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L E ROMAN FRANÇAIS
DE L ' EXTRÊME CONTEMPORAIN
ÉCRITURES , ENGAGEMENTS , ÉNONCIATIONS
SOUS LA DIRECTION DE
B ARBARA H AVERCROFT,
PASCAL M ICHELUCCI ET PASCAL R IENDEAU
LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN :
ÉCRITURES, ENGAGEMENTS, ÉNONCIATIONS
LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN :
ÉCRITURES, ENGAGEMENTS, ÉNONCIATIONS
EST LE TROISIÈME TITRE
DE LA COLLECTION CONTEMPORANÉITÉS
DIRIGÉE PAR RENÉ AUDET
René AUDET
Yves BAUDELLE
Bruno BLANCKEMAN
Florence DE CHALONGE
Jean-Michel DEVÉSA
Robert DION
Catherine DOUZOU
Valérie DUSAILLANT-FERNANDES
Frances FORTIER
Bertrand GERVAIS
Barbara HAVERCROFT
Liesbeth KORTHALS ALTES
Andrée MERCIER
Pascal MICHELUCCI
Warren MOTTE
Élisabeth NARDOUT-LAFARGE
Joëlle PAPILLON
Pascal RIENDEAU
Catherine RODGERS
Gianfranco RUBINO
Gill RYE
Ralph SARKONAK
Dominique VIART
Sous la direction de
BARBARA HAVERCROFT,
PASCAL MICHELUCCI ET PASCAL RIENDEAU
Le roman français
de l’extrême contemporain
Écritures, engagements, énonciations
Barbara Havercroft,
Pascal Michelucci et Pascal Riendeau
Université de Toronto
1. Les articles de cet ouvrage collectif ont d’abord été présentés, dans une
version plus courte, à un colloque international intitulé « Enjeux du roman de
l’extrême contemporain. Écritures, engagements, énonciations », tenu à
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LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
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FRONTIÈRES DU ROMAN, LIMITES DU ROMANESQUE
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LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
provoquent le lecteur – au sens d’un appel qui lui est lancé – par
une intégration explicite de problématiques sociales ou poli-
tiques. Ces derniers, il est vrai, peuvent représenter des cas
limites du roman. Sans que nous puissions les réduire à une
cause ou une idéologie, ils transforment certains événements en
problématique et en font un élément de la texture romanesque.
À l’inverse, les romans qui pensent procèdent autrement ; ils
peuvent adopter la forme du roman essayistique, c’est-à-dire une
œuvre qui laisse les pensées et les idées s’infiltrer dans la
narration, la rendant ainsi plus méditative. En revanche, d’autres
sont construits comme de longues œuvres idéelles novellisées par
la narration et par une mise en fiction. C’est le cas de l’œuvre de
Pierre Senges qu’analyse Élisabeth Nardout-Lafarge, dont
l’hypothèse constitue la règle de départ. La réfutation majeure
propose une sortie du romanesque par le commentaire, mais
revient au roman comme seul lieu possible d’exploration d’une
proposition anachronique mais séduisante : et si la découverte de
l’Amérique n’était qu’un leurre ? Quant au projet de François
Taillandier, La grande intrigue, Pascal Riendeau le conçoit
comme un excellent exemple d’un nouveau roman essayistique.
Il voit dans la pentalogie (inachevée pour l’instant) de Taillandier
une véritable traversée du roman moderne, qui ne rejette aucune
forme, si désuète puisse-t-elle paraître ; le roman devient alors le
lieu d’exploration privilégié d’hypothèses sociologiques et de
réflexions esthétiques ou éthiques.
Les romans qui provoquent (ou romans de l’appel) soulèvent
des questions conflictuelles, pour ne pas dire controversées
relatives à l’engagement et au politique dans la littérature de
l’extrême contemporain. Plusieurs estiment que l’engagement en
littérature est disparu, irrémédiablement entraîné du côté des
notions périmées et dont le retour paraît impossible. D’aucuns
tiennent pourtant à suggérer un discours plus nuancé afin d’ou-
vrir la perspective du social et du politique dans la littérature de
fiction. Nous avons ici deux points de vue qui se rapprochent sur
le fond, puis qui divergent sur l’interprétation à donner sur le
sujet : d’un côté, Dominique Viart croit que les formes d’engage-
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FRONTIÈRES DU ROMAN, LIMITES DU ROMANESQUE
L’ÉCRITURE DU JEU
Warren Motte a montré comment, à l’âge de la « banque-
route de la représentation traditionnelle » (1999 : 13), les pra-
tiques de jeu avec les formes de la narration, depuis l’invention
comique jusqu’au renouveau expérimental des narrations paral-
lèles, qu’elles prennent possession de nouveaux médias ou fractu-
rent l’objet livre, redeviennent des modes d’expression artistique
culturellement essentiels. La multiplication des points de vue,
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FRONTIÈRES DU ROMAN, LIMITES DU ROMANESQUE
L’ÉCRITURE DU RÉEL
Dans un ouvrage récent qui a bénéficié d’un large écho
critique, William Marx souligne qu’on « est aujourd’hui aussi
convaincu que le langage n’a pas de rapport avec la réalité qu’on
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FRONTIÈRES DU ROMAN, LIMITES DU ROMANESQUE
L’ÉCRITURE DE SOI
Toute étude du roman français de l’extrême contemporain
doit nécessairement tenir compte de « l’écheveau complexe des
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FRONTIÈRES DU ROMAN, LIMITES DU ROMANESQUE
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FRONTIÈRES DU ROMAN, LIMITES DU ROMANESQUE
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Narrative ».)
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LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
Florence de Chalonge
Université Charles-de-Gaulle–Lille 3
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LA DERNIÈRE DURAS
L’œuvre durassienne des quinze dernières années reste d’une
grande diversité et d’une étonnante fécondité, quand on connaît
l’âge et l’état de santé de cette femme née en 1914, qui surmonte
une cure de désintoxication alcoolique, en 1982, puis se réveille
d’un long coma, en 1989. Dans la liste des trente ouvrages
qu’elle publie durant cette période, on voit apparaître des textes
aux modalités d’écriture jusqu’alors inédites. D’une part, elle
inaugure une écriture logée dans un entre-deux du fictionnel et
du vécu, à caractère rétrospectif. L’amant et L’amant de la Chine
du Nord (1989) nous donnent le « roman familial » (Freud,
[1909] 1973) de l’auteur ; La douleur (1985), les années de
guerre ; Yann Andréa Steiner, paru en 1992, revient sur l’épisode
de la rencontre, douze ans plus tôt, entre « le très jeune Yann
Andréa Steiner et cette femme qui faisait des livres » (Duras,
[1992] 2001 : 16). Mais ce dernier livre ne se contente pas de
remonter le temps, il appartient à un second registre, plus specta-
culaire, et déjà bien rodé, qui consiste pour l’auteur à proposer
des livres installés dans son actualité même. L’été 80 (1980), La
pute de la côte normande (1986)1, Emily L. (1987), ainsi que le
dernier texte durassien qu’est le court journal de C’est tout
(1995) mettent en scène un couple, celui du jeune homme et de
l’écrivain, décrit dans l’exercice de sa vie quotidienne, pris dans
les difficultés d’une écriture à venir, absorbé par les affabulations
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DURAS ET L’ENTRETIEN
Cette littérature qui prend place dans la bibliographie de
Marguerite Duras au même titre que les romans, les récits, les
scénarios, les pièces de théâtre et les films, ces quatre livres que
sont Les parleuses, Les lieux, La vie matérielle et Écrire, ont en
réalité une seule et même origine, celle de l’entretien ; de cet en-
tretien d’écrivain dont la pratique est introduite en France à la
fin du XIXe siècle (Yanoshevsky, 2004). Parole vive, où le sens est
produit en collaboration, parole partagée au point où l’on ne
sache plus vraiment à qui attribuer le propos délivré, l’entretien
chez Marguerite Duras affiche et revendique ce caractère
d’échange dialogal à son apparition dans les années 1970. À l’in-
térieur d’un préambule aux Parleuses, Xavière Gauthier emploie
le « nous » pour introduire ces « deux discours [qui] se che-
vauchent, se piétinent, s’interrompent l’un l’autre, se répondent
comme en écho, s’harmonisent, s’ignorent […] » ; elle glose
même le pronom pluriel et précise : « beaucoup de questions […]
mettaient en jeu beaucoup de choses en nous. (Je dis “nous”, car
il est évident que Marguerite Duras me pose au moins autant de
questions que je le fais et que j’y suis impliquée autant qu’elle) »
(Duras et Gauthier, 1974 : 7, 10). À cet égard, Les parleuses sont
proches du roman de facture dialoguée des années 1970, de
Détruire dit-elle, où la « surdétermination de l’interaction
verbale » (Wahl, 2001 : 187) – c’est-à-dire le partage de la parole
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LA DERNIÈRE DURAS : AUTOUR D’UN ROMAN DE L’ENTRETIEN
JE ET VOUS
Commentant L’homme assis dans le couloir, ce texte érotique
qui, en 1980, représente son retour à l’écrit, l’auteur insiste sur
la nécessité de faire valoir les droits d’« une personne qui voit et
qui raconte » (Lamy et Roy, [1981] 1984 : 37). Elle introduit
pour ce faire un « je », absent de la première version du texte,
écrite en 1962. Originale, la position de cette voix, qui n’existe
pas comme personnage, semble tout droit venue de l’écriture fil-
mique. Dans ce livre, en effet, l’énonciation écrite correspond à
la fois à une figure de spectateur (à un voir pour le dire) et à une
figure d’auteur (à un dire au-delà du voir). D’un côté, la voix s’en
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6. Il n’y a pas de « vous » non plus dans La pute de la côte normande, mais
le compagnon y est là aussi nommé : « il n’y avait rien dans ma vie qui avait été
aussi illégal que notre histoire, à Yann et à moi » (1986b : 18-19).
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qui n’écrit pas8 », celui qui sait tout de l’écriture sans écrire,
occupe la position idéale de l’intervieweur chargé de recueillir la
parole de l’auteur ; instruit de la vie d’écrivain, il est voué à la
faire connaître : écrire, « — C’est une question d’orgueil »,
suggère-t-il, « — Pour le premier livre, sans doute, oui […] mais
après […] c’est aussi une question de peur […]. Je ne sais pas »,
conclut l’écrivain (1987 : 58).
