Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/187

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traitassent d’économie politique, des vésanies, des diverses formes de l’onanisme, ou de la philosophie d’Épicure. C’était du reste une femme dangereuse à écouter, car, perpétuellement dans l’erreur, elle vous désignait comme des femmes ultra-légères d’irréprochables vertus, vous mettait en garde contre un monsieur animé des intentions les plus pures, et racontait de ces histoires qui semblent sortir d’un livre, non à cause de leur sérieux, mais de leur invraisemblance.

Elle était, à cette époque, peu reçue. Elle fréquentait quelques semaines des femmes tout à fait brillantes comme la duchesse de Guermantes, mais, en général, en était restée, par force, pour les familles très nobles, à des rameaux obscurs que les Guermantes ne fréquentaient plus. Elle espérait avoir l’air tout à fait du monde en citant les plus grands noms de gens peu reçus qui étaient ses amis. Aussitôt M. de Guermantes, croyant qu’il s’agissait de gens qui dînaient souvent chez lui, frémissait joyeusement de se retrouver en pays de connaissance et poussait un cri de ralliement : « Mais c’est un cousin d’Oriane ! Je le connais comme ma poche. Il demeure rue Vaneau. Sa mère était Mlle d’Uzès. » L’ambassadrice était obligée d’avouer que son exemple était tiré d’animaux plus petits. Elle tâchait de rattacher ses amis à ceux de M. de Guermantes en rattrapant celui-ci de biais : « Je sais très bien qui vous voulez dire. Non, ce n’est pas ceux-là, ce sont des cousins. » Mais cette phrase de reflux jetée par la pauvre ambassadrice expirait bien vite. Car M. de Guermantes, désappointé : « Ah ! alors, je ne vois pas qui vous voulez dire. » L’ambassadrice ne répliquait rien, car si elle ne connaissait jamais que « les cousins » de ceux qu’il aurait fallu, bien souvent ces cousins n’étaient même pas parents. Puis, de la part de M. de Guermantes, c’était un flux nouveau de « Mais c’est une cousine d’Oriane », mots qui semblaient avoir pour M. de Guermantes,