Les fruits de septembre

Tout en bas du village, près de la Valniérette, se trouve un beau figuier dont les propriétaires ne s’occupent plus depuis longtemps. Ils habitent à Paris. Les gens du coin se servent en passant le long de la route.

Mais peu de gens passent sur cette route, alors les figues mûrissent, se gâtent, puis pourrissent, ignorées de tous.

Le sage précaire s’y rend une fois par semaine. Il en mange une dizaine pour étancher sa soif. Il prend celle qui sont tellement mûres qu’elles ont le cul tout éclaté.

Puis j’en cueille une petite vingtaine parmi celles qui peuvent encore se conserver quelques jours.

Dans la montagne, certains vergers sont purement abandonnés. Peut-être les propriétaires sont-ils trop vieux, ou peut-être n’habitent-ils plus en Cévennes. Plus probablement, la personne qui a aimé et récolté ce prunier qui me régale aujourd’hui, est morte de sa belle mort. Et ce sont des héritiers vivant à Montpellier qui en sont les propriétaires, et ne le savent même pas.

Ce prunier est le délice des délices. Perdu dans une broussaille qui a envahi un traversier, il exhibait mélancoliquement ses prunes noires et bleues. L’autre jour, de guerre lasse, il avait laissé tomber à ses pieds tous ses fruits trop lourds pour lui.

J’en ai ramassé un : il était intouché par les insectes et les vers. La prune était molle au toucher, et la peau intacte. Comme il n’avait pas plu depuis des semaines, le jus était si doux et concentré qu’il en était presque alcoolisé.

Je n’ai pas touché à l’arbre et me suis contenté de glaner les prunes tombées par terre, sur une herbe sèche et douce. Toutes étaient immaculées et délicieuses.

A mon retour, j’ai délesté un pommier qui connaissait le même sort d’abandon des hommes.

Je ne suis pas fier de moi, car je sais qu’en agissant ainsi je commets un larcin. Ces arbres ne sont pas publics, ils appartiennent à quelqu’un. Ce que je fais, c’est donc bien un vol. Mais comme disait le divin Thomas d’Aquin : « les biens que certains possèdent en surabondance sont destinés, par le droit naturel, à secourir les pauvres ». Or, si je ne suis pas exactement ce qu’on appelle un pauvre, la surabondance est ici manifeste, et presque criminelle.

Si l’on me prenait la main dans le sac, et que l’on me traînait à un tribunal, je me défendrais avec des  arguments différents de ceux de Thomas d’Aquin. Je ne dirais pas que j’étais dans l’urgence et le besoin, mais que ce sont ces arbres qui sont se trouvent dans une situation tragique. Ce sont ces arbres que je soulage en appréciant leurs fruits.

3 commentaires sur “Les fruits de septembre

  1. Me semble que c’est ça qu’on appelle glaner ! Non ?
    …ils étaient trois petits enfants qui s’en allaient glaner aux champs.
    c’est légal puisqu’on ne ramasse seulement que ce qui est par terre,non ?
    miam-miam régale-toi, et il en restera encore pour les oiseaux et les petites bêtes des bois et engraissera le sol qui à son tour nourrira l’arbre qui donnera l’année prochaine encore plus.

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