DSK et les lettres françaises

 

Le visage de Marcela Iacub

Rien n’est plus éloigné du sage précaire que Dominique Strauss-Khan. Ce dernier a connu les plus hautes gloires et la chute la plus vertigineuse. Le sage précaire ne connaît pas la chute, ni la gloire. DSK est un loup du sexe, le sage précaire est un agneau du plaisir. L’ancien ministre est un brillant économiste, le sage précaire est un terne économe. Les deux aiment le luxe, mais le premier l’atteint par la dépense, l’autre dans la frugalité.

Le Monde des Livres, 1er mars 2013

Ces jours derniers, on se régale des débats qui font rage dans la presse, occasionnés par la parution du dernier livre de Marcela Iacub, qui raconte son aventure avec Strauss-Khan, Belle et Bête. Avant de lire ce récit, il est bon de mesurer l’effroi de certains intellectuels et autres écrivains.

Dans Le Monde daté du 24-25 février, Christine Angot se défend, « au nom de ses principes littéraires », de toute ressemblance entre ses propres récit et celui de Iacub. Dans le supplément littéraire du même journal, daté du 1er mars, une double page est consacré au phénomène de Belle et Bête. D’autres écrivains, et d’autres journalistes, s’insurgent avec la dernière énergie contre ce livre qui est, si l’on en croit Marc Weitzmann, « si nul qu’il y a presque une réticence à prendre la plume pour le dire. »

Ah! Cela faisait longtemps que le milieu littéraire n’avait pas connu de scandale, ça fait plaisir.

Ce qui fait surtout plaisir, c’est l’éclosion d’un vrai grand personnage romanesque dans notre vie publique. DSK va encore inspirer bien d’autres livres, et des films et des jeux vidéos, et des opéras. DSK est sans doute la personnalité la plus fascinante que la France ait connue depuis la fin du XXe siècle.

C’est un véritable ogre, un géant, un monstre. Pour bien raconter la vie de DSK, il faudrait un Victor Hugo. Les deux hommes ont en commun une efficacité effroyable dans le travail et un appétit sexuel non moins effroyable.

Ce qu’il a réussi à accomplir laisse désarmé : brillant économiste, il a su occuper les plus haut postes de recherche et d’enseignement dans le système universitaire français. C’est déjà pas mal, bien des gens y consacrent leur vie entière et n’y parviendront jamais. Il se lance dans la politique et se fait élire. Maire de Sarcelles, il se fait apprécier de ses administrés et est reconnu comme un maire compétent. Il progresse jusqu’au ministère le plus important d’un des pays les plus riches et complexes du monde. Même là, au ministère de l’économie et des finances, il se fait respecter par tous et semble recueillir l’approbation de chacun.

C’est extrêmement rare, les gens qui savent à ce point concilier des compétences si variées qu’elles en deviennent contradictoires : gérer une administration, conduire le changement, penser l’économie, pénétrer les théories les plus abstraites, faire preuve d’autorité et de souplesse, serrer des mains aux marchés, mener des campagnes électorales, faire du réseau, mener sa barque dans les hautes sphères du pouvoir, se faire entendre médiatiquement. On est rarement doué dans tous ces domaines à la fois.

D’habitude, les grands chefs ont de grosses lacunes, soit intellectuellement, soit au niveau économique, ou alors ils pèchent par excès d’autorité, ou par manque de chaleur humaine. Strauss Khan, lui, réussit partout où il passe.

Jusqu’au FMI, une administration qui demande à son leader de traiter avec les chefs d’Etat du monde entier. DSK y est nommé, et il en fait quelque chose qui tient la route, qui sera même un acteur clé lors de la crise de 2008. Là aussi, il est compétent ; c’est du moins ce que disent les responsables et les journalistes économiques anglo-saxons.

C’est une carrière qui me paraît encore plus extraordinaire que celle d’un Sarkozy ou d’un Hollande. Et même plus impressionnante que celle d’un Mitterrand. Car ceux qui deviennent président, leur destin ressemble malgré tout à un destin tourné vers un seul but. Notre héros controversé n’a pas de but clair et définitif.

DSK, en effet, peut changer d’atmosphères, de milieux et d’entourages, il peut se faire apprécier à Sarcelles et à Washington. Qui peut se prévaloir d’une telle faculté d’adaptation ? Il est comme un poisson dans l’eau partout où il se faufile, mais un poisson qui trouve le moyen de diriger l’aquarium, avec l’assentiment de tous. Et sans même forcer le passage.