Suivant le protocole de l’entretien d’écrivain, le « vous »
s’applique donc à faire surgir les certitudes et les doutes d’un
auteur soumis à la question. Et comme dans un entretien clas-
sique, le lecteur aurait dû pouvoir porter son attention sur cette
figure de l’auteur. Or la seule description (définie) qui, dans le
livre, qualifie le « je » renvoie à « moi, la femme de ce récit, celle
qui est à Quillebeuf cet après-midi-là avec vous, cet homme qui
me regarde » (1987 : 14). Ainsi cet homme qui la regarde ne trace
pas le portrait de l’écrivain : le « je » auctorial n’est pas allé jusqu’à
faire naître, dans le regard du « vous » qui l’entretient, le visage et
le corps de la « femme » impliquée par l’histoire. Par contraste,
celle qui est l’écrivain impose à son vis-à-vis, à l’écrivain qui
n’écrit pas mais fait l’intervieweur, le passage du « vous » au « il ».
L’un des « amants » devient pour le lecteur personnage « de ce
récit » (1987 : 24). Il prend les traits d’un « homme aux yeux
rieurs et aux cheveux blonds », celui qui a tantôt « les mains
jointes sous le menton, très blanches, très belles », tantôt ce
« sourire dans [les] yeux », celui qu’une réplique fait « pâli[r], là,
autour de la bouche. Très peu. Mais c’est arrivé » (1987 : 24, 14,
10, 129, 23).
En raison de cette assignation des rôles dans l’interlocution,
par le statut auctorial du « je », et la vocation de personnage du
« vous », on ne peut assimiler Emily L. aux romans dialogués dont
Marguerite Duras inaugure l’écriture dans les années 1950, avec
Le square, et dont on retrouve la facture dans Moderato cantabile
ou Détruire dit-elle. Bien que la catégorie ne soit pas attestée, on
peut parler ici d’un roman de l’entretien, car le « vous » y est bien
8. Sur cette figure de « l’écrivain qui n’écrit pas », voir Fourton (2007).
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10. On pense aux trois grands essais placés sous le signe du romanesque
que sont Roland Barthes par Roland Barthes ([1975] 1994), Fragments d’un
discours amoureux ([1977] 1994), La chambre claire ([1980] 1994).
11. « Une fois clos le cycle des “Mythologies” je ne suis plus arrivée à le
lire », confirme-t-elle ([1987] 2005 : 42). Mais citer Barthes, n’est-ce pas aussi
pour Duras nous signifier la dette de La vie matérielle envers les Mythologies ?
Un rapide examen des rubriques des deux livres en convainc – dont « Le Steak
vert » qui fait écho au célèbre « Le Bifteck et les frites » de 1957.
12. Pour la question du roman et les diverses acceptions du romanesque
chez Barthes, voir Macé et Gefen (2002).
13. Barthes déclare : « […] ce qui vraiment me séduirait, ce serait d’écrire
dans ce que j’ai appelé “le romanesque sans le roman”, le romanesque sans les
personnages : une écriture de la vie, qui d’ailleurs pourrait retrouver peut-être
un certain moment de ma propre vie, celui où j’écrivais par exemple les
Mythologies » ([1971] 1994 : 1292).
14. Un biographique qui, cependant, et à la manière du Roland Barthes, se
défie absolument du récit ; sur cette question, voir de Chalonge (2006).
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Pascal Riendeau
Université de Toronto
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LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
UN ROMAN DE L’ENTRE-DEUX
Dans sa conception d’ensemble, La grande intrigue s’éloigne
du roman-cycle constitué à posteriori comme La comédie hu-
maine, mais peut se rapprocher du roman-fleuve, tant par son
ampleur prévue que par l’ambition avouée de son auteur d’en
faire un tout homogène et même symétrique : chaque tome
comptera 11 chapitres, pour un total de 55, comme le nombre
d’années parcourues (de 1955 à 2010). Cependant, il s’en dif-
férencie légèrement au sens où l’autonomie de chaque ouvrage
demeure très grande et que l’ordre de lecture n’est pas non plus
déterminant. Créer un nouveau type de roman-fleuve n’a de sens
pour un romancier du XXIe siècle que s’il en assume les contra-
dictions : une chronologie bien circonscrite et une linéarité
brisée ; une architecture d’ensemble minutieusement calculée et
des fragments narratifs ; une organisation spatiale très cohérente
et une temporalité éclatée, qui recourt à de multiples analepses
et prolepses. De plus, l’enchaînement des épisodes reste variable,
voire aléatoire, et semble relever davantage de la juxtaposition, à
laquelle s’ajoute un décentrement, que d’un principe de cau-
salité. Cette démarche s’inscrit bien dans ce que Milan Kundera
appelle un esprit de continuité3 avec l’ensemble des œuvres
3. « L’esprit du roman est l’esprit de continuité : chaque œuvre est la
réponse aux œuvres précédentes, chaque œuvre contient toute expérience
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LE ROMAN ESSAYISTIQUE
La présence significative de l’essai dans La grande intrigue en
fait une méditation sur le monde actuel. Taillandier reprend la
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L’OPTION PARADIS
Dans Option Paradis, des parties essayistiques tiennent aussi
de l’analyse sociologique, notamment quand le narrateur prend
en charge le discours. Ce qui distingue ce type d’essai des autres,
c’est non seulement son recours plus marqué aux sciences
sociales, mais aussi une distance affichée entre l’observateur et
son sujet. Chapitre au titre peu romanesque, « Mutations socio-
logiques dans la commune de Villefleurs (94) » constitue un long
commentaire sur la banlieue qui reprend indirectement le
concept de « l’homme-caddie » développé dans Les clandestins.
Phénomène marquant de la civilisation occidentale au XXe siècle,
le village rattrapé par la banlieue dont Villefleurs est le modèle –
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LE CINQUIÈME MONDE
On ne remarque aucune rupture entre Option Paradis et
Telling ; la question initiale que met en jeu le deuxième roman est
simple : qu’est-ce qu’un telling ? D’après la définition tirée d’un
dictionnaire fictionnel qu’on retrouve en épigraphe du roman,
c’est un « récit propre à donner un sens et une valeur aux actes,
aux comportements et aux processus de la vie. Un telling fami-
lial, historique, individuel » (TEL : 7). Semblable à la pratique
kundérienne des mots clés (nouveaux ou redéfinis), la stratégie
de Taillandier consiste à explorer dans le roman ce néologisme à
la fois très précis dans sa conception et qui, ironiquement,
devient vite galvaudé par les personnages qui le reprennent (sans
vraiment savoir d’où il vient) et tentent de l’appliquer à toutes
les circonstances possibles. Pourquoi ce néologisme ? « Le terme
de telling a bien son utilité. On pourrait certes parler d’idéologie,
de récit fondateur, de morale, de discours identitaire ; seulement
aucun des mots à lui seul ne recouvre tout le territoire désigné
par le mot telling » (TEL : 278). Initialement attribuée au per-
sonnage du prophète, la notion de telling trouve ici une justifi-
cation, quand elle est reprise par le narrateur transformé en
essayiste à la fin du roman. Il donne donc une pertinence sup-
plémentaire à ce mot clé en montrant de quelle façon le telling
permet surtout de créer du sens nouveau.
À l’intérieur des deux autres chapitres essayistiques, ce qui
change du premier au deuxième tome, c’est la voix privilégiée.
Dans Telling, les propos de Charlemagne ne nous sont plus
donnés en discours direct ; ils sont présentés et commentés en
discours indirect par le narrateur, puis repris par celui-ci, qui
semble associer ses propres idées à celles de son personnage. Le
détachement clair entre la voix du prophète et celle du narrateur
dans Option Paradis s’atténue dans Telling. Le rapprochement
entre les deux devient plus évident lorsque le narrateur décrit ou
analyse le plus récent livre de Charlemagne sur la fin de l’option
Paradis, publié en 2002, qui inclut un recensement de faits très
récents prouvant sa nouvelle théorie :
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ÉTHIQUE ROMANESQUE
La présence d’une voix essayistique soutenue par un ques-
tionnement éthique (ou moral) dans un roman ébranle-t-elle le
principe du jugement moral suspendu ? Pour Kundera, « suspen-
dre le jugement moral ce n’est pas l’immoralité du roman, c’est
sa morale. […] Non que le romancier conteste, dans l’absolu, la
légitimité du jugement moral, mais il le renvoie au-delà du
roman » (1993 : 16). Paul Ricœur avait développé une idée ana-
logue qu’il explique d’une manière particulièrement éclairante
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CONTINUITÉ ROMANESQUE
Roman familial décentré, La grande intrigue est également
un roman sans centre. Certes, Nicolas Rubien et Louise Herdoin
occupent une place plus importante que les autres personnages,
mais toute l’intrigue ne gravite pas autour d’eux. L’événement
initial – leur rencontre dans la maison familiale de Vernery-sur-
Arre – constitue une illustration assez évidente de leur rupture
avec la morale familiale, mais surtout la possibilité de créer un
nouveau telling. L’absence de centre dans le roman s’explique par
un refus de respecter à la fois la chronologie des événements – les
chapitres paraissent plutôt juxtaposés – et la logique narrative.
Par exemple, il n’existe aucun préambule à La grande intrigue,
mais une « préface » apparaît inopinément au milieu du troisième
tome. En revanche, ce qui lui donne une cohésion, ce sont les
essais, les hypothèses de Charlemagne, mais aussi l’accent mis sur
l’étude des mœurs et la réflexion éthique. Taillandier s’inscrit
sans doute dans une tradition bien française, celle d’une littéra-
ture moraliste qui, de Blaise Pascal à François Mauriac, « dénonce
les faux-semblants immoraux de la morale » (Blondel, 1999 : 19).
L’auteur s’engage encore plus clairement dans la continuité du
roman, qui n’exclut d’ailleurs pas la reprise de situations ou
d’idées de ses textes antérieurs. En plus de son mélange de
subjectivité et de réalisme assez caractéristique du roman de
l’extrême contemporain – l’apparition de l’auteur à la fin de
Telling en est l’exemple le plus éloquent – La grande intrigue
donne peut-être lieu (malgré un anachronisme apparent) à une
nouvelle conception d’un roman de l’humanité.
