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BERIA
TALLANDIER
Éditions Tallandier – 2, rue Rotrou, 75006 Paris
www.tallandier.com
© Éditions Tallandier, 2013
EAN : 979-10-210-0302-6
DU MÊME AUTEUR
Staline, Paris, Seuil, 1967.
Les Paroles qui ébranlèrent le monde. Anthologie bolchevique (1917-1924), Paris, Seuil,
coll. « L’histoire immédiate », 1968.
Les Bolcheviques par eux-mêmes, en collaboration avec Georges Haupt, Paris, Éditions
François Maspero, 1969.
Derniers complots de Staline. L’affaire des blouses blanches, Éditions Complexe, coll.
« Histoire », 1993.
Le Trotskysme et les trotskystes, Paris, Armand Colin, coll. « Histoire au présent », 2004.
Cronstadt, Paris, Fayard, 2005.
La Guerre civile russe, 1917-1922. Armées paysannes, rouges, blanches et vertes, Paris,
Éditions Autrement, coll. « Mémoires », 2005.
Trotsky : révolutionnaire sans frontières, Paris, Payot, coll. « Biographie Payot », 2006.
DÉBUTS POLICIERS
Au début de l’année 1920, les bolcheviks ont reconnu l’indépendance de la Géorgie.
Sur l’insistance de Kirov, plénipotentiaire soviétique, le gouvernement menchevique
géorgien libère Beria. Il repart pour Bakou, où il reprend ses études à l’institut
polytechnique et bénéficie d’une première ascension rapide. En octobre 1920, en effet, il
est nommé à la fois chef du service administratif du comité central du PC d’Azerbaïdjan
et secrétaire responsable de la section spéciale de la Tcheka de Bakou, chargée
d’« exproprier la bourgeoisie et d’améliorer la vie des ouvriers » ! Beau programme sur le
papier, qui consiste surtout à rafler les valeurs, les bijoux, les meubles, voire les
vêtements, des gens riches et à gérer une pénurie chronique au bénéfice de l’appareil du
Parti et des soviets. C’est une responsabilité bureaucratique et policière importante. Dans
la misère générale, où tout le monde ou presque manque de tout, les tchékistes
« expropriateurs » ont une forte tendance à se servir au passage. La nomination de Beria
peut s’expliquer de deux façons opposées : soit il paraît apte à freiner la reprise
individuelle au bénéfice de la reprise collective ; soit la Tcheka locale – de médiocre
renommée – voit en lui un homme capable de récupérer le contenu des rafles à son profit.
On n’a pas la réponse. En tout état de cause, il lui aurait fallu une trempe morale
exceptionnelle – dont la suite de sa carrière ne témoigne guère – pour résister à la
tentation de profiter de ses activités expropriatrices.
En juin 1939, Trotsky écrivit : « Dans le meilleur des cas, le passé de Beria dans le parti
est obscur[32]. » Cette obscurité restera une accusation longtemps inefficace, jusqu’à ce
que Khrouchtchev et ses complices l’utilisent victorieusement contre lui.
La carrière de Beria se développe selon deux lignes parallèles esquissées par la double
nomination d’octobre 1920 : dans l’appareil politique et dans l’appareil policier du parti
dirigeant.
En février 1921, il franchit un nouvel échelon : il est nommé vice-président de la section
politique secrète de la Tcheka d’Azerbaïdjan, présidée par le très douteux Mir Djafar
Baguirov, section chargée des missions les plus délicates. Il abandonne alors ses études.
Pendant la guerre civile, Baguirov s’est rangé d’abord du côté des nationalistes azéris,
moussavatistes. Il est l’assistant du chef moussavatiste du district de Kuba. Élevé dans la
tradition orientale, dont il gardera toujours la trace, même une fois devenu un dignitaire
du régime, ce despote, entouré d’une cour de flatteurs serviles, fut l’un des bureaucrates
les plus brutaux et les plus corrompus du régime stalinien. Étranger à toute conviction
politique, il collecte déjà tous les documents compromettants qu’il peut trouver sur les
communistes locaux pour écarter ceux qui risquent de freiner sa carrière. C’est alors que
se noue entre lui et Beria une complicité durable. Plus tard, chaque fois que Baguirov
viendra à Tiflis, il dormira chez Beria.
Ordjonikidzé et Staline, malgré les réticences de Lénine, envahissent la Géorgie dans la
nuit du 11 février 1921 et provoquent, au cœur d’un district montagneux frontalier, une
insurrection montée de toutes pièces, que l’Armée rouge se hâte de soutenir. Le 14, le
bureau politique entérine. L’Armée rouge prend Tiflis le 25 février, jour où se tient la
première réunion du comité révolutionnaire. Le premier point porte sur la constitution
d’une Tcheka géorgienne. Beria est aussitôt envoyé en Géorgie, où il reste plusieurs
semaines.
À Tiflis, il rencontre la belle Nino (en russe : Nina) Gueguetchkori, nièce du Géorgien
bolchevique Alexandre Gueguetchkori, qui appartient à la petite noblesse géorgienne,
souvent pauvre – ce qui est son cas. Elle raconte que Beria l’arrête un jour sur le chemin
du lycée et lui demande un rendez-vous, qu’elle accepte. Il lui déclare qu’il l’aime et veut
l’épouser. Il précise que le gouvernement veut l’envoyer en Belgique suivre des études
sur les techniques d’exploitation du pétrole et qu’il doit pour cela être marié : quelqu’un
qui part étudier à l’étranger en laissant sa femme derrière lui reviendra plus facilement
dans son pays. Elle donne son accord, non sans réserve : « Mieux valait avoir une famille
à soi que de vivre dans une famille étrangère[33]. » Le mariage, célébré en avril 1921,
semble donc de pure raison. Pourtant, après l’arrestation de Beria, Nina manifestera pour
lui, dans plusieurs lettres, un réel attachement. À la fin de sa vie, elle précisera quand
même dans une interview qu’elle s’est refusée à lui, à partir de 1943, car il avait contracté
la syphilis avec une prostituée.
La journaliste Larissa Vassilieva, croisant un jour Nina dans les couloirs du Bolchoï, la
décrit comme « une femme d’une beauté céleste avec des cheveux dorés, des traits fins,
doux, empreints de bonté […] et un sourire timide et distrait[34] ». Le premier
biographe – fantaisiste – de Beria, Thadeus Wittlin, donne dans un ouvrage publié en
Angleterre en 1972, puis en Russie après la chute de l’URSS, une version beaucoup plus
brutale de cette union : Beria enlève de force Nina, la fait monter dans un wagon, la gifle
puis la viole. Son récit reproduit platement l’accusation grotesque portée contre Staline
d’avoir violé sa future deuxième femme, Nadejda Allilouieva, lui aussi dans un train,
mais sans gifle. Les chemins de fer semblent exciter l’imagination érotique des
biographes en quête de sensationnel.
Quelques mois après son arrestation et deux semaines après l’exécution de son mari,
elle décrit son enfance et sa jeunesse dans une lettre à Khrouchtchev, qu’elle tente
d’apitoyer. Même si elle y joue les Cosette avec une insistance quelque peu
mélodramatique, son récit ne déforme pas la réalité.
« Mon père, écrit-elle, était propriétaire de deux hectares de terres, d’une maison en
bois de trois pièces avec, sous les toits, des cuves pour récupérer l’eau de pluie. Nous
n’avions pas d’animaux de trait, ni de vache, ni de poulailler, car le maïs récolté sur ce
bout de terrain ne suffisait même pas à nourrir la famille. La viande et le pot de lait
n’étaient mis sur la table que dans les grandes occasions ; quant au sucre, j’en ai goûté
pour la première fois à l’âge de onze ans. » Elle a gardé l’image de son père « déjà âgé,
pieds nus et sans chemise, transpirant sang et eau sur ce petit bout de terrain », tué en
1917 par un gendarme. Après la mort du père, puis la maladie de la mère, la famille de
Nina sombre dans une extrême pauvreté. « De 11 à 16 ans, écrit-elle, pour pouvoir
manger un peu de bouillie de maïs et aller à l’école, j’ai dû travailler durant deux ans
comme ouvrière agricole à Koutaïs. » Le travail est si harassant qu’elle tombe malade
plusieurs mois.
Son oncle maternel, Nicolas Chavdia, comptable aux douanes, la recueille chez lui, où
elle assure le ménage. Elle s’inscrit au lycée technique et, afin de payer le tramway pour
s’y rendre, elle fait la lessive pour toute la maisonnée. Lorsqu’elle n’a pas d’argent, elle
doit courir, écrit-elle, « les quinze kilomètres aller-retour, du domicile de Nicolas Chavdia
au lycée technique, pieds nus pour économiser ses sandales, qu’elle n’enfile qu’à l’entrée
du lycée[35] ». Khrouchtchev ne se laissa pas attendrir par ce récit d’une enfance
difficile.
À peine marié, Beria est envoyé exercer ses talents à Bakou comme vice-président de la
Tcheka d’Azerbaïdjan, sous la direction de Baguirov. Impossible donc de se rendre en
Belgique. C’est peut-être une chance pour lui ; dans les années 30, le Guépéou-NKVD
accusera quasi systématiquement les techniciens et ingénieurs ayant fait des séjours à
l’étranger d’avoir été recrutés par les services de renseignements des pays d’accueil. Beria
évita par là tout soupçon.
À la fin de l’année, il est nommé président de la section opérationnelle secrète de la
Tcheka d’Azerbaïdjan, le Tchon. Il fait bientôt la connaissance de Vladimir Dekanozov,
qu’il recrute comme secrétaire. Un ancien du KGB décrit Dekanozov « haut d’à peine
1,50 mètre ; il avait un petit nez aquilin et quelques mèches de cheveux noirs étalées sur
un crâne chauve : une apparence insignifiante. Mais les nombreuses condamnations à
mort qu’il avait prononcées dans le Caucase au début des années 20, ajoute-il, lui avaient
valu la réputation de “bourreau de Bakou”[36]. » On ne voit pas à quel titre ce jeune
secrétaire employé à la section économique de la Tcheka aurait eu à prononcer ces
condamnations à mort ; reste que le portrait physique est juste. Dekanozov suivit Beria
jusqu’à leur mort commune, tout en prenant ses distances avec lui après son arrestation.
En décembre 1921, la commission centrale de révision passe au crible les membres du
Parti, en particulier les cadres de la Tcheka d’Azerbaïdjan. Baguirov fait alors l’éloge de
Beria : « Il est sévère, exigeant, a manifesté de la fermeté lors des mesures
d’expropriation, n’a pas accordé d’indulgences, est direct et sincère, exigeant vis-à-vis de
lui-même et aime que l’on soit aussi exigeant avec lui[37]. » Entre copains on se serre les
coudes… pour le moment.
Car les choses se gâtent pour les deux hommes. Le 25 avril 1922, la commission
centrale de contrôle du Parti répond à une demande de la commission de révision
d’Azerbaïdjan, qui lui a soumis seize dossiers, dont celui des deux hommes. La première
décision sur Beria stipule : « Laisser Beria dans les rangs du parti communiste, en lui
interdisant de travailler dans les organes de la Tcheka. Lui infliger un blâme pour actes
non communistes avec inscription sur la carte du parti. Recommander au comité central
de rappeler Beria d’Azerbaïdjan. » Quels sont ces « actes non communistes » ? Ce n’est
pas précisé. À cette époque, une telle formulation désigne surtout des abus de pouvoir et
des détournements de fonds ou d’objets confisqués.
Pour Baguirov, les choses sont plus graves, puisque la commission azerbaïdjanaise a
demandé son exclusion du Parti. La commission centrale de contrôle préfère « demander
à Staline ». La réponse tombe dès le lendemain : « Rétablir Baguirov dans ses droits de
membre du parti sur la demande de Staline[38] », alors occupé à sélectionner les membres
de l’appareil, dont les plus grandes qualités à ses yeux doivent être la docilité et un
dossier chargé qui permet de les tenir en main. La commission ne prendra la décision que
le 12 août. Lorsqu’en juillet 1954, lors de l’instruction du procès de Baguirov, les services
du comité de contrôle du Parti fouilleront dans leurs archives, ils ne retrouveront que
quatre des seize dossiers. Une partie des autres ont été retirés en août 1941, dont ceux de
Baguirov et de Beria avec leur fiche personnelle. Ils devaient donc contenir des détails
peu glorieux.
Beria, d’emblée, a tendance à utiliser ses fonctions répressives à l’intérieur du Parti ou
contre certains de ses membres. Le 27 juin 1922, en effet, Kirov lui adresse une semonce :
« Veillez toujours à ce que les travailleurs de votre organisation fassent tout leur possible
pour être objectifs et surtout n’interfèrent pas dans la vie intérieure des organisations du
Parti, pour que leur activité ne soit pas celle d’agents secrets, espionnant les membres du
Parti[39]. »
L’année précédente, le jeune Lavrenti Djandjagava, plus connu sous le nom de jeune
fille de sa mère qu’il adopte alors – Tsanava – entre dans la Tcheka. Cet aventurier fut
l’un des compagnons de Beria jusqu’à la fin. Il accumule d’abord les ennuis. En 1922, il
enlève une jeune fille sous la menace de son revolver. Il est condamné à cinq ans de
travaux forcés en isolement sévère et exclu du parti communiste. Pendant sa détention
préventive, il réussit à s’échapper. Un avis de recherche est lancé contre lui. En juin 1923,
Beria fait réexaminer son affaire. Le présidium de la Tcheka de Géorgie le réhabilite et, le
23 juin 1923, Beria sollicite de la commission de contrôle du parti sa réintégration. Il
obtient satisfaction et, en 1925, Tsanava réintègre le Guépéou – à la grande satisfaction de
Beria, qui aime ce genre d’individus.
La formation, en 1922, d’une fédération transcaucasienne intégrant l’Azerbaïdjan,
l’Arménie et la Géorgie – malgré l’opposition, brisée par Staline, des communistes
géorgiens réticents à l’idée de voir liquidée leur faible souveraineté nationale – est
aussitôt suivie, le 12 mars 1922, de la constitution d’une Tcheka (transformée en Guépéou
le mois suivant) de Transcaucasie, coiffant les Tcheka des trois Républiques. Pour contrer
la forte opposition nationaliste en œuvre dans ces pays, un organe supplémentaire est
constitué en mai 1922 : la représentation plénipotentiaire du Guépéou en Transcaucasie.
Les postes bureaucratiques se multiplient comme les champignons, assortis d’avantages
matériels non négligeables dans la Russie soviétique affamée.
Staline, en juin, a fait voter par une conférence l’attribution à 15 500 cadres supérieurs
du Parti de privilèges matériels substantiels : un salaire minimum triple de celui de
l’ouvrier d’industrie, augmenté de 50 % pour le père ou la mère de trois enfants et pour
travail déclaré en plus du service normal le soir et le samedi ; un paquet contenant une
série de produits déficitaires : par mois 12 kilos de viande, 1,2 kilo de beurre et de sucre,
4,8 kilos de riz, des cigarettes et des allumettes, plus le droit, soumis à la décision du
secrétariat du comité central, de prendre des vacances à l’étranger payées en roubles-or,
en récompense du dévouement au prolétariat. Il renouvelle systématiquement les
secrétaires de comités de district du Parti ; près des deux tiers sont remplacés dès la fin de
l’été 1922 par des fidèles aux ordres. Il façonne ainsi un appareil à sa botte, soutenu par
des privilèges qui disparaissent avec la perte de la fonction. Maintenant que
l’enthousiasme de la révolution s’est atténué sinon envolé, ses membres sont prêts à tout
pour ne pas les perdre, et donc à complaire à leur dispensateur, Joseph Staline et son
secrétariat. Beria fait partie des 15 500 heureux bénéficiaires de ces largesses, certes
encore modestes, mais destinées à grossir au fur et à mesure que croît la bureaucratisation
du régime.
En octobre 1922, Beria est transféré à la Tcheka de Géorgie, comme vice-président et
nommé à la tête de la division opérationnelle secrète (Tchon). La situation est difficile en
Géorgie. La paysannerie soutient massivement les mencheviks tandis que la population
arménienne, surtout sa petite bourgeoisie commerçante, appuie le parti nationaliste
arménien, le Dachnaksoution. Le parti bolchevique, historiquement très minoritaire, sauf
dans quelques secteurs de la classe ouvrière comme les cheminots, et largement décimé
sous la domination menchevique de 1918 à 1921, n’a guère d’implantation dans le pays.
Le pouvoir est en fait exercé par le conseil militaire de la XIe armée et par le bureau
caucasien du parti communiste.
La faiblesse du parti géorgien laisse un large espace à la Tcheka. Beria, confronté à une
population largement hostile, organise la liquidation des bandes qui ravagent le pays et
rassemblent des paysans révoltés, des opposants politiques (mencheviks et socialistes
révolutionnaires) et de simples brigands. Sur les 31 bandes officiellement recensées en
1921, le Tchon en liquide 21. Mais c’est un travail de Sisyphe car elles renaissent
aussitôt. Au début de 1923, Beria remporte un grand succès : la Tcheka arrête tout le
comité de Tiflis du parti Dachnak et investit son dépôt d’armes clandestin. Il reçoit une
pluie d’éloges. Selon le secrétaire du parti communiste azerbaïdjanais, Rukhulla
Akhoundov, il possède des « capacités éminentes qui se sont manifestées à tous les
niveaux de l’appareil d’État » et dans ses responsabilités à la tête de la Tcheka.
Akhoundov ajoute : « Il a rempli avec l’énergie et avec la persévérance qui lui sont
propres les tâches que le Parti lui a confiées. » Plus réservé, Miasnikov, secrétaire du PC
de Transcaucasie, écrit : « Beria est un intellectuel. Il s’est montré à Bakou comme un
tchékiste compétent[40]. »
L’été de l’année suivante, 1923, Beria remarque, dans un recueil d’articles stéréotypés
intitulé « Les tchékistes pour le 1er mai », une contribution signée Vsevolod Merkoulov. Il
convoque ce jeune homme prometteur, qui n’adhéra au parti communiste que deux ans
plus tard et resta durant toute sa carrière son proche adjoint, avant d’être fusillé en même
temps que lui. Merkoulov se vanta d’être la plume de Beria, du moins la principale.
Même s’il n’hésitait pas à frapper des détenus, il se distinguait des brutes qui formaient
l’entourage de Beria. Khrouchtchev le qualifie d’« homme cultivé », qui « en général lui
plaisait », ce qui ne l’empêcha pas de le faire fusiller en décembre 1953. Andrew et
Gordievski en font un portrait complexe : « Derrière son stalinisme dogmatique et brutal,
se cachaient les restes en voie de décomposition d’un tchékiste idéaliste, qui avait sacrifié
presque toutes ses convictions pour survivre à la terreur stalinienne. » Ils citent le portrait
dressé par le politicien hongrois Nicolas Nyaradi, qui le rencontra au lendemain de la
guerre et lui attribue une « intelligence exceptionnelle » : « Un véritable paradoxe : à la
fois d’une grande gentillesse et d’une cruauté bestiale ; quelqu’un de profondément
sérieux au moment même où il plaisante […] Il a une telle personnalité que les
ambassadeurs russes se mettent au garde-à-vous en sa présence[41]. » Merkoulov écrivit
plus tard des pièces de théâtre, parfois jouées sous le pseudonyme de Rokk.
Le 28 août 1924, éclate en Géorgie une insurrection, que la Tcheka, informée de ses
préparatifs, n’a rien fait pour prévenir. Des révoltes surgissent en même temps dans
plusieurs villes de Gourie. Un groupe d’insurgés, dirigés par le prince Tseretelli, prennent
les bourgades de Tchiatouri et de Sakhtchari, deux gares et contrôlent un moment les
deux lignes de chemin de fer vers Tiflis. Malgré le soutien d’une bonne partie de la
paysannerie de Gourie, l’insurrection est écrasée en trois jours. Les insurgés s’enfuient
dans les montagnes ; la Tcheka mettra du temps à les éliminer. Mais pour Beria, qui a
dirigé les opérations proprement policières, c’est un succès.
Officiellement la répression fait 44 morts : 44 insurgés fusillés. L’historien émigré
Bezirgani avance le chiffre de 12 578 morts, soit 286 fois plus. La différence entre les
chiffres officiels et ceux des rebelles a rarement été aussi grande. Le rapport de septembre
du Guépéou au Kremlin, qui fait le bilan de son action du mois d’août, note pour
l’ensemble de la Transcaucasie : « 1 465 bandits [terme usuel pour désigner aussi bien les
maraudeurs que les insurgés] ont été capturés ou se sont rendus spontanément ; 300 ont
été fusillés[42]. » La majorité de ces 300 fusillés sont sans doute des Géorgiens insurgés
ou ceux que le Guépéou leur a adjoints.
Stanislas Redens, qui dirigea le Guépéou de Transcaucasie de 1926 à 1928, après avoir
rempli, sans grande compétence, les fonctions de vice-président du Conseil supérieur de
l’économie nationale présidé par Dzerjinski, raconta au chef de la milice du Kazakhstan,
Mikhaïl Chreider, en 1938 : « À Koutaïs a éclaté une insurrection armée des mencheviks,
prétendument “brillamment écrasée par Beria” ; or dans les faits ce soulèvement a été
monté par Beria lui-même pour augmenter son prestige […] On l’a raconté à Staline, mais
je ne sais pourquoi il avait une confiance particulière en Beria et ne voulait rien entendre
de mal sur lui. » La rumeur circule largement, Mirzoyan, premier secrétaire du PC
d’Azerbaïdjan de 1925 à 1929, en cellule avec Chreider, lui répète la version de
« l’insurrection menchevique organisée par Beria lui-même à Koutaïs […], qu’il a
brillamment écrasée[43] ». Que Beria ait été informé par ses agents infiltrés dans le centre
menchevique de l’insurrection envisagée et n’ait rien fait pour la prévenir, c’est probable,
mais il ne l’a pas fabriquée : les mencheviks voulaient prendre leur revanche sur 1921.
Beria aurait-il poussé les mencheviks à l’insurrection pour mieux les écraser, que Staline
aurait apprécié le procédé.
En juin 1924, naît son fils, qu’il prénomme Sergo en l’honneur du principal dirigeant
bolchevique géorgien (après Staline), Sergo Ordjonikidzé, connu pour ses emportements,
ses violentes sautes d’humeur et ses cris. En août, il est nommé chef de la division
opérationnelle secrète du représentant plénipotentiaire du Guépéou de Transcaucasie.
Dans sa biographie, Beria donne de son activité pendant toute cette période une vision
purement policière : toute divergence politique devient sabotage, espionnage, diversion,
contre-révolution et donc « trotskysme ». Il dénonce le prétendu – inventé par lui –
soutien apporté aux « mencheviks et autres ennemis du pouvoir soviétique » par les
dirigeants (et souvent fondateurs) du parti communiste géorgien de l’époque, partisans
contre Staline d’une certaine autonomie de la Géorgie, qu’il stigmatise comme
« nationaux-déviationnistes » ; il les accuse d’avoir épousé dès 1923 entièrement et
totalement les positions trotskystes, d’avoir tenté d’entraîner la Géorgie soviétique dans le
giron de l’impérialisme occidental et d’y rétablir le système capitaliste. Pire encore,
« jusqu’à la nomination de Beria, l’appareil de la Tcheka géorgienne était entre les mains
des nationaux-déviationnistes et des trotskystes […], et favorisait l’activité des partis
antisoviétiques et des groupements antiparti ». Des saboteurs, en somme. Arrive Beria et
tout change ! « Pendant la période de son activité dans les organes de la Tcheka et du
Guépéou [c’est-à-dire jusqu’en 1931] le camarade Beria a, avec un savoir-faire et un
talent exceptionnels, organisé l’écrasement de tous les partis antisoviétiques en Géorgie et
en Transcaucasie, et aussi des groupes antiparti de cette période, au premier chef des
trotskystes et des nationaux-déviationnistes[44]. »
Le 22 mars 1925, un petit avion Junker-13, emportant à son bord le secrétaire du comité
territorial de Transcaucasie du parti communiste, Miasnikov, le président de la Tcheka de
Transcaucasie Artabekov et l’un de ses autres dirigeants, Moguilevski, s’écrase au sol et
prend feu. Les trois passagers et les deux pilotes meurent. Beria déclare alors : « J’ai vu
les restes défigurés de celui sous la direction de qui j’ai travaillé dans la Tcheka pendant
deux ans […] C’est incroyable, c’est impossible à croire […]. Je n’entendrai plus la voix
douce de Salomon Gregorievitch [Moguilevski][45]. » La rumeur parle d’un attentat,
mais par qui ? Trotsky évoque une vengeance des mencheviks. La femme de l’un des
pilotes prétend que son mari, soupçonnant un mauvais coup, avait demandé à être
remplacé.
Une première commission d’enquête attribue l’accident à une défaillance technique
mettant en cause la firme Junker, qui fait construire en URSS les avions qu’elle y vend.
Une seconde commission, présidée par le commandant d’armée Kork, confirme les
conclusions de la première. Les réactions se multiplient. Moscou envoie une troisième
commission, présidée par le chef de la section opérationnelle du Guépéou en personne,
Karl Pauker, ancien coiffeur à l’opéra de Budapest et proche de Staline… pour l’instant.
Des représentants de la firme Junker y figurent. Staline n’a sans doute envoyé cette
troisième commission que pour blanchir la responsabilité du constructeur allemand, avec
lequel il souhaite maintenir de bonnes relations. La commission conclut à l’accident, mais
exclut l’incident technique : les avions Junker sont d’excellente qualité et ne sauraient
souffrir de défaillances.
En 1956, un ancien tchékiste arménien, Souren Gazarian, accusa Beria d’avoir
provoqué l’accident. On ne prête qu’aux riches, c’est connu, et – contrairement au
proverbe – il y a souvent de la fumée sans feu, des rumeurs sans fondement et des
accidents accidentels. Attribuer un attentat à Beria ne coûte rien en 1956. Mais c’est
transférer le Beria des années 30 sur celui de 1925, encore de trop faible envergure pour
organiser un attentat contre de puissants partisans de Staline !
En mars 1926, le rapport mensuel du Guépéou sur la situation du pays pointe les
difficultés de la Géorgie. En février, se sont tenus les congrès des travailleurs de
l’enseignement et des écrivains, en même temps qu’en Azerbaïdjan celui des turcologues.
Les trois congrès, selon le Guépéou, ont été marqués par des manifestations de
nationalisme menées par l’intelligentsia locale. En Géorgie, les enseignants protestent
contre la médiocrité de leur traitement ; à Tiflis, il y a eu des appels à la grève. « Un état
d’esprit antisoviétique a gagné une moitié du corps enseignant. Le congrès a élu un
nombre notable d’anciens mencheviks, d’anciens démocrates nationaux et d’anciens
social-fédéralistes. Les intervenants […] ont accusé en termes vifs les organes du pouvoir
et des syndicats de l’Union d’indifférence à l’égard des besoins du corps enseignant, en
particulier du corps enseignant géorgien[46]. » Des délégués ont dénoncé l’insuffisance
de l’enseignement de la langue géorgienne et la politique de russification marquée par le
refus de développer cet enseignement en Abkhazie. Un délégué communiste qui
intervenait pour défendre la ligne officielle, traité de « provocateur » et autres insultes, a
dû descendre de la tribune sans avoir pu parler… On le voit, Beria a du pain sur la
planche. Son ami Baguirov en a aussi – pour d’autres raisons. La décision d’adopter
l’alphabet latin pour la transcription officielle de la langue azérie provoque une levée de
boucliers.
Moscou désigne alors Ivan Pavlounovski, membre de la commission centrale de
contrôle, plénipotentiaire du Guépéou en Géorgie. Beria semble assez mal accepter la
tutelle de ce cadre russe, qui ne connaît pas un mot de géorgien.
En décembre 1927, Beria est nommé président du Guépéou de Géorgie et vice-président
du Guépéou de Transcaucasie. Il pilote ou supervise donc les opérations de police dans
les trois Républiques : Arménie, Géorgie, Transcaucasie. En novembre 1929, il est
nommé président du Guépéou de Transcaucasie, tout en restant président du Guépéou de
Géorgie. Il détient désormais un énorme pouvoir de police.
La Tcheka, devenue Guépéou en 1922, s’était habituée à l’exercice de la violence et à
l’arbitraire que la guerre civile favorisait inéluctablement ; par là même elle avait attiré
des éléments douteux. Tous les grands mouvements populaires dans l’histoire, soulignait
Lénine dès 1918, ont fait surgir « une écume d’aventuriers et d’escrocs, de fanfarons et de
braillards », dont certains entrent dans la Tcheka, où les militants politiques répugnent à
s’engager, et dans les détachements de réquisition envoyés dans les campagnes rafler les
récoltes pour nourrir les villes et l’Armée rouge. Lénine proposait de les « arrêter et
fusiller[47] », mais la pénurie généralisée et l’arbitraire de la guerre civile nécessitent leur
emploi. Depuis le début des années 20, le Guépéou s’est aussi enrichi d’éléments
carriéristes. Tels sont les individus dont Beria dirige l’activité.
Il soigne ses relations. À l’époque le patron politique de la Géorgie est le vieux
compagnon de Staline, Sergo Ordjonikidzé. Au début de juillet 1928, il relève de maladie.
Le 19 juillet, Beria lui envoie une lettre marquée du sceau de la courtisanerie orientale :
« Votre attitude et votre confiance en moi m’ont donné et me donnent de l’énergie, de
l’initiative et la capacité de travailler. Sergo, à part vous, je n’ai personne. Vous êtes pour
moi plus qu’un père, plus qu’un frère. Je respire et je vis par vous. Et je ne suis pas
capable de vous faire faux bond, je préférerais me tirer une balle dans la tête, plutôt que
de ne pas mériter votre attitude envers moi[48]. » Moins de dix ans après, il aidera Staline
à se débarrasser d’Ordjonikidzé.
En août 1928, Iouri Larine, membre du conseil de l’économie nationale, se rend en
Géorgie pour participer à une réunion de la commission du budget de la République, qui
se tient aux environs de Tiflis dans la datcha de Beria. Il a emmené sa fille Anna, âgée de
15 ans. Lors du dîner qui suit, Beria déclare soudain à Larine : « Je ne savais pas que vous
aviez une fille aussi charmante », puis se tourne vers Mikha Tskhakaia, le président du
comité exécutif des soviets de Transcaucasie, et lui lance : « Buvons, Mikha, à la santé de
cette fillette ! Qu’elle vive longtemps et heureuse ! »
Ces amabilités n’auraient guère d’importance si Anna Larina et Beria ne devaient se
retrouver dix ans plus tard dans des conditions fort différentes, elle détenue au goulag, et
lui chef de la police politique, le NKVD. « Je ne pouvais m’imaginer alors, écrit-elle dans
ses souvenirs, que le nom de l’homme qui nous recevait si aimablement à Kadjory
deviendrait le symbole du bourreau[49]. »
Au début de mars 1929, Beria est confronté à une insurrection surgie dans un district
musulman de l’Adjarie, République autonome au sein de la Géorgie. Au nom du combat
contre la religion, les autorités locales ont décidé de fermer une médersa (école religieuse)
et de contraindre les femmes à retirer leur tchador pour la Journée internationale des
femmes du 8 mars. Beria avait, semble-t-il, exprimé son opposition à une telle mesure.
Les insurgés crient : « Pour le tchador ! », « Contre la fermeture de la médersa ! », « Pour
la religion ! », « Donnez la forêt aux paysans ! ». Un groupe plus radical manifeste « pour
la foi et pour la tradition ». Beria liquide l’insurrection en deux jours, sans ménager sa
critique contre les provocations des autorités locales et les arrestations des femmes
protestataires.
Un quart de siècle plus tard, le fidèle Merkoulov, qui lui doit toute sa carrière,
l’accablera en déclarant aux enquêteurs : « Beria a utilisé contre la direction du comité
central du PC géorgien le soulèvement des paysans adjares dans le district de Khouline en
février 1929, provoqué par les actions injustifiés des autorités locales sur l’enlèvement du
tchador. » Selon lui, Beria cherchait à « accélérer sa carrière », et il conclut : « Les
intérêts personnels de Beria rejoignaient les intérêts de l’État[50]. »
Est-ce à cette insurrection que pense Snegov, ancien membre du comité territorial de
Transcaucasie, quand, sans aucune précision de lieu ni de date, il accuse Beria d’organiser
lui-même des « révoltes » dans les montagnes pour pouvoir les réprimer, se « débarrasser
des prétendus provocateurs », puis annoncer à Staline « l’écrasement d’une rébellion
contre-révolutionnaire et gagner ainsi ses faveurs[51] » ?
Staline ordonne au Guépéou d’ouvrir un procès à Moscou, du 18 mai au 5 juin 1928, dit
« procès des saboteurs de Chakhty ». Dans cette ville, située à 500 kilomètres au nord de
la Géorgie, cinquante-cinq ingénieurs sont accusés, selon la Pravda du 10 mars 1928, de
sabotage organisé dans de nombreuses usines et mines de la région. Chakhty inaugure
ainsi une longue série de poursuites et de condamnations à mort pour « sabotage ». C’est
la tactique – voire la stratégie – élaborée par Staline pour rejeter sur des saboteurs
imaginaires les faux frais de l’industrialisation encore balbutiante. Lorsque
l’industrialisation s’accélère – à dater de 1930 – et que la collectivisation chasse des
millions de paysans non qualifiés vers des usines construites en toute hâte, avaries,
accidents, ruptures de fonctionnement se multiplient. Les procès pour sabotage aussi, sous
l’impulsion directe de Staline.
Puisque le guide génial est infaillible, puisque sa politique géniale est parfaitement
juste, les ratés ne peuvent découler que du sabotage par les forces ennemies : à la fin des
années 20, ces ennemis, ce sont les « spécialistes bourgeois » (ingénieurs, cadres formés
sous l’ancien régime et restés en URSS), un peu plus tard ce seront les koulaks, puis les
trotskystes-zinoviévistes, puis les seuls trotskystes, déclarés agents d’une demi-douzaine
de services d’espionnage, et enfin le bloc des trotskystes et des droitiers (partisans de
Boukharine). Ce « sabotage » doit combler le fossé de plus en plus large entre la
propagande et la réalité. Le mécanisme, rodé en 1928 avec le procès dit de Chakhty, se
perfectionne l’année suivante avec le procès de l’imaginaire parti industriel.
En novembre 1928, Moscou remplace Pavlounovski, au poste de plénipotentiaire du
Guépéou en Géorgie, par Stanislas Redens, beau-frère de Staline. Les rapports entre les
deux hommes susciteront bruits et rumeurs, dans lesquels il est malaisé de définir la fable
et la vérité.
En septembre 1929, la commission centrale de contrôle du Parti dirigée par
Ordjonikidzé, alertée par les bruits, sur les abus de pouvoir, le favoritisme et la corruption
galopante qui ravagent la Transcaucasie, envoie une équipe enquêter sur place. Les
membres de l’appareil ont déjà appris à se dénoncer les uns les autres pour assurer leur
propre position. Le passage de la commission en Azerbaïdjan se traduit par le limogeage
du secrétaire du PC azéri en place depuis 1925, Levon Mirzoyan, et Baguirov, chef du
Guépéou de la République et le grand ami de Beria. Mais, à moins de graves divergences
avec Staline, les membres de l’appareil sont encore assurés de rester dans ses rangs.
Baguirov, ce musulman superstitieux qui blêmissait si un chat noir traversait la rue devant
sa voiture, et qui se soucie du marxisme comme d’une guigne, est muté à l’Institut du
marxisme-léninisme à Moscou. Levon Mirzoyan est nommé secrétaire du comité du
district de Perm dans l’Oural où il s’emploiera à reproduire les pratiques qui lui ont valu
son limogeage, jusqu’à obtenir une promotion avant d’être brutalement liquidé.
Beria, soupçonné d’être le responsable de son limogeage pour se dégager la voie, s’en
défend vigoureusement dans une lettre à Ordjonikidzé. En passant, il tacle sévèrement le
premier secrétaire du comité territorial de Transcaucasie, Mamia Orakhelachvili, qui a
pris la défense de Mirzoyan : « Pour moi, Mamia, dans ces circonstances complexes, s’est
révélé un grand obstacle. […] Toute cette affaire l’a complètement discrédité. » Bref, il
faudrait le remplacer, suggère Beria, d’autant qu’il craint les investigations de la
commission en Géorgie. Il plaide : « L’effort des camarades de la commission pour faire
des généralisations sur la situation en Géorgie et des analogies avec Bakou est une
erreur. » Il ne tente donc pas de défendre Baguirov, tout en concédant : « En Géorgie
comme partout, les scandales ne sont pas rares. Mais rien de comparable avec ce qui se
passait à Bakou[52]. »
D’ailleurs, ajoute-t-il dans une seconde lettre à Ordjonikidzé, le travail est déjà fait :
« Personnellement, je n’ai rien contre une telle enquête, sinon qu’elle n’apportera aucune
révélation que nous n’ayons déjà faite. ». Il vante son bilan de chef du Guépéou
géorgien : « Dans les seules organisations trotskystes, nous avons éliminé plus de deux
cent cinquante personnes d’un coup le mois dernier. […] Sans parler de la lutte contre le
banditisme, contre les crimes économiques… »
Bien sûr, il n’a aucune ambition politique : « J’ai plus d’une fois évoqué la question de
mon départ. Il ne s’agit pas d’un caprice, mais d’une impérieuse nécessité. Chaque nouvel
épisode me crée de nouveaux ennemis. » Ainsi, affirme-t-il, il a « dit franchement tout ce
qu’il savait et appelé les choses par leur nom. Beaucoup n’ont pas apprécié. Je me suis
fait des ennemis, ce qui n’a pas empêché la commission de me reprocher de dissimuler ».
En réalité, Beria a certes dénoncé quelques malversations mais a protégé ses fidèles. La
suite de la lettre évoque de prétendues – à ses yeux ! – zones d’ombre repérées dans son
bilan.
Il joue les victimes. Il rappelle à Ordjonikidzé qu’il avait demandé en vain à reprendre
ses études interrompues et conclut par une requête : « Donnez-moi la possibilité de
travailler dans un autre secteur, même dans celui de l’industrie […], et je prouverai que je
ne suis pas seulement bon à découvrir des agissements criminels et leurs auteurs. » La
lettre s’achève sur une dernière plainte : « Je sens que je ne pourrai plus tenir très
longtemps[53]. » Ordjonikidzé lui évite les sanctions et le laisse à son poste.
Beria se penche alors sur les problèmes aigus de l’industrie du pétrole à Bakou, aux
mains du trust d’État Azneft. Le matériel, hérité de l’avant-guerre, mal entretenu, voire
détérioré pendant la guerre civile au cours de laquelle nombre d’ingénieurs ont péri, est à
peine utilisable. La majorité des ingénieurs survivants ont fui le pays. Les salaires de la
main-d’œuvre sont très bas. Nommé premier secrétaire du comité de Transcaucasie en
janvier 1930, le bouillant jeune stalinien Vissarion Lominadzé est profondément choqué
par le résultat de sa tournée dans les entreprises de Bakou, et d’abord les puits de pétrole.
Dans une lettre à Ordjonikidzé il écrit : « J’ai été stupéfait quand j’ai su le montant du
salaire d’un ouvrier de Bakou. […] De plus, les prélèvements s’élèvent à 12 %, effectués
automatiquement à la source. » Et, pour compléter le tableau, il ajoute : « Le comité
central régional de Bakou fournit aux travailleurs, en guise de nourriture, une effroyable
cochonnerie. […] Les femmes des travailleurs passent des nuits entières à faire la queue
pour se procurer de la viande (en conserve) et du poisson (qui manque presque
complètement). Quant aux syndicats, ils ne s’occupent pas du tout de la défense des
intérêts économiques des travailleurs[54]. »
Beria ignore ces réalités matérielles et choisit, selon les mécanismes du stalinisme
naissant, qu’il ne tarde pas à intégrer, d’expliquer les difficultés d’Azneft par le sabotage.
Il l’affirme dans une lettre à Ordjonikidzé du 1er septembre 1929, où il souligne aussi son
dévouement : « Le camarade Redens est revenu de congé, mais j’ai décidé de ne pas
prendre de vacances et de partir à Bakou […]. Le camarade Sosso [Staline, que Beria
désigne ainsi de façon familière] en parlant avec Redens a douté que nous soyons à la
hauteur de ce travail. J’y passerai un mois, plus si nécessaire, mais je bouclerai le travail
et je découvrirai tous les fils du sabotage[55]. »
Il n’y a pas en réalité le moindre sabotage ? Qu’importe, il va quand même en découvrir
les signes. Il arrête le directeur technique en chef du trust Azneft, Roustambekov, le fait
passer à tabac et avouer qu’il est à la tête d’un groupe militaire d’ingénieurs,
administrateurs et techniciens, arrêtés eux aussi et tous accusés de nombreux actes de
sabotage. Il stigmatise le retard systématique apporté à la construction du pipeline Bakou-
Batoum et les actes de sabotage sur les voies de chemin de fer, destinés, selon lui, à
« masquer les conséquences des autres sabotages », visant les pipelines. Bref, un sabotage
en dissimule un autre, auquel il sert de paravent. Beria jubile. Le 13 mai 1930, il écrit à
Ordjonikidzé : « L’enquête à Azneft avance à marche forcée. »
Mais Roustambekov, une fois délivré des menaces, voire des coups, du Guépéou, est
revenu sur des dépositions arrachées par la violence. Beria feint de lancer un contrôle :
« Conformément à la tâche que vous nous avez fixée de vérifier la déclaration de
Roustambekov, j’ai envoyé Redens à Bakou. Je n’ai pas encore les résultats. » Mais il
connaît d’avance les conclusions : « Il a écrit de sa propre main toutes ses dépositions, et
tous les documents, y compris ses propres dépositions, le démasquent comme une figure
très importante d’une organisation de sabotage[56]. »
Roustambekov et la direction d’Azneft ne peuvent échapper aux griffes de Beria. Le
tribunal condamne alors les accusés à des peines de trois à dix ans de prison. Beria les
fera fusiller en 1937, sur décision d’une « troïka » qui les jugera, si l’on peut employer ce
terme, en un quart d’heure.
Le 7 novembre 1929, pour l’anniversaire de la révolution, Staline publie dans la Pravda
un article annonçant le « grand tournant » vers la collectivisation et n’hésite pas à
prétendre : « Même les aveugles voient que le paysan moyen s’oriente vers le kolkhoze. »
Sauf qu’avec un seul œil, on ne voit rien de tel. Mais la collectivisation par la contrainte
est bien lancée, en Géorgie comme ailleurs. Pour briser la résistance des paysans spoliés,
Staline envoie dans les campagnes 25 000 activistes et les troupes intérieures du
Guépéou, qui poussent les paysans dans les kolkhozes en raflant leur bétail, leurs
volailles, voire leurs objets usuels et, ici ou là, en violant les femmes au passage. C’est le
début de la fin pour l’agriculture soviétique. La famine frappe. Beria persiste.
Il saisit déjà fort bien ce que Staline attend de ses fidèles : la chasse aux trotskystes. Le
27 avril 1930, le Guépéou de Géorgie saisit à Tiflis trois cents exemplaires de tracts
trotskystes, où on peut lire : « La bureaucratie de l’appareil s’est emparée du pouvoir.
L’ouvrier n’est plus le maître de son pays […] même si le plan quinquennal est réalisé,
cela ne fera que renforcer le régime de la bureaucratie. Les ouvriers resteront sans
rien[57]. »
La difficulté de se procurer du pain et de la viande exaspère les ouvriers. Dans les
campagnes, des paysans déracinés forment des bandes qui pillent et ravagent le pays. Dix
jours plus tard, Beria soumet à la direction du PC de Transcaucasie un rapport sur l’état
de la population dans les districts d’Erivan et de Leninakan : les difficultés
d’approvisionnement ne sont pas le fait du gouvernement, les coupables sont les
trotskystes : « Dans la localité de Gueïgoumbent, écrit-il, les trotskystes prétendent que
l’Armée rouge n’est plus en état de s’opposer aux bandes. » Utilisant l’exil de Trotsky à
Prinkipo, en face d’Istanbul, il élabore une histoire à dormir debout : « Trotsky a
rassemblé 6 000 soldats turcs en Turquie avant de passer du côté des dachnaks
[nationalistes arméniens], et bientôt les dachnaks, Trotsky à leur tête, seront en
Arménie[58]. »
Ces affabulations ne changent rien au problème du ravitaillement. L’alimentation dans
les Républiques est d’une qualité déplorable : dans une cantine de Bakou, selon
Lominadzé, les ouvriers ont trouvé des morceaux d’un grand lézard cuit dans le borchtch.
