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Les Espions du Vatican
La machine à fantasmes
Le Vatican est une formidable machine à fantasmes, même pour
les puissants de ce monde. C’est peut-être à cause de son histoire très
ancienne, de son goût du secret, de la concentration exceptionnelle
de pouvoirs entre les mains du souverain pontife, mais aussi d’un
statut très particulier. Il combine le temporel et le spirituel, la direc-
tion d’un micro-État et d’une des plus grandes religions au monde,
qui compte 1,3 milliard de fidèles. À tort ou à raison, les papes sont
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1. Cf. Jan Peter, « Les dossiers secrets du Vatican », RBB et Arte, 2015.
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pratique pastorale. Les prêtres opèrent dans des lieux de culte connus
de tous, dans des tenues fort peu discrètes. S’ils recueillent des secrets
en confession, il leur est théoriquement interdit de les rapporter.
D’un autre côté, il nous semble difficile de soutenir que le Vatican
ne s’est jamais occupé de renseignement. Et pourtant, c’est à peu de
choses près la version officielle du Saint-Siège : le Vatican n’a pas de
service secret ! Institutionnellement, c’est exact. Il y a bien les gardes
suisses et une gendarmerie, qui s’occupent de la protection du pape
et de la sécurité intérieure… mais c’est tout. De fait, aucun de nos
interlocuteurs de diverses nationalités n’a pu nous dessiner un orga-
nigramme du renseignement du Vatican. Leur connaissance se limi-
tait à celle du prélat en charge des relations avec tel ou tel service.
Au xxe siècle, il est pourtant indéniable que le Saint-Siège a été
enrôlé, volens nolens, dans le « Grand Jeu », comme on appelle l’af-
frontement secret des puissances mondiales. Le Vatican a constitué
la cible de maintes opérations pendant la Seconde Guerre mondiale,
puis durant la guerre froide. Il s’est engagé, très nettement, dans
la lutte contre le communisme, acceptant au passage de collabo-
rer avec des organisations et des figures bien éloignées des valeurs
catholiques. Il a dû combattre l’infiltration d’agents étrangers, les
manœuvres de déstabilisation ou d’intoxication ; mais aussi échan-
ger des informations et se coordonner avec divers services secrets,
mener des négociations officieuses en dehors des canaux diploma-
tiques, financer et ravitailler des mouvements clandestins, recueillir
et transmettre du renseignement en milieu hostile… Il a dû gérer
et élucider des affaires criminelles de droit commun, des assassinats
politiques, des affaires de corruption... Enfin, comme l’Église n’est
pas un bloc uniforme, mais compte en son sein des organisations et
des mouvances très diverses, il y a eu parfois de véritables guerres
intestines à affronter.
Toutes ces facettes, qui affectent la sécurité de l’État pontifi-
cal, constituent la dimension sécuritaire de la gestion de l’Église.
Cette dimension existe dans n’importe quel État, et il faut bien que
quelqu’un la prenne en charge.
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1. Voir par exemple Diego Pirillo, « Espionage and Theology in the Anglo-Venetian
Renaissance », Mediterranean Studies, vol. 25, n° 1, 2017.
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1. David Alvarez, Les espions du Vatican. De Napoléon à la Shoah, Nouveau Monde éditions,
2009. rééd. coll. « Chronos », 2021 sous le titre Espionnage au Vatican.
2. Nina Valbousquet, Catholique et antisémite. Le réseau de Mgr Benigni, 1918-1934, Paris,
CNRS éditions, 2020.
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échanger des ragots sur ce qui se passe dans le palais, les relations du
pape avec son entourage, deviner qui va être nommé à tel poste…
Mais les « vrais » secrets, notamment financiers, sont bien gardés. Et
l’entourage direct du pape prend soin (en principe) de ne pas parler
à tort et à travers.
Par ordre d’importance, la congrégation la plus importante est
celle pour la doctrine de la foi (que l’on appelait jusqu’en 1908 la
Sainte Inquisition), qui a toujours pour but de débusquer les héré-
tiques, et exerce donc à certaines périodes des fonctions de ren-
seignement intérieur. En revanche, son pouvoir de coercition est
au xxe siècle plus réduit que par le passé : elle peut « simplement »
réprimander, réduire au silence, excommunier selon des procédures
souvent opaques. Des théologiens importants comme Teilhard de
Chardin ou Hans Küng en ont fait l’expérience. Tout document
produit par la curie et qui comporte des implications doctrinales doit
être approuvé par cette congrégation avant diffusion.
Pendant la guerre froide, la Congrégation pour les Églises orien-
tales (i.e. de l’Est) occupe une place particulière. La Congrégation
pour les évêques gère les nominations et la supervision des évêques.
La Congrégation pour l’évangélisation des peuples gère les ordres
missionnaires. La Congrégation pour le clergé a en charge la forma-
tion et la discipline cléricale.
Le concile Vatican II a ajouté aux structures existantes de nou-
velles entités parfois appelées « nouvelle curie », souvent mal vues des
départements plus anciens car coûteuses et plus modernes dans leur
fonctionnement. L’utilisation que le pontife fait de la curie change
avec chaque pape. Partisane d’un pouvoir fort, la curie cherche en
fait à accentuer son propre pouvoir. Elle s’est attiré beaucoup de res-
sentiment de la part des évêques et cardinaux, ressentiment exprimé
à l’occasion de Vatican II qui a libéré leur parole. On lui reproche
pêle-mêle sa lenteur, sa désinvolture, son ignorance des situations
locales.
Depuis le xvie siècle, les nonces (ambassadeurs) représentent le
Vatican auprès des gouvernements et des Églises locales. La plupart
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1. Les historiens ont beaucoup varié dans l’interprétation de l’acronyme : il semble qu’il a
été inventé par Mussolini comme un dérivé de piovra (pieuvre).
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1. Pietro Zerella, Arturo Bocchini e il mito della sicurezza (1926-1940), Benevento, 2002.
Sur l’OVRA : Mauro Canali, Le spie del regime, Il Mulino, 2004.
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Le cercle rapproché
À Munich, Pacelli rencontre un homme qui va devenir son
secrétaire et jouera un rôle-clé sous son pontificat. Bavarois de petite
taille et asthmatique, le père jésuite Robert Leiber est d’abord le
professeur d’allemand du nonce Pacelli avant de devenir l’un de ses
plus proches conseillers. Ses attributions sont et resteront toujours
floues : il ne figure pas dans l’organigramme officiel mais lit presque
tout ce qui passe sur le bureau de son patron et le voit plusieurs fois
par jour. Il ne se confie à personne. Félix Morlion, prêtre et agent de
renseignement au service des Américains, décrira pendant la guerre
le père Leiber comme l’homme des tâches secrètes dont les échecs
peuvent être désavoués si nécessaire puisqu’il n’a aucune fonc-
tion officielle au Vatican. C’est sans doute par Leiber que Pacelli
apprendra à connaître et apprécier le supérieur général des jésuites,
Vladimir Ledóchowski, et à s’en faire un allié. Issu d’une famille
aristocratique polonaise exilée par le tsar au xixe siècle, Vladimir
est le neveu d’un cardinal devenu préfet de la Congrégation pour
la propagation de la foi. Lui-même a été élu supérieur général des
jésuites en 1915. L’un de ses jésuites, envoyé en mission en Russie,
le décrit ainsi : « C’était un homme petit et frêle au visage mince
et ascétique, aux joues caves, au front dégagé et aux yeux les plus
limpides que j’aie jamais vus. Il avait une manière de parler très
décidée et presque abrupte, tout en étant fort aimable et excellent
interlocuteur1. »
1. Walter J. Ciszek, L’espion du Vatican, Salvator, 1968. Le très secret Ledóchowski attend
toujours son biographe. Voir Philippe Chenaux, « Father Włodzimierz Ledóchowski (1866-
1942): Driving Force behind Papal Anti-Communism during the Interwar Period », Journal
of Jesuit Studies, n° 5, 2018.
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Au cœur du pouvoir
L’histoire s’accélère en 1929. Le frère d’Eugenio, l’avocat
Francesco Pacelli, conseiller du Vatican, est le principal agent de liai-
son du pape avec le pouvoir fasciste. Il entretient des rapports per-
sonnels suivis avec Mussolini. Il l’informe des évolutions du Vatican
et, en retour, il tient le pape informé des projets du gouvernement
italien. Son influence indispose les responsables de la secrétairerie
qui se sentent marginalisés.
Le 11 février, un accord est signé au palais apostolique du Latran
par Mussolini et le secrétaire d’État Gasparri. Il comprend trois
volets. Un traité diplomatique met fin à la « question romaine » en
reconnaissant la souveraineté du Saint-Siège sur la Cité du Vatican
ainsi que divers édifices lui appartenant dans Rome et la résidence de
Castel Gandolfo. Le concordat fait du pontife une personne « sacrée
et inviolable », l’équivalent d’un monarque de droit divin. En retour
le Vatican reconnaît la souveraineté de la Maison de Savoie sur le
royaume d’Italie. Le volet financier attribue au pape, en compensa-
tion de ses États annexés, une indemnité de 750 millions de lires et
des titres de rente à 5 % sur un capital d’un milliard de lires. Ce qui
équivaut à près de 1,5 milliard de dollars de nos jours.
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et sera liquidée en 1950. Mais l’un des participants occasionnels aux réunions de Pro Deo
dans les années 1930, le père Félix Morlion, va fonder une organisation homonyme dont
on reparlera. Cf. Stéphanie Roulin, Un credo anticommuniste, Antipodes, 2010.
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archevêque de Fribourg, coopère ainsi avec les SS, selon Hartl, par
peur de voir étalée au grand jour sa liaison avec une maîtresse juive.
Selon les interrogatoires de Hartl après-guerre, son service aurait
recruté entre 20 et 30 informateurs dans l’ensemble des diocèses, ce
qui n’est pas énorme à l’échelle de l’Allemagne. Surtout, à en croire
les notes de remontrances envoyées par sa hiérarchie, ces sources
n’ont guère livré d’informations capitales : les prêtres pris pour cible
cherchaient surtout à se tirer d’affaire en multipliant les informations
anodines, mélangées à quelques rumeurs1.
Plus précieux pour Hartl est le recrutement d’un informateur à la
nonciature de Berlin, qui reçoit tous les comptes-rendus des évêques
allemands : il s’agit vraisemblablement du père Werhun, un conseil-
ler du nonce Orsenigo. Hartl lance enfin ses filets sur les universités
catholiques. Il recrute notamment un prêtre de la faculté de théolo-
gie de Paderborn, le professeur Josef Meyer, qui accepte de rédiger
une étude établissant que l’euthanasie des handicapés ne serait pas
incompatible avec la pensée théologique (!).
Pour améliorer ses revenus tout en faisant œuvre utile, Hartl
publie également sous pseudonyme des ouvrages violemment anti-
catholiques qui rencontrent un certain succès.
Mais son étoile ne brille pas très longtemps. En 1939, son service,
le SD, a été fondu avec la Gestapo dirigée par Heinrich Müller, qui
a déjà son propre service de surveillance des ecclésiastiques dirigé par
le SS-Sturmbannführer Erich Roth. Müller apprécie peu Hartl dont
il trouve les rapports trop intellectuels. Ce dernier se signale par une
série d’aventures féminines au sein du personnel du RSHA, dont le
prêtre défroqué a la maladresse de se vanter auprès de ses collègues.
Il franchit la ligne rouge en faisant dans un train des avances lourdes
à une jolie femme… qui se trouve être l’épouse d’un haut dignitaire
SS. Il est alors muté en Ukraine.
Quels que soient leurs déboires, les services allemands sont infor-
més de la genèse de l’encyclique Humani Generis Unitas, grâce à
1. Cf. Robert Graham et David Alvarez, Papauté et espionnage nazi, Beauchesne, 2000.
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1. Mark Riebling, Le Vatican des espions. La guerre secrète de Pie XII contre Hitler, Tallandier,
2016.
2. Ibid.
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1. Cf. Claude Faure, Aux services secrets de la République, du BCRA à la DGSE, Fayard, 2004.
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1. Cf. Johan Ickx, Le Bureau. Les Juifs de Pie XII, éditions VdH/Michel Lafon, 2020.
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Deux mois plus tard, le nonce indique que « les réfugiés polonais se
trouvant en Hongrie ont mis au point une radio clandestine grâce
à laquelle ils peuvent communiquer avec [l’archevêque] de Lviv1 ».
Mais le 30 juin, retournement de situation : la curie apprend que
Moskwa a été arrêté en territoire russe, près de la frontière hongroise.
Emprisonné et torturé, il ne dévoile pas aux Russes sa qualité de
prêtre et affirme être un agent du renseignement hongrois. Cette
version protège le Vatican mais le condamne à mort : il est exécuté
dans la prison de Kiev le 7 juillet 1941.
Ce n’est pas pour autant la fin des activités de renseignement en
Pologne. Dès décembre 1940, le nonce Rotta proposait de s’appuyer
sur un prêtre venu proposer ses services pour organiser un courrier
clandestin entre la Pologne et la Hongrie. Mais cette offre de services
a été rejetée car ce dernier avait été expulsé de l’ordre des jésuites en
1938. À sa place, c’est le père franciscain Peter Wilk-Wilkoslawski
qui a été désigné pour une nouvelle « mission pastorale » auprès des
Polonais déportés en Hongrie. Celui-ci découvre très vite que les
nazis ont déformé une encyclique de Pie XII pour faire croire aux
Polonais que le pape était en accord avec l’idéologie nazie !
En 1946, les services du Vatican mettront la main sur deux valises
de documents ayant appartenu à Mgr Antoni Kwiatkowski, un
ancien prêtre d’Union soviétique, puis ex-employé de Radio Vatican
devenu agent de l’armée polonaise en fuite. Elles contiennent un tré-
sor d’archives du NKVD détaillant plusieurs opérations, arrestations,
méthodes d’interrogatoire, sans compter la logistique de déportation
de prisonniers politiques, photos à l’appui. De sa propre initiative,
Kwiatkowski avait entrepris une vaste enquête sur le communisme.
Le mystère demeure sur ses allégeances, puisqu’en 1950 un journal
communiste polonais l’a accusé d’avoir été un agent de la Gestapo.
À la fin de la guerre, il disparaît et on signale sa trace en Grande-
Bretagne. Quoi qu’il en soit, son « legs » d’archives offrira une source
1. ASRS, AA.EE.SS., Stati Ecclesiastici 688a, F309, cité par Ickx, op. cit.
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1. Cf. Saül Friedlander, Kurt Gerstein. L’ambiguïté du bien, Nouveau Monde éditions, 2009.
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de Toulouse Mgr Saliège, lue en chaire le 23 août 1942 par les curés
de son diocèse, est la plus spectaculaire manifestation de la résistance
chrétienne sous Vichy (position qui ne représente qu’une minorité
du clergé français de l’époque). Les hauts prélats dans la France de
Vichy refusent de voir que la rafle du Vélodrome d’Hiver annonce
une politique d’extermination.
En mai 1943 la secrétairerie d’État produit une note lucide sur la
situation en Pologne :
« Juifs. Situation épouvantable. En Pologne, ils étaient environ
4 500 000 avant la guerre ; on évalue à présent leur nombre à moins
de 100 000, en comptant tous ceux qui sont venus d’autres pays
occupés par les Allemands1. »
Autre source d’horreur et de confusion : les massacres commis
par le nouvel État croate antisémite, antiserbe et procatholique du
parti oustachi. Il voit le jour au printemps 1941, sous l’occupation
allemande qui a entrepris de démembrer la Yougoslavie. Le nouvel
homme fort du régime, Ante Pavelić, est un ancien avocat et député
nationaliste, fondateur du parti oustachi. On lui doit de nombreuses
actions terroristes menées depuis l’Italie mussolinienne, notamment
l’assassinat à Marseille du roi Alexandre de Yougoslavie et du ministre
français des Affaires étrangères Louis Barthou, en octobre 19342.
Pavelić, proclamé chef de l’État avec la bénédiction des Italiens et des
Allemands, met en place un régime totalitaire menant une politique
d’extermination contre tout ce qui n’est pas croate et catholique,
c’est-à-dire la moitié du pays.
L’accord entre Hitler et Pavelić, scellé au cours d’une rencontre
au Berghof à l’été 1941, offre à l’Allemagne un droit de tirage quasi
illimité sur les matières premières du nouvel État satellite. Et ce der-
nier appliquera une politique antijuive calquée sur celle des nazis.
Au départ les dirigeants de l’Église croate se réjouissent de cette
nouvelle donne qui va permettre d’arrêter l’érosion du catholicisme
1. Johan Ickx, Le Bureau. Les Juifs de Pie XII, op. cit.
2. Cf. François Broche, « Un roi assassiné à Marseille », Sang-froid thématique, n° 2,
« Meurtres d’État », 2019.
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Négociations secrètes
Dans le même temps, Pie XII joue une autre partition. Des offi-
ciers allemands antihitlériens (dont le général Ludwig Beck, ancien
chef d’état-major de l’armée) ont envisagé dès l’automne 1939 de
renverser Hitler et de conclure une paix séparée. Avant de se lancer
dans l’aventure périlleuse, qui peut déboucher sur une guerre civile,
ils voulaient obtenir l’assurance que les démocraties occidentales ne
chercheraient pas à profiter de la situation. Pie XII leur est apparu
comme un tiers de confiance capable de les aider à obtenir ces garan-
ties. Ils ont donc désigné pour le sonder un avocat catholique anti-
nazi séjournant à Rome, Josef Müller, lui-même en contact avec le
père Leiber.
Mark Riebling le décrit ainsi : « Josef Müller était un avocat auto-
didacte aux robustes origines paysannes, un Bavarois amateur de
bière aux yeux d’un bleu d’azur, et un héros de la Grande Guerre,
décoré de la croix de fer1. » Dès le début 1934, il figurait sur des listes
de catholiques antinazis établies par la SS. Arrêté par la Gestapo cette
année-là et interrogé par Himmler en personne, il revendiqua ses
convictions. Peut-être impressionné par son courage, ou le jugeant
inoffensif, Himmler décida de le relâcher.
Müller avait été sollicité par le cardinal Faulhaber de Munich
pour sauver une entreprise de presse catholique en difficulté. Il était
en liaison avec le secrétaire politique et homme de confiance de
Faulhaber, Mgr Johannes Neuhäusler. Ce dernier prit l’habitude de
confier à Müller la garde de dossiers délicats, ce qui en faisait de facto
un agent clandestin. Le concordat à peine signé, il apparut nécessaire
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rapport à Hitler, qui le parcourt et n’y croit pas une seconde en lisant
le nom du général dévoué. Puis, faussement penaud, Canaris s’en va
expliquer à Heydrich que Hitler s’est montré furieux des rumeurs de
complot militaire, qui sont à l’évidence une grossière « intox » et qu’il
vaut mieux ne pas revenir à la charge sur le sujet…
Keller, sûr de son scoop, ne désarme pas et envoie d’autres espions
à Rome : un moine bénédictin qui tente sans succès de tirer les vers
du nez du père Leiber, un journaliste suédois, Gabriel Ascher, qui
contacte Kaas sans plus de succès, etc. Keller se rend lui-même à
Rome et se vante ouvertement de ses liens avec le renseignement
allemand. Ces indiscrétions, rapportées à Heydrich, lui valent une
mutation à Paris.
1. Croyant recruter un officier allemand, deux officiers des services anglais se sont rendus à
un rendez-vous conspiratif aux Pays-Bas, près de la frontière allemande… Ils ont été capturés
par un commando du SD : il s’agissait d’un piège. Qui plus est ces agents imprudents avaient
sur eux des documents confidentiels. Si tôt après une affaire aussi cuisante, on conçoit que
les Britanniques renâclent.
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1. En 1944, le SD, service de sécurité de la SS et du parti nazi, a été fusionné avec la police
d’État. La nouvelle structure sera connue sous le nom de cette dernière, la Gestapo. Selon la
date, le terme « Gestapo » désigne donc des réalités différentes.
2. Lebensborn est un programme social mis en œuvre dès 1935 par Himmler : il s’agissait au
départ de foyers dans lesquels des SS devaient concevoir des enfants avec leur épouse légitime.
On y fit ensuite venir des femmes « aryennes » pour être fécondées par des SS inconnus, puis
accoucher anonymement et remettre leur nouveau-né à la SS.
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Rome en mai 1940 lui permet d’obtenir des informations sur les sen-
timents du pape à l’égard de Hitler et sur le poids des évêques et car-
dinaux allemands à l’intérieur du Saint-Siège. Le rapport enchante
la direction du RSHA et propulse Loos au rang de vedette. Il va
renvoyer régulièrement Kageneck à Rome dans les mois qui suivent.
Malheureusement pour lui, Loos est victime d’une habile désin-
formation. Dès sa première visite chez Leiber, Kageneck a confessé
d’emblée sa véritable mission. Après avoir consulté son supérieur
et le pape, Leiber a servi à Kageneck des informations taillées sur
mesure pour ses commanditaires.
En mai 1942 la police militaire italienne perquisitionne un appar-
tement de la rue Fornacci, proche du Vatican, loué par un homme
d’affaires finlandais. Le service militaire italien Servizio Informazioni
Militare (SIM) a détecté des émissions cryptées. L’occupant est un
Allemand, nommé Ernst Hamm. Il fait partie d’un réseau sovié-
tique. Il ne communique pas directement avec le chef du réseau mais
avec une jeune femme qui est arrêtée sur ses indications. C’est la
maîtresse d’un officier russe, Herman Marley, qui est arrêté à son
tour, ce qui fait tomber tout le réseau. Pour sauver sa peau, le Russe
accepte de continuer à communiquer avec sa centrale en livrant des
renseignements fournis par le SIM.
Lorsqu’on lui demande de délivrer un message à l’occupant d’un
appartement au nord-est de Rome, Marley mène les agents du SIM
vers un nouvel espion russe. L’homme s’appelle Alexandre Kurtna.
Estonien d’origine, orthodoxe, il s’est converti au catholicisme et est
entré au séminaire jésuite de Dubno (Pologne) en 1935. Élève brillant,
il a été invité à rejoindre le collège russe du Vatican. En 1939, il reçoit
une bourse du gouvernement estonien pour mener une recherche en
histoire médiévale dans les archives du Vatican… Il quitte cependant
le Russicum en 1940 car on ne le juge pas apte à la prêtrise. Il pour-
suit ses recherches aux archives tout en vivotant de petits travaux de
traduction pour la Congrégation pour l’Église orientale.