DE L’OPTION PARADIS AU CINQUIÈME MONDE
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L’ENGAGEMENT LITTÉRAIRE
CONTEMPORAIN –
À PROPOS DE DAEWOO DE FRANÇOIS BON
ET PRESQUE UN FRÈRE
DE TASSADIT IMACHE
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« REJOINDRE LE RÉEL » :
DAEWOO, DE FRANÇOIS BON
Un des intérêts de l’œuvre de Bon réside dans son désir de
faire intervenir la littérature dans la réalité sociale au moyen,
justement, du travail sur la langue et sur les perceptions particu-
lières du monde que les différents emplois de la langue permet-
tent d’exprimer. Toute une série d’œuvres – textes à lire et pour
le théâtre, composés à partir de sa propre expérience, de ses lec-
tures et de ses ateliers d’écriture avec des détenus ou des SDF,
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5. « “Et là commençay à penser qu’il est bien vray ce que l’on dit, que la
moitié du monde ne sçay comment l’aultre vit”, François Rabelais, Pantagruel,
1532 » (cité dans D : 7).
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6. « Parler pour », entretien avec J.-Cl. Lebrun (1998), [En ligne], [http://
www.tierslivre.net/arch/itw_Lebrun.html] (2 février 1010).
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discours que les représentants de l’Office lui ont tenu (et qui
porte sur les banlieusards dont elle fait partie) quand ils sont
venus lui demander des renseignements après la disparition du
gardien, mis en pièces par « le troupeau » :
votre sensiblerie […], elle vous tient lieu de conscience,
l’universitaire nous l’a dit […]. Votre vie coïncide avec la Vie,
dites-vous, dans ces chansons populaires, de la fierté et des
larmes dans la voix. Vous êtes à la fois inventeurs et utilisa-
teurs de la chose sentimentale. Nous apprécions chez vous ce
goût inné, chaque fois renouvelé, pour l’émotion et l’anec-
dote. C’est chez vous plus qu’un penchant, une marque géné-
tique. À cela nous ne pouvons toucher (P : 131).
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LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
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L’ENGAGEMENT LITTÉRAIRE CONTEMPORAIN
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L’ENGAGEMENT LITTÉRAIRE CONTEMPORAIN
Élisabeth Nardout-Lafarge
Université de Montréal
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LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
LA CONTRAINTE GÉNÉRIQUE
Identifié comme un « roman » par les recensions critiques qui
soulignent ainsi le caractère fictif du manuscrit, le livre de Senges
met en place un dispositif générique beaucoup moins univoque.
À considérer le paratexte et la disposition des chapitres, le prière
d’insérer intitulé « Présentation des éditeurs », le sous-titre qui
apparaît sur la première page : « Version française d’après Refu-
tatio major attribué à Antonio de Guevara (1480-1548) », et la
postface que suit, en fin de volume, une coda, La réfutation
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LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE
ET LA QUESTION DU POLITIQUE
Dominique Viart
Université Charles-de-Gaulle–Lille 3
LITTÉRATURE FORMELLE
OU LITTÉRATURE ENGAGÉE ?
L’évaluation du lien entre littérature et politique dans les
années 1960-1970 est complexe. Nul ne niera la proximité des
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PRÉSENCES DU POLITIQUE
DANS LE CHAMP LITTÉRAIRE CONTEMPORAIN
De fait, la littérature contemporaine propose, à côté de ces
textes intimes ou nombrilistes qui ont longtemps alimenté les
médias et les polémiques, d’autres œuvres, non moins insistantes
mais peut-être moins médiatiquement repérées, qui prennent
largement en compte le fait social : ce sont, dès 1982, celles de
François Bon et de Leslie Kaplan (Sortie d’usine et L’excès-l’usine),
suivies par celles de Jean-Paul Goux (Mémoire de l’enclave, 1986),
d’Aurélie Filippetti (Les derniers jours de la classe ouvrière, 2003),
de Franck Magloire (Ouvrières, 2002). Auxquelles il convient
d’ajouter des textes et non des moindres, qui ont contribué à
façonner largement le paysage littéraire contemporain : ceux
d’Annie Ernaux (La place, Une femme, L’événement), tous impré-
gnés d’une conscience sociopolitique très aiguë, et qui se pensent
eux-mêmes dans l’articulation de l’ethnographie et de la littéra-
ture (voir Baudorre, Rabaté et Viart, 2007), ou encore les Vies
minuscules de Pierre Michon (1984) qui offrent à la littérature
un domaine populaire et rural oublié depuis les années 1930,
sinon par les « récits de vie » (Pierre Jakez-Hélias, Le cheval d’or-
gueil) qui contribuèrent au mitan des années 1970 à réintroduire
une certaine attention à des modes de vie bousculés par la
modernisation du quotidien.
De même, tout un pan de la littérature de ces vingt dernières
années met en scène le réel présent avec une vigueur remarqua-
ble : aux noms de Bon et de Kaplan, il faut alors ajouter ceux de
Frédéric Valabrègue, de Jean-Yves Cendrey, de Philippe Raulet,
de Jacques Serena, de Laurent Mauvignier, et la liste n’est pas
close. Elle ferait place aussi à Régis Jauffret, qui écrit au condi-
tionnel les fictions mentales violentes et meurtrières que sus-
citent chez des personnages communs les pressions du réel ; à
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1. « Non plus de roman jamais, mais cueillir à la croûte dure des éclats qui
débordent et résistent, non, plus d’histoire que ces bribes qu’eux-mêmes
portent et comme avec douleur remuent sans s’en débarrasser jamais, plus de
tableau qui unifie et assemble, mais […] le grossissement des visages abîmés et
tout ce sur quoi on achoppe soi-même pour dire […] » (Bon, 1998 : 67).
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J’ai ainsi montré ailleurs (Viart et Vercier, 2005) que les fic-
tions de faits divers, très nombreuses dans la littérature contem-
poraine depuis quelques années, fonctionnent selon des modèles
radicalement différents du romanesque attaché à ces questions
au XIXe siècle. Un fait divers de Bon (1994) multiplie les mono-
logues de personnages impliqués dans l’événement à divers
titres : protagonistes, policiers, magistrats, avocats, journalistes,
et même troupe d’acteurs, metteur en scène, jusqu’au narrateur
lui-même ou « l’écrivain », selon le principe retenu par Michel
Foucault dans Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur,
mon frère. Chaque personne et chaque institution produit, dans
l’ouvrage de Foucault, un discours qui est sa fiction de l’événe-
ment. Le « discours » même, en tant que notion, devient ainsi
une « fiction » possible parmi d’autres. Les deux modalités de
discours, intime et sociale, s’articulent parfois : c’est le cas dans
Un fait divers, comme dans L’adversaire d’Emmanuel Carrère
(2000), Mariage mixte de Weitzmann (2000) ou Les jouets
vivants de Cendrey (2005), qui tous retournent sur le narrateur
des questionnements initialement adressés au corps social par
l’événement considéré.
*
* *
La « fiction critique » est ainsi triplement critique : envers
l’objet qu’elle se donne ; envers les formes canoniques par
lesquelles la littérature a autrefois tenté de se saisir de cet objet ;
envers sa propre manière de l’aborder. Cette critique, il arrive
aussi qu’elle se renverse sur l’écrivain lui-même : dans Daewoo,
Bon se demande : « qu’est-ce qu’on va chercher pour soi-même ? »
dans ces zones où son récit s’immisce ; dans L’adversaire, Carrère
avoue son malaise face à ce que son intérêt pour l’affaire Romand
révèle de ses propres pulsions de disparition ; dans Tigre en
papier, le narrateur s’interpelle par le truchement de cette
seconde personne du singulier qui obsède son texte. Dans ces
livres, loin d’être une autorité comme s’y trompent souvent les
commentateurs, l’auteur est bien celui qui ajoute (véritable
120
LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE
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INTERRUPTION ET CONTINUITÉ
Dans sa réflexion sur le principe de l’interruption, Maurice
Blanchot propose une perspective originale : « L’interruption est
nécessaire à toute suite de paroles ; l’interruption rend possible le
devenir ; la discontinuité assure la continuité de l’entente »
(1969 : 107). À première vue, cet argument peut sembler bien
curieux. Nous avons l’habitude de considérer l’interruption
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DÉFENSE DE LA DIGRESSION
Que Western comprenne une dimension critique d’une telle
ampleur n’a rien d’étonnant, étant donné que Montalbetti est
elle-même critique littéraire, auteure de plusieurs essais
(notamment une étude de l’œuvre de Genette), qui l’ont confir-
mée comme spécialiste de la narratologie. Parmi ces ouvrages
divers, celui qui m’intéresse particulièrement s’intitule La digres-
sion dans le récit, livre que Montalbetti a écrit en collaboration
avec Nathalie Piegay-Gros. Conçu pour un public de non-
spécialistes, cette étude propose un parcours du phénomène,
passant en revue les façons traditionnelles de penser la digression
et invoquant des exemples choisis dans une diversité d’œuvres
canoniques. De manière presque souterraine pourtant, ce ton
descriptif et normatif cède la place à un autre, plus polémique,
où les auteures présentent un argument en faveur de la digression
narrative, une sorte de défense et illustration du dilatoire.
Montalbetti et Piegay-Gros amorcent leur discussion avec
une définition qui se conforme aux notions normatives de la
narration : « La digression, c’est une partie du texte qui ne devrait
pas figurer dans le texte, un fragment qui en perturbe l’éco-
nomie – ou qui la transforme. C’est l’écart, la sortie hors du pro-
pos principal, c’est la séquence parasite, qui retarde, qui brouille
les pistes » (2000 : 59). Les auteures soutiennent que l’étymologie
du mot digression – dérivé du latin digressio – suggère l’idée d’un
départ, d’une séparation, l’idée de s’écarter du droit chemin.
Elles notent aussi que la digression est tolérée dans la conversa-
tion, alors que dans la littérature elle est souvent perçue comme
une « transgression ». Elles prennent soin de souligner le discours
double qui caractérise souvent la littérature, où auteurs et
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scène » (W : 94, 59, 89, 106, 94, 188). En attendant, elle nous
suggère de prendre notre temps, tout comme elle.
