et parfois déconsidéré. Par amitié pour Catherine, j’ai promis.

 

 

JUILLET 2014 495

 

L’appartement en question est élégant et confortable. Haut de plafond, il permettait aux ouvriers de la soie d’y introduire un métier à tisser, d’où l’appellation d’immeuble « canut ». Les poutres sont apparentes et le sol est en parquet. Enfin le quartier est le grand centre urbain pour bobos, le plateau de la Croix-Rousse.

 

JUILLET 2014 494

 

Je devais y passer de temps en temps, pour arroser les plantes, mais finalement je m’y sens si bien que j’y ai installé mon ordinateur et c’est là que je passe le plus clair de mon été pour travailler dans la fraîcheur et le calme.

 

JUILLET 2014 488

Pourquoi les départements portent-ils des noms de rivières ?

Cela ressemble à une absurdité, mais c’est un projet mûrement pesé : les départements portent souvent des noms de rivières et de fleuves.

Aucun département n’est assez étendu pour couvrir la distance qui sépare la source de la bouche d’un fleuve. Pourquoi appelle-t-on Rhône un espace autour de Lyon, alors que le fleuve Rhône commence en Suisse et termine sa course à la Méditerranée ? Même question pour la Loire, l’Isère, l’Indre, la Saône et tous les autres cours d’eau.

La Précarité du sage s’est penchée sur cette question, comme sur toute question, avec gravité et humilité. La réponse est venue grâce à une autre question embarrassante, et en les articulant l’une à l’autre.

Voici la deuxième interrogation : pourquoi aucun département ne porte le nom de territoires clairement identifiés par les habitants : Dauphiné, Forez, Cévennes, Bretagne, Camargue ?

Parce qu’il fallait casser l’appartenance des Français à leur région. C’était l’époque de l’Etat-nation, issu de la révolution, il s’agissait de créer une appartenance unique à la dimension du pays. Il fallait rabaisser la fierté des provinces. Le paysan auvergnat devait oublier l’Auvergne, et se sentir appartenir à la Loire, ce fleuve qui traversait des distances gigantesques jusqu’à Nantes, où le paysan n’irait jamais.

Avec la constitution d’une Europe des régions, on a tendance à retrouver les anciennes loyauté. Renaissance des Cévennes, du Dauphiné, de l’Auvergne, et disparition progressive de l’Isère, de la Lozère et de la Creuse.