Dans les cantines de quatre entreprises, « où travaillent jusqu’à mille ouvriers, […] on a
découvert dans le borchtch des vers de deux centimètres, le plat principal [viande ou
poisson] est infect et souvent les ouvriers les jettent [tellement leur] odeur [est] pourrie. »
Le choc avec la réalité est rude. Les environs de Bakou sont harcelés par des bandes de
pillards qui égorgent les cadres du régime : « Beria, écrit Lominadzé, m’accompagne en
Géorgie, avec mission d’extirper le plus vite possible le banditisme et de renforcer les
mesures punitives contre les organisateurs d’actions contre-révolutionnaires, de meurtres
de communistes, d’instituteurs, d’agronomes sans parti. » La contrée est ravagée par une
véritable guerre civile larvée. « Les bandits et les moussavatistes ont tué une bonne
centaine de soldats et égorgé plus d’une centaine de membres du Parti et de représentants
de l’intelligentsia locale, et nous n’avons à ce jour fusillé que vingt personnes […]
retenue superflue[59] », écrit-il. Beria va y mettre fin.
Est-ce crainte de ne pas réussir à maîtriser une crise aussi aiguë, et donc d’en payer les
conséquences ? Dans une lettre à Ordjonikidzé du 13 mai 1930, Beria exprime son
souhait d’être déchargé du Guépéou et, une fois de plus, sa volonté de reprendre ses
études interrompues : « Le temps passe, tout autour les gens évoluent, et ceux qui hier
encore étaient loin derrière moi sont aujourd’hui passés devant. C’est sûr, je reste à la
traîne. Avec notre travail de tchékiste, souvent on n’a même pas le temps de lire un
journal […] C’est douloureux et vexant de se sentir en arrière, surtout quand on sait à quel
point le pays a besoin de gens instruits. » Ordjonikidzé lui a déjà répondu que ce n’était
pas le moment de parler d’études. Une fois encore, Beria répète : « Je sens que je n’en
peux plus[60]. » Ordjonikidzé ne répondra pas à sa demande.
Au début de novembre 1930, le Guépéou saisit, dans la zone industrielle de Bakou,
trente-cinq tracts et proclamations critiquant violemment le gouvernement. On y lit :
« Camarades ouvriers, la force est en vous. […] Vos enfants meurent comme vous.
Renversez ce gouvernement galeux si vous voulez vivre comme des hommes. » Mais le
plus gros souci de Beria, c’est le conflit qui ravage la direction d’Azneft. Un petit groupe
dirigé par les frères Agalarov sympathise ouvertement avec les trotskystes. Selon rapport
du Guépéou de Transcaucasie, ils posent la question : « Pourquoi a-t-on exclu du Parti un
chef comme Trotsky ? Aujourd’hui, c’est un ramassis de bandits qui dirigent le Parti. » À
la lecture de ce rapport, Beria est formel : « Le temps est venu de les chasser [les frères
Agalarov] de l’usine[61]. »
Dans un rapport à Staline, il attribue aux trotskystes des déclarations d’un simplisme
naïf : « Le parti se désagrège, le pouvoir a perdu la tête et maintenant n’a plus la
possibilité de rétablir le travail comme il le faudrait. Si jusqu’alors le gouvernement
travaillait assez bien, ce résultat était dû à Lénine et à Trotsky […] ; maintenant c’est le
fils d’un prince, Staline, qui s’est mis au travail […] ; il s’efforce par tous les moyens
d’anéantir nos exploitations. C’est dans ce but qu’il a promulgué la collectivisation[62]. »
Au début de septembre 1930, après un séjour de quelques semaines à Matsesta et
Sotchi, Staline passe plusieurs jours dans la petite station géorgienne de Tskhaltoubo. Est-
ce là qu’il rencontre pour la première fois le jeune chef du Guépéou de Transcaucasie ?
D’après Svetlana Allilouieva pourtant, dès 1929 sa mère ne supportait pas Beria, ce
« gredin », exigeait qu’il ne remette plus les pieds chez eux, et Staline furieux lui
répondait : « C’est mon camarade, un bon tchékiste, il nous a aidés à prévenir un
soulèvement de Mingréliens en Géorgie, j’ai confiance en lui. » Mais la femme de Staline
restait à Moscou quand Staline descendait dans le Sud l’été et Beria venait peu lui-même
à Moscou ; dans ces conditions, à quel moment l’occasion aurait-elle pu se présenter ? À
la mort de sa mère, en novembre 1932, Svetlana n’avait que six ans. Elle répète sans
doute ce qu’elle entendait dans sa famille, dont elle dit : « Tous nos proches haïssaient
Beria […]. La famille éprouvait une aversion unanime et confuse pour cet homme[63]. »
Au début de décembre 1930, la famine provoque une révolte qui ravage une partie de
l’Azerbaïdjan. Un ancien député moussavatiste, Gadji Akhound, réunit un millier
d’insurgés « contre les envahisseurs russes, pour la religion, pour se libérer de la
misère[64] ». Mais la faim, cause du soulèvement, le condamne en même temps. Les
rebelles, pour survivre, ponctionnent les paysans, qui dès lors se détournent d’eux. Un
détachement du Guépéou commandé par Mikhaïl Frinovski – destiné à une ascension
fulgurante et à une chute brutale quelques années plus tard – écrase la troupe le
9 décembre. Beria peut chanter victoire.
En 1930, Staline propulse un petit bureaucrate inculte, peu connu, destiné à jouer un
rôle décisif dans la répression de la fin des années 1930. Nicolas Iejov a sympathisé en
1922 avec l’opposition ouvrière, dirigée par Alexandre Chliapnikov, pourtant menacé
d’exclusion par Lénine. Nommé en 1927 instructeur du comité central, chargé de faire
appliquer ses décisions par la répétition et la pression, puis affecté à de banales tâches
administratives au Kazakhstan, il donne alors l’image d’un bureaucrate inoffensif, selon
l’écrivain Dombrovski exilé dans la région. En 1930, Staline le nomme à la tête de la
section de répartition des cadres près le comité central, dont il n’est pas membre, et
l’autorise à participer aux réunions du bureau politique. Ce modeste début ne laisse pas
deviner son ascension fulgurante, suivie de sa chute vertigineuse, une fois remplie la
mission épuratrice, que Staline voulait lui confier.
Le 30 mars 1931, le chef du Guépéou, Viatcheslav Menjinski, rédige l’ordre no 154/93 à
l’occasion du dixième anniversaire du Guépéou de Géorgie, dont il fait un bilan très
flatteur : la liquidation quasi totale du parti menchevique de Géorgie, l’arrestation de ses
Comités centraux successifs, la liquidation totale des nationaux-démocrates, des
socialistes fédéralistes, des bandes qui ravageaient le pays et des groupes d’espions. « Les
organes du Guépéou de Géorgie ont été constamment à la hauteur de la situation ; ils ont
[…] anéanti la poignée des irréductibles et attiré du côté du pouvoir soviétique ceux qui
s’étaient égarés. » Menjinski souligne avec emphase les mérites de Beria, qui a « élevé et
forgé, dans le feu de l’activité combattante, les cadres nationaux » du Guépéou, qui a su
« avec un flair exceptionnel toujours s’orienter avec précision dans une situation très
compliquée, […] et en même temps inspirer ses collaborateurs par son exemple
personnel[65] ». Beria est présenté comme l’incarnation même du Guépéou de Géorgie,
la main de fer sans gant de velours. On n’a pas trace d’un voyage en Géorgie de
Menjinski, qui d’ailleurs malade et souvent alité à cette époque, laissait la direction
effective du Guépéou à Iagoda. C’est sans doute à ce dernier qu’il faut attribuer
l’avalanche de superlatifs qui ont contribué à la carrière de Beria.
Le 17 mai 1931, son supérieur, Redens, est muté à la tête du Guépéou de Biélorussie.
Selon son fils, Vladimir Allilouiev Redens, Beria et ses complices le faisaient
régulièrement boire malgré lui ; un soir, ils l’enivrèrent, le déshabillèrent et le renvoyèrent
tout nu chez lui. La traversée de Tiflis en cet appareil provoqua un scandale qui permit à
Beria de se débarrasser de lui. Ce récit a tout d’une fable. D’abord, Khrouchtchev
témoigne que Redens aimait et savait boire, comme la majorité des guépéoutistes ;
ensuite, Beria n’aurait pu se permettre de monter une provocation contre un membre par
alliance de la famille de Staline. La réalité semble plus prosaïque : Redens, soûl comme
d’habitude, rentra chez lui tout habillé, mais rata son appartement et entreprit d’entrer
chez un voisin. Il fit un tel tapage que la milice dut intervenir. Le scandale fut étouffé par
une mutation à la tête du Guépéou de Biélorussie, ce qui n’a rien d’une sanction. En 1988,
le juge Terekhov avancera une autre version : Beria, pour le compromettre, lui jeta dans
les bras une de ses collaboratrices qui lui fixa un rendez-vous, où se rendit aussi le
Guépéou qui l’interpella « et le sort de Redens fut réglé[66] ».
En fait, sa carrière a connu une progression qui dément les fables sur les manœuvres
perfides de Beria pour l’éliminer. Redens ne reste à Minsk que deux mois. Le 25 juillet
1931, il est muté à Kharkov, alors capitale de l’Ukraine, et nommé chef du Guépéou
d’Ukraine. Le passage de la lointaine Tiflis – avec une courte halte à Minsk – à la capitale
de la deuxième République soviétique est incontestablement une promotion, bientôt
suivie d’une autre : le 20 février 1933, Redens est nommé plénipotentiaire du Guépéou
pour la province de Moscou. Étrange victime.
Au cours de l’été 1931, la Géorgie occidentale, ravagée par la collectivisation forcée est
à son tour menacée de famine. Staline s’emporte contre Mikoyan, commissaire à
l’approvisionnement, qu’il accuse de le tromper, puis contre le premier secrétaire du PC
de Géorgie, Kartvelichvili, enfin contre la Tcheka géorgienne à qui il reproche d’arrêter
indistinctement des centaines de mécontents. Il exige la construction d’entrepôts pour
recevoir du blé venu du nord du Caucase et, dans une lettre à Kaganovitch, il insiste pour
« confier ce travail notamment à la Tcheka de Transcaucasie, et en particulier à
Beria[67] ». Dans une lettre à Kaganovitch du 26 août 1931, il accuse les dirigeants
géorgiens et d’Azerbaïdjan de se complaire dans des intrigues sans fin et de mentir. Trois,
à ses yeux, ne mentent pas, parmi lesquels il indique « Beria »[68]. Une promotion
s’annonce.
III.
Pour Beria, le meurtre de Trotsky est une affaire d’une autre ampleur. Dans la nuit du
24 mai 1940, une vingtaine de pistoleros déguisés en policiers mexicains, conduits par le
célèbre « peintre au pistolet » David Siqueiros – un communiste mexicain – et le dirigeant
du NKVD Grigoulevitch, attaquent la maison de Trotsky. Trois groupes mitraillent la
chambre où se reposent Trotsky et sa femme, réfugiés sous un lit, et réussissent à les
manquer. Beria, furieux, convoque Soudoplatov chez lui, où il est en train de déjeuner
avec ses deux fidèles adjoints Serov et Krouglov, qui le trahiront sans hésiter un instant
en 1953. Beria lui réclame des explications et l’emmène, le soir, à la datcha de Staline. Il
lui présente le plan de rechange de Soudoplatov que Staline approuve en affirmant :
« L’élimination de Trotsky se traduira par l’effondrement total du mouvement et nous
n’aurons plus besoin de dépenser de l’argent à combattre les trotskystes et les empêcher
de détruire le Komintern ou de nous détruire nous-même[243]. » « Nous », c’est la
nomenklatura. Confiant dans ce nouveau dispositif, Staline garde Beria et Soudoplatov à
dîner avec lui.
Le 30 mai, l’organisateur sur place de l’assassinat, Grigoulevitch, envoie un rapport à
Staline et à Molotov, réclamant d’urgence de 15 000 à 20 000 dollars US pour boucler
l’affaire. L’homme chargé d’abattre Trotsky, Ramon Mercader, est selon Soudoplatov
capable « d’utiliser trois moyens : tirer un coup de feu, le poignarder ou le battre à mort.
Comme aucun laboratoire spécialisé ne pouvait lui fournir de poison, il ne restait que ces
trois possibilités[244] ».
Le 20 août, Beria et Staline connaissent le succès qu’ils attendent depuis si longtemps.
Dans l’après-midi, Mercader entre dans la maison de Trotsky. Il porte un imperméable
sous lequel il a dissimulé un piolet au manche raccourci et dont les poches contiennent un
poignard et un pistolet. Sous prétexte de montrer un article à Trotsky, il entre avec lui
dans son bureau. Trotsky s’assied, se penche pour lire l’article. Mercader abat le piolet sur
son crâne. Trotsky pousse un cri terrible, mais se débat, s’accroche à l’assassin et réussit à
l’empêcher de s’enfuir. Le lendemain, vers 5 heures, son cœur cesse de battre. Beria,
obéissant à un ordre de Staline, ordonne aussitôt par décret aux responsables du goulag de
« liquider dans les camps les trotskystes actifs[245] ». Après le massacre en 1937 et 1938
des quelque 2 000 trotskystes grévistes de la faim à Vorkouta et Magadan, il n’en reste
pourtant plus guère. Sous ce terme, Staline désigne donc un éventail plus large de
victimes.
Après le retour à Moscou de Caridad Mercader et de Naoum Eitingon, le 6 juin 1941,
juste avant l’invasion allemande, Beria propose à Staline un projet de décret du Soviet
suprême, dont l’exposé dissimule l’objet exact : « Un groupe de cadres du NKVD, est-il
écrit, a rempli avec succès, en 1940, une tâche spéciale. Le NKVD de l’URSS propose de
décorer les six camarades qui ont pris part à la réalisation de cette tâche[246] », dont,
même dans le cercle très étroit des dirigeants soviétiques, Beria évite de préciser la
nature. Il propose d’attribuer l’ordre de Lénine à Caridad Mercader et à son instructeur et
amant, Naoum Eitingon, l’ordre du Drapeau rouge à Lev Vassilevski et à Pavel
Soudoplatov, et l’ordre de l’Étoile rouge à Iossif Grigoulevitch et son adjoint Pavel
Pastleniak. Staline donne son accord. À sa libération de prison, en 1960, Mercader
recevra la médaille de Héros de l’Union soviétique, des mains du chef du KGB de
l’époque Alexandre Chelepine. Malgré son zèle, le procureur général de l’URSS,
Roudenko, accusera Beria en 1953 d’avoir entretenu des liens avec les trotskystes… par
l’intermédiaire du tueur Naoum Eitingon. L’imagination des procureurs staliniens est à la
fois pauvre et sans limite.
Tout aussi ridicule, Sergo Beria prétend que son père était opposé à l’assassinat de
Trotsky. Dans l’édition russe de ses souvenirs, il affirme qu’en 1950 son père lui dit : « Ils
veulent liquider Tito comme ils ont fait jadis avec Trotsky. À cette époque-là je n’ai rien
pu faire [comme s’il voulait faire autre chose qu’exécuter les ordres de Staline]. L’affaire
remontait à 1929 et était allée trop loin[247] » ; dans l’édition française, il met dans la
bouche de son père une tout autre phrase, aux forts relents provocateurs : « Nous
surveillons chaque geste de Trotsky et nous le contrôlons parfaitement », et il ajoute :
« Le NKVD noyautait effectivement tout le mouvement trotskyste. Pour mon père
l’élimination de Trotsky réduirait à néant ses efforts. Il estimait qu’il valait mieux
s’arranger pour l’entretenir au lieu de le laisser dépendre financièrement des Américains,
des Allemands et des Anglais », ainsi tous unis, selon Sergo Beria, pour soutenir à bout de
bras la Quatrième Internationale. Mais, continue le fils, « Staline s’entêta »[248].
Cette mission terroriste est, comme le massacre des officiers polonais ou la déportation
de leurs familles et la filtration des prisonniers soviétiques de la guerre de Finlande, un
volet de la préparation par Staline de la guerre qui vient. Un autre volet est le
renforcement de la législation antiouvrière. Un décret du 26 juin 1940 annule celui de
1927 sur la journée de sept heures et le repos hebdomadaire ; il porte la durée de travail à
huit heures, proclame la semaine de sept jours et interdit à l’ouvrier de « quitter
l’entreprise de sa propre initiative ». Un décret du 10 août 1940, enfin, punit l’absence
injustifiée (dont le retard supérieur à vingt minutes), la production de rebut, fréquente, et
le chapardage sur le lieu de travail, tout aussi fréquent vu les bas salaires et la pénurie
généralisée, d’une peine de prison ou de camp allant d’un à trois ans.
Dans le même sens, les autorités interrompent les réhabilitations engagées depuis le
remplacement de Iejov par Beria. En septembre 1940, le commissaire à la Justice de
l’URSS, Botchkov, ancien cadre du NKVD, adresse une note à tous les procureurs pour
« mettre fin à l’examen des réclamations de parents de condamnés à mort et à la révision
de leur affaire jusqu’à réception d’indications spéciales[249] ». Le 10 septembre 1940,
Staline décide que les condamnés à des peines légères, jusqu’alors envoyés en prison,
seront désormais expédiés au goulag, dont les effectifs frôlent les 2 millions de détenus au
1er janvier 1941.
Au début d’août 1940, Beria remplit une mission que lui confie Staline, et qui le
rattrapera en 1953. Il fait arrêter Ilia Belakhov, membre de la direction de la parfumerie
que commande Paulina Jemtchoujina, la femme de Molotov. Il fait soumettre Belakhov à
d’effroyables tortures, en particulier par l’énorme Koboulov, pour lui faire avouer qu’il a
été l’amant de Jemtchoujina et que cette dernière est un agent des services de
renseignements étrangers. Avant d’être fusillé, le 1er novembre 1941, avec 24 autres
victimes des services de Beria, Belakhov a la force de raconter ses tortures dans une
plainte classée aux archives : « Dès le premier jour de mon arrestation on m’a frappé trois
ou quatre fois par jour, même les jours de congé. On me frappait avec des matraques en
caoutchouc, avec des baguettes et des règles en fer, on me frappait sur les parties
sexuelles. Je perdais connaissance. On me brûlait le corps avec des cigarettes, on
m’aspergeait d’eau, on me faisait ainsi reprendre connaissance et on recommençait à me
battre. Puis on m’envoyait à l’infirmerie, on me jetait au cachot et on recommençait à me
battre le lendemain. Je finis par pisser du sang, on me brisa la colonne vertébrale, je
perdis la vue et fus sujet à des hallucinations[250]. » Koboulov avoue avoir ainsi frappé
Belakhov dans le bureau de Beria. Merkoulov, lui, gémit : « Ma sclérose croissante du
cerveau a tellement affaibli ma mémoire qu’il y a beaucoup de choses dont je ne me
souviens plus du tout, et d’autres […] confusément[251] », à commencer par les tortures
infligées à Belakhov.
Beria prolonge donc, à la demande de Staline, la campagne contre la femme de Molotov
engagée par le Guide dès l’année précédente comme moyen de chantage. Paulina
Jemtchoujina est le modèle de la nouvelle aristocrate parvenue. Toujours vêtue, avec une
élégance tapageuse, de robes achetées en devises à l’étranger, pleine de morgue, elle joue
à la « première dame » du régime. Élue en mars 1939 membre suppléant du comité
central, elle est nommée commissaire à la Pêche, domaine dont elle ne connaît rien. Le
10 août 1939, Staline dicte au bureau politique une résolution rendue publique, l’accusant
d’avoir par légèreté laissé son commissariat infesté d’« espions hostiles [sic !] ». Le
24 octobre 1939, il la fait démettre de ses fonctions « pour insouciance et légèreté[252] »,
puis nommer chef de la direction principale de l’industrie textile et de la mercerie ; il
ordonne son exclusion du comité central en février 1940, puis l’arrestation de Belakhov
peu après. Il maintient ainsi une menace permanente au-dessus de la tête de Molotov.
Beria s’attaque enfin à la reconstruction des services de renseignements soviétiques à
l’étranger démantelés par les répressions des années 1937-1939. La tâche est difficile. Les
contacts interrompus avec les agents Le Corse et Starchina en Allemagne ne seront
renoués qu’en septembre et octobre 1940. Beria a nommé Amaiak Koboulov, frère cadet
de Bogdan, résident de la Sécurité d’État à l’ambassade soviétique à Berlin, où il travaille
sous le pseudonyme de Zakhar. Au début d’août 1940, il rencontre un émigré letton,
Oreste Belinks, qui se prétend au chômage après la disparition du journal où il travaillait
en Allemagne, affirme comprendre les raisons de la présence soviétique dans les Pays
baltes et se dit prêt à communiquer à Moscou les informations qu’il peut recueillir auprès
de ses connaissances parmi les membres du ministère des Affaires étrangères allemand.
Dix jours plus tard, Amaiak Koboulov annonce le recrutement de cet agent sous le
pseudonyme le « Lycéen ». Pendant près d’un an, au cours de rencontres dans des parcs,
au bar d’hôtels ou de cafés divers, ce « Lycéen » abreuvera le jeune Koboulov de fausses
nouvelles fidèlement transmises à Beria.
Cependant Beria n’a rien abandonné de ses activités de basse police. Staline, pour des
raisons inconnues, a déjà des comptes à régler avec le maréchal Koulik qu’il fera
condamner à mort en 1950. Sur sa demande, Beria organise l’enlèvement, puis le meurtre,
de sa jeune et jolie femme âgée de 18 ans, née Simonitch. En octobre 1940, Beria
convoque dans son bureau Benjamin Goulst, chef adjoint de la section de la garde, et lui
déclare, d’après Goulst : « Je t’arrache les intestins, je t’écorche la peau, je te coupe la
langue si tu répètes à quelqu’un ce que je vais te dire maintenant. » Il lui explique qu’il
faut enlever la femme de Koulik, lui fournit comme adjoints les deux tueurs Vlodzimirski
et Tseretelli, et lui ordonne de « l’enlever à un moment où elle est seule »[253]. Les trois
hommes montent une embuscade rue Vorovski (redevenue aujourd’hui rue Povarskaia),
où vivent le maréchal et sa jeune femme. Enfin le jour se présente où elle se trouve seule.
Les trois hommes l’enlèvent et l’emmènent à la prison spéciale de la Soukhanovka. Le
maréchal remue ciel et terre. Beria joue la comédie, lance un avis de recherche et feint de
se démener pour retrouver la jeune femme, que Tseretelli et Vlodzimirski, sur son ordre,
transfèrent six semaines plus tard au siège du NKVD, à la Loubianka, où ils la fusillent
avant même que le procureur Botchkov ait eu le temps de rédiger sa condamnation à
mort, ce qui le contrarie quelques minutes.
Les éditions L’Aube de l’Orient sises à Tbilissi publient à cette époque une biographie
hagiographique de Beria rédigée par Merkoulov, intitulée « Le Fils fidèle du parti de
Lénine-Staline ». Après son arrestation, Merkoulov tentera d’en nier la paternité mais le
procureur lui mettra sous le nez une lettre du responsable des éditions qui le désigne
comme l’auteur. Merkoulov, pour se défendre, dira : « Cette biographie de Beria reflète
de sa vie seulement ce qu’il racontait lui-même sur lui-même[254]. » C’est évidemment
plus simple ainsi.
Les lignes qui concluent cette brochure suffisent à donner une image de son contenu et
du talent littéraire de Merkoulov. Évoquant les dernières élections aux soviets, l’ouvrage,
dans une langue de bois primaire, exalte « le grand guide des travailleurs du monde entier,
l’inspirateur et l’organisateur des victoires mondiales historiques du socialisme, le maître
sage et l’ami, le cher, le bien-aimé Staline ». Puis Merkoulov descend d’un degré dans le
lyrisme pour chanter « le plus proche compagnon d’armes du grand Staline, le chef du
gouvernement de notre puissante puissance socialiste, le camarade Molotov ». Enfin vient
le tour du chef de clan, « le fils bien-aimé du peuple géorgien, le disciple et le compagnon
d’armes fidèle du grand Staline, le dirigeant combatif des célèbres services de
renseignements soviétiques, le camarade Beria »[255].
Mais ces jeux où il excelle ne le protègent pas de la colère de Staline, constamment
occupé à chercher des boucs émissaires pour expliquer les difficultés du pays. Le
7 novembre 1940, Beria participe chez Staline au long déjeuner qui suit sur le mausolée la
parade anniversaire de la révolution, devant une foule moscovite dont l’enthousiasme
officiel dissimule mal la situation matérielle difficile. Staline est dans tous ses états. Il
vocifère : « Nos avions ne peuvent rester en l’air que trente-cinq minutes, tandis que ceux
des Allemands et des Anglais tiennent plusieurs heures », mais, gronde-t-il, « aucune des
institutions militaires ne nous a informés sur la [mauvaise qualité] des avions. Personne
parmi vous n’a pensé à cela […] Je suis seul à m’occuper de toutes ces questions.
Personne parmi vous ne fait ne serait-ce que l’effort d’y penser. Je suis seul ». Il se refuse
à reconnaître que la concentration des pouvoirs entre ses seules mains, sa volonté de tout
décider et de tout contrôler, le recours à la seule contrainte paralysent ses proches eux-
mêmes et interdisent toute initiative. Il ne connaît que la menace : « Les gens sont des
incapables […]. Ils m’écoutent jusqu’à la fin, puis laissent tout comme avant. Mais vous
allez voir si je perds patience. » Puis, selon Dimitrov qui relate la scène, il vise surtout
Kaganovitch et Beria qu’il fixe : « Je vais tellement cogner sur ces [deux] pleins de soupe
que tout ça va se fissurer[256]. » Beria ne peut pas ignorer, s’il ne le savait déjà, que, si
haut qu’il monte au sommet du Kremlin, il sera toujours menacé.
VII.
L’IMPROBABLE HÉRITIER
À la mort de Staline, l’Union soviétique, dans un état lamentable, étouffe ; sa
production industrielle patine et son agriculture est ruinée. Depuis plusieurs années, les
kolkhozes doivent livrer à l’État une bonne moitié du blé qu’ils récoltent et plus de la
moitié de la viande et du lait qu’ils produisent, à des prix qui ne couvrent même pas les
frais de production. Théoriquement, le kolkhozien reçoit à la fin de chaque année une
rémunération calculée en « jours de travail » (troudodien). Or très officiellement, en
1950, 22, 4 % des kolkhoziens n’ont pas touché un seul jour de travail. Ils ont travaillé
gratuitement toute l’année ! 20 % des kolkhoziens ont touché, eux, pour toute l’année…
UNE LIVRE de grain[418]. Leur condition est à peu près celle de l’esclavage, d’autant que
leur liberté de déplacement est très sévèrement limitée : depuis 1932, ils ne disposent pas
de passeport intérieur, c’est-à-dire de carte d’identité. Ils font donc le minimum dans le
kolkhoze et, pour survivre, concentrent leurs efforts sur leur petit lopin individuel. En
réponse, et pour les décourager, Staline imposait lourdement ce misérable revenu, y
compris par un impôt sur chaque arbre fruitier, tel que certains préféraient abattre leurs
arbres. L’URSS se retrouve confrontée à une sorte d’immense grève passive des paysans
et à un déficit alimentaire mal dissimulé par des baisses de prix annuelles sur des produits
de plus en plus introuvables.
Au comité central de juillet 1953, Khrouchtchev affirme devant un auditoire déjà
convaincu : « De nombreux secteurs de l’agriculture sont sinistrés : peu de lait, peu de
viande. » Un membre du présidium ajoute : « Ni assez de pommes de terre. »
Khrouchtchev répète : « Pas assez de pommes de terre. » Pourquoi ? Parce qu’on paye
aux kolkhozes 4 kopecks le kilo de pommes de terre. Somme dérisoire. Enfin l’URSS
compte 3,5 millions de vaches de moins qu’avant la guerre (et sur un territoire élargi !).
Khrouchtchev enfonce les portes ouvertes : « Moins de vaches, c’est moins de viande,
moins de beurre, moins de cuir[419]. » Mikoyan souligne que l’État achète la viande aux
kolkhoziens 25 kopecks le kilo, alors que le litre d’essence vaut un rouble, soit quatre fois
plus ; le kolkhozien doit donc vendre quatre kilos de viande pour acheter un litre
d’essence. Quatre ans plus tard, en 1957, Kirill Mazourov, président en 1953 du Conseil
des ministres de Biélorussie, le répète devant le comité central : « En 1953 on en était
arrivé au point que les kolkhozes avaient cessé de planter des pommes de terre, parce que
l’État leur payait 3 kopecks le kilo pour le stockage […] ; l’élevage s’effondrait[420]. »
Selon le secrétaire du comité régional de Smolensk, Pavel Doronine, « l’agriculture de
la région de Smolensk était effrayante […] ; entre 1951 et 1953 100 000 kolkhoziens ont
quitté la région. Vous aviez cinq brigades dans un kolkhoze et, le lendemain, il n’en
restait plus que quatre. Pendant la nuit une brigade s’était réunie en secret et était partie
après avoir condamné toutes les maisons. » Mais, ajoute Doronine, suscitant une vive
agitation dans la salle, « quand nous allions au comité central, comme nous ne savions pas
si nous en ressortirions, nous faisions des rapports mensongers[421] ». Le Géorgien
Bakradzé déclare lui aussi en juillet 1953 au comité central : « Le déficit aigu de légumes,
de pommes de terre, de produits laitiers, etc. se répercute sur l’état d’esprit de la
population des villes[422]. » Même l’ultrastalinien Kaganovitch admet : « Le logement
est la question la plus aiguë dans le pays » et cite l’Oural, où de nombreux travailleurs
vivent, dit-il, dans des « demi-zemlianki[423] », fosses recouvertes de planches ou de
tôles.
La seule réponse à l’immense grève passive des kolkhoziens aurait été d’acheter leur
production à un prix à peu près acceptable. Staline s’y refusait. La solution adoptée, que
Mikoyan rappelle, n’est qu’un énorme gâchis : « Chaque année les établissements de
Moscou et d’autres villes envoyaient des employés, payés 1 000 roubles par mois, planter
ou arracher des pommes de terre, pendant que les kolkhoziens les regardaient en riant. Au
lieu d’engager les paysans à cultiver la pomme de terre, on les remplace dans les champs
par des employés et des ouvriers hautement qualifiés[424] » dans un secteur d’activité
qu’ils sont forcés d’abandonner.
Ainsi, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants ne peuvent ni se loger ni se
nourrir convenablement, mais les dirigeants parlent de « socialisme réalisé » – ce qui,
dans leur bouche, reflète seulement la situation sociale de privilégiés, confortablement
installés, bien nourris et bien transportés. Khrouchtchev risque pourtant en plein comité
central : « De quel communisme peut-on parler, quand il n’y a ni galette ni
beurre[425] ? »
Il se répétera en écrivant plus tard : à la mort de Staline, « le pays était ruiné […] les
prisons étaient surpeuplées […] la guerre froide battait son plein. Le poids du primat de
l’industrie de guerre sur le peuple soviétique était incroyable ». Mais, à l’en croire, les
hauts dignitaires n’en savaient rien, même si « dans la dernière période de la vie de
Staline, avant le XIXe congrès et surtout après, des doutes apparurent parmi son entourage
proche (j’ai en vu moi-même, Boulganine, Malenkov et dans une certaine mesure Beria)
[426] », chez qui ils s’exprimèrent le plus vite et le plus nettement.
La crise du système ravage même le goulag où, depuis la fin des années quarante, se
multiplient troubles, grèves, bagarres, révoltes même, qui réunissent toutes les catégories
de détenus (politiques, droit-commun, anciens soldats et officiers de l’Armée rouge,
nationalistes baltes et ukrainiens).
À cette époque, écrit l’historien russe Naoumov, « la société soviétique se trouvait à la
veille d’une explosion sociale […] tous les clichés de la propagande officielle ne
pouvaient déjà plus dissimuler les profondes contradictions qui déchiraient la société. Des
millions et des millions de gens avaient de longues années durant supporté des privations
et des sacrifices incroyables. Leur patience arrivait à son terme. La masse de la population
avait déjà perdu foi dans le “futur radieux” promis par le Parti[427]. »
Or la mort de Staline affaiblissait la peur devant l’État dont il était l’incarnation
suprême voire solitaire. « La mort de Staline bouleversa notre vie jusque dans ses
fondements, écrit Vladimir Boukovski, […] on avait comme le sentiment qu’il n’y avait
plus de pouvoir. » Et il souligne : « L’orientation vers une déstalinisation partielle après la
mort du chef était inévitable et le premier à la proposer fut non Khrouchtchev, mais
Beria[428]. »
Le discours de Beria, au-delà des lamentations rituelles qui constituent l’essentiel des
discours de Malenkov et de Molotov, comporte une annonce politique. Du haut du
mausolée il promet de faire respecter les droits des citoyens. Mikoyan affirmera, en
juillet 1953, lui avoir alors déclaré : « Ton discours contient un passage sur la garantie à
chaque citoyen des droits de la personne garantis par la constitution. Dans le discours
d’un autre dirigeant, ce ne serait qu’une déclaration politique, dans celui du ministre de
l’Intérieur, c’est un programme d’action. » Et, dit-il, Beria lui répondit : « Je le mettrai en
œuvre[429]. »
Le nouveau pouvoir sent une puissante pression muette, passive, mais massive, venue
d’en bas et qui s’exprime dans la certitude diffuse que rien ne pouvait plus durer comme
avant. Les successeurs de Staline ont pour tâche de sauver le régime en liquidant une
partie de son héritage pour mieux en préserver l’essentiel.
De plus, la couche dirigeante de l’appareil du Parti et de l’État tient à sa sécurité, que
les dernières intrigues de Staline (le complot mingrélien, le complot des médecins, etc.)
menaçaient, comme prémices d’une purge aux dimensions imprévisibles. Staline avait
placé tout l’appareil régional et local du Parti sous le double contrôle de l’appareil central
et de la police politique. Les dirigeants des partis des quatorze Républiques (il n’y pas de
parti russe), des comités de régions, de territoires, de districts et de villes aspirent à
échapper totalement au contrôle de l’appareil policier et à desserrer celui de l’appareil
central afin d’acquérir une certaine autonomie de décision, que Staline stigmatisait
comme du « localisme » et leur refusait. Ils veulent pouvoir jouir de leurs privilèges sans
craindre les caprices mortels d’un secrétaire général et les coups de sa police politique, ils
veulent se débarrasser de la peur que Staline maintenait depuis vingt ans. L’homme qui
exaucera ces souhaits aura les plus grandes chances d’accéder au pouvoir. Or, vu son
passé et ses fonctions, Beria n’est pas le mieux placé pour affranchir le Parti de
l’étouffante tutelle de la police politique.
L’ensemble de la population est dans le même état d’esprit. Boris Drozdov, fils d’un
détenu du goulag, vivant à Magadan, le décrit bien : « Quand Staline est mort, tout le
monde a eu la frousse. Mon père a eu peur. Tous craignaient que Beria ne prît le pouvoir
et il leur flanquait la trouille. On associait le goulag à Beria et au MVD, pas à Staline,
dont beaucoup imaginaient qu’il n’avait même pas su la vérité sur les camps[430]. »
Le rejet de Staline commence aussitôt, d’abord discret. Dès le lendemain de ses
funérailles, au présidium du 10 mars, Malenkov déclare : « Nous jugeons obligatoire de
mettre fin au culte de la personnalité[431]. » Beria est d’accord, Khrouchtchev suit. Le
12 mars, est livrée à l’impression une réédition du dictionnaire de la langue russe
d’Ojegov. Le substantif « staliniste », défini en 1952 comme « inébranlablement dévoué à
la cause de Lénine-Staline », a disparu. L’adjectif « stalinien » – « qui a rapport à la
construction du socialisme et du communisme sous la direction du grand chef des peuples
J.V. Staline » – se réduit à la plate définition : « Qui a rapport à la vie et à l’action de
J.V. Staline », et des neuf exemples antérieurs illustrant le sens de ce mot si riche n’en
demeure qu’un seul, tout aussi plat.
Cette dénonciation du « culte de la personnalité » n’est pas l’embryon du futur rapport
secret de Khrouchtchev au XXe congrès de février 1956. Elle concerne surtout le
fonctionnement de la direction, ce que Malenkov précisera au plénum du comité central
de juillet 1953 : « La question du culte de la personnalité est directement et étroitement
liée au caractère collectif de la direction […] le culte de la personnalité de Staline, dans le
fonctionnement quotidien de la direction, avait pris des formes et des dimensions
maladives qui nuisaient à la pratique collective du travail[432]. » Deux exigences précises
apparaissent : la convocation régulière du comité central, qui se réunit en un mois presque
autant qu’au cours des douze dernières années sous Staline (cinq fois), et le refus de toute
déification au profit d’un dirigeant au détriment des autres.
Le réformateur ne se trouve pas parmi les vieux staliniens endurcis – Molotov,
Kaganovitch et Vorochilov –, qui ne peuvent ni ne veulent rien changer. Quel candidat,
alors, pour cette fonction ? L’hebdomadaire du PC italien Vie Nuove du 15 mars 1953,
publiant les noms et les photographies de ceux qui « dirigent aujourd’hui l’Union
soviétique », indique dans l’ordre : Malenkov, Beria, Molotov, Boulganine, Kaganovitch
et Vorochilov, c’est-à-dire les chefs du gouvernement et le président du Soviet suprême,
figure purement symbolique. Pas de Khrouchtchev. Beria et Malenkov semblent les
maîtres du jeu. Ils s’adjoignent Khrouchtchev, sans doute parce qu’ils sous-estiment ce
personnage qui joue au simplet et semble prêt à se contenter de gérer la machine du Parti
dans leur ombre, pendant qu’eux exerceront le véritable pouvoir, celui du gouvernement –
Malenkov comme héritier probable, Beria comme son second.
Pendant plusieurs semaines, Beria, Malenkov et Khrouchtchev paraissent former un trio
d’inséparables. Ils déambulent ensemble dans le Kremlin avant les réunions du présidium
et se mettent d’accord entre eux, parfois avec Molotov, sur les propositions à soumettre,
ainsi assurés d’imposer leurs vues. Khrouchtchev et Malenkov ayant remplacé le rythme
de travail aberrant de Staline (de midi ou 1 heure au milieu de la nuit) par des horaires
normaux, les trois hommes quittent ensemble le Kremlin, où vivent les autres dirigeants, à
6 heures du soir. La voiture de Beria lâche Malenkov et Khrouchtchev devant l’immeuble
de la rue Granovski où les deux hommes habitent, puis dépose Beria à son hôtel
particulier.
À peine installé à la tête du ministère réunifié, le MVD, celui-ci entreprend une vaste
purge de son appareil dirigeant avant d’y placer ses créatures. Le 11, il limoge les vice-
ministres de la Sécurité d’État Alexis Epichev, nommé en août 1951, Riasnoï, Lialine,
Mironenko et Nikiforov ; Alexis Epichev, devenu premier secrétaire du comité régional
d’Odessa, a demandé avec insistance, jure-t-il, à quitter sa fonction de vice-ministre,
jusqu’à ce que Beria lâche, l’air menaçant : « Tu ne veux pas travailler avec moi ? Bon, à
ton aise » ! En fait, il veut suggérer qu’il était depuis le début hostile à Beria. Selon lui,
aux réunions, Beria aime à citer une phrase qu’il attribue à Staline : « Un ennemi du
peuple, ce n’est pas seulement celui qui sabote, mais aussi celui qui doute de la justesse
de la ligne du Parti. Des gens comme ça, il y en a encore beaucoup parmi nous, et nous
devons les liquider[433]. » Epichev, qui sera plus tard l’un des proches de Brejnev, fabule
sans doute car Beria n’a que faire de la « ligne du Parti », et son activité pendant les trois
mois suivants n’aura jamais comme objectif premier, ni même second, de liquider ceux
qui doutent de sa justesse.
Le 12 mars, Beria rappelle en urgence Koboulov, du Goussimz en Allemagne, où il
s’engraissait depuis six ans, et le nomme premier vice-ministre de l’Intérieur. Dès le
lendemain, il réunit les cadres de la Sécurité d’État et de l’Intérieur et leur annonce la
fusion officielle (publiée le 15) des deux organismes en un seul ministère : « Les organes
doivent avoir un seul patron[434]. » Il suspend les interrogatoires d’Abakoumov, mais le
laisse moisir dans sa cellule. Le 14, il limoge un autre vice-ministre, I. Savtchenko, en
même temps chef de la 1re direction du service spécial du comité central ; le 16 mars, il
remercie un autre vice-ministre de l’Intérieur, N. Bogdanov ; à ces postes il place ses
fidèles, qui se bousculent. Ainsi, Merkoulov, alors ministre du Contrôle d’État, écrit le
11 mars à Beria une lettre qui lui coûtera cher quelques mois plus tard. Se définissant
comme un demi-invalide après l’infarctus du myocarde qui l’a frappé quelques semaines
plus tôt, il s’enflamme : « Cher Lavrenti ! Je veux te proposer mes services : si je peux
t’être utile quelque part dans le MVD, je te demande de disposer de moi comme tu le
jugeras le plus rationnel. La fonction ne joue pas de rôle pour moi, tu le sais[435]. »
À la réunion – certes de pure forme – du Soviet suprême le 15 mars pour valider la
composition du gouvernement, c’est encore Beria qui propose Malenkov comme
président du Conseil des ministres. Molotov affirmera l’avoir averti avant la réunion que
la proposition devait émaner du secrétaire du comité central, Khrouchtchev, et non de lui,
mais Beria a tenu à agir lui-même. Il endosse le rôle de patron et se présente comme
l’homme fort de la nouvelle équipe gouvernementale, celui qui désigne le chef du
gouvernement. Une telle prétention ne peut qu’indisposer ses collègues.
La mort de Staline a déchaîné les appétits des différents clans soudain libérés. Quoique
formellement sous la tutelle de Malenkov, Beria a des atouts majeurs pour contrôler, voire
écarter, ses rivaux de la direction collective. En tant que chef du ministère unifié de
l’Intérieur et de la Sécurité, qui dispose de troupes spéciales, il contrôle théoriquement la
garde du Kremlin et la garde personnelle de chacun des membres du présidium et du
secrétariat du comité central, puisque c’est lui qui les désigne. Ces hommes doivent lui
rendre compte des conversations et des activités des personnalités qu’ils protègent et
surveillent, grâce notamment à un vaste réseau d’écoutes téléphoniques. Enfin, maître des
archives du ministère de l’Intérieur, il accède aux dossiers les plus compromettants sur
tous ceux contre lesquels Staline a consigné les aveux les plus délirants, arrachés par la
torture à leurs anciens collaborateurs arrêtés. De plus, les troupes du ministère de
l’Intérieur, amenées à Moscou pour les funérailles de Staline, y restent stationnées sur son
ordre, au lieu de retourner dans leurs casernes. Leur présence suggère l’hypothèse d’une
manœuvre de Beria pour s’emparer du pouvoir.
En réalité, ses forces et ses moyens sont beaucoup moins impressionnants qu’il n’y
paraît ; le ministère de l’Intérieur, produit de la réunification de deux ministères séparés,
n’est pas un organisme monolithique à sa botte. Certes, Beria y a nommé en hâte
quelques-uns de ses fidèles aux principaux postes de direction – dont Soudoplatov et
Eitingon, les deux organisateurs de l’assassinat de Trotsky, nommés chefs adjoints de
deux directions clés. Mais la Sécurité d’État a été pendant près de huit ans sous la
responsabilité d’Abakoumov puis d’Ignatiev, qui y ont placé à divers niveaux des
hommes étrangers à Beria, qui ne lui doivent rien. Ses deux vice-ministres, Krouglov et
Serov, ne lui sont que modérément dévoués. Le troisième, Maslennikov, sans doute plus,
mais il n’a pas le poids des deux premiers. Le quatrième, Koboulov, lui est pour le
moment fidèle.