Tel est le cas également lorsque nous occupons la place du
narrataire, plutôt que celle du lecteur. J’ai signalé plusieurs mo-
ments dans Western où la narratrice nous demande de combler
les lacunes qu’elle laisse dans son récit, ou d’imaginer ce qui
aurait pu se produire dans telle situation, nous invitant à parti-
ciper à la création narrative. Un autre moment semblable mérite
d’être noté ici. Quand elle promène son narrataire dans le
« General Store » de Transition City, la narratrice remarque que
nous aimerions peut-être y acheter un souvenir, quelque chose
pour nous rappeler « les aventures de notre trentenaire » (W :
114). La voix narrative dans ce passage passe étrangement de
celle de la narratrice vers celle de l’auteure – ou l’auteure impli-
quée –, qui suggère que nous aimerions éventuellement montrer
ce souvenir à nos invités, et que ces derniers le trouveraient bien
intéressant :
Et ça, ça vient d’où, tu l’as trouvé où, tu l’as acheté où, vous
leur répondriez Ah ça, ça vient de Western, et eux, reposant
précautionneusement l’objet où ils l’ont trouvé, vous répon-
draient Ah bon (probablement ils n’en auraient pas entendu
parler), et vous pourriez leur expliquer, les faire asseoir en face
de vous dans un fauteuil aux larges bras (ce sont vos amis, un
vieux coussin leur va très bien), et entreprendre de leur
raconter les aventures de notre trentenaire (W : 114-115).
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DU SITE AU COLLAGE
Mais alors, que trouve-t-on dans les pages du Décodeur, si
rien de ce qui est annoncé n’est autre qu’une illusion ? L’épigra-
phe du roman nous en fournit un indice.
Le roman s’ouvre sur une citation de Jean-Jacques Rousseau :
« La honte accompagne ordinairement l’innocence, le crime ne la
connaît plus » (D : 9). Cette pensée aurait été rédigée sur une
carte à jouer, l’as de trèfle pour être précis, pratique qu’aurait
adoptée Rousseau à la fin de sa vie. Tout autant que le contenu
de cette citation, c’est la forme qu’elle emprunte qui est un
indice de ce que nous nous apprêtons à lire. Le mot « ordinaire-
ment » y a été rayé. Il n’a pas été effacé ; nous pouvons toujours
le lire ; il a été simplement barré d’un trait. Il est donc présent et
absent en même temps, présent parce qu’on peut toujours le lire,
et absent parce qu’on ne peut rien faire de cette lecture, le mot
ayant été neutralisé et son sens, étouffé. Le texte rayé, le texte que
nous pouvons toujours lire, mais dont la lecture est rendue in-
certaine, est l’emblème même des figures de textes, de ces textes
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5. Schuhl indique dans une annexe de ce texte les sources de ses nom-
breux collages (France-Soir, Elle, Vogue, etc.), ce que Tournaye refait presque
trente ans plus tard.
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*
* *
Toute figure se déploie sur une absence, sur un vide qu’elle
vient combler. Elle permet de rendre présent, sous forme de
signe, ce qui est absent. Les textes-figures viennent signaler la
perte appréhendée du livre. Le texte s’y absente. Le texte y est
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DES HYPERTEXTES DE PAPIER
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DES HYPERTEXTES DE PAPIER
Gianfranco Rubino
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3. Voir : http://www.etonnants-voyageurs.com/
4. Il est intéressant de rappeler à ce sujet que dans sa classification des
jeux, Caillois définit justement l’alea « une démission de la volonté, un aban-
don au destin », tandis que l’agôn est selon lui « une revendication de la respon-
sabilité personnelle » ([1967] 1977 : 57).
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LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
178
MINIMALISTES ET MOUVEMENT : TOUSSAINT ET AUTRES
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René Audet
Université Laval
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FABULER LA LITTÉRATURE
L’infini, mon cher, n’est plus grand-
chose ; c’est une affaire d’écriture. L’uni-
vers n’existe que sur le papier.
Paul VALÉRY,
Monsieur Teste.
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8. Cet exemple a servi d’illustration à une réflexion sur les enjeux actuels
posés par l’hypertextualité et la métatextualité dans une conférence donnée par
Marc Escola (2007).
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12. « Le romancier est le seul menteur qui ne tait pas le fait qu’il ment »
(Quignard, 2002 : 49).
LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
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Joëlle Papillon
Université de Toronto
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à diverses Marie, mais aussi à son ombre, Aline, double qui est à
la fois moi et non-moi.
Aline est ouverture ; elle est à la fois celle qui ouvre les
jambes devant le passage des amants et celle qui ouvre l’espace
du pornographique pour permettre à Marie d’y pénétrer. Aline
est d’ailleurs le premier personnage à apparaître et elle est aus-
sitôt présentée comme désirante et ouverte aux rencontres
sexuelles : « je tire mon baldaquin, disait Aline, ça voulait dire
qu’elle allait tirer un coup » (NP : 11). La première scène du
texte, la nouvelle pornographique écrite par « Marie Nimier »,
met en scène Marie, Aline et des hommes de passage ; dès son ar-
rivée, Aline est décrite de façon typique pour un récit porno-
graphique, c’est-à-dire avec l’accentuation de ses traits sexuels –
son apparence voluptueuse, son attitude désirante :
Aline est brune, elle sent très fort, une bonne odeur de chatte
qui adore qu’on lui rende les hommages, son air de la
campagne, ses joues rondes et sa poitrine charitable, son (…)
oui, c’est cela, les hommes aiment sa générosité mise en valeur
par ses vêtements qu’elle achète au rayon Junior. Aline ne sait
rien refuser (NP : 19).
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plus ce n’était pas moi » (NP : 44). Mais cet exil d’Aline hors de
Marie ne tient pas la route, et bien vite il y a rapprochement,
jusqu’à la collision. D’amie, Aline devient sœur (NP : 39) et
mieux encore « sœur belette » (NP : 43), étiquette dont on sait
qu’elle désigne les filles considérées faciles, donc ouvertes au
désir : « J’allais écrire avec Aline, ma sœur belette. Nous signe-
rions toutes les deux – oui, j’insistais, je voulais qu’elle signe
aussi […]. Tout le monde nous prendrait pour des gouines »
(NP : 43). Ce rapprochement progressif d’Aline et Marie cause
un renversement : Marie a été contaminée par l’univers sexuel
auquel appartient Aline, et Aline a attrapé l’écriture. Si bien que
Marie nous présente Aline comme l’auteure réelle de certaines
des nouvelles pornographiques :
Je tapai sous [l]a dictée [d’Aline] le récit d’une rencontre tor-
ride entre un pompier et deux jeunes femmes qui n’étaient
pas le contraire de nous. Elles portaient nos noms, adoptaient
nos gestes, pourtant j’avais du mal à me reconnaître. Était-ce
ainsi qu’Aline me percevait ? Il y avait trop de différences, ou
trop de similitudes, pour ne pas se sentir mal à l’aise (NP : 74).
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7. Ce qui lui est d’ailleurs amplement reproché, et qui est parfois utilisé
pour lui dénigrer un statut littéraire ou artistique.
8. On lira avec intérêt les remarques de Hutton sur l’usage de l’ellipse chez
Nimier comme symbole du silence imposé par le père (2006 : 242) et sur l’in-
vestissement ambivalent de la parenthèse, à la fois menace de silence forcé et
mesure de protection du soi (2006 : 245).
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LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
Bruno Blanckeman
Université de la Sorbonne Nouvelle – Paris III
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L’HISTOIRE EN FICTION D’AUTEURES
Catherine Douzou
Université Charles-de-Gaulle – Lille 3
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LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
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FRAGMENTS
Caractéristiques de la représentation de l’Histoire de la
Seconde Guerre mondiale dans l’extrême contemporain roma-
nesque, ces deux textes en lambeaux refusent la peinture totali-
sante, héritage du roman historique traditionnel, de la fresque ou
du tableau : ils privilégient une esthétique du fragment.
Au cours de la visite de l’huissier, les souvenirs de la mère
remontent en éclats, de façon décousue et intempestive, vu la
situation, mais avec la force d’une hallucination fragmentaire,
découpée en scènes traumatiques. Dès l’entrée de l’huissier,
qu’elle a salué d’un retentissant « C’est Darnand2 qui t’envoie ? »
(Salvayre, 1997 : 143), elle se remémore la scène traumatique :
son frère Jean entre à sept heures du soir dans le café des Pla-
tanes, café d’un village du sud-ouest de la France, où il est agressé
par des pro-miliciens, les jumeaux Jadre qui l’assassinent ensuite
avec sauvagerie au bord d’une voie ferrée. Ses souvenirs sur-
gissent dans le présent sous la forme très construite de séquences
limitées dans le temps : la perquisition punitive des miliciens à
son domicile familial, la douleur de sa mère devenue folle d’avoir
perdu son fils… La narration progresse alors entièrement au fil
d’un enchaînement d’épisodes parfois très brefs, qui surgissent
du passé (les souvenirs) ou qui se déroulent au présent (la visite
de l’huissier) et qui constituent des manières de scènes théâtrales.
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L’HISTOIRE EN FICTION D’AUTEURES
SYSTÈME D’ÉCHOS
Autre caractéristique communes à ces textes : ils mettent en
place un système d’échos très complexe, qui renforce la
dimension dramatique de La compagnie des spectres quand, dans
Magnus, il creuse surtout des strates de significations au fil de la
narration romanesque.
Le système d’échos met en relation l’individu avec la société
dont, au-delà de son individualité propre, il apparaît comme une
figure emblématique. Chez Salvayre, la société française, voire
tous les humains pris dans les violences historiques, participent
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5. Voir les romans de Modiano tels que Rue des boutiques obscures (1978)
ou ceux de Daeninckx, comme Un château en Bohême (1999).
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L’HISTOIRE EN FICTION D’AUTEURES
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LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
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253
LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
Frances Fortier
Université du Québec à Rimouski
Andrée Mercier
Université Laval
1. Cette étude fait partie d’un ensemble qui vise à faire émerger la spéci-
ficité des modalités de l’autorité narrative dans le roman contemporain. Sub-
ventionnée par le CRSH du Canada et codirigée par les signataires, cette
recherche propose des hypothèses de lecture qui se verront systématisées dans
un ouvrage en préparation.
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nommant ou sans la nommer, il la sert, il s’y soumet. Ce fut souvent une “auto-
rité de commandement” : le dogme religieux, la croyance collective, la règle im-
pérative. Ce fut aussi, en d’autres circonstances, une valeur intériorisée, une exi-
gence préalable, lesquelles, tout en orientant les choix de l’écrivain, lui laissent
un champ plus libre : la seule Beauté, la Vérité, la sincérité, l’originalité… Cette
première autorité, dans tous les aspects que je viens d’évoquer, a pour carac-
téristique d’être prioritaire : elle a parlé avant que l’écrivain ne parle » (1989 : 9).