A côté de ces responsabilités assez considérables, il trouve le temps d’avoir une vie de famille, de se marier plusieurs fois, et de faire des enfants. Les témoignages qui existent montrent qu’il sait obtenir l’affection de ses épouses ainsi que celle de ses enfants. Qu’il est donc, dans une certaine mesure, un bon père et un bon époux.

Cela fait déjà beaucoup de choses pour une seule vie. Cela demande beaucoup d’énergie. Moi-même, j’ai du mal à me représenter comment un seul homme peut réaliser tout cela.

Et comme si ce n’était pas suffisant, le voilà qui passe un temps fou à baiser. Il nique à couilles rabattues. Il n’arrête pas, et quand on lit ce qui paraît en librairie, on n’en revient pas : des femmes comme ci, des femmes comme ça, des putes et des bourgeoises, des pauvres petites et des vieilles expérimentées, des intellectuelles et des connasses, des pouffiasses et des bonnasses, des bombasses et des radasses. Ce n’est plus Victor Hugo qu’il nous faut, c’est Jacques Prévert et son art de l’inventaire.

Le livre de Marcela Iacub cherche à mettre des mots sur ce désir sexuel, tellement invraisemblable qu’il en devient inhumain. J’ai trouvé intéressant sa manière de faire vivre le « cochon » à l’ntérieur de l’homme, et plaisante sa théorie du cochon. Cela ne m’a pas convaincu, mais c’est une fable et les fables n’ont pas à convaincre. C’est un livre vite fait, vite lu, vite critiquable, et on verra si on en parlera encore dans quelques années.

En tout cas, à en juger par les réactions offusquées d’écrivaines d’un côté, et d’intellectuels médiatiques de l’autre, on se dit qu’elle a touché à quelque chose de sensible dans la psychè contemporaine. Et après tout, la littérature, ça sert aussi un peu à ça.

A propos de « lettres françaises », savez-vous ce que signifie l’expression anglaise French letters ? La réponse à cette question pourra expliquer pourquoi le cas DSK demeurera en France une question littéraire.

7 commentaires sur “DSK et les lettres françaises

  1. Un aigle à un cochon inculquait sa morale.
    « Compagnon, quand le jour m’accorde du loisir,
    Je chevauche le vent, je m’élève à plaisir,
    J’admire la lumière australe et boréale ;

    Mais toi, vautré toujours dans l’humide et le sale,
    Ainsi qu’un fruit trop mûr tu te laisses croupir…
    Quand je pense à cela, il me vient un soupir. »
    « Allons, dit le cochon, ma personne est vassale

    Et vers le firmament ne prend pas son essor ;
    Mais tu ne devrais pas t’inquiéter de mon sort,
    Ni pleurer mes malheurs aux accents de ta lyre.

    L’homme est mon protecteur. Paisible est mon esprit,
    L’homme abrite mon corps, me lave, me nourrit,
    Et, pour mon dernier jour, m’accorde le martyre ! »

    J’aime

  2. A deux reprises, une commentatrice surnommée Molly Bloom a posté un commentaire sur ce billet, et à deux reprises, ses commentaires ont disparu. Je n’y suis pour rien, et je présente mes excuses. C’est encore une fois un dysfonctionnement dû au système de modération du monde.fr.
    Peut-être devrais-je changer d’hébergeur? Mais alors que restera-t-il de toutes ces années d’écriture et de commentaires?

    J’aime

  3. Ce n’est pas vraiment le succès de DSK qui est incroyable, selon moi. Au début, oui, j’étais impressionné par l’absence d’inhibition qui lui permettait de tenter sa chance sans hésiter, et de coucher partout, à toute heure et en tout lieu. Mais avec le recul, ce n’est même plus ça qui fascine. Car apparemment, il n’a pas seulement « séduit », mais a beaucoup payé, ou fait payer, des prostituées, et il n’a pas hésité à entrer dans des systèmes, avoir des rabatteurs, etc.
    La quantité de femmes devient folle, et dépasse l’ « human nature ». La quantité devient, en quelque sorte, une qualité.

    J’aime

  4. Comment comprendre que certain homme de pouvoir puisse entretenir une vie sexuelle aussi intense; je pense aux Kennedy,Clinton, Lévesque et j’en passe de ces hommes qui puisaient leur éternité dans le sexe; en fait je crois comprendre la force que procure la jouissance,et certaine personne carbure à la testostérone plus que d’autre tout simplement, et a un moment donné ça devient pathologique.
    Mais toi Gentil Précaire t’es «  » un agneau du plaisir  »…

    J’aime

Laisser un commentaire