On prétend souvent que Krouglov est lié à Malenkov et Serov à Khrouchtchev depuis
son affectation en Ukraine en 1939. D’après Boris Sokolov, « si Beria s’était soudain
décidé à entreprendre quelque action suspecte, ses adjoints en auraient aussitôt informé
leurs patrons[436] » à condition, bien entendu, que ceux-ci leur paraissent sûrs de la
victoire. Car présenter quelqu’un comme l’homme d’un tel ou d’un autre, c’est introduire
dans ce monde de bureaucrates cyniques, concurrents entre eux et qui se haïssent, des
liens de solidarité, qui ne peuvent exister que sur la base d’un accord ou d’une entente
politique. La preuve en est que TOUS les « hommes » de Beria l’abandonneront en
quelques heures, sinon en quelques minutes. Ce n’étaient des « hommes de Beria » que
pour autant que celui-ci assurait leur carrière et tenait la barre. De même les « hommes de
Malenkov » l’abandonneront en janvier 1955, quand Khrouchtchev le démettra de la
présidence du Conseil des ministres, et les « hommes de Khrouchtchev » en octobre 1964,
lorsque celui-ci sera démis de toutes ses fonctions.
Krouglov et Serov ont, l’un et l’autre, commencé leur carrière dans le NKVD puis en
1939 dans le MGB sous Beria. Dans un document de 1939, adressé à Beria, Serov
dénonce le comportement grossier de Khrouchtchev à son égard. Beria le défendra plus
tard face à Abakoumov, qui dans une lettre à Staline de 1946 a accusé ce même Serov de
malversations financières – accusation que Serov lui retournera et vraie dans les deux cas.
Beria choisit Krouglov et Serov comme adjoints en mars 1953, parce qu’il pense pouvoir
compter sur eux. C’est pour s’affranchir d’une telle complicité qu’après l’arrestation de
Beria Krouglov se plaint devant le comité central : Beria les aurait marginalisés, lui,
Serov et Maslennikov, en leur confiant seulement la gestion de la milice et des pompiers,
ainsi que des questions économiques, pour les écarter du domaine propre de la Sécurité
d’État et des problèmes politiques. Selon lui, Beria règle les questions importantes,
surtout celles qui concernent la Sécurité d’État, seul à seul avec Koboulov. Or les vice-
ministres n’avaient pas accès aux minutes du présidium. Ils n’étaient consultés que sur les
questions concernant l’ancien MVD, la police quotidienne et les garde-frontières. Limités
à la gestion des affaires courantes, ils ne se sentaient pas pleinement vice-ministres.
Krouglov dit sans doute vrai, car Beria ne doit guère nourrir d’illusions sur le niveau
intellectuel et politique de ces fonctionnaires de la répression policière, qui, connaissant
sur le bout des doigts les règles du jeu, savent estimer les chances des uns et des autres.
Les cadres du ministère obéissent à Beria, parfois à contrecœur, tant qu’il est le chef ; leur
dévouement ne va pas au-delà. De plus, certaines mesures prises par Beria vont en
mécontenter certains.
La police politique n’a joué un rôle décisif sous Staline qu’en tant qu’instrument de
contrôle pour lui et, après sa mort, pour le secrétariat du comité central, qui commande à
l’armée. Or les chefs militaires détestent Beria et l’armée ne ferait qu’une bouchée des
troupes spéciales du ministère de l’Intérieur.
Le contrôle des archives du ministère de l’Intérieur, qui contiennent des documents
accablants sur la participation de tous les collègues de Beria au présidium – sauf les
jeunes technocrates Sabourov et Pervoukhine – à l’épisode sanglant de 1936-1939, est
une arme à double tranchant. Elle représente une telle menace pour eux qu’elle ne peut
que les inquiéter et les pousser à se coaliser contre lui. Ses agissements, au cours des
semaines qui suivent, ne les menacent certes pas directement, mais montrent qu’il peut
s’en servir contre chacun d’eux. Lorsque la Sécurité d’État sera de nouveau isolée du
ministère de l’Intérieur et transformée en comité (le KGB), Khrouchtchev en confiera la
responsabilité à Serov, chargé notamment de détruire les preuves de sa participation aux
massacres. Lui, par contre, les utilisera contre ses adversaires en 1957, puis en 1961. A
posteriori, on mesure le danger que représentait pour tous, en 1953, la mainmise de Beria
sur ces documents explosifs.
Beria, en plus, compte de nombreux adversaires. En débarrassant en hâte son ministère
de ses tâches économiques et de la gestion de la plupart des camps du goulag, il semble
concentrer son ministère sur ses seules tâches répressives, ce qui ne peut qu’inquiéter ses
pairs et l’appareil du Parti. Tous les chefs politiques et militaires ont vécu, vingt ans
durant, sous la menace permanente de la Sécurité d’État, qui pouvait, sur ordre de Staline,
arrêter en pleine nuit, torturer et fusiller n’importe lequel d’entre eux. Ensuite, l’appareil
du ministère de l’Intérieur sur place, espionne, contrôle, voire dénonce les cadres du Parti
et du gouvernement ; il agit comme un pouvoir parallèle, se mêlant de tout, sans être
responsable de rien. Il est donc une menace permanente pour tout cet appareil du parti,
qui veut s’émanciper de sa tutelle et placer la police sous son contrôle. Khrouchtchev le
perçoit mieux que les autres ; c’est lui qui va tisser les fils de l’intrigue pour écarter Beria.
En réalité, l’ambition politique de Beria dépasse le seul contrôle de ses collègues. Il est
le mieux informé de l’état d’esprit réel du pays, grâce au contrôle général exercé par
l’appareil policier qui fournit un état complet de la situation économique, sociale et
politique du pays. Les cadres du Parti, eux, bluffent systématiquement pour se protéger
des exigences et des menaces du sommet ; ils ne sont bons qu’à produire une paperasse en
développement exponentiel. De plus, l’appareil du Parti est constitué d’une foule de
permanents habités, d’abord et avant tout, par le souci de leur maintien en poste, puis de
leur ascension au sein de l’appareil. Cet appareil avec ses multiples ramifications est un
condensé de carriérisme et d’incompétence flagrante, qui suffoque même ses membres.
Lorsque Piotr Chelest, directeur de l’usine d’avions de Kiev, est promu deuxième
secrétaire du comité de ville du Parti en février 1954, il est aussitôt frappé par le règne de
la parlote stérile : « Au début, note-t-il dans son journal, j’ai eu de la peine à m’habituer :
beaucoup de conversations, de conciliabules, de conférences, de réunions, sans qu’on voie
de résultat. » Les rapports des cadres du Parti, à tous les niveaux, comportent selon lui
« beaucoup de mensonges, une tromperie raffinée, des promesses sans fin » jamais
tenues. Quant aux débats menés par le premier secrétaire du comité régional, Grichko, ils
se résument à une succession de « hurlements et menaces[437] ».
Khrouchtchev souligne une conséquence de cette réalité accablante devant le comité
central en 1961. Le secrétaire du comité territorial de Krasnodar, coupable d’avoir raflé
100 000 vaches aux ouvriers des sovkhozes et de les avoir fait abattre pour remplir le
quota de livraison de viande à l’État, a été blâmé pour ce bluff et ce carnage, limogé… et
aussitôt nommé secrétaire du comité du Parti de Kalouga. Khrouchtchev s’en indigne :
« S’il a été mauvais à Krasnodar, il sera meilleur à Kalouga ? […]. Il a échoué comme
premier secrétaire, et voilà qu’on le nomme deuxième secrétaire ! À Kalouga, il va
évidemment remonter au rang de premier secrétaire […] Un homme a échoué et on lui
retrouve une fonction dans le Parti[438] ! » Mais, tout en s’indignant, Khrouchtchev ne
propose pas de le révoquer ni de le renvoyer à la production. Impensable ! Il briserait les
règles mêmes de cet appareil de plus en plus monstrueux et parasitaire. On y entre pour la
vie, et l’on y gravit une longue suite d’échelons, sauf si l’on rompt avec ses mœurs et ses
lois.
Ainsi fonctionne de haut en bas cet appareil, dont le romancier communiste hongrois
Jozsef Lengyel, déporté dix-sept ans en Sibérie, écrit qu’il « ne peut se consolider que s’il
écrase tous ceux qui ont la moindre valeur, honneur ou capacité personnelle. Et même
ceux qui pourraient en avoir. Être soupçonné d’avoir la moindre qualité – même si la
présomption est sans fondement – suffit pour qu’on vous élimine ». Lengyel voit même là
un conglomérat « d’Untermenschen, des sous-produits humains, des prototypes du
fonctionnaire nazi[439] ».
Une fois liquidé le terrorisme instauré par Staline qui les tenait sous une tension
permanente, ces apparatchiks sont assurés d’une carrière à vie, quel que soit leur degré
d’incompétence. C’est ce fonctionnement que Beria menace. Beria souffre d’un dernier
handicap : bien que ne dirigeant plus ni la Sécurité d’État depuis 1943, ni le ministère de
l’Intérieur depuis décembre 1945, il apparait, surtout après leur fusion sous sa direction,
comme le symbole de l’appareil policier, dont l’appareil du parti veut secouer la tutelle.
C’est sans doute pourquoi il passe un accord avec Malenkov, homme du sérail, qu’il
entend manipuler et à travers lequel il entend gouverner.
Sitôt à la tête du ministère de l’Intérieur, Beria ordonne à Soudoplatov de libérer de
prison le vieux cadre du NKVD Jacob Serebrianski, accusé en 1939 d’espionnage, et sa
femme. Soudoplatov lui remet même de sa part une somme d’argent. De même l’ancien
membre de la garde personnelle de Staline, Kouzmitchev, arrêté le 17 janvier 1953 pour
espionnage. Beria le convoque dans son bureau et lui apprend la mort de Staline. L’autre
se met à pleurer. Beria ricane : « Laisse tomber. Sais-tu que c’est Staline qui a ordonné de
t’arrêter[440] ? » Pour la première fois, il manifeste son rejet de Staline. Ses collègues y
assistent en silence et certains le lui reprocheront quand il sera à terre.
Après la dictature de Staline, le cercle des dirigeants, où chacun se méfie de chacun,
tente un bref moment d’instaurer une direction collective ou collégiale, qui impose
certaines exigences. Malenkov, voulant jouer au chef, subit une première rebuffade dès le
12 mars. La Pravda, dans son numéro du 10 mars, a publié une photo montrant Staline,
Mao Tsé-toung et Malenkov, le 12 février 1950, à la signature du traité d’amitié soviéto-
chinois. Les autres dignitaires présents à cette cérémonie, sont effacés pour mieux mettre
Malenkov en valeur, comme héritier légitime. Staline usait de ce système pour gommer
ceux qui lui déplaisaient des photos officielles. Le rédacteur en chef du journal, Chepilov,
est blâmé et Malenkov averti d’emblée qu’il n’a ni les mêmes droits ni les mêmes
pouvoirs que Staline.
La direction collective n’est pas non plus compatible avec la double fonction assumée
par Malenkov de président du Conseil des ministres et de premier secrétaire du comité
central qui, réuni le 14 mars, le libère de cette dernière charge, « à sa demande ».
Malenkov pense sans doute, comme Beria, que l’appareil du gouvernement continue à
l’emporter sur celui du Parti et accepte sans résister de renoncer à une fonction, à ses yeux
désormais secondaire. Le comité central réélit un secrétariat restreint, formé de Pospelov,
Souslov, Ignatiev (dont Beria veut la peau et qu’un plénum réuni le 6 avril limogera),
Chataline (proche de Malenkov) et Khrouchtchev, seul représentant du secrétariat du
comité central à appartenir en même temps au présidium, dont les autres membres
appartiennent seulement au gouvernement. L’appareil du gouvernement semble dominer
largement celui du Parti. Si le poste de premier secrétaire du comité central n’est attribué
à personne, Khrouchtchev, de facto, en assure déjà la fonction.
Malenkov paraît tenir les rênes et le croit : il fait repeindre à neuf, aménager et restaurer
luxueusement pour lui l’appartement que Staline occupait (rarement) au Kremlin.
S’installer au domicile du Père des peuples, c’est prétendre occuper sa place politique.
Les spécialistes étrangers partagent son optimisme. Dès la fin de 1953, André Pierre
publie un Malenkov ou le nouveau visage de la Russie. L’Américain Henri Shapiro,
directeur pendant vingt ans du bureau de l’United Press à Moscou, signe au début de 1954
L’URSS après Staline, où il développe cette analyse : « Son avènement au pouvoir
constitue en soi une seconde révolution » et il ajoute : « Le régime de Malenkov est le
plus populaire qu’on ait vu depuis Lénine […] La légende de Malenkov est déjà établie
[…] Elle grandit avec chaque nouvelle réforme[441]. »
Pourtant Malenkov n’est pas taillé pour tenir la barre. Cet homme de bureau, longtemps
simple exécutant docile et instrument de Staline, chargé de transmettre ses directives et de
contrôler leur application, manquait de certaines qualités nécessaires à un chef politique.
Selon Molotov, « c’était un très bon exécutant, un “téléphoniste” […] ; il était toujours au
téléphone. […] Les questions organisationnelles et administratives, la répartition des
cadres, cela, c’est Malenkov. Transmettre des décisions sur place, passer un accord […].
Il faisait pression ». Mais, « sur les questions essentielles il gardait le silence. Il n’avait
jamais dirigé une organisation du Parti, à la différence de Khrouchtchev, qui l’avait fait à
Moscou, en Ukraine[442] ».
Mikoyan le décrit comme « un homme de faible volonté », souvent silencieux dans les
réunions et aux repas chez Staline. Mais, lorsque celui-ci prenait la parole, Malenkov
sortait de sa poche un carnet où il notait pieusement ses paroles. Une telle attitude d’élève
docile prépare mal à la lutte pour le pouvoir. Son visage montre une mollesse, jugée
féminine par ses pairs, qui gagne au fur et à mesure qu’il s’empâte. Son pouvoir n’est, en
réalité, que l’ombre portée de celui de Staline, dont la mort le laisse en suspens. Dans
l’incapacité de tenir les deux leviers du pouvoir, il abandonne le second au bout de dix
jours. Or le bonapartisme bureaucratique impose une même main sur les deux leviers :
Bonaparte ne supporte pas un clone. Staline n’en avait pas. Khrouchtchev, puis Brejnev,
concentreront les deux fonctions. Gorbatchev, secrétaire général du PCUS, se fera élire
président de l’Union soviétique. Partisan d’assouplir le système, Malenkov n’est pas un
homme d’initiative et se contente d’abord d’affirmer son accord avec Beria, dont le
comportement se fait de plus en plus cassant, voire brutal au fil des semaines.
Beria, lui, cherche non à prendre le pouvoir, mais à imposer sa politique à des collègues
et rivaux plus ou moins poussifs ou réticents, sans propositions cohérentes à lui opposer.
Il s’attaque sans tarder à une partie de l’héritage de Staline, cependant qu’il s’emploie à
en prolonger et renforcer un autre aspect : la suprématie de l’appareil de l’État sur celui
du Parti. Pour ce faire, il s’efforce de déplacer le centre du pouvoir du comité central et de
son secrétariat vers le Conseil des ministres. Molotov en témoigne : « À partir du mois de
mars […] toutes les questions de politique internationale du Parti passèrent au présidium
du Conseil des ministres […]. Tout cela se fit sous la pression de Beria[443] » avec la
complicité de Malenkov.
Le secrétaire du PC hongrois, Rakosi, parlant de ce choix de Beria, dit qu’il ne pouvait
étonner les « camarades soviétiques », puisque Staline l’avait fait lui-même. « Huit mois
avant sa mort, rappelle-t-il, lors d’un dîner du présidium du comité central qui, dans les
conditions d’alors, faisait office de réunion du présidium ou le remplaçait, Staline m’avait
expliqué en détail qu’il fallait mettre au premier plan, de façon plus active, l’importance
du pouvoir d’État[444]. »
Sans doute trop sûr du pouvoir que lui confère le contrôle de la police, chez qui pourtant
il va se faire des ennemis au fil des semaines, Beria part tambour battant, multiplie les
initiatives, bouscule l’appareil ossifié hérité de Staline, avec une précipitation que ses
adversaires dénonceront plus tard et qui sera une cause de sa perte. Il ne se passe
quasiment pas de semaine où il ne propose une décision au Conseil des ministres.
D’abord, un premier train de mesures vise à décrisper un régime paralysé par la crise
économique, sociale et politique. Pour commencer, il bloque la purge préparée par
Staline : le 13 mars, il constitue une commission d’enquête interne au ministère de
l’Intérieur composée de Krouglov, Koboulov et Goglidzé, subdivisée en quatre sous-
commissions chargées de réviser quatre affaires : celle des « médecins-assassins », celle
de l’« organisation contre-révolutionnaire sioniste » au sein de la Sécurité d’État dont
plusieurs responsables, à commencer par Abakoumov, ont été arrêtés en août 1951, celle
des dirigeants de l’artillerie au ministère de la Guerre, arrêtés en 1952, et celle de l’affaire
des « nationalistes mingréliens », où sont visés des membres de la Sécurité d’État de
Géorgie. La commission doit rendre ses conclusions à Beria dans un délai de deux
semaines. Quatre affaires à examiner en deux semaines… Beria et ses trois hommes
savent évidemment à quoi s’en tenir sur ces quatre affaires truquées et leurs conclusions
sont déjà prêtes. Ce même jour, Beria crée une commission chargée de réexaminer la
déportation de citoyens géorgiens hors de leur république.
Les travaux ont à peine eu le temps de commencer que, le 18 mars, Beria charge deux
de ses proches, Goglidzé, pourtant déjà membre de la première commission, et
Vlodzimirski, assistés du chef de la 5e direction du ministère de l’Intérieur, de réexaminer
l’affaire dite des aviateurs, qui avait débouché en 1946 sur l’arrestation du commissaire à
l’Industrie aéronautique Chakhourine, du maréchal Novikov, commandant des forces
armées aériennes soviétiques, et de certains de leurs collaborateurs, tous accusés d’avoir
livré des avions de mauvaise qualité, montrant une tendance fâcheuse à s’écraser au sol.
Là encore, les deux hommes doivent rendre leurs conclusions dans un délai de deux
semaines. Là aussi, Beria connaît donc la réponse.
La veille, le 17 mars, il a soumis à Malenkov une note préparée par Krouglov dès le
6 mars, avant même sa nomination officielle comme ministre. Il propose de transférer les
chantiers gérés par le goulag aux ministères industriels concernés et les camps de travaux
correctifs au ministère de la Justice. Au total, les quatre cinquièmes du goulag sortiront de
la tutelle du ministère de l’Intérieur, qui gardera seulement les « camps spéciaux destinés
à l’internement des criminels contre l’État particulièrement dangereux et ceux des
criminels de guerre parmi les anciens prisonniers de guerre[445] ». La décision est ratifiée
dès le lendemain par le Conseil des ministres.
Le 21 mars, Beria propose au présidium du Conseil des ministres d’annuler plus de
vingt projets grandioses, prévus dans le plan quinquennal en cours et dont les chantiers
déjà ouverts utilisent en majorité une main-d’œuvre de détenus du goulag. La liste est
impressionnante : barrages, voies de chemin de fer (dont la ligne Tchoum-Salekhard-
Igarka, ébauchée par des déportés et qui, vu son inutilité, restera à jamais inachevée),
routes, deux raffineries, plusieurs canaux (dont le grand canal du Turkménistan, au coût
pharaonique estimé de 30 milliards de roubles et à l’utilité mystérieuse, et le canal Volga-
Oural), un centre hydraulique sur le cours inférieur du Don, une usine chimique, un
chantier naval.
Ces projets exigeaient des investissements gigantesques, donc une ponction
supplémentaire sur la population. Les travaux supprimés sont estimés à 49 milliards de
roubles – somme à consacrer aux besoins les plus criants de la population – sur un budget
global pour grands travaux de 105 milliards, soit près de la moitié.
Deux jours plus tôt, il a pris une initiative manifestant une certaine désinvolture à
l’égard des règles de la nomenklatura, qu’il feint encore de respecter. Le 16 mars, dans
une note à Khrouchtchev, il demande de « confirmer, comme ministres de l’Intérieur des
Républiques et chefs des directions territoriales et régionales du MVD », une liste de
82 généraux et colonels du ministère de l’Intérieur, avec leurs fonctions prévues. Puis il
poursuit : « Par la suite, il peut apparaître nécessaire d’effectuer quelques changements
dans ce contingent ; mais, hormis cela, il est indispensable de confirmer les camarades
présentés. » La note est signée Beria[446], sans indication de sa fonction, contrairement
aux règles strictes de la bureaucratie. Khrouchtchev, qui n’a plus qu’à valider, trouve sans
doute la pilule amère. Certes, en apparence Beria respecte les formes. Mais l’initiative
vient de lui, non du secrétariat. C’est ce renversement du rapport entre l’appareil du
gouvernement et celui du Parti que Khrouchtchev et ses alliés qualifieront de « complot
de Beria », pour récupérer le pouvoir.
Afin de présenter au Conseil des ministres des propositions sur des questions qu’il
connaît mal, à la fin de mars 1953 il convoque son adjoint Ordyntsev : « Il est impossible
de continuer à travailler à l’ancienne » (c’est-à-dire en remplaçant la connaissance des
dossiers par le bluff et les slogans) ; « il faut maintenant que je m’occupe de nombreux
problèmes nouveaux pour moi ; je dois donc renforcer mon appareil et engager des
assistants dans divers secteurs, qui m’aideraient à comprendre les sujets et à préparer des
dossiers pour le gouvernement[447] ». L’un traitera les questions agricoles, l’autre les
questions industrielles. Beria se choisit ensuite un expert de politique étrangère, son vieux
secrétaire Charia, dont la compétence, toute relative, se réduit à un voyage à Paris en
1945, mais qui est polyglotte. Pour la politique intérieure, il désigne Lioudvigov, son
assistant depuis 1936. Voilà un bien modeste cabinet pour affronter tant de problèmes.
Il invite ses assistants à lui préparer des dossiers sur toutes les questions, jusques et y
compris les livraisons de fruits ou l’élargissement des emblavures dans les républiques
caucasiennes. À la fin de juin 1953, juste avant son arrestation, il demande encore à
Ordyntsev de lui trouver un économiste capable de l’orienter sur les problèmes
économiques des « démocraties populaires ». Ce n’est pas du ressort du ministre de
l’Intérieur, mais, après tout, il est vice-président du Conseil des ministres…
En même temps, Beria prépare un vaste projet d’amnistie des détenus. Le 24 mars, il
soumet au présidium un document affirmant que, sur 2 526 042 détenus, le goulag ne
compte que « 221 435 criminels particulièrement dangereux pour l’État (espions,
saboteurs, terroristes, trotskystes, socialistes-révolutionnaires, nationalistes et autres)
détenus dans les camps spéciaux ». Il estime les victimes des décrets économiques de
juin 1947 sur les atteintes à la propriété kolkhozienne à 1 241 919 détenus, dont
« 238 000 personnes âgées de plus de 50 ans », sur lesquelles « environ 198 000 détenus
souffrent de graves maladies incurables et sont absolument inaptes au travail[448] ».
Sa motivation est purement économique : le goulag et son travail forcé coûtent plus cher
qu’ils ne rapportent. Pour se débarrasser de cette main-d’œuvre non rentable, il fait
amnistier le 27 mars 1953 tous les détenus condamnés au maximum à une peine de cinq
ans de détention. La Pravda du 28 mars publie un décret signé Vorochilov, président du
Soviet suprême, ordonnant la libération de 1 200 000 détenus. Cette amnistie, comme les
suivantes jusqu’à la fin des années 1980, laisse derrière les barbelés les détenus
politiques, qui effraient le régime.
L’amnistie aurait sans doute pu être plus large. En 1954, un an après la libération de
cette main-d’œuvre inefficace de malades, invalides, gens âgés, les frais d’entretien du
goulag sont encore estimés à 7,3 milliards de roubles, pour une production de
7,1 milliards. La différence peut paraître mince, mais le chiffre de 7,1 milliards, gonflé à
chaque étape de la transmission des chiffres, ne tient pas compte de la qualité
extrêmement basse de la production réalisée, parfois inutilisable. L’année suivante, le
3 septembre 1955, un décret du Soviet suprême décidera « la libération anticipée […] des
invalides, gens très âgés, des individus souffrant de maladies graves, des femmes
enceintes ou ayant des enfants en bas âge[449] » qui peuplaient donc encore les camps et
les prisons après l’amnistie de 1953.
Cette amnistie illustre la précipitation avec laquelle Beria agit et bouscule ses collègues.
En deux semaines, il fait libérer plus d’un million de détenus, sans la moindre
préparation, sans qu’aucune mesure pratique ait été prise ni même étudiée sur les
modalités de leur transfert des camps : ni pour aller où, ni comment, ni par quels moyens
de transport. Beria ne s’en soucie pas. De plus, le séjour dans les camps et la dureté de
l’existence y ont souvent transformé des victimes innocentes en petits voyous et bandits
dégoûtés du travail et qui, une fois libérés, s’éparpillent dans les villes russes et y
multiplient vols et agressions. Du coup, une mesure rationnelle se transforme en fléau,
que ses pairs, alertés par les protestations de la population, vont utiliser contre lui.
Enfin, avec cette amnistie qui libère 40 % des déportés du goulag et en annonce une
prochaine, vu le nombre de détenus inaptes au travail qui y séjournent encore, des
dizaines de milliers de gardes se sentent menacés. À la mort de Staline, ils étaient près de
250 000 à assurer l’encadrement au goulag. L’amnistie réduit brutalement leur nombre.
Or ces gardes-chiourme sont inaptes à un retour dans la vie civile. Ils ne savent que
menacer, hurler, tirer, voler les déportés et boire. Ils ne veulent ni ne peuvent s’astreindre
à aucun travail. Ce phénomène est admirablement étudié dans le roman de Gueorgui
Vladimov, Fidèle Rouslan, à travers le destin d’un chien de garde, renvoyé après la
fermeture du camp et qui, ne sachant que gronder et mordre, incapable de s’adapter à la
vie normale, s’attaque aux ouvriers qui ont remplacé les détenus et finit par mourir,
l’échine brisée, le crâne fendu par ces travailleurs libres, dont il ne comprend ni les gestes
ni les mobiles. Certes, le sort des gardes-chiourme renvoyés dans la vie active ne sera pas
aussi tragique, mais leur changement de statut signifie pour eux une dégradation.
En même temps, l’amnistie n’apporte pas à Beria la moindre popularité auprès des
familles des libérés. En effet, si c’est lui qui l’a proposé, le décret est signé du président
du Soviet suprême, Vorochilov, et la population ignore qu’il en est l’inspirateur.
En 1957, Khrouchtchev, qui, n’avait rien objecté en mars, reprochera à Beria de n’avoir
proposé une amnistie que pour les condamnés de droit commun : « Il voulait abandonner
les détenus politiques là où ils avaient été déportés : sans droit de revenir dans les lieux
d’où ils avaient été déportés. » Selon lui, Beria craignait le retour des « centaines de
milliers de gens arrêtés injustement et déportés sur des accusations politiques […]. Il
pressentait que tôt ou tard, on l’arrêterait pour ces crimes ». La version sténographiée de
son discours est plus brutale : « Il savait que, dès qu’ils reviendraient, ils
l’étrangleraient[450]. » Les politiques libérés à dater de 1954 n’ont pas étranglé leurs
anciens bourreaux, ils ont même tenté de se réintégrer dans la société, sans bruit et sans
fureur.
Beria fait feu de tout bois : le 2 avril, il adresse à Malenkov pour toute la direction une
lettre dénonçant le meurtre du président du comité antifasciste juif, Mikhoels, cinq ans
plus tôt. Il y accuse l’ancien vice-président du ministère de la Sécurité de l’URSS,
Ogoltsov, et l’ancien ministre de la Sécurité de Biélorussie, Tsanava, d’avoir « sur
instruction du ministre de la Sécurité, Abakoumov, mené à terme une opération illégale
de liquidation physique de Mikhoels ». Son rapport ne contient pas moins de dix mots
pour dire « assassiner ». Il met directement en cause Staline, au mépris des règles de la
nomenklatura qui exigent qu’à la rigueur on critique les « instances », mais sans toucher
au nom immaculé du Guide.
En effet, il cite les aveux d’Abakoumov, à qui, lors de son procès en décembre 1954, on
interdira de prononcer le nom sacré de Staline, mais qui écrit alors : « En 1948, le chef du
gouvernement soviétique Staline m’a chargé d’une mission urgente : organiser
rapidement la liquidation physique [de Mikhoels]. » Staline, apprenant que celui-ci était
arrivé à Minsk, « ordonna aussitôt d’effectuer la liquidation de Mikhoels […] ; une fois
Mikhoels tué, rapport en fut fait à Staline, qui apprécia hautement cette mesure[451] ».
Beria fait emprisonner Ogoltsov et Tsanava pour cet assassinat. Tsanava mourra en
prison, accusé en plus d’appartenir au complot monté par Beria pour s’emparer du
pouvoir.
Le 3 avril, Beria propose au présidium de dénoncer l’imposture du « complot des
médecins ». Le présidium accepte. Le surlendemain 4 avril, la Pravda et les Izvestia
publient un communiqué affirmant que le « complot des médecins » était une fabrication
et que les médecins, dont les aveux avaient été « obtenus […] par des moyens d’enquête
inadmissibles, strictement interdits par la loi soviétique », étaient innocents. Les
enquêteurs qui ont agi ainsi « ont été arrêtés et inculpés ». Beria signe ce communiqué,
adopté la veille par le présidium, et s’attribue ainsi le mérite d’une décision collective. Ce
petit coup de force ne peut qu’attiser la méfiance de ses collègues.
C’est un coup de tonnerre : pour la première fois, le régime dénonce les pratiques de sa
police politique et annonce la punition des coupables pour abus de pouvoir. Les critiques
qui avaient été formulées lors de l’élimination de Iejov, en 1938, avaient un caractère
beaucoup plus vague. De plus, chacun sait dans le Parti que les campagnes répressives ont
été décidées par Staline, le « patron » ! Par ricochet, le communiqué écorne donc son
image, un mois à peine après sa mort. Sur le site nucléaire d’Arzamas-16, les collègues de
Sakharov, mis au courant, exultent de joie : « Est-il possible que nous y soyons enfin ? »
balbutie l’un d’eux. Un autre s’exclame : « Quand même, c’est notre Lavrenti Pavlovitch
[Beria] qui a compris tout cela. » Sakharov commente : « Il semblait qu’une ère nouvelle
commençait[452]. »
Beria, par son communiqué, dresse contre lui une partie de l’appareil du MVD, à
commencer par les enquêteurs qui ont torturé les 37 médecins et dont seul un petit
nombre a été arrêté. Après l’arrestation de Beria, plusieurs cadres du MVD déclarèrent
que « les enquêtes menées sur un groupe de médecins, en particulier sur Vovsi et Kogan,
furent interrompues illégalement ». Ils protestent : « La commission formée sur l’ordre de
Beria […] ne prit en compte ni les preuves techniques, ni les données sur les déclarations
terroristes de ces ennemis, ignora les conclusions de la commission d’experts, et les
appels des individus arrêtés ne furent pas étayés de documents. Les membres de la
commission organisèrent des confrontations illégales avec les individus arrêtés, lorsque
ces derniers se refusaient à revenir sur leurs déclarations. » Ils accusent un membre de la
commission d’avoir passé « un accord direct avec la femme de Vovsi arrêtée, en lui
donnant les instructions précises pour rédiger des calomnies et couvrir de boue les
organes d’enquête ». Plusieurs enquêteurs prétendent que « l’activité hostile des médecins
Vovsi et Kogan [deux juifs !] a été démontrée ». Ils demandent donc « de revoir la
décision prise de les libérer », et « d’écarter les médecins libérés de leurs fonctions à la
direction sanitaire du Kremlin »[453]. La liquidation du pseudo-complot des médecins a
abouti à susciter la haine des enquêteurs-bourreaux, surtout des antisémites convaincus,
pour Beria.
Deux ans plus tard, Vassili Staline, dont, il est vrai, l’avis n’intéresse personne,
condamnera l’initiative : « Il ne fallait pas faire cela [publier une telle déclaration] car elle
ne servait à rien d’autre qu’à donner du grain aux provocateurs et aux ordures[454]. »
Encore ce même 4 avril, Beria rédige une note interne, envoyée le même jour à toutes
les instances du ministère de l’Intérieur, dans les Républiques, les provinces et les
territoires, qui dresse un peu plus contre lui de nombreux cadres de l’ancienne Sécurité
d’État. Il y dénonce, en effet, et interdit explicitement l’emploi de la torture au cours de
l’instruction.
La note condamne les méthodes du ministère de la Sécurité d’État, dirigé par
Abakoumov jusqu’en juin 1951 puis par Ignatiev, accusé d’avoir « grossièrement violé
les lois soviétiques, arrêté des citoyens soviétiques innocents, falsifié des documents
d’instruction, largement utilisé divers moyens de tortures, sauvagement battu des détenus,
de leur avoir imposé des menottes fermées dans le dos pendant des jours entiers, parfois
pendant plusieurs mois, de les avoir privés de sommeil, enfermés nus dans un cachot
glacial, d’avoir organisé le passage à tabac des détenus dans des pièces aménagées à cet
effet de la prison de Lefortovo et dans des prisons intérieures, par un groupe spécial
d’individus sélectionnés dans le personnel de la prison en appliquant tous les modes
possibles de tortures ».
« Ces méthodes utilisées par des “enquêteurs-falsificateurs” ont mené des détenus
innocents à avouer des crimes imaginaires et détourné la Sécurité d’état du combat contre
les vrais ennemis de l’État », conclut la note.
En conséquence, Beria ordonne :
« 1. D’interdire catégoriquement dans les organes du ministère de l’Intérieur, vis-à-vis
des individus arrêtés, toute mesure de coercition et de pression physique ; d’observer
strictement les dispositions du code de procédure pénale en matière d’instruction ;
« 2. De liquider, à Lefortovo et dans les prisons intérieures, les pièces spécialement
aménagées pour appliquer aux individus arrêtés des mesures de pression physique et de
détruire tous les instruments utilisés pour appliquer les tortures ;
« 3. D’informer tout le personnel opérationnel des organes du ministère de l’Intérieur du
présent arrêté et de les prévenir que désormais la violation de la légalité soviétique
entraînera de sévères sanctions, allant jusqu’à la traduction devant un tribunal, non
seulement des coupables directs, mais aussi de leurs responsables[455]. »
En 1938 déjà, l’arrivée de Beria à la tête du NKVD s’était accompagnée de la
dénonciation des méthodes attribuées à Iejov, non nommé. En janvier 1939, une
commission d’enquête composée de Beria, Malenkov et Andreiev concluait ses
investigations sur le constat que « les méthodes d’enquête étaient dénaturées de la façon
la plus criante ; on pratiquait sans distinction les passages à tabac massifs vis-à-vis des
détenus pour obtenir d’eux des dépositions et des “aveux” truqués[456] ». Mais à cette
date les trois hommes obéissaient à un ordre de Staline pour disqualifier Iejov, et
réguler – comme le signifie la précision « sans distinction » – la purge et l’emploi de la
torture, et non à l’interdire comme fait cette fois Beria.
Si la publication dans la Pravda du communiqué dénonçant le complot des médecins et
réhabilitant les accusés peut être interprété comme un coup de publicité personnelle, le
décret « ultrasecret », qui heurte des centaines de cadres du MVD ne peut être interprété
dans le même sens.
Cet arrêté secret vise Ignatiev et, par ricochet, ceux qui l’utilisent ou le soutiennent :
Malenkov et surtout Khrouchtchev, qui manifeste une vive sympathie pour l’ancien
ministre de la Sécurité d’État auquel il assurera une fin de carrière paisible en le nommant
premier secrétaire du comité régional de Tartarie, puis de Bachkirie, avant de le faire
réélire au comité central à la fin du congrès de février 1956. Il plaint dans ses mémoires
cet homme « très malade qu’une crise cardiaque avait failli tuer ». Khrouchtchev
exagère ; Ignatiev vivra encore trente et un ans après l’affaire des médecins et ne mourra
qu’en 1983. Il ajoute : « C’était un homme de caractère doux, aimable et que l’on aimait
bien. Nous connaissions tous son état de santé. Pourtant Staline avait l’habitude de le
réprimander méchamment en notre présence. […] Fou de rage, hurlant contre Ignatiev, le
menaçant, il lui ordonnait de jeter les médecins aux fers, de les battre jusqu’à les réduire
en bouillie, en poudre[457]. » En un mot le ministre de la Sécurité d’État serait une
victime. Il faut tout l’aplomb de Khrouchtchev pour raconter une telle histoire à dormir
debout.
Pourtant, le 6 avril, un second communiqué annonce qu’Ignatiev est chassé du
secrétariat du comité central, à qui Beria a arraché cette décision. Un secrétaire du comité
central chassé de son poste après avoir été mis en cause par un communiqué du MVD
suggère que Beria veut et peut subordonner l’instance suprême du Parti aux décisions du
gouvernement.
Nouveau coup le surlendemain, 8 avril. Beria adresse à Malenkov et à Khrouchtchev
une note dénonçant la fabrication du prétendu complot nationaliste mingrélien, qui après
enquête apparaît, écrit-il, « une invention provocatrice de l’ancien ministre de la Sécurité
d’État de la république de Géorgie, Roukhadzé, et de ses protecteurs du ministère de la
Sécurité d’État de l’URSS » – donc encore d’Ignatiev et de son équipe. Beria en fait le
récit détaillé. « Alors que Staline [dont le nom est laissé en blanc partout dans le
document tapé à la machine par sa secrétaire, puis ajouté à la main par Beria lui-même] se
trouvait en vacances en Géorgie au cours de l’automne 1951 », Roukhadzé lui présenta
les difficultés politiques et économiques comme « le résultat de l’activité hostile
souterraine d’un groupe de nationalistes mingréliens, inventé par lui. Joseph Staline prit
pour argent comptant l’élucubration provocatrice de Roukhadzé, sans la soumettre à la
vérification indispensable ».
Beria passe ensuite d’un Staline « induit en erreur » à un Staline qui prend l’initiative :
« Il téléphonait régulièrement à Tbilissi […], exigeait un compte rendu du développement
de l’instruction, l’accélération des processus et l’envoi des procès-verbaux
d’interrogatoire à lui-même et à Ignatiev. » Enfin, il faisait torturer les victimes : « Joseph
Staline, insatisfait des résultats de l’enquête, exigeait l’application de mesures de pression
physiques contre les accusés afin d’obtenir d’eux l’aveu de leur activité d’espionnage et
de diversion[458]. » Beria décrit minutieusement les procédés : coups répétés, bras
menottés dans le dos nuit et jour, privation totale de sommeil pendant des semaines
entières, bastonnades, torture par la faim (250 grammes de mauvais pain et un peu d’eau
pour toute une journée). Pour faire craquer l’ancien ministre de la Justice de Géorgie,
Rapava, les tortionnaires ont amené sa femme, avec laquelle il était en train de divorcer,
dans la cellule voisine de la sienne et l’ont rouée de coups, contraignant Rapava à
entendre ses gémissements, puis ses hurlements de douleur.
Beria va plus loin en dénonçant la déportation, organisée par la Sécurité d’État pendant
l’été 1952, de 11 200 Mingréliens au Kazakhstan : « On a littéralement enlevé en pleine
rue des gens, dans leur majorité absolument innocents, et on les a déportés avec les
membres de leur famille, dans un grand nombre de cas sans presque aucun moyen de
subsistance[459]. » C’est exactement le sort qu’il avait lui-même fait subir aux Allemands
de la Volga en 1941, et aux peuples du Caucase en 1943 et 1944. Il sait donc de quoi il
parle. Il demande que la condamnation du prétendu complot nationaliste mingrélien soit
annulée, que tous les condamnés, dont Baramia, Rapava et Charia, soient libérés et
réhabilités, que la décision de déporter les 11 200 Mingréliens soit abrogée, que le
ministère de l’Intérieur soit chargé de les rapatrier chez eux et que le Conseil des
ministres de Géorgie leur restitue leurs biens. Évidemment, il se met à dos les cadres de la
Sécurité qui ont orchestré tortures et déportations, et qui ont sans doute pillé quelques
biens laissés en déshérence.
Deux jours plus tard, Beria a gagné. Le 10 avril, le présidium annule ses « décisions
antérieures prises sous Staline […] sur le prétendu complot nationaliste mingrélien ». Il
décide de libérer immédiatement les accusés et, plus généralement, d’approuver « les
mesures prises par le MVD pour corriger les conséquences des violations de la
légalité »[460]. Le texte est adopté par Malenkov, Molotov, Vorochilov, Khrouchtchev,
Kaganovitch, Boulganine et Mikoyan. Beria ordonne en même temps à Koboulov de
sortir Timour Chavdia de sa prison pour vérifier la légalité de sa condamnation à vingt-
cinq ans de prison, neuf mois plus tôt. Peu après, cette démarche imprudente lui sera
imputée comme tentative de réhabilitation d’un traître.
Beria fait un pas de plus publiquement. Le 10 avril, en effet, les Izvestia annoncent la
comparution prochaine devant un tribunal des « fonctionnaires » coupables d’avoir porté
de fausses accusations contre les médecins, c’est-à-dire Rioumine et ses adjoints. Or, par
rapport au nombre de médecins arrêtés (37), le nombre d’enquêteurs visés dépasse la
soixantaine. Le même jour, sous le titre « La légalité socialiste est inviolable », la Pravda
s’en prend à la Sécurité d’État, accusée de s’être rendue coupable, dans l’affaire des
médecins, d’« arbitraire et d’abus de pouvoir », et d’avoir « orchestré une provocation
dont les victimes étaient d’honnêtes citoyens soviétiques, d’illustres représentants de la
science soviétique […]. L’ancien ministre de la Sécurité d’État, Ignatiev, a fait preuve de
cécité politique et de légèreté […]. Les pièces qui ont conduit à l’arrestation des médecins
étaient des faux et les aveux ont été obtenus sous la torture ». La « torture », ce n’est pas
la première fois que la Pravda utilise ce mot, mais jusque-là, il s’appliquait aux horreurs
de la Gestapo. C’est la première fois qu’il évoque les pratiques de la Sécurité d’État
soviétique.
Le décret du 4 avril, et les articles des 4 et surtout du 10 avril ne peuvent que
mécontenter les vieux cadres de la Sécurité d’État, souvent simples bourreaux à la
psychologie de primates, habitués à cogner les « ennemis du peuple », en général
fabriqués par eux-mêmes, à les obliger à ramper, à s’agenouiller ou à rester debout des
heures durant, sous les insultes, les injures et les coups. Ces plaisirs sadiques favoris des
enquêteurs, expression de leur domination sur la victime, sont pour eux, avec les
beuveries, le « socialisme réalisé » en marche. Beria leur interdit soudain ces plaisirs et
menace de sanctionner ceux qui s’y livreraient. En dressant contre lui des centaines de
bourreaux installés dans l’appareil de son ministère, voire à des postes clés, il affaiblit son
contrôle sur cet appareil, sans en tirer aucune contrepartie en termes de popularité : en
effet, le décret du 4 avril reste interne au MVD, dont les cadres ne risquent pas de
l’ébruiter auprès de leurs victimes, et l’article du 10 avril engage la seule Pravda.
Dans la foulée des « médecins », Beria propose de réhabiliter les condamnés du comité
antifasciste juif mais se heurte à une réticence compréhensible. Malenkov avait été
directement impliqué dans leur liquidation. C’est lui qui avait transmis au juge Tcheptsov
l’ordre d’appliquer la décision du bureau politique condamnant à mort les accusés, sauf la
biologiste Lina Stern, dont Staline comptait un jour utiliser les services. Malenkov a
toutes raisons de redouter les initiatives de Beria, dont la proposition s’insère pourtant
logiquement dans le rejet de l’héritage terroriste de Staline ; les condamnés du comité
antifasciste juif seront réhabilités le 22 novembre 1953, au moment même où se clôture
l’instruction du procès Beria. À cette date, c’est Khrouchtchev qui place cette mine sous
les pieds de Malenkov, dont il prépare la mise à l’écart.