4. Une courte synthèse historique ouvre l’ouvrage : « L’autorité n’est plus
ce qu’elle était. Autrefois principe majeur de légitimation des discours, elle
signifie aujourd’hui le mode d’existence des pouvoirs légitimes. Elle fut pendant
des siècles une propriété des énoncés, une qualité de certaines idées, un pri-
vilège de certains penseurs. Elle est aujourd’hui un élément des institutions, le
principe symbolique des pouvoirs. L’autorité fut pendant deux millénaires un
concept philosophique ; elle désigne depuis le siècle dernier un concept sociolo-
gique. […] Dans les pages qui suivent, je n’aborderai pas le cheminement
sémantique par lequel la notion d’autorité, après avoir pendant des siècles dési-
gné l’autorité dans les énoncés – ce qu’on appelait au Moyen Âge l’« aucto-
ritas » –, en est venue à désigner, presque uniquement aujourd’hui, les pouvoirs
et les institutions » (1996 : 7-8).
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14. Par exemple : « je n’avais aucune idée de ce que nous étions en train de
fuir ainsi éperdument » (F : 112) ou pages 20, 25, 64, 71, etc. Parfois, le narra-
teur joue même la surprise : « je saisis le bord du plateau et le fis tourner lente-
ment entre nous au centre de la table en me demandant quel serait le nouvel
agencement de la réalité qui nous serait alors proposé – car je n’étais peut-être
pas au bout de mes surprises » (F : 75-76).
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16. Plus loin dans le récit, on retrouve encore une voix mystificatrice, celle
de Milo revenu déguisé en inspecteur de police pour confondre Andrew et qui
réussit à rendre sa voix méconnaissable (C : 76).
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*
* *
Sous les dehors confortables d’un récit où le narrateur prend
soin d’expliquer et de justifier dans ses moindres détails l’anec-
dote et les significations d’un film, Cinéma est une fiction de
paroles sur un réel déjà médiatisé et renforce constamment son
autorité. Mais s’il est vrai que le narrateur prend son rôle d’ana-
lyste au sérieux, il est vrai aussi qu’il en fait trop, qu’il est inca-
pable de modérer son discours, discours qui aura finalement
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L’AUTORITÉ NARRATIVE ET SES DÉCLINAISONS
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LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
BIBLIOGRAPHIE
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LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
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L’AUTORITÉ NARRATIVE ET SES DÉCLINAISONS
Jean-Michel Devésa
Université Michel-de-Montaigne – Bordeaux 3
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Jean est en proie à l’invasion de son être par une pensée pro-
liférante : « La folie, ne serait-ce pas la pensée qui prend toute sa
place, dans la tête et dans le corps ? » (J : 53). Parce que la
démence est logorrhée, la narratrice s’efforce de l’aider de façon
« [q]ue tout cela devienne une arme, et non un magma informe »
(J : 38). Elle croit qu’« [i]l suffirait qu’il [Jean] retrouve la capacité
de diriger ses pensées » (J : 38).
Mais Jours de guerre ne s’en tient pas au discours attendu
selon lequel la folie est adossée à la raison, que la frontière qui les
sépare est mince et mouvante, et que chacun en est menacé.
L’humanité à laquelle s’intéressent Brouste et sa narratrice est
celle de ces « égarés, de ceux qui ont tout perdu excepté eux-
mêmes » (J : 31). Ce récit apparaît comme un surprenant et
intelligent anti-Nadja, décrivant la folie qui conduit au « non-
sexe » et celle des femmes, qui est le plus souvent une folie des
mères. Le livre suggère que, dans certains cas, le délire puise son
origine dans un rapport fusionnel à la mère qui a entravé,
perturbé, empêché la confrontation au père, c’est-à-dire à la Loi.
Aussi, pour être, pour être en tant que sujet autonome, faudrait-
il sortir du sérail. Mais renoncer à la fusion avec la mère suppose
la castration. Cette opération psychique n’est possible que si
l’enfant parvient à se délier de l’imago maternelle. C’est la
condition du passage de la sphère de l’enfance à celle de l’âge
adulte. Malheureusement la marche du monde interdit cette
émancipation à de très nombreux individus, qui ne grandissent
jamais. Alors qu’ils sont des sujets clivés et que leurs person-
nalités demandent à être « dépliées », et non pas à être présentées
d’une pièce, la société agit sur eux en les infantilisant davantage.
Les rapports sociaux ne se contentent pas de les traiter comme
des enfants, ils les cantonnent à l’enfance, c’est-à-dire à un état
d’infans (celui qui n’a pas encore l’usage de la parole), et non de
puer (qui lui a atteint la maîtrise de la langue). Ils sont maintenus
à un stade que Sigmund Freud aurait qualifié de préœdipien.
Trauma relate comment la narratrice victime de la concu-
piscence des hommes se love dans une folie monomaniaque pour
surmonter la dévastation qu’on lui a infligée. Son viol l’a brisée.
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7. « La vie rancie s’oppose à la vie divine » (VD : 281). Sollers reprend ici
une expression qu’il avait utilisée dans un article publié dans le quotidien Le
Monde et qui avait été au cœur d’une polémique.
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EN GUISE DE CONCLUSION
Au début de ses Antimémoires, André Malraux rapporte une
conversation qu’il aurait eue avec Paul Valéry à propos d’André
Gide. Le premier cité aurait énoncé cette formule définitive à
l’encontre du second : « Et puis, quoi ! je m’intéresse à la lucidité,
je ne m’intéresse pas à la sincérité » ([1967] 1976 : 13). La litté-
rature ne se confondrait pas avec la chronique des vices et des
vertus privés, avec la relation pointilleuse de soi ; elle solliciterait
la fiction et délaisserait l’autobiographie et ses leurres. Elle serait
un « mentir-vrai » qu’on aurait tort de ramener à une quête de la
vérité, à moins de sombrer dans l’égotisme et le bavardage.
L’écrivain tenté par l’écriture de soi renoncerait à sa position en
« surplomb », pour muer en vil « écrivant », pour se condamner à
« l’écrivance ». Voilà le grief habituel qu’essuie une littérature
française contemporaine prompte à s’épancher.
En écho à un Theodor Adorno perplexe quant à la possibi-
lité de la poésie après Auschwitz, il se pourrait qu’après un
XXe siècle immensément tragique, parce que siècle de deux
guerres mondiales et de deux totalitarismes, des camps d’exter-
mination, du Goulag et de la terreur nucléaire, plus ou moins
consciemment, de nombreux écrivains français considèrent
surannée une certaine forme du romanesque articulant peinture
réaliste du lien social et analyse des caractères. Leur tentation
autobiographique, sensible jusque dans la fiction où elle se drape
dans une transposition et une projection à valeur d’alibis, serait
moins le signe d’un exhibitionnisme facile que la conséquence
d’une difficulté de plus en plus insurmontable, celle de dire et de
représenter le monde et les hommes sous les auspices de la narra-
tion, car l’Histoire a dépassé dans ses réalisations (dramatiques et
sanglantes) tout ce que l’on avait pu imaginer et que la fiction
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LE RÉCIT FRANÇAIS CONTEMPORAIN
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IV. L’ÉCRITURE DE SOI
CAMILLE LAURENS OU LE « JEU BRILLANT »
DE L’ÉCRITURE DE SOI
Yves Baudelle
Université Charles-de-Gaulle – Lille 3
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sujet d’Index, construit sur une mise en abyme, est de savoir qui
se cache sous le pseudonyme Camille Laurens, l’auteur d’Index –
roman imaginaire ; l’épilogue des Travaux d’Hercule suggère
ensuite que ce roman dont nous achevons la lecture serait de
Jacques A…, l’un de ses protagonistes ; et qui a écrit L’avenir
(1998) ? Camille Laurens ? ou Hélène, à qui il est attribué dès
1994, dans Les travaux d’Hercule (Laurens, [1994] 2003 : 2234) ?
À cet égard, l’un des aspects les plus intéressants de l’œuvre
est bien son métadiscours sur la fiction de soi, l’inspiration auto-
biographique y étant même thématisée, comme dans L’avenir, où
il s’agit de porter à l’écran le roman autobiographique de la
narratrice. Laurens s’amuse alors à prendre à revers aussi bien la
tendance médiatique à confondre l’auteur et son personnage que
l’antibiographisme orthodoxe des modernes. Essayons donc de
reconstituer les grandes lignes de cette réflexion sur l’écriture
dont elle dissémine à plaisir les fragments ironiques.
LA FICTION DE SOI :
FRAGMENTS D’UN MÉTADISCOURS
On trouve au début de L’amour, roman un passage capital5
sur le problème des transpositions onomastiques. La romancière
y pose « cette question à la fois technique et vitale, essentielle et
accessoire, du nom »6 (Laurens, [2003] 2004 : 307). Avec une in-
habituelle gravité, elle explique qu’il y a eu pour elle, en matière
de noms propres, un avant et un après Philippe. D’abord, il lui
aurait été impossible de raconter la mort de son enfant sans lui
donner son vrai nom : « […] Sur une tombe on ne change pas les
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CAMILLE LAURENS OU LE « JEU BRILLANT »
8. Du moins ceux des proches, car « quant aux autres, leur nom n’a pas
d’importance » (AR : 31).
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11. Voir Index : « L’imagination […] se fonde bien sur quelque chose »
(239).
12. Le passage où Hélène considère, contrairement à un spécialiste de
Constant, qu’« établir des liens entre la biographie et l’œuvre ne lui semble nul-
lement hasardeux » (NTNM : 171) est plus ironique.
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14. Ainsi lit-on dans L’avenir : « Me voilà donc devenue une brune incen-
diaire ! Premier postiche, mais qui, il faut bien l’avouer, ne change rien à la
vérité de l’histoire » (19).
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CAMILLE LAURENS OU LE « JEU BRILLANT »
toi que tu es acteur dans une pièce […] » (A : 174) – que Ni toi
ni moi décline à son tour, à la faveur du thème cinématogra-
phique : « […] Tout est jouable, tout est joué », « tout le monde
simule » (NTNM : 283), chacun se fait son cinéma (NTNM :
295). La vie est une « représentation », telle est l’idée que Jacques,
le psychanalyste, impose à l’héroïne, à la fin du roman : « — On
est des personnages, alors, et c’est tout ? » (NTNM : 315).