Étonnant Kurtna, qui navigue sans problème entre Rome et l’Es-
tonie en temps de guerre ! Au printemps 1941, il offre ses services
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L’alliance américaine
Le pape est-il informé des agissements de Mgr O’Flaherty ? C’est à
peu près certain, même si cela ne se met pas par écrit. C’est au niveau
de Mgr Montini que se fait le suivi et que sont prises d’éventuelles
décisions d’ordre pratique. Si les choses tournent mal, Pie XII pourra
prétendre tout ignorer de ce qui s’est passé. Confronté à l’échec de sa
stratégie d’accommodement avec Hitler, puis de négociation avec ses
opposants, le pape ne peut que mesurer son impuissance et espérer
des jours meilleurs. Ceux-ci ne peuvent venir que des États-Unis,
dont l’entrée en guerre paraît chaque mois plus probable en 1942.
Et là, de l’autre côté de l’Atlantique, Pacelli dispose d’un agent
influent. Son ami Spellman a pris une tout autre dimension : il parle
désormais à l’oreille du président Roosevelt. Nous l’avons quitté au
début des années 1930 : entre-temps il a été nommé évêque auxi-
liaire de Boston, contraint de retrouver un cardinal O’Connell tou-
jours aussi mal disposé à son égard (dès son arrivée, il lui assigna
une paroisse peu prestigieuse et en quasi-faillite). Mais les rapports
de force n’étaient plus les mêmes. Spellman mit à profit son carnet
d’adresses et développa ses contacts de haut niveau. Très vite, les
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veut encore croire que son traité d’alliance reste valide. Mais une par-
tie de ses troupes lui en veut de l’avoir négocié. À l’été 1943, il meurt
dans des circonstances mystérieuses : son avion s’écrase lors d’un vol
au-dessus de Gibraltar.
Pour sauver la face après la débandade de troupes polonaises, les
Soviétiques montent à la hâte une troupe de 12 000 soldats polonais
baptisée « division Kosciuszko », sous les ordres d’un colonel resté
sur place. Ils font venir des correspondants de presse pour assister
à une messe solennelle en plein air, servie par un père polonais qui
vient d’être kidnappé en territoire polonais et qui se retrouve, ébahi,
promu capitaine-aumônier de cette nouvelle armée sous les flashes
des photographes ! La raison de cette mascarade : malgré de fortes
pressions, le père Ciszek, interné à la Loubianka, a refusé énergi-
quement de devenir l’aumônier de cette « division Kosciuszko ». De
même qu’il refuse la proposition d’aller à Rome pour… négocier un
concordat entre le Vatican et l’Union soviétique.
Plus l’armée soviétique, qui après la bataille de Stalingrad a ren-
versé l’évolution du front, se rapproche du territoire polonais, plus
Staline a besoin de « neutraliser » l’hostilité du Vatican. Ciszek refu-
sant de coopérer, Staline se tourne vers un interlocuteur plus impro-
bable encore. En avril 1944, il accueille en grande pompe un prêtre
catholique américain, le père Stanislaw Orlemański de Springfield
(Massachusetts), venu pour « étudier les problèmes des Polonais en
Union soviétique ». Interviewé sur Radio Moscou, il déclare avoir
trouvé en Staline « un ami de l’Église catholique1 ». À son retour aux
États-Unis, il loue tout autant Staline pour l’avoir traité « ouver-
tement et démocratiquement ». La réponse à ce déluge de bonne
volonté n’est pas celle attendue : le supérieur d’Orlemański suspend
le benêt de ses fonctions pastorales et l’envoie faire pénitence dans
un monastère.
1. Anna Dickinson, « Domestic and Foreign Policy Considerations and the Origins of
Post-war Soviet Church-State Relations », in Diane Kirby (ed.), Religion and the Cold War,
Palgrave Macmillan, 2003.
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Ces péripéties n’ont rien de surprenant pour tous ceux qui évo-
luent alors à la curie : autant Pie XII est prêt à faire beaucoup d’ef-
forts pour se concilier les bonnes grâces d’un Roosevelt, autant il a
bien du mal à forcer sa nature vis-à-vis de Staline…
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Infiltrer le Vatican
Obsédé par O’Flaherty, Kappler n’en a pas pour autant perdu sa
mission première : parvenir à infiltrer le Vatican. Il continue à tirer
les fils d’opérations complexes lancées avant l’occupation allemande.
L’une des plus baroques consiste à créer de toutes pièces un faux
collège à l’intérieur du Vatican !
En février 1941 décédait à Bruxelles une riche et pieuse veuve
géorgienne qui avait décidé de léguer une partie de sa fortune à
un ordre bénédictin relativement obscur mais créé au xixe siècle
en soutien à la minorité catholique de Géorgie. Le père Michaël
Tarchnisvili, en charge du legs, projetait de l’utiliser pour établir un
collège géorgien à Rome. Mais il lui fallait pour cela trouver des
financements complémentaires. Sur les conseils du dirigeant d’une
association d’émigrés géorgiens en Allemagne, le père Tarchnisvili
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1. Cf. Yvonnick Denoël, Mémoires d’espions en guerre, 1914-1945, Nouveau Monde édi-
tions, coll. « Chronos », 2019.
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Rafles au Vatican
Du temps de la souveraineté italienne, l’équipe de Kappler comp-
tait en tout et pour tout deux officiers. Début 1944, il est désor-
mais à la tête de 74 agents. L’immeuble de la via Tasso est en acti-
vité 24h/24 : on y interroge, on y torture, sans désemparer. Rome
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1. Miraculeusement, Müller survit, puis on le ramène au Vatican le 1er juin 1945. Il retour-
nera à Munich, deviendra agent de renseignement pour les Américains, puis cofondateur
de la CDU bavaroise. Il sera ministre de la Justice du Land de Bavière et mourra en 1979.
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L’OSS à Rome
À la même époque, Donovan le patron de l’OSS rencontre
Pie XII, qui le décore de la grande croix de l’ordre de Saint-Sylvestre,
le plus ancien et prestigieux des ordres de chevalerie papale. Cette
décoration marque le début d’une collaboration de long terme entre
1. PV interrogatoire d’Albert Hartl 17 mai 1946, USNA, RG 59, cité par Mark Aarons et
John Loftus, Des nazis au Vatican, Olivier Orban, 1992.
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Escroquerie au renseignement
À l’automne 1944, Scamporino a reçu une proposition éton-
nante d’une source bien placée au Vatican. Celui-ci proposait rien de
moins que des documents de travail du Vatican, des transcriptions
d’audiences papales et même des informations de première main sur
des sites stratégiques japonais qui offriraient des cibles privilégiées de
bombardement ! Ces informations viendraient du délégué apostolique
au Japon. La proposition peut être un moyen d’adoucir le courroux
des Américains qui ne comprennent pas que le Vatican ait entamé des
relations diplomatiques en bonne et due forme avec ce pays, quasi-
ment au moment où les Japonais entraient en guerre avec eux.
La fin de la guerre approche et avec elle viendra peut-être le
démantèlement de l’OSS. Le service est donc désireux de faire du
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morale aux ouvriers. En 1944, il est chargé par Pie XII de déployer
les moyens du Vatican en faveur des réfugiés de religion catholique.
Il est placé sous l’autorité du cardinal Montini. Malgré un staff de
plus en plus étoffé, la tâche se révèle redoutable, si bien qu’il est
nécessaire de créer une vingtaine de sous-comités spécialisés par
nationalité. Certains d’entre eux vont développer une approche très
politique. La commission, en principe neutre, est dotée de l’autorité
papale. Montini s’active pour trouver des financements : il fait appel
à ses amis américains qui vont verser plusieurs millions de dollars. La
banque du Vatican joue dès cette période un rôle occulte mais fon-
damental : en dehors des valises de billets qui vont circuler, elle est
la seule source de monnaie étrangère. Sans ce circuit, le fonds d’aide
aux réfugiés n’aurait pas pu exister, du moins pas à une si grande
échelle.
Aux États-Unis, la Conférence des évêques joue un grand rôle
pour mobiliser et apporter des fonds à l’aide pontificale. Le cardinal
Spellman en est la cheville ouvrière. Comme évêque aux Armées, il
se rend plusieurs fois à Rome pour assurer le suivi et la coordination.
Il y installe Mgr Andrew Landi, de Brooklyn, qui va distribuer direc-
tement des fonds à certains sous-comités.
La commission pontificale a d’évidence un agenda politique :
défendre et propager la foi catholique, particulièrement en Europe
de l’Est, et contrer l’influence néfaste du communisme. C’est dans ce
contexte qu’il faut appréhender l’aide apportée à certains criminels
de guerre nazis.
Elle crée ses bureaux d’émigration et envoie plusieurs délégations
en Amérique du Sud pour étudier les possibilités et négocier l’instal-
lation de réfugiés européens. L’Église est solidement implantée dans
ces pays, et donc en mesure d’assurer le suivi de ces installations et
l’aide aux réfugiés.
L’un des sous-comités les plus controversés de la commission
pontificale est le « comité d’aide autrichien » dirigé par l’évêque pro-
nazi Alois Hudal.
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L’évêque brun
Il est étonnant que pour visiter les internés civils de langue alle-
mande sur le territoire italien (groupe dont on savait qu’il compre-
nait moult anciens nazis), le Vatican ait désigné l’évêque le plus
ouvertement pronazi. Tout aussi étonnant que les Américains aient
accepté, alors qu’ils connaissaient parfaitement son pedigree…
Alois Hudal est né à Graz en 1885 et a suivi le parcours clas-
sique : études de théologie, prêtrise… Il est aumônier militaire
pendant la Première Guerre mondiale. En 1923, il est nommé
recteur de l’église allemande de Rome, le Collegio Teutonico de
Santa Maria dell’Anima, ce qui fait de lui le doyen à Rome des
prêtres allemands et autrichiens. En 1933, le secrétaire d’État
Pacelli le fait nommer évêque puis « assistant au trône pontifical »,
un titre purement honorifique. Dès la prise de pouvoir de Hitler,
Hudal se rallie avec enthousiasme au nazisme. Peu lui importe
que le pape Pie XI rejette le national-socialisme. Hudal publie
en 1937 Les fondements du national-socialisme, dont il adresse un
exemplaire dédicacé à Hitler : « Au Siegfried de la grandeur alle-
mande ». L’ouvrage est glacialement accueilli à Rome. Hudal est
désormais sous surveillance. On ne le sanctionne pas pour autant,
car au Vatican cela ne se fait pas, mais il ne progressera plus dans
sa carrière.
En 1944, quand les Alliés libèrent Rome, Hudal se sent tout d’un
coup beaucoup moins « l’évêque allemand de Rome » et se réinvente
comme « l’évêque autrichien de Rome », entièrement concentré sur
le secours aux réfugiés autrichiens. Il est secondé par un curieux per-
sonnage, le baron Berger-Waldenegg, qui va servir d’interface avec les
services secrets américains, c’est-à-dire les services de renseignement
de l’armée américaine mais aussi l’OSS. Grâce à la censure postale
qui permet de lire sa correspondance avec de nombreuses personna-
lités d’extrême droite, les espions américains savent à quoi s’en tenir
à son sujet. Ils savent que Hudal héberge souvent dans son église
plusieurs fugitifs nazis. Leurs chambres sont situées à proximité d’un
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passage secret qui mène à la crypte de l’église. Ils peuvent s’y réfugier
en cas d’irruption inattendue.
À Rome, Hudal est assisté par Mgr Heinemann, basé à Santa
Maria dell’Anima, et Mgr Bayer installé près de l’ancienne ambas-
sade d’Allemagne. Selon un rapport du renseignement américain
de 1947, « Bayer est en charge de toute l’activité d’aide aux réfugiés
allemands au Vatican ». Beaucoup sont hébergés par Bayer dans
les locaux de l’ancienne ambassade. Bayer travaillerait de concert
avec le Dr Willy Nix, dirigeant du comité pour l’Allemagne libre
en Italie, une organisation présentée comme antinazie. En réa-
lité elle assiste des nazis en fuite, leur trouve des points de chute
en Amérique du Sud et les envoie à Gênes avec passeports de la
Croix-Rouge.
Pour opérer librement, Hudal a passé un accord avec des officiers
de la police italienne. Quand les carabinieri tombent sur des nazis
figurant sur leurs listes, ils les aiguillent vers les églises et couvents
indiqués par Hudal. Cet accord fonctionne assez bien, sauf débor-
dements extrêmes : à Gênes, un groupe de 110 nazis entonne des
chants guerriers allemands depuis le pont d’un navire en train de
quitter le port. Hélas pour eux, le navire souffre d’une avarie et doit
faire marche arrière. Les carabiniers n’ont d’autre choix que de les
arrêter après cette provocation.
En août 1946, le CIC américain parvient à infiltrer dans l’or-
ganisation du Dr Nix un de ses agents qui se fait passer pour un
fugitif nazi. Dès son arrivée, celui-ci se voit remettre une lettre de
recommandation, qui lui permet ensuite d’obtenir un passeport de
la Croix-Rouge. L’agent est logé dans une immense villa, au milieu
de nombreuses personnalités d’origines variées. Estimant disposer
d’assez d’éléments, les Américains y font une descente et arrêtent
plusieurs locataires pour interrogatoire. Il en ressort que le réseau du
Dr Nix inclut des nobles allemands et italiens et des prêtres. Début
1947, les services secrets italiens décident d’arrêter Nix, qui se réfu-
gie au Vatican. « Nous avons toujours soupçonné que le Dr Nix agis-
sait sous la protection du Vatican. Sa fuite et son hébergement au
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L’amicale croate
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1. Rapport cité par Uki Goñi, The Real Odessa: How Peron Brought the Nazi War Criminals
to Argentina, Granta Books, 2003.
2. Rapport des agents William Gowen et Louis Caniglia, Counter Intelligence Corps,
Rome, 29 août 1947. NARA, RG 319, boîte 173, dossier IRR XE001 109.
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Intermarium
Une autre organisation catholique est intervenue dans les filières
d’évasion : Intermarium. Selon l’historien Christopher Simpson1,
1. Blowback: America’s Recruitment of Nazis and Its Effects on the Cold War, Grove Pr, 1988.
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elle a apporté une aide active aux fugitifs nazis. Draganović figurait
dans son comité de direction.
Après-guerre, plusieurs États (Italie, France, Grande-Bretagne)
avec le soutien du Vatican ont estimé pouvoir l’utiliser pour subver-
tir les régimes communistes des pays de l’Est et tenter de promouvoir
une confédération politique danubienne.
Intermarium est une organisation secrète née à Paris au début des
années 1920 sous l’impulsion de Russes blancs. Elle vise à unifier les
seize nations situées entre l’Allemagne et la Russie pour former dans
les vallées du Danube une confédération anticommuniste et, bien
sûr, catholique. Avant-guerre, Intermarium a reçu le soutien des ser-
vices secrets français et britanniques, qui voyaient d’un bon œil la
perspective d’établir un cordon sanitaire permettant de contenir les
ambitions allemandes et russes. En 1939, la plupart des dirigeants
d’Intermarium se sont engagés aux côtés des nazis. Après la guerre,
ils renouent avec leurs anciens sponsors franco-britanniques, espé-
rant échapper à la justice.
L’agent spécial Gowen du CIC enquête sur Intermarium en sui-
vant la piste d’un jeune Hongrois, Ferenc Vajta, bien introduit dans
les hautes sphères du Vatican. Il réside dans un monastère des envi-
rons de Rome. Vajta, interrogé par Gowen, raconte qu’il travaille à
la fois pour les services français et britanniques, avec le soutien du
Vatican. Francophile, il a étudié à la Sorbonne dans les années 1930,
avant de devenir un agent des services secrets hongrois. Pendant la
guerre, il s’est illustré comme propagandiste nazi, au service de plu-
sieurs journaux financés par les Allemands. À la fin de la guerre, alors
consul général de Hongrie à Vienne, il a organisé le démontage et
l’évacuation vers l’Allemagne de nombreuses usines implantées dans
son pays. Il a aussi permis à de nombreux industriels d’échapper aux
Soviétiques. Repéré par le renseignement militaire français dans sa
zone d’occupation en Autriche, il est recruté par les Français et affirme
même avoir rencontré de Gaulle à Paris en 1945 (ce que les archives
ne permettent pas de vérifier). Ce dernier se serait montré désireux de
rétablir l’influence française en Europe de l’Est, en cultivant l’amitié
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coopérer avec les autorités. Soit il a été victime d’un enlèvement des
services yougoslaves, soit il a été pris par le mal du pays et a négocié
son retour pour une retraite paisible en terre natale, moyennant une
confession volontaire. Toujours est-il qu’il ne sera pas emprisonné et
finira ses jours en 1983 sans plus faire parler de lui.
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1. Décembre 1949, cité par Pascal Krop, Les secrets de l’espionnage français, Lattès, 1993.
2. Rapport d’octobre 1945 USNA, archives du Bureau des archives stratégiques, XL 2418.
Cité par Mark Aarons et John Loftus, Des nazis au Vatican, op. cit.
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1. Cf. Frédéric Charpier, Les valets de la guerre froide. Comment la République a recyclé les
collabos, François Bourin éditeur, 2013.
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Philby, l’un des « Cinq de Cambridge1 ». Ces Anglais ont été recrutés
par le service russe bien avant qu’ils fassent carrière… Non seule-
ment Philby favorise l’avancement des autres taupes soviétiques infil-
trées dans Intermarium, mais il nettoie aussi soigneusement leurs
dossiers de toute mention suspicieuse. Le Tchèque Ďurčanský ou
l’Ukrainien Stepan Bandera seront ainsi chargés de recruter parmi
« leurs » hommes des nouveaux agents pour des opérations clandes-
tines antisoviétiques… toutes vouées à l’échec.
À leur retour en Galicie, en 1944, les Soviétiques, désireux de
cultiver leur image auprès de leurs alliés occidentaux, ont inauguré
une politique de la « main tendue » et laissé les offices se dérouler
normalement. Le Premier secrétaire du PC ukrainien (un certain
Nikita Khrouchtchev) assiste même aux obsèques de Sheptytsky à la
fin 1944 ! Le métropolite est remplacé par Mgr Slipyj.
Au printemps 1945, la fin de la guerre approchant, les attaques
reprennent contre la hiérarchie uniate. En avril, le NKVD arrête tous
les évêques, qui seront condamnés à des peines de travaux forcés,
puis les chanoines, les supérieurs de séminaires… Les séminaristes
sont incorporés de force dans l’armée. Quelques semaines plus tard
se constitue « spontanément » un « groupe d’initiative pour la réu-
nion de l’Église grecque-catholique (uniate) à l’Église orthodoxe »,
lequel est reconnu comme seule autorité de l’Église uniate par le
pouvoir. Et le patriarche de Moscou se proclame pasteur suprême
des uniates. Les prêtres uniates sont harcelés par le NKVD pour
reconnaître « l’erreur historique » que fut le passage de leur Église
dans le camp catholique. Ceux qui résistent sont emprisonnés. En
1946, un synode entérine le « retour au bercail » orthodoxe.
Sur un total de 2 500 prêtres, environ 1 500 restent cependant
fidèles à Rome. Certains sont emprisonnés, d’autres prennent le
maquis, rejoignant l’UPA (armée populaire ukrainienne, qui résiste
1. Cinq anciens étudiants de l’université de Cambridge recrutés par le NKVD durant les
années 1930 et qui ont exercé d’éminentes fonctions dans divers services britanniques dans
les années 1949-1950, causant des fuites considérables.
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1. Pour un détail par pays, voir Owen Chadwick, The Christian Church in the Cold War,
Allen Lane, 1992.
2. Cf. le témoignage du transfuge Pierre Deriabine, Policier de Staline, Nouveau Monde
éditions, 2015.
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1. Cf. Pierre et Danièle de Villemarest, Le KGB au cœur du Vatican, éditions de Paris, 2006.
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1. Cf. les souvenirs de l’un d’entre eux, l’abbé bénédictin Opasek : Anastáz Opasek osb,
Dvanáct zastavení. Vzpomínky opata břevnovského kláštera [Douze stations. Souvenirs de l’Abbé
du monastère de Břevnov, édition préparée par Marie Jirásková].
2. Sergio Trasatti, Vatican-Kremlin. Les secrets d’un face-à-face, Payot, 1995.
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réseaux d’émigrés font mine d’agir de leur propre initiative mais rap-
portent bien sûr fidèlement à l’équipe Montini.
La situation économique épouvantable de l’Italie après-guerre
ouvre un véritable boulevard au Parti communiste italien, qui espère
prendre le pouvoir par les urnes. Plusieurs diplomates européens en
poste à Rome font part de leur vive inquiétude. L’ambassadeur d’Ir-
lande au Vatican, Joseph Walshe, écrit ainsi des rapports alarmistes :
« pendant que les communications sont encore sûres, je dois vous
brosser un tableau général de la situation italienne, en particulier les
répercussions sur l’Église catholique. Il y a déjà beaucoup d’espion-
nage et je sais de source sûre que dans peu de temps les valises diplo-
matiques seront d’un intérêt particulier pour les employés commu-
nistes des postes1 ».
À ses yeux, ce qui se joue n’est rien de moins qu’un combat pour
la civilisation occidentale : si le catholicisme est défait en Italie, c’est
toute l’Europe de l’Ouest qui risque de tomber aux mains des com-
munistes. L’ambassadeur prévoit une guerre civile en cas de victoire
communiste : « dans le camp catholique, environ 180 000 jeunes
hommes sont armés et d’après ce que je sais d’eux, par des contacts
avec leurs leaders, ils sont prêts à se battre avec l’énergie du désespoir
en cas de “coup d’État” ».
Walshe décrit une mobilisation totale du Vatican : « Jamais dans
l’histoire le Vatican n’a mené un mouvement aussi puissant dans le
pays. » Il fait allusion à l’Action catholique et au nouveau mouvement
des Comitati civici (comités civiques), impulsé par Luigi Gedda, qui
est par ailleurs président du Centro Cattolico Cinematografico.
Selon lui, Gedda aurait reçu du Saint-Père la direction de toutes les
opérations relatives aux élections de 1948. Les Comitati civici sont
une organisation secrète, sur le modèle des cellules communistes
clandestines. Ils sont présents dans chacun des 300 diocèses italiens.