C’est peut-être à ce moment-là que naît en Khrouchtchev la décision d’éliminer Beria et
d’en convaincre les autres dirigeants. La tâche n’est pas si compliquée qu’il le prétend :
Molotov et Kaganovitch, ultrastaliniens, ont depuis les années 30 été toujours partisans de
la torture et du poteau d’exécution. Vorochilov n’a rien contre. Malenkov les a couverts à
plusieurs reprises, en particulier à Leningrad. Enfin Molotov, Kaganovitch et Vorochilov
sont choqués par les insolences de Beria contre leur ancien maître.
Beria, en effet, s’attaque à Staline, d’abord discrètement, puis plus brutalement.
L’écrivain informateur de la Sécurité d’État, Iouri Krotkov, raconte, dans ses souvenirs
publiés après sa fuite aux États-Unis, les propos de Tchiaoureli, le réalisateur du film
grandiloquent La Chute de Berlin, à la gloire de Staline, qui, à l’occasion, buvait un ou
plusieurs verres avec lui. Peu après la mort du maréchal, il rédige un scénario sur sa vie et
se précipite chez Beria, avec qui il avait jusqu’alors d’excellents rapports. À sa grande
stupeur, Beria rejette son projet en hurlant : « Oublie ce fils de chien ! Staline était une
canaille, un salaud, un tyran ! Il nous faisait tous trembler de peur. Un vampire ! Il
opprimait le peuple entier par la peur ! C’est là seulement que résidait sa force. Par
bonheur nous en sommes débarrassés. Que le royaume des cieux accueille cette
vermine[461] ! » Quelques mois plus tard, Tchiaoureli est exclu du PCUS et envoyé en
exil à Sverdlovsk remplir d’humbles tâches de technicien dans un studio de cinéma de
province. Il paie la part qu’il a prise au culte de Staline. On ne saurait mieux illustrer la
profondeur de la haine de Beria pour Staline, même si elle s’exprime en tête à tête, avec
une violence interdite à une expression publique.
Beria arrêté, ses proches collaborateurs insistent tous sur cette haine. Lioudvigov
déclare : « Après la mort du Guide […] Beria le dénigrait et proférait des déclarations
sacrilèges à son égard. Après mars 1953, […] il se permit même une attaque
calomniatrice en le qualifiant de “grand falsificateur”. […] Beria faisait tout pour
rabaisser son rôle en tant que dirigeant et théoricien du parti communiste et de l’État
soviétique[462]. » Certes Lioudvigov est prêt à accabler son ancien patron pour sauver sa
peau – et il y parviendra – mais d’autres témoignages vont dans le même sens.
Ancien membre du bureau politique, Andreiev s’indigne au comité central de
juillet 1953 : « Beria voulait enterrer le nom du camarade Staline[463]. » Kaganovitch
l’accuse d’avoir voulu empêcher que l’on cite son nom après ceux de Marx, Engels et
Lénine dans les classiques du marxisme et ajoute, choqué : « Il a commencé par attaquer
le parti en attaquant Staline. Alors que ce dernier gisait encore dans la salle des Colonnes,
il a commencé à préparer son coup d’État, il a commencé à renverser Staline mort, à le
salir, à raconter : voilà ce que Staline disait sur toi, etc.[464]. »
Les qualificatifs grandiloquents qui accompagnaient jadis le nom de Staline tendent à
disparaître. De la fin mai à la fin juin, son nom n’est cité qu’une seule fois dans les
éditoriaux de la Pravda. Ce n’est pas dû seulement à Beria. Malenkov et Khrouchtchev
sont d’accord avec lui sur ce point.
Le nom de Staline est donc désacralisé. Beria fait même un pas de plus, de façon
discrète, mais éloquente : six semaines après sa mort, le 28 avril, il fait arrêter, Vassili
qui, en état d’ivresse à peu près permanent, ne cesse de clamer partout que son père a été
assassiné par ses proches collaborateurs et se déclare prêt à rencontrer les correspondants
de presse étrangers. Beria l’enferme à la prison de Lefortovo et confie l’instruction de son
affaire à Vlodzimirski, qui s’occupe de Vassili pendant deux mois sans le soumettre aux
passages à tabac brutaux dont il était coutumier. Il ne peut traiter comme un banal détenu
le fils de Staline, dont les interrogatoires sont transmis régulièrement à Beria,
Khrouchtchev et Malenkov. Le fils de Staline en prison, c’est signe que les temps ont
changé, même si seuls les hauts dignitaires en sont discrètement informés. La mort de
Beria, les tensions internes dans la direction, repousseront le procès de Vassili à 1955. Il
sera condamné à huit ans de prison, pour propagande et agitation antisoviétique (un
comble pour le fils de Staline !), abus de pouvoir dans l’utilisation de ses fonctions et
détournement de fonds – accusations, dans l’ensemble, parfaitement fondées.
XIII.
L’ARRESTATION
Le 26 juin, à 11 heures du matin, les deux voitures gouvernementales aux vitres teintées
quittent le ministère de la Défense pour le Kremlin. Dans la première s’entassent
Boulganine, le général Moskalenko et quatre militaires, dans la seconde Joukov, Brejnev
et quatre militaires. Les deux voitures gouvernementales, dispensées du contrôle de la
garde à l’entrée, pénètrent dans l’enceinte sans difficulté.
Tout le monde se retrouve dans la salle d’attente, près du bureau de Malenkov, où entre
Boulganine. Quelques minutes plus tard, Khrouchtchev, Boulganine, Malenkov et
Molotov font aux militaires un récit détaillé, mais anecdotique et limité, des agissements
de Beria : « Beria depuis ces derniers temps se comporte insolemment avec les membres
du présidium, les espionne, écoute leurs conversations téléphoniques, les fait suivre pour
savoir qui va chez qui, qui les membres du présidium rencontrent, se montre grossier avec
eux, etc. » Comment des militaires peuvent-ils accepter d’arrêter un membre de l’organe
politique suprême du pays, un vice-président du Conseil des ministres, sur de telles
charges ? Il n’est pas question d’un complot de Beria pour prendre le pouvoir, accusation
que Moskalenko aurait relevée s’il l’avait entendue.
C’est Malenkov, et non Khrouchtchev, qui expose aux militaires la tâche « importante »
qui leur est confiée ; pour eux il vaut mieux recevoir une mission du chef du
gouvernement. Beria, leur dit-il, « mène un travail suspect contre un groupe de membres
du présidium et il est devenu dangereux pour le Parti et l’État » (double définition, plutôt
élastique, d’un « complot » !). « Nous avons décidé de l’arrêter » et – argument décisif
pour les chefs de l’armée –, de « neutraliser tout le système du NKVD. Nous avons
décidé de vous confier personnellement à vous l’arrestation de Beria », conclut
Malenkov. Khrouchtchev, malin, ajoute, à l’intention de Joukov qui l’approuve : « Nous
ne doutons pas que vous saurez remplir cette tâche, d’autant plus que Beria vous a, à vous
personnellement, provoqué beaucoup de désagréments. » Khrouchtchev avertit : « Ayez
en vue que Beria est un homme malin et physiquement assez fort, que, de plus,
visiblement il est armé. » Malenkov conclut par des considérations politiques et les
préparatifs pratiques : « Nous avons convoqué Beria à une réunion du Conseil des
ministres. Mais à la place se tiendra une réunion du présidium, où il sera accusé d’ignorer
le comité central, d’avoir une attitude déloyale vis-à-vis des membres du présidium, de
nommer les cadres du NKVD sans accord du comité central, et on examinera toute une
série d’autres questions[530]. » Si l’arrestation de Beria n’est pas une affaire de
gouvernement, mais de Parti, il était difficile de convoquer une nouvelle réunion du
présidium le lendemain de la précédente sans susciter les soupçons de Beria. Et les
conjurés, craignant que leur secret ne s’évente, ne veulent pas attendre la réunion
réglementaire suivante. Les militaires devront s’installer dans la salle de repos du
présidium et attendre deux coups de sonnette. À ce moment-là, ils devront entrer dans la
salle et arrêter Beria.
Khrouchtchev leur précise : « Si l’opération rate, vous serez déclarés ennemis du
peuple », par Beria… ou par Khrouchtchev lui-même. À midi, s’ouvre la séance du
présidium. Il a donc suffi d’une heure pour fixer l’arrestation de Beria.
Le déroulement de cette réunion, dont aucun procès-verbal n’a été établi, est difficile à
reconstituer. Le récit, étrangement sommaire, de Khrouchtchev est douteux ; Mikoyan ne
lui consacre que six lignes très vagues. Selon Moskalenko, la réunion a pris une heure,
tout en paraissant durer très longtemps. » Molotov parle, lui, de deux heures et
demie[531]. Khrouchtchev dira quatre heures au socialiste français Pierre Commin, en
1956.
On peut, semble-t-il, la résumer ainsi : Malenkov préside. Il est pâle, les poches sous ses
yeux témoignent d’une nuit inquiète. Prononce-t-il le rapport dont il avait rédigé le
brouillon la veille ? Rien n’est moins sûr. On ne sait si c’est lui ou Khrouchtchev qui
ouvre la séance en déclarant : « Avant d’aborder l’ordre du jour, il faut discuter de la
question du camarade Beria. » Celui-ci se crispe : « Quelle question ? Quelle question ?
Qu’est-ce que tu chantes ? » Il ricane : « Qu’est-ce que vous avez à me chercher des
puces dans le pantalon ? » Mais il comprend vite qu’il ne s’agit pas de puces. Molotov se
lance : « Beria est un dégénéré […] ; ce n’est pas un communiste. Peut-être l’a-t-il été,
mais il a dégénéré, c’est maintenant un homme étranger au Parti. » Khrouchtchev
renchérit : « Molotov affirme que Beria est un dégénéré. C’est inexact. Le dégénéré, c’est
celui qui a été un communiste et qui a cessé de l’être. Or Beria n’a jamais été
communiste. Comment aurait-il dégénéré » ?
Dans la salle de repos, les militaires attendent, avec une quinzaine d’adjoints et surtout
de gardes du Kremlin – c’est-à-dire d’hommes de Beria, qui apparemment ne trouvent pas
étrange la présence d’un maréchal, de généraux et d’autres officiers supérieurs dans pièce
attenante au cabinet du présidium.
Enfin, la sonnerie prévue retentit. Moskalenko et quatre officiers armés entrent dans la
salle, accompagnés de Joukov. D’après Moskalenko, seuls étaient prévenus de
l’arrestation Boulganine, Malenkov, Molotov et Khrouchtchev. C’est fort probable. Les
autres se lèvent, surpris et inquiets. Joukov les apaise : « Du calme, camarades ! Asseyez-
vous ! » Les militaires entourent Beria. Malenkov propose alors de reprendre la séance et,
dans la foulée, d’arrêter Beria immédiatement. Le vote est unanime. Moskalenko met
Beria en joue et lui ordonne de lever les mains, pendant que Joukov le fouille. Beria est
décontenancé. On trouve dans sa serviette une feuille sur laquelle il a écrit au crayon
rouge, plusieurs fois : « Alerte ! Alerte ! Alerte ! » Mais il n’a aucun moyen de
transmettre cet appel à la garde. Les généraux l’entraînent dans la salle de repos. Ses
gardes, dont nul n’évoque la conduite, ont disparu. La réunion du présidium dure encore
une vingtaine de minutes. Puis ses membres et Joukov rentrent chez eux. Moskalenko
reste avec quatre officiers et Beria dans la salle de repos, dont les portes sont gardées par
les cinq autres, dont Brejnev.
Beria, énervé, demande plusieurs fois à aller aux toilettes. Pour le neutraliser, l’un des
généraux coupe tous les boutons de son pantalon, que Beria est donc obligé de tenir à
deux mains. De plus, les cinq officiers l’accompagnent pas à pas, l’arme au poing. Selon
Moskalenko, « Manifestement il voulait donner un signal à la garde du MGB,
omniprésente » – omniprésente peut-être, mais singulièrement absente. Les officiers
attendent la tombée de la nuit pour évacuer discrètement Beria. Comment se fait-il que les
gardes du ministère de l’Intérieur ne s’étonnent pas de ne pas avoir vu leur ministre sortir
du Kremlin avec les autres membres du gouvernement ?
Peu après 22 heures, se produit un incident qui aurait pu faire tout capoter. L’un des
vice-ministres de l’Intérieur, Maslennikov, vieil associé de Beria, et le chef de la garde du
gouvernement – que Moskalenko présente bizarrement comme étant Vlassik, ancien chef
de la garde de Staline limogé en avril 1952 et envoyé administrer un camp en Sibérie –
entrent dans la salle de repos. Les deux hommes exigent bruyamment qu’on leur explique
ce qui se passe. Aussitôt Moskalenko appelle au téléphone Boulganine, qui lui ordonne
d’exiger des deux hommes qu’ils quittent immédiatement le Kremlin, puis demande de
passer le combiné à Maslennikov. Après un bref échange, les deux hommes quittent le
Kremlin sans mot dire.
Pourquoi Beria n’a-t-il pas profité de l’occasion pour tenter d’alerter Maslennikov et ne
l’a-t-il pas obligé à ameuter ses gardes ? Moskalenko ne l’explique pas. C’est d’autant
plus étonnant que, selon le capitaine Bystrov qui a recueilli les souvenirs du colonel
Zoub, « les six militaires restèrent de nombreuses heures assis près de Beria, dans un état
d’extrême tension, car ils comprenaient parfaitement que le moindre incident fortuit
pouvait changer la situation, conscient que leur “protégé” était encore fort et dangereux ».
Comment croire que Maslennikov et le chef de la garde ne se soient rendu compte de
rien ? La situation de Beria assis, entouré de colonels et de généraux, était pourtant assez
éloquente ; une fois sorti de la pièce, pourquoi Maslennikov n’a-t-il pas alerté les gardes
du MVD ? A-t-il choisi tout de suite le camp des vainqueurs probables ? Sa passivité est
d’autant plus inexplicable qu’il est le seul haut dignitaire du MVD à ne pas avoir accablé
Beria après son arrestation. Boulganine, pour le dissuader de toute tentative, l’a peut-être
averti que la décision du présidium était unanime et qu’en la violant Maslennikov se
mettait hors la loi. Maslennikov restera vice-ministre de l’Intérieur et se suicidera le
16 avril 1954.
Vers minuit, Moskalenko, aidé par le secrétaire de Malenkov, Soukhanov, fait entrer
dans le Kremlin cinq voitures avec insignes du gouvernement, qui introduisent dans le
Kremlin trente officiers armés. (Bystrov dit cinquante, mais une voiture ne pouvait pas
transporter dix officiers !). La garde du MVD, décidément inerte, les laisse pénétrer sans
vérification. Les trente officiers en descendent, désarment les gardes et prennent leur
place. Aussitôt Moskalenko, entouré de quatre officiers, installe Beria dans une voiture,
suivie d’une seconde, qui transporte six officiers de la défense antiaérienne. Beria est
transféré pour la nuit au corps de garde de la garnison de Moscou, dans le quartier de
Lefortovo, d’où les soldats emprisonnés ont été évacués en hâte. D’après le major
Khijniak, intendant de l’état-major du district de Moscou de la défense antiaérienne,
l’état-major a mobilisé trois cents soldats pour garder l’immeuble et installé des
sentinelles tout autour.
Les conjurés, dès l’arrestation de Beria, organisent la prise d’assaut de son hôtel
particulier 28, rue Katchalov. Ils en donneront la raison, lors du procès de cinq de ses
adjoints, dont Charia, Mamoulov et Lioudvigov en juin 1954. L’acte d’accusation
dispose : « Comme il a été établi dans l’instruction préalable et judiciaire [qui en réalité
n’a rien établi de tout cela], Beria, dans ses plans traîtres pour s’emparer du pouvoir, a
entassé chez lui dans son appartement une prétendue archive personnelle, dans laquelle il
avait accumulé au fil des années par le canal de l’appareil du MVD des documents
provocateurs concernant les dirigeants du parti et du gouvernement, falsifiés par les
comploteurs[532]. »
La perquisition organisée dans son hôtel particulier permet de découvrir
100 000 roubles en liquide, sans compter les obligations et les bijoux, une quarantaine
d’armes à feu, quatre voitures. La perquisition se heurte à une résistance, vite brisée, de la
garde personnelle de Beria ; on évacue un cadavre au visage dissimulé. Le fils de Beria
prétend que ce cadavre était celui de son père abattu, selon lui, ce jour-là. Mais il
reconnaît ne pas avoir vu le visage du mort ; sur ce point, comme sur beaucoup d’autres,
son « témoignage », repris par la fille de Staline, relève du roman-feuilleton et lui sert à
prétendre que les lettres écrites par son père à Malenkov et Khrouchtchev, les 1er, 2 et
3 juillet sont autant de faux, et qu’il n’y eut ni instruction ni procès. Les militaires ont
liquidé les gardes qui résistaient. Le seul souci de leurs commanditaires est de mettre la
main sur les archives compromettantes pour eux que Beria pouvait détenir.
En 1997, l’hebdomadaire Nedelia a publié un roman de l’ancien professeur à l’école de
formation des détachements spéciaux du MVD, A. Vedenine. Selon lui, le 26 juin, à
10 heures, trois véhicules ont emmené une quinzaine d’officiers de l’école rue Katchalov,
sous la direction d’un certain Korotko. Puis l’imaginatif professeur continue : « Krouglov
téléphona à Beria par la ligne téléphonique spéciale et se mit d’accord avec lui : Korotko
accompagné de trois gardes allait lui apporter des documents secrets […]. Korotko et ses
trois accompagnateurs de notre groupe purent entrer dans l’immeuble sans encombre […]
Au bout de deux à trois minutes des coups de feu retentirent, cinq ou six. […] dans la
maison, il y avait trois morts : deux gardes et Beria lui-même. […] Korotko emporta tous
les documents de la maison de Beria[533]. » Ce mauvais scénario exige une suite aussi
sensationnelle : puisque procès il y a eu, il faut inventer un « sosie » de Beria pour assister
aux cinq jours que dure la cérémonie. Sergo se rue évidemment sur le sosie.
Khrouchtchev, sans doute grisé à la fois par sa toute-puissance – provisoire – et la
vodka, s’amusera plusieurs fois à donner consistance au fantasme de l’assassinat de Beria
en avançant plusieurs versions, toutes plus fantaisistes les unes que les autres. En avril-
mai 1956, recevant une délégation de la SFIO dirigée par Pierre Commin, il livre à ce
dernier un récit que Commin résume à son retour : au lendemain de la mort de Staline, lui
dit-il, Beria mit en place partout des hommes à lui, mais grâce à d’anciens tchékistes de
l’époque de Dzerjinski, le bureau politique, qui avait appris l’appartenance de Beria à
l’Intelligence Service en 1920, décide de le mettre sur la touche : « Dans la salle de
réunion du présidium, au Kremlin, une discussion de quatre heures eut lieu et, dit
Khrouchtchev, Beria finit par avouer ses préparatifs de prise du pouvoir. Il est alors sorti
avec ses collègues et, dans une salle ronde qui précède la salle de délibération, Mikoyan
tirant par-derrière l’a abattu. » Ils ont alors remplacé le procureur, un ami de Beria, par un
procureur jeune qui a pu établir la preuve complète de tous les crimes de Beria.
« Heureusement, conclut Khrouchtchev, car si jamais il l’avait innocenté après sa mort,
nous aurions été dans une curieuse situation[534]. » Ce canard fit grand bruit. Le 23 juin
1956 le Daily Mail affirme, dans un titre de sept colonnes, « Mikoyan shot Beria ».
L’information fantaisiste est reprise par plusieurs organes de presse et par l’historien
Bernard Wolfe dans Khruschev and Stalin’s Ghost, publié en 1957 à New York. Même
l’historien Boris Souvarine prend ces élucubrations au sérieux et, bien longtemps avant
son fils, prétend donc que Beria, ayant été abattu dès le 26 juin, il n’y eut ni instruction ni
procès.
Pierre Commin affirmera plus tard : Khrouchtchev n’a pas explicitement désigné
Mikoyan comme le tueur. Il a ajouté son nom parce que c’est celui qui circulait dans le
monde des ambassades. Dans d’autres récits, livrés par Khrouchtchev ou son entourage,
le tireur est Joukov ou Moskalenko. Aux communistes italiens Negarville et Pajetta,
Khrouchtchev raconte la même version… légèrement modifiée : Beria, solidement
maintenu par quelques membres du présidium, aurait été étranglé par l’un d’eux.
Le roman de la liquidation de Beria se poursuit au-delà de ces lendemains qui
déchantent pour lui. Ainsi, dans la notice consacrée à Beria de son Histoire intérieure du
parti communiste, Philippe Robrieux écrit : « Il a été réduit à l’impuissance par
l’intervention de l’armée, qui se déchaîne aussitôt, arrêtant et détruisant sur place
l’appareil de terreur policière, qu’il contrôlait depuis que Staline l’avait placé à sa
tête[535]. » D’où, rappelons-le, Staline l’avait écarté le 27 décembre 1945. Cette
invraisemblable destruction relève de la seule imagination de l’auteur, trompé, pour une
fois, par l’un des multiples canards de la désinformation soviétique officieuse.
Antonov-Ovseenko lui donnera des couleurs encore plus dramatiques en affirmant :
« Deux divisions de blindés – la Kantemirovskaia et la Tamanskaia – se virent confier la
mission de bloquer les troupes du MVD. Le général Jakoubovski commandait la
première. […] Ordre leur fut donné […] de bloquer les deux divisions des troupes
intérieures du MVD du nom de Beria. Ces troupes se trouvaient dans des camps d’été.
Les tanks apparurent soudain et les écrasèrent tous à la file, et ceux qui eurent le temps de
sauter hors de leur tente furent chassés vers la place centrale et placés sous garde
armée[536]. » Mais ce roman paraît d’autant plus douteux que le général Jakoubovski
était alors à la retraite depuis plusieurs années.
Le 26 juin au soir, Constantin Simonov, au siège de la Literatournaia Gazeta, relit les
épreuves du numéro du lendemain. Vers 11 heures, le rédacteur en chef du journal des
forces armées soviétiques, chef adjoint de la section d’agitation et de propagande du
comité central, Vassili Moskovski, lui téléphone, lui ordonne de ne remettre aucune page
à l’impression et annonce son arrivée imminente au siège de la rédaction. Un quart
d’heure plus tard, il débarque dans son bureau et lui ordonne de ne recevoir personne
pendant leur conversation. Simonov ferme la porte à clé. Moskovski lui explique : le nom
de Beria ne doit figurer sous aucune forme dans le numéro du journal. Simonov relit les
épreuves, pour éliminer toute mention de Beria même la plus anodine : celle, par
exemple, d’un kolkhoze ou d’un sovkhoze portant son nom. Rien… Il se sent soulagé par
la liquidation de Beria, et des souvenirs lui reviennent : alors qu’il était en vacances en
Géorgie, il avait entendu évoquer devant lui « les familles disparues, les morts, les
liquidés en Géorgie […] avant qu’on ne transfère Beria à Moscou pour jouer le rôle de
l’homme chargé de corriger les fautes de Iejov[537] ». Chepilov, sitôt informé, note de
son côté : « Après son arrestation nous étions tous ivres de joie[538]. »
Le soir même du 26, un décret du Soviet suprême retire à Beria ses fonctions
ministérielles, « à la suite du fait que ces derniers temps ont été découvertes les actions
criminelles antiétatiques visant à saper l’État soviétique dans les intérêts du capital
étranger ». L’instruction qui n’a pas encore commencé, et pour cause, n’établira rien de
cela. Ce décret est confirmé par un second de même contenu daté du 8 août[539]. Ce
même 26 juin le présidium supprime le comité spécial chargé du projet atomique, créé le
20 août 1945 et dirigé par Beria depuis le premier jour. C’était pourtant l’un des rares
succès parmi les projets grandioses de Staline. Pourquoi une telle hâte ? Que craignaient
les dirigeants soviétiques de ce comité ? Sans doute rien, seulement il fallait effacer le
nom même de Beria lié à un succès.
Le 27, se produit un incident étrange. Krouglov, désigné en hâte nouveau ministre de
l’Intérieur, et son vice-ministre Serov se présentent au corps de garde et déclarent : nous
avons mandat de Khrouchtchev et Malenkov pour mener avec vous l’enquête sur Beria,
accusé d’abus de pouvoir et de quelques autres crimes. Moskalenko, jugeant anormal,
affirme-t-il, que l’enquête sur un ministre soit menée par ses deux subordonnés
hiérarchiques, exige que deux autres officiers supérieurs, Batistki et Guetman, y
participent. Peut-être voulait-il affirmer dans cette affaire la part prééminente de l’armée
sur la police et narguer les vice-ministres de l’Intérieur. Krouglov et Serov refusent.
Moskalenko appelle alors le Bolchoï où, en fin d’après-midi, tout le présidium assiste à
la représentation de l’opéra Les Décabristes. L’œuvre, aujourd’hui oubliée, réunit un
livret de l’écrivain Alexis Tolstoï depuis longtemps chéri du régime, et de Vsevolod
Rojdestvenski, avec une musique de Iouri Chaporine. Malenkov discute au téléphone
avec les autres dirigeants et demande à Moskalenko, Serov et Krouglov de les rejoindre
sans tarder. Le présidium les retrouve à l’entracte. Krouglov et Serov accusent
Moskalenko de se conduire « incorrectement » avec Beria qu’ils jugent mal gardé.
Moskalenko, précisant qu’il n’est « ni juriste ni tchékiste », se défend : « Vous m’avez dit
que Beria est l’ennemi de notre parti et du peuple. Donc nous nous conduisons tous – moi
y compris – avec lui comme avec un ennemi. Mais nous n’admettons pas qu’on se
conduise mal[540]. » A-t-il vraiment dit cela ? Khrouchtchev et Malenkov déclarent que
l’instruction de l’affaire sera menée par le nouveau procureur Roudenko, associé à
Moskalenko lui-même qui se présente en défenseur de la légalité.
Malenkov et Khrouchtchev estiment que la salle de garde, où ils ont installé Beria, est
assez mal choisie, car mal protégée. Quelques dizaines d’hommes de troupes du NKVD,
mobilisés par des fidèles de Beria, le vice-ministre Maslennikov par exemple, pourtant si
passif la veille, ou le commandant militaire de la place de Moscou, le lieutenant-général
Sinilov, un ancien des troupes de gardes-frontières du NKVD, pourraient facilement y
pénétrer. Le 27, Moskalenko déménage Beria dans le bunker souterrain de l’état-major de
la défense antiaérienne de Moscou, au centre de commandement du district militaire, rue
Ossipenko. Il sera gardé par une compagnie entière, sous son commandement, celui de
Batistki et de quatre officiers de garde qui alternent par quart. Beria est consigné dans une
pièce de 25 mètres carrés, obscure, mal éclairée, munie d’un châlit et d’une chaise fixée
au sol.
On rafle ensuite les principaux collaborateurs de Beria, une douzaine en tout – ce qui
révèle la minceur de ses appuis. Le 27 juin, Bogdan Koboulov est convoqué au siège du
comité central, place Staraia, et arrêté dès son entrée. Le mandat d’amener est signé
Krouglov. Le même jour, l’armée arrête Goglidzé et Amaiak Koboulov en RDA, deux
officiers du MVD interceptent Lioudvigov à la sortie du stade Dynamo, où il avait assisté
à un match de football, et l’emmènent à la prison de Boutyrka. Lioudvigov croit tout
d’abord avoir été arrêté sur ordre de Beria, désireux de le compromettre parce qu’il avait
épousé la nièce de Mikoyan. Cette supposition en dit long sur les rapports réels entre
Beria et ses proches. Aussi Lioudvigov est-il très étonné quand, le lendemain, on l’accuse
d’avoir participé à un complot monté par Beria contre le gouvernement soviétique. Il était
persuadé, racontera-t-il à Soudoplatov, que « cette accusation avait été formulée par un
provocateur chargé de l’amener à passer des aveux dont Beria se servirait pour se
débarrasser de lui ». Selon Soudoplatov, « Sarkissov, arrêté pendant ses vacances, crut lui
aussi être la victime de Beria[541] ». Ils changent vite d’avis, car ils ne tardent pas à se
mettre à table contre leur chef déchu.
Pavel Mechik, le ministre de l’Intérieur de l’Ukraine, ne se doute de rien lorsqu’il est
invité, le 30 juin, à participer à une réunion sur les cadres de son ministère au siège du
comité central du parti communiste ukrainien. Il s’y rend tranquillement pour être aussitôt
arrêté. Le mandat d’amener est signé Serov. Lors du plénum qui suit, le secrétaire adjoint
du comité central, Kiritchenko, souligne les faiblesses de Mechik : son père, sa mère, l’un
de ses frères et sa tante ont depuis longtemps quitté l’URSS et vivent à New York ! Un
autre de ses frères a été condamné pour espionnage. Un tel palmarès, que Beria pouvait
difficilement ignorer, aurait depuis longtemps envoyé un citoyen soviétique ordinaire au
goulag. Plus étonnant : Vlodzimirski n’est arrêté que le 17 juillet. Soudoplatov, lui, ne le
sera que le 21 août, Merkoulov plus tard encore, le 18 septembre.
Le présidium décide de convoquer un plénum du comité central le 2 juillet. La
convocation, signée Khrouchtchev, ne comporte aucune indication d’ordre du jour, fixé
par le présidium seulement le 1er juillet au soir : « examen des actes criminels antiparti de
Beria ». Seuls les membres du présidium et leurs proches ont le temps de se préparer.
Bien entendu, l’arrestation de Beria est secrète. Le 27 au soir, au Bolchoï, l’écrivain
Alexandre Stein, qui assiste aussi à la représentation des Décabristes, scrute la loge
gouvernementale où sont installés, croit-il, tous les dirigeants du régime. Il remarque un
détail qui l’intrigue. De temps en temps, Boulganine se lève, sort puis revient, se penche à
l’oreille de Khrouchtchev, qui se penche à l’oreille de Malenkov. Le manège se répète
plusieurs fois. Stein chuchote à sa femme : « Quelque chose se passe, et pas sur la
scène. » Mais il ne remarque pas l’absence de Beria et ne comprend pas le manège. Le
lendemain matin, son ami, Igor Nejny – dernier arrêté le 5 mars 1953 au matin, des
accusés du « complot des médecins », libéré un mois plus tard par Beria –, lui demande
au téléphone s’il a lu les journaux. Bien sûr ! « Vous n’avez rien remarqué ? Relisez ! »
Stein se préparant à partir en voiture pour sa datcha à Peredelkino, Nejny lui conseille de
passer par la rue où se trouve l’immeuble de Beria : « Regardez bien, la garde a été retirée
autour de la maison. »
Stein reprend la Pravda et avise le communiqué publié en première page, qui énumère
la liste des personnalités gouvernementales présentes la veille à la représentation : « À ce
spectacle assistaient les dirigeants du Parti et du gouvernement : les camarades
G.M. Malenkov, V.M. Molotov, K.E. Vorochilov, N.S. Khrouchtchev, N.A. Boulganine,
L.M. Kaganovitch, A.I. Mikoyan, M.Z. Sabourov, M.G. Pervoukhine, N.M. Chvernik,
P.K. Ponomarenko, V.A. Malychev. » Pas de L.P. Beria[542]. Ce signe ne trompe pas.
Selon l’historien Volkogonov, certains membres de la direction, dont il ne précise pas
les noms, proposent de régler le sort de Beria comme dans les années 1937-1939 : le
remettre à une troïka, qui réglera son sort en quinze ou vingt minutes, sans procureur,
avocat ni témoin. Ce serait le retour à la grande terreur, dont personne ne veut plus, même
les dinosaures staliniens Molotov et Kaganovitch. Volkogonov, qui n’indique aucune
source, invente probablement cette version. Sur proposition de Khrouchtchev le
présidium, réuni le 29 juin, limoge le procureur général de l’URSS Safonov, jugé partisan
de Beria, et le remplace par Roman Roudenko, chargé de former le groupe d’enquêteurs
qui s’occuperont de Beria et ses complices.
Roudenko, petit bonhomme courtaud et carré, au teint blafard, avait été nommé
procureur général de l’Ukraine soviétique en 1938, après la nomination de Khrouchtchev
à la tête du parti communiste ukrainien. Sous Iejov, le NKVD ayant constitué un dossier
sur Roudenko, Khrouchtchev avait pris sa défense. Les deux hommes étaient donc liés.
Roudenko était ensuite monté en grade, au point d’être nommé procureur soviétique au
procès de Nuremberg. Il s’y était battu comme un chien pour obtenir que le massacre des
21 750 officiers polonais (ramenés par lui d’ailleurs à 11 000) à Katyn soit imputé aux
Allemands. C’est lui qui avait prononcé le dernier acte d’accusation contre les chefs
nazis. Mais, alors qu’il paradait au prétoire, il restait sous la surveillance d’un cadre de la
Sécurité d’État, Rassoumov, surveillance dont il n’avait sans doute pas gardé un excellent
souvenir. Il avait été un moment rappelé à Moscou où, selon la version officielle, il avait
été victime d’une crise de paludisme, qui dissimulait peut-être la menace d’une disgrâce.
Le 27 juin, la police arrête Sergo Beria et embarque avec lui sa femme, enceinte de cinq
mois. Commence alors, plus ou moins discrètement, le retrait massif des portraits de
Beria un peu partout. Le petit Gordievski, en vacances en Ukraine, reçoit début juillet une
lettre de son père, colonel à la direction de l’instruction du MVD, qui lui écrit : « Il s’est
passé hier un événement extraordinaire. Les portraits du patron ont disparu des
murs[543]. » Les cadres du MVD devinent par-là que leur chef est envoyé aux oubliettes.
Jusqu’au 10 juillet, la suppression des portraits est le seul signe concret de sa chute. Les
membres du présidium décident de détruire les dossiers, établis contre eux sur ordre de
Staline et fondés sur les aveux souvent extravagants extorqués par la torture. Sergo Beria
affirme que Malenkov lui-même est venu le voir deux fois dans sa cellule pour lui
demander ce qu’il savait sur les archives de Staline et sur celles de son père.
Le 29 juin, Nina Beria écrit cinq lettres – pour Malenkov, Khrouchtchev, Vorochilov,
Molotov et Boulganine. Elle demande à chacun d’intervenir pour son fils Sergo. Si les
lettres présentent la même argumentation, chacune contient une mention particulière.
Ainsi à Khrouchtchev : « Si Lavrenti Pavlovitch a commis une erreur irréparable et a
porté tort à l’État soviétique […] je vous demande de me permettre de partager son sort,
quel qu’il soit. Je lui suis dévouée, je crois en lui comme communiste, je l’aime malgré
toutes les petites tensions qui ont existé dans notre vie conjugale[544]. » C’est la seule à
prendre sa défense.
Dans sa prison secrète, Beria demande du papier et un crayon. Après discussion avec les
membres du présidium, Khrouchtchev lui accorde en tout et pour tout quatre grandes
feuilles de papier. Beria, à qui les gardes ont retiré son pince-nez, ne risque pas de rédiger
des mémoires trop gênants ! Le 28 juin il rédige un billet bref et étonnant pour
Malenkov : « J’étais certain que je tirerais de la grande critique qui m’a été faite au
présidium toutes les conclusions indispensables pour moi et que je serais utile dans le
collectif. Mais le comité central en a décidé autrement. » Pratiquant l’autocritique mise à
la mode par Staline dès la fin des années 20, il approuve l’action du présidium contre lui :
« Le comité central a agi correctement. » Son inquiétude s’exprime dans les deux
dernières lignes : « Gueorgui, je te demande, si vous le jugez possible, de ne pas laisser
sans attention ma famille (ma femme et ma vieille mère) et mon, fils Sergo, que tu
connais[545]. »
Le 1er juillet, il envoie une nouvelle lettre, beaucoup plus longue et argumentée, à
Malenkov, en qui il voit le véritable chef qui l’a fait arrêter et peut décider de son sort. Il
tente de se le concilier : « Tout ce qui est valable dans ma vie est lié au travail en commun
avec toi. » Il décrit longuement leur fructueuse collaboration depuis 1938, surtout pendant
la guerre, puis dans le comité pour la bombe atomique. Il lui rappelle le soutien moral que
Malenkov lui a apporté quand il est parti, mort de peur, en 1949, à Semipalatinsk, pour
l’expérimentation de la bombe. Il souligne : « Nous avons été presque en même temps
écartés, toi du comité central et moi du MVD, et nous avons travaillé au gouvernement. »
Il lui rappelle que c’est lui qui l’a proposé comme président du Conseil ; il juge toujours
cette décision profondément juste, mais bat sa coulpe : « Personne n’avait détruit notre
amitié, si précieuse et si nécessaire pour moi. Et maintenant, uniquement par ma faute,
j’ai perdu tout ce qui nous liait. » Après quatre jours de réflexion, écrit-il, « j’ai soumis
mes actions à la critique la plus sévère, je me blâme fortement. Ma conduite à ton égard a
été particulièrement grave et impardonnable. Je suis coupable à cent pour cent. »
Malgré tout, il revendique son bilan, dressant la liste de ses propositions des trois
derniers mois, dont, pour mieux les lier à lui, il attribue partiellement la paternité à ses
collègues : « Le MVD, écrit-il, a porté au comité central et au gouvernement – sur tes
conseils et, dans quelques questions, sur les conseils de Khrouchtchev – une série de
propositions politiques et pratiques intéressantes. » Il les énumère : « sur la réhabilitation
des médecins, sur la réhabilitation des individus arrêtés en rapport avec le prétendu centre
national mingrélien en Géorgie et le retour en Géorgie des individus déportés
incorrectement, sur l’amnistie, sur la liquidation du régime des passeports, sur la
correction de la déformation de la ligne du Parti admise dans la politique nationale et dans
les mesures répressives en Lituanie, en Ukraine occidentale et en Biélorussie
occidentale ». Il revendique la politique qu’il a fait lui-même adopter, sans percevoir que
plusieurs de ces mesures dressent contre lui une partie de l’appareil du Parti.
Il se persuade que sa seule erreur est le dédain qu’il a manifesté à l’égard de Malenkov,
auquel il rappelle avec insistance leur collaboration depuis plus de quinze ans. Il reconnaît
qu’il a eu tort de doubler l’envoi de résolutions du comité central des partis communistes
de plusieurs Républiques par des notes du MVD, « ce qui a créé une situation
insupportable. On a pu croire que le MVD corrigeait les Comités centraux du PC
d’Ukraine, de Lituanie et de Biélorussie », alors que le rôle du ministère de l’Intérieur, il
ne l’ignore pas, doit se limiter à appliquer les décisions du comité central. Il se repend de
son comportement à l’égard des autres membres du présidium, surtout Khrouchtchev et
Boulganine, lors du débat sur l’Allemagne. Il recense ses fautes de conduite :
« grossièreté inacceptable, insolence, désinvolture, sans-gêne ».
Puis, à chacun des membres du présidium, il renouvelle ses profonds sentiments
d’amitié. Il déclare à Khrouchtchev : « Si l’on ne tient pas compte de la dernière réunion
du présidium du comité central où tu m’as attaqué avec vigueur et colère, ce que
j’approuve entièrement, nous avons toujours été de grands amis et j’ai toujours été fier du
fait que tu sois un remarquable bolchevik et un remarquable camarade. » Il ajoute un
post-scriptum pour regretter d’écrire mal et de façon pas très « cohérente », à cause de son
« état, de la faiblesse de la lumière et de l’absence de pince-nez[546] ».
Sans réponse à toutes ces missives, il commence à s’affoler : et si on voulait le liquider
en silence ? Le 2 juillet, il adresse au présidium un appel au secours désespéré, cahotant et
décousu : « On m’a jeté dans une cave, et personne ne m’explique rien et ne me demande
rien. […] on veut me régler mon compte sans jugement et sans instruction, après cinq
jours d’internement sans le moindre interrogatoire ; je vous supplie tous de ne pas
l’admettre, je vous demande d’intervenir immédiatement, autrement il sera trop tard. Il
faut prévenir directement par téléphone. » Il réclame la formation d’une commission « la
plus responsable et la plus rigoureuse pour organiser une enquête sévère sur mon
affaire », présidée par Molotov ou Vorochilov. Et il proteste encore contre l’idée qu’on
puisse « régler sans jugement […] une affaire qui concerne un membre du comité
central », et le punir « après cinq jours à croupir dans une cave ». Il les supplie « une fois
encore […] d’intervenir et d’intervenir sans tarder[547] ». Cette dernière lettre n’aura pas
plus de réponse que les précédentes. Beria n’écrira plus à ses anciens camarades du
présidium : Khrouchtchev cesse de lui fournir du papier.
XVI.
L’ABSENT OMNIPRÉSENT
En convoquant le plénum du comité central du 2 au 7 juillet 1953, le présidium entend
lui rendre sa place. Il devrait répondre à trois questions : Beria avait-il monté un
complot ? Pourquoi a-t-il été arrêté en toute hâte, au cours d’une séance restreinte du
présidium, sans attendre ce plénum devant lequel, en tant que membre élu du comité
central, il aurait dû être invité à s’expliquer ? Enfin, si Beria est un ennemi, pourquoi a-t-
on attendu si longtemps avant de s’attaquer à lui, pourquoi ne l’a-t-on pas fait du vivant
de Staline ou, au moins, au lendemain de sa mort ? Pourquoi l’a-t-on laissé accéder au
sommet du pouvoir ?
Personne ne répond à ces trois questions au cours du plénum, ni Malenkov qui en ouvre
et en conclut les débats, ni Khrouchtchev qui en est le principal animateur. Malenkov
introduit la séance avec un rapport que les secrétaires ne sténographient pas. On n’en a
que la version écrite corrigée. Il énumère sept griefs : Beria a voulu placer le ministère de
l’Intérieur au-dessus du Parti et du gouvernement ; il a placé leurs dirigeants sous le
contrôle de ses gardes ; il a proposé à Malenkov de normaliser les relations avec la
Yougoslavie titiste ; il a voulu liquider le socialisme en RDA en créant un État allemand
réunifié et neutre ; il a manifesté une hâte nocive dans l’amnistie des détenus du goulag ;
du temps de Staline, il semait la zizanie entre les membres du bureau politique ; enfin, il
est moralement dégénéré.
Malenkov n’apporte aucun élément prouvant la réalité du complot dont Beria est
accusé. Khrouchtchev, qui lui succède, pas plus. Kaganovitch intervient avec ses gros
sabots : « Le lendemain de la mort de Staline, alors que le corps gisait encore dans la salle
des Colonnes, Beria commença dans les faits [dont Kaganovitch ne cite pas un seul] à
préparer son coup d’État, il commença à jeter bas Staline mort [là est sans doute pour lui
le nœud de son coup d’État], à semer le trouble, à commettre des saletés. » Les membres
du comité central ne pourront en connaître le détail… sauf un de son invention : « Il dit à
notre groupe : Staline ne savait pas que, s’il avait tenté de m’arrêter, les tchékistes
auraient provoqué un soulèvement. » Puis, voyant l’incrédulité se peindre sans doute sur
quelques visages, il demande confirmation : « Il a bien dit cela ? » Un membre du
présidium, non précisé, se hâte d’approuver : « Il l’a dit. » Kaganovitch conclut : « Beria
préparait un complot de caractère fasciste. » Son but était de « s’emparer du
pouvoir »[548].
Mais comment, avec qui et en prenant appui sur quelles forces ? Personne n’en dit rien.
C’est un complot sans comploteurs, ni plan d’action, ni calendrier, ni exécutants.