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15. Parce qu’il les prend au mot ou presque, Ni toi ni moi est d’ailleurs une
réponse ironique à la prédiction de Jourde et Naulleau, qui avaient annoncé
dans leur pamphlet (2004 : 138) que Laurens publierait (en 2017) un livre
intitulé Toise émoi.
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17. À cet égard, il est dans la logique des choses que L’amour, roman, où
l’auteure rappelle d’ailleurs sa passion ancienne pour le théâtre (23), ait été
adapté à la scène en 2007, par Carole Drouelle, sous le titre L’amour, théâtre.
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18. À noter que Ni toi ni moi n’est pas le premier hypertexte inspiré par
Adolphe. Genette, dans Palimpsestes ([1982] 1992 : 413), en cite trois, destinés
à illustrer la « transvocalisation », c’est-à-dire « la transposition vocale (change-
ment d’instance narrative) », « Adolphe étant raconté par Ellénore » : Ellénore, de
Sophye Gay (1844), La Polonaise, de Stanislas d’Otremont (1957) et surtout
Le point de vue d’Ellénore : une réécriture d’Adolphe, d’Ève Gonin (Corti, 1981).
Mais Laurens semble surtout s’inspirer d’un roman de Michel Mohrt,
Benjamin ou Lettres sur l’inconstance (1989), dont la forme épistolaire moderni-
sée annonce les courriels de Ni toi ni moi et qui s’amusait déjà à multiplier les
plans en transposant Constant dans la personne d’un écrivain fictif, Benjamin
Hermenches, lui-même auteur, sur Constant, non seulement d’un essai mais
d’un scénario pour la télévision. Sur ce roman, voir Fortier (2005).
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19. Voir les remarques de Camille, dans L’avenir : « [E]lle ne peut pas
écrire : Je, moi je […]. À l’opposé, elle répugne aussi à dire “il, elle”, à tenir les
personnages au bout de pincettes mondaines, à distance […]. Non, à la rigueur
pourrait-elle user de la deuxième personne, tu, vous, comme Perec, Butor ou
Winckler […] » (A : 205).
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20. Pensons aussi à Lui et elle (1859), réponse de Paul de Musset au célèbre
Elle et lui (1859) de George Sand, bientôt suivie de Lui, roman contemporain
(1860) de Louise Colet, la maîtresse de Gustave Flaubert. Cet enchaînement
de romans autobiographiques, sinon à clés, sur les amours fameuses de Sand et
Alfred de Musset préfigurait la vogue actuelle pour l’autofiction « people », le
livre de Louise Colet, qui met en évidence l’incompatibilité des êtres et les
malentendus de la passion, présentant en outre des affinités thématiques avec
Ni toi ni moi.
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Barbara Havercroft
Université de Toronto
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7. Parmi les textes de deuil rédigés par Derrida et rassemblés dans Chaque
fois unique, la fin du monde, il n’y a qu’un seul qui rend hommage à une
femme : celui écrit pour Sarah Kofman, qui est aussi le seul texte sans titre
(Derrida, 2003 : 207-232).
8. La dernière phrase de ce long passage d’Arcane 17 se lit comme suit :
« Elle [la rébellion] est l’étincelle dans le vent, mais l’étincelle qui cherche la
poudrière. »
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10. Le seul intertexte littéraire dans cette section du livre est tirée des
Maximes de La Rochefoucauld : « Nous avons tous assez de force pour sup-
porter les maux d’autrui » (P : 44). Le bien-fondé de cette maxime est d’ailleurs
mis en doute par l’incapacité de la narratrice de tolérer ou de pardonner la faute
grave du Dr Delignette. Notons en passant que Laurens se servira des Maximes
aussi dans L’amour, roman (2003a) dont elles constituent l’intertexte central.
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11. À cet égard, Rye note que si Philippe constitue un texte personnel de
« perte traumatique », il n’en reste pas moins qu’il joue un rôle public d’accu-
sation (2007 : 274-274). Mais selon Gilbert (2002 : 261), ces tentatives de ren-
dre justice par le biais de l’écriture ne sont pas toujours réussies. Il est question
d’un effort sans espoir d’effectuer un acte performatif qui est toujours manqué,
parce qu’on ne peut jamais réparer le tort en l’écrivant, malgré le désir que son
témoignage le défasse, le renverse, le corrige. D’après Gilbert, l’écriture du tort
(« writing wrong ») permet à l’auteure d’affronter chaque nouveau jour avec
plus de force, ainsi que de faire le deuil et de mettre de l’ordre dans une perte
qu’elle tente de comprendre (2002 : 270).
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faisant comme si de rien n’était, ils font comme s’il n’était rien »
(P : 64). La non-énonciation de l’événement funeste, ce discours
de l’évitement, effectue une véritable rature du bébé, dont il ne
reste aucune trace discursive. En effet, faire de Philippe le sujet
de l’énoncé de deuil ou de condoléances, c’est le faire vivre, c’est
reconnaître le fait de son existence, aussi éphémère soit-elle, ne
serait-ce que « dans une minute de conversation, dans l’hom-
mage d’une phrase » (P : 64).
La narratrice décrit également d’autres types d’énonciateurs,
dont ceux qui reprennent les clichés, reproduits dans le texte de
Laurens par le discours rapporté, le discours direct ou par l’em-
ploi de l’italique, ce qui n’est pas sans rappeler le recyclage des
clichés chez Ernaux12. Certains locuteurs l’assurent, par exemple,
qu’elle va « “finir par y arriver” » (P : 62), tandis que d’autres
« laissent percer la vanité sous leurs condoléances : tout le monde
ne réussit pas à donner la vie » (P : 62). Et puis d’autres lui de-
mandent si elle se « sen[t] coupable » ou si elle « peu[t] encore en
avoir » (P : 63). La carence évidente de réconfort apportée par le
vide de ces lieux communs ressort vivement à côté de l’honnêteté
de ceux qui reconnaissent ouvertement les enjeux énonciatifs
propres au deuil, c’est-à-dire l’impossibilité même de trouver des
paroles convenables. Ces gens-là, la narratrice l’affirme, aident
les deux parents souffrants à vivre, en leur offrant ce don simple
de la difficulté discursive : « ceux qui ne savaient pas quoi dire et
qui l’ont dit, ceux qui nous ont offert cela, leur maladresse, leurs
bégaiements, leur impuissance accotée à la nôtre, ceux qui nous
ont donné ce qu’ils avaient, ce qu’ils étaient » (P : 65). Autant
dire que pour Laurens, l’écriture de l’énonciation et des réactions
des autres fait partie intégrante de sa rhétorique du deuil, même
lorsque l’absence des mots fait elle-même l’objet du propos.
12. Voir, par exemple, la citation des clichés dans La honte (1997 : 31)
qu’Ernaux répète à cause de leur caractère banal et préfabriqué, dans le but de
les critiquer (voir Havercroft, 2005 : 131).
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PHILIPPE : CE REVENANT-LÀ
La pratique intertextuelle soutenue relative à la mort et au
deuil de Philippe dans le texte éponyme se poursuit dans des
ouvrages ultérieurs de Laurens dont Philippe (le texte et le fils)
hante les pages, tel un spectre insistant qui refuse obstinément de
s’évaporer. Sa transformation en référent intertextuel significatif
se manifeste d’abord dans Dans ces bras-là (Laurens, 2000), un
roman autobiographique dont la rédaction était étroitement liée
à Philippe, comme l’auteure l’avoue : « Dans ces bras-là ne tombe
pas du ciel. C’est la suite absolument logique de Philippe »
(Laurens, citée dans Savery, 2003 : 22). En effet, on trouve dans
cet ouvrage la reprise de certains éléments clés de Philippe, ainsi
que le penchant de l’écrivaine pour le démonstratif d’ostension
là. Dans le chapitre intitulé « Le fils », par exemple, la narratrice
de Dans ces bras-là révèle qu’elle a eu un fils et qu’il est décédé
(2000 : 207), tout en soulignant le caractère de revenant de ce
dernier dans un énoncé digne de Sigmund Freud : « C’est
l’enfant là-pas là, il va et vient comme la bobine qui roule puis
revient » (2000 : 207). Ensuite, le chapitre « Le mari » reprend
quelques événements directement de l’histoire déjà racontée
dans Philippe, à savoir l’absence du mari au moment de l’accou-
chement, son voyage pour rejoindre sa femme et son fils, et son
arrivée sur la scène du deuil : « Il a voyagé tout le jour mais il ar-
rive trop tard : l’enfant est déjà né, l’enfant est déjà mort »
(2000 : 209). Même le Dr Delignette, sans qu’il soit nommé,
bien sûr, a droit non seulement à un chapitre intitulé « Le méde-
cin » (2000 : 211-213) qui consiste en une critique mordante de
son incompétence médicale et de son manque flagrant de com-
passion, mais aussi à un meurtre fantasmé, perpétré par la narra-
trice qui le viole avant de l’achever : « dans ce corps à corps
monstrueux, c’est elle qui le pénètre, c’est elle sur lui, brutale,
brandissant l’arme, la force des hommes, […] cet homme-là ne
peut rien sauver, rien donner […], alors elle le tue, voilà, elle le
tue, elle le tue, elle le tue » (2000 : 213). Avoir la revanche de la
mort injuste de son fils, voilà ce que l’écrivaine n’a pu obtenir
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PERFORMER LE DEUIL
Ce petit récit poignant de Laurens est-il doté d’une dimen-
sion performative ? Autrement dit, accomplit-il les gestes mêmes
du deuil dont il parle ? En discutant des textes de deuil de
Derrida, Brault et Naas les qualifient de performatifs, notant que
« ces textes disent le deuil mais sont aussi des textes de deuil, en
deuil » (2003 : 18), qu’ils « mettent en scène le travail du deuil »
(2003 : 17). Que l’écriture de Laurens ne réussisse pourtant pas
à soulager complètement la douleur, à colmater le « trou » creusé
par l’énorme perte du décès, les multiples apparitions de
Philippe dans les ouvrages ultérieurs de Laurens l’indiquent17.