Montini, qui a joué dans les années d’après-guerre un rôle majeur
dans les actions du Vatican en matière de politique italienne, est
1. Dermot Keogh, « Ireland, the Vatican and the Cold War: the Case of Italy, 1948 », Irish
Studies in International Affairs, vol. 3, n° 3, 1991.
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ponts de l’autre côté du Tibre et même le long de ses rives plus loin-
taines, en haut du Corso Vittorio Emanuele. Le Saint-Père, dans les
vêtements de blanc et d’or de son ministère sacré, leur parla avec pas-
sion, dans la tradition des croisades… et ses paroles enflammées sou-
levèrent les cœurs et percèrent les esprits de ceux qui l’écoutaient1. »
Le discours de Pie XII fut retransmis dans toute l’Italie par la radio.
Signe que l’heure est grave, la CIA abat son atout-maître : James
Angleton, qui était reparti aux États-Unis après la création de la CIA
en 1947, est renvoyé en urgence à Rome2. Angleton a pour mission
d’éviter, quoi qu’il en coûte, la victoire des communistes. Il réunit
des fonds spéciaux pour le Saint-Siège avec l’aide de Dulles, qui
mobilise discrètement ses amis de la division des projets spéciaux au
Département d’État. La CIA accepte dans le cadre de cette opération
préélections de parrainer le réseau Intermarium. La chose n’a rien
d’évident puisque plusieurs de ses membres de haut rang sont consi-
dérés comme des criminels de guerre. La solution trouvée pour per-
mettre au réseau de fonctionner sous une couverture honorable est
de le fondre dans la toute jeune Radio Free Europe, un satellite de la
CIA. De son côté, le MI6 britannique va financer le Bloc des nations
antibolchevique, par l’intermédiaire de la banque du Vatican.
Angleton recommande que la CIA finance bien plus que prévu
l’Action catholique de Luigi Gedda. Il fait valoir qu’en face, chaque
région, chaque ville italienne a sa section communiste, avec ses per-
manents payés par le parti. Moscou verse au PCI une aide estimée à
plus de 50 millions de dollars par an. Une ribambelle de firmes ita-
liennes d’import-export commercent avec le bloc soviétique dans des
conditions privilégiées et consacrent leurs bénéfices au financement
des activités communistes en Italie.
1. Ibid.
2. Affecté à l’OSO (Office of Special Operations) de la CIA, Angleton dirige l’équipe « A »
chapeautant le recueil d’informations à l’étranger. Les archives du service X2 de l’ancien OSS
lui sont transférées. À peine a-t-il eu le temps d’organiser le service qu’on le renvoie en Italie.
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1. Voir notamment André Kervella, Le réseau Jade, Nouveau Monde éditions, 2021.
2. Ce radical anticommuniste, proche de Joseph Caillaux puis de Marcel Déat, a été un
sympathisant du Rassemblement national populaire sans y adhérer sous l’Occupation, ce
qui lui permet de reprendre après la guerre une carrière au Parti radical. Administrateur de
diverses sociétés, il appuie l’officine anticommuniste de Georges Albertini.
3. Haut fonctionnaire vichysto-résistant, élu du Morbihan, il sera seize fois ministre de
1948 à 1974, en particulier ministre de l’Intérieur de 1968 à 1974.
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l’ombre des murs épais du Saint-Siège, il faut nous tourner vers une
source plus inattendue : les archives des services secrets bulgares.
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1. Il s’agit de Boleslas Sloskans (1893-1981), un des évêques consacrés en secret par d’Her-
bigny en 1926 à Moscou. Après avoir été arrêté par les services russes en 1927, il est échangé
contre un espion russe détenu par les Lituaniens en 1933 et s’établit à Rome. Voir sa biogra-
phie officielle : http://www.sloskans.com/
2. Le collège pontifical Népomucène de Rome.
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Le plus probable est que cette affaire Tondi a joué un rôle de cata-
lyseur dans l’éviction de Montini : ses ennemis ont saisi une occasion
en or pour l’évincer. Et le pape, de plus en plus méfiant et aigri, s’est
laissé convaincre de s’en séparer.
Nogara fait sans doute partie de ceux qui se sont réjouis de cette
issue. Lui-même prendra sa retraite à la fin du pontificat de Pie XII,
laissant derrière lui une petite équipe soudée et rodée aux opérations
internationales les plus complexes. Mgr Alberto di Jorio, son homme
de confiance, reste en place comme secrétaire général de la banque.
Après la guerre, Nogara a investi dans la construction immobi-
lière (le conglomérat Societa Generale Immobiliare), un choix avisé
dans un pays à reconstruire après la guerre. Il a aussi pris des par-
ticipations dans plusieurs dizaines de banques italiennes, au point
de devenir le premier acteur financier du pays. En 1954, Nogara
transmet le flambeau de délégué général de l’IOR à un banquier
helvétique, ancien dirigeant du Crédit suisse : Henri de Maillardoz.
Il laisse à son successeur une institution bien plus riche et puissante
qu’elle ne l’était à ses débuts, mais terriblement opaque… et qui ne
recule devant aucune opération « borderline ».
Posséder un compte à l’IOR est un privilège. L’argent y est à
l’abri des réglementations fiscales et monétaires italiennes. On peut
déposer une valise de billets sans se voir poser de questions. Rien
n’empêche de transférer les fonds placés en Suisse, au Luxembourg
ou aux Bahamas. Ce qui arrange bien des Italiens fortunés. Des
dizaines de prêtres « sûrs » organisent des flux plus modestes, notam-
ment vers la Suisse. Au total, plusieurs centaines de millions de dol-
lars sont mis à l’abri. La banque sert de couverture à des spéculations
internationales. Spellman a joué un rôle-clé pour bâtir ce système :
au cours de ses voyages militaires dans les années 1940, l’archevêque
ne manquait jamais de transporter sous bonne garde des valises
contenant de l’or, des actions et obligations, mais aussi des devises
en liquide, pour plusieurs millions de dollars à chaque fois. Muni des
sauf-conduits américains, il ne fut jamais inquiété.
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La surprise Roncalli
En principe le conclave est une élection secrète : les cardinaux
sont rassemblés dans des locaux fermés, sans assistant ni possibilité
de communiquer avec l’extérieur. Les bulletins de vote et toute note
prise au cours de l’assemblée doivent être brûlés. Cependant, il est
parfois possible de reconstituer a posteriori le fil des événements grâce
aux confidences que font, après coup, les cardinaux à leurs proches.
Chaque conclave est par nature un bouillon de culture de rumeurs,
d’intrigues et de désinformation. Les rencontres informelles se mul-
tiplient dans les couloirs, lors des repas, ou dans les chambres, pour
arriver à former des coalitions suffisamment larges. En cas d’insuccès
d’une coalition, ses membres se reportent sur un autre candidat, ou
se répartissent sur plusieurs autres. Vue de l’extérieur, la durée du
conclave fournit une indication sur la difficulté ou la facilité qu’ont
les cardinaux à se mettre d’accord pour désigner le prochain chef
de l’Église. Cinquante-et-un électeurs sont présents en ce dimanche
26 octobre 1958 quand la cloche retentit vers 10 heures du matin
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Blum, Herriot…), mais il aura parfois des frictions avec les chefs
du MRP (équivalent français de la démocratie-chrétienne) qui inter-
viennent un peu trop à son goût dans le débat sur les nominations
épiscopales. Il est unanimement respecté et c’est sans doute pourquoi
les cardinaux français voteront pour lui. En 1952, Roncalli est enfin
élevé au rang de cardinal et devient patriarche de Venise. Il s’attend à
y finir sa carrière et se consacre pleinement à sa tâche pastorale.
Roncalli, élu comme un pape de transition, est un homme de
dialogue tout en rondeurs, même s’il reste anticommuniste. Pour
bref qu’il soit, son règne va être marqué par un virage spectaculaire
et inattendu par rapport à celui de son prédécesseur. Jean XXIII fait
dès son arrivée sur le trône de saint Pierre un constat d’échec sur la
stratégie de guerre froide menée par Pie XII. Nous manquons de
sources sur ses relations avec les différents groupes en charge du ren-
seignement et des opérations secrètes de l’autre côté du rideau de fer.
Seules certitudes : Roncalli n’a pas apporté de grands changements à
leur organisation et leurs missions. Mais il a compris dès son arrivée
que la guerre secrète menée avec l’appui de la CIA conduisait l’Église
dans une impasse…
1. Cf. Philippe Chenaux, Le temps de Vatican II. Une introduction à l’histoire du Concile,
DDB, 2012.
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Diplomatie parallèle
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1. Ibid.
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le ton assuré de ceux dont les appuis sont bien placés, la phrase brève
de ceux dont les minutes ne se gaspillent pas1. »
C’est l’ex-président du Conseil Antoine Pinay qui introduit Violet
au SDECE en 1955. Pinay est alors ministre des Affaires étrangères.
Violet n’apparaît pas officiellement dans son cabinet mais rencontre
très fréquemment le ministre. La raison de cette discrétion sur leur
collaboration tient peut-être au passé de l’avocat. En effet, pen-
dant la guerre Jean Violet a adhéré au MSR, le Mouvement social
révolutionnaire d’Eugène Deloncle, qui soutient la collaboration et
dénonce pêle-mêle les Juifs, les communistes, les francs-maçons et la
finance mondialisée. Le MSR est responsable de plusieurs attentats
contre des synagogues en octobre 1941. Emprisonné à la Santé le 2
décembre 1944 pour « intelligence avec l’ennemi », Violet a été libéré
trois jours plus tard et a rejoint les drapeaux sous la bannière des
Tirailleurs sénégalais (il avait servi dans l’infanterie coloniale avant-
guerre). Neuf mois plus tard, les poursuites contre lui étaient aban-
données et il était de retour chez lui. À l’évidence, il a bénéficié de
protections2…
Spécialisé dans les affaires internationales, maîtrisant l’anglais, l’es-
pagnol et l’italien, inscrit au barreau de Paris, Me Jean Violet se relance
dans les affaires et voyage désormais partout dans le monde. Pinay
lui fait donc rencontrer le général Paul Grossin, chargé de mission
auprès du président du Conseil Guy Mollet, qui deviendra patron du
SDECE à partir de 1957. Le général Grossin confirmera plus tard3
que l’avocat a rempli « avec succès » des missions auprès d’organisa-
tions internationales ainsi qu’une mission conjointe du SDECE et
du BND allemand. Sur ses relations avec le Vatican, Me Violet se
bornera à indiquer qu’il avait à Rome comme dans d’autres capitales
« un certain nombre d’amis personnels ». Les observateurs noteront
que l’avocat sera fait commandeur de l’ordre de Saint-Grégoire sous
215
Roncalli
1. Cf. Roger Faligot, « Les services secrets français neutralisent l’ONU », in Histoire secrète
de la Ve République, La Découverte, 2006.
2. Jean-Michel Barrault et Jacques Henri, Vade-mecum du parfait agent secret, Arthaud,
1972.
3. Soit l’Opus Dei.
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1. Cf. Hansjakob Stehle, Eastern Politics of the Vatican, 1917-1979, op. cit.
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1. Op. cit.
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n’est plus tout à fait le « pape américain » qu’il a été. Il ne peut que
faire une réponse évasive1.
Le jeune visiteur en vient au véritable motif de sa visite. La CIA a
besoin de connaître avant tout le monde le résultat du conclave. Les
enjeux internationaux sont considérables. Les sujets politiques vont
certainement tenir une place importante dans les débats. Et de fait, la
CIA sera en mesure d’envoyer au QG de Langley le nom du nouveau
pape avant tous les médias présents sur place.
Pour les membres des services italiens qui suivent ce conclave, il
n’y a que deux possibilités : soit la CIA a réussi à placer des micros,
soit elle dispose d’un informateur parmi les cardinaux. Lequel est
forcément équipé d’un émetteur radio, puisque les cardinaux n’ont
accès à aucun téléphone… Dans les archives actuellement déclas-
sifiées de la CIA, on ne trouve aucune indication permettant d’en
savoir plus. Mais une chose est sûre : si c’est bien un cardinal qui a
osé porter sur lui un émetteur radio pendant le conclave, on ne voit
guère qu’un seul candidat qui soit suffisamment audacieux et engagé
aux côtés des services secrets américains : Spellman.
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Les tourments de Paul VI
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Les tourments de Paul VI
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Opération « Solo1 »
L’homme-clé sur qui compte la CIA, c’est le général Giovanni
De Lorenzo, qui a dirigé le SIFAR avant d’être nommé à la tête des
carabiniers. Le général a su trouver des entrées au Vatican. Au début
du pontificat de Jean XXIII, la curie est entrée en effervescence à
1. Voir en particulier L’Espresso des 14 et 21 mai, du 16 juillet, du 24 septembre et du
1er octobre 1967. Et Alessandro Giacone, « Le “plan Solo” : anatomie d’un “coup d’État” »,
Parlement[s], Revue d’histoire politique, 2009.
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L’Ostpolitik
1. Frédéric Le Moal, Les divisions du pape. Le Vatican face aux dictatures, 1917-1989,
Perrin, 2016.
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Les tourments de Paul VI
1. Cf. Éric Lebec, Histoire secrète de la diplomatie vaticane, Albin Michel, 1997.
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Meurtres à Paris
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1. Cf. chapitre 5.
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1. Claude Clément, L’affaire des fuites, objectif Mitterrand, Olivier Orban, 1980.
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Les taupes du Vatican
L’affaire du Vicaire
Dans le cadre des « mesures actives » contre le Vatican, le KGB
après la mort de Pie XII ne souhaitait plus se contenter de dénon-
cer dans la presse communiste le Saint-Siège comme un vassal de
l’impérialisme américain, ce qui avait une portée limitée. Le service
profita de Vatican II, où étaient invités des représentants des Églises
de l’Est, pour infiltrer des agents ecclésiastiques à Rome et lancer des
opérations de désinformation. Dans ce cadre, Nikita Khrouchtchev
valida sous Jean XXIII le projet Vicaire1.
En 1963 est créée à Berlin-Ouest une pièce, Le Vicaire, une
tragédie chrétienne, qui sera jouée dans le monde entier à l’initia-
tive du metteur en scène communiste Erwin Piscator (victime du
maccarthysme établi en Allemagne) et traduite dans une vingtaine
de langues. L’auteur, Rolf Hochhuth, qui travaille aux éditions
Bertelsmann, y dépeint un Pie XII complice des menées génocidaires
1. Cf. Alberto Melloni, « Chiese sorelle, diplomazia nemiche. Il Vaticano II a Mosca fra
Propaganda, Ostpolitik e Ecumenismo », Alberto Melloni (ed), Vatican II in Moscow (1959-
1965). Acts of the Colloquium on the History of Vatican II, Moscow, March 30-April 2, 1995
(Leyde, Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 1997). Cité par Gérald Arboit : « Les
“mesures actives” soviétiques contre Pie XII », note historique du CF2R n° 29, janvier 2010.
https://cf2r.org/historique/les-mesures-actives-sovietiques-contre-pie-xii/
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Les taupes du Vatican
Le Vatican pénétré
Dans le camp soviétique, la période de la détente avec l’Église a
vécu. L’homme qui l’incarnait1 est victime d’un coup d’État silen-
cieux en 1964 : le chef du KGB Vladimir Semichastny annonce à
Khrouchtchev qu’il est démis de ses fonctions, mais pourra vivre en
sécurité dans sa datcha. Leonid Brejnev lui succède et modifie la
stratégie en matière de religion. Plutôt que d’emprisonner ou exiler
les prêtres, il faut en réduire le nombre en bloquant les nominations.
En 1965, le KGB fait espionner le concile Vatican II (qui se pour-
suit sous Paul VI) par le service polonais (SB2). Leur taupe au sein du
concile est vraisemblablement le prêtre Jerzy Dabrowski, dont la col-
laboration avec le service sera dévoilée en 1997, six ans après sa mort.
En 1963, le père Dabrowski (nom de code « Ignace ») est envoyé
1. Réputation excessive, comme on vient de le voir.
2. Sluzba Bezpieczeństwa.
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1. John Koehler, Spies in the Vatican. The Soviet Union’s Cold War against the Church,
Pegasus Books, 2009.
2. Cité in Christopher Andrew et Vassili Mitrokhine, Le KGB contre l’Ouest, 1917-1991,
Fayard, 2000.
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1. Yvon Le Vaillant, Sainte Maffia. Le dossier de l’Opus Dei, Mercure de France, 1971.
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Pour ses critiques, l’Opus Dei est une structure pyramidale très
hiérarchisée qui exige une obéissance aveugle et se montre intolérante
au monde extérieur. On lui a reproché le recrutement de mineurs à
l’insu de leur famille dont ils étaient rapidement coupés, l’endoctri-
nement intensif de ses membres, un prosélytisme exacerbé, une stra-
tégie d’infiltration des élites économiques et politiques, sans oublier
un culte excessif du fondateur. Un inspecteur des Renseignements
généraux confiait au début des années 1990 au journaliste du Figaro
Thierry Oberlé : « Je suis catholique pratiquant et l’Opus Dei excitait
ma curiosité. J’ai vite compris qu’elle fonctionne sur des principes
troubles. Elle est attirée par l’argent comme les moustiques par la
lumière. Son cloisonnement me rappelle le boulot. J’ai été frappé,
je le suis d’ailleurs toujours, par sa capacité à régler les problèmes
d’emploi des relations des gens qui gravitent autour d’elle1. »
Les professionnels du renseignement ne s’y trompent pas : l’Opus
Dei ressemble à un service secret, parce qu’il en est un ! La villa
Tevere est le centre nerveux qui centralise le renseignement recueilli
partout dans le monde par un réseau d’espionnage efficace. Robert
Hutchinson le décrit ainsi : « Les renseignements sont étudiés par
une armée d’analystes qui préparent des rapports pour les commis-
sions permanentes ou dans certains cas le vicaire général. De la même
façon que les directives de Rome ne sont jamais transmises par cour-
rier mais délivrées par des coursiers, les rapports les plus sensibles ne
sont pas transmis par des moyens de communication publics2. »
Dans les années 1960, des représentants de l’Opus Dei sont invi-
tés à l’ambassade américaine pour des contacts avec la CIA. « Rien
ne rebute l’Opus Dei quand il est question d’investigation, de péné-
tration clandestine, de collecte de renseignements, a fortiori quand il
est séduit par l’efficacité d’un réseau comme la CIA dont les moyens
1. Thierry Oberlé, L’Opus Dei, Dieu ou César ?, JC Lattès, 1993.
2. Robert Hutchinson, Their Kingdom Come. Inside the Secret World of Opus Dei,
Doubleday, 1997.
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et les fins sont, grosso modo, les mêmes que les siens dans certains
cas. La CIA s’est notamment servie de l’Opus Dei pour la péné-
tration dans les milieux d’émigrants espagnols et sud-américains en
France1 », note Le Vaillant. Sánchez Bella, un des responsables de
l’Opus en Espagne, a pour frère l’ambassadeur à Rome chargé des
services d’espionnage en Europe de Franco.
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1. Alvaro Puga, Diario de Vida de Ud, cf. Fred Landis, « Opus Dei: Secret Order vies for
Power », Covert Action, hiver 1983.
2. Michael Walsh, Le monde secret de Opus Dei. Fondation et histoire d’une puissance occulte,
Pygmalion, 1994.
3. Entretien avec l’auteur.
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cardinal Tisserant à la fin des années 1950, qui a été ordonné prêtre
en 1962. Tisserant lui a fait suivre les cours de l’académie pontificale
des ecclésiastiques, l’école des diplomates du Vatican. À la secrétai-
rerie d’État, Ferrari se heurte à la figure de l’archevêque Antonio
Samorè, ancien nonce à Bogota, lui-même proche de l’Opus Dei.
Samorè dirige la première section de la secrétairerie d’État ; il a la
haute main sur les nominations en Amérique latine. Ferrari s’éta-
blit en Équateur, dans le port de Guayaquil, pour un recensement
diocésain mais doit renoncer car on lui bloque les financements. En
juin 1969, il retente sa chance au Salvador, où il loue une maison et
recrute un serviteur recommandé par le diocèse. Peu après il se met à
souffrir de maux de tête et sa tension artérielle augmente dangereuse-
ment, malgré les prescriptions médicales. Chaque fois qu’il s’éloigne
de San Salvador pour un déplacement, les symptômes disparaissent.
En juin 1969, la police arrête son domestique et un complice. Ils
seront relâchés faute de preuve mais un examen médical conclut à un
empoisonnement à la digitaline1.
Fin 1969, Ferrari s’établit au Guatemala. Il découvre l’archidio-
cèse de Guatemala City aux mains de prêtres de l’Opus Dei. Le car-
dinal Casariego, un farouche anticommuniste, se repose entièrement
sur eux pour les affaires courantes. Il est le grand ami du sanguinaire
colonel Arana, homme fort du régime. Détesté par une majorité de
prêtres et de laïcs, le cardinal fait l’objet d’une pétition réclamant
qu’il soit expulsé du pays. Elle sera ignorée.
À la mort du cardinal Tisserant, Ferrari se retrouve privé de pro-
tecteur. Il est convoqué à l’archidiocèse et on lui signifie que son
travail pastoral dans les favelas est trop orienté politiquement et qu’il
a 24 heures pour quitter le pays. Deux prêtres de l’Opus Dei sont
chargés de l’encadrer et de le mettre dans un avion pour la Suisse. Ils
l’avertissent que s’il remet les pieds en Amérique du Sud, sa sécurité
ne sera pas garantie. Après la parution de son livre autobiographique,
Ferrari rencontre le journaliste britannique Robert Hutchinson et
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Les affaires
Dès les années 1960, l’Opus Dei apparaît aussi dans un certain
nombre d’affaires financières et criminelles qui défraient la chro-
nique et attisent la curiosité des enquêteurs et des services de rensei-
gnement européens… sans parler de ceux qui, à la curie, attendent
avec gourmandise le « scandale de trop » qui ferait chuter Balaguer de
son piédestal.
Le 25 mars 1965, un grand patron parisien, Louis Meleux, est
retrouvé mort en forêt de Fontainebleau, d’une balle de revolver.
L’arme se trouvant à ses côtés, tout laisse croire à un suicide.