Kaganovitch tente bien une réponse : l’amnistie qu’il a fait proclamer visait à lui fournir
des hommes de main, « des bandits déchaînés, le noyau de la bande fasciste de
Beria[549] », mais on ne sait ni où, ni comment auraient été recrutés ces mercenaires
virtuels, dont il ne sera plus jamais question et sur lesquels Roudenko n’interrogera
jamais Beria au cours de cinq mois d’instruction. Molotov dément involontairement
Kaganovitch. Selon lui, Beria « tendait avec insistance à s’emparer du poste dirigeant
dans le gouvernement », mais « la majorité écrasante des tchékistes ne l’auraient pas
suivi. […] Les calculs de Beria pour utiliser l’appareil du MVD ne pouvaient se
vérifier[550] ». Donc, il n’avait aucun moyen de prendre le pouvoir…
Non seulement le comité central n’apprend aucun fait qui atteste le complot, mais aucun
de ses membres n’en demande. S’ils devinent que l’accusation est inventée de toutes
pièces, ils n’en ont que faire. Seul compte le résultat. L’instruction du procès n’apportera
non plus aucun indice. Pourquoi, alors, avoir arrêté Beria avant le plénum ? Khrouchtchev
est à peu près le seul à tenter de justifier cette arrestation préventive et précipitée : « On
ne pouvait agir que de cette manière avec un homme aussi perfide. Si nous lui avions fait
remarquer que c’était une canaille, je suis persuadé qu’il nous aurait réglé notre compte. Il
sait faire cela. Il est capable de verser du poison, il est capable de toutes les turpitudes.
Nous avons considéré que, s’il savait que l’on discuterait de son cas à la réunion […] il
aurait mobilisé ses coupe-jarret et seul le diable sait ce qui se serait alors passé[551]. »
Pour Vorochilov aussi, il y avait urgence : « S’il était resté plus longtemps à son poste,
toute la direction du gouvernement aurait pu disparaître d’un seul coup[552]. » Mais
aucun fait ne corrobore cette déclaration.
Personne n’en avance aucun. Certes, les uns et les autres accusent Beria de les avoir mis
sur écoute, pratique instaurée par Staline dès le milieu des années 20, d’avoir utilisé des
agents pour surveiller ses collègues (mais depuis longtemps la Sécurité est chargée de
cette mission), de vouloir dresser les uns contre les autres, en disant une chose à l’un et le
contraire à l’autre, pratique assez usuelle et qu’il est difficile de qualifier de criminelle.
Tout cela est probable, mais ne signifie pas un projet de coup d’État. Chataline, secrétaire
du comité central, est aussi vague : « Beria voulait placer le MVD au-dessus du Parti,
échapper au contrôle des organisations du Parti […] Il a tenté de transformer l’appareil du
MVD en arme de combat contre le Parti, contre le gouvernement soviétique[553]. » En
quoi ? Comment ? Avec quels résultats ?
Khrouchtchev produit la note de Beria du 15 juin proposant de limiter les prérogatives
des conférences spéciales. Ce qui aurait signifié, répète-t-il : « Beria arrête, Beria
interroge et Beria juge. » Il argumente : « Beria voulait agir contre le Parti, contre le
gouvernement[554]. » On en reste toujours aux vagues litanies…
Faute de faits concrets, certains nostalgiques reprochent à Beria d’avoir liquidé le
prétendu complot des « médecins » et celui des Mingréliens. Kaganovitch s’écrie :
« Beria a gonflé même l’affaire de la libération des médecins dans laquelle le Parti a agi
correctement, il l’a gonflée de façon sensationnelle, artificielle. Il a activé sa méthode
d’autopublicité pour se vanter : “C’est moi qui ai fait ça, pas le comité central, c’est moi
qui corrige, pas le gouvernement”[555]. »
Chataline, secrétaire du comité central, jugé proche de Malenkov, va plus loin : « Cet
aventurier perfide, dit-il, a obtenu la publication d’un communiqué spécial du MVD, cette
affaire a été reprise dans notre presse sur tous les tons… Il faut dire que tout cela a
produit sur notre société une impression pénible. La faute commise a été corrigée par des
méthodes qui ont porté un tort non négligeable aux intérêts de notre État[556]. » C’est le
seul indice de complot dont Chataline dispose.
D’autres se rabattent sur une rengaine stalinienne : l’agent de l’impérialisme étranger.
Molotov rappelle que toutes les questions de politique étrangère se discutaient au
présidium du Conseil des ministres et plus au comité central, et prête à Beria un projet
politique : « Il est tout à fait évident qu’il dissimulait un plan dirigé contre l’édification du
communisme dans notre pays. Il suivait une autre orientation, une orientation vers le
capitalisme. » Puisque c’est évident, Molotov ne se fatigue pas à chercher des preuves,
d’ailleurs inexistantes. Il mentionnera pourtant un détail particulièrement mal choisi,
comme l’avenir le montrera : quand on a arrêté Beria, il avait dans sa poche un projet de
lettre à Ranković, le ministre du Gouvernement yougoslave, lui proposant d’organiser une
rencontre avec Tito pour effacer les séquelles de la rupture de 1948. Molotov y voit « une
tentative effrontée de frapper dans le dos l’État soviétique et de rendre un service direct
au camp impérialiste. Ce seul fait suffirait à conclure que Beria est un agent de l’autre
camp, un agent de “l’ennemi de classe”[557] ». Accusation malencontreuse : la rencontre
proposée par Beria se tiendra en avril 1955, date où Khrouchtchev et Boulganine
débarqueront à Belgrade.
Faute de complot, Khrouchtchev s’acharne à dénoncer le coût et le poids de l’appareil
policier et sa prééminence sur celui du Parti, dont il est sûr de se gagner l’appui. À la mort
de Staline, l’appareil du ministère de l’Intérieur, avant sa fusion avec la Sécurité d’État,
comprenait 374 800 individus. Après la fusion, qui lui adjoint les quelque 140 000 agents
de l’ancienne Sécurité d’État, il en compte plus de 500 000 et coûte très cher à entretenir.
Malenkov précise : « Nous dépensons 17,5 milliards de roubles pour le ministère des
Affaires intérieures. » Andrianov, le secrétaire du PC de Leningrad, renchérit : l’appareil
du MVD, « hypertrophié, coûte 18 milliards de roubles ». Khrouchtchev touche la corde
sensible des apparatchiks : « Le chef du NKVD perçoit la rémunération la plus élevée,
plus que le secrétaire du Comité régional du Parti. » Dans la salle, on approuve
bruyamment : « Oui il touche deux fois plus que le secrétaire du comité de district ! »
Khrouchtchev en profite : non seulement il touche plus, mais, pour justifier son salaire,
« avec un tel réseau à sa disposition, il doit montrer qu’il fait quelque chose… C’est
pourquoi certains des cadres commencent à fabriquer des affaires et commettent des
saloperies[558] contre les cadres du Parti ».
L’offensive contre Beria recouvre une attaque plus générale des apparatchiks du Parti
contre l’appareil policier, dont ils ont besoin, mais qu’ils veulent étroitement contrôler.
C’est le leitmotiv : « Il faut placer les organes du MVD, dit Malenkov, sous le contrôle du
Parti. » Khrouchtchev renchérit : « Il faut remettre la Sécurité d’État à sa place[559]. »
Pour renforcer cette exigence, Khrouchtchev, qui ne contrôle pas toujours sa
spontanéité, oppose la présence obsédante de la police dans le régime dit « socialiste », à
son extrême discrétion sous le tsarisme : « Je suis un homme, comme on dit, de l’ancien
régime. J’ai vu un gendarme pour la première fois à l’âge de 24 ans. Dans les mines, il
n’y avait pas de gendarmes. Juste un cosaque policier, qui se soûlait. Dans le canton, il
n’y avait qu’un brigadier. Et maintenant, on a un chef du MVD dans chaque district,
entouré d’un vaste appareil de fondés de pouvoir[560]. » En un mot, on respirait mieux
sous les tsars que sous le socialisme triomphant.
Le vrai crime de Beria, que Kaganovitch qualifie de « fasciste », est ailleurs.
Khrouchtchev cite la phrase de Beria à Rakosi : « Qu’est-ce que le comité central ? Que le
Conseil des ministres décide de tout, et que le comité central s’occupe des cadres et de la
propagande. » Khrouchtchev explique : « Cette déclaration signifie que Beria niait le rôle
dirigeant du Parti, limitait son rôle au travail avec les cadres (dans les premiers temps,
manifestement) et à la propagande. » Il s’indigne : « Les opinions de Beria sur le Parti ne
se distinguent en rien de celles de Hitler [sic !] […] Cette déclaration signifie que Beria
niait le rôle dirigeant du Parti […] Il pensait renforcer sa place et anéantir totalement le
Parti. Bien sûr, pas physiquement. » En un mot, pour Khrouchtchev, vouloir réduire
l’activité du Parti à l’agitation et à la propagande politiques, et laisser le gouvernement
gouverner, c’est vouloir détruire le parti communiste, assimilé par lui à son seul appareil
central, sans considération pour la masse des 6 700 000 adhérents (qui sous Brejnev
atteindront les 19 millions !), masse amorphe, qui ne voit dans la carte du Parti qu’un
moteur de carrière. Khrouchtchev se pose en garant de la sécurité de l’appareil du Parti et
de sa primauté sur toutes les autres forces et institutions : « Nous contrôlons chaque
ministre, chaque cadre […] mais, dans le MVD, tout est recouvert du voile du
secret[561] ! »
Là, et dans les conclusions pratique que Beria en a tirées, réside son vrai complot. Il
avait, dans son propre ministère, promu des cadres nationaux dans les diverses
Républiques (Ukrainiens en Ukraine, Lettons en Lettonie…), portant atteinte à la
« nomenklatura ». Serdiouk lui reproche d’avoir, « en un mois et demi à deux mois,
remplacé tous les chefs des directions régionales du MVD en Ukraine à l’insu du comité
central[562] ». Serdiouk met en cause non les compétences des nouveaux nommés,
question qui n’intéresse en réalité personne, mais le fait que leur nomination ait échappé
au secrétariat. C’est sous cet angle que les membres du plénum dénoncent les mesures
prises par Beria, alors même que le présidium les avait validées, avant de revenir en
arrière après l’arrestation du meneur.
Kaganovitch à son tour rappelle un épisode – que nous avons déjà évoqué : un jour
Khrouchtchev convoque Koboulov, vice-ministre de l’Intérieur, pour examiner avec lui
les changements de personnels parmi les cadres de son ministère. Aussitôt, Beria
téléphone à Khrouchtchev : « Sur la base de quoi un chef de section du comité central
convoque mon adjoint, Koboulov ? Je ne le permettrai pas[563]. » L’ancien chef de la
direction des cadres du ministère de l’Intérieur affirme avoir entendu Beria déclarer : « Je
nomme d’abord, je fais confirmer ensuite », prouvant son indépendance à l’égard du
secrétariat. Interrogé sur ce point et confronté à ce témoignage le 11 juillet, Beria
reconnaît : « Il y a eu des cas où des cadres [du MVD] ont été nommés par mon ordre,
sans accord avec le comité central[564]. »
Or, dans la tradition instaurée par Staline, un ministre n’a pas le droit de pourvoir un
quelconque poste de son ministère et de ses structures. Sinon, il empiète sur le pouvoir du
secrétariat qui a la maîtrise absolue des affectations. Cette règle instaurée par Staline est
intangible et inviolable. Elle est le garant du pouvoir du secrétariat du comité central, et
c’est à quoi Beria a porté atteinte.
Ce mécanisme interdit toute autonomie réelle du gouvernement et de son appareil
puisque la nomination d’un ministre, de son adjoint, de ses chefs de bureaux est soumise à
l’accord du secrétariat du comité central ou dépend de sa décision. Ce mécanisme
condamnait à l’échec la tentative de Beria, puis de Malenkov, de transférer le pouvoir au
Conseil des ministres. Staline pouvait l’imposer, car son régime de dictature personnelle,
accepté, ou plutôt subi, par ses proches, annulait toute règle. Mais sa mort rend à
l’appareil central du Parti son pouvoir. Beria ne semble pas en avoir été conscient, peut-
être parce que l’effarante médiocrité des dirigeants qui l’entouraient l’a laissé croire que
l’appareil, sans réaction, pouvait être mené à la baguette, comme sous Staline.
Or la « nomenklatura » est la condition première de la survie collective de cet appareil,
composé de haut en bas de permanents pour l’éternité, qui ont très vite perdu toute
qualification professionnelle ; ce sont en règle générale des individus ternes, primitifs,
souvent incultes, plus doués pour les intrigues que pour résoudre des problèmes
économiques, sociaux et politiques. La seule compétence que l’on exige d’eux est la
capacité à harceler, houspiller, engueuler, menacer, intimider, voter des motions rédigées
dans une langue de bois illisible. Leur inculture, même politique, est phénoménale. Leur
compétence se borne à répéter des formules rituelles. C’est eux que Beria évoque avec
mépris quand il déclare : « Nous avons besoin de bons cadres, des tchékistes, et pas des
gens qui ne savent que bavarder sur Lénine et Staline à une tribune[565]. »
C’est le nœud du problème. Le vrai crime de Beria est d’avoir voulu affirmer
l’autonomie de l’appareil du gouvernement et de l’État (et non de la seule police) en
prétendant l’émanciper du contrôle permanent et tatillon de l’appareil du Parti, dont il ne
pouvait que susciter l’hostilité massive. Certes, cette autonomie aurait renforcé son propre
pouvoir, puisqu’il tenait les leviers du ministère de l’Intérieur, mais ce n’est pas un coup
d’État. Khrouchtchev colore cette volonté de Beria d’une arrière-pensée pro-capitaliste :
« Pour pousser notre pays sur la voie bourgeoise, il voulait liquider le Parti, anéantir le
Parti[566] », c’est-à-dire son appareil central. Au plénum de juin 1957, Khrouchtchev se
répète mot pour mot : « Pour engager notre pays sur une voie bourgeoise il voulait
liquider le Parti, anéantir le Parti[567]. » Cette accusation est à double détente : elle
signifie d’abord que vouloir émanciper plus ou moins l’appareil d’État du contrôle
permanent de l’appareil du Parti, c’est menacer les fondements mêmes du pouvoir de la
bureaucratie ; ensuite, elle tend à transformer cette volonté en élément moteur d’une
restauration capitaliste contenue en germe, en réalité, dans la domination même de la
« nomenklatura » qui, la chute de l’URSS le montrera, aspire à transformer en propriété
privée les produits de son pillage des richesses du pays.
La question est récurrente. Un bon quart de siècle plus tard, lors d’une réunion du
bureau politique le 17 juin 1971, Guennadi Voronov suggéra que la nomination des
secrétaires de comités régionaux du PCUS et des présidents de comités exécutifs des
soviets soit « confirmée aussi par le Conseil des ministres […] ou au moins établie en
accord avec lui ». Andreï Kirilenko, ancien promu de Beria et protégé de Khrouchtchev,
lui répondit : « En Russie il y a un comité central du PCUS et c’est lui qui décide de
toutes ces questions, en particulier les affectations de cadres. Il n’en a jamais été
autrement[568]. »
Faute de matière, les orateurs égrènent contre Beria des griefs grotesques. Au mépris de
toute vraisemblance, Molotov lui met sur le dos certaines décisions de Staline : « Beria a
rempli son rôle ignoble en ce que le travail du comité central du Parti a été affaibli au
point que ses plénums n’ont pas été réunis pendant plusieurs années, que le bureau
politique a cessé de travailler normalement et, en règle générale, ne se réunissait plus en
entier. » Il prétend : « Nous n’avons pas alors assez fait attention au rôle criminel de Beria
dans cette situation[569]. » Or, si Staline ne réunissait plus le bureau politique et le
comité central qu’à de très larges intervalles, Beria n’y était pour rien. Molotov l’accuse
aussi d’avoir « utilisé habilement pendant plusieurs années certaines faiblesses humaines
de Staline[570] ». Khrouchtchev le suit : « Ce carriériste habile avait profondément
plongé ses pattes sales dans l’âme du camarade Staline, il savait imposer son avis au
camarade Staline[571]. » Pour Malychev, c’est Beria qui a poussé Staline à attaquer
Molotov et Mikoyan.
Les orateurs compensent la faiblesse de l’accusation par les torrents d’injures
traditionnelles dans l’univers stalinien. Malenkov parle d’« ennemi du Parti et du
peuple », de « saboteur de l’unité », de « dégénéré […] criminellement dépravé ».
Khrouchtchev le traite de « carriériste adroit », « coquin », « aventurier et provocateur ».
Krouglov, tout nouveau ministre de l’Intérieur, pour faire oublier sa longue collaboration
avec lui, le traite de « dégénéré bourgeois, aventurier, ennemi acharné, rusé et dangereux,
canaille dangereuse, coquin, parasite, etc. ». Cela ne sauvera pas l’insulteur. Pour
Molotov, Beria est un « provocateur », un « agent du camp étranger », un « agent de
l’ennemi de classe ». Pour Kaganovitch, un « criminel antiparti, antigouvernemental », un
« comploteur contre-révolutionnaire, fasciste » et un « espion d’envergure
internationale ». Beria est présenté comme un élément extérieur, étranger même, au
système dont il est rejeté. Mikoyan, concède : « Nous n’avons pas pour le moment de
données précises confirmant si c’était un espion, s’il recevait des instructions de maîtres
étrangers », mais « l’essentiel est que Beria a rempli la commande sociale de la
bourgeoisie, de notre encerclement capitaliste et de leurs agents à l’intérieur du
pays »[572].
Le plus virulent est Mir Djafar Baguirov, ancien protecteur puis protégé de Beria, qu’il
qualifie de « provocateur international, aventuriste de grande envergure, caméléon, pire
ennemi de notre parti, de notre peuple ». Chaque membre du plénum sachant Beria et lui
très proches, Baguirov joue au naïf. Beria, dit-il, était « si malin et rusé que moi, qui l’ai
connu pendant plus de trente ans, je n’ai pu percer à jour sa nature hostile avant qu’il ne
soit démasqué par le présidium du comité central[573]. » Cette pantalonnade ne le
sauvera pas non plus : arrêté en mai 1954, Baguirov est condamné à mort en mai 1956 et
fusillé aussitôt.
Une fois la figure de l’ennemi modelée fermement, certains s’aventurent à reconnaître à
Beria quelques qualités, qui ne font que rendre le portrait plus vraisemblable et l’homme
plus dangereux. Molotov concède : « Il est impossible de nier ses qualités d’organisateur,
qui se manifestèrent dans l’organisation et la mise en œuvre d’une série de mesures
économiques. Le Parti ne pouvait pas ne pas utiliser ces qualités » et, avec une logique
toute stalinienne, il poursuit : « Le Parti ne refuse pas d’exploiter même les qualités de
saboteurs démasqués, quand les possibilités s’en présentent. » En un mot un traître, un
aventurier agent de l’impérialisme peut servir au régime même qu’il tente de saboter,
voire de détruire. Le ministre de l’Industrie pétrolière, Baïbakov, l’admet du bout des
lèvres : « Je ne peux pas dire qu’il ne réglait pas des problèmes. Ce serait incorrect. »
Mais, ajoute-t-il, « la résolution de ces problèmes s’effectuait dans une situation de
tension, grossièrement et de façon brutale ». Mikoyan y va aussi de son compliment : « Il
y a eu pas mal de signes du travail positif de Beria, à l’ombre desquels se dissimulaient
des faits négatifs[574]. »
Malenkov conclut les travaux du plénum par un discours étonnant : certes, il cite quatre
fois Beria, mais son propos est d’abord une longue attaque contre celui qu’il appelle une
fois encore le « grand Staline » et contre son culte de la personnalité. Il évoque la dernière
partie de la vie du Guide : « Le bureau politique depuis un long moment ne fonctionnait
plus normalement. […] Ses membres n’étaient pas invités à participer au règlement de
nombreuses questions importantes. » Et il dénonce l’absence de congrès du Parti pendant
treize ans, et de plénum du comité central pendant des années.
Il continue : « Le culte de la personnalité de Staline, dans la pratique quotidienne de la
direction, avait pris des formes et des dimensions maladives, les méthodes collectives
dans le travail étaient rejetées […] ; un culte de la personnalité aussi monstrueux a
débouché sur le caractère irrévocable de décisions individuelles et, les dernières années, a
porté un tort sérieux à la direction du Parti et du pays. »
Évoquant les reproches injustifiés dont Mikoyan et Molotov avaient été les victimes au
comité central d’octobre 1952 et qui annonçaient pour eux des lendemains douloureux, il
lance à la salle la question de pure rhétorique : « Voulons-nous qu’un tel état de choses se
répète à l’avenir ? » Il répond lui-même, sous des applaudissements tempétueux :
« Décidément non ! » avant de dénoncer plusieurs décisions unilatérales et
catastrophiques de Staline (la volonté de hausser à 40 milliards de roubles les impôts sur
la paysannerie, de construire un canal gigantesque et inutile au Turkménistan, estimé à
30 milliards de roubles (sans rappeler que Beria a fait annuler ces travaux). Il conclut :
« Les décisions sur les plus importants problèmes internationaux, sur les problèmes du
travail de l’État et de la construction économique étaient souvent prises sans l’étude
préparatoire nécessaire et sans discussion collective dans les organismes dirigeants du
Parti. Ces anomalies ont débouché dans les faits sur des décisions insuffisamment fondées
et incorrectes, et sur l’affaiblissement du rôle du comité central, comme organe de
direction collective du Parti[575]. »
Curieusement, le 7 juillet, dernier jour du plénum, Roudenko interroge Ordyntsev, chef
du secrétariat de la vice-présidence du Conseil des ministres. Si celui-ci souligne
« l’immodestie, les fanfaronnades et autres traits de caractère de Beria », qui prirent à
partir de mars 1953 une « autre portée », il donne de son rôle une description objective :
« Après mars 1953, déclare-t-il, Beria a développé une vive activité pour préparer et
présenter au gouvernement divers projets visant à réformer le régime existant jusqu’à
mars 1953. Il cherchait fiévreusement diverses questions à soumettre au gouvernement. »
Bref il voulait pousser le gouvernement en place (auquel il appartenait) à promulguer des
réformes. Ordyntsev, sentant que Roudenko et ses maîtres attendent de lui quelque chose
d’autre ou de plus, ajoute modestement : « Il me semble maintenant qu’il agissait dans le
but de lier directement à son nom les décisions prises par le gouvernement sur ces
questions et acquérir par ce moyen une certaine popularité dans le Parti et dans le peuple,
un capital politique[576]. » Chercher à se rendre populaire n’est pas comploter. Le
modeste cabinet de quatre spécialistes constitué par Beria en mars 1953 paraît bien léger.
Ordyntsev, refusant d’aller plus loin, n’apporte rien à l’instruction ; il sera jugé en
septembre 1954, condamné à huit ans d’exil, puis libéré en 1959 au bout de cinq ans.
Le plénum exclut du comité central et du PCUS les créatures de Beria, Goglidzé et
Koboulov, remercie Joukov de sa contribution à l’arrestation de Beria ; jusqu’alors simple
suppléant, il est promu membre titulaire du comité central ; Kiritchenko, membre du clan
Khrouchtchev en Ukraine, est promu membre suppléant du présidium. Le plénum annule
la décision du 28 avril limogeant Ignatiev du comité central, et le rétablit dans ses rangs.
L’homme qui avait monté l’« affaire des médecins », sous les ordres de Staline, peut
reprendre une carrière plus modeste, mais tranquille. Krouglov est confirmé
officiellement ministre de l’Intérieur et Chataline, réputé proche de Malenkov, nommé
membre du secrétariat du comité central, chargé d’épurer la Sécurité.
Le plénum se conclut par le vote d’une résolution portant l’empreinte du bluff stalinien
rituel. Elle salue d’abord « le puissant essor dans tous les domaines de l’économie depuis
le XIXe congrès » – essor nié au cours des débats du plénum lui-même –, puis le texte
souligne les « succès de l’Union soviétique dans l’édification du communisme », alors
même que le plénum a dénoncé la pénurie de pain, de pommes de terre et de légumes, et
le manque dramatique de logements ; la résolution exalte « une série de succès
[prudemment non précisés] dans l’essor de l’économie socialiste », critique les anomalies
dans la vie politique signalées par Malenkov (absence de congrès pendant treize ans et de
réunions régulières du comité central, du bureau politique et du Conseil des ministres),
expose une attaque générale et anonyme contre le « culte de la personnalité », puis, en
sixième point, seulement, dénonce de façon générale les « actions criminelles et les
actions perfides » de Beria énumérées au cours du plénum[577].
Malenkov semble tenir fermement les rênes du pouvoir. Pourtant ce plénum marque le
début de sa chute et de l’ascension de Khrouchtchev. L’accusation portée contre Beria
d’avoir monté l’affaire de Leningrad – en réalité l’œuvre d’Abakoumov, sur ordre de
Staline, sous la houlette de Malenkov – et fait liquider les principaux dirigeants de la ville
retombe indirectement sur Malenkov, son véritable organisateur. La liquidation de Beria
prive celui-ci d’un allié, dangereux sans doute, mais d’un allié. Or dans les organismes de
la direction, à part l’obscur Chataline, Malenkov n’a pas d’ami : les vieux staliniens
Molotov et Kaganovitch, qui se haïssent l’un l’autre, n’ont aucune sympathie pour ce
promu de la deuxième génération que Staline avait à leur place désigné comme son
héritier. L’insinuant Mikoyan le rejette pour les mêmes raisons. Le pantin décoré
Vorochilov ne compte pas ; Boulganine est, depuis vingt ans, lié à Khrouchtchev.
La liquidation de Beria, c’est d’abord la victoire de l’appareil central du Parti sur la
Sécurité d’État, à qui Staline avait accordé, sous son seul mais étroit contrôle, une
certaine autonomie pour terroriser le Parti lui-même. Le premier article de la Pravda du
10 juillet sur la destitution de Beria souligne qu’il était « nécessaire de mettre les organes
du ministère de l’Intérieur sous un contrôle systématique et inflexible ». C’est la première
étape de la victoire du comité central et de son appareil. Khrouchtchev assure que la
liquidation de ce « vil traître et provocateur contribuera […] au renforcement de notre
direction lénino-stalinienne[578] ».
Plus largement, la victoire des conjurés est celle de l’appareil du Parti sur celui du
gouvernement, qui cherche à s’affranchir de sa tutelle. En ce sens, elle annonce celle de
Khrouchtchev, nommé en septembre 1953 secrétaire du comité central, sur Malenkov,
président du Conseil des ministres. Smirtioukov remarque : « Après la mort de Staline, les
cadres du comité central et les secrétaires des comités régionaux voulaient se hisser au-
dessus de l’appareil du gouvernement et du gouvernement lui-même. Khrouchtchev n’a
incarné que l’expression de leurs intérêts[579]. »
Pour les secrétaires régionaux, qui forment l’ossature du comité central, Khrouchtchev
est l’un d’eux, à la différence de Beria et de Malenkov. Il a fait carrière à tous les niveaux
de l’appareil, dont il a gravi les divers échelons, comme ils y aspirent eux-mêmes. Ni
Beria ni Malenkov n’ont effectué ce parcours rituel. Beria a œuvré, pendant neuf ans, en
Géorgie, comme cadre de la police politique qu’il dirigera ensuite à Moscou pendant
quatre ans. Malenkov a été, quasiment dès le début de sa carrière, un rouage de l’appareil
central, chargé du contrôle des cadres régionaux et locaux, sans jamais en être un membre
de base. Responsable des cadres dans le secrétariat du comité central sous Staline, il a fait
partie des missi dominici envoyés dans les provinces pendant les années 36-39, pour
organiser ou vérifier la mise en œuvre des purges de l’appareil décidées à Moscou. C’est
pourquoi, en 1955, Khrouchtchev rappelle l’affaire de Leningrad où il accuse Malenkov
d’avoir mené à bien avec Beria – qui à l’époque n’y était pas pour grand-chose – la
liquidation de quelque 2 000 cadres du Parti de la ville ou qui en étaient originaires.
L’élimination de Beria, présenté comme un élément extérieur, étranger même au
système, permet à Malenkov et Khrouchtchev de rejeter sur lui la terreur qui décimait les
rangs de l’appareil maintenu sous une pression et une tension constantes. Charger Beria,
c’est défendre Staline, qu’il est encore trop tôt pour mettre en cause, et le système instauré
par lui, tout en exonérant les héritiers de toute culpabilité et de toute responsabilité. Beria
entame ainsi une carrière de bouc émissaire que Khrouchtchev prolongera au maximum.
Il n’est guère d’événement dramatique sans élément de farce. Le discours de l’ancien
secrétaire de Staline, Poskrebychev, le démontre. Le présidium ne le laisse pas prononcer
son discours, qu’il remet par écrit au bureau. Il reproche à Beria d’avoir voulu se
présenter au chef suprême comme « l’homme le plus capable, le plus dévoué et le plus
fidèle au camarade Staline », d’avoir « tenté par tous les moyens d’occuper du vivant de
Staline la place de premier vice-président du Conseil des ministres », d’avoir tenté en vain
de s’opposer à la nomination de Pervoukhine à ce poste, de très mal supporter les
critiques, mais d’en accabler les autres, de se juger infaillible, d’être extrêmement
vaniteux, d’avoir prétendu que son discours pour l’anniversaire de la révolution
d’Octobre était le meilleur – alors que Staline le trouvait émaillé d’erreurs –, d’avoir
proposé une liste de récompenses aux spécialistes chargés du projet atomique sans en
avoir discuté auparavant avec les membres du bureau politique, et d’avoir exaspéré
Staline par l’accumulation des mesures de précaution prises alors qu’il voulait partir en
vacances dans le Sud, incognito, « comme un conspirateur »[580].
Les membres du plénum bavardent. Des rumeurs circulent dans les hautes sphères du
Parti. Dès le 8 juillet, deux jours avant que la nouvelle soit annoncée officiellement,
Bonifati Kedrov, dans une lettre transmise à Chataline qui, lui-même, la transmet au
parquet, raconte en détail l’histoire de son père survenue en février-avril 1939. Deux mois
plus tard, au début de septembre, le procureur adjoint de l’URSS le convoque et l’invite à
réécrire sa lettre en y supprimant les noms de Vychinski, Chkiriatov et Iaroslavski, ce
dernier pourtant mort dix ans plus tôt, en 1943, et bien oublié. Les deux premiers, encore
en fonctions, allaient mourir l’année suivante. Le 21 décembre 1953, Kedrov écrit à
Malenkov pour lui rapporter tout cela et s’étonner de leur silence, bientôt éternel. Il ne
recevra pas de réponse, mais sa lettre sera classée dans le dossier Beria.
XVII.
UN PROCUREUR À LA PEINE
Durant le plénum, Beria est resté à se morfondre dans sa cellule, sans moyen de deviner
ce qui l’attendait. Roudenko et son adjoint Tsaregradski, tambour battant, avant même
l’ouverture du comité central, commencent les interrogatoires de ses collaborateurs. Ils
s’intéresseront à Beria à la fin des débats. Ils interrogent Sarkissov et Lioudvigov dès le
1er juillet, Charia le 2, enchaînent jusqu’au 8 juillet où ils s’occupent pour la première fois
de Beria lui-même.
D’emblée, Beria essuie un revers qu’il n’attendait sûrement pas : la quasi-totalité de ses
proches collaborateurs, ses dociles exécutants et porte-plume, dont il a construit la
carrière, le lâchent brutalement, passent à table avec une étonnante disponibilité, le
chargent et se chargent les uns les autres. Leur acharnement contre leur ancien patron ne
cessera de se renforcer, jusqu’au procès lui-même, où ils l’accableront avec plus de
vigueur encore que certains témoins de l’accusation.
Le premier interrogé, le chef de ses gardes du corps Rafail Sarkissov, qui se targue
d’appartenir depuis dix-huit ans à sa garde personnelle, détaille ses aventures sexuelles et
abreuve Roudenko de révélations scandaleuses. C’est « un homme débauché et
malhonnête ». Obligé des années durant de rabattre pour lui les jeunes filles et les femmes
qui ont attiré son attention, il se déclare « réduit au rôle de proxénète » et gémit : « Je
réfléchissais souvent à la conduite de Beria et j’étais extrêmement indigné qu’un homme
aussi débauché fasse partie du gouvernement[593]. » Ce malaise ne l’a pourtant pas
décidé à quitter ses pénibles fonctions et son indignation a attendu l’arrestation de Beria
pour s’exprimer.
Son secrétaire, Charia, porte une accusation plus politique : « Beria avait des manières
bonapartistes, dictatoriales. » Il se couvre : « Considérant qu’il occupait le poste de
ministre de l’Intérieur de l’URSS, j’ai commencé à percevoir le danger manifeste que
représentaient pour le Parti et l’État ces façons bonapartistes et dictatoriales[594]. » Lui
aussi a quand même attendu le 27 juin pour s’en apercevoir.
Questionné sans interruption du 1er à la mi-juillet, Lioudvigov dépeint son ancien patron
comme un homme inculte et avide. « Beria, dit-il, n’a jamais écrit lui-même une seule
page d’aucun de ses travaux, d’aucun de ses rapports, d’aucune de ses interventions »,
mais il se fait payer pour des textes écrits par d’autres. Mamoulov qualifie aussi Beria
d’« homme au niveau intellectuel et culturel très bas. Beria n’a jamais lu un seul livre. »
Non content de s’attribuer la paternité de l’ouvrage « Sur l’histoire des organisations
bolcheviques de Transcaucasie », il « a eu, prétend-il, grand-peine à le lire jusqu’au
bout »[595].
Merkoulov, une fois arrêté, renforcera ce portrait à charge : « Dans sa lutte pour le
pouvoir, pour écarter des personnes qui se tenaient en travers de son chemin vers le
pouvoir, Beria ne méprisait aucun moyen. » Il le traite d’« intrigant malin et rusé, […] qui
n’est conduit que par ses intérêts personnels, capable de trahir pour réaliser ses buts
carriéristes, sans s’arrêter, on le sait, devant le crime[596] ». Protégez-moi de mes amis,
mes ennemis, je m’en charge…
Toutes ces généralités, sans rapport avec un quelconque complot, n’intéressent pas le
procureur. Lioudvigov est plus utile quand il dénonce « la fausseté et l’hypocrisie » de
Beria à l’égard de Staline : « Depuis mars de cette année, la conduite de Beria a
brutalement changé […] Il ne se sentait littéralement plus […] Il a complètement
dégénéré. Il critiquait brutalement un dirigeant du Parti[597] » – Staline, bien sûr, dont
Lioudvigov, conformément à une règle non écrite, se garde de citer le nom. Le 8 juillet,
prié de confirmer ses précédentes déclarations sur « l’activité criminelle de Beria, dirigée
contre le Parti et l’État soviétique », il évoque de nouveau son irrespect à l’égard de
Staline, qu’il a, dit-il, « qualifié de grand faussaire » […] Il déclarait que, dans la dernière
période, Staline […] ne faisait rien[598] ».
Un tel reproche, surtout depuis le rapport Khrouchtchev de février 1956, peut paraître
dérisoire ; mais, à l’époque, le nom de Staline est encore sacré. Lioudvigov se sert de cet
aspect, en soulignant les « déclarations sacrilèges » de Beria sur le chef défunt. Se moquer
de lui, c’est se moquer du Parti et de l’État, dont il est encore l’incarnation suprême. Le
9 juillet, Roudenko saisit ce fil et à son tour reproche à Beria d’avoir « sali la mémoire du
Guide, par des railleries sacrilèges ». Beria nie[599]. Cette charge est semble-t-il, si
importante que l’interrogatoire de Koboulov du 11 août est divisée en deux parties, dont
la seconde, intitulée « Perfidie de Beria vis-à-vis de Staline », énumère sur deux pages
entières une longue série de propos critiques émis par Beria contre le maréchal[600].
Un certain Katchmazov écrit à Malenkov, le 10 juillet, après lecture de la Pravda. Selon
lui, Beria abritait un dangereux terroriste et il a, « par deux fois, attenté à la vie du
camarade Staline ». Il demande qu’on lui « adresse une convocation par exprès car des
criminels, créatures de Beria, confisquent son courrier[601] ». La lettre de ce mythomane
est jointe au dossier mais ne sera pas utilisée.
À son manque de respect pour Staline, Beria ajoute, à en croire ses anciens amis, « des
jugements méprisants sur les membres du secrétariat du bureau d’organisation […] ».
Pour lui, « en général ils ne comprennent pas grand-chose »[602]. Ses sarcasmes visent
tout le monde, mais seules les attaques contre Staline relèvent du blasphème et du crime.
Après s’être présenté comme victime d’une « excessive facilité d’oubli », qui l’empêche
de « retrouver dans sa mémoire » de nombreux faits qu’on lui reproche[603], Koboulov,
lui aussi, dénonce « la perfidie de Beria à l’égard de Staline », dont il ose, lui, prononcer
le nom. Il révèle que, évoquant l’« affaire des médecins », Beria a déclaré : « On voulait
anéantir la fine fleur de l’intelligentsia russe. » Koboulov précise : « cette affirmation de
Beria visait le camarade Staline ». Lorsque l’ancien dirigeant du PC géorgien, Baramia,
dut expliquer après la mort de Staline pourquoi il avait fait des aveux mensongers, il
répondit que les enquêteurs l’ont roué de coups sur instruction du comité central. Beria lui
rétorqua : « Le comité central ne savait rien. C’était une décision personnelle de
Staline[604] » – ce qui est la stricte vérité.
D’autres s’empêtrent. Le 21 juillet, Merkoulov, témoin encore libre, déclare : « Je ne
sais rien sur l’activité criminelle de Beria en tant que telle », mais « Beria attendait la
mort de Staline pour développer son activité criminelle ». Il se répète mot pour mot dans
sa lettre à Khrouchtchev du même jour, mais ne fournit aucun élément du fameux
complot, pas plus que dans la seconde lettre, deux jours plus tard.
Ses anciens collaborateurs, en revanche, se répandent en détails sur le portrait d’un
homme vaniteux, brutal et ambitieux. Lioudvigov s’indigne : « Après mars 1953, Beria
passa définitivement toutes les bornes. Il se voyait en grand seigneur […] Il se mit à être
grossier avec ses subordonnés, à les injurier brutalement, à les accabler de mots blessants.
Il m’insultait […] il insultait de nombreux cadres dirigeants : Serov, Krouglov, Stakhanov
[…] Il m’offensait souvent en me traitant de “serin”, de “tête de poulet”. Et, si je
protestais, il hurlait : “Pourquoi tu me regardes comme un mouton ?” » Goglidzé fait le
même constat : « Il ne supporte aucune critique. […]. Dans les réunions et les
conférences, il pouvait traiter quelqu’un de crétin, d’idiot. […] Il injuriait de façon
impardonnable son entourage, ironisait sur les cadres, dépensait sans compter les fonds de
l’État. » Lioudvigov relève sa « mégalomanie » et l’accuse de « se présenter comme
l’homme d’État et l’homme politique le plus important du pays ». Goglidzé reprend : « Il
avait imposé le principe d’infaillibilité, se considérait comme le guide du peuple
géorgien. Il s’entourait de lèche-bottes, de flatteurs et même d’individus douteux », au
premier rang desquels Goglidzé aurait pu se compter lui-même. Ce qui n’empêche pas
celui-ci de conclure : « Tous ces faits m’ont inspiré une vive antipathie personnelle pour
Beria », antipathie qu’il avait soigneusement dissimulée jusqu’à l’arrestation de son chef.
Lorsque Roudenko lit ce témoignage à Beria, celui-ci le juge, non sans humour,
« fortement tendancieux[605] ».
Les Khrouchtchev, Molotov et autres n’ont rien à lui envier en matière de brutalité et se
soucient peu de ses manières cavalières envers ses adjoints et subordonnés. L’enquêteur
Kouptsinov n’est pas dupe et écarte les plaintes de Lioudvigov au profit d’une seule
question : « Que savez-vous de l’activité criminelle de Beria vis-à-vis du Parti et du
gouvernement soviétique[606] ? » Lioudvigov doit se résoudre à un minimum de
révélations.
C’est vrai, dit-il pour aller dans le sens de Roudenko, Beria voulait placer le ministère
de l’Intérieur (MVD) au-dessus de l’appareil du Parti : « Il accompagnait souvent les
notes destinées au présidium du comité central de la consigne d’en faire part, en même
temps que les décisions du comité central, aux secrétaires du comité central des
Républiques, territoires et régions. » C’est là, effectivement une atteinte à la souveraineté
du comité central, même si le contenu des notes est parfois anodin.
Le 8 juillet, Lioudvigov enfonce le clou : Beria a tenté de « saper l’unité des rangs du
Parti et de son noyau dirigeant en opposant les organes du MVD au comité central ». Il
ajoute ce détail (que nous avons déjà cité), sans doute vrai tant il échappe à la langue de
bois : « Beria […] déclara que désormais on pouvait installer comme secrétaire du comité
du Parti du MVD une bouteille vide et lui donner le nom de secrétaire : cela n’aurait
aucune importance[607]. » Le 10 juillet, Roudenko rapporte ces propos à Beria, qui les
nie.
Pourquoi les proches de Beria se retournent-ils aussi radicalement contre lui, alors
qu’ils n’ont subi aucun des mauvais traitements réservés à leurs victimes ? La fameuse
brutalité de Beria à leur égard ne joue sans doute qu’un rôle secondaire.
D’abord la solidarité qui liait ses collaborateurs à Beria reposait non sur un accord
politique, sur des idées et des convictions communes, mais sur des intérêts de clan. Une
fois le chef du clan abattu, la bande se disloque. Khrouchtchev fera la même expérience
lorsqu’il sera limogé par le comité central, en 1964 : il se retrouvera seul avec sa femme,
sa fille et son gendre.
Ensuite, pour détourner l’attention du prétendu complot dont on l’accuse – et dont, s’il
existait, ils seraient forcément les complices, voire les chevilles ouvrières –, ses
collaborateurs déversent en vrac une série de reproches injurieux : il est débauché,
ignorant, inculte, brutal, injurieux, prétentieux, il pratique la torture en 1937-1939, il
martyrise le parfumeur Belakhov, il organise l’assassinat de l’ambassadeur en Chine
Bogdoun-Louganets et sa femme, il couvre l’enlèvement et le meurtre de la femme du
maréchal Koulik, il crache sur Staline et – ce qui frôle enfin le complot – place l’appareil
du ministère de l’Intérieur au-dessus de celui du Parti et du gouvernement. Pour faire
bonne mesure, il nourrit des objectifs criminels, prudemment laissés dans le vague. Ils
mentionnent avec zèle les tortures qu’ils ont eux-mêmes pratiquées (à son instigation), les
assassinats qu’ils ont perpétrés (normal, puisqu’ils ont obéi aux ordres). Mais tout fait
susceptible de se rattacher à une idée de complot se retournerait contre eux puisqu’ils
n’avaient rien signalé avant l’arrestation de leur chef. Ils doivent donc se cantonner
prudemment aux généralités ou à l’ordinaire quotidien : passages à tabac, tortures,
assassinats.
Le premier interrogatoire de Beria, mené par Roudenko commence le 8 juillet et dure de
21 heures à 0 h 35 ; son adjoint Kouptsinov, de son côté, interroge Lioudvigov de
20 heures à 1 h 30 et un autre enquêteur s’occupe de Mamoulov de 13 heures à 23 heures,
avec une interruption de 20 heures à 22 h 30. Suivra une longue série d’audiences qui se
conclura le 17 novembre 1953. Piotr Deriabine, ancien « chef du contre-espionnage en
Autriche », dans son livre Policier de Staline, truffé d’erreurs et de contre-vérités, écrit
que « Beria répond par monosyllabes et fait la grève de la faim[608] ». Or Beria
s’exprime toujours en phrases construites, parfois longues, se défend systématiquement,
tente de se justifier et mange sans mot dire la pitance des détenus.
Le procédé des enquêteurs de la Sécurité d’État est toujours celui des questions
absurdes, auxquelles les victimes innocentes sont contraintes de répondre en inventant
elles-mêmes les preuves de leurs crimes imaginaires. Beria connaît le rite pour l’avoir
pratiqué lui-même. Roudenko lui demande d’emblée : « Vous êtes arrêté pour une activité
conspiratrice antisoviétique contre le Parti et l’État soviétique. Êtes-vous disposé à décrire
votre activité criminelle ? » Beria « nie catégoriquement[609] » et ne décrit donc rien.