Chose certaine, on constate dans Philippe non seulement « la
puissance de l’écriture pour recouvrer des sentiments perdus »
(Rodgers, 2005 : 107), mais aussi le déploiement d’une rhéto-
rique du deuil qui vise tout un volet éthique, où il s’agit « de faire
vivre les morts et […] [de leur] rendre justice » (P : 72). En re-
donnant naissance à Philippe à travers le langage, en accouchant
de ce livre de deuil, Laurens dévoile le côté créateur et productif
du deuil, au lieu de le concevoir de manière strictement négative,
en tant que pathologie. Comme le constatent David L. Eng et
David Kazanjian (2003 : 5-6), une telle conception créatrice de
la perte met l’accent sur la façon dont la perte est appréhendée,
au lieu de se limiter uniquement à ce qui a été perdu. Ainsi
l’oxymore du dénouement de Philippe, celui où la vie côtoie la
mort – « Philippe est mort, vive Philippe » (P : 73) – s’avère-t-il
tout à fait approprié. Muni du démonstratif, élément linguis-
tique qui lui est cher, Laurens effectue à la fin un ultime geste de
monstration, métatextuel celui-ci, pour indiquer du doigt
l’ensemble de sa démarche scripturale du deuil dans ce texte
émouvant : « Ci-gît Philippe Mézières. Ce qu’aucune réalité ne
pourra jamais faire, les mots le peuvent » (P : 73). Livre-tombeau,
17. D’après Rye dans son étude des textes de Laurens, d’Adler, de Forest et
de Schulman, l’écriture du deuil dans ces ouvrages ne fonctionne pas pour
l’apaiser, mais sert plutôt à recréer le rapport parental avec l’enfant (2007 :
274).
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L’ÉCRITURE DU DEUIL CHEZ CAMILLE LAURENS
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L’ÉCRITURE DU DEUIL CHEZ CAMILLE LAURENS
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Valérie Dusaillant-Fernandes
Université de Toronto
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GLISSEMENTS PRONOMINAUX
Le jeu des pronoms et la pluralité des voix participent à un
brouillage énonciatif qui va de pair avec l’indécidabilité géné-
rique du texte. Le sujet est fuyant, mobile et ne prétend aucune-
ment à être univoque. Dès le début de l’ouvrage, Chawaf choisit
volontairement la troisième personne du singulier pour parler de
l’événement traumatique qui la ronge. Il lui est, en effet, impos-
sible de construire un récit où le pronom « je » côtoie les bom-
bardements, la mort de ses parents et les atrocités de la guerre.
Cette distance entre la narratrice adulte et le personnage enfant,
établie par l’emploi de la troisième personne et doublée d’un
détachement onomastique, est d’autant plus remarquée que
l’écrivaine utilise une multitude de désignateurs pour éviter de
mentionner le prénom Marie-Antoinette, prénom civil qui
pourrait renvoyer à la réalité extratextuelle. Dans le récit, il existe
deux types de désignation basée sur les étapes de la vie du per-
sonnage. En fait, à partir de la liste des seuls désignateurs, le
lecteur peut suivre l’histoire de Marie-Antoinette. Dans la pre-
mière époque du texte, celle qui raconte les vingt premières
années de l’enfant, les désignateurs suivants sont fréquemment
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UN PAPILLON S’ENVOLE
Ce passage de la douleur du passé au bien-être de la vie à
venir ou encore cette transformation du sujet-victime en sujet-
témoin est représenté par la métaphore du papillon. Or, le cycle
du papillon se compose de quatre étapes : l’œuf, la chenille ou
larve, la chrysalide et le papillon. Assimilée à une renaissance
symbolique, cette métaphore se conjugue avec la présence du
manteau noir, qui donne le titre au livre. C’est dans la
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REVISITER L’ÉVÉNEMENT TRAUMATIQUE
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Robert Dion
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ARNO SCHMIDT,
GOETHE ET UN DE SES ADMIRATEURS
Chez Arno Schmidt, c’est la figure même de l’écrivain bio-
graphé qui est transférée d’un monde dans un autre, ou du
moins dans un contexte partiellement autre : du monde réel de
la personne, on est ici violemment projeté dans celui, hautement
problématique, du personnage.
La personne de Johann Wolfgang von Goethe, en raison
sans doute de sa position incontestée au faîte du panthéon litté-
raire allemand, semble avoir particulièrement favorisé la trans-
position du vécu, et dans sa variante la plus débridée6. Le court
roman de Schmidt récemment traduit en français par Claude
Riehl, Goethe et un de ses admirateurs ([1958] 2006), en est un
bon exemple, qui met en scène l’auteur de Wilhelm Meister alors
que celui-ci, ressuscité pour une période de quinze heures,
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13. L’intention parodique est très nette ici, qui renvoie à la surmédia-
tisation de l’écrivain et à la sommation qui lui est faite de se prononcer sur tout,
y compris sur ce qui déborde largement le champ de ses compétences.
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DE FORTUNY À PROUST
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LE VÉCU TRANSPOSÉ
Ralph Sarkonak
Université de Colombie-Britannique
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LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
salle des Pierres (2000c), qui est un des plus courts, comporte de
nombreuses lacunes, qui correspondent à une période d’un peu
plus d’un mois pendant laquelle plusieurs événements traumati-
sants, dont la mort de Rodolfo, ont marqué la vie de l’écrivain
(Camus, 2000c : 134, 136-143, 149-150, 159-162). Ces événe-
ments de 1994 et de 1995 vont constituer la trame romanesque
de L’inauguration de la salle des Vents. Quant au titre, il évoque
une salle du château de Plieux qui est entièrement consacrée à
des œuvres de l’artiste Jean-Paul Marcheschi, dont un énorme
tableau intitulé la Carte des Vents. Dans le roman comme dans la
réalité, cette salle est dédiée à la mémoire de l’ami du peintre,
Maurice Wermès, qui lui aussi est mort du sida en 1995.
Écrit dans 11 styles différents, le roman retrace 12 pistes dié-
gétiques, ce qui donne 132 combinaisons. Or chacune de ces
possibilités est explorée, réalisée, bref, écrite deux fois, ce qui
explique les 264 séquences du roman, qui sont divisées en
23 chapitres. Les séquences varient beaucoup en longueur, de-
puis une ligne jusqu’à 29 pages pour la plus longue. Mais pour
mathématique que soit la structure de L’inauguration de la salle
des Vents, le livre nous échappe, car il est tout le contraire d’un
roman « bien fait ». Il ressemble plutôt à un work in progress
joycien dont l’inachèvement serait le principe fondateur.
Afin d’étudier comment le thème de l’absence est textualisé
par ce roman, je traiterai du non-dit, de ce que j’appelle le « pres-
que non-dit » et de quelques intertextes qui parsèment le récit.
LE NON-DIT
Le non-dit est un véritable refrain du roman, tant Camus va
insister sur l’« impossible à joindre à toucher à atteindre à
nommer » (2003b : 2931). Il y a d’abord les mots qu’on oublie. Il
est arrivé à chacun d’entre nous, du moins ceux qui ont atteint
un âge assez vénérable pour avoir ce qu’on appelle en anglais des
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LA PRÉSENCE DE L’ABSENCE
2. « Le Juif peut le prononcer [le nom de Dieu] mais ne doit pas, il ne peut
pas le prononcer » (Derrida, 1986 : 91). À propos de Dieu, Paul Celan écrit :
« son nom, son nom imprononçable » (cité dans Derrida, 1986 : 91).
3. Les renvois à Nightsound (sur Josef Albers) seront désormais indiqués par
la mention N, suivie du numéro de la page.
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LA PRÉSENCE DE L’ABSENCE
LE PRESQUE NON-DIT
Une façon de dire la vérité sans la dire est d’avoir recours à
des synonymes. Ceux qui sont utilisés le plus souvent sont ma-
ladie et malheur, par exemple, « avant le malheur » (ISV : 70), « la
maladie qui lui est commune, on le sait, à une seule exception
près avec tous les autres personnages principaux du récit » (ISV :
143). Ici, la « synonymie » relève de la litote et de l’euphémisme.
Mais c’est un vrai synonyme, le terme médical, qui permet au
lecteur d’identifier la condition de plusieurs des personnages de
cette autofiction, le passage précédent devant être lu en conjonc-
tion avec un fragment où il s’agit du même personnage : « il était
séropositif » (ISV : 198). C’est la seule occurrence du mot, un ha-
pax dans un roman où un des personnages, si j’ose dire, le chien,
s’appelle justement Hapax.
Camus aura recours aussi à l’homophonie et à la paronymie
pour « dire » le mot indicible. Dans le passage suivant, il s’agit de
la visite au Brésil lorsque Camus va voir Rodolfo pour la dernière
fois et que sa famille se demande s’il faut le faire hospitaliser.
Pour le moment, il est encore à la maison, dans l’appartement de
ses deux « mères », sa mère et sa tante qui s’occupent de lui, quoi-
qu’elles ne soient pas d’accord sur la meilleure façon de le faire
traiter, d’où sans doute l’allusion au dernier livre de Roland
Barthes où la figure de la mère joue un rôle si important :
[Rodolfo] gisant dans cet appartement clair dans son lit sans
sa chambre au cœur de la ville au cœur de la chaleur avant
Noël pour savoir avant Noël toutes les deux se disputant
toute la journée pour savoir si n’arrivant pas à dont on
n’arrivait pas à décider si d’un côté si la première chose à si
d’abord si d’aventure si d’après les médecins si d’après ce qu’il
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LA PRÉSENCE DE L’ABSENCE
6. Voir Genette (1987 : 294) ; voir aussi P.A., où il y a des gloses margi-
nales (Camus, 1997a : 64, 66, 76). On sait que Camus a un faible pour les
notes à tel point que dans P.A. les notes sur les notes envahissent tout le texte,
anticipant par là la pratique (scripturaire et lectorale) du texte étoilé de
Vaisseaux brûlés sur Internet.
7. Voici l’explication que donne Barthes dans La chambre claire du terme
punctum, que j’emploie dans un sens métaphorique : « Un mot existe en latin
pour désigner cette blessure, cette piqûre, cette marque faite par un instrument
pointu ; ce mot m’irait d’autant mieux qu’il renvoie aussi à l’idée de ponctua-
tion et que les photos dont je parle sont en effet comme ponctuées, parfois
même mouchetées, de ces points sensibles ; précisément, ces marques, ces
blessures sont des points. […] Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en
elle me point (mais aussi me meurtrit, me poigne) » (Barthes, 1980 : 49).
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LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
L’INTERTEXTUALITÉ
Les intertextes qui parsèment le roman sont aussi une façon
d’ancrer une présence absente dans le fil de l’écriture. Parfois les
auteurs qui ne sont pas nommés paraissent dans le roman grâce
à la citation d’un de leurs titres. Par exemple, le souvenir de
Barthes est présent dans « le bruissement […] de cette langue »
(ISV : 179), et on a déjà vu une allusion à La chambre claire (ISV :
65).