Catholique, Meleux était membre de l’Opus Dei. Il laisse un trou de
15 millions de francs dans la comptabilité de son entreprise. Selon
le rapport de l’administrateur judiciaire1, depuis trois ans l’entreprise
est en faillite et le dissimule par diverses astuces : faux bilans, fausses
factures, etc. L’un des actionnaires est aussi la banque principale de
l’entreprise : une filiale de la Société financière pour la France et les
pays d’outre-mer (SOFFO) dirigée par Edmond Giscard d’Estaing,
père du futur président. Au capital de cette banque, on trouve aussi
deux hommes d’affaires espagnols, membres de l’Opus. « Les mil-
lions disparus sont allés en Espagne. En effet Meleux, en liaison avec
ses amis de l’Opus, et pour le compte de celui-ci, investit cet argent
dans plusieurs secteurs de l’économie espagnole, surtout dans l’im-
mobilier où la spéculation est effrénée. De plus pour éviter que le fisc
français ne mette la main sur une partie de ses capitaux, des filières
clandestines sont mises en place. L’argent passe par Londres avant
d’arriver en Espagne. L’Opus Dei a de la chance : le scandale n’éclate
pas. M. Valéry Giscard d’Estaing (alors ministre des Finances) se
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La nébuleuse
Avant d’évoquer ici une dernière affaire où apparaît l’Opus Dei
dans ces années Paul VI, il faut esquisser la nébuleuse d’organisa-
tions catholiques internationales dans laquelle elle prend place. Nous
avons laissé l’agent français Jean Violet en plein travail d’influence
sur le sommet d’Helsinki. S’il n’émarge plus au SDECE, Violet reste
plus introduit que jamais dans les cercles catholiques internationaux
qui se multiplient après-guerre. Ce bouillonnement permet d’expli-
quer comment l’obscur Jean Violet peut voir défiler à sa table des
personnalités comme l’industriel italien Carlo Pesenti, proche du
Vatican, ou les politiques Giulio Andreotti et Franz Josef Strauss.
Très présent au Vatican, Violet traite en particulier avec
Mgr Giovanni Benelli, qui a été à bonne école du renseignement
comme secrétaire de Montini à compter de 1947, pour suivre les
combats souterrains de la guerre froide. C’est probablement en 1965
que Benelli a rencontré Violet, quand il a rejoint la mission per-
manente du Vatican à l’ONU. En 1967, il est devenu substitut du
secrétaire d’État Cicognani, alors très âgé, et a retrouvé un lien direct
avec le pape Paul VI, qu’il voit tous les jours. Beaucoup de questions
de renseignements passent donc par lui. Plusieurs archives du KGB
le mentionnent comme l’officier traitant de la CIA1.
Violet rencontre aussi régulièrement l’ambassadeur espagnol
Alfredo Sánchez Bella, un ami de l’Opus Dei décrit comme le
chef des services secrets franquistes en Europe. S’il fuit la lumière,
Violet s’implique au sein du « cercle Pinay », décrit par une note
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Les renifleurs
Dans le cadre du cercle Pinay, Jean Violet prend pour clients
deux curieux personnages, a priori fort éloignés de ses activités. Aldo
Bonassoli, un agriculteur italien autodidacte (devenu réparateur de
télévision et pionnier des effets vidéo), et Alain de Villegas, un aris-
tocrate belge, affirment à la fin des années 1960 avoir développé un
procédé qui permettrait de détecter des nappes phréatiques par un
simple survol aérien. Le procédé vaudrait aussi pour détecter des
nappes de pétrole. À l’époque du premier choc pétrolier, ce n’est pas
une mince promesse… Violet veut proposer à la société Elf de mettre
la main sur cette invention. Il a justement connu au SDECE le colo-
nel Bistos, qui était alors directeur adjoint du service. Ce dernier
contacte son ex-collègue Jean Tropel, un ancien du contre-espion-
nage qui a été chargé par Elf de créer un service de sécurité. Tropel
fréquente Violet dans diverses organisations catholiques. Alerté par
Bistos, il est sous le charme et convainc ses patrons de ne pas laisser
passer l’occasion qui peut faire d’Elf un leader mondial.
À un niveau plus politique, Violet mobilise Antoine Pinay qui
a l’oreille du président Giscard d’Estaing. Des tests ont lieu avec
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Les explosifs du monsignore
1. « Israeli Arrest Greek Catholic Arbishop on Weapons Charges », New York Times, 19 août
1974.
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Une semaine plus tard, des commandos israéliens vont prendre d’as-
saut l’appareil à l’aéroport d’Entebbe, une opération restée célèbre1.
L’emprisonnement de Mgr Capucci touche à sa fin l’année suivante,
quand le nouveau gouvernement Likoud se dit prêt à le libérer si
le pape en fait la demande officielle2. Capucci est embarqué pour
Rome, où il est accueilli à l’aéroport par une délégation de l’OLP.
On ne réalise pas aujourd’hui le fossé qui existait entre le Vatican
et l’État juif à ses débuts. Après la création d’Israël, le Saint-Siège a
fait mine d’ignorer les résolutions de l’ONU pour se concentrer sur
sa priorité : l’internationalisation de Jérusalem. Mais la guerre israélo-
arabe qui a suivi la fondation de l’État juif a rappelé au monde qu’un
quart des Palestiniens victimes du conflit étaient des chrétiens. En
1949, la décision d’Israël de faire de Jérusalem sa capitale acheva de
pousser le Saint-Siège dans le camp de ses adversaires : l’Église multi-
plia les pressions sur les États catholiques membres des Nations unies
pour faire barrage à l’admission d’Israël à l’ONU. Sans succès. Le
voyage de Paul VI en Terre sainte, en 1964, ne change pas la donne :
alors que les Israéliens essaient d’en tirer une reconnaissance de l’État
juif, même implicite, le pape prend garde de ne lui donner « aucune
considération qui ne soit d’ordre purement spirituel ». Cependant la
guerre des Six-Jours, en 1967, pousse l’Église à engager des conver-
sations avec Israël sur l’avenir des Lieux saints et la situation des
chrétiens d’Israël.
La secrétairerie d’État est donc propalestinienne, même si ses res-
ponsables s’expriment toujours avec prudence. L’équipe du Mossad
1. Cf. Yeshayahu Ben Porat, Eitan Haber et Zeev Schiff, Entebbe, Paris, Hachette, 1976
et William Stevenson et Uri Dan, 90 minutes à Entebbe. Tonnerre israélien sur l’Ouganda,
Stanké, 1976.
2. L’accord de libération stipule que l’archevêque Capucci ne sera pas réaffecté au Moyen-
Orient, et de fait il est envoyé en Amérique latine. En janvier 1979, il va cependant se rendre
à Damas pour assister à une réunion du Conseil national de l’OLP. Jean-Paul II le trans-
férera en Europe occidentale. Capucci a rendu visite à des Américains retenus en captivité
à l’ambassade des États-Unis en Iran en 1979 ; il a accompagné les corps de huit militaires
américains tués lors d’une mission infructueuse pour libérer les otages ; et il s’est rendu en
Irak en 1990 pour demander au gouvernement de Saddam Hussein de libérer un groupe
d’Italiens après l’invasion du Koweït. Il est décédé en 2017.
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son atterrissage. Salameh figure sur une liste de cibles à éliminer par
le Mossad, liste validée personnellement par Golda Meir1.
Le 14 janvier 1973, un informateur du Mossad employé au cen-
tral téléphonique de Rome intercepte deux appels en arabe annon-
çant la prochaine livraison de « bougies pour préparer l’anniversaire ».
Cette phrase codée désigne des missiles de fabrication soviétique que
Septembre noir est en train de transférer par bateau en Italie depuis
la Yougoslavie. Zamir se rend immédiatement à Rome pour rencon-
trer les responsables de la sécurité intérieure italienne, la DIGOS2.
Les deux services manquent d’indices et n’ont aucune piste à suivre.
À quelques heures de l’arrivée de Golda Meir, Zamir décide de pla-
cer sous surveillance les environs de l’aéroport.
Le lendemain à l’aube, les hommes du Mossad repèrent une
camionnette Fiat. À leur approche, deux terroristes embarqués à
l’arrière ouvrent le feu sur eux, mais sont rapidement blessés. Le
chauffeur qui s’était enfui est rattrapé, ligoté et interrogé. Après un
interrogatoire musclé, il finit par avouer l’existence d’un deuxième
poste de tir. Sur ses indications, les Israéliens repèrent une autre
camionnette, à toit ouvrant, près de la piste. Ils n’ont plus le temps
de la prendre d’assaut et choisissent de foncer sur elle avec leur véhi-
cule. Sous le choc violent, la camionnette se renverse. Les terroristes
à l’intérieur sont assommés par la chute de leurs propres missiles.
Les membres du commando ne sont pas tués sur place par le
Mossad, pour ne pas compromettre la visite de Golda Meir au pape.
Ils sont admis dans un hôpital et seront autorisés à rejoindre la Libye.
Ce qui n’empêchera pas le Mossad de les suivre à la trace et de les
assassiner les uns après les autres quelques mois plus tard.
Il va falloir attendre la deuxième décennie du pontificat Jean-
Paul II pour que la ligne propalestinienne évolue (reconnaissance
d’Israël par le Vatican en décembre 1993). En attendant, un nouvel
émissaire plus discret que Capucci est envoyé par Rome. À Beyrouth
ou à Tunis, le père Ibrahim Iyad sert de pont entre le pape et l’OLP.
1. Cf. Yvonnick Denoël, Les guerres secrètes du Mossad, op. cit.
2. Divisione Investigazioni Generali e Operazioni Speciali.
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1. Luigi Di Fonzo, St. Peter’s Banker: Michele Sindona, Franklin Watts, 1983.
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1. Nick Tosches, Power on Earth, Michele Sindona’s Explosive Story, Arbor House, 1986.
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1. Ibid.
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1. Pino Arlacchi, Addio Cosa Nostra. La vita di Tommaso Buscetta, Rizzoli, 1994.
2. Selon le rapport d’enquête parlementaire Pike, en 1976, le gouvernement américain
a aussi envoyé 10 millions de dollars à la DC en 1972. Une bonne partie a transité via les
banques de Sindona. https://archive.org/details/PikeCommitteeReports/Interception%20
of%20International%20Telecommunications%20by%20the%20National%20
Security%20Agency
3. Luigi Di Fonzo, St. Peter’s Banker: Michele Sindona, op. cit.
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P2
En 1964, lors d’une réunion de chefs d’entreprise, Michele
Sindona a fait la connaissance de Licio Gelli, récemment nommé
grand maître de la loge maçonnique Propaganda Due ou P2. C’est
un homme distingué de taille moyenne, les cheveux argentés. On lui
reconnaît un grand charisme. Gelli a fait de P2 l’organisation secrète
la plus violente et puissante de toute l’Italie contemporaine. On y
trouve des généraux, des dirigeants des services secrets italiens, des
magistrats (y compris le procureur général de Milan, qui deviendra
plus tard président d’une chambre de la Cour suprême), des poli-
tiques, des hommes d’affaires… et même des cardinaux et des arche-
vêques. Un ancien de la CIA décrira P2 comme « un État clandestin
dans l’État2 ». Son but : renverser la démocratie parlementaire et ins-
taller un pouvoir présidentiel autoritaire.
Gelli veut inspirer la peur à ses membres, et régner seul. Il cloi-
sonne la loge en divisions qui ont interdiction de se parler. Si on ne
fait pas partie de P2, il n’y a aucun moyen de savoir qui en est. Grâce
à ses contacts dans les services secrets, Gelli a accumulé des dossiers
sur toutes sortes de personnalités qui peuvent s’avérer utiles. Pour
recruter quelqu’un, il se contente d’envoyer à sa cible un dossier
1. Cf. Luigi Di Fonzo, St. Peter’s Banker: Michele Sindona, Franklin Watts, 1983.
2. Entretien avec l’auteur.
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Le maître des marionnettes
1. Cf. Luigi Di Fonzo, St. Peter’s Banker: Michele Sindona, op. cit.
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La stratégie de la tension
Si on regarde de près la chronologie, l’ascension de Gelli et de
la loge P2 débute précisément au moment du plan Solo, en 1964
(voir chapitre 7), quand l’Italie se retrouve au bord du coup d’État.
La commission d’enquête parlementaire sur la loge P2 a conclu que
Gelli avait nécessairement été un collaborateur des services secrets
italiens : c’est la seule façon d’expliquer les protections dont il a béné-
ficié dès la fin de la guerre et les faveurs qui lui ont été accordées
tout au long de sa carrière1. L’objectif de P2 n’avait donc rien à voir
avec la maçonnerie mais était d’empêcher par tous les moyens le PCI
d’arriver au pouvoir en Italie et de réduire son influence dans le pays.
En 1965, le coordinateur de Gladio Renzo Rocca organise un
congrès qui rassemble les cadres de Gladio et toute l’extrême droite
anticommuniste sur le thème de la défense de l’Italie contre le com-
munisme par « la contre-révolution armée ». En clair : le recours à
la violence ne doit plus être exclu. De fait, on va voir se dévelop-
per en parallèle un terrorisme d’extrême droite et un autre d’ex-
trême gauche, qui façonnent ce que l’on appellera les « années de
plomb ». La séquence est ouverte par l’attentat à la bombe de la
piazza Fontana de Milan en décembre 1969, qui fait 17 morts et
88 blessés. L’attentat est d’abord attribué à l’extrême gauche, mais
l’enquête de la police italienne mettra en cause le groupe terroriste
néofasciste Ordine Nuovo. Devant les tribunaux, l’un des accusés,
1. Relazione della Commissione parlamentare d’inchiesta sulla loggia massonica P2, 1984.
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Le maître des marionnettes
1. Jack Greene et Alessandro Massignani, The Black Prince and the Sea Devils. The Story of
Valerio Borghese and the Elite of the Decima Mas, Da Capo Press, 2004.
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1. Voir notamment Stuart Christie, Stefano Delle Chiaie. Portrait of a Black Terrorist,
Christie Books, 1984.
2. L’Espresso, 8 février 1976, cité par Philip Willan, Puppetmasters. The Political Use of
Terrorism in Italy, op. cit.
312
Le maître des marionnettes
Dans les années qui ont suivi, Gelli a tout fait pour minimiser
la gravité de l’épisode et épargner aux conjurés toutes conséquences
graves, en usant de ses relations au sein des services et de la jus-
tice. Sur 146 accusés au départ, seuls 46 furent condamnés en pre-
mière instance avant d’être tous relaxés en appel1. Le repenti mafieux
Tommaso Buscetta a par la suite témoigné devant le juge Falcone en
1984 que Borghese avait sollicité la Mafia pour soutenir son projet,
en échange d’une amnistie générale pour les mafieux emprisonnés.
Sans avoir connaissance de ce témoignage, un autre boss mafieux a
tenu devant la justice en 1986 des propos similaires. Un des conjurés
qui a passé un an en prison, Gaetano Lunetta, a déclaré lors d’une
interview à L’Espresso2 que « l’objectif politique de ceux qui ont orga-
nisé le coup a été atteint : bloquer la stratégie d’Aldo Moro, écarter
le PCI des partis de gouvernement, garantir une loyauté totale de
l’Italie à l’OTAN et aux Américains. La vérité, c’est que le coup a
bien eu lieu et qu’il a été un succès ». Mais pour un temps limité,
serait-on tenté d’ajouter…
En effet, aux élections de 1972, la DC remporte 39 % des suf-
frages tandis que l’alliance PC-PS en réunit 37 %. Cela reste très
serré. Nixon est contraint de quitter le pouvoir par le scandale du
Watergate en 1974. Mais son successeur Gerald Ford conserve
auprès de lui le conseiller national à la sécurité Kissinger, qu’il
nomme secrétaire d’État. Ce dernier reçoit la visite du président ita-
lien Leone et du ministre des Affaires étrangères Aldo Moro, venus
discuter de l’entrée au gouvernement des partis de gauche. Selon
l’épouse de Moro3, l’entrevue est très violente : Kissinger hurle sur
Moro, lui ordonne de renoncer à sa politique d’inclusion de tous
les partis, sous peine de le payer « très cher ». Et pourtant… après
les législatives de 1976 où le PCI atteint son plus haut historique,
Moro, président par intérim de la DC, décide de passer outre…
1. L’armée grecque ne veut pas d’une victoire de la gauche aux prochaines élections qui
selon elle ferait basculer le pays dans le communisme. Le 21 avril, dans la nuit, les soldats
prennent le contrôle du palais gouvernemental, le père de l’opposant Papandréou est kid-
nappé. 5 000 communistes sont raflés.
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Mafia, cette affaire a de nouveau été évoquée, sans qu’il soit possible
de prouver avec certitude que l’homme politique serait intervenu sur
ce point.
Le refus de négocier la libération de Moro est vraiment excep-
tionnel. Trois ans plus tard, un simple conseiller démocrate-chrétien
de Campanie, Ciro Cirillo, sera enlevé par les Brigades rouges. Il
dirigeait les travaux de reconstruction dans le Sud après un tremble-
ment de terre et avait une réputation de corrompu. Cette fois, Don
Raffaele Cutolo, parrain de la Camorra emprisonné à Ascoli Piceno,
sera sollicité comme médiateur par les services secrets italiens. Il fera
négocier avec les Brigades rouges la libération de Cirillo moyennant
une rançon d’un milliard et demi de lires (et une prime de 2 mil-
liards pour la Camorra en remerciement de ses services).
Une chose est sûre concernant Moro : les services italiens n’ont
pas été à la hauteur. Il est vrai qu’ils étaient alors en pleine restructu-
ration. Les carabiniers qui centralisaient jusqu’en 1977 la lutte anti-
terroriste viennent d’en être dessaisis au profit des polices régionales.
En janvier 1978, un décret a dissous le SID (Servizio Informazioni
Difesa), jugé opaque et mal contrôlé, pour le remplacer par deux
entités distinctes : le SISMI (renseignement militaire) et le SISDE,
dépendant de la présidence du Conseil. D’autre part le ministère de
l’Intérieur s’est doté d’un Office central des enquêtes générales et des
opérations spéciales (l’UCIGOS).
Des auteurs ont affirmé, sans apporter la preuve définitive,
que Moro aurait été victime d’un complot d’une fraction hors de
contrôle des services secrets italiens agissant en lien avec la CIA pour
manipuler les Brigades rouges. Il est vrai que le compromis histo-
rique incarné par Moro était mal vu des Américains pour qui une
entrée des communistes au gouvernement était insupportable. Dans
une telle hypothèse, un enlèvement était plus risqué pour ces services
qu’un froid assassinat. Toutefois, les BR pouvaient avoir leurs rai-
sons propres pour capturer Moro plutôt que l’assassiner.
On a également incriminé la loge P2 de Licio Gelli. Le documen-
taire de Michael Busse et Maria-Rosa Bobbi, « Aldo Moro, anatomie
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1. Arte, 1993.
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1. Cité in Emmanuel Amara, Nous avons tué Aldo Moro, Patrick Robin éditions, 2006.
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pensait avoir affaire à un homme assez jeune. Luciani, qui avait par-
ticipé à plusieurs synodes, avait pris connaissance de nombre des
problèmes rencontrés par l’Église à travers le monde. Il avait tou-
jours dit qu’il n’avait aucune expérience directe de ces problèmes1. »
Cette avalanche de dossiers à traiter implique une forte pression et
une grosse capacité de travail, bien différente de celle attendue d’un
patriarche de Venise…
Se pose alors la question de savoir si Luciani était bien en « en
bonne santé » comme l’affirme Yallop. Cornwell a interrogé Lina
Petri, la nièce du pape, qui était médecin. Ce n’est pas du tout
l’histoire qu’elle raconte : « En 75, il a eu un accident. J’étais déjà à
Rome, au Policlinico Gemelli. Il est allé au Brésil pour rencontrer
des immigrants italiens originaires de Vénétie. À son retour, il a eu
un problème oculaire, une perte de vision. Il est allé à l’hôpital, à
Mestre, consulter le Pr Rama, qui a diagnostiqué une embolie, ou
une thrombose artérielle sur la rétine. C’est quelque chose de grave :
ça veut dire que le sang ne circule pas bien. Il y a des substances qui
se forment dans les artères et dans les veines, qui se coagulent et
qui constituent des caillots qui bouchent les artères. Quand quelque
chose comme ça se produit, ça veut dire qu’il existe des problèmes
circulatoires et de coagulation sérieux. Ça signifie que ce qui est
arrivé à l’œil aurait pu arriver à l’artère fémorale, dans l’intestin ou
dans l’artère pulmonaire. Quand il y a un précédent, c’est sérieux,
il faut faire très attention, parce qu’à partir de ce moment-là, on ne
peut plus être considéré comme étant en bonne santé2. » Après cet
incident, Luciani est désormais esclave de médicaments anticoagu-
lants à vie. Quand il est élu pape, ses habitudes changent du tout au
tout. Son mode de vie s’en trouve complètement bouleversé.
Tout le monde remarque qu’il a les jambes enflées et ne peut pas
porter de chaussures, ni vieilles ni neuves. C’est un signe de stase vei-
neuse : le sang a du mal à circuler dans les veines. Le pape doit faire
des exercices de marche chaque jour. Mais cela ne semble alarmer
1. John Cornwell, Comme un voleur dans la nuit, op. cit. pour cette citation et les suivantes.
2. Ibid.
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1. Ibid.
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1. Ibid.
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Fils d’un officier polonais retraité, Karol Wojtyła est un pur pro-
duit de l’histoire polonaise. Dans son enfance il a absorbé la tradi-
tion patriotique et religieuse polonaise. Il a vécu plusieurs drames
familiaux : sa sœur cadette est morte dans sa petite enfance, sa mère
est décédée quand il avait 8 ans, son frère aîné quand il en avait 11
et enfin son père disparut quand il avait 20 ans. Ces tragédies ont
façonné son caractère. La mort de son père détermina certainement
sa décision de devenir prêtre.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Wojtyła et un groupe de
jeunes étudiants sont employés à l’usine chimique Solvay, considé-
rée comme essentielle à l’effort de guerre, ce qui leur donne droit à
des laissez-passer permettant de circuler librement. En parallèle, le
jeune homme suit un séminaire clandestin, mis en place à partir de
1942. Les cours sont individuels. Les étudiants ne se connaissent
pas entre eux. S’ils sont découverts, ils encourent la déportation.