Sous Staline, dès 1937, l’accusé qui se défendait ainsi était aussitôt roué de coups pour
le faire changer d’avis. Beria ne subira rien de tel. Roudenko est manifestement si peu
convaincu du supposé complot qu’il se fixe sur le passé de Beria, remontant même à
1917, pour contester son adhésion au parti bolchevique – cela à dix reprises au moins
jusqu’à l’ultime séance du 23 novembre. En traitant le « complot » par l’indifférence,
Roudenko en souligne l’inanité. Les troupes du ministère de l’Intérieur étaient venues à
Moscou pour les obsèques de Staline. Leur maintien dans la capitale servait
traditionnellement d’argument pour prouver que Beria préparait un coup de force. Or
Roudenko oublie de lui demander dans quel but il avait maintenu ces divisions en place…
Dès les premières lignes de l’interrogatoire, on sent que les adversaires de Beria ne
savent pas réellement de quoi l’accuser. Roudenko exploite donc inlassablement les
mêmes éléments – réels, douteux ou hypothétiques – souvent minimes, voire mineurs,
susceptibles de discréditer Beria aux yeux de l’appareil du Parti lui-même. Roudenko
s’acharne sur treize points.
1. L’accusation d’avoir trafiqué sa date d’adhésion au parti bolchevique.
2. L’accusation d’avoir, en 1918-1919, servi dans le contre-espionnage du Moussavat
en Azerbaïdjan, et donc d’avoir travaillé pour l’Intelligence Service britannique, qui le
contrôlait. Roudenko ne s’attarde guère sur le second volet de ce grief.
3. L’accusation de « dégénérescence morale » – étayée par une longue liste de femmes
dont certaines l’accusent, à tort ou à raison selon les cas, de les avoir violées. À ce grief
sans caractère politique, qui ne peut pas lui coûter grand-chose, Beria répond en
grommelant : « Oui, un peu, je suis coupable[610]. » Roudenko essaie de donner à ce
point un aspect politique : les femmes dont il ne cite aucun nom, auraient été des agents
des services secrets étrangers.
4. L’accusation d’avoir, dès ses débuts dans la Tcheka en 1921, œuvré pour accéder aux
marches suprêmes du pouvoir.
5. L’accusation d’avoir, en 1935, signé un ouvrage sur l’histoire du parti bolchevique en
Transcaucasie, rédigé par un groupe de journalistes et enseignants dont Ernst Bedia,
d’avoir commis là un honteux plagiat et d’avoir fait fusiller Bedia en 1937.
6. L’accusation d’avoir organisé, en 1937-1939, une répression sauvage en Géorgie, en
particulier contre les anciens dirigeants du PC géorgien, et d’avoir ordonné les passages à
tabac, voire les tortures des individus arrêtés, dont Roudenko fournit une liste que Beria
reconnaît exacte.
7. L’accusation d’avoir comploté contre Sergo Ordjonikidzé et tenté de le discréditer
auprès de Staline, après l’avoir honteusement flatté pour qu’il favorise son ascension, et
d’avoir fait fusiller deux de ses frères et sa belle-sœur.
8. L’accusation d’avoir fait fusiller, en octobre 1941, vingt-cinq cadres du Parti, dont
l’ancien dirigeant de la Tcheka, Mikhaïl Kedrov, pourtant acquitté par la Cour suprême,
et le parfumeur Belakhov, torturé en vain pour lui faire avouer qu’il était l’amant de la
femme de Molotov, Jemtchoujina, et se livrait à l’espionnage.
9. L’accusation d’avoir tenu des propos sacrilèges sur Staline.
10. L’accusation, reprise du plénum du comité central, d’avoir voulu placer les cadres
du ministère de l’Intérieur au-dessus des cadres du Parti et, ainsi, d’avoir opposé le MVD
au Parti et au gouvernement.
11. L’accusation d’avoir court-circuité la section des cadres du comité central en
effectuant seul les nominations au sein du ministère de l’Intérieur.
12. L’accusation d’avoir voulu liquider la « construction du socialisme » en Allemagne
de l’Est (RDA) et livré cette dernière à la bourgeoisie allemande ; d’avoir envisagé de
rendre les îles Kouriles au Japon, Königsberg (Kaliningrad) à l’Allemagne et l’isthme de
Carélie à la Finlande – bref, d’avoir voulu brader certaines des conquêtes territoriales de
la Seconde Guerre mondiale. Roudenko n’avait pas pensé à cette accusation, fournie par
Lioudvigov rapportant, sans être sollicité, une conversation privée avec Beria[611]. Beria
nie en bloc : il n’a jamais proposé aucune mesure en ce sens.
13. L’accusation d’avoir rédigé une lettre, en réalité un simple brouillon retrouvé dans
sa poche, pour Ranković, ministre de l’Intérieur de Yougoslavie, afin de rétablir avec le
régime de Tito les relations rompues à l’initiative de Staline en 1948.
Aucun de ces treize points ne fonde un complot pour s’emparer du pouvoir. Ici et là,
apparaît parfois dans ces interrogatoires qui tournent en rond un élément nouveau,
souvent dérisoire et vite abandonné. Ainsi, le 10 juillet, Roudenko reproche à Beria
d’avoir voulu instaurer des décorations différenciées selon les diverses nationalités de
l’URSS, rétablir le théâtre juif et éditer un journal juif, et rechercher la
« popularité »[612]. Une autre fois, il évoque sa jeunesse marquée d’obscures
« déviations vers le carriérisme et le bonapartisme, et une déviation à tendances
gauchistes [sic][613] ». Mais le Kremlin n’a que faire de ces « déviations » que Roudenko
laisse donc de côté. C’est sur plusieurs de ces points, surtout ceux de la période 1918-
1941, que Roudenko interroge les loquaces collaborateurs de Beria. Mais jamais il ne leur
pose une question précise sur le prétendu complot, dont ils auraient pourtant été les
chevilles ouvrières s’il avait eu l’ombre d’un début d’existence.
Roudenko revient longuement le 14 juillet sur l’amoralité et la débauche. Beria,
convaincu que ce point ne peut pas l’envoyer à la mort, répond avec complaisance : « Je
me liais facilement à des femmes, j’ai eu de nombreuses liaisons, éphémères. On
m’amenait ces femmes chez moi ; jamais je n’allais chez elles. C’est Sarkissov et
Nadaraia qui me les amenaient, surtout Sarkissov. Dans certains cas, lorsque je
remarquais, de ma voiture, telle ou telle femme qui me tapait dans l’œil, j’envoyais
Sarkissov ou Nadaraia les suivre, établir leur adresse, faire leur connaissance et, si je le
désirais, me la fournir à la maison. Il y a eu pas mal de cas de ce genre. » Roudenko lui
présente une liste de soixante-deux femmes. Beria reconnaît avoir fait avorter deux
d’entre elles[614]. Certes, Staline a interdit l’avortement en juin 1936, mais il y a loin de
l’avortement au complot.
Cependant, si Beria admet qu’il a eu la syphilis en 1943, il nie les viols. Roudenko lui
oppose le témoignage de la jeune Drozdova, violée, selon elle, alors qu’elle était mineure.
Beria nie farouchement ; il avait d’ailleurs, dit-il, envisagé de l’épouser. Drozdova fut sa
maîtresse quatre ans durant, il a eu d’elle un enfant, dont il a confié la garde à
Obroutchnikov, qui n’en dit mot à l’instruction. Roudenko demande à Beria pourquoi on
a trouvé dans son bureau tant de lingerie féminine étrangère. Il voulait faire des
cadeaux…
N’a-t-il pas entretenu « des liaisons avec des femmes liées aux services de
renseignements étrangers » ? Ce serait enfin une preuve – bien mince certes, mais faute
de mieux ! – qu’il aurait travaillé pour l’espionnage étranger. Beria répond de façon
évasive : « Peut-être, je ne sais pas[615]. »
Puisque la débauche intéresse Roudenko, les détails pleuvent, même après son
exécution. Goglidzé accuse Beria de coucher avec sa secrétaire Vardo Maximelachavili.
Ses adjoints Charia, Mamoulov, Lioudvigov et autres, le présentent comme l’amant, en
même temps, de la maîtresse de Mamoulov, de la femme de Lioudvigov et de sa
secrétaire, liée aussi à Lioudvigov et lui[616] !
De son côté, l’enquêteur chargé de Dekanozov interroge longuement son chauffeur.
Celui-ci évoque une série ininterrompue de coucheries quasi quotidiennes, dont il a été le
témoin privilégié, car Dekanozov s’y livrait dans sa voiture : « Habituellement, il
demandait la voiture le soir ou la nuit, se rendait […] chaque fois à un nouvel endroit où
l’attendait une femme, ou bien c’est nous qui l’attendions dans notre voiture […], puis je
roulais sur une chaussée pendant une ou deux heures et il couchait avec la femme dans la
voiture. » Les ZIS utilisées par les hauts bureaucrates étaient spacieuses et Dekanozov
tout petit… Se méfiant des micros et appareils photo installés par le NKVD dans les
hôtels, il préférait éviter de laisser des traces de ses frasques. « Parfois, ajoute le chauffeur
complaisant, Dekanozov organisait des voyages de deux jours avec plusieurs femmes à la
fois[617]. »
Le 18 juillet, Spiridonov, commandant du Kremlin, rédige une lettre à Malenkov, l’un
des textes les plus délirants de l’affaire, qui date le complot fantôme de l’année 1941.
« Alors que les armées hitlériennes étaient aux portes de Moscou, brusquement, de façon
inattendue pour nous, la commandanture du Kremlin de Moscou, forte unité militaire
dotée de canons, fut concentrée dans le GOUM [grand magasin, souvent vide, situé sur la
place Rouge en face du Kremlin], sans que nous en soyons informés au préalable […].
Cet étrange voisinage nous a beaucoup inquiétés. […] Dans ces prétendues unités
militaires du NKVD se trouvaient des gens douteux. » Spiridonov apprit plus tard
l’installation dans les locaux du GOUM d’une « station radio de Beria » et, reliant ces
deux informations, il se demande si « la concentration d’une puissante unité militaire,
composée de suspects, près du Kremlin ne signifiait pas que se préparait là un assaut ».
De plus, le 6 novembre 1942, alors que se tenait au Kremlin une réunion introduite par un
rapport de Staline, un certain Dmitriev tira sur une voiture gouvernementale. On peut
« soupçonner que Beria et ses affidés ont organisé cet attentat, afin d’effrayer le
gouvernement et de saboter la réunion ».
Pour compléter le portrait d’un Beria traître et comploteur, Spiridonov lui impute
l’impréparation de l’URSS face à l’attaque allemande, puisque « la diplomatie et les
services de renseignements se trouvaient entre ses mains, ce qui a permis de dissimuler le
caractère soudain de l’attaque de notre pays par les armées hitlériennes ». Et, conclut-il,
on peut « supposer que […] Beria dès cette époque galopait vers le pouvoir[618] ».
Malenkov et Khrouchtchev, pourtant familiers des procès truqués de Moscou, négligent
cet inutilisable roman-feuilleton.
C’est peut-être quand même ce Spiridonov qui donne à Roudenko l’idée d’accuser
Beria de trahison pendant la guerre. Le 5 août 1953, il présente son argumentation :
pourquoi n’avoir pas utilisé les 121 000 soldats du NKVD, stationnés en Transcaucasie
sur le front, pour résister à l’avance de l’armée allemande, ou plus exactement pourquoi
n’en avoir fourni que 5 000 à 7 000, « et encore sur l’insistance de Staline » ? « Avouez-
vous qu’au lieu d’exécuter l’ordre du Grand Quartier général, vous avez déployé tous vos
efforts pour créer une situation critique sur le front, ouvrir la voie à l’ennemi dans la
Transcaucasie » et « entravé par tous les moyens l’activité du commandement militaire
pour renforcer la défense du Caucase ? » Beria « nie absolument ».
Roudenko a obtenu de l’état-major un acte d’accusation révélateur du bas niveau
intellectuel du haut commandement militaire soviétique. Selon lui, les actions de Beria
visaient d’abord l’« affaiblissement de la défense des armées soviétiques dans les
passages des sommets du Caucase, afin de les ouvrir aux armées fascistes allemandes ».
L’état-major ajoute, sans y voir de contradiction : « En obtenant la complication de la
situation stratégique au Caucase, Beria, visiblement [sic !], comptait aussi sur
l’occupation de la Transcaucasie par les armées anglo-américaines, qui, à cette époque,
avaient concentré des forces importantes en Iran. […] sous le prétexte d’aider l’Union
soviétique. » Donc Beria voulait livrer la Transcaucasie à la fois aux Allemands et aux
Anglo-Américains ! Il nie bien entendu cette double et ridicule accusation, que Roudenko
aggrave en affirmant qu’il se livrait « avec ses proches à des beuveries […] au lieu de
mobiliser toutes ses forces pour la défense du Caucase ». Maigre preuve de traîtrise…
Cette idée vient peut-être du maréchal Boudionny, ancien commandant de la fameuse
1 division de cavalerie rouge dans la guerre civile, qui écrit à Boulganine le 1er août
re
1953 : « Il s’efforçait par tous les moyens de laisser les Allemands atteindre la mer Noire.
Je pense que Beria, en tant qu’ennemi de notre patrie, agissait de concert avec ses maîtres
pour aider l’armée anglaise, qui se trouvait alors en Irak sous le prétexte de nous apporter
une assistance, à s’emparer de la Transcaucasie[619]. » Vieille antienne entretenue par le
NKVD à l’époque de Beria : le même détenu pouvait être accusé d’être à la solde des
services de renseignements allemands, français, anglais et polonais en même temps.
Plus de quatre mois durant, l’instruction piétine, rabâche, revient inlassablement sur la
date réelle d’adhésion de Beria au parti bolchevique, l’épisode moussavatiste, le plagiat
de 1935, la brutale répression déchaînée en Géorgie en 1937, les tortures subies par les
victimes, les affaires Kedrov et Belakhov, le traitement cruel réservé à la famille
d’Ordjonikidzé, les débauches de Beria – en somme, sauf ce dernier sujet fort peu
politique, sur des épisodes antérieurs à la guerre. Sans oublier – ressassée à saturation –
l’accusation d’avoir voulu placer le MVD au-dessus du Parti, bradé la RDA et maltraité le
général Strokatch.
Beria se défend énergiquement. Le 9 juillet, comme Roudenko – qui pas plus que
Lioudvigov n’ose prononcer le nom de Staline –, l’accuse d’avoir « le 9 mars 1953
montré un double visage et trompé le peuple et le Parti » en faisant l’éloge mortuaire du
chef défunt, Beria tranche : « Absolument faux. » Roudenko exige : « Avouez-vous que
[…] vous salissiez la mémoire du Guide, par vos moqueries sacrilèges ? » Beria le
rembarre : « Je refuse de répondre à cette question ; je peux répondre au présidium du
comité central du parti », et à lui seul. Quant à sa supposée liaison avec Tito et Ranković,
la question relève de la direction du pays, dont Beria était membre, et non du
procureur[620]. Il refuse donc de lui répondre sur ce sujet.
Le seul point consistant de l’accusation concernant la suprématie des organes du MVD
sur le Parti et l’État soviétique, même s’il s’en défend « absolument », le met en
difficulté. Roudenko, pour une fois, a un atout, Mamoulov qui déclare : « Beria
développait l’idée que le MVD devait se placer au-dessus du Parti et du gouvernement.
On sentait qu’il voulait transformer le MVD en une sorte de second centre
gouvernemental. » Beria, sans plaider coupable, concède qu’il a mal agi : « J’ai eu tort de
proposer de collecter des données sur la composition des cadres des organismes du Parti
et des soviets, mais je le faisais avec les meilleures intentions du monde ; je voulais
présenter une documentation au présidium. » Roudenko saisit le fil : cette collecte « ne
souligne-t-elle pas la tentative de privilégier les organes du MVD » ? Il rappelle à Beria
comment il a menacé de « faire pourrir en camp » le chef de la direction du MVD de
Lvov, Strokatch, et de le « transformer en poussière de camp de concentration ». Beria
s’incline encore : « J’ai mal agi[621]. » Certes, puisqu’il empiétait ainsi sur les
prérogatives du secrétariat du comité central. Sentant qu’il tient le bon bout, Roudenko
revient à la charge les jours suivants.
Le 10 juillet, comme Roudenko répète une fois de plus cette accusation, Beria cède à
moitié : « Subjectivement, ce n’était pas mon but, mais objectivement les organes du Parti
pouvaient interpréter mes actes comme la volonté d’établir le contrôle du MVD sur les
organes du Parti et des soviets. C’était une faute politique impardonnable et fatale. »
Roudenko enfonce le clou : « Quel droit aviez-vous de convoquer au MVD des
secrétaires du comité central de partis nationaux ? » Beria l’admet : « C’est ma grande
faute politique et un grand crime. » Donc, conclut Roudenko, « vous vous êtes
délibérément mêlé de fonctions qui n’étaient pas les vôtres ? ». Oui, redit Beria, « j’ai eu
tort » – comme il a eu tort de « demander aux cadres du MVD d’Ukraine, de Biélorussie
et des Pays baltes de lui fournir des données sur les cadres du Parti de ces
Républiques »[622]. L’aveu, confirmé par un maximum de témoignages, maintes fois
répété, est un faux pas fatal dans l’univers de bureaucratie hypertrophiée de l’Union
soviétique stalinienne.
Roudenko le bombarde sans cesse de témoignages apportés par ses propres
collaborateurs. Le responsable de la direction des cadres du ministère de l’Intérieur,
Obroutchnikov, celui à qui Beria avait confié l’enfant de Drozdova, déclare : « Beria
ignorait complètement les règles exigeant l’accord du comité central du PCUS pour les
nominations aux postes de la nomenklatura et, si je les lui rappelais, il s’indignait et
rejetait d’un ton méprisant toutes les recommandations sur la nécessité d’obtenir cet
accord. » Beria rétorque qu’Obroutchnikov « s’exprime de façon tendancieuse », puis
reconnaît sa faute, mais la justifie par des motifs honorables : « J’étais animé du souci de
nommer le plus vite possible des gens aux fonctions correspondantes et c’est pourquoi,
incontestablement, j’ai négligé le règlement exigeant la confirmation des cadres par le
comité central ». Mais, ajoute-t-il, « j’avais en vue de présenter à l’appareil du comité
central toutes les nominations relevant de sa nomenklatura ». Ce n’est pas l’intention qui
compte.
Roudenko lui fait remarquer qu’il a nommé non seulement des cadres de son ministère,
mais même des ministres de l’Intérieur des Républiques fédérées, sans accord préalable
du comité central. Oui, dit Beria, il a nommé – et non proposé au secrétariat du comité
central de nommer ! – Mechik ministre de l’Intérieur de l’Ukraine, « parce qu’il connaît
l’ukrainien » ; il a ainsi enfreint les consignes de la « nomenklatura », beaucoup plus
importantes pour le secrétariat que la connaissance de la langue locale. S’il a procédé à
ces nominations sans solliciter au préalable l’accord du secrétariat, c’est pour faire vite,
explique-t-il, mais il avait l’intention de les présenter pour confirmation à l’instance
suprême. Il n’ignore pas la faiblesse de cet argument et se soumet : « Maintenant, bien
sûr, ces actions apparaissent impardonnables, criminelles[623]. »
Harcelé par Roudenko sur ce point, Beria lâche du lest : « Les organisations du Parti
pouvaient objectivement interpréter cela […] comme l’instauration du contrôle du MVD
sur elles […] Mais je voulais que les organes du MVD remplissent honnêtement les
directives du Parti et du gouvernement[624]. » En jouant sur la distinction stalinienne
entre subjectif et objectif, Beria se met en difficulté : il ne voulait pas subjectivement
soumettre les instances du Parti au MVD, mais, objectivement, c’est ce qu’il a fait.
Le plus gênant, Beria en est conscient, c’est sa tentative d’éliminer le premier secrétaire
du PC de Biélorussie, Patolitchev, et de le remplacer par son adjoint Zimianine[625].
Beria avoue qu’il avait commandé à Koboulov une enquête sur la situation en Biélorussie,
qui devait déboucher sur le limogeage de Patolitchev. En préparant son remplacement
dans le dos du secrétariat, Beria s’attaque au saint des saints. C’est le secrétariat qui, en
1950, avait nommé Patolitchev, et lui seul pouvait décider de la carrière de ce terne
bureaucrate, qui reçut ONZE fois l’ordre de Lénine et multiplia les hautes fonctions dans
l’appareil du comité central. Beria a mis en cause la structuration historique de l’appareil
dirigeant. Il reconnaît avoir convoqué dans son bureau les premiers secrétaires des PC de
Lituanie et d’Estonie. De quel droit ? Ce point de l’accusation, seul valable, paraît
dérisoire, mais il est capital pour les Khrouchtchev, Malenkov et leurs pareils.
L’interrogatoire du 10 juillet montre jusqu’où Beria accepte ses fautes, et quelles limites
il refuse de franchir : à la liste qu’énumère Roudenko, il répond chaque fois « non » :
« Reconnaissez-vous qu’en refusant le cours vers le développement du socialisme en
RDA, vous avez capitulé devant la bourgeoisie et trahi la cause du socialisme ?
— Non.
— Vous reconnaissez avoir déclaré que l’Allemagne doit se développer comme pays
capitaliste ?
— Non.
— Vous reconnaissez que vous avez fait espionner et suivre les dirigeants du Parti et du
gouvernement ?
— Non.
— Vous reconnaissez avoir fait mettre sur écoute les conversations téléphoniques des
dirigeants du Parti et du gouvernement ?
— Non.
— Vous reconnaissez que vous vous êtes comporté en agent de l’impérialisme
international et en dégénéré bourgeois ?
— Non[626]. »
Lioudvigov rappelle que Beria, jugeant inefficace la politique économique suivie en
RDA voulait « dissoudre les kolkhozes ». Le lendemain, Roudenko reprend le sujet, mais
Beria objecte que ses propositions sur la question allemande ont été acceptées par le
présidium avec quelques amendements, qu’il partage entièrement, et qu’elles visaient,
« non à refuser le cours de la construction du socialisme en RDA, mais à adopter une
approche très prudente de cette construction[627] ». Roudenko, gêné par le vote unanime
du présidium, ne reviendra plus sur cette accusation qui est pourtant, politiquement, l’une
des plus importantes portées contre Beria.
Une autre charge apparaît si explosive que Roudenko la laisse tomber : Beria est accusé
d’avoir constitué des dossiers sur les autres dirigeants. Dans leur acte d’accusation, cinq
collaborateurs de Beria affirment : « Comme il a été établi dans l’instruction préalable et
judiciaire [qui en réalité n’établira rien de tout cela] Beria, dans ses plans traîtres pour
s’emparer du pouvoir, a entassé dans son appartement une prétendue archive personnelle,
où il avait accumulé au fil des années, par le canal de l’appareil du MVD, des documents
provocateurs concernant les dirigeants du Parti et du gouvernement, falsifiés par les
comploteurs[628]. » Malgré la prudente réserve : « falsifiés par les comploteurs »,
l’évocation de documents compromettants suggère que la biographie des dirigeants est
fâcheusement entachée. Réservée au procès à huis clos des proches de Beria, elle ne fait
l’objet d’aucune publicité !
L’accusation de corruption que lance Makhnev, ancien collaborateur du projet
atomique, dans deux lettres à Malenkov ne retient pas non plus l’attention de Roudenko.
À l’occasion du prix Staline de première catégorie que Beria s’était fait attribuer, celui-ci
aurait exigé et obtenu en plus un versement de 175 000 roubles, non prévu dans la
récompense. Puis, en janvier 1953, alors que son fils Sergo reçoit un prix Staline, il lui
fait verser une somme de 500 000 roubles au lieu des 150 000 réglementaires. Le fils,
bien sûr, ne s’en vante pas dans ses mémoires truqués. Roudenko ne juge pas nécessaire
d’interroger Beria sur ce double acte de corruption : le cas était trop répandu chez les
bureaucrates de tous rangs.
Par contre, il conserve l’accusation de délit d’initié. Informé de la réforme financière de
décembre 1947 qui remplaçait les vieux roubles par de nouveaux au taux de 1 pour 10…
(sauf, comme on l’a vu, pour les sommes déposées sur la caisse d’épargne). Beria a
déposé, juste à temps, 40 000 roubles, en plusieurs fractions justement, sur divers livrets
de caisse d’épargne. À la question sur ce cas de corruption financière – « Considérez-vous
vos actes comme criminels ? » – Beria répond : « Incontestablement[629] », convaincu
probablement que débauche et manipulations financières ne suffisent pas à le condamner
à mort.
Fin juillet tandis que les interrogatoires patinent, survient une accusation trop grotesque
pour être reprise officiellement : dernier relent des procès staliniens des années trente,
Beria est accusé de sympathies trotskystes. Roudenko écrit : « Sur ordre de Beria,
Eitingon organisait les liens avec les trotskystes[630]. » Un document avalisé par les
dirigeants azerbaïdjanais, en juillet 1953, accuse Beria d’avoir protégé les trotskystes :
« En 1927, Beria reçut un arrêté de la conférence spéciale du Guépéou concernant
l’expulsion de Tbilissi de 30 trotskystes avérés. » Il les envoie à Moscou, accompagnés de
Koboulov et de quelques autres membres du Guépéou à qui il ordonne de « ne pas les
empêcher de se promener lors des arrêts aux gares. Les trotskystes voyagent en train
express dans un wagon de première classe, puis, au lieu de la Sibérie, sont expédiés à
Tachkent. Avant de monter dans leur wagon à Tbilissi, les trotskystes organisèrent un
meeting antisoviétique[631]. »
Moins grave, les enquêteurs dénoncent la présence dans l’équipe de Koboulov d’un
prétendu trotskyste, Khazan, par ailleurs l’un des pires bourreaux du NKVD, qu’ils
l’accusent d’avoir protégé. Koboulov déclare : « Khazan, en 1927 ou 1920, était lié à
Odessa avec un groupe de lycéens en contact avec l’opposition trotskyste. » L’enquêteur
accable Beria : « Donc, alors que Khazan était reconnu comme trotskyste, vous lui avez
confié l’instruction d’individus arrêtés pour appartenance aux trotskystes ? » L’acte
d’accusation établi en mai 1954 réaffirmera « les liens trotskystes de Khazan[632] ».
Krouglov, dans une note à Malenkov, évoque un certain Benedikt Kozlovski, ancien
haut fonctionnaire des Affaires étrangères, puis directeur de la section de littérature
nationale de la bibliothèque Lénine, arrêté en juin 1939 : « En 1928, Kozlovski était un
membre actif de l’opposition trotskyste antisoviétique. » Interrogé par Koboulov le
12 juin 1938, Kozlovski avoua être « un agent des services de renseignements japonais et
membre de l’organisation trotskyste[633] », ce qui, dans les fantasmes staliniens, va
ensemble. Malgré ces aveux sans ambiguïté, Beria le reçut, le libéra et ôta de son dossier
les documents concernant son arrestation. Il soutient donc les trotskystes !
Le 24 août 1953, le chef adjoint de l’Inspection de contrôle près le MVD, Bolkhovitine,
évoque avec indignation les déclarations faites par Beria dans une réunion de cadres du
ministère de l’Intérieur, au printemps 1953, sur « l’intelligentsia “exterminée”, selon ses
propres mots, dans le pays […] sans dire un mot sur le fait que les organes [du NKVD-
MVD] ont combattu non l’intelligentsia, mais les trotskystes, les boukhariniens et autre
pourriture […]. Il est clair que Beria sympathisait avec ce rebut de la société[634] ».
Sur les proches de Beria aussi pèse la même accusation qui rejaillit sur leur patron. Dès
le 10 juillet, un ancien cadre du Guépéou de Transcaucasie déclare dans une lettre à
Malenkov : « Merkoulov a été trotskyste dans le passé. Les dépositions d’un membre du
centre trotskyste […] le confirment. Cependant […] Merkoulov, grâce aux fonctions
dirigeantes de Beria, a été nommé ministre du Contrôle d’État de l’URSS. » Un document
fourni par Roudenko et Krouglov, du 28 septembre 1953, prétend que, dans les années
trente, « Stepan Mamoulov était un trotskyste actif[635] ». Un an plus tard c’est au tour
de Charia et de quatre collègues : « Charia était sérieusement compromis par ses liens
avec les trotskystes. Le sachant, non seulement Beria n’a pas écarté Charia de l’appareil
du MVD, mais il l’y a associé et l’a fait monter en grade[636]. » Donc Beria a protégé et
même promu des trotskystes.
Plus accablant encore, sont, dans les réunions des communistes du ministère organisées
entre le 8 et le 23 juillet 1953, les interventions de cadres du MVD, habitués à voir partout
des trotskystes, pourtant exterminés en 1937-1939. Selon certains, Beria aurait nommé, en
mars 1953, chef adjoint de la 5e direction du MVD un certain Trofimov, qui « reçut une
instruction écrite [de Beria] lui ordonnant de clore l’enquête sur “T” [sans autre précision
sur celui que désigne l’initiale du nom de Trotsky], en dénigrant bruyamment le travail
effectué. » Les mêmes accusent Trofimov d’avoir glorifié publiquement Trotsky, qualifié
de grand « orateur », d’« organisateur », etc.[637]. Ainsi un homme nommé par Beria à
l’un des postes clés du MVD aurait chanté les louanges de Trotsky devant ses cadres sans
que Beria réagisse ! Mais Roudenko et ses adjoints se résolvent à abandonner la piste
trotskyste, encore plus difficile à gérer que l’accusation ubuesque d’espionnage.
Pour compenser le vide ainsi créé, Roudenko remonte de plus en plus haut dans le passé
de Beria, pourtant de plus en plus éloigné du prétendu complot de 1953. Ainsi, le
23 juillet, il revient longuement sur les tortures infligées à Belakhov, ce malheureux
parfumeur accusé bien à tort d’avoir couché avec la femme de Molotov, alors qu’il avait
déclaré à son enquêteur qu’il était « impuissant de naissance[638] ». Roudenko lit une
lettre de Belakhov énumérant les tortures subies – « même les jours de congé », insinue
Belakhov avec un humour peut-être involontaire. Koboulov accuse Beria d’avoir décidé
lui-même d’inscrire Belakhov dans la liste des vingt-cinq fusillés sans jugement de
Kouibychev et Saratov en 1941. Beria signe le procès-verbal mais commente :
« L’arrestation de Belakhov […] a été effectuée en liaison avec Jemtchoujina, sur ordre
de l’instance[639] », c’est-à-dire de Staline, dont Beria évite, lui aussi, de prononcer le
nom.
Il paraît difficile de condamner Beria à mort pour les tortures infligées en 1937-1938 en
Géorgie, ou pour le sort de Belakhov et Kedrov en 1941 puisque tous les dirigeants du
Kremlin ont pris une part active à la terreur sanglante de ces années. Il est impossible
d’expliquer à la masse des citoyens soviétiques, qui n’en ont que faire, qu’il faut
supprimer Beria parce qu’il n’a pas respecté les modalités d’affectation des cadres
dirigeants du Parti et de l’État par le secrétariat du comité central. Or pour l’appareil, c’est
là son seul vrai crime qu’il déguise en présentant Beria comme un agent de
l’impérialisme.
Roudenko a peu d’atouts en main. Il épuise ad nauseam l’épisode du Moussavat en
1919 pour montrer que, dès le début, Beria a été un agent britannique, puis il ressort les
brutalités et les tortures pendant les interrogatoires de détenus en 1937-1940, la traque de
la famille d’Ordjonikidzé et l’accusation rocambolesque d’avoir voulu livrer le Caucase à
la fois aux Allemands et aux Anglo-Américains en 1942.
Le 17 août, le 19 août, toujours englué dans l’épisode moussavatiste, il obtient de Beria
l’aveu que les services du Moussavat étaient dirigés par les Anglais, et triomphe : « Donc
en collaborant avec le contre-espionnage du Moussavat, vous compreniez bien que vous
étiez en même temps un collaborateur des services de renseignements anglais. » Beria nie
cette assimilation. Roudenko prétend que la police menchevik l’a libéré, après l’avoir
arrêté en 1920, parce qu’il était devenu un agent anglais. Beria le nie encore[640].
Roudenko y revient tant qu’il peut – en vain.
En désespoir de cause, Roudenko essaie d’employer contre Beria les aveux arrachés à
Maïski en février 1953 : celui-ci avait reconnu avoir été recruté par Churchill lui-même
dans les services anglais. Beria l’avait libéré, convoqué le 15 mai et sollicité comme
expert pour son ministère. Roudenko saute sur l’occasion : « Avouez qu’en protégeant
Maïski, en le poussant à revenir sur ses aveux initiaux, vous avez agi en faveur des
services de renseignements anglais […] et qu’en devenant un agent des services de
renseignements anglais pendant la guerre civile, vous avez servi l’impérialisme anglais
toutes les années suivantes[641]. » Beria nie.
Interrogé de nouveau sur les tortures pratiquées pendant les interrogatoires à la fin des
années trente, Beria commence par les réfuter avant de concéder que « les méthodes
consistant à battre les détenus, appliquées en 1937 et 1938, représentaient une altération
grossière de la légalité socialiste », à laquelle, ajoute-t-il, il a « aussi participé[642] ».
Mais étrangement il ne répond jamais aux accusations d’avoir ordonné les coups et les
tortures – comme il aurait pu aisément le faire –, en rappelant qu’à peine arrivé à la tête
du ministère de l’Intérieur en 1953, il a interdit ces pratiques et fermé les chambres
spéciales de la prison de Lefortovo. Il ne veut sans doute pas paraître critiquer
indirectement Staline.
Début septembre le dénouement semble proche. Le 10 septembre, Roudenko transmet
au présidium un projet d’acte d’accusation contre Beria. Le 14, il informe Beria que
l’instruction est terminée. Il l’écrit à Malenkov, en précisant que Beria n’a émis aucune
requête, ce qui est faux : Beria en présente six, dont la modestie étonne : quatre
concernent l’épisode des services de renseignements moussavatistes en 1920, où il semble
donc voir un élément essentiel de l’accusation. Il demande que, à ce sujet, soit jointe à son
dossier la décision du comité central du PC d’Azerbaïdjan de 1920, la lettre
d’Ordjonikidzé à Dzerjinski de fin 1925-début 1926, sa lettre à Staline de 1938 où il
s’expliquait sur cette question, le procès-verbal du comité central de juin 1937 où
Kaminski le mettait en cause. Pour répondre à l’accusation de trahison, il demande la
communication de sa correspondance avec le haut commandement du front de
Transcaucasie. Il demande enfin des interrogatoires complémentaires. Trompé par le
déroulement de l’instruction, il ne semble pas craindre une accusation de complot.
Le 15 septembre, Roudenko soumet au présidium un plan du procès : organiser une
session à huis clos de la Cour suprême de l’URSS, car « la majorité des documents
constituent un secret d’État », s’appuyer sur le décret du 1er décembre 1934 instaurant une
justice d’exception, et donc accélérer la procédure « sans participation des parties », avec
trois juges et quinze témoins. Le présidium adopte ces derniers points, suggère quelques
correctifs, que Roudenko apportera dans les deux semaines à venir, et charge Souslov de
contrôler la rédaction de l’acte d’accusation et le communiqué du parquet de l’URSS.
Mais ce procès à la sauvette, avec seulement trois juges professionnels inconnus de tous,
paraît bien étriqué pour un ancien membre de la direction suprême du Parti. D’un seul
coup, Malenkov et Khrouchtchev virent de bord et ordonnent la reprise de l’instruction,
qui pourtant n’apportera aucun élément nouveau.
Les interrogatoires de Beria, de Merkoulov arrêté le 18 septembre et de quelques autres
se succèdent de nouveau et s’enferrent dans la répétition obsessionnelle des mêmes
questions sans rapport avec le soupçon de coup d’État. Ainsi, le 24 septembre, Roudenko
revient au cas d’Orakhelachvili – déjà dix fois soulevé au cours de l’instruction –, arrêté
pour lui arracher des dépositions contre Ordjonikidzé par Koboulov sur ordre de Beria.
Roudenko cite une déclaration de Charia : « Extérieurement Beria se comportait bien vis-
à-vis de Sergo Ordjonikidzé, mais en réalité, dans le cercle de ses proches, il racontait
toutes sortes de cochonneries contre lui[643]. » Beria ne reconnaît rien et refuse, pour une
fois, de signer le procès-verbal de cet interrogatoire.
On tourne en rond. Le 3 octobre, Roudenko reprend pour la énième fois… le
Moussavat, les rapports de Beria avec l’émigration menchevique avant et après la guerre,
les passages à tabac dans les années trente et les rapports de sa femme Nina avec son
oncle menchevik en exil. Beria nie inlassablement ou répète : « Je ne me souviens
pas[644]. »
Pour animer cette instruction en panne, Roudenko envoie au début d’octobre une
mission spéciale dépouiller les archives du MVD de Géorgie. Des treize tomes de
documents récoltés, Roudenko extrait des recommandations éloquentes de Beria sur la
façon de traiter les individus arrêtés : « cogner vigoureusement », « travailler fortement »,
« dès aujourd’hui travailler fortement ainsi que son épouse », « travailler et obtenir des
aveux ». Travailler est évidemment un euphémisme[645].
Roudenko traite ce sujet comme une question centrale car il passe le 9 octobre à faire
parler de Beria de son activité en Géorgie en 1936-1938. Il lui présente des listes signées
par lui de gens arrêtés – au total, du 23 octobre 1937 au 16 décembre 1937, 63 personnes.
Au regard de l’ampleur des répressions exercées dans toute l’Union soviétique, ce chiffre,
très inférieur à celui des 40 000 condamnations à mort signées par Molotov en trois ans,
paraît modeste. Roudenko y consacre pourtant la soirée du 19 octobre, où il se fixe à peu
près exclusivement sur les listes d’arrestations signées en 1937, dont Beria reconnaît
l’authenticité. Roudenko lui demande alors : « Avouez-vous […] que vous avez […] créé
une situation de terreur pour réaliser vos buts de comploteurs[646] ? » Ainsi la répression
de 1937 en Géorgie prouverait que Beria voulait prendre le pouvoir en 1953. Beria le nie,
évidemment.
Plus on avance dans l’instruction, moins Roudenko se sent capable de prouver le
fameux complot, et plus il se focalise sur la répression en Géorgie en 1937-1938. Le
2 novembre, il ressert les dépositions arrachées à Orakhelachvili contre Ordjonikidzé et
l’exécution de Bedia. Leurs fantômes servent à combler le vide du dossier.
Enfin Roudenko considère que l’instruction est close : il transmet à Beria et aux autres
accusés les trente-neuf tomes de procès-verbaux de l’instruction, plus dix volumes
d’annexes. Le rapport du 27 novembre au présidium montre que Beria en a pris
connaissance et n’a pas de demandes complémentaires à présenter.
Pourtant Roudenko trouve soudain un nouveau fil. Délaissant les moussavatistes et les
mencheviks géorgiens, le 10 novembre, il demande à Beria pourquoi son frère est allé en
Chine en 1927. Ledit frère devait débusquer un certain Djakeli, modeste tenancier d’un
buffet dans une gare frontalière avec la Chine et le recruter pour les services secrets
soviétiques. Or, le 5 novembre 1953 les enquêteurs ont fait avouer à ce Djakeli qu’il est
un espion britannique. Roudenko tient là une nouvelle confirmation, bienvenue, que Beria
est un agent anglais ! Beria nie cette accusation ridicule.
Qu’importe ! Roudenko sort de sa manche un second espion, un certain Oucharadzé,
ancien policier menchevik en 1920, que le NKVD avait retourné et utilisé pour infiltrer
les mencheviks géorgiens émigrés en Pologne. Oucharadzé, dont Beria a utilisé les
talents, est accusé d’avoir aussi travaillé pour les services polonais. Donc, déclare
Roudenko à Beria : « Vous aviez avec lui des liens criminels anciens dans votre activité
d’espion[647]. » Voilà Beria devenu agent polonais, ce qui ne manque pas de sel si l’on
pense au massacre de Katyn. Il nie…
Le 17 novembre, Roudenko interroge Beria pour la dernière fois sur l’arrestation de la
belle-sœur d’Ordjonikidzé, Nina, femme de Papoulia. D’abord condamnée le 29 mars
1938 à dix ans de prison, puis accusée d’avoir voulu assassiner Beria, elle est condamnée
à mort et fusillée le 14 juin 1938. Selon Koboulov, le changement du verdict est dû à la
« vengeance de Beria contre la famille d’Ordjonikidzé[648] ». Beria répond que
Koboulov ment.
Cet ultime interrogatoire, où jamais Roudenko ne parle de complot, porte aux trois
quarts – et se conclut – sur des histoires de débauche. Roudenko, sans craindre de
repasser des plats réchauffés, cite la déposition d’une certaine Valentina Tchijovaia, qui
accuse Beria de l’avoir enivrée, violée et contrainte de lui céder pendant deux à trois
semaines en 1950. Beria admet son éphémère liaison, mais nie le viol[649]. L’instruction
se finit en queue de poisson, mais ce fiasco ne changera rien au dénouement.
Le 11 décembre, alors que l’instruction est bouclée, Roudenko décide d’interroger
Ekaterina Kalinina, la veuve de l’ancien chef d’État Kalinine, que Beria avait brutalisée
en 1939 pour lui faire avouer des crimes imaginaires. Cet interrogatoire, accablant pour
Beria, ne servira à rien.
XIX.
UN PROCÈS TRUQUÉ
Le 21 novembre 1953, Malenkov, Khrouchtchev, Molotov et Roudenko rédigent la
version définitive de l’acte d’accusation produite par le parquet, après avoir été discutée
au présidium. Le même jour, le Soviet suprême donne la composition du tribunal chargé
de juger l’affaire du « traître à la patrie Beria », accusé de liens avec le « capital
étranger », sur lesquels Roudenko ne l’a pas interrogé, faute d’éléments factuels[650]. Le
procès se tient à huis clos car Beria, n’ayant avoué que des péchés mineurs, risque de se
transformer en accusateur devant des correspondants de presse étrangers.
La composition de ce tribunal spécial est calculée pour que Beria et ses complices
paraissent jugés par des représentants de la société. Il est présidé par le maréchal Koniev,
qui avait enlevé Berlin en avril-mai 1945, vainqueur d’une concurrence acharnée avec
Joukov, qui avait coûté quelques dizaines de milliers de morts supplémentaires à l’Armée
rouge. La gloriole n’a pas de prix. Cette présidence souligne l’éclat que les dirigeants
veulent donner non au procès lui-même, mais à la sentence et à la place de l’état-major
dans la liquidation de l’ancien chef de la Sécurité.
Koniev s’était distingué dans le complot des « médecins ». Sitôt informé de l’affaire, il
affirma, dans une lettre au secrétariat du comité central, qu’il avait souffert des méfaits
des « médecins assassins » et demandait à être inclus dans la liste des victimes. Staline lui
donna satisfaction et l’intégra à la liste des cinq chefs militaires que ces comploteurs
« sionistes » se préparaient à assassiner. Il a donc une bonne raison d’en vouloir à Beria,
qui les avait réhabilités. Il en avait une autre, plus ancienne. Lorsqu’en juillet 1941 Staline
avait sanctionné la déroute militaire en faisant fusiller le commandant du front de l’Ouest,
l’ancien d’Espagne Pavlov, ainsi que trois autres généraux et cinq officiers accusés de
« lâcheté, inaction et esprit de panique[651] », un sort identique avait failli atteindre
Koniev. Beria préconisait de l’arrêter. Joukov avait pris la défense de Koniev, qui garda
rancune à Beria, mais ne manifesta guère de reconnaissance à Joukov : lorsqu’en
octobre 1957 Khrouchtchev limogea Joukov, accusé d’aspirations bonapartistes, Koniev
signa contre lui un article dont il dira plus tard n’avoir pas écrit la première (ni la
dernière) ligne, mais qu’il avait signé sans barguigner. Malenkov et Khrouchtchev
peuvent compter sur sa docilité, à la hauteur de sa gloire officielle.
