Les fleuves et estuaires du Golfe (1/2)

Je ne sais dire pourquoi, mais les estuaires m’ont toujours fasciné. Rencontre du monde de la terre et de celui de la mer, mélange d’eau douce et d’eau salée, abris pour navires, ils permettent à ceux qui vivent sur le fleuve une escapade dans cet univers sans limite de la mer et aux navigateurs du grand large de pénétrer le monde terrestre en remontant les cours d’eau.

Aujourd’hui, la plupart d’entre eux ont été canalisés, des ports s’y sont construits et leur aspect sauvage qui en fait le principal attrait a disparu. L’Aude, et la station des Cabanes de Fleury, l’Orb, et le port de Valras, l’Hérault évidemment et son port du Grau d’Agde vieux de 2600 ans, le Grau-du-Roi au confluent du Vidourle et du Canal Saint-Louis en sont les meilleurs exemples. Quelques-uns en revanche ont gardé leur aspect sauvage, comme le Tech, la Têt, l’Agly ou la Berre. Ce sont alors des lieux superbes, riches d’une faune et d’une flore particulières, et d’une poésie à couper le souffle.

Petit tour d’horizon donc en deux articles de nos estuaires et de quelques merveilles à découvrir, en remontant depuis l’Espagne jusqu’au petit Rhône.

Commençons par l’embouchure du Tech. Ce petit fleuve côtier sépare les communes d’Argelès (au sud) et d’Elne (au nord), et se trouve au cœur de la réserve naturelle du Mas Larrieu, les terrains appartenant au Conservatoire du littoral. On y accède à partir d’Argelès. Une fois le véhicule garé, il faut continuer à pied sur des chemins ensablés. Et oui, le paradis, ça se gagne ! Rapidement, on sort de la végétation pour se retrouver sur la plage. En se rapprochant du fleuve, les branches et les troncs rejetés par la mer se font plus nombreux, jusqu’à former de véritables empilements de bois flottés. Le sol change également : le sable devient plus grossier, est remplacé progressivement par des cailloux, puis des galets.

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Arrivé à l’estuaire, le charme est au rendez-vous : le fleuve surgit, s’extrait de sa végétation, serpente dans le sable comme pour mieux trouver son chemin et oblique vers le nord pour se jeter dans la mer. On passerait des heures à observer les oiseaux ou le jeu subtil de l’eau douce mollement refoulée par les vagues.

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Juste au nord de Canet se trouve l’embouchure de la Têt. Il faut contourner la zone technique du port, circuler entre des campings pour finalement se garer au parking. La mer est là. Il n’est pas rare d’y surprendre quelques pêcheurs surveillant leurs lignes.

Un peu plus loin, voici l’estuaire ; l’endroit est beau, assurément, malgré laTet 2.JPG présence souvent de résidus de l’activité humaine (plastiques divers) apportés par la rivière et refoulés par la mer sur le sable. Le site est pourtant remarquable et mérite certainement mieux que ça. Il me revient alors en mémoire un article de Midi Libre datant de juillet 1968 que j’avais retrouvé. Il mentionnait une petite communauté de pêcheurs installés dans des cabanes de roseaux sur la rive gauche de l’embouchure de la Têt. Là, au lieu-dit La Crouste, entre mer et rivière, se dressaient alors une vingtaine de baraques exclusivement construites de sanils, ces roseaux des lagunes. Ces familles de pêcheurs étaient originaires des villages alentour : Sainte-Marie, Torreilles, Saint-Laurent de la Salanque. Depuis quelques années, des estivants les rejoignaient pendant l’été pour partager, l’espace d’une saison, cette vie simple en harmonie avec la nature.

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Estuaire de la Têt

Ces pêcheurs pratiquaient alors une pêche d’un genre particulier : la saltada. Il fallait pour cela disposer un filet verticalement dans l’eau sur une profondeur de 5 mètres, et le refermer en cercle autour du banc de poisson qui avait été repéré. Un autre filet était installé à l’horizontale, autour et à l’extérieur du précédent. Il était maintenu en surface par des roseaux. Ce dispositif installé, des pêcheurs allaient à l’intérieur du cercle et affolaient les poissons. Ces derniers, essentiellement des muges, se heurtaient au filet vertical en voulant fuir ; elles sautaient alors pour retomber dans le filet horizontal ; d’où le nom de saltada.

Saltada
Photo Midi Libre – 27 juillet 1968

 

Il ne reste plus rien aujourd’hui de cette communauté qui vivait ainsi sur la plage entre le fleuve et la mer, soumise aux débordements de l’un et aux colères de l’autre. Existences précaires, au plus près de la nature, pour le meilleur et pour le pire. Les cabanes ont été détruites et la mer a tout nettoyé. Plus rien ne subsiste, sauf le souvenir.

Voici à présent la station du Barcarès et l’embouchure de l’Agly sur sa rive gauche ; elle est restée dans son environnement naturel sur son côté sud, malgré un léger enrochement.

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L’embouchure a été détournée par l’homme à plusieurs reprises au cours de l’histoire, faisant le bonheur des uns et soulevant les plaintes des autres. Au XIXe siècle, elle a servi de port à des bateaux de moyen tonnage qui commerçaient avec Sète ou Marseille. Aujourd’hui, le fleuve reste sauvage à souhait. On peut le remonter en suivant la piste cyclable, mais on se prend plutôt à rêver d’une descente en canoë, en se faufilant entre les îlots de roseaux qui encombrent l’estuaire. Sur la plage, de part et d’autre de l’embouchure, sont accumulés les habituels tas de bois flottés et de roseaux charriés par le fleuve, puis rendus à la terre par la mer en colère. Mais ici, nulle trace de pollution ; juste le cycle normal de la nature. Pas de bruit, si ce n’est celui de la mer qui s’oppose sans conviction à l’eau venant du fleuve. Tout est calme et on est bien.

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L’Agly peu avant son embouchure ; le Canigou en arrière-plan

 

Nous voilà à présent dans l’Aude, et plus précisément dans l’étang de Bages et de Sigean, véritable petite mer intérieure avec ses ports, ses îles et son estuaire. Entre Peyriac-de-mer et Sigean, face à l’ile de l’Aute se jette la Berre, petit fleuve côtier de 36 km de long. Quelques kilomètres en amont, elle coule sous l’oppidum de Pech-Maho, cet important comptoir économique si actif au Vème siècle.

 

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Le delta de la Berre ; en arrière-plan, l’île de l’Aute

 

La comparaison entre la configuration actuelle du fleuve et une carte du début du XXème siècle montre que sous l’effet de ses sédiments, le fleuve a progressé de plus de 500 mètres vers l’intérieur de l’étang, qu’il contribue à combler dans cette partie-là.

Aujourd’hui, l’embouchure se divise en un petit delta, paradis des pêcheurs, des rêveurs, et parfois des moustiques…du moins à certaines saisons. Il n’en demeure pas moins que c’est un lieu préservé et magnifique.

A suivre…


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