Une des pistes diégétiques du roman concerne la chute de
« X. », un autre ex de l’écrivain, qui est tombé de sept mètres lors
de sa visite au château de Plieux où habite Camus. L’accident a
eu lieu au moment de la chute du jour, le 23 juin 1995, un des
jours les plus longs de l’année. Il est d’autres chutes dans le ro-
man ; par exemple, le chien Hapax est, selon l’expression, tombé
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8. Camus souligne.
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les plus négatifs à l’égard de Camus que Derrida a exprimés dans son dialogue
avec Élisabeth Roudinesco sont cités sans commentaire (Camus, 2004 : 425-
426 ; Derrida et Roudinesco, 2001 : 201-202).
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10. Voir Derrida (1967 : 96). Dans son entretien avec Jean Birnbaum, le
philosophe a souligné ce qui l’a aidé à travailler : le combat contre la doxa, le
concept du « spectral » (Derrida, 2005 : 26), les greffes, l’amour pour la langue
française et le fait d’être « en guerre contre moi-même » (Derrida, 2005 : 49).
Ce sont autant de thèmes – et de pratiques scripturales – que Derrida partage
avec Renaud Camus. On pourrait y ajouter le goût du paradoxe, un penchant
pour la surdétermination et la graphomanie.
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LA PRÉSENCE DE L’ABSENCE
*
* *
Que ce soit par ses thèmes – la vie de couples gays, les
voyages à l’étranger, l’art contemporain et le sida – ou ses
« adresses » intertextuelles (Barthes, Albert Camus et Derrida,
mais aussi Samuel Beckett, Paul Celan, Stéphane Mallarmé,
Marcel Proust, Rainer Maria Rilke et Alain Robbe-Grillet, au-
teurs d’intertextes que je ne peux pas traiter ici), L’inauguration
de la salle des Vents affiche sa modernité. Les différents styles
adoptés ainsi que les nombreux effets de miroir soulignent l’ap-
partenance de ce roman à une modernité qui est tout le contraire
du racisme français. Il est peu probable que les membres du
Front national apprécient un texte qui fait une si large place aux
auteurs que je viens de mentionner et qui est écrit dans des styles
si peu conventionnels.
Mais dans cette autofiction, Camus opte non pour des idées
politiques ou la recherche des coupables, mais pour une ou
plutôt plusieurs façons d’écrire qui relèvent du performatif, de
l’hiératique, bref, du sacré11, car cet écrivain reste attaché à une
vision tragique de la condition humaine. Il s’agit d’un acting out
d’un auteur qui, comme un chœur, crie/écrit sa peine – mais
sans l’analyser – face au sida au lieu d’essayer de responsabiliser
autrui (société homophobe, parlementaires timides, compagnies
pharmaceutiques avides, etc.). On ne peut être plus loin du poli-
tiquement correct, car on est dans la polis antique, Camus étant,
comme son maître Barthes, un sujet archaïque12. D’ailleurs, la
11. Par exemple, dans le Discours de Flaran, Camus traite du sacré : « C’est
parce que l’art contemporain a quelque chose à voir avec le rien ; c’est parce que
l’artiste, comme l’écrivain – on le sait au moins depuis Ulysse, depuis le cy-
clope et l’épisode de la caverne – a quelque chose à voir avec Personne, avec Ce
qui n’a pas de nom, autant dire avec Dieu, mais aussi avec l’Innommable ; c’est
parce que Personne et le rien ont quelque chose à voir […] avec le sacré »
(Camus, 1997c : 15-16).
12. Sur le sujet, voir la citation suivante qui est tirée de La chambre claire :
« Et sans doute, l’étonnement du “Ça a été” disparaîtra, lui aussi. Il a déjà
disparu. J’en suis, je ne sais pourquoi, l’un des derniers témoins (témoin de
l’Inactuel), et ce livre en est la trace archaïque » (Barthes, 1980 : 146-147). Le
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LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
salle des Vents n’a-t-elle pas tout d’un temple dédié aux morts,
avec sa Barque des ombres qui, telle la nef de Charon, s’apprête
à franchir ce « ruisseau calomnié » (ISV : 207)13, à l’aide de la
Carte des Vents dont les cercles concentriques rappellent et figu-
rent une conception dantesque du monde ?
On a déjà vu que la chute est indiquée comme titre roma-
nesque archétypal. La chute est aussi celle du lecteur qui se
trouve dans l’impossibilité de tout suivre, de tout comprendre,
de tenir tous les fils ensemble puisqu’il a l’impression de tomber
dans un chaos presque total, du moins à sa première traversée du
texte. Nous risquons de nous perdre, et le non-dit, comme la
répétition des mêmes scènes et des mêmes mots, peut affleurer le
non-sens. Paradoxalement le roman ne fait sens que si « nous-
mêmes tombons à notre tour » (ISV : 180)14, pour citer un pas-
sage qui rappelle un autre intertexte de L’inauguration de la salle
des Vents, à savoir l’exergue d’Histoire, de Claude Simon, qui l’a
lui-même emprunté à Rilke : « Cela nous submerge. Nous l’orga-
nisons. Cela tombe en morceaux. Nous l’organisons de nouveau
et tombons nous-mêmes en morceaux » (Simon, 1967 : 7 ; Rilke,
1992 : 87 ; je souligne).
Cette chute concerne bien sûr le sida et le désastre que ce
syndrome représente encore pour l’humanité. Mais derrière ce
fléau se profile un autre désastre dont l’écriture ne saurait pas
non plus rendre compte adéquatement : la Shoah. De temps en
temps L’inauguration de la salle des Vents y fait allusion de ma-
nière allégorique, comme Albert Camus l’avait fait dans La peste :
« de nuit de brouillard » (ISV : 13)15, « avant le malheur avant la
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LA PRÉSENCE DE L’ABSENCE
16. Voir aussi la référence à « ce nom brûlé » (ISV : 162). Voici l’in-
tertexte celanien : « Tous ces noms, brûlés / avec elle, tous / ces noms. Tant / de
cendre à bénir. Tant / de terre gagnée / au-dessus / des légers, si légers /
anneaux / d’âmes » (Celan, [1979] 2002 : 43 ; je souligne).
17. Plus tôt dans le Discours de Flaran, Camus avait déjà parlé des désastres
et de leur prégnance pour l’art contemporain : « Il faut remonter au désastre. Ce
n’est pas bien difficile, car le désastre a nombre de visages, et le temps passerait-
il sur lui que pourtant il ne serait jamais loin. Mais il faut remonter au plus
grand des désastres. Il faut remonter à la question d’Adorno […] sur la
possibilité d’écrire encore des poèmes, après Auschwitz » (Camus, 1997c : 17) ;
« C’est une grande part de l’art contemporain, et la meilleure, peut-être, que
l’on peut dire chue d’un désastre obscur » (Camus, 1997c : 44).
397
LE ROMAN FRANÇAIS DE L’EXTRÊME CONTEMPORAIN
des Vents passe sous silence bon nombre de choses qui pourraient
sembler évidentes, dont le nom du fléau qui tue certains amis du
narrateur. Mais revenons à Nightsound. Ce livre, qui a été publié
pendant l’affaire Camus, n’a pas attiré l’attention des médias,
sans doute parce qu’un tel ouvrage risquait de compromettre
l’image d’antisémite endurci qu’on présentait de l’écrivain à
l’époque. Et pourtant, la seconde partie du livre est une réflexion
subtile et nuancée sur six tapisseries d’Anni Albers intitulées Six
Prayers commandées par le Musée juif de New York pour com-
mémorer les victimes de l’Holocauste. Cette œuvre, qui ne
représente aucun être vivant, est « l’une des plus belles, l’une des
plus intelligentes, l’une des plus pudiques certainement et l’une
des plus intenses réponses de l’art, tout médium confondu, à la
question éternellement récurrente d’Adorno sur ce qui peut en-
core être produit, en fait de “poésie”, après Auschwitz » (N :
126)18.
En expliquant cette œuvre de deuil d’Anni Albers, Camus
arrive à articuler l’esthétique qui sous-tend l’écriture du roman
qu’il allait publier trois ans plus tard. C’est une esthétique de
l’exigence qui refuse toute solution de facilité alors que la
solution de continuité – la rupture – et la béance se trouvent au
cœur de cette pratique. Cette « écriture du désastre » (Blanchot,
1980) textualise « la chute de la signification » (N : 37) pour en
faire un tombeau littéraire consacré à la mémoire des êtres dispa-
rus que l’écrivain a connus et chéris. Après une telle catastrophe,
le sens se vide de toute logique du récit, de toute chronologie
conventionnelle et de la possibilité de faire sens traditionnelle-
ment : « Le sens moderne est textile, tissé, noué, plein d’embran-
chements et de croisements, de superpositions et d’échanges, de
pertes et de résurgences. Il ne peut plus s’accommoder du récit
traditionnel, tendu du début vers une fin » (N : 130). Incarné par
une écriture de l’absence-présence (le non-dit, le presque non-dit
18. Sur Six Prayers, voir aussi le Journal de 1999 : « Sur ce sujet où tant
d’œuvres et surtout tant de discours sont menacés par le défaut de pudeur, je
n’en sache guère dont le ton soit si juste. Rien de trop, rien de pas assez »
(2002b : 198).
398
LA PRÉSENCE DE L’ABSENCE
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Catherine Rodgers
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3. Pour une analyse des dires de Duras sur l’écriture, voir Cousseau
(2005).
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sense of where my body ends and the world begins » (1990 : 162-
163). De plus, dès le début de sa grossesse, Marie est convaincue
que son enfant est de sexe féminin et elle tend à envisager sa fille
comme un double miniature d’elle-même, l’identifiant à elle.
Les activités de Marie et sa condition contribuent à lui
donner le sentiment que son moi est fragile et elle a en plus deux
frères qui la confrontent, chacun à sa façon, à une expérience
d’annihilation du moi : Pablo par la folie, Paul par la mort et le
secret qui entoure sa disparition. Pablo, Péruvien d’origine, a été
adopté, puis il est devenu fou. Marie cherche désespérément un
sens au délire de son frère. Il produit un discours sans raison, qui
se répète comme un disque rayé et qui a des affinités, comme
nous le verrons, avec les paroles préenregistrées, mécaniques, de
l’hologramme de la grand-mère.