Le 6 août 1944 a lieu une vaste rafle dans Cracovie. L’archevêque
Sapieha décide alors d’héberger sept séminaristes dans sa résidence.
Ils doivent porter la robe, même s’ils ne sont pas encore ordonnés. Ils
peuvent désormais étudier à plein temps.
Wojtyła est ordonné par le cardinal Sapieha en 1946. Ce der-
nier a décidé de l’envoyer étudier à Rome. Le jeune prêtre y passe
dix-huit mois (chez les dominicains) qui seront essentiels pour sa
carrière. Il fréquente le philosophe français Jacques Maritain, alors
ambassadeur de France au Vatican et ami de Montini. Quand il
rentre en Pologne en 1948, l’Église polonaise a un nouveau primat :
l’archevêque Stefan Wyszyński. Avec une population catholique à
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Wojtyła
Activités clandestines
En 1953, après l’arrestation du cardinal Wyszyński, Wojtyła
rejoint un groupe clandestin de professeurs qui se réunissent en
secret pour discuter des moyens de saper le communisme de l’inté-
rieur. Il estime pour sa part qu’il faut éviter tout conflit direct avec
le régime, mais faire progresser les principes d’une vie chrétienne.
Un épisode encore peu connu est celui de la publication clandes-
tine d’un manuscrit de Wojtyła, L’éthique sociale catholique, dans les
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1. Ibid.
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Garde rapprochée
C’est un énorme mouvement de fierté patriotique en Pologne.
Les rues s’emplissent et la foule converge vers les églises. Selon un
rapport de la Stasi qui a des agents en Pologne, « dans les rues de
Cracovie, les gens s’embrassent et tombent à genoux dans les rues.
La fête a duré toute la nuit et plusieurs messes ont été improvisées à
travers la ville. Le lendemain a eu lieu une grande messe solennelle
devant la cathédrale de Varsovie1 ».
1. Cité in John Koehler, Spies in the Vatican. The Soviet Union’s Cold War against the
Church, Pegasus Books, 2009.
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entre les mains des services de l’Est, elles auraient constitué un for-
midable vecteur de propagande contre Wojtyła. C’est pourquoi la
majorité de cette correspondance était rédigée lorsque lui-même se
trouvait à Rome ou aux États-Unis. Lorsque Wojtyła devient pape,
Mgr Dziwisz prend soin de tenir la philosophe à distance et tentera
même de lui faire retirer le copyright du livre qu’elle avait traduit en
anglais. Elle en sera affectée mais leur amitié y survivra.
À Moscou, on est atterré par l’élection de Wojtyła. Le patron du
KGB Andropov demande des explications à ses hommes. Selon l’ana-
lyse du 1er Directorat du KGB, cette élection résulte d’une conspira-
tion entre le cardinal Krol et Zbigniew Brzeziński, le conseiller à la
sécurité nationale du président Carter, sans que l’on comprenne très
bien comment les deux hommes auraient pu tirer toutes les ficelles
de l’élection.
Le Politburo a réclamé une analyse psychologique du nouveau
pape. Il en résulte que le Vatican se montrera désormais plus agres-
sif dans ses rapports avec les États socialistes, notamment en ce
qui concerne les nominations d’évêques. Le rapport recommande
d’adopter une attitude moins rigide à l’égard des valeurs spirituelles,
pour éviter de créer les conditions d’un renforcement de l’Église. Mais
comme le remarquent Bernstein et Politi, « cette analyse prophétique
était trop subtile pour les dirigeants de l’ère Brejnev1 ». Moscou est
pris de court par la rapidité des initiatives papales, comme le projet
de voyage en Pologne, dont la seule négociation annoncée par les
camarades polonais met Brejnev en fureur.
Le KGB va muscler son dispositif à Rome. La villa Abamelek
est un vaste domaine clos situé à un kilomètre au sud de la place
Saint-Pierre. Elle a appartenu à une famille de la noblesse russe.
L’ambassade soviétique l’a achetée après la guerre pour y loger ses
diplomates. Selon les services italiens, à l’occasion de travaux d’agran-
dissement ont été creusés dans les jardins des tunnels permettant de
relier le labyrinthe de catacombes situé au-dessous du Vatican.
1. Carl Bernstein et Marco Politi, Sa Sainteté Jean-Paul II et l’histoire cachée de notre époque,
Plon, 1996.
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1. À son sujet, voir Yvonnick Denoël, Sexus Economicus, le grand tabou des affaires, Nouveau
Monde éditions, 2010.
2. Michael Ledeen et Arnaud de Borchgrave, « Qaddafi, Arafat and Billy Carter », The New
Republic, 1er novembre 1980.
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On a tué l’archevêque
L’archevêque du Salvador Oscar Arnulfo Romero assiste à la réu-
nion de la Conférence épiscopale et y rencontre Jean-Paul II pour
la première fois. Romero a été nommé archevêque début 1978 en
raison de son profil peu politique. Mais peu après son installation,
son ami le père jésuite Rutilio Grande a été abattu par des miliciens
proches du régime. Indigné, Romero se transforme alors en défen-
seur des droits de l’Homme et des paysans, ce qui lui attire l’hostilité
du régime.
Jean-Paul II connaît mal l’Amérique du Sud et s’en remet à
l’avis de ses conseillers sur la théologie de la libération qui serait
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ont été prémédités. Les responsables ont été protégés par le chef
de la Garde nationale, des hauts gradés de l’armée et des officiels
américains.
1. Peter Kornbluh et Malcolm Byrne, The Iran-Contra Scandal: The Declassified History,
New Press, 1993.
2. Carl Bernstein et Marco Politi, Sa Sainteté Jean-Paul II et l’histoire cachée de notre époque,
op. cit.
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faire quand les Siens sont au pouvoir1 »… De leur côté les évan-
gélistes venus des États-Unis ont toute latitude des militaires pour
apporter la bonne parole aux Indiens. Les évêques catholiques sont
régulièrement insultés et menacés, y compris le propre frère de Ríos
Montt, qui est obligé de fuir le pays. Pour être complet, il faut pré-
ciser que certains pasteurs évangéliques qui ne cautionnent pas les
exactions du régime sont à leur tour persécutés. Une douzaine sont
assassinés et quarante-neuf « disparaissent » définitivement. Ríos
Montt sera renversé par sa propre armée en août 1983. Sous son
règne, les pentecôtistes ont tout de même eu le temps de convertir
environ un quart de la population.
Cette offensive de groupes évangélistes américains, qui arrivent
à lever des millions de dollars, ajoute encore au trouble des évêques
catholiques, qui se demandent si cette poussée fondamentaliste n’est
pas pilotée par Washington.
Parmi les forces à l’œuvre, il faut encore s’attarder sur une ins-
titution néoconservatrice, l’Institut pour la religion et la démo-
cratie (IRD), créé en 1981. Décrit comme « le séminaire officiel
de l’administration Reagan », l’IRD travaille en lien étroit avec
le Département d’État, produit des articles et conférences sur le
Salvador et le Nicaragua. Il rédige aussi une lettre d’information
confidentielle envoyée aux entreprises et gouvernements amis de la
région pour dénoncer les complots des syndicats et des gauchistes
au sein de l’Église. En 1985, l’IRD organise une conférence sur la
liberté religieuse sponsorisée par le Département d’État. Malgré ce
lobbying, la Conférence des évêques ne mollit pas dans sa dénon-
ciation des exactions et sa critique de la politique états-unienne en
Amérique centrale.
L’action des services secrets américains dans la région, à commen-
cer par la CIA, est peu à peu dévoilée par diverses enquêtes jour-
nalistiques. Le soutien aux contras devient rapidement évident. On
retrouve même un manuel d’instruction à l’usage des guérilleros édité
1. Penny Lernoux, People of God. The Struggle for World Catholicism, Viking, 1989.
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1. Cf. Philip Berryman, Liberation Theology: Essential Facts About the Revolutionary
Movement in Latin America and Beyond, Temple University Press, 1987.
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interviendra par la suite pour aider son ami Marcinkus lors du scan-
dale Ambrosiano.
Wilson remet au secrétaire d’État Casaroli une « liste noire » de
prêtres et de nonnes d’Amérique centrale qui mériteraient d’être
relevés de leurs fonctions. Elle circule au sein de la curie. Une
grosse imprudence sera fatale à Wilson en 1986 : il rend visite pour
le compte d’une société pétrolière au colonel Kadhafi alors que ce
dernier est dans le collimateur de l’administration Reagan pour son
implication dans des attentats terroristes. Il semble qu’il ait eu en
réalité plusieurs contacts secrets avec le régime libyen, avec l’accord
du Conseil national de sécurité. Mais devant le scandale, il devient
inévitable de le rappeler à Washington.
Sans avoir besoin de passer par Wilson, la CIA fournit plu-
sieurs fois à la curie des fiches sur les diplomates étrangers accrédi-
tés auprès du Vatican, et d’autres sur des prêtres jugés marxistes.
Parfois même la CIA fournit des relevés d’écoutes téléphoniques
de prêtres « renégats ». Ces relevés sont transmis à la Congrégation
pour la doctrine de la foi. Jean-Paul II a choisi d’y nommer le car-
dinal Ratzinger, jugé très puissant car c’est lui qui définit la doc-
trine, et décide donc de qui est dans l’Église et qui en est sorti... Il
a pour tâche de mater les dissidences idéologiques et religieuses au
sein de l’Église. Fils d’un policier bavarois, il a grandi dans l’Alle-
magne nazie. Esthète plus attiré par les questions intellectuelles que
par la vie paroissiale, il a choisi de devenir professeur de théologie.
Une fois atteint la quarantaine, il a basculé du camp progressiste
au conservateur. Pendant Vatican II, il était catalogué comme fai-
sant partie de l’avant-garde. Ce sont les mouvements étudiants des
années 1960 qui le font évoluer. À l’université de Tübingen, il
affronte son collègue libéral Hans Küng, dont les conférences font
salle comble tandis que Ratzinger parle devant des salles à moitié
vides. Il finit par quitter l’université pour retourner en Bavière.
C’est en 1977 qu’il rencontre Wojtyła. Pour les deux hommes,
c’est un coup de foudre intellectuel : ils partagent la même volonté
de corriger certains « excès » de Vatican II.
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Wojtyła
Calme dans les tempêtes, très écouté par le pape (qui lui demande
souvent en fin de réunion s’il a quelque chose à ajouter), il fait tou-
jours valider ses décisions par le pape avant de les annoncer. En 1980,
les évêques allemands retirent à Küng sa licence pour enseigner la
théologie : Ratzinger n’y est sans doute pas pour rien. Il entretient
des contacts avec le mouvement Communion et Libération, et à tra-
vers la hiérarchie allemande, les agences d’aide au tiers-monde qui
opèrent en Amérique du Sud.
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1. Ibid.
2. Juan Andrés Guzmán, Gustavo Villarrubia et Mónica González, Los secretos del imperio
Karadima, Santiago du Chili, Catalonia/UDP, 2011.
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1. Carl Bernstein et Marco Politi, Sa Sainteté Jean-Paul II et l’histoire cachée de notre époque,
op. cit.
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Naissance de Solidarité
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1. Archives Mitrokhine.
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De Carter à Reagan
Aux États-Unis entre en scène un nouvel acteur important. Le
nouveau président Ronald Reagan, élu à l’automne 1980, prend
ses fonctions le 20 janvier 1981. Le lien de la Maison-Blanche avec
le Vatican existe déjà via Brzeziński, le conseiller de Carter chargé
de représenter son président lors des cérémonies intronisant Jean-
Paul II. Les deux hommes se connaissent depuis le voyage de Wojtyła
aux États-Unis en 1976 et ont correspondu régulièrement. Dès
le début de Solidarité, Brzeziński a informé un émissaire du pape,
l’évêque Jozef Tomko, que le président Carter a donné son feu vert à
une opération de la CIA visant à faire pénétrer clandestinement des
brochures anticommunistes dans plusieurs pays de l’Est, notamment
en Ukraine et dans les États baltes. Fin décembre 1980, il appelle
directement Jean-Paul II pour le prévenir qu’une invasion militaire
soviétique en Pologne se prépare. Il dispose de photos satellites suf-
fisamment précises pour distinguer des installations militaires russes
en cours de construction à la frontière polonaise. Et, surtout, la CIA
détient des informations de première main : l’agence dispose d’une
taupe au plus haut niveau chez les Polonais.
En août 1972, un officier de l’état-major polonais, le colo-
nel Ryszard Kukliński, a offert ses services à la CIA par un cour-
rier adressé à l’ambassade américaine à Bonn. Le contact fut établi
par un rendez-vous en janvier 1973 dans un cimetière de Varsovie.
Kukliński y reçut du matériel photographique. La CIA, échaudée
par la perte de plusieurs sources dans les pays de l’Est, se montra
hyper-prudente. Les rares rencontres se firent lors de déplacements à
l’étranger. Pour le reste, les échanges se faisaient par boîtes aux lettres
mortes. Les informations fournies par Kukliński circulaient le moins
possible, pour ne pas risquer de le « griller ». Du coup, elles ne furent
pas exploitées pleinement.
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1. Des copies de ses comptes-rendus seront découvertes en 1994 dans les archives de la Stasi.
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La piste bulgare
L’exploitation des numéros de téléphone trouvés sur Agça ouvre
une piste aux implications vertigineuses. Sur les cinq numéros
romains, deux correspondent à l’ambassade bulgare, un au consulat,
un aux bureaux de la compagnie Balkan Air et le dernier est celui
d’un diplomate bulgare. Agça nie tout d’abord les connaître. Mais
après un an d’emprisonnement, il change soudain sa version. Il a été
condamné à la prison à vie à l’issue de son procès en juillet 1981 et
n’a pas souhaité faire appel, comme s’il s’attendait à être prochaine-
ment libéré ou transféré. Neuf mois plus tard, en avril-mai 1982,
il se « met à table » et admet avoir rencontré trois Bulgares à Rome,
dont deux chez eux, et récite de mémoire le numéro de téléphone
du troisième. Il s’agit de Todor Aivazov, caissier à l’ambassade. Les
deux autres sont l’attaché militaire adjoint Jelio Vassilev, et Serguei
Antonov, directeur adjoint des bureaux romains de la Balkan Air.
Agça est capable de livrer à ses interrogateurs des descriptions pré-
cises des appartements d’Antonov et Aivazov, où il aurait participé à
des réunions. De plus, il affirme avoir été conduit le jour de l’attentat
par les deux hommes jusqu’à une maison où on lui a remis un sac
contenant des armes, puis on l’a déposé près du Vatican. Selon Agça,
il était convenu qu’Antonov et Aivazov le récupèrent pour l’exfiltrer
après l’assassinat, par un convoi diplomatique en camion de l’ambas-
sade bulgare.
Agça affirme avoir été recruté en Bulgarie pour tuer le pape par
un mafieux turc, gros trafiquant de cigarettes, nommé Bekir Çelenk.
Ce dernier a fait fortune en achetant d’énormes quantités de ciga-
rettes à la régie d’État bulgare, avant de les écouler en contrebande en
Turquie. Il louait à l’année une suite dans un hôtel de luxe de Sofia
et était en excellents termes avec les services bulgares qui le laissaient
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La piste turque
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1. Il a rédigé un livre de Mémoires : Duane Clarridge, A Spy for All Seasons. My Life in the
CIA, Scribner, 2002.
2. En 2020 encore, les Loups gris s’en sont pris à la communauté arménienne de Lyon. Le
ministère de l’Intérieur français a interdit le mouvement.
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1. Cf. Milliyet, 10 février 1981, cité par Roumiana Ougartchinska, La vérité sur l’attentat
contre Jean-Paul II, Presses de la Renaissance, 2007.
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1. Cirillo dirigeait les travaux de reconstruction dans le Sud après le tremblement de terre
de 1980. Il était réputé corrompu. Don Raffaele Cutolo, parrain de la Camorra, emprisonné
lui aussi à Ascoli Piceno, fut sollicité comme médiateur par les services secrets italiens. Il fit
négocier la libération de Cirillo moyennant une rançon d’un milliard et demi de lires (et une
prime de 2 milliards pour la Camorra en remerciement de ses services).
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Conclusions provisoires
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L’affaire Orlandi
Le 22 juin 1983, Emanuela Orlandi, une lycéenne de 15 ans,
quitte peu après 16 heures l’enceinte du Vatican pour se rendre à
un cours de musique. Emanuela est citoyenne du Saint-Siège : son
grand-père fut écuyer de Pie XI, son père est responsable du cour-
rier au Vatican. Un agent de la circulation posté devant l’école de
musique dit l’avoir vue passer à la sortie de son cours et s’entretenir
avec un homme élégant d’une trentaine d’années à côté d’une BMW
verte. Après quoi elle passe un coup de fil chez elle et affirme à sa
sœur Frederica qu’elle vient de recevoir une proposition pour dis-
tribuer des produits de beauté pendant un défilé de haute couture,
moyennant 375 000 lires. La somme, énorme, suscite l’incrédulité
de sa sœur qui lui conseille de refuser et de rentrer à la maison. Vers
19 heures, une camarade de lycée discute avec Emanuela, qui la
quitte pour rentrer chez elle en autobus. Le lendemain, sa disparition
est signalée par la famille.
Au même moment, Jean-Paul II rentre de son deuxième voyage
papal en Pologne.
Quelques semaines auparavant, le 17 mai 1983, on a signalé la
disparition d’une autre jeune romaine, Mirella Gregori. La presse ne
manque pas d’échafauder des théories.
De son côté Ali Agça, qui passe alors devant un tribunal pour
son attentat contre le pape, affirme un jour qu’Emanuela a été enle-
vée par la loge P2, un autre jour par les Loups gris et les Bulgares.
Sept ans plus tard, il incriminera son ami Oral Çelik, expliquant que
l’enlèvement avait pour but de faire pression sur le Vatican. Nouvelle
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version en 1997 : dans une lettre aux juges, Agça mettra en cause les
services secrets bulgares.
Le 3 juillet, depuis la place Saint-Pierre, le pape en appelle à l’hu-
manité des responsables de la disparition de la jeune fille, ce qui
revient à reconnaître un kidnapping. Maladresse ou calcul ? La famille
Orlandi est assaillie de coups de fil anonymes proposant des négocia-
tions sans jamais déboucher sur la moindre preuve concrète que la
jeune Emanuela est vivante. Pour les services italiens, qui dissèquent
chaque enregistrement vocal, ces messages proviennent de mytho-
manes et d’illuminés. D’autres messages retiennent plus l’attention.
Le correspondant à Rome de CBS, Richard Roth, reçoit une lettre
postée des États-Unis qui exige la libération d’Ali Agça en échange
de la libération d’Emanuela. L’expertise de la lettre démontre que ses
auteurs détiennent des informations confidentielles (ils connaissent
par exemple le contenu d’un courrier adressé par le président italien
Sandro Pertini à la famille). De son côté, la journaliste américaine
Claire Sterling (que l’on a croisée après la tentative d’assassinat de
Jean-Paul II en accusatrice des services secrets de l’Est) affirme à son
tour que l’enlèvement est un coup monté des Bulgares pour déstabi-
liser Jean-Paul II qui menace le pouvoir polonais. En août se mani-
feste un « Front de libération turc antichrétien ». On apprendra après
la chute du rideau de fer, par le témoignage d’un ex-bras droit de
Markus Wolf, que ces revendications émanaient de la Stasi, dans le
cadre d’une opération baptisée « Papst » qui devait attirer les soup-
çons sur la Turquie pour détourner les regards des services bulgares.
Tout cela n’est ni plus ni moins qu’un nuage de fumée, selon les
juges chargés du dossier qui, après sept années d’enquête, diront tous
leur intime conviction qu’on a monté de toutes pièces une affaire
politico-terroriste pour dissimuler le véritable motif de la disparition
d’Emanuela.
En février 1994, la juge Adele Rando recueille le témoignage
cinglant du préfet Vincenzo Parisi, directeur adjoint des services
secrets italiens : « L’on percevait une retenue constante de la part du
Saint-Siège qui empêchait de fait toute étude approfondie […] On
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Chef : Allô !
Bonarelli : Oui, je vous écoute…
Chef : Qu’est-ce que tu sais d’Orlandi ? Rien ! Nous, on ne sait
rien !... on sait ce que disent les journaux, les informations qui
viennent de l’extérieur ! C’est hors de notre compétence… de
l’ordre italien.
Bonarelli : Ah bon, c’est ça que je dois dire ?
Chef : Eh ben… Qu’est-ce qu’on sait, nous ? Si tu dis : « Moi, je
n’ai jamais fait d’enquête » […] Le bureau a enquêté à l’intérieur
[…] Ne dis surtout pas que c’est remonté jusqu’à la secrétairerie
d’État.
Bonarelli : Non, non… Moi, à l’intérieur, je ne dois rien dire.
Rien.
Chef : Oui, mais à l’extérieur… que c’est la magistrature vati-
cane qui s’en occupe. Mais de ce que tu sais, toi tu ne dis rien,
rien2 !
Bonarelli : Oui, mais s’ils me demandent si je suis employé par le
Vatican, quel est mon travail… Je ne sais pas, moi, ils voudront
m’identifier… Ils doivent bien savoir qui je suis…
1. Cité par Corrado Augias, Histoire secrète du Vatican, L’Express poche, 2013.
2. C’est nous qui soulignons.
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Qu’une telle écoute ait filtré dans la presse en dit long sur l’agace-
ment des magistrats italiens vis-à-vis du Vatican.
Une hypothèse plus sordide a été avancée en 1993 par un haut
prélat, le cardinal Silvio Oddi, suggérant que l’homme à la BMW
était connu du Vatican. Toujours en 1993, une lettre anonyme
envoyée depuis le Vatican à la juge Rando affirme qu’Emanuela
a passé la nuit de sa disparition avec un prélat bien connu qui l’a
reconduite le lendemain à Rome, où elle se serait enfuie, par crainte
d’affronter sa famille. De là à imaginer qu’Emanuela aurait pu décé-
der accidentellement lors d’une nuit de rapports contraints avec un
prélat pervers sexuel… qui aurait ensuite fait disparaître le corps : on
plonge dans une série B assez glauque qui risque de ne jamais pou-
voir être étayée par des faits. Au Vatican, l’opinion dominante est
que les responsables de l’enlèvement appartiennent au crime orga-
nisé et que la proposition d’échange avec Agça est un prétexte pour
extorquer des sommes considérables en échange de la fille, et pour
envoyer les enquêteurs sur une fausse piste1.