Parmi les autres membres du tribunal, il faut accorder une place spéciale à Nicolas
Mikhaïlov, brutalement atteint, en plein essor de sa carrière, par la réhabilitation des
« médecins assassins ». Cet ancien dirigeant des komsomols avait été promu par Staline
au secrétariat du comité central, chargé de prononcer le 21 janvier 1953 le discours
solennel pour l’anniversaire de la mort de Lénine, puis nommé secrétaire du comité
régional du Parti de Moscou en mars. Cet antisémite virulent avait rédigé un projet de
lettre proposant la déportation massive des juifs en Sibérie. Staline, la jugeant trop
brutale, l’avait envoyée aux archives. Mikhaïlov ne pouvait donc pardonner à Beria ni la
réhabilitation des médecins, qui avait compromis sa carrière, ni la dénonciation de la
torture pour arracher leurs aveux. Il avait, de plus, au plénum, accusé Beria d’être un
espion et avait fait partie de la commission chargée de rédiger la résolution condamnant
Beria. Une fois le jugement de Beria prononcé, il fut mis au placard, envoyé ambassadeur
en Pologne, un pays où l’on n’a jamais aimé les Russes, avant d’être transféré dans un
placard plus lointain et plus modeste : en Indonésie.
Siègent aussi au tribunal le général Moskalenko, chargé d’organiser l’arrestation de
Beria le 26 juin, et le président des « syndicats » officiels d’État soviétiques qui n’avaient
de syndicats que le nom, Chvernik. Beria lui avait manifesté un vif mépris ; le 5 mars
1953, il s’était opposé à la proposition de le nommer président du Soviet suprême :
« Personne ne le connaît dans le peuple. » Le président du conseil central des syndicats
n’était effectivement, pour les quelque soixante millions de syndiqués d’office, qu’un
obscur bureaucrate dont ils n’attendaient rien. Beria avait aussi refusé qu’il soit invité aux
réunions du présidium. Chvernik avait de quoi lui en vouloir.
À ces quatre juges s’ajoutent entre autres Koutchava, président du Conseil central des
« syndicats » de Géorgie, petit fonctionnaire aux ordres, convoqué pour montrer que les
Géorgiens eux-mêmes condamnaient Beria et qui sera récompensé de son zèle en étant
nommé au lendemain du procès premier vice-président du Conseil des ministres et
ministre des Affaires étrangères – sans ambassade ni consulat – de Géorgie ; le vice-
président de la Cour suprême, Zeidine ; le président du tribunal de Moscou, Gromov ; le
premier vice-ministre de l’Intérieur de l’URSS, Lounev, promu en juillet 1953 chef de la
direction de la garde du MVD, qui, donc devait sa promotion à l’arrestation de Beria. La
docilité de Zeidine est à toute épreuve : en décembre 1954, il présidera le tribunal qui, à
Leningrad, condamnera à mort Abakoumov comme complice de Beria, alors même que
ces deux hommes se haïssaient.
Le 17 décembre, sous le titre « Au parquet de l’URSS », la Pravda publie un long texte
informant que l’instruction de l’affaire Beria et ses complices est close et que le procès
s’ouvrira le lendemain. Le communiqué expose dans une langue de bois pâteuse :
« L’instruction a établi que Beria, utilisant ses fonctions, a organisé un groupe de
comploteurs traîtres, ennemis de l’Union soviétique, qui se fixait le but criminel d’utiliser
les organes du ministère de l’Intérieur, tant au centre que dans les localités, contre le parti
communiste et le gouvernement de l’URSS dans les intérêts du capital étranger, et
s’efforçait dans ses desseins perfides de placer le ministère de l’Intérieur au-dessus du
Parti et du gouvernement pour s’emparer du pouvoir et liquider le système soviétique
ouvrier et paysan, afin de rétablir le capitalisme et de restaurer la domination de la
bourgeoisie[652]. »
L’instruction n’avait rien établi de tout cela et le procureur n’en avait pas dit un mot. Le
communiqué cite ensuite la liste des complices : Merkoulov, Dekanozov, Koboulov,
Goglidzé, Mechik et Vlodzimirski, puis attribue à Beria plusieurs forfaits annexes, dont
« le sabotage des mesures pour améliorer les sovkhozes et les kolkhozes et le niveau de
vie du peuple soviétique, l’activisation des éléments nationalistes bourgeois dans les
Républiques, le recours au soutien des cercles impérialistes étrangers ». Rien n’en
apparaît dans l’instruction.
Enfin, troisième accusation, parmi les nombreuses « machinations criminelles de Beria
[…] pour empêcher que son visage d’ennemi ne soit démasqué […] il a, pour réaliser ses
buts traîtres, mené, pendant de longues années et avec l’aide de ses complices, un combat
intrigant criminel contre […] Sergo Ordjonikidzé ». Dans la foulée, il est accusé
d’« assassinat terroriste de personnes […] comme Mikhaïl Kedrov » et d’autres meurtres
non précisés.
Ce dernier point est essentiel, car lui seul, malgré son caractère douteux, permet au
tribunal de fonder son jugement sur le décret du 1er décembre 1934, qui autorise une
justice expéditive pour quiconque est accusé d’avoir commis ou projeté un attentat. L’acte
d’accusation n’est remis aux accusés que vingt-quatre heures avant le procès, où ne
figurent ni procureur ni avocat. Enfin le verdict ne permet pas l’appel, les recours en
grâce sont interdits, et la condamnation à la peine capitale exécutée immédiatement. Cette
procédure est réservée aux accusés de terrorisme.
Le tribunal a convoqué dix témoins : Drozdova, la seule femme violée (ou pas) et sa
mère, les généraux Strokatch, Obroutchnikov, Kouznetsov, Savtchenko, Kondakov,
Korotkov, Sergatskov et Chtemenko – tous, sauf le dernier, ayant eu à pâtir de Beria.
Le procès s’ouvre le 18 décembre à 10 heures, dans le bâtiment de l’état-major où Beria
est interné depuis le 28 juin. Du 18 au 21, se succèdent les interrogatoires de Goglidzé,
Koboulov, Dekanozov, Vlodzimirski, Mechik, Merkoulov. Ils tentent tous de se
démarquer de Beria en l’accablant, comme ils l’ont fait lors de l’instruction, au point que
le tribunal s’en étonne et que Chvernik demande à Dekanozov : « Pourquoi vous
distanciez-vous maintenant de Beria[653] » ? Dekanozov bafouille qu’il ne se distancie
pas.
Goglidzé déclare : « Je suis sincèrement content que Beria ait été démasqué et qu’il soit
mis fin à son activité aventuriste criminelle[654]. » Koboulov s’exclame : « En prenant
connaissance du dossier de l’affaire, je suis arrivé à la conclusion que Beria était une
canaille » et, ne craignant pas le pléonasme, ajoute : « C’est un homme à double visage,
un hypocrite[655]. » Vlodzimirski, lui, joue les âmes sensibles : « Lorsque j’ai pris
connaissance des documents de l’instruction et des crimes de Beria, mes cheveux se sont
dressés sur ma tête[656]. » Le tribunal peine sans doute à le croire, car il lui fait avouer
qu’il a assassiné l’ambassadeur Bovkoun-Louganets et sa femme à coups de marteau, puis
la femme de Koulik, qu’il a passée à tabac, Smouchkevitch, Rytchagov, Loktionov,
Kedrov et une vingtaine d’autres. Chaque fois, il oppose qu’il n’a fait qu’obéir aux ordres
de Beria et Merkoulov, sans soupçonner leur caractère criminel. « J’ai battu Loktionov,
Stern, Meretskov, Rytchagov et d’autres, sur indication de Merkoulov, qui se référait aux
directives des organismes responsables[657]. » Obéir, c’est la rengaine des bourreaux.
Pour Mechik, « le plus grave crime de Beria est d’avoir réussi à convaincre les
enquêteurs que le passage à tabac des inculpés ou, comme on disait alors délicatement,
l’application de mesures de pression physique, étaient secrètement légalisés[658] ». Selon
lui, les enquêteurs, formés par Beria, pratiquent toujours la même méthode.
Les adjoints de Beria se déchirent aussi entre eux. Ainsi, lorsque le tribunal l’interroge,
Merkoulov, qui prétend avoir des défaillances de mémoire, sur la fameuse liste des vingt-
cinq (dont Belakhov et Kedrov) fusillés en juin 1941 à Kouibychev et Saratov, répond :
« Malheureusement je n’ai rien retenu de cette liste. » À ce moment Beria intervient : « Je
n’ai pu confier l’établissement de cette liste des vingt-cinq qu’à Koboulov et
Merkoulov. » Koboulov bondit de son siège : « Je n’ai personnellement pas pris part à
l’établissement de cette liste, mais j’étais présent quand Beria en a confié la tâche à
Merkoulov, et il y avait en plus Mamoulov[659]. » Les efforts des coaccusés de Beria
sont vains. Qui dit complot dit complices. Beria n’aurait pas pu renverser le
gouvernement à lui tout seul.
Le 21 décembre, à 17 heures, c’est enfin le tour de Beria. Selon Antonov-Ovseenko, il
commence par « simuler la folie : il se jetait en avant puis en arrière, agitait les mains…
Soudain Moskalenko se précipita sur lui, lui arracha un bouton de son pantalon, qui
glissa, et l’inculpé se calma[660] ». Antonov-Ovseenko prétend que son récit s’appuie sur
des souvenirs oraux du maréchal Koniev. Mais tout, dans cette scène burlesque, est
inventé.
Moskalenko, lui, apparemment passionné d’histoire, s’intéresse au lointain passé de
Beria : sa non-participation à la grève de la faim de Koutaïs en 1920, le plagiat de
l’histoire des organisations bolcheviques en Transcaucasie et l’arrestation de son principal
coauteur, Bedia. Moskalenko illustre là le comportement du tribunal, qui, faute d’avoir
rien de sérieux à demander à Beria sur son fantôme de coup d’État, se rabat sur les détails
de sa biographie. Personne ne déniche aucun élément supplémentaire, sauf le
témoignage – mineur – de l’ancien ministre de l’Intérieur de Géorgie, Rapava, arrêté en
août, après le meurtre de Bovkoun-Louganets et de son épouse, organisé par Beria –
témoignage qui n’émeut guère le tribunal.
Le 22 décembre, on passe à l’audition des témoins, pour l’essentiel des cadres du
ministère de l’Intérieur, presque tous victimes de décisions de Beria. Leur objectivité est
donc très relative. Ils essaient de démontrer que Beria a géré son ministère sans respect
pour les règles de la nomenklatura, ce qui n’apprend rien à personne, et qu’il a, par ses
mesures autoritaires, désorganisé et affaibli ce même ministère. Mais comment Beria
aurait-il pu monter un complot en désorganisant le seul instrument qu’il avait à sa
disposition ? La manœuvre du tribunal se retournerait contre lui s’il n’était pas protégé
par le huis-clos et l’absence d’avocat.
Strokatch ouvre le feu : il dénonce l’attitude de Beria à son égard et le mode de
nomination adopté par Mechik en Ukraine, à l’intérieur de son ministère. Il lui reproche
surtout d’avoir, voulu sous la houlette de Beria, légaliser l’Église uniate ukrainienne, de
rite orthodoxe mais reconnaissant l’autorité du Vatican. Pour fêter son alliance avec
l’Église orthodoxe russe, au lendemain de la guerre, Staline avait dissous cette Église
forte de quatre millions de fidèles, poussés par-là dans l’opposition, et transféré ses lieux
de culte à l’Église orthodoxe, qui les avait accueillis comme un don de Dieu.
Après lui, le tribunal donne la parole à l’ancien ministre de l’Intérieur de Biélorussie
Mikhaïl Baskakov, limogé au début de juin, puis rétabli par Khrouchtchev à son poste
après l’arrestation de Beria. Il attribue son sort à trois raisons : il n’était pas biélorusse, il
ne convenait pas à Beria et il avait communiqué au secrétaire du PC biélorusse,
Patolitchev, les données que Beria lui avait demandé de rassembler sur les dirigeants de la
République, pour faire le ménage dans leurs rangs.
Le troisième, Obroutchnikov, répète ses propos tenus au cours de l’instruction – ce qui
ne l’empêchera pas d’être exclu du MVD au lendemain du procès. Il reproche à Beria
d’avoir détesté les « gens d’Ignatiev », parmi lesquels il se range ; il cite les insultes dont
l’abreuvait Beria, qui menaçait parfois de l’enfermer dans la cave : « âne, bûche,
imbécile, cochon ». Il l’accuse d’avoir rappelé de l’étranger en une seule fois cent
cinquante résidents qu’il voulait remplacer, dont des résidents en RDA, au moment même
où la situation se détériorait dans le pays. Enfin, il rappelle comment Beria a voulu
« écarter le contrôle du Parti sur l’activité des organes du MVD[661] », rengaine connue,
mais qui correspond à la réalité.
Le quatrième témoin, Alexandre Kouznetsov, chef de la 1re section spéciale du MVD,
assure qu’en avril Beria lui a demandé de rassembler un dossier, concocté en 1937 par
Iejov, contre Poskrebychev dont, selon lui, « une large partie présentait un caractère
provocateur ». Quel intérêt Beria aurait-il eu à monter un dossier contre l’ancien
secrétaire déchu de Staline ? Kouznetsov ne le précise pas, il fait seulement valoir que
Koboulov et Beria « collectaient des documents provocateurs contre des dirigeants du
Parti et du gouvernement[662] ».
Sergueï Savtchenko, ancien vice-ministre de la Sécurité d’État de 1951 à mars 1953,
puis, à partir de mars 1953, chef adjoint de la 2e direction du MVD, accuse Beria d’avoir
réduit de six à sept fois les effectifs des services de renseignements soviétiques à
l’extérieur, surtout en RDA début juin, et « pris des mesures pour les démanteler[663] »,
ce qui frôle la trahison. Mechik confirme cette déposition.
Le sixième témoin est encore un général du MVD, Piotr Kondakov, que Beria,
mécontent de ses rapports sur la situation de la Lituanie, avait copieusement injurié, puis
écarté de son poste de ministre de l’Intérieur de Lituanie. Pour Kondakov aussi, les
mesures prises par Beria « ont conduit à la désorganisation totale de l’activité des organes
du MVD de Lituanie[664] ». Beria est donc un saboteur.
Ensuite paraît l’agent secret Alexandre Korotkov, chef de la 1re direction principale près
le Conseil des ministres, chargée des rapports administratifs avec le comité atomique, que
Beria a déchu de son poste et envoyé en RDA comme plénipotentiaire de la Sécurité
d’État. Pour lui, comme pour les précédents, « Beria avait créé un système visant à
détruire notre réseau de renseignements à l’étranger » ; il a, dit-il, « rappelé de l’étranger
nos résidents légaux et illégaux », pour un motif inédit auquel personne n’avait encore
pensé : « Beria craignait nos services de renseignements à l’extérieur, car ils auraient pu
démasquer ses liens avec les services de renseignements étrangers[665]. »
Les deux derniers témoins sont des généraux de l’armée. Le premier, Sergatskov,
commandait la 46e armée sur le front du Caucase en 1942 lorsque Beria se présenta dans
la région… et le limogea. D’après lui, Beria, doté des pleins pouvoirs du comité d’État à
la Défense, dont il était membre, réunit les généraux, et les « injuria de toutes les
façons ». C’est vraisemblable. « La direction des opérations fut désorganisée, car tout le
commandement fut placé sous le contrôle de cadres du NKVD[666] », certes plus
compétents en matière de dépistage de traîtres sinon réels, surtout prétendus, que de
stratégie militaire.
Enfin, la parole est donnée au général Chtemenko qui, en 1942, avait accompagné Beria
sur le front et, après la guerre, chanté les effets bénéfiques de sa présence. Les temps ont
changé, et lui avec. Les 15 et 20 juillet, il a écrit deux lettres à Boulganine exposant les
méfaits de Beria dans le Caucase. Le 21 juillet il s’est adressé à Khrouchtchev, pour
qualifier Beria de « vil provocateur, traître et aventuriste » et révéler ses « actions
antiparti et antigouvernementales », auxquelles il jure n’avoir pris aucune part[667].
Pourquoi ne l’a-t-il pas dénoncé au plénum du comité central comme « ennemi du
peuple » ? Il y pensait bien, mais craignait que son intervention « ne soit jugée comme
une tentative d’utiliser la tribune d’une instance aussi responsable pour un essai de
justification personnelle ». Il aurait certes pu le faire aux réunions des communistes de
l’état-major général mais on ne l’y a pas convoqué ! Enfin, comme il n’a « jamais
travaillé avec Beria », il n’a pas connaissance « de faits qui le démasqueraient »[668].
Pourtant, il voudrait bien en avoir trouvé, mais ce brillant stratège, qui déploie devant le
tribunal des cartes d’état-major, se contente de pointer le renvoi du général Sergatskov, ce
qui, dit-il, « n’a pas contribué à renforcer la défense », la « vérification superficielle des
fortifications », que Beria avait réduite à une simple « parade car il passait trop vite en
voiture ». Or, s’indigne Chtemenko, « une inspection aussi rapide ne permet pas de juger
la valeur des fortifications[669] ». Mais, de l’excès de vitesse à la trahison, il y a plus
qu’un abîme.
Ni l’instruction ni le tribunal ne mentionnent l’activité de Beria comme chef du goulag
de 1939 à 1945, l’organisation par ses soins de la déportation des Allemands de la Volga
et des peuples du Caucase, son activité à la tête du comité atomique – d’ailleurs difficile à
présenter comme une preuve de son activité d’espion étranger, puisque la construction de
la bombe atomique soviétique dépendait des données recueillies par les services de
renseignements qu’il supervisait alors.
Une allusion inattendue à la déportation est due à Beria lui-même. Évoquant la bataille
du Caucase en 1942, Koniev lui demande : « Pourquoi, alors que vous aviez à votre
disposition 120 000 hommes de troupe du NKVD, ne les avez-vous pas affectés à la
défense du Caucase ? » Beria répond que les troupes régulières étaient en nombre
suffisant, puis ajoute : « C’est aussi que se préparait la déportation des Tchétchènes et des
Ingouches[670]. » Personne ne relève cette information, par ailleurs erronée, car le projet
en sera élaboré une bonne année plus tard.
Le 22 décembre au soir, les accusés sont invités à prononcer leur ultime déclaration,
Beria en dernier. Ils l’accablent tous avec un bel ensemble, et plus ou moins d’ardeur.
Goglidzé commence : « Mon crime consiste en ce que j’ai rempli toutes les instructions
de Beria, qui ont débouché sur l’exécution d’innocents […] Cependant, j’ai agi sans
intention contre-révolutionnaire, en me soumettant aveuglément aux ordres de Beria ».
Koboulov joue les naïfs : « C’est seulement en ayant connaissance de tous les matériaux
de l’affaire que j’ai pris conscience que Beria était un vieil ennemi, qui s’était infiltré
dans le Parti. […] mon malheur consiste à avoir d’abord vu en Beria un honnête homme
et exécuté ses ordres criminels sans réserve. Aujourd’hui, je me rends compte que nombre
de ses instructions étaient criminelles. »
Dekanozov énumère les principaux traits de caractère de Beria : « le carriérisme,
l’ambition et la promotion de son rôle dans l’État », et qualifie l’affaire Kedrov de
« grande provocation de la part de Beria » et de « crime de Beria ».
Vlodzimirski bafouille : « Je n’ai appris que se commettaient des crimes dans le NKVD,
puis dans le MGB et le MVD, qu’en découvrant le dossier ». Il accuse seulement Beria
d’avoir « donné des instructions sur les passages à tabac ».
Mechik confesse : « Je m’avoue coupable d’avoir été le complice de toute une série de
crimes de Beria, dans l’ignorance qu’il était un ennemi[671]. »
Beria pèse soigneusement ses derniers mots : « J’ai déjà indiqué au tribunal en quoi je
me reconnaissais coupable. J’ai longtemps dissimulé mon activité dans les services de
renseignements moussavatistes contre-révolutionnaires. Néanmoins, je déclare que, même
en me trouvant en service là-bas, je n’ai rien fait de mal.
« Je reconnais entièrement ma corruption morale. Mes nombreux liens avec des
femmes, dont on a parlé ici, me déshonorent en tant que citoyen et ancien membre du
Parti.
« J’avoue qu’en entrant en liaison avec Drozdova, j’ai commis un crime, mais je nie le
viol.
« Je m’avoue responsable des exagérations et dénaturations de la légalité socialiste en
1937-1938, mais je demande au tribunal de considérer que, ce faisant, je n’ai pas
accompli d’actes antisoviétiques contre-révolutionnaires. Mes crimes s’expliquent par la
situation de l’époque.
« Ma grande faute contre le Parti est d’avoir donné l’ordre de collecter des
renseignements sur l’activité des organisations du Parti, et de rédiger des notes et des
rapports sur l’Ukraine, la Biélorussie et les Pays baltes. Cependant, je ne poursuivais pas
de buts contre-révolutionnaires.
« Je ne me considère pas coupable de tentative pour désorganiser la défense du Caucase
pendant la grande guerre patriotique.
« Je vous demande, lorsque vous prononcerez votre verdict, d’analyser soigneusement
mes actes, de ne pas me considérer comme un contre-révolutionnaire et de m’appliquer
les articles du code pénal que je mérite réellement[672]. » Autrement dit, le décret du
1er décembre 1934 ne saurait s’appliquer ni à ce que l’instruction et le tribunal ont établi,
ni à ce qu’il a avoué.
Pour finir, le maréchal Koniev lit le verdict : « Condamner L.P. Beria, V.N. Merkoulov,
V.G. Dzekanozov, B.E. Koboulov, S.A. Goglidzé, P. Ia. Mechik, D.E. Vlodimirski à la
peine capitale par fusillade », puis il ordonne de les emmener sans délai.
Les officiers présents se précipitent derrière les condamnés entraînés vers le bunker où
ils doivent être abattus.
Selon le récit que fit à l’historien Volkogonov un maréchal, désireux de rester anonyme,
l’exécution ne se déroule pas dans les règles : « Je ne sais pas si la décision en avait été
prise, ou si les nerfs des gradés qui l’entouraient craquèrent, mais, quelques pas avant
l’entrée du bunker, un coup de feu retentit, puis d’autres. On abattit Beria d’un coup de
pistolet dans le dos. Tout fut terminé en un instant[673]. »
Les Izvestia du 25 décembre publient un communiqué de la Cour suprême « sur le
jugement du traître Beria et de ses complices ». Ce texte, comme celui du 17 décembre,
montre clairement que l’instruction n’a servi à rien. Comparés à l’éditorial du 10 juillet,
ces deux textes n’apportent que trois éléments nouveaux, bien minces :
1. La liste – partielle – des « complices » de Beria – tous cadres du NKVD et de la
Sécurité d’État.
2. L’affirmation que Beria était, dès 1919-1920, lié aux services de renseignements
britanniques, affirmation qui fait rire tout le monde – sauf, comme on le verra plus bas,
Louis Aragon, toujours soucieux de prouver au Kremlin sa docilité sans faille.
3. L’utilisation des méthodes criminelles pour accéder à des postes dirigeants dans le
Parti et le Guépéou-NKVD en Géorgie, puis en Transcaucasie, et en particulier les
intrigues contre Ordjonikidzé, les exactions contre sa famille et l’assassinat de vieux
bolcheviks, dont l’ancien tchékiste Mikhaïl Kedrov.
Étrangement, ce troisième point qui conclut le verdict ne figure pas dans le
communiqué de la Cour suprême rendu public le même jour :
1. « Le tribunal a établi que le début de l’activité criminelle de trahison de Beria et
l’établissement de liens secrets entre lui et les services de renseignements étrangers
remonte au temps de la guerre civile quand, en 1919, se trouvant à Bakou, il a trahi en
entrant comme agent secret au service de renseignements du gouvernement réactionnaire
moussavatiste en Azerbaïdjan, agissant sous le contrôle des services de renseignements
anglais. »
2. « Étant devenu, en mars 1953, ministre de l’Intérieur de l’URSS, l’accusé Beria, se
préparant à s’emparer du pouvoir, se mit à pousser avec insistance les membres de son
groupe de comploteurs vers des postes de direction, aussi bien dans l’appareil central du
ministère de l’Intérieur que dans ses organismes locaux. Beria et ses complices ont sévi
contre les travailleurs honnêtes du ministère de l’Intérieur qui refusaient d’exécuter les
ordres des comploteurs » – aussi obscurs que le sort de ces travailleurs honnêtes.
Les deux textes ayant été avalisés par le présidium, c’est donc celui-ci qui a effacé
Ordjonikidzé et Kedrov dans le communiqué, alors que leur sort avait constitué l’un des
refrains de l’instruction. Pourquoi ? Peut-être parce qu’ils ne servent pas à renforcer
l’image de Beria ni en agent de l’étranger ni en comploteur.
Le 25 décembre, Boulganine propose à Moskalenko d’attribuer la médaille de Héros de
l’Union soviétique à cinq officiers supérieurs, dont Moskalenko lui-même. Moskalenko
renâcle : leur action ne lui paraît pas tellement héroïque ! Comment ? répond Boulganine :
« Tu ne comprends pas, tu ne te rends pas compte quelle grande œuvre révolutionnaire
vous avez réalisée en écartant un homme aussi dangereux que Beria et sa clique[674]. »
En même temps Boulganine avertit les officiers qui ont participé à l’arrestation :
« Oubliez tout ce que vous savez, tout ce que vous avez vu. Et n’en parlez jamais nulle
part[675]. »
Dans son Histoire de l’URSS, Aragon, paraphrasant l’article de la Pravda du
16 décembre 1953, garantit la validité du verdict : « Il a été établi, écrit-il, que Beria,
accusé de sabotage pour créer des difficultés alimentaires dans le pays et renverser le
régime kolkhozien […] avait partie liée avec des services secrets étrangers depuis la
guerre civile même […] Beria et ses complices étaient en rapport avec des agents
géorgiens de l’émigration, appartenant à divers services secrets. Diffamation et intrigues,
provocations contre des militants honnêtes et des fonctionnaires avaient pris les
proportions d’une conspiration antisoviétique pour le pouvoir. Cette bande […] se
débarrassait des gêneurs par l’illégalité et la violence […]. De nombreux faits [dont le
lecteur d’Aragon ignorera tout] révélaient de la part de Beria une série de machinations
[qui resteront, autant que les faits, inconnus du lecteur !][676]. »
Bien que le complot dont parle le communiqué de la Cour suprême ne contienne pas
l’ombre d’une preuve, il sera présenté comme un fait établi et à charge dans les procès
ultérieurs des complices de Beria. Amaiak Koboulov, condamné à mort en
novembre 1954, utilisera la faiblesse de l’accusation pour se défendre de la complicité
qu’on lui reproche. Dans sa demande de grâce, il dit qu’on lui a présenté comme acte
d’accusation le verdict du procès Beria, publié dans la Literatournaia Gazeta du
27 décembre 1953, et il ajoute : « Si je suis un membre actif d’un complot, pourquoi ne
me présente-t-on pas les dépositions du chef de ce complot ? » À quoi il répond lui-
même : « Parce qu’il n’y en pas ! » Puis, soulignant la légèreté des interrogatoires qu’il a
subis, il s’enflamme : « Je ne sais pas et je ne vois pas comment Beria pouvait et devait
s’emparer du pouvoir et renverser le régime existant […], mais je dois déclarer qu’il faut
être un idiot complet pour y penser. Comment renverser un État auquel Hitler s’est
attaqué avec ses divisions mécanisées armées jusqu’aux dents, son énorme aviation et ses
tanks, pour ne réussir qu’à se briser le cou[677] ? »
Le présidium du comité central rejette la demande de grâce d’Amaiak Koboulov, sans
répondre à son argumentation. L’acte d’accusation du procès Rapava-Roukhadzé, en
janvier 1955, dispose : « En misant sur la mobilisation générale des forces impérialistes
réactionnaires contre l’Union soviétique, l’ennemi du peuple Beria se préparait à prendre
le pouvoir et à instaurer une dictature contre-révolutionnaire[678]. » Tout ce qu’ont fait
les accusés depuis 1937 n’est qu’une lente préparation à « ces plans criminels des
comploteurs[679]. »
L’acte d’accusation de l’ancien cadre du MVD Libenson, le 28 mars 1955, se fonde sur
la même condamnation du « groupe traître de comploteurs, dirigé par l’ennemi du peuple
Beria », « se fixant comme but criminel […] de s’emparer du pouvoir, de liquider le
régime soviétique et de rétablir le capitalisme en URSS[680] ».
Khrouchtchev s’acharnera lui-même à valider le complot inexistant. À en croire ses
mémoires, l’éviction de Beria a évité l’apocalypse : « Ce monstre et bourreau nous aurait
tous liquidés, et il était tout près d’y parvenir. Il avait déjà rassemblé à Moscou les tueurs
qui exécutaient ses instructions secrètes. […] Après l’arrestation de Beria on a établi la
liste nominale de ces gens. Je ne me rappelle plus leurs noms. » Et pour cause, car cette
liste est imaginaire. Il en est pourtant sûr : « Beria devait d’abord faire tomber les têtes de
Molotov et de Khrouchtchev […] pour avoir les mains libres. » Et, sans souci de
vraisemblance, il prétend : « Une mer de sang aurait coulé, encore plus que sous
Staline[681]. »
Khrouchtchev n’est pas à un complot près. Ainsi justifie-t-il l’élimination de Joukov, en
octobre 1957, par ses « tentatives d’organiser un putsch militaire pour prendre le
pouvoir[682] ». Ce complot de Joukov est encore plus imaginaire, si possible, que celui
de Beria. Mais, lors du comité central de juin 1957, où se décide l’élimination de
Molotov, Kaganovitch et Malenkov, Joukov a l’audace de critiquer les « insuffisances de
Khrouchtchev », de brandir des extraits d’archives sur les répressions de 1936-1939 et
d’affirmer que leurs principaux responsables devraient comparaître en justice. Ceux-ci – à
commencer par Khrouchtchev – ne peuvent tolérer une telle menace. Telle est la véritable
nature du « putsch bonapartiste » de Joukov.
Le huis-clos du procès a suscité des rumeurs, niant soit sa tenue, soit la présence de
Beria. Un ancien collaborateur de Beria, le colonel B. Weinstein, n’hésite pas à affirmer :
Beria a été tué dès le 26, il y a pourtant eu un procès, mais « on a jugé un sosie qui ne
comprenait même pas le géorgien[683] ». Sergo Beria reprend la fable en prétendant
qu’en 1958 on lui envoya des photos, prises alors en Argentine, d’un homme qui
ressemblait étonnamment à son père, le prétendu « sosie », libéré après avoir rendu le
service demandé.
Nombre d’historiens ont adopté tout ou partie de ce roman, même le très compétent
Boris Souvarine, même le sérieux biographe russe de Beria, Boris Sokolov, et même
Nicolas Werth qui, dans son Histoire de l’Union soviétique, dénonce « les conditions de
la chute de Beria, la dissimulation de son exécution sommaire derrière une fausse
instruction et un faux procès ». Comment cela ? « La toute-puissance de la Sécurité d’État
ne laissait aux adversaires de Beria d’autre issue que celle du complot et de l’exécution
immédiate du chef de la police, qui seule pouvait couper court à toute tentative de ses
partisans d’organiser un contre-complot. Mais parce que la base du pouvoir de Beria
s’était élargie, que son prestige était réel, parce que le système se réclamait désormais de
la légalité, ses adversaires ne pouvaient avouer qu’ils avaient liquidé sommairement le
redoutable chef de la police politique qui avait pris l’habit d’un homme politique
respectable et “libéral”[684]. »
En réalité, Beria ne bénéficiait d’aucun appui dans aucun clan de la nomenklatura, il
n’avait pas de partisans, seulement des collaborateurs. Tous le suivent par intérêt ou par
peur, et le lâchent à la première seconde.
XX.
mai 1919 : Beria achève ses études à l’institut de mécanique technique de Bakou. Reçoit
le diplôme d’architecte-constructeur.
décembre 1927 : XVe congrès du parti communiste qui parachève la victoire de Staline
sur Trotsky. Beria est nommé président du Guépéou de Géorgie et vice-président du
Guépéou de Transcaucasie.
décembre 1929 : Staline lance la collectivisation totale et forcée de l’agriculture.
janvier-février 1934 : XVIIe congrès du parti communiste de Russie dit « congrès des
vainqueurs ». Beria est élu pour la première fois au comité central comme
Khrouchtchev.
juillet 1935 : Beria publie sous son nom l’ouvrage Sur la question de l’histoire des
organisations bolcheviques de Transcaucasie, rédigé par une commission.
août 1936 : premier procès de Moscou contre les anciens dirigeants bolcheviks (Zinoviev,
Kamenev et autres)
25 novembre 1938 : démission de Iejov remplacé par Beria à la tête du NKVD, décision
rendue publique le 8 décembre.
mars 1939 : XVIIIe congrès du parti communiste.
5 mars 1940 : note de Beria adoptée par le bureau politique décidant l’exécution de
22 000 officiers polonais capturés en septembre 1939.
20 août 1940 : assassinat de Trotsky organisé sous la direction politique de Beria, par ses
adjoints Eitingon et Soudoplatov et exécuté par Ramon Mercader.
8 avril 1941 : le NKVD est divisé en NKVD dirigé par Beria et NKGB dirigé par
Merkoulov, réunifiés le 20 juillet 1941 sous la présidence de Beria, flanqué de
Merkoulov, puis à nouveau divisé en avril 1943 sous la même direction.
30 juin : création du comité d’État à la Défense présidé par Staline et dont Beria est
membre.
4-11 février 1945 : conférence des « trois grands » à Yalta. Beria chargé de la sécurité.
17 juillet-2 août 1945 : conférence des « trois grands à Potsdam ». Beria chargé de la
sécurité.
20 septembre 1945 : création du Comité atomique soviétique dont la direction est confiée
à Beria.
5 mars 1953 : mort de Staline. Beria nommé ministre de l’Intérieur réunifié avec la
Sécurité d’État et vice-président du Conseil des ministres.
N.F. Bougaï et A M. Gonov, Kavkaz, narody v echelonakh (20-60e gody), Moscou, Insan,
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Paris, Flammarion, 2002.
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Léon Trotsky, La Révolution trahie, Paris, Minuit, 1963 ; Staline, Paris, Grasset, 1948 ;
Les Crimes de Staline, Paris, Grasset, 1937.
[1] Politburo i delo Beria, Moscou, Koutchkovo Pole, 2012, p. 34 et Izvestia, 1991, no 1,
p. 158.
[2] Simon Sebag Montefiore, Staline. La cour du tsar rouge, Éditions des Syrtes, Paris,
2005, p. 61, 91, 196, 294-295 et 572.
[3] Beria, Koniets Kariery, Moscou, Politizdat, 1991, p. 221. Ce passage n’est pas
reproduit dans l’édition française de ses mémoires.
[4] Ibid., p. 222.
[5] Wilfried Strik-Stricfeldt, Contre Staline et Hitler, Paris, Presses de la Cité, 1971,
p. 187-188.
[6] Emmanuel d’Astier de La Vigerie, Sur Staline, Paris, Plon, 1963, cahier photos.
[7] Beria, op. cit., p. 268.
[8] Dmitri Volkogonov, Sem vojdei, Moscou, Novosti, 1996, t. 1, p. 224 et 347.
[9] André Sakharov, Mémoires, Paris, Le Seuil, 1990, p. 169.
[10] Dans sa notice biographique du Polititcheski dnevnik, le bulletin clandestin de Roy
Medvedev, on lit : « chef de la sécurité d’État de 1938 à 1953 ». Polititcheski Dnevnik,
Fonds Herzen, Amsterdam, 1975, t. 2, p. 823. Or Beria a été dessaisi dès 1943 de la
direction de la sécurité d’État, alors séparée du ministère de l’Intérieur, confiée en 1946 à
son ennemi personnel Abakoumov, puis, en 1951, à un apparatchik qui lui est hostile,
Ignatiev. De même, le biographe de Gorbatchev, Gert Ruge, écrit : « Pendant les
dernières années de Staline […] la police secrète de Staline et de son ministre de
l’Intérieur Beria, qui poursuivait et faisait arrêter quiconque s’écartait de la ligne tracée,
entretenait le climat de terreur. » Gert Ruge, Gorbnatchev Parsi, Le Seuil, 1990, p. 55. Or
Beria a cessé d’être ministre de l’Intérieur le 27 décembre 1945.
[11] Minouvcheie, no 5, Moscou, Phenix, 1991, p. 100.
[12] Svetlana Allilouieva, Vingt lettres à un ami, Paris, Le Seuil, 1967, p. 21-22.
[13] Nikita Khrouchtchev, Souvenirs, Paris, Robert Laffont, 1971, p. 326 et 334,
traduction libre des passages de l’édition russe Vospominania, Moscou, Moskovskie
Novosti, 1999, t. 1, p. 187 et 189.
[14] Istoria Velikoï patriotitcheskoï Voiny, Moscou, 1960, p. 47.
[15] Isaac Deutscher, L’URSS après Staline, Paris, Le Seuil, 1954, p. 162, 166 et 171.
[16] Amy Knight, Beria, Paris, Aubier, 1992, p. 10 et 11.
[17] Ibid., p. 28 et 40.
[18] Vladimir Boukovski, Jugement à Moscou, Paris, Robert Laffont, 1995, p. 115.
[19] Argumenty i Fakty, troisième semaine de novembre 1993.
[20] Aleksei Toptyguine, Neizvestny Beria, Saint-Pétersbourg, Olma Press, 2002, p. 382.
[21] Ibid.
[22] Voprossy Istorii, 1962, no 6, p. 40.
[23] A. Toptyguine, op. cit., p. 382.
[24] Ibid., p. 383.
[25] Andreï Soukhomlinov, Kto vy Lavrenti Beria, Moscou, Detektiv-press, 2004, p. 105.
[26] S. Allilouieva, Vingt lettres…, op. cit., p. 154.
[27] A. Soukhomlinov, op. cit., p. 103.
[28] Neizvestnaia Rossia, op. cit., t. 3, p. 59.
[29] Izvestia, 1991, no 1, p. 149.
[30] Beria, op. cit., p. 77.
[31] A. Soukhomlinov, op. cit., p. 105-106.
[32] Trotsky, Œuvres complètes, Institut Léon Trotsky, 1986, t. 21, p. 196.
[33] Komsomolskoie Znamia, 30 septembre 1990.
[34] Larissa Vassilieva, Kremliovske Jony, édition russe, p. 354, édition américaine, New
York, Arkade Publishing, Kremlin Wives, p. 163.
[35] Nicolas Werth et Gaël Moullec, Rapports secrets soviétiques 1921-1991, Paris,
Gallimard, 1994, p. 601-602.
[36] Christopher Andrew, Oleg Gordievski, Le KGB dans le monde, Paris, Fayard, 1990,
p. 246.
[37] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 469.
[38] Ibid., p. 696.
[39] B. Popov et V. Oppokov, Berievchtchina, Voenno-Istoritcheski Journal, 3e partie,
1990, p. 68.
[40] A. Toptyguine, op. cit., p. 19.
[41] C. Andrew et O. Gordievski, op. cit., p. 260.
[42] Soverchenno Seketno, Moscou, 2001, t. 2 p. 213.
[43] Mikhaïl Chreider, NKVD iznoutri, Moscou, Vozvrachenie, 1995, p. 111 et 175.
[44] A. Toptyguine, op. cit., p. 386.
[45] Zaria Vostoka, 1er avril 1925.
[46] Soverchenno Sekretno, op. cit., t. 4, 1re partie, p. 183.
[47] Lénine, O.C., t. 36, p. 172, 175, 178, 189,193, 199-200.
[48] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 553-554.
[49] Anna Larina-Boukharina, Nezabyvaemoie, Moscou, APN, 1989, p. 172-173.
[50] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 133.
[51] A. Adjoubeï, op. cit., p. 171.
[52] A. Knight, Beria, op. cit., p. 69.
[53] Ibid., p. 69-70.
[54] Cahiers du mouvement ouvrier, mars 1999, no 5, p. 15.
[55] A. Toptyguine, op. cit., p. 25.
[56] Ibid., p. 26.
[57] B. Sokolov, op. cit., p. 53.
[58] Ibid., p. 54.
[59] Cahiers du mouvement ouvrier, op. cit., p. 17 et 18.
[60] A. Toptgyguine, op. cit., p. 27.
[61] B. Sokolov, op. cit., p. 57.
[62] Ibid., p. 60-61.
[63] S. Allilouieva, Vingt lettres…, op. cit., p. 33.
[64] Ibid., p. 58.
[65] Beria, op. cit., p. 353-354.
[66] Ogoniok, no 18, 1988, p. 29.
[67] Stalin i Kaganovitch, Perepiska, 1923-1936, Moscou, Rosspen, 2001, p. 52.
[68] Ibid., p. 68.
[69] Sovietskoie roukovodtsvo Perepiska, 1928-1941, Moscou, Rosspen, 1999, p. 188-
189. Stalin i Kaganovitch Perepiska 1931-1936, Moscou, Rosspen, 1999, p. 104-105.
[70] Branko Lazitch, Le Rapport Khrouchtchev et son histoire, Paris, Le Seuil, 1976,
p. 128.
[71] Sovietskoie Roukovodstvo et Stalin i Kaganovitch, op. cit. ; Ibid.
[72] Cahiers du mouvement ouvrier, no 24, p. 48-49.
[73] M. Chreider, op. cit., p. 12.
[74] Sovietskoie Roukovodtsvo, Perepiska, 1928-1941, op. cit., p. 197-198.
[75] Stalin i Kaganovitch, Perepiska, op. cit., p. 185 et 190.
[76] Ibid., p. 276.
[77] Sovietskoie roukovodstvo, Perepiska 1928-1941, op. cit., p. 187.
[78] Stalin i Kaganovitch, Perepiska, op. cit., p. 276.
[79] Ibid., p. 284.
[80] A. Larina, Nezabyvaiemoe, op. cit., p. 173 et 192.
[81] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 3, p. 148.
[82] Iossif Stalin v Obiatiakh semii, Moscou, 1993, p. 123.
[83] B. Sokolov, op. cit., p. 262.
[84] Sovietskoie Roukovodstvo, Perepiska, op. cit., p. 204.
[85] Ibid., p. 226.
[86] Ibid., p. 245.
[87] Beria, op. cit., p. 355.
[88] Roy Medvedev, Le Stalinisme, Paris, Le Seuil, 1972, p. 349.
[89] B. Sokolov, op. cit., p. 79.
[90] Sergo Beria, Moï Otiets Lavrenti Beria, Moscou, Sovremennik, 1994 p. 28. Beria
mon père, Paris, Plon/Criterion, 1999, p. 53.
[91] Trotsky, Œuvres, t. 3, p. 203.
[92] XVII szjezd Stenografitcheski Otchot, Moscou, 1934, p. 34.
[93] Ibid., p. 129-132.
[94] Selon Amy Knight, Beria aurait déclaré à ce congrès : « À notre grande honte il faut
avouer qu’à ce jour nous ne disposons pas de la moindre histoire sérieuse, scientifique,
élaborée de notre Parti et du mouvement révolutionnaire en Géorgie. L’histoire de notre
Parti, de tout le mouvement révolutionnaire en Géorgie et en Transcaucasie depuis ses
premiers jours est inséparable de l’œuvre et du nom du camarade Staline. Il est impossible
de trouver un seul fait important dans l’histoire de la lutte pour la lutte léniniste qui ne
porte pas la marque des idées de Staline. » Et elle affirme que Makharadzé lui répondit
avec quelque insolence que lorsqu’il avait écrit ses études historiques « le rôle
exceptionnel joué par Staline dans le mouvement révolutionnaire n’avait pas encore été
découvert ». Mais l’historienne américaine se trompe. Ces lignes ne figurent pas dans le
PV du congrès (p. 129-132) et pour cause. Elles figurent dans un article signé Beria
publié le 12 janvier dans le journal Zaria Vostoka huit jours avant l’ouverture du congrès
et seize jours avant l’intervention même de Beria qui ne les reprend pas. Amy Knight
affirme que dans son discours Beria accusa le vieux dirigeant géorgien Philip
Makharadzé, citations à l’appui, d’avoir sous-estimé le rôle de Staline et que Makharadzé,
présent au congrès, répondit avec quelque insolence « en soulignant non sans ironie que
lorsqu’il avait écrit ses études historiques le rôle exceptionnel joué par Staline n’avait pas
encore été découvert » (p. 94). Ce qui suggère que ce rôle exceptionnel du camarade
Staline avait été récemment inventé. Mais Makharadzé ne prit pas la parole au congrès et
sa réponse, certes ironique, n’a pas été prononcée à la tribune, mais figure dans un article
publié dans Zaria Vostoka le 14 janvier, six jours avant l’ouverture du congrès et exige
moins d’audace qu’un discours devant un congrès solennel. Il la paiera néanmoins de sa
vie trois ans plus tard : il en savait trop sur le rôle réel de Staline dans l’histoire du
bolchevisme en Transcaucasie, rôle certes important, mais nullement décisif.