En 2005, pendant une émission TV consacrée à l’affaire, Chi l’a
visto, un correspondant anonyme déclare : « Vous voulez résoudre
l’affaire Orlandi ? Alors allez voir dans la tombe de De Pedis. » Enrico
« Renatino » De Pedis était un des leaders de la bande mafieuse de la
Magliana qui a été abattu à Rome en février 1990. Bizarrement, il
a été enterré dans la crypte de l’église Sant’Apollinare, un honneur
réservé en principe aux grands de l’Église. Antonio Mancini, un
ancien associé de De Pedis, a témoigné dans une interview au Fatto
Quotidiano2 que le kidnapping d’Emanuela Orlandi avait bien été
1. Cité par Pino Nicotri, Mistero Vaticano, Kaos Edizioni, Milan, 2002.
2. 15 février 2012.
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1. Cf. Rita Di Giovacchino, Storie di alti prelati e gangster romani, Fazi Editore, 2008.
2. Raffaella Notariale et Sabrina Minardi, Segreto Criminale, Newton Compton, 2010.
3. Entretien de l’auteur avec une source romaine.
4. Raffaella Notariale, Il boss della banda della Magliana, Newton Compton, 2012.
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Avec le recul, 1981 est vraiment une annus horribilis pour Paul
Marcinkus. La série noire débute le 5 février, quand les procu-
reurs de Milan font arrêter Luigi Mennini, son adjoint à la tête
de l’IOR. Mennini a été administrateur représentant de l’IOR au
sein de la Banca Unione de Sindona, ce qui suffit pour l’accu-
ser de complicité dans le trafic de devises. C’est un choc pour le
Vatican. Marcinkus plaide la cause de son collaborateur auprès
du pape : c’est sans doute une opération politique de la coali-
tion de centre gauche alors au pouvoir, une mesure de rétorsion
contre le soutien apporté depuis des décennies par le Vatican à la
Démocratie chrétienne !
Le 17 mars, la justice fait perquisitionner une villa appartenant à
Licio Gelli. Dans un coffre, on découvre un attaché-case contenant
les dossiers de candidature de 953 membres de la loge P2, ainsi que
des relevés bancaires établissant des virements en faveur de politiques,
de juges et de grands patrons, une correspondance avec des chefs
militaires argentins en vue d’achat d’armements. La police découvre
également une cachette recelant des photos compromettantes pour
plusieurs Italiens en vue. Il n’est pas certain que Gelli les ait utilisées,
mais il est probable qu’il les stockait « au cas où ». L’une des photos
arrête l’attention des enquêteurs : on y voit le pape, dans sa résidence
d’été de Castel Gandolfo, en train de prendre un bain de soleil au
bord de sa piscine. Nu.
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1. Nick Tosches, Power on Earth, Michele Sindona’s Explosive Story, Arbor House, 1986.
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toujours intacts. Mais le seul fait que Calvi était prêt à lâcher 20 mil-
lions de dollars pour les avoir montre combien valait le prestige
du Vatican. Désormais, dans une certaine mesure, ce prestige est
perdu1. »
Marcinkus a fait un geste, mais il prévient Calvi que c’est le der-
nier. Les lettres de patronage ne font qu’accorder un sursis à Calvi,
mais elles ne résolvent pas ses problèmes financiers.
Dans ce contexte très particulier, en septembre 1981, les obser-
vateurs avertis du Vatican sont tout simplement sidérés quand le
pape nomme Marcinkus pro-président de la Commission pontificale
pour l’État de la Cité du Vatican, c’est-à-dire administrateur de la
Cité, avec rang d’archevêque. Ce surcroît de responsabilités signifie
au reste du monde que le pape n’a décidément pas l’intention de
lâcher son grand argentier… Et en mars 1982, Marcinkus proclame
publiquement son soutien à Calvi dans une interview à l’hebdoma-
daire Panorama. « Calvi mérite notre confiance », affirme-t-il, expli-
quant que le Vatican n’a aucune intention de vendre sa participation
dans l’Ambrosiano.
Pour sauver son groupe, Calvi a besoin d’un nouvel actionnaire :
il envisage de faire entrer le financier turinois Carlo De Benedetti,
qui jouit d’une bonne réputation. Le Turinois se montre intéressé
par la perspective d’entrer au capital de l’Ambrosiano pour un mon-
tant raisonnable et devenir le numéro 2 de la société, successeur
putatif de Calvi. L’affaire est conclue fin 1981, mais dès les premières
semaines, il devient évident que cela ne marchera pas. Calvi ne laisse
à De Benedetti l’accès à aucune information sensible. Dès janvier
1982, l’association est rompue.
La CONSOB, le contrôleur des marchés italiens créé après la fail-
lite de Sindona, veut obliger Calvi à publier des informations détail-
lées sur sa banque, en la faisant coter à la Bourse de Milan. Calvi
temporise. De plus en plus nerveux, il s’entoure de gardes du corps et
porte une arme en permanence. Le 27 avril, un de ses adjoints reçoit
1. Ibid.
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l’ordre, créée en 1972. Cette fondation recueille des dons qui sont
investis dans diverses affaires. Les dividendes financent une revue,
des logements d’étudiants, des foyers de jeunesse et un centre de
séminaires. Wiederkher est un personnage controversé. Thierry
Oberlé le présente ainsi :
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1. Citée par Robert Hutchinson, Their Kingdom Come. Inside the Secret World of Opus Dei,
St. Martin’s Griffin, 2006.
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Arrangement à l’amiable
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Votre Excellence,
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Loi martiale
La menace d’une intervention soviétique, rapportée par le colo-
nel Kukliński à la CIA, pèse depuis la fin 1980. Elle reste cependant
virtuelle car l’Armée rouge est déjà très occupée en Afghanistan et les
retombées internationales en termes d’image pour l’URSS seraient
catastrophiques. Le nouveau pouvoir est fortement incité à procla-
mer la loi martiale. Le KGB rapporte que la présence des services
secrets occidentaux en Pologne s’intensifie : les services secrets de
l’OTAN seraient en train de noyauter Solidarité ! Aucune archive
aujourd’hui disponible ne permet de l’attester, même si plusieurs ser-
vices occidentaux comme la DGSE française ont noué des contacts
avec le syndicat. Dépourvu de poste permanent à Varsovie, le service
infiltre des observateurs par divers moyens, à leurs risques et périls :
une équipe de trois officiers du service Action qui franchissent à pied
la frontière depuis la Tchécoslovaquie est repérée lors de son arrivée
dans une petite ville. Les hommes sont sauvés par un curé qui les
cache dans sa sacristie. Après quelques voyages, le service dispose de
points d’appui dans le pays et tisse des liens avec Solidarité, devenu
un mouvement clandestin1, raconte l’ancien directeur des services
1. Cf. Pierre Marion, La mission impossible. À la tête des services secrets, Calmann-Lévy, 1991.
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L’axe Rome-Washington
Ronald Reagan fulmine contre l’instauration de la loi martiale en
Pologne, dont il rend les Soviétiques responsables. Il décide immé-
diatement de sanctions économiques contre la Pologne. Il donne
instruction au patron de la CIA William Casey et à Vernon Walters
de transmettre au pape une masse de renseignements des services
américains sur la Pologne, bientôt complétée par des dossiers sur les
pays que Jean-Paul II ira visiter. Le pape se trouvera presque aussi
bien informé que le président des États-Unis.
À partir du printemps 1981 et jusqu’en 1987, le pape reçoit pas
moins de 15 visites du tandem Casey-Walters. Walters est un catho-
lique de la vieille école. Costaud, bavard, il est doué pour les lan-
gues et impressionne beaucoup d’interlocuteurs, même si certains le
trouvent un peu creux. Il a servi d’interprète à plusieurs présidents,
1. Carl Bernstein et Marco Politi, Sa Sainteté Jean-Paul II et l’histoire cachée de notre époque,
op. cit.
2. Jonathan Kwitny, Man of the Century. The Life and Times of Pope John Paul II, Little,
Brown & Company, 1997.
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1. 24 février 1992.
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été largement repris dans la plupart des livres sur le sujet. Or, comme
on l’a vu, Solidarité n’a pas attendu l’été 1982 pour développer des
presses clandestines et une radio. Plusieurs témoins cités dans l’ar-
ticle comme le cardinal Krol ou l’archevêque Dąbrowski (devenu
adjoint du primat Glemp) démentent formellement le rôle qui leur
est prêté. De même, les nombreux responsables de Solidarité qu’a pu
interviewer le journaliste Jonathan Kwitny réfutent cette thèse. Ainsi
le père Miroslaw Chojecki, une des figures du mouvement polo-
nais clandestin, affirme avoir sollicité cette semaine-là un membre
du cabinet Reagan… et s’être fait éconduire ! Et les responsables de
journaux clandestins n’ont pas non plus vu la couleur de l’argent de
la CIA… La vérité est que le soutien direct à Solidarité dans les pre-
mières années est venu non pas de la CIA mais du Vatican directe-
ment. Il semble que les anciens de l’administration Reagan ont voulu
apparaître aux yeux de l’histoire comme des premiers rôles dans l’his-
toire de la chute du communisme en Pologne. Le problème est qu’ils
évoquent des actions tellement secrètes qu’elles n’ont donné lieu à
aucune note écrite, ce qui est bien pratique ! S’il y a un premier rôle
en 1982, c’est sans conteste Jean-Paul II, qui en plus de sa fonction
s’est transformé en chef de réseau.
Le père Adam Boniecki, rédacteur en chef de l’édition polonaise
de L’Osservatore Romano, est un des émissaires du pape auprès de
l’organisation clandestine de Solidarité. Il les assure du soutien du
Saint-Père tout en les incitant à ne pas faire usage de la force. Le
mouvement est rassuré sur l’approbation et la compréhension du
pape. Les aides conjuguées lui permettent de se réorganiser et de se
développer. La résistance privilégie comme moyens d’action les jour-
naux et revues clandestins. En août 1982 on recensera 250 publica-
tions clandestines.
Le soutien à Solidarité devient une affaire européenne. Solidarité
installe son QG européen à Bruxelles et reçoit une contribution de
1,6 million de dollars d’un groupe de syndicats français. Wanda
Gawronska, une Polonaise établie de longue date à Rome et intro-
duite dans la bonne société, persuade des leaders politiques italiens
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L’empire contre-attaque
À compter de l’état d’urgence, les services de l’Est sont pleinement
mobilisés contre Solidarité et les réseaux du pape qui l’alimentent. Ils
se trompent provisoirement sur le soutien de la CIA, qui mettra du
1. Frances Stonor Saunders, Who Paid the Piper? The CIA and the Cultural Cold War,
Granta Books, 1999.
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services européens, ce qui fait que les Français ne sont pas officiel-
lement tenus au courant. Toutefois la DST n’est pas complètement
ignorante de ce que font les Américains. Deux exceptions sont faites
au profit du MI6 et du Mossad. Ce dernier a encore de bons réseaux
en Europe de l’Est et aide à faire entrer des matériels en Pologne.
La première recrue de l’opération de la CIA est un émigré polo-
nais, Broda, nom de code qrguide. Né en Pologne, il a rejoint les pre-
miers mouvements d’opposition à la fin des années 1960. Il imprime
et distribue des éditions clandestines de livres et de revues avec des
machines installées chez lui. Il recrute plusieurs artisans imprimeurs.
Dans les années 1970, le SB le surveille et perquisitionne à plusieurs
reprises son domicile.
La loi martiale est instaurée pendant qu’il se trouve à l’étran-
ger : il décide de ne pas revenir en Pologne et de s’établir à Paris.
L’homme est sincèrement désireux de soutenir Solidarité. Il accepte
l’argent d’un « mécène », sans connaître son appartenance à la CIA,
ce qui lui permet d’acheter du matériel d’impression, des fax, etc.
Les fonds sont distribués officiellement à titre privé, pour des raisons
idéologiques.
À la mi-83, une vingtaine d’agents sont recrutés via qrguide.
L’année suivante, ils seront une trentaine. Les expéditions de maté-
riel et d’argent suivent les routes du marché noir, mais la CIA ne
connaît pas le détail des filières. qrguide a un arrangement avec un
homme d’affaires turc qui détient une manufacture textile près de
Varsovie. Le Turc achète des peaux de brebis en Italie pour fabriquer
des manteaux. Quand ses camions arrivent en Allemagne de l’Ouest,
ses ouvriers ajoutent aux chargements le matériel pour Solidarité.
Dans les ports de la côte nord de la Pologne, des marins font donc
passer du matériel de propagande. De par sa position géographique,
et parce qu’elle bénéficie d’un traité commercial avec la Pologne, la
Suède est beaucoup utilisée, puisque entre 25 % et 50 % des cargai-
sons expédiées en Pologne transitent par ses ports. En 1983, Casey
décide de prévenir le Premier ministre suédois Olof Palme. Le pays
se veut neutre mais Palme accepte que sa police « regarde ailleurs »
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pendant que l’on charge les cargaisons destinées à Solidarité sur les
bateaux.
L’Agence utilise les services d’un contrebandier suédois d’origine
polonaise basé à Malmö. Marian Kaleta avait déjà créé une société
des amis de Kultura pour diffuser la revue au sein de la commu-
nauté polonaise et distribuer une partie du tirage en Pologne. Il
met son réseau de contrebandiers au service de la Cause. De son
côté, qrguide recrute de nombreux voyageurs (touristes, monta-
gnards, universitaires…) pour convoyer de petites sommes d’argent
en Pologne. Une grande créativité est déployée pour le transport de
divers matériels. L’encre d’impression est ainsi dissimulée dans des
bouteilles de sirop. Le bureau de Mayence de Solidarité utilise des
péniches transportant du charbon et des métaux.
Début 1983, la police polonaise et des unités du renseignement
effectuent des descentes dans tout le pays. Des ateliers d’impression
sont saccagés, des opérateurs arrêtés, des stocks de tracts saisis. La
télévision diffuse des images de ces saisies et dénonce l’implication
des pays de l’Ouest dans la livraison de ces matériels.
Le SB déploie beaucoup d’efforts et parvient à infiltrer un de
ses agents au sein d’un réseau maritime qui relie la Suède à la
Pologne, et qui est démantelé. Le SB et le KGB sont désormais
persuadés de l’implication de la CIA, mais ils ne peuvent pas le
prouver. Le KGB décide d’envoyer en renfort un grand contingent
d’officiers parlant polonais à l’ambassade soviétique de Varsovie et
au sein des consulats de Gdańsk, Cracovie, Poznań et Szczecin.
D’autres agents jouent aux touristes et tentent d’entrer en contact
avec Solidarité.
Pendant l’année qui suit l’établissement de la loi martiale, le SB
identifie plus de 700 groupes clandestins d’opposition, procède à
plus de 10 000 arrestations, place des milliers de familles sur écoutes,
recrute partout des informateurs. La contrebande de matériels four-
nis par la CIA devient de plus en plus difficile : la police saisit un
camion réfrigérant doté d’un compartiment secret et la prise est
exhibée à la télévision.
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Le système craque…
En 1983 a lieu le deuxième voyage du pape en Pologne. L’ambiance
du pays est morose. L’économie est durement atteinte par les sanc-
tions de l’Ouest. L’Église polonaise suit une ligne prudente sous la
férule de Glemp. La visite doit être exclusivement religieuse. Le pape
sait qu’elle va donner le ton pour les Polonais : relâcher la lutte ou
l’intensifier ?
Jaruzelski essaie d’acheter la paix civile en accordant à tour de bras
des permis de construire de nouvelles églises. Il attend du pape qu’il
neutralise la faction la plus extrémiste de Solidarité. Le pape plaide
pour mettre fin à la loi martiale et rétablir les droits définis dans l’ac-
cord de Gdańsk. De fait, la loi martiale sera levée un mois plus tard.
Le 27 février 1985, le Vatican reçoit le ministre des Affaires étran-
gères soviétique Andreï Gromyko. C’est un vétéran : il a fait partie
de tous les gouvernements depuis Staline. Il propose une ouverture
inattendue : l’URSS aimerait discuter de l’établissement de relations
diplomatiques avec le Saint-Siège. Jean-Paul II ne le sait pas encore,
mais Tchernenko est en train de mourir et Gorbatchev va bientôt
lui succéder.
Peu après sa nomination comme secrétaire général, Gorbatchev
se rend à Varsovie et s’entretient pendant cinq heures avec Jaruzelski.
Les deux hommes parlent du système soviétique et de sa nécessaire
évolution, puis discutent la question de l’Église et de Wojtyła, dont
Jaruzelski parle de façon positive, affirmera-t-il plus tard. Le lea-
der polonais se rend compte qu’il y a du changement au sein du
bloc soviétique. Jaruzelski informe Glemp de ses échanges avec
Gorbatchev et se dit qu’il pourrait servir d’intermédiaire entre le
pape et Gorbatchev. Le pape voit en Gorbatchev « un homme de
bien », qui échouera probablement à réformer le communisme, tout
en priant pour sa réussite. Il confiera au père Mieczyslaw Maliński,
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sont liés à cet héritage, en particulier pour ceux qui ont dû faire
des sacrifices pour lui. » Ce passage électrise la foule. Cette visite
catalyse la renaissance de Solidarité et ouvre la voie à une ver-
sion polonaise de la perestroïka. Les Polonais prennent conscience
que la fin du pouvoir communiste est proche. Le régime semble
dépassé.
Des négociations de désarmement sont engagées entre
Gorbatchev et Reagan. Mais cela n’empêche pas la CIA de pour-
suivre ses actions de déstabilisation. À partir de juin 1987, une
nouvelle technologie conçue par les laboratoires de l’Agence per-
met de détourner des programmes télévisés et d’incruster des mes-
sages à l’écran à la gloire de Solidarité ou appelant à écouter telle
radio à telle heure, dans un rayon de 1,5 km autour de l’émetteur
clandestin. Au bout de quelques minutes, un camion de la police
surmonté d’une parabole arrive pour détecter l’origine du pira-
tage. La multiplication de ces actions partout en Pologne est une
humiliation pour le régime.
En 1986-1987, la CIA « met le paquet » sur l’infiltration de cas-
settes vidéo, de disquettes informatiques et de micro-émetteurs. Le
pouvoir polonais estime que près de 10 millions de cassettes sont
en circulation. Le pays compte désormais plus de 15 000 antennes
permettant de recevoir des programmes diffusés par satellite1. Le
KGB fulmine contre la Pologne, désignée comme le maillon faible
des pays de l’Est. Le chef du KGB Victor Chebrikov incite le SB à
recruter plus d’informateurs et renforce la présence de ses équipes
sur place. On essaie de brouiller les émissions de Radio Free Europe.
Les contrôles inopinés se multiplient dans les ports et aux postes-
frontières, ce qui permet d’accroître les saisies de matériels clandes-
tins. Il devient évident que la police polonaise dispose de plus en
plus souvent d’informations précises sur les arrivées de cargaisons
clandestines.
1. Cf. Seth G. Jones, A Covert Action. Reagan, the CIA and the Cold War Struggle in Poland,
op. cit.
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Fin de partie
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1. Cf. Wolk, « To Limit, to Eradicate or to Control ? The SB and the ‘Second Circulation’,
1981-89/90 », in Gwido Zlatkes, Pawel Sowiński et Ann M. Frenkel, Duplicator
Underground. The Independent Publishing Industry in Communist Poland, 1976-89, Slavica
Publishers, 2016.
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Les nouveaux défis
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1. Cf. Paul Moses : « Vatican Diplomacy and the Irak War », Commonweal Magazine,
13 janvier 2020, https://www.commonwealmagazine.org/vatican-diplomacy-iraq-war
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Menaces islamistes
La diversité des situations géopolitiques et des approches au sein
de la curie empêche le Vatican de développer une stratégie unifiée
sur les rapports avec les pays de religion islamique. Le Vatican s’est
par exemple doté d’un petit commando de prêtres itinérants qui se
rendent en Arabie saoudite, sous couverture d’hommes d’affaires,
banquiers, ingénieurs… pour célébrer des messes en secret et admi-
nistrer les sacrements aux catholiques, toujours dans des lieux privés.
L’Opus Dei a aussi des visiteurs dans la région. L’œuvre est considé-
rée par les services saoudiens comme la police secrète du pape. Son
projet de réévangélisation est vu comme l’équivalent du travail de
réislamisation des Frères musulmans…
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Mais Aida n’est pas satisfaite : elle fait demander qui réside dans cet
appartement. Lorsqu’on l’informe qu’il s’agit de deux Arabes, elle
repense au rapport de renseignement qui a circulé fin 1994 sur la
possible venue d’un groupe terroriste du Moyen-Orient. Et ordonne
une perquisition. Dans l’appartement, on découvre : des photos de
Jean-Paul II punaisées sur un tableau, une bible, une soutane de
prêtre, un ordinateur portable et tout le nécessaire pour fabriquer
une bombe. L’un des occupants de l’appartement n’était autre que
Ramzi Youssef, le cerveau des attentats du World Trade Center en
1993. Mais la police philippine ne parvient pas à le retrouver. En
revanche, son complice, Adbul Hakim Mourad, est arrêté quelques
heures plus tard lorsqu’il retourne à l’appartement. Il avait com-
mis l’imprudence de quitter les lieux en laissant en l’état le mélange
liquide préparé pour la bombe, qui s’est mis à émettre de la fumée.
Les Philippins alertent le FBI qui dépêche une équipe. Du côté
du Vatican, tout doit continuer comme prévu. Rien ne filtre dans la
presse avant l’arrivée du pape. Le groupe philippin de sécurité pré-
sidentielle, chargé de la protection rapprochée du pape pendant sa
visite, est sur les dents, car rien ne garantit qu’il n’y avait pas d’autres
attaques prévues pour l’occasion. Tout se passe pour cette fois sans
encombre. Mais c’est une première, le terrorisme islamiste a repré-
senté une menace concrète sur la vie du pape. D’autres complots
suivront…
En 1997, un réseau d’espions iraniens place une bombe sous le
pont que doit traverser le pape lors d’une visite en Bosnie : 20 mines
antitanks sont découvertes par la police avant le passage du convoi.
La même année, des membres du Hezbollah prévoient de dissimuler
une bombe dans une colonnade de la place Saint-Pierre, près d’un
point de passage régulier de la papamobile. Là encore, le complot est
découvert par la police italienne. Jean-Paul II est resté indifférent à
ces péripéties. Mais personne, à la curie, n’a pensé à envoyer un petit
cadeau de remerciement à Aida Fariscal1…
1. Carmela Fonbuena, « Plot to kill a pope: “Miracle” saved John Paul II in Manila », 13 jan-
vier 2015, Rappler.com
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Tibhirine
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1. Cf. son témoignage à Jean-Baptiste Rivoire, voir aussi Abdelkader Tigha et Philippe
Lobjois, Contre-espionnage algérien : notre guerre contre les islamistes, Nouveau Monde édi-
tions, 2008.
2. Mohammed Samraoui, Chronique des années de sang, Denoël, 2003.
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Les nouveaux défis
La décision d’en finir aurait été prise le 25 avril, alors que l’émis-
saire de la DGSE débutait ses contacts à Alger. Le 30 avril, un homme
qui se dit émissaire du GIA se présente à l’ambassade de France à
Alger. Il est reçu par le chef de poste de la DGSE, Pierre Le Doaré.
Il lui remet une lettre et une « preuve de vie » des moines sous forme
de cassette audio enregistrée le 20 avril, et réclame un « reçu officiel ».
L’agent accepte d’accuser réception des éléments sur papier à en-
tête de l’ambassade et raccompagne son interlocuteur dans Alger, en
voiture de l’ambassade. On n’aura plus de nouvelles de l’émissaire.
Selon l’ex-officier du DRS Karim Moulaï, cette démarche a été mon-
tée par le DRS pour établir qu’en dépit de son discours officiel de ne
pas négocier avec les terroristes, la France a bien cherché à négocier
avec le GIA dans le dos des autorités algériennes.
Ne comprenant pas le silence du GIA, les services français
envoient des émissaires en Tunisie, au Maroc et au Vatican. À la
secrétairerie d’État, on se montre comme toujours très prudent.
Le substitut Mgr Giovanni Battista Re indique à Armand Veilleux
que les Français ne verraient pas d’inconvénient à ce que le Vatican
négocie la libération des moines, mais cela ne va pas plus loin. La
DGSE contacte aussi Sant’Egidio qui essaie de prendre langue avec
les ravisseurs, sans jamais recevoir de réponse. Une cellule de crise est
installée à Oran, avec un négociateur envoyé par le Vatican.
De son côté, Smaïn Lamari manifeste sa fureur devant Yves
Bonnet, l’ancien patron de la DST devenu député et président du
groupe d’amitié parlementaire franco-algérienne, de passage à Alger.
Lamari connaît les moindres détails de la réception par l’ambassade
française d’un émissaire du GIA et estime que la France a court-
circuité son service. Le 23 mai, un communiqué annonce que les
moines ont été exécutés. De son côté, la DGSE a appris que quelques
jours auparavant les militaires ont découvert lors d’une opération
dans les monts de Médéa les têtes des sept moines. Seulement les
têtes…
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1992 fait le point sur les ingrédients du scandale potentiel qui pour-
rait ramener l’IOR à l’époque Marcinkus. À l’évidence, De Bonis
est au cœur des activités controversées de la banque. Le rapport est
adressé au secrétaire particulier du pape, Mgr Dziwisz. Il n’y aura pas
de réponse. On ne sait même pas si le pape en a pris connaissance.
En 1981, au début du règne de Marcinkus, on recensait près de
10 000 comptes détenus par de riches Italiens, contre 2 500 liés à des
personnes ou organismes religieux. Sur les quatre années suivant le
départ de Marcinkus, Caloia identifie près de 400 millions de dollars
de mouvements suspects, en direction de banques suisses et luxem-
bourgeoises. Le problème est que certains mouvements sont effectués
à la demande de personnalités qui ont l’oreille du pape. En 1992, les
procureurs italiens inculpent ainsi une vieille connaissance, l’évêque
slovaque Pavel Hnilica, ainsi que le flamboyant Flavio Carboni. La
police a découvert des chèques en blanc signés par Hnilica sur un
compte de l’IOR. Carboni aurait reçu l’équivalent de 2,8 millions de
dollars en échange de l’attaché-case de Calvi1. Que faire d’un client
aussi « sensible » que Hnilica ? On essaie de se renseigner discrète-
ment via la secrétairerie d’État, qui a déjà des doutes sur le person-
nage. Dans les années 1980, Hnilica a fréquenté assidûment la ville
de Medjugorje en Bosnie-Herzégovine, un sanctuaire important sur
la route des pèlerins depuis l’apparition supposée de la Vierge Marie
en 1981. Les prêtres franciscains installés là reçoivent un volume
important de donations que Hnilica aurait canalisées au profit de
la lutte anticommuniste. Sauf qu’en réalité l’argent est parti vers les
États-Unis et on ne sait guère ce qu’il est devenu…
Le problème est qu’il est dangereux de s’attaquer au patron de
Pro Fratribus, qui depuis les années 1960 fait tant pour les Églises
de l’Est et qui charme le pape par le récit de ses exploits. Début
1984, Hnilica entend ainsi l’appel de Jean-Paul II aux évêques du
monde entier de prier avec lui le 25 mars pour la Russie, au nom de
la Vierge Marie. Se trouvant alors en Inde, il sollicite un visa auprès
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faut dissimuler dans les comptes. Mais en 1990, les Ferruzzi et les
dirigeants d’ENI ne s’entendent plus et conviennent un rachat par
ENI des parts de Montedison dans le groupe. Cette nouvelle opéra-
tion requiert de nouveaux pots-de-vin, pour plus de 100 millions de
dollars. On arrose tous les partis politiques, deux anciens Premiers
ministres, des hauts fonctionnaires, etc.
Dans ce dossier apparaissent Mgr Donato De Bonis et Luigi
Bisignani, un journaliste ancien membre de la loge P2, ami de
Marcinkus et d’Andreotti. Ils sont chargés d’apporter à la famille
Ferruzzi les services de l’IOR : il s’agit de convertir de l’argent occulte en
bons du Trésor italien en ouvrant un compte pour la famille Ferruzzi,
sous un prétexte caritatif. Entre 1991 et 1992, le compte est alimenté
à hauteur de 100 millions de dollars. L’argent est ensuite envoyé en
Suisse et au Luxembourg pour être converti en bons du Trésor. Au
passage, l’IOR prend une commission de 7 millions de dollars.
Toute l’affaire est dévoilée dans le cadre de l’opération « Mains
propres » conduite par un groupe de magistrats sous la direction
d’Antonio Di Pietro. Au total, 127 personnes sont mises en cause,
à commencer par De Bonis que la presse italienne a surnommé
« Mgr Montedison ». Cette fois le président de l’IOR Caloia accepte
de coopérer avec la justice italienne. La position officielle est que la
bonne foi du Vatican a été abusée. Ceci étant, il est inquiétant que
personne ne se soit posé de questions sur un compte récemment
ouvert qui recevait jusqu’à 100 millions de dollars de dépôts !
L’affaire pétrifie la classe politique. En prison, le patron d’ENI
préfère se suicider. Caloia apprend que dans cette affaire, 4 millions
de dollars ont été versés sur le compte de la Fondation Spellman.
Plus préoccupant encore, près de 75 % des pots-de-vin sont pas-
sés par un compte détenu par un cadre de Montedison au sein de
l’IOR… ce dernier est un proche de De Bonis. Une fois de plus la
justice italienne demande des comptes au Vatican.
Le secrétaire d’État Sodano estime que fournir quelque rensei-
gnement que ce soit à la justice italienne reviendrait à ouvrir la boîte
de Pandore et à déclencher des réactions en chaîne qui pourraient
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Liaisons dangereuses
Il serait toutefois trop facile d’analyser cette porosité de l’IOR
vis-vis de l’argent mafieux comme le résultat d’une « simple » dérive
affairiste incarnée par Marcinkus, De Bonis et quelques autres. Le
problème est plus ancien : il se trouve que l’Église ET la Mafia sont
des réalités historiques incontournables en Italie. Et que depuis la fin
de la guerre, l’Église a eu d’autres priorités que de combattre le crime
organisé. Une anecdote permet de mieux comprendre le problème.
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1. Allusion au « divin Jules » César. Autres surnoms qui lui ont été attribués : « Moloch »,
« Sphinx », « Pape noir », ou encore Zu’Giulio (l’oncle Giulio, dans l’argot de la Mafia). On
ne saurait trop recommander le film Il Divo de Paolo Sorrentino (2008) avec Toni Servillo
dans le rôle d’Andreotti.
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1. Ibid.
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1. Op. cit.
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1. Jean-Louis Briquet, Mafia, justice et politique en Italie. L’affaire Andreotti dans la crise de
la République (1992-2004), Karthala, 2007. Voir aussi : « Justice et politique dans la crise
de la “première République” italienne. L’affaire Andreotti (1992-2004) », Les Cahiers de la
justice, 2012. Consultable sur HAL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00875781/
document
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1. John Follain, City of Secrets. The Startling Truth Behind the Vatican Murders, Harper
Collins, 2004.
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Maman,
J’espere que tu me pardonnera car ce que j’ai fait ce sont eux qui
m’ont pousser. Cette année je devais reçevoir le bénémerenti et
le lieutenant colonel me l’a refuser. Après 3 ans 6 mois et 6 jours
passer ici à suporter toute les injustice la seule chose que je vou-
lais il me l’ont refuser. Je dois rendre se service à tous les gardes
restant ainsi qu’à l’église catholique. J’ai jurer de donner ma vie
pour le pape et c’est ce que je fais. Je m’excuse de vous laisser
tout seul mais mon devoir m’appelle. Dis à sarah, Melinda et
Papa que je vous aime tous.
Gros Bisous à la plus Grande Maman du Monde.
Ton fils qui t’aime2.
1. Selon Frédéric Martel, pendant la veillée funèbre, les cercueils du couple et celui de Cédric
Tornay ont été exposés ensemble. C’est le cardinal Sodano qui aurait « décidé de faire placer
les trois cercueils côte à côte lors de la veillée funèbre. À égalité. Dans un même recueillement
et hommage. Étrange décision au demeurant, décision incompréhensible même. Imagine-
t-on une veillée funèbre où après un attentat, on placerait côte à côte la victime et son meur-
trier, le terroriste et ses victimes ? Car si le commandant de la garde suisse a été assassiné par la
jeune recrue accusé du meurtre, de folie et de consommation de drogue, pourquoi leur rendre
hommage en même temps ? Cette décision symbolique est plus qu’un aveu. Indique-t-elle
une étincelle d’humanité de Sodano au dernier moment, sinon la peur d’aller au purgatoire
pour un mensonge ou un crime ? Un hommage commun aux trois victimes n’était-il pas
une option seulement et seulement si le cardinal Sodano et Mgr Re connaissaient la vérité
sur l’innocence de Cédric Tornay ? » https://www.franceinter.fr/culture/l-etrange-mort-de-
deux-gardes-suisses-a-l-interieur-du-vatican-un-texte-inedit-de-frederic-martel
2. Cf. l’émission de la RTS, « Zone d’ombre », 2 novembre 2011.
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Meurtres au Vatican
aurait tiré mais l’aurait manquée (la balle allant se nicher par la porte
ouverte de l’appartement dans la porte de l’ascenseur sur le palier).
Une quatrième balle aurait touché Meza Romero. Tornay se serait
alors agenouillé et aurait retourné le canon de l’arme dans sa bouche
avant de presser la détente.
Le rapport propose comme cause de ce carnage un « kyste de la
taille d’un œuf de pigeon découvert dans son cerveau lors de l’au-
topsie [de Tornay] ». Il mentionne aussi des traces d’un dérivé du
cannabis dans ses urines. Ce qui permet d’avancer l’hypothèse d’une
consommation régulière qui aurait conduit à des accès de paranoïa.
Cette affirmation est doublement imprudente : en cas de consomma-
tion régulière, on aurait trouvé des traces dans le sang de Tornay, ce
qui n’est pas le cas. Et tous les toxicologues savent que le cannabis ne
rend pas agressif. Enfin, le rapport indique que Tornay souffrait lors
de sa mort de bronchite, ce qui l’aurait rendu « vulnérable » et sujet à
des crises de rage… Pour le Vatican, c’est une affaire classée.
Le journaliste John Follain, correspondant du Sunday Times à
Rome lors de l’affaire, est celui qui a enquêté le plus longuement
et rigoureusement sur cette affaire. La mère de Cédric Tornay,
Muguette Baudat, est persuadée que le Vatican dissimule des élé-
ments. Elle met en doute l’authenticité de la lettre. Selon Me Luc
Brossollet, l’avocat de la famille Tornay, il s’agit d’un faux. La lettre
n’est pas signée. L’écriture était facile à imiter, mais les majuscules
semblent distribuées au hasard (« pape »). Certaines fautes sont inha-
bituelles (Reçevoir). La lettre est adressée à « Muguette Chamorel »
(nom de son second mari, qui figure dans les dossiers du Vatican) et
non Baudat comme il le faisait d’habitude. Le décompte du temps
passé au Vatican est faux (un mois de trop), ce qui peut venir du
dossier. En français on n’ajoute pas d’accent à Benemerenti1 mais un
Italien peut penser qu’il en faut, pour correspondre à la prononcia-
tion « é »…
1. Benemerenti : médaille décernée pour trois ans de service dans la garde suisse.
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1. In John Follain, City of Secrets. The Startling Truth Behind the Vatican Murders, op. cit.
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1. Victor Guitard, L’agent secret du Vatican. Histoire d’un complot : les révélations de
Giovanni Saluzzo, Albin Michel, 2004.
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Il existe une piste plus sérieuse, dont le Vatican n’a jamais fait
mention. Pour un simple prétexte (avoir fait le mur une nuit pré-
cédente), Tornay s’est vu exclure par Estermann des bénéficiaires
de la médaille pour trois ans de service (Benemerenti), qu’il devait
recevoir quelques jours plus tard, et expulsé de la garde. Une telle
sanction aurait ruiné ses chances sur le plan professionnel. Dans
le même temps, on apprenait qu’Estermann était nommé chef des
gardes suisses. Nicolas Beytrison, un ex-garde, commente : « Faire
découvrir à Tornay à la dernière minute qu’il n’aura pas sa médaille
est typique du genre de choses que font les Suisses allemands. »
Peu avant le drame, Tornay avait rédigé un brouillon de lettre
de démission. Il y faisait état des persécutions des gardes suisses alé-
maniques. Le jour des crimes, il a confié la lettre pour sa mère au
garde Claude Gugelmann, qui a quitté Rome juste après et confie :
« Peu après la mort de Tornay, j’ai parlé de la lettre avec Jehle. Je lui
ai dit que j’avais donné ma parole. Mais Jehle est allé tout droit voir
le juge Marrone, l’enquêteur, et lui a tout raconté. J’étais furieux.
Jehle n’aurait rien dû dire à personne. OK, c’est vrai qu’on n’était
pas dans un confessionnal, mais pour moi notre conversation avait
la même valeur. Jehle a abusé de ma confiance. Jehle et Marrone
m’ont convoqué au bureau du commandant et menacé de dévaster
ma chambre si je ne leur confiais pas tout de suite la lettre. »
Un autre ancien garde, David Tissières, né dans la même ville
que Tornay et qui avait prêté serment le même jour que lui, va
dans le même sens : « La médaille signifiait beaucoup pour lui parce
qu’il voulait rentrer en Suisse la tête haute. C’était de l’orgueil mais
c’était compréhensible car il avait eu une enfance difficile et il vou-
lait que ses années à Rome soient un succès, une réussite. Il voulait
prendre un nouveau départ, se prouver quelque chose à lui-même.
Mais Estermann était toujours en train de le harceler. » Il précise :
« Estermann n’est pas la seule personne contre qui je suis en colère.
Il y a aussi Mgr Jehle. J’ai entendu qu’il a refusé de recevoir Tornay
après la messe du soir, deux heures avant le drame. Cela ne me sur-
prend pas : Jehle était censé être notre confident, la personne qu’on
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servir à quoi que ce soit. Vous ne pouvez plus vous concentrer et tout
ce que vous faites, c’est mettre en danger celui que vous êtes censé
protéger. »
Aujourd’hui encore, on ne peut être totalement certain que
Tornay a bien craqué nerveusement et tué les époux Estermann,
avant de se suicider. Il est seulement établi que toutes les conditions
étaient réunies pour cela. Et que le traitement de l’affaire par la secré-
tairerie d’État empêche sans doute à jamais de découvrir la vérité.
Mais, à tout prendre, le cardinal Sodano préférait de loin la critique
au déshonneur. Hélas pour lui, il a récolté les deux.
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Les errances du crépuscule
1. John Follain, City of Secrets. The Startling Truth Behind the Vatican Murders, op. cit.
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Un Mexicain à Jersey
Il n’est pas question de rouvrir ici tout le dossier de la pédophilie
dans l’Église nord-américaine. Rappelons que dès 1984, un prêtre
de Louisiane, Gilbert Gauthe, avait été arrêté pour atteintes sexuelles
sur enfants. À partir de cette affaire, un journaliste local, Jason Berry,
avait mis en évidence un problème structurel qui s’étendait bien au-
delà de la Louisiane. Il publia dès 1992 une enquête importante, dix
ans avant que le sujet ne fasse les gros titres de la presse nationale1.
En février 2004, un rapport du John Jay College of Criminal Justice
à New York, réalisé avec l’accord de la Conférence des évêques des
États-Unis, conclura que 95 % des diocèses américains ont connu au
moins un cas d’enfant abusé par un prêtre depuis 1950. Le rapport
précise qu’une grande partie des prêtres abuseurs ont eux-mêmes été
abusés étant enfants et qu’une partie d’entre eux souffre d’alcoolisme
ou de problèmes psychologiques non traités. Alors qu’ils auraient eu
besoin d’un suivi médical, on ne leur a offert qu’un « suivi spirituel ».
Le point le plus cruel du rapport est que l’Église américaine a alors
dépensé plus d’argent en frais d’avocats pour sa défense que pour
traiter les problèmes des prêtres défaillants depuis cinquante ans.
En mars 1993, une délégation d’évêques américains est reçue par
Jean-Paul II au Vatican. Ils sont venus demander une plus grande
autonomie pour limoger des prêtres pédophiles. « Mes chers évêques,
répond le pape, j’ai vécu toutes ces années sous le communisme. Je
ne vais pas laisser ça entrer dans l’Église. » Par cette réponse, Jean-
Paul II assimile la procédure accélérée que réclament les évêques au
1. Jason Berry et Gerald Renner, Vows of Silence. The Abuse of Power in the Papacy of John
Paul II, Free Press, 2010.
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Les errances du crépuscule
mépris des droits des prêtres par les régimes totalitaires. Le vaticaniste
Jacek Moskwa, dans un entretien avec Frédéric Martel1, explique
ainsi le blocage psychologique du pape sur ce sujet : « N’oubliez pas
le contexte : avant 1989, les rumeurs d’homosexualité et de pédo-
philie étaient couramment utilisées par les services secrets polonais
pour discréditer les opposants au régime. Habitués aux chantages et
aux manipulations politiques, Jean-Paul II et son assistant Dziwisz
n’ont jamais voulu croire à aucune de ces rumeurs. Leur mentalité
était celle de la forteresse assiégée : des ennemis de l’Église tentaient
de compromettre les prêtres. Il fallait donc se montrer solidaires,
coûte que coûte. » Qui plus est, le pape considère ces actes comme
des péchés, plutôt que comme des crimes. Cette approche des actes
pédophiles comme des fautes morales a été celle de bien des évêques
et peut expliquer en partie le retard pris pour traiter le problème2.
N’ayant eu aucun contact avec les victimes, Jean-Paul II n’a pas
suffisamment pris en compte leur point de vue. Ses défenseurs3
ont expliqué que tout cela était la faute des évêques américains qui
avaient fait trop peu, trop tard, et qui ne l’avaient pas correctement
informé. Cette position ne tient pas. Si mauvaise information il y
a eu, c’est aux collaborateurs directs du pape qu’il faut reprocher
d’avoir filtré les rapports.
Le cas le plus exemplaire, le plus édifiant, est celui des accusations
portées contre le père fondateur de la Légion du Christ, Marcial
Maciel Degollado. L’importance prise par Maciel dans l’Église catho-
lique a été mise en lumière par le premier voyage de Jean-Paul II au
Mexique. En 1979, le président mexicain Portillo a beau être athée
et même anticlérical, il ne tarit pas d’éloges pour Maciel. Il faut dire
que ses deux sœurs sont collaboratrices du Regnum Christi, l’organi-
sation laïque de la Légion du Christ. L’une d’elles est même la secré-
taire personnelle de Maciel. À l’image des légionnaires de l’époque,
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latine sont flanqués pendant leur séjour à Rome d’un jeune prêtre
chargé de les espionner. En 2004, alors que les affaires de pédophi-
lie dans l’Église remplissent les journaux et que la presse du monde
entier a évoqué les accusations portées contre Maciel, ce dernier
reçoit la permission de fêter en grande pompe le 60e anniversaire de
son ordination… en présence du pape ! Ce dernier est alors très mar-
qué par la maladie de Parkinson. Jean-Paul II vit ses derniers mois.
Il est opéré deux fois en février 2005. Il subit une trachéotomie pour
lui permettre de respirer. À ce moment, Ratzinger décide de faire
avancer le dossier : la Congrégation pour la doctrine de la foi désigne
son « promoteur de justice », le cardinal Charles Scicluna, pour ins-
truire l’affaire Maciel. Cette fois, les victimes sont auditionnées, ainsi
que de nombreux témoins. Scicluna n’est pas un enquêteur lambda :
il est le numéro 3 de la congrégation, le procureur à plein temps. Il
opère dans le plus grand secret. Son enquête, débutée dans les der-
nières semaines du règne de Jean-Paul II, s’achève sous un nouveau
pape. Benoît XVI lui octroie des moyens supplémentaires en autori-
sant l’accès aux archives vaticanes, une mesure tout à fait exception-
nelle. Et qui aboutira à un dossier accablant.