[95] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 1, p. 98-99 et Mémoires inédits, Paris,
Belfond, 1990, p. 40.
[96] Ibid., t. 1, p. 140 et 177.
[97] Traguedia sovietskoï derevni, 1934-1936, Moscou, Rosspen, 2002, t. 4, p. 195-196.
[98] A. Knight, Beria, op. cit., p. 109.
[99] Izvestia, 1991, no 2 p. 181.
[100] Ibid.
[101] Minouvcheie, Moscou, Phenix, 1992, t. 7, p. 366.
[102] Politburo i Beria, op. cit., p. 68-69.
[103] Ibid., p. 81.
[104] R. Medvedev, Le Stalinisme, op. cit., p. 377.
[105] Trotsky, Œuvres, t. 20, p. 228.
[106] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 781.
[107] Ibid., p. 799.
[108] Neizvestnaia Rossia, op. cit., t. 4, p. 189.
[109] Zaria Vostoka, 17 novembre 1935.
[110] O. Khlevniouk, 1937, Staline, NKVD, Moscou, Respublika, 1992, p. 165.
[111] V. Joukovski, Loubianskaia Imperia NKVD, 1937-1939, Moscou, Vetche, 2001, p.
46.
[112] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 767.
[113] Znamia, no 11, 1997, p. 150.
[114] Beria, op. cit., p. 195.
[115] Ibid., p. 204-205.
[116] Ibid., p. 167.
[117] Anastase Mikoyan, Tak Bylo, Moscou, Vagrius, 1999, p. 329.
[118] Voprossy Istorii, 1995, no 1, p. 9-11.
[119] A. Larine, Boukharine ma passion, Paris, Gallimard, p. 319.
[120] Molotov, Malenkov, Kaganovitch, 1957.
[121] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 471.
[122] Trotsky, Œuvres, t. 14, p. 240.
[123] Ibid., p. 286.
[124] Pravda, 19 février 1937.
[125] B. Lazitch, op. cit., p. 131.
[126] XXIIe congrès du PCUS, Cahiers du communisme, décembre 1961, p. 508.
[127] Staline, L’homme le capital le plus précieux, Paris, Éditions sociales, sans date,
p. 15, 17 et 37.
[128] Voprossy Istorii, 1994, no 2, p. 16.
[129] Voprossy Istorii, 1993, no 10, p. 159-160 ; Jean-Jacques Marie, Le Fils oublié de
Trotsky, Paris, Le Seuil, 2011, p. 158.
[130] F. Tchouev, Conversations avec Molotov, op. cit., p. 297.
[131] Voprossy Istorii, 1995, no 11-12, p. 14.
[132] Voprossy Istorii, 1995, no 4, p. 14 et 15.
[133] Voprossy Istorii, 1995, no 5-6, p. 8-13.
[134] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 448.
[135] Ibid., p. 453.
[136] Sovietskoie Roukovodstvo Perepiska 1928-1941, op. cit., p. 376.
[137] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 61.
[138] Ibid., p. 469.
[139] Istotchnik, no 3, 1996, p. 164.
[140] A. Mikoyan, op. cit., p. 332.
[141] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 474-475.
[142] Ibid., p. 477.
[143] Orlando Figès, Les Chuchoteurs, Paris, Denoël, 2011, p. 422.
[144] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 487.
[145] S. Montefiore, Staline, op. cit., p. 268.
[146] Nicolas Werth, La Terreur et le Désarroi, Paris, Perrin, 2007, p. 286.
[147] Oleg Khlevniouk, Khoziaïn, Moscou, Rosspen, 2010, p. 383.
[148] Literatournaia Gazeta, 30 novembre 1994.
[149] David Samoilov, Pour mémoire, Paris, Fayard, 1997, p. 469.
[150] Krasnaia Zvezda, 23 février 1938.
[151] Ibid., 21 février 1938.
[152] Reabilitirovan postmerstno, Moscou, 1988, p. 415-416.
[153] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 353.
[154] Vadim Rogovin, Mirovaia Revolioutsia i Mirovaia voïna, Moscou, 1998, p. 32-33.
[155] O. Khlevniouk, op. cit., p. 385.
[156] A. Soukhomlinov, op. cit., p. 52.
[157] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 1, p. 147 et 151.
[158] L’Internationale communiste, mars 1938, p. 423-426.
[159] M. Chreider, op. cit., p. 111.
[160] Le Procès du bloc antisoviétique des droitiers et des trotskystes, Moscou, 1938,
p. 826.
[161] Stephen Cohen, Nicolas Boukharine, Paris, Maspero, 1979, p. 447.
[162] M. Chreider, op. cit., p. 228.
[163] Nikita Petrov, Mark Jansen, Stalinski Pitomets, Nikolaï Iejov, Moscou, Rosspen,
2009, p. 171 et 351.
[164] Ibid., p. 165.
[165] Vlast i Khoudojestvennaia Intelligentsia 1917-1953, Moscou, Democratia, p. 413,
414.
[166] N. Petrov, M. Jansen, op. cit., p. 222.
[167] Neizvestnaia Rossia, op. cit., t. 3, p. 70.
[168] N. Khrouchtchev, op. cit., t. 1, p. 179.
[169] N. Petrov, M. Jansen, op. cit., p. 167.
[170] O. Khlevniouk, op. cit., p. 343.
[171] S. Beria, Beria mon père, op. cit., p. 63.
[172] Drujba Narodov, 1991, no 2, p. 221,228-229, 235, 245.
[173] O. Khlevniouk, op. cit., p. 386.
[174] Ibid.
[175] N. Petrov, M. Jansen, op. cit., p. 169.
[176] Rgaspi fonds 33 987, inventaire 3, dossier 1103, feuillets 146-149.
[177] Le Procès du bloc des droitiers et des trotskystes antisoviétiques, op. cit., p. 6 et 35.
[178] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 538.
[179] P. Soudoplatov, op. cit., p. 91.
[180] N. Petrov, M. Jansen, op. cit., p. 180.
[181] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 1, p. 172.
[182] Ogoniok, no 7, février 1988, p. 27.
[183] N. Petrov, M. Jansen, op. cit., p. 177-178.
[184] B. Brioukhanov, E. Chochkov, Opravdaniou nie podlejit, Saint-Pétersbourg, PF,
1998, p. 126.
[185] Neizvestnaia Rossia, t. 4, p. 199-200.
[186] R. Medvedev, op. cit., p. 245.
[187] Gueorgui Dimitrov, Journal, Paris, Belin, 2005, p. 280.
[188] Victor Fradkine, Dielo Koltsova, Moscou, 2002, p. 297-298.
[189] O. Figès, op. cit., p. 335.
[190] O. Klevniouk, op. cit., p. 355-357.
[191] Ibid., p. 358.
[192] Petrov, M. Jansen, op. cit., p. 194.
[193] G. Dimitrov, op. cit., p. 298.
[194] Arkadi. Vaksberg, Vychinski, Paris, Albin Michel, 1991, p. 166.
[195] Cahiers du monde russe, no 42-44 p. 375, 388, 390.
[196] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 559-561.
[197] A. Larina, op. cit., p. 177, 181, 187, 192.
[198] O. Khlevniouk, op. cit., p. 362-363.
[199] Ibid., p. 366-367.
[200] Ibid., p. 363-364.
[201] M. Chreider, op. cit., p. 167, 171, 172, 179.
[202] Evguenia Albats, Mina zamedlennovo deiïstvia, Moscou, Rousslit, p. 95.
[203] Stalin i NKVD-NKGB, GOURK 1939-mart 1946, Moscou, Materik, 2006, p. 25.
[204] Ibid., p. 32.
[205] Dmitri Volkogonov, Staline, Novosti, Moscou, 1996, t. 1, p. 385.
[206] Compte rendu sténographique du XVIIIe congrès (en russe), Moscou, 1939, p. 28.
[207] Ibid., p. 143-144.
[208] V. Rogovin, op. cit., p. 40.
[209] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 1, p. 222.
[210] Ibid., p. 287.
[211] O. Khlevniou, op. cit., p. 376.
[212] Molotov, Malenkov, Kaganovitch 1957, Moscou, Demokratia, 1998, p. 44.
[213] B. Brioukhanov, E. Chochkov, op. cit., p. 136-137.
[214] Compte rendu sténographique du XVIIIe congrès, op. cit., p. 14-15.
[215] F. Tchouev, op. cit., p. 232.
[216] Evgueni Gnedine, Moscou, Memorial, 1994, Vykhod iz labyrinta, p. 25-26.
[217] Loubianka-Stalin i NKVD, op. cit., p. 97-100.
[218] F. Tchouev, op. cit., p. 317-318.
[219] Troud, 5 mars 1996.
[220] C. Andrew et V. Mitrokhine, Le KGB contre l’Ouest, Paris, Fayard, 1999, p. 137-
138.
[221] P. Soudoplatov, op. cit., p. 99.
[222] Neizvestnaia Rossia, op. cit., t. 4, p. 204.
[223] Vitali Chentalinski, La Parole ressuscitée, Paris, Robert Laffont, 1993, p. 41-42.
[224] Ibid., p. 223 ; A. Iakovlev, Tsel Jizni, Moscou, 1969, p. 509.
[225] Otcherki istorii rossiskoï vnechneï razvedki, Moscou, Medjdounarodnye
otnochenia, 1997, t. 3, p. 93.
[226] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 331 et 334.
[227] C. Andrew et O. Gordievski, op. cit., p. 175-176.
[228] A. Vaksberg, op. cit., p. 118.
[229] Arsène Martirossian, Sto mifov o Beria, Moscou, Vetche, 2010, t. 2, p. 162.
[230] Youri Lioubimov, Le Feu sacré, Paris, Fayard, 1985, p. 28.
[231] A. Martirossian, op. cit., t. 2, p. 174.
[232] B. Brioukhanov, O. Chochkov, op. cit., p. 123.
[233] S. Montefiore, op. cit., p. 341.
[234] B. Brioukhanov, O. Chochkov, op. cit., p. 146.
[235] V. Rogovine, op. cit., p. 132.
[236] Ibid., p. 14.
[237] I. Petrov, M. Jansen, op. cit., p. 215.
[238] Victor Zaslavsky, Le Massacre de Katyn, Éditions du Rocher, 2003, p. 124-125.
[239] Ibid., p. 127.
[240] Loubianka Stalin i NKVD, op. cit., p. 154.
[241] Ibid., p. 181.
[242] Politburo i Beria, op. cit., p. 329.
[243] P. Soudoplatov, op. cit., p. 109.
[244] Ibid., p. 110.
[245] V. Rogovine, op. cit., p. 329.
[246] Loubianka i Stalin, op. cit., p. 286.
[247] S. Beria, Moï Otiets Beria, op. cit., p. 368.
[248] S. Beria, Mon père Beria, op. cit., p. 96.
[249] O. Khlevniouk, op. cit., p. 365.
[250] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 391.
[251] Ibid., p. 392.
[252] Oleg Khlevniouk, Le Cercle du Kremlin, Paris, Le Seuil, 1996, p. 257-258.
[253] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 329.
[254] Ibid., p. 367.
[255] A. Toptyguine, op. cit., p. 402.
[256] G. Dimitrov, op. cit., p. 391-392.
[257] Omer Batov, L’armée d’Hitler, la Wehrmacht, les nazis et la guerre, Paris,
Hachette, 1999, p. 187.
[258] Christian Baechler, Guerre et extermination à l’Est, Paris, Tallandier, 2012, p. 279.
[259] Gueorgui Joukov, Vospominania i Razmychlenia, Moscou, Novosti, 1992, t. 1,
p. 383.
[260] Ibid., p. 368.
[261] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 1, p. 281-282.
[262] Pravda, 13 avril 1991 ; Argumenty i Fakty, no 4, 1 989 ; A Vaksberg, Vychinski,
op. cit., p. 219.
[263] Velikaia Otetchesvennaia Voïna, Moscou, Naouka, 1998, p. 131.
[264] Zaklioutchennye na stroïkakh kommounizma, Moscou, Rosspen, 2008.
[265] Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 1, p. 695.
[266] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 862-863.
[267] Izvestia, 5 septembre 1990.
[268] V. Tcherniavski, Racovski, Kharkov, 1992, p. 181.
[269] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 77.
[270] C. Baechler, op. cit.
[271] P. Soudoplatov, op. cit., p. 189.
[272] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 230.
[273] N. Bougaï, Iossif Stalin, Lavrenti Beria : « Ikh nado deportirovat », Moscou,
Droujba Narodov, 1992, p. 45.
[274] Ibid., p. 56.
[275] Ibid., p. 64.
[276] Ibid., p. 225.
[277] EAK V SSR, Moscou, Mejdounaronie otnochenia, 1996, p. 19.
[278] Neivestnaia Rossia, op. cit., t. 3, p. 178.
[279] N. Voronov, Na sloujbe voiennoï, Moscou, 1963, p. 194-195.
[280] A. Toptyguine, op. cit., p. 187-188.
[281] Loubianka Stalin i NKVD…, op. cit., p. 340.
[282] Ibid., p. 338.
[283] Ibid.
[284] Ibid., p. 350.
[285] Ibid., p. 351.
[286] Cahiers du mouvement ouvrier, juillet-septembre 1998, no 3.
[287] Rgaspi fonds 644, inventaire 1, dossier 55 feuillet 55 ; Velikaia Otetchesvennaia,
op. cit., t. 4, p. 138.
[288] N. Khrouchtchev, Vospomlinania, op. cit., t. 1, p. 449.
[289] J.-J. Marie, op. cit., p. 664-665.
[290] Troud, 23 février 1995.
[291] A. Toptyguine, op. cit., p. 149 et 150.
[292] Tiouleniev, Tcherez tri voïny, Moscou, voenizdat, 1960, p. 197.
[293] C. Andrews, V. Mitrokhine, op. cit., p. 182.
[294] Ibid., p. 183.
[295] David Holloway, Stalin and the Bomb, Yale University Press, Londres, 1994,
p. 115.
[296] Cahiers du mouvement ouvrier, mars 1999, no 5, p. 58-62.
[297] Ekonomika i Jizn, no 17, avril 2000, p. 29.
[298] B. Sokolov, op. cit., p. 150.
[299] J.-J. Marie, op. cit., p. 691.
[300] Beria, op. cit., p. 151.
[301] N. Bougaï, op. cit., p. 85.
[302] Ibid., p. 87.
[303] Ibid., p. 101.
[304] Ibid., p. 102-103.
[305] Ibid., p. 103.
[306] B. Sokolov, op. cit., p. 166 ; Politburo i delo Beria, op. cit., p. 934-935.
[307] Sotsialistitcheskaia Ossetia, 10 juin 1988.
[308] N. Bougaï, op. cit., p. 115.
[309] Ibid., p. 110.
[310] Ibid., p. 112.
[311] Vladimir Loukiaiev, Iounost, 1989, no 1, p. 71.
[312] N. Bougaï, op, cit., p. 115.
[313] Ibid., p. 129.
[314] Ibid., p. 131.
[315] Ibid., p. 133.
[316] Ibid., p. 134.
[317] Ibid., p. 135.
[318] Tachkentski Protsess, Biblioteka samizdata, no 7, p. 27.
[319] A. Vesnine, Iounost, 1989, no 8, p. 70.
[320] Tachkentski Protsess, op. cit., p. 27.
[321] A. Toptyguine, op. cit., p. 166.
[322] N. Bougaï, op. cit., p. 141.
[323] Ibid., p. 142-143.
[324] A. Vesnine, op. cit., p. 70.
[325] A. Toptyguine, op. cit., p. 166.
[326] Loubianka i Stalin, op. cit., p. 438-440.
[327] Minouvcheie, Moscou-Saint-Pétersbourg, Atheneum-Phenix, 1996, no 19, p. 332.
[328] N. Bougaï, op. cit., p. 153.
[329] Soiouz, 1990, no 38.
[330] Izvestia, 30 janvier 1989.
[331] N. Bougaï, op. cit., p. 156.
[332] Ibid., p. 161.
[333] Ibid., p. 91.
[334] Ibid., p. 92.
[335] Ibid., p. 164.
[336] Valentin Berejekov, Riadom so Stalinym, Moscou, Vagrius, 1999, p. 402-403.
[337] Edward Stettinius, Yalta, Roosevelt et les Russes, Paris, Gallimard, 1951, p. 207.
[338] Mathilde Aycard et Pierre Vallaud, Russie. Révolutions et stalinisme, p. 292.
[339] D. Volkogonov, Staline, édition française, Paris, Flammarion, 1992, p. 402-403.
[340] Minouvcheie, op. cit., no 5, p. 89-90.
[341] D. Volkogonov, Staline, édition russe, op. cit., t. 2, p. 410-411.
[342] D. Holloway, op. cit., p. 129.
[343] Ibid., p. 140.
[344] B. Sokolov, op. cit., p. 215.
[345] Les Nouvelles de Moscou, 1989, no 41.
[346] Molotov, Malenkov, Kaganovitch, 1957, op. cit., p. 45.
[347] A. Toptyguine, op. cit., p. 219.
[348] B. Sokolov, op. cit., p. 212-213.
[349] Ibid., p. 213.
[350] Zaklioutchonnye na stroïkakh kommunizma, op. cit., p. 16.
[351] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t.1, p. 86.
[352] Note à l’édition française des Mémoires de Khrouchtchev, op. cit., p. 107.
[353] M. Djilas, Conversations avec Staline, Paris, Gallimard, 1962, p. 120-121 et p. 175.
[354] Muzykalnaia Akademia no 4,1997, p. 77.
[355] R. Pikhoia, SSSR, Istoria vlasti, Moscou, RGAF, 1998, p. 46.
[356] Ibid., p. 46-47.
[357] Neizvestnaia Rossia, op. cit., t. 3, p. 73.
[358] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 1, p. 295-296.
[359] Alexandre Soljenitsyne, Le Premier Cercle, Paris, Robert Laffont, p. 109.
[360] Kirill Stoliarov, Golgotha, Moscou, 1991, p. 73-74.
[361] A. Soukhomlinov, op. cit., p. 119.
[362] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 524 et 626.
[363] Istoria stalinisma, Itogui i perspektyvy, Moscou, 1989, p. 455.
[364] Izvestia, 1991, no 1, p. 168-169.
[365] Pravda, 26 novembre 1992.
[366] Demidov, Koutozov, Lenigradskoie Delo, Leningrad, 1990, p. 118.
[367] B. Sokolov, op. cit., p. 230-231.
[368] I. Bounitch, Zoloto partii, Moscou, 1992, p. 154 ; V. Tortchinov, A. Leontiouk,
Saint-Pétersbourg, 2000,Vokroug Stalina, p. 547.
[369] Beria, 1953, p. 75.
[370] Les Nouvelles de Moscou, 1989, no 41.
[371] Lidia Golovkina, Soukhanovka, Moscou, Memorial, p. 34.
[372] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 2, p. 159.
[373] Boris Souvarine, Est-Ouest, 15-31 juillet 1957, p. 37.
[374] André Gromyko, Mémoires, Paris, Belfond, 1989, p. 302.
[375] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 508.
[376] Molotov, Malenkov, Kaganovitch, 1957, op. cit., p. 289.
[377] F. Tchouev, op. cit., p. 278.
[378] F. Tchouev, op. cit., p. 221.
[379] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 2, p. 127.
[380] Iouri Joukov, Nezavissimaia Gazeta, 21 décembre 1994.
[381] K. Stoliarov, Golgotha, op. cit., p. 77.
[382] K Stoliarov, Palatatchi i Jertvy, op. cit., p. 163.
[383] Ibid., p. 171.
[384] Ibid., p. 158.
[385] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., p. 296.
[386] Izvestia, 13 mars 1993.
[387] K. Stoliarov, Golgotha, op. cit., p. 37.
[388] Izvestia, 1991, no 1, p. 154.
[389] XIXe congrès du PCUS ; numéro spécial des Cahiers du communisme
(novembre 1952), p. 173 et 179.
[390] Felix Tchouev, Tak govoril Kaganovitch, Moscou, Otetchestvo, 1992, p. 64.
[391] Istoricheskii Arkhiv, 1993, no 4, p. 66.
[392] Istotchnik, no 5, 1997, p. 140-141.
[393] Izvestia, 1991, no 1, p. 142.
[394] Ibid.
[395] F. Tchouev, op. cit., p. 325.
[396] V. Berejkov, op. cit., p. 407.
[397] K. Stoliarov, Palatchi i Jertvy, op. cit., p. 78.
[398] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 2, p. 129.
[399] Edouard Radzinski, Stalin, Moscou, Vagrius, 1997, p. 613.
[400] Ibid., p. 617 ; D. Volkogonov, Staline, édition française, op. cit., p. 499.
[401] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 2, p. 131.
[402] Rgaspi, fonds 2, inventaire 1, dossier 136, feuillet 125.
[403] F. Tchouev, op. cit., p. 270 ; Sto sorok, op. cit., p. 326.
[404] Istoritcheski Arkiv, 1999, no 3, p. 42.
[405] Ibid., p. 43.
[406] K. Simonov, Glazami tcheloveka drougovo pokolenia, Moscou, Pravda, 1990,
p. 228.
[407] Rgaspi, fonds 2, inventaire 1, dossier 136, feuillet 125.
[408] Izvestia, no 2, 1991, p. 150-151.
[409] S. Allilouieva, Vingt lettres…, op. cit., p. 21.
[410] Voprossy Istorii, 1998, no 8, p. 3.
[411] Ibid.
[412] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 2, p. 157.
[413] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 128, 133 et 150.
[414] Stalin v obiatiahk semii, op. cit., p. 123.
[415] Arkadi Chevtchenko, Rupture avec Moscou, Paris, Payot, 1985, p. 90.
[416] Izvestia, 3 mars 1991.
[417] . Adjoubeï, À l’ombre de Khrouchtchev, op. cit., p. 103.
[418] Istoria SSSR s drevneishikh vremion do naszikh dnei, Moscou, 1971, t. 2, p. 208.
[419] Beria 1953, op. cit., p. 236.
[420] Istoritcheski Arkhiv, 1993, no 6, p. 28.
[421] Ibid., 1993, no 6, p. 37.
[422] Izvestia KPSS, 1991, no 1, p. 186 Passage supprimé du texte de Bakradzé revu et
corrigé in Beria 1953, op. cit., p. 1234.
[423] Ibid., p. 193 ; Beria 1953, op. cit., p. 133.
[424] Izvestia, 1991, no 1, p. 154 -155.
[425] Beria 1953, op. cit., p. 236.
[426] N. Khrouchtchhev, Vospominania, t. 1, p. 14.
[427] Voprossy Istorii, 1997, no 4, p. 29.
[428] Vladimir Boukovski, Et le vent reprend ses tours, Robert Laffont, 1978, p. 140 ;
Jugement à Moscou, Paris, Robert Laffont, 1995, p. 115.
[429] Izvestia, 1991, no 2, p. 151.
[430] O. Figès, op. cit., p. 587.
[431] XX sjezd KPSS io jego istoritcheslkie realnosti, Moscou, 1991, p. 13.
[432] Beria 1953, op. cit., p. 350-351.
[433] D. Volkogonov, Staline, édition russe, op. cit., t. 1, p. 478.
[434] Troud, 7 février 1989.
[435] A. Soukhomlimov, op. cit., p. 125.
[436] B. Sokolov, op. cit., p. 244.
[437] Piotr Chelest, Da ne soudymi boudete, Moscou, éditions Q, 1992, p. 111-112.
[438] Présidium 1954-1964, op. cit., p. 480-81, 483-84, 486, 488.
[439] Jozsef Lengyel, Deux communistes, Paris, Fayard, 1974, p. 85-86 et 173.
[440] Ibid., p. 567.
[441] Henri Shapiro, op. cit., p. 10-11, 28-29 et 32.
[442] F. Tchouev, Sto sorok, op. cit., p. 336.
[443] Beria 1953, op. cit., p. 161-162.
[444] Istoritcheski Arkhiv, 1998, no 3, p. 16.
[445] A. Toptyguine, op. cit., p. 265.
[446] Vladimir Nekrassov, Trinadtsat Jeleznikh narkomov, Moscou, Versty, 1995, p. 239.
[447] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 56.
[448] Beria 1953, op. cit., p. 19-21.
[449] V. Nekrassov, op. cit., p. 281.
[450] Molotov, Malenkov, Kaganovitch 1957, op. cit., p. 451 et 516.
[451] Beria 1953, op. cit., p. 25-28.
[452] A. Sakharov, op. cit., p. 189.
[453] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 1019-1020.
[454] Stalin v obiatiakh semii, op. cit., p. 124.
[455] Beria 1953, op. cit., p. 28-29.
[456] J. Mark, N. Petrov, op. cit., p. 360. La traduction anglaise remplace « sans
distinction » par « sans fondement ». La nuance est de taille ! Dans l’original russe on
admet les passages à tabac… mais pas aveuglément pour tous !
[457] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., p. 272-273.
[458] Beria 1953, op. cit., p. 30.
[459] Ibid., p. 35.
[460] Ibid., p. 41.
[461] Novy Journal, no 133, p. 220.
[462] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 64-65.
[463] Beria 1953, op. cit., p. 344.
[464] Izvestia, 1991, no 1, p. 196.
[465] S. Beria, Moï Otiets Beria, op. cit., p. 172.
[466] Izvestia, 1991, no 1, p. 155.
[467] Ibid., p. 185.
[468] Ibid., p. 158.
[469] Beria 1953, op. cit., p. 302 ; Izvestia, 1991, no 1, p. 204 et 205.
[470] Ibid., p. 193.
[471] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 67.
[472] Izvestia, 1991, no 1, p. 169.
[473] Ibid., p. 197.
[474] P. Soudoplatov, op. cit., p. 458.
[475] Tynou Tanberg, Politika Moskvy v Pribaltike, Moscou, Rosspen, 2010, p. 92.
[476] P. Soudoplatov, op. cit., p. 439. Soudoplatov ajoute : « Piotr Chelest en sa qualité
de secrétaire régional du parti de Kiev, avait réquisitionné un bateau appartenant aux
pompiers pour aller à la chasse et ne l’avait jamais restitué. » Là, Soudoplatov se trompe.
En 1953, Chelest était seulement le directeur de l’usine d’aviation de Kiev, et ne
deviendra secrétaire régional qu’en 1955 après avoir été nommé en février 1954
deuxième secrétaire du comité de ville de Kiev, un peu tard pour que Mechik, fusillé le
23 décembre 1953 avec Beria, puisse rien entreprendre contre lui !
[477] Ibid., p. 92.
[478] Troud, 7 février 1989.
[479] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 63.
[480] Pavel Soudoplatov, Razvedka i Kreml, Moscou, Teia, 1996, p. 405. Les éditeurs
américains des souvenirs de Soudoplatov, trouvant le ton de Beria trop courtois,
trafiquent la phrase et lui font dire : « Vous m’avez demandé de trouver un moyen pour
liquider Bandera et en même temps vos minables petits voyous [sic !] de Kiev et de Lvov
sont en train d’entraver toute action réelle contre les véritables opposants » (p. 436-437).
C’est une caricature. Beria ne parle pas de voyous dans le texte russe.
[481] Beria 1953, op. cit., p. 73.
[482] V. Berejkov, op. cit., p. 409.
[483] A. Toptchyguine, op. cit., p. 270.
[484] Beria 1953, op. cit., p. 47.
[485] Ibid., p. 48-49.
[486] Istoritcheski Arkhiv, 1993, no 6, p. 75 ; Beria 1953, op. cit., p. 52.
[487] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 37-38.
[488] Nikit Petrov, Po stenarii Stalina, Moscou, Rosspen, 2011, p. 256.
[489] Ibid., p. 257.
[490] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 388.
[491] Beria 1953, op. cit., p. 401.
[492] Andreï Gromyko, Mémoires, Paris, Belfond, 1989, p. 301.
[493] Izvestia, 1991, no 1, p. 162.
[494] Beria 1953, op. cit., p. 55-58.
[495] Ibid., p. 223.
[496] Ibid., p. 97.
[497] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 91.
[498] P. Soudoplatov, Missions spéciales, op. cit., p. 441-442.
[499] Beria 1953, op. cit., p. 61.
[500] Ibid., p. 61-62.
[501] Tibor Meray, Imre Nagy, l’homme trahi, Paris, Julliard, 1960, p. 13.
[502] Istoritcheski Arkhiv 1998, no 3, p. 9 et 13.
[503] Beria 1953, op. cit., p. 73.
[504] Istoritcheski Arkhiv, 1998, no 3, p. 13-16.
[505] Beria 1953, op. cit., p. 63-64.
[506] Ibid., p. 92.
[507] F. Tchouev, Conversations avec Molotov, op. cit., p. 283.
[508] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 67.
[509] Cahiers du mouvement ouvrier, mars 1999, no 5, p. 64-66.
[510] P. Soudoplatov, Missions spéciales, op. cit., p. 450.
[511] Kommersant-Vlast, 8 février 2000.
[512] Literatournaia Gazeta, 18 avril 1990.
[513] A. Mikoyan, op. cit., p. 586.
[514] Literatournaia Gazeta, 18 avril 1990 ; F. Tchoue, Conversations avec Molotov,
op. cit., p. 277, 280 et 283.
[515] Izvestia, 1991, no 2, p. 195.
[516] F. Tchouev, Conversations avec Molotov, op. cit., p. 281.
[517] A. Mikoyan, op. cit., p. 587.
[518] Izvestia, 1991, no 2, p. 150.
[519] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 1, p. 651-652.
[520] Beria 1953, op. cit., p. 64-66.
[521] P. Soudoplatov, Missions spéciales, op. cit., p. 424.
[522] Beria 1953, op. cit., p. 69.
[523] A. Mikoyan, op. cit., p. 587 ; F. Tchouev, Conversations avec Molotov, op. cit.,
p. 281.
[524] Tynou Tanberg, op. cit., p. 98.
[525] Beria 1953, op. cit., p. 149.
[526] Voprossy Istorii, 1998, no 8, p. 16.
[527] F. Tchouev, Conversations avec Molotov, op. cit., p. 283.
[528] Izvestia, 1991, no 1, p. 188.
[529] Molotov, Malenkov, Kaganovitch 1957, op. cit., p. 49.
[530] Moskovskie Novosti, 10 juin 1990 ; A. Mikoyan, op. cit., p. 586-588 ; F. Tchouev,
Conversations avec Molotov, op. cit., p. 282 ; Sovietskaia Estonia, 1er avril 1988 ; Troud,
25 décembre 1993.
[531] Izvestia, 1991, no 1, p. 161.
[532] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 661.
[533] Nedelia, 1997, no 22.
[534] Est-Ouest, 16-31 décembre 1961, no 269, p. 5-6.
[535] Philippe Robrieux, Histoire intérieure du parti communiste français, Paris, Fayard,
1984, t. 4, p. 91.
[536] A. Antonov-Ovseenko, Beria, Moscou, AST, 1999, p. 443.
[537] C. Simonov, op. cit., p. 275.
[538] Voprossy Istorii, 1998, no 8, p. 18.
[539] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 106 et 236.
[540] Moskovskie Novosti, 10 juin 1990.
[541] P. Soudoplatov, Missions spéciales, op. cit., p. 456-457.
[542] A. Stein, I nie tolko o niom, Moscou, Sovietski Pissatel, 1990, p. 221-222.
[543] C. Andrew et O. Gordievski, op. cit., p. 421.
[544] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 26.
[545] Ibid., p. 16.
[546] Ibid., p. 16-22 ; Beria 1953, op. cit., p. 72-78.
[547] Ibid., p. 22-23 et 79.
[548] Izvestia, 1991, no 1, p. 187 et 191.
[549] Ibid., p. 192.
[550] Ibid., p. 160 et 165.
[551] Ibid., p. 158-159.
[552] Ibid., p. 177.
[553] Ibid., p. 160.
[554] Ibid., p. 151 et 154.
[555] Ibid., p. 192.
[556] Ibid., p. 157.
[557] Ibid., p. 161 et 164-165.
[558] Ibid., p. 154-155 et p. 172.
[559] Ibid.
[560] Ibid., p. 155.
[561] Ibid., p. 153.
[562] Ibid., p. 178.
[563] Ibid., p. 195.
[564] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 94.
[565] A. Soukhomlinov, op. cit., p. 332.
[566] Istoritcheski Arkhiv, 1993, no 4, p. 15.
[567] Molotov, Malénkov, Kaganovitch 1957, op. cit., p. 135.
[568] D Volkogonov, Lénine, Moscou, Novosti, t. 2, p. 121-122.
[569] Izvestia, 1991, no 1, p. 166.
[570] Ibid.
[571] Ibid., p. 149.
[572] Ibid., no 1, p. 146, 149, 165, 177, 187, 190 ; no 2, p. 156.
[573] Ibid., no 1, p. 200-201.
[574] Ibid., no 1, p. 167-168 ; no 2, p. 148 et p. 189.
[575] Ibid., no 2 p. 191- 196.
[576] Ibid., p. 56.
[577] Ibid., p. 200-203.
[578] Ibid., no 1, p. 160.
[579] Kommersant-Vlast, 8 février 2000.
[580] Beria 1953, op. cit., p. 373-375.
[581] Voprossy Istorii, 1998, no 8, p. 19.
[582] Molotov, Malenkov, Kaganovitch 1957, p. 133 et 137.
[583] O. Troianovski, op. cit., p. 172.
[584] Istoria Stalinskogo goulaga, Moscou, Rosspen, 2004, t. 6, p. 434-435.
[585] Ibid., p. 442,447,449, 458.
[586] Vladimir Krioutchkov, Litchnoe Delo, Moscou, Olympe, 1996, p. 29.
[587] Istoritcheski Arkhiv, 1998, no 3, p. 35.
[588] Giulio Seniga, Togliatti e Stalin, Milan, Sugar Editore, 1961, p. 401-402.
[589] Dominique Desanti, Les Staliniens, Paris, Fayard, 1975, p. 379.
[590] Valentin Ossipov, Cholokhov, Moscou, Molodaia Gvardia, 2005, p. 414.
[591] A. Stein, op. cit., p. 227.
[592] Voprossy Istorii, 1998, no 8, p. 21.
[593] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 34-35.
[594] Ibid., p. 651.
[595] Ibid., p. 68-69 et 81.
[596] Ibid., p. 285 et 437.
[597] Ibid., p. 37.
[598] Ibid., p. 64-65.
[599] Ibid., p. 61-62.
[600] Ibid., p. 248-250.
[601] Ibid., p. 921.
[602] Ibid., p. 70.
[603] A. Soukhomlinov, op. cit., p. 150-151.
[604] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 248-249.
[605] Ibid., p. 38, 66 et 106.
[606] Ibid., p. 66.
[607] Ibid., p. 38 et 67.
[608] Pïotr Deriabine, Policier de Staline, Paris, Fayard, 1966, p. 150. Il prétend ainsi que
le chef de la garde personnelle de Staline, Vlassik, est « limogé en 1947 sous prétexte
qu’il a forcé la porte de la datcha de Staline pour un motif personnel » (p. 108). Or il est
limogé cinq ans plus tard et accusé de dissimulation de documents Selon Deriabine,
Abakoumov, qu’il appelle Avakoumov, « mêlé à un complot anticommuniste contre
Beria, est relevé de ses fonctions en 1951 », tellement relevé qu’il est même arrêté, mais
nullement accusé de « complot anticommuniste contre Beria, mais de complot
nationaliste juif pour noyauter la Sécurité d’État au compte du sionisme !
[609] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 58.
[610] Ibid., p. 60.
[611] Ibid., p. 67.
[612] Ibid., p. 76-77.
[613] Ibid., p. 60.
[614] Ibid., p. 98.
[615] Ibid., p. 78.
[616] Ibid., p. 106 et 662.
[617] A. Soukomlinov, op. cit., p. 188.
[618] Ibid., p. 951.
[619] Ibid., p. 217 et 962.
[620] Ibid., p. 62.
[621] Poliburo i delo Beria, op. cit., p. 62-63 et 76.
[622] Ibid., p. 76-77.
[623] Ibid., p. 94-95.
[624] Ibid., p. 313.
[625] Ibid., p. 92.
[626] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 75-79.
[627] Ibid., p. 80 et 91.
[628] Ibid., p. 661.
[629] Ibid., p. 304.
[630] Ibid., p. 279.
[631] Ibid., p. 257.
[632] Ibid., p. 326, 627 et 798.
[633] Ibid., p. 304.
[634] Ibid., p. 320.
[635] Ibid., p. 380 et 919.
[636] Ibid., p. 649.
[637] Ibid., p. 1022-1023.
[638] Ibid., p. 219.
[639] Ibid., p. 152 et 156.
[640] Ibid., p. 289.
[641] Ibid., p. 291.
[642] Ibid., p. 281.
[643] Ibid., p. 365.
[644] Ibid., p. 401-403.
[645] Ibid., p. 442.
[646] Ibid., p. 422.
[647] Ibid., p. 487.
[648] Ibid., p. 273 et 505.
[649] Ibid., p. 508.
[650] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 509-510.
[651] Neizvestnaia Rossia, op. cit., t. 2, p. 111.
[652] Poliburo i delo Beria, op. cit., p. 550.
[653] A. Soukhomlinov, op. cit., p. 301.
[654] Ibid., p. 295.
[655] Ibid., p. 296.
[656] Ibid., p. 304.
[657] Ibid., p. 307.
[658] Ibid., p. 308.
[659] Ibid., p. 316.
[660] A. Antonov-Ovseenko, op. cit., p. 446.
[661] A. Soukhomlinov, op. cit., p. 338.
[662] Ibid., p. 339.
[663] Ibid., p. 341.
[664] Ibid., p. 344.
[665] Ibid., p. 345.
[666] Ibid., p. 391.
[667] Neizzvestnaia Rossia, op. cit., t. 3, p. 49.
[668] Ibid., p. 56.
[669] A. Soukhomlinov, op. cit., p. 395.
[670] Beria, Koniets Kariery, op. cit., p. 410.
[671] A. Soukhomlinov, op. cit., p. 382-384.
[672] Beria, Koniets Kariery, op. cit., p. 411.
[673] D. Volkogonov, Sem vojdeï, Moscou, Novosti, 1999, t. 1, p. 355.
[674] Moskovski Novosti, 10 juin 1990.
[675] Sovietskaia Estonia, 31 mars 1988.
[676] Louis Aragon, Histoire de l’URSS, Paris, Presses de la Cité, 1962, t. 2, p. 145.
[677] Politburo i delo Beria, op. cit., p. 728.
[678] Ibid., p. 791.
[679] Ibid., p. 742.
[680] Ibid., p. 817.
[681] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 1, p. 641.
[682] Ibid., p. 651.
[683] Izvestia, 29 janvier 1993.
[684] Nicolas Werth, Histoire de l’Union soviétique, Paris, PUF, 2001, p. 418.
[685] A. Toptyguine, op. cit., p. 477-478 ; N. Werth, G. Moullec, op. cit., p. 602-603.
[686] Pierre Daix, Les Hérétiques du PCF, Paris, Robert Laffont, 1980, p. 330.
[687] Ibid., p. 329-330.
[688] K. Stoliarov, op. cit., p. 68.
[689] A. Martchenko, Mon témoignage, Paris, Le Seuil, 1970, p. 136-137.
[690] D. Volkogonov, op. cit., t. 1, p. 356.
[691] Présidium KPSS, 1954-1964, Moscou, Rosspen, 2004, t. 1, p. 35.
[692] Ibid., p. 39.
[693] Pravda, 27 mai 1955.
[694] Istoritcheski Arkhiv, 1999, no 5, p. 32.
[695] N. Khrouchtchev, Vospominania, op. cit., t. 2, p. 189-190.
[696] Henry Shapiro, L’URSS après Staline, Paris, NRF, 1954, p. 50, 65 et 70.
[697] B. Lazitch, op. cit., p. 128-131.
[698] Sur le culte de la personnalité, Paris, Éditions sociales, 1956, p. 22.
[699] Le Peuple libre, 29 mars 1956.
[700] Thomas Schreiber, Enver Hodja, Le Sultan rouge, Paris, JC Lattès, 1994, p. 144.
[701] P. Broué, J.-J. Marie, Balasz Nagy Pologne-Hongrie, 1956, Paris, EDI, 1966, p. 10-
11.
[702] Giuseppe Boffa, Le Grand Tournant, Paris, Maspéro, 1960, p. 61.
[703] Znamia, 1992, no 8, p. 171-172.
[704] Molotov, Malenkov, Kaganovitch 1957, op. cit., p. 201-202, 241, 293-294, 349,
356, 381-383, 454, 480, 490.
[705] Ibid., p. 419.
[706] XXIIe congrès du PCUS, Cahiers du communisme, décembre 1961, p. 99 et 508.
[707] Khrouchtchev et la culture, Paris, Preuves, 1963, p. 47.
[708] Berkhine, Belenkine et Kim, Istoria SSSR, Moscou, 1969, p. 221-222.
[709] S. Beria, Moï Otiets Beria, op. cit., p. 183-184.
[710] A. Toptyguine, op. cit., p. 289-290.
[711] Istotchnik, 1995, no 1, p. 123-130.
[712] VIKPSS, 1990, mars, no 3.
[713] S. Beria, Moï Otiets Beria, op. cit., p. 16.
[714] Ibid., p. 288-289.
[715] Ibid., p. 173 ; S. Beria, Beria mon père, op. cit., p. 108.
[716] Ibid., p. 217 ; S. Beria, Beria mon père, op. cit., p. 267.
[717] Ibid., p. 99 et 103.
[718] Ibid., p. 99.
[719] Ibid., p. 368.
[720] S. Beria, Beria mon père, op. cit., p. 324-325.
[721] A. Toptyguine, op. cit., p. 364.
[722] Arden Martirossian, Sto mifov o Berii, Moscou, Vetche, 2010, t. 1, p. 4.
[723] Ibid., t. 2, p. 30.
[724] Iouri Moukhine, Oubistvo Staline i Beria, Moscou, Krymski most, 2007, p. 6.
[725] Hélène Blanc et Renata Lesnik, Les Prédateurs du Kremlin, Paris, Le Seuil, 2009,
p. 54-56.
INDICE
Page de titre 2
Copyright 3
DU MÊME AUTEUR 4
INTRODUCTION 6
I. UNE JEUNESSE OBSCURE 12
II. DÉBUTS POLICIERS 18
III. DU GUÉPÉOU À L’APPAREIL DU PARTI 35
IV. LES PURGES SANGLANTES 50
V. EN ROUTE VERS MOSCOU 72
VI. LE RÉGULATEUR DE LA RÉPRESSION ET DU GOULAG 86
VII. LA GUERRE QUI VIENT 118
VIII. LES LENTS CONVOIS DES « PEUPLES-TRAÎTRES » 139
IX. LE PARRAIN DE LA BOMBE ATOMIQUE SOVIÉTIQUE 154
X. UNE AGONIE MENAÇANTE 175
XI. UNE MORT ASSISTÉE 184
XII. L’IMPROBABLE HÉRITIER 191
XIII. LE FAUX COMPLOT DE BERIA 212
XIV. LE VRAI COMPLOT DE KHROUCHTCHEV 221
XV. L’ARRESTATION 237
XVI. L’ABSENT OMNIPRÉSENT 248
XVII. DES LENDEMAINS QUI CHANTENT ? 259
XVIII. UN PROCUREUR À LA PEINE 264
XIX. UN PROCÈS TRUQUÉ 282
XX. BERIA POST MORTEM 294
CHRONOLOGIE 310
BIBLIOGRAPHIE 314
Notes 316