Pourtant, à la stupéfaction générale, c’est une décision bien clé-
mente qui est rendue en 2006 : il est décidé de tenir compte de l’âge
avancé et de la santé fragile de Maciel pour renoncer à un procès
canonique en bonne et due forme. Il est simplement invité à mener
une vie réservée de prière et de pénitence, en renonçant à tout minis-
tère public. Cela n’empêche en rien Maciel de poursuivre ses voyages
et sa vie entre plusieurs foyers. Il décède en 2008. À cette occasion,
sa femme espagnole et sa fille se présentent aux obsèques et reven-
diquent leur part d’héritage. Un accord financier est trouvé avec la
Légion et elles repartent en Espagne. Il n’en va pas de même avec la
famille mexicaine de Maciel. L’un de ses fils déclare lors d’une confé-
rence de presse que lui et son petit frère ont subi des abus sexuels
de la part de leur père. Et plusieurs dizaines de prêtres de la congré-
gation sont accusés à leur tour d’abus. Les procès contre la Légion
s’accumulent, ternissant un peu plus son image et semant la division
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1. Jason Berry, Render Unto Rome. The Secret Life of Money in the Catholic Church, op. cit.
2. « Confidant cardinal tells new tales about Pope John Paul›s role in scandal », GlobalPost,
8 novembre 2013.
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1. Jason Berry, « Confidant cardinal tells new tales about Pope John Paul’s role in scandal »,
GlobalPost, 8 novembre 2013.
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L’un d’entre eux vit en Italie sous un faux nom. Dans ses Mémoires1,
la procureure suisse évoque un incident qui l’a rendue « pour le dire
poliment, furieuse » : quand elle demande au Vatican de l’aider à
convaincre le prêtre génocidaire rwandais de se livrer aux autorités,
les responsables l’envoient se cacher ailleurs…
La même scène se rejoue quelques années plus tard. Lors de sa
rencontre avec l’archevêque Giovanni Lajolo, le secrétaire des rela-
tions avec les États, la procureure lui expose qu’un criminel de guerre
croate, un général, se cache selon ses informations dans un monastère
franciscain, et qu’elle a besoin de son aide pour surmonter la préven-
tion de la Conférence des évêques de Croatie, qui semble prendre
le parti du général. Lajolo lui répond qu’il n’a pas autorité sur les
évêques. L’affaire tourne au cauchemar médiatique : « Le Vatican
accusé d’abriter des criminels de guerre », titre le Daily Telegraph
du 20 septembre 2005. Le porte-parole du Vatican réplique que
Mme Del Ponte n’a pas fourni d’éléments assez précis, et que du
reste elle s’est adressée au mauvais service ! La controverse ne s’achève
qu’en décembre de la même année, quand le général est interpellé en
Espagne. Il semble que l’information sur sa présence dans un monas-
tère croate était fausse, ce qui rend encore plus incompréhensible
l’attitude de la curie.
Jusqu’à ce que la guerre éclate, le Rwanda était considéré comme
un des pays les plus christianisés d’Afrique, avec seulement 10 %
de musulmans. Les Hutu formaient 80 % de la population, mais
la moitié du clergé catholique était tutsi. Le génocide a provoqué
une crise de confiance envers l’Église rwandaise. On estime qu’elle
a perdu environ un tiers de ses fidèles, au profit notamment des
protestants.
De nombreux responsables religieux ont tenté depuis lors de
promouvoir une « théologie de la réconciliation ». De son côté le
président Kagame a décrété une « politique nationale de réconcilia-
tion ». Il a fallu attendre 2016 pour que la Conférence des évêques
1. Carla Del Ponte, La traque, les criminels de guerre et moi, Héloïse d’Ormesson, 2009.
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Wojtyła
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1. Nicolas Diat, L’homme qui ne voulait pas être pape, Albin Michel, 2014.
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1. Cf. « Sicily Probe Adds to Vatican Bank Pressure », Financial Times, 3 novembre 2010.
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1. Confidences d’un participant recueillies par Gerald Posner, God’s Bankers, op. cit.
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1. « The Vatican Gendarmerie for a year has intercepted all the curia », Panorama, 28 février
2013. Le porte-parole Lombardi affirmera qu’il « s’agissait d’un petit nombre, peut-être
seulement trois ».
2. Cf. National Catholic Reporter, 15 juin 2012.
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1. Cf. Gerald Posner, God’s Bankers, op. cit., entretien avec un membre anonyme de l’IOR.
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Vatican lorsque des coups de feu ont été tirés depuis une colline
voisine. Les trois autres passagers n’ont subi que de légères blessures.
Les pneus ont été visés méthodiquement, ce qui a retardé l’arrivée
du véhicule à l’hôpital et empêché de sauver l’archevêque. Ce der-
nier est mort sur une table d’opération. La région, dans la province
de Bururi, était sillonnée par les partisans des Forces nationales de
libération, un groupe rebelle. Mais ils n’ont pas revendiqué l’action.
Le Burundi a lui aussi subi les ravages de la guerre ethnique entre
Hutu et Tutsi, qui a fait près de 300 000 morts. Le premier pré-
sident élu du pays, le Hutu Melchior Ndadaye, a été assassiné en
1993. En dépit d’efforts en faveur de la paix, dans lesquels Nelson
Mandela s’est impliqué personnellement, la violence restait omni-
présente en 2003. En novembre, trois factions rebelles hutu accep-
taient de déposer les armes et de se fondre dans l’armée nationale.
Mais une quatrième faction, celle des Forces nationales de libération,
poursuivait le combat. À première vue, Mgr Courtney aurait donc
été une victime collatérale de la guerre civile.
Cependant le dossier est loin d’être aussi simple. La fusillade, qui
a épargné le conducteur et deux passagers sur trois, ne ressemble pas
à une attaque de guérilla, mais à un tir de sniper professionnel. Et les
agents de renseignement occidentaux présents dans le pays estiment
que le nonce a été victime d’un contrat. C’est l’hebdomadaire catho-
lique sud-africain The Southern Cross qui brise le tabou dans son
édition du 9 décembre 2003 : la mort de Mgr Courtney aurait été
« planifiée d’en haut ». Contredisant la version officielle, le journal
met en cause… l’ancien président burundais Pierre Buyoya1 !
L’accusation, gravissime, d’un ancien chef d’État ne fait guère
les gros titres de la presse internationale. The Southern Cross s’ap-
puie sur un dossier rédigé par un journaliste burundais, qui affirme
que son enquête a provoqué la mort de plusieurs membres de sa
propre famille. Selon lui, l’archevêque Courtney était en possession
d’informations sur un autre assassinat, commis en novembre 2001,
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1. https://www.cath.ch/newsf/burundi-l-assassinat-du-nonce-apostolique-michael-cour-
tney-planifie-d-en-haut/
2. Valérie Thorin, « Autopsie d’un meurtre », Jeune Afrique, 16 mai 2005.
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Un constat d’échec
Le 11 février 2013, une nouvelle incroyable fait les gros titres de
la presse mondiale : Benoît XVI démissionne ! La machine média-
tique s’emballe. On dit qu’il a été accablé par un rapport des cardi-
naux chargés d’enquêter sur les Vatileaks mais qui ont surtout exposé
en détail le fameux « lobby gay » de hauts prélats qui, selon eux,
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1. Le 31 octobre 2013.
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d’entre eux, les pères Orlando Yorio et Francisco Jalics, qui avaient
fondé une communauté dans un bidonville, sont kidnappés en mai
1976 par des escadrons de la mort. Ils seront torturés et emprison-
nés pendant cinq mois. Bergoglio fait le siège des responsables de
la dictature pour obtenir leur libération. Il les aide ensuite à quitter
le pays. S’il est évident que Jalics garde une profonde blessure de
ces événements, il a tenu à préciser après l’élection au pontifoncat
que Bergoglio ne l’avait pas dénoncé. Mais le témoignage d’Orlando
Yorio recueilli par Verbitsky est sévère envers Bergoglio qui, devant
le refus des jésuites d’abandonner leurs activités dans le bidonville,
les a suspendus avant leur kidnapping. En 2010, la sœur d’Orlando
Yorio a porté l’affaire en justice.
Les enquêtes menées après le rétablissement de la démocratie
sur les exactions des militaires n’ont pas jugé Bergoglio coupable
de quoi que ce soit. Adolfo Pérez Esquivel, prix Nobel de la paix,
affirme : « Il y a eu des évêques complices sous la dictature, mais
pas Bergoglio. » Alicia Oliveira, première femme argentine à avoir
occupé la fonction de juge au pénal, a témoigné que, quand elle
était dans la clandestinité, Bergoglio l’a transportée dissimulée dans
le coffre de sa voiture. On sait aujourd’hui qu’il a usé de son sta-
tut pour sauver des personnes recherchées par la junte militaire.
L’ouvrage La liste de Bergoglio1 offre les témoignages de dix per-
sonnes sauvées par le jésuite, qui en aurait exfiltré une centaine en
tout via le collège San José de San Miguel, université dont il fut
le recteur à partir de 1980. Il avait mis sur pied une organisation
compartimentée dont chaque membre rendait de petits services
logistiques (hébergement, transport). Même s’il a pu commettre des
erreurs, cette enquête montre qu’il s’est investi et a pris des risques
réels pour sauver des vies
Dans un livre paru en Argentine début 2021, le pape François
s’est confié sur cette période où il aidait « des gens dans la clan-
destinité pour les faire sortir du pays afin de leur sauver la vie ».
1. Nello Scavo, La liste de Bergoglio : sauvés par le pape François durant la dictature, Bayard,
2014.
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Un nouveau style
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termes feutrés mais précis une sorte de « trou noir » financier, dirigé
depuis 2003 par… Paolo Mennini, le fils de celui qui fut le bras
droit de Mgr Marcinkus à l’IOR ! Sous son règne, l’APSA a déve-
loppé une activité de « banque parallèle », ouvrant des comptes à des
particuliers et effectuant ici et là des prises de participations. Quand
on connaît l’histoire financière des années 1970-1990, on imagine
ce qu’a pu être l’accablement du pape prenant connaissance de ces
nouveaux dossiers. Les comptes au nom de personnes physiques ne
sont pas censés exister à l’APSA, sauf circonstances exceptionnelles.
Après examen de la situation, François a confié à une société d’audit,
Promontory, l’analyse de tous les comptes clients de l’APSA1. Une
cinquantaine de clients discutables, représentant 90 comptes actifs,
ont été identifiés. Lorsque le secrétariat pour l’économie a demandé
des précisions à l’APSA sur ces comptes, il s’est vu répondre que les
documents justificatifs avaient été égarés ou détruits ! Paolo Mennini
a été rapidement démis de ses fonctions (en 2013), mais il a continué
pendant un temps à hanter les couloirs de l’APSA…
Au fil des décennies et des scandales, on retrouve les mêmes ingré-
dients : un affairisme omniprésent, des échanges de services avec
l’élite politique et économique italienne, qui ne peuvent plus être
justifiés par la guerre froide. Et la présence de membres des services
secrets italiens. Un exemple ? En 2013 est arrêté Francesco La Motta,
ancien chef adjoint du renseignement intérieur et haut responsable
du ministère de l’Intérieur italien, qui a été fait « gentilhomme de
Sa Sainteté » en 2007. La Motta est accusé d’avoir détourné 10 mil-
lions d’euros d’un fonds pour la rénovation des églises. Accablé par
toutes ces affaires, le pape François déclare que les ordres de cheva-
lerie catholique sont « archaïques, inutiles et préjudiciables » et qu’il
ne nommera plus aucun titulaire. Dernier exemple embarrassant : le
haut fonctionnaire Angelo Balducci, un autre gentilhomme de Sa
Sainteté arrêté en février 2010, passe en jugement pour corruption
en 2013. Chargé d’attribuer des contrats de construction publique, il
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Ratzinger et Bergoglio
Vatileaks 2
Début 2014, François renouvelle le conseil de surveillance de
l’IOR. Seul le Français Jean-Louis Tauran retrouve son poste. Fin
janvier, François décide de remplacer le président ecclésiastique de
l’AIF. En février, il crée un nouveau secrétariat pour les affaires éco-
nomiques, avec à sa tête le cardinal australien George Pell.
En mai, on apprend par l’hebdomadaire Bild que l’ex-secrétaire
d’État Bertone est mis en cause pour avoir poussé le directeur de
l’IOR Gotti Tedeschi à accorder un prêt de 20 millions de dollars à
un ami, producteur de télévision et membre de l’Opus Dei. Le prêt
n’a jamais été remboursé. Bild se demande si l’ami en question n’a
pas reversé une partie de l’argent à quelqu’un…
En juillet, François remplace le directeur de l’IOR von Freyberg
par Jean-Baptiste de Franssu, patron d’une société d’investisse-
ment. La nouvelle équipe de direction va même inclure une femme,
Mary Ann Glendon, une ancienne ambassadrice des États-Unis au
Vatican. En un an, 3 500 comptes sont fermés au sein de l’IOR, mais
il reste beaucoup de comptes détenus par de richissimes particuliers
italiens… Fin 2014, Pell découvre même que la banque détient un
milliard de dollars en cash dont on ignore la provenance et qui ne
figure pas dans les comptes ! Peut-être que les précédents chapitres
de cette histoire permettraient d’apporter des pistes de réponse…
La banque s’attelle à mettre en place un système d’alertes informa-
tiques. Pour chaque catégorie de clients, on estime ainsi le volume
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1. En 2019, le cardinal Pell a été condamné en première instance, pour agressions sexuelles
sur mineurs de moins de 16 ans, à six ans de prison. Son appel a été rejeté. Mais il a effectué
une demande de révision devant la Haute Cour, qui a conclu à son acquittement et sa
libération immédiate en mars 2020, après un an de prison.
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1. Cité par Marco Politi, François parmi les loups, Philippe Rey, 2015.
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Conversations secrètes
L’arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche en janvier 2009
marque un tournant. Obama affirme vouloir prendre un nouveau
départ dans ses relations avec Cuba. Raúl Castro se déclare prêt au
dialogue. Le dégel ne dure pourtant pas. Benoît XVI se rend sur l’île
en mars 2012 et ne manque pas de critiquer l’embargo américain lors
de son discours d’adieu. Après sa réélection en 2012, Barack Obama
veut améliorer les relations avec Cuba car il craint de n’avoir pas
d’autre succès à afficher en politique étrangère. Un nouveau pape,
François, arrive en mars 2013, et il est latino-américain… Après la
mort de Hugo Chavez, il devient clair que le Venezuela ne va pas
continuer indéfiniment à livrer du pétrole quasi gratuit à Cuba et
que seul un rapprochement avec les États-Unis permettrait d’éviter
une grande crise économique.
Les hommes-clés de la secrétairerie sont bien placés pour trai-
ter ce dossier. Le numéro deux, Giovanni Becciu, a été nonce à La
Havane de 2009 à 2011. Le sous-secrétaire pour les relations avec
les États, Mgr Antoine Camilleri, a quant à lui été nonce à Cuba
en 2005-2006. Enfin, François entretient depuis 1981 des relations
étroites avec l’archevêque de La Havane, Jaime Ortega. Par ailleurs
une femme de l’ombre a joué un rôle encore méconnu dans ce dos-
sier : l’abbesse Tekla Famiglietti, mère supérieure de la congrégation
féminine de Sainte-Brigitte à Rome. Elle est devenue proche de l’en-
tourage immédiat de Jean-Paul II grâce au cardinal Crescenzio Sepe.
On lui attribue d’étonnantes fréquentations, par exemple avec le
« seigneur des casinos » du Mexique, José Maria Guardia. Malgré ses
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1. Cf. Roger Faligot et Rémi Kauffer, The Chinese Secret Service. Kang Sheng and the Shadow
Government in Red China, William Morrow, 1987. Édition française : Robert Laffont, 1987.
On trouve de nombreuses informations sur les prêtres français en Chine dans Roger Faligot,
Les tribulations des Bretons en Chine, Les Portes du Large, 2019.
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étrangères Mgr Claudio Celli, qui a suivi les pourparlers avec Israël
pour aboutir à l’accord de 1993. Pour ne pas attirer l’attention, Celli
est nommé en 1995 secrétaire de l’APSA. Une fois de plus, on vérifie
que les titres officiels du Vatican ne livrent pas toujours la réalité des
activités de leurs titulaires… On attribue à Celli des missions clan-
destines en Chine, assorties de distribution de matériel, nourriture
et fonds secrets.
À Pékin, Celli rencontre en janvier 1996 des responsables
du gouvernement chinois : c’est le début d’une longue série de
rencontres. Selon les accords signés entre la Grande-Bretagne et
la Chine, la colonie britannique de Hongkong doit être rendue à
la Chine en 1997, avec un statut particulier. Pékin s’est engagé à
maintenir pendant cinquante ans le système législatif suivant le mot
d’ordre : « un pays, deux systèmes ». À l’approche de l’an 2000, de
plus en plus d’évêques « officiels » demandent à Rome de régulariser
leur situation, ce qui est le plus souvent accepté. En 2004, on constate
que près des deux tiers sont régularisés.
En mars 2000, le Vatican annonce la canonisation de 120 mar-
tyrs de Chine morts entre 1648 et 1930. Les autorités chinoises,
qui considèrent le soulèvement des Boxers comme un mouvement
anti-impérialiste préfigurant la révolution communiste, y voient une
offense. La presse chinoise se déchaîne. En visite en Chine pour un
symposium international, le cardinal Etchegaray subit de la part des
officiels chinois de violentes diatribes.
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1. « Les SR chinois redoutent l’ouverture vers le Vatican », Intelligence online, 3 juillet 2006.
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1. Ibid.
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London Calling
En juin 2015, François crée un nouveau service d’audit financier
de 12 personnes et nomme pour le diriger Libero Milone, 67 ans,
qui a travaillé pour la société d’audit Deloitte pendant plus de trente
ans. Ce service doit superviser l’audit des procédures de contrôle
interne de tous les dicastères, y compris le gouvernorat de la Cité
du Vatican. Il doit produire un rapport d’audit annuel et effectuer
des inspections de certains services à la demande du Conseil pour
les affaires économiques. Milone complète ainsi un dispositif chargé
de moderniser et contrôler le système économique et financier du
Vatican, aux côtés du cardinal australien Pell, secrétaire à l’économie,
et du cardinal allemand Reinhard Marx, coordinateur du Conseil
pour l’économie. Mais ce travail rencontre des résistances : certaines
requêtes de l’équipe pour obtenir copie de tel ou tel contrat restent
sans réponse. On s’efforce de limiter l’accès de Milone au pape. Au
bout de quelques mois, l’ordinateur portable de Milone est même
piraté. Il porte plainte auprès de la gendarmerie.
Milone a des soupçons sur les motivations des hackers : depuis
quelques semaines, il demandait des explications sur des centaines
de millions de dollars détenus par des structures du Vatican en
Suisse, qui n’apparaissaient pas sur les livres de comptes. En 2014,
le Vatican a viré la somme de 200 millions de dollars depuis ses
comptes en Suisse vers un fonds d’investissement luxembourgeois,
Athena Capital, qui a utilisé cet argent pour acheter une part mino-
ritaire d’un immeuble de Chelsea, à Londres, dans lequel se situe le
siège social de Harrods. L’immeuble était détenu par le gérant du
fonds, Raffaele Mincione, et la participation acquise par le Vatican
616
L’histoire sans fin
lui a été vendue à un prix bien plus élevé que la valeur d’acquisition
deux ans auparavant.
En 2017, coup de théâtre : Milone est renvoyé ! On l’accuse
d’espionnage et de détournements. « On », c’est le cardinal Becciu,
numéro 2 de la secrétairerie, qui a approuvé l’opération londo-
nienne. Becciu justifie ainsi cette éviction : « Il allait contre toutes
les règles, il espionnait la vie privée de ses supérieurs, y compris moi.
S’il n’avait pas démissionné, nous l’aurions poursuivi en justice1. »
Et d’ajouter pour défendre son projet : « C’est une pratique courante
pour le Saint-Siège d’investir dans l’immobilier ; on l’a toujours fait :
à Rome, à Paris, en Suisse et aussi à Londres. » Certes, mais en prin-
cipe, tous les biens immobiliers du Saint-Siège sont sous la respon-
sabilité de l’APSA. Plus prudent, le secrétaire d’État Parolin évoque
un « deal opaque », sur lequel une enquête est en cours. Milone, lui,
raconte une autre histoire : « Le chef de la gendarmerie m’a forcé à
signer une lettre de démission qu’ils avaient préparée des semaines
à l’avance. » À la demande de Becciu. Que croire ? Le problème est
que les graves accusations portées contre Milone seront totalement
abandonnées par la suite.
En 2016, Becciu avait déjà entravé l’audit commandé par le
Secrétariat pour l’économie sur tous les comptes des départements
du Vatican à la société PriceWaterhouseCooper. Il l’avait annulé et
convaincu a posteriori le pape de valider cette décision. Selon des
sources au Secrétariat pour l’économie, en 2015 l’archevêque Becciu
aurait tenté de déguiser les prêts dans les comptes du Vatican en les
annulant par leur contrepartie, à savoir la propriété londonienne.
Cette technique comptable « créative » a été rendue illégale par les
nouvelles règles instaurées en 2014. C’est cette manœuvre qui a
donné l’alerte.
En 2018, Becciu est nommé patron de la Congrégation pour la
cause des saints.
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La chute de Giani
Autre conséquence inattendue de cette affaire en cascade : le 14
octobre 2019, le patron de la gendarmerie Domenico Giani a dû
1. Dominique Dunglas, « Cecilia Marogna, la femme qui a déchu le cardinal », http://
www.afrikastrategies.fr/amp/2020/10/12/vatican-cecilia-marogna-la-femme-
qui-a-dechu-le-cardinal/
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Les espions qui n’existaient pas.............................................................................. 5
I – PACELLI
1 – Un pape de crise................................................................................................... 23
2 – Face aux nazis : doubles jeux et faux-semblants.............................. 51
3 – Sous l’occupation allemande........................................................................ 87
4 – Rome, ville ouverte ........................................................................................ 113
5 – Tous les coups sont permis......................................................................... 157
II – RONCALLI
6 – La détente.............................................................................................................. 201
III – MONTINI
647
IV – WOJTYŁA
V – RATZINGER ET BERGOGLIO
Conclusion..................................................................................................................... 625
Bibliographie................................................................................................................ 637
Remerciements............................................................................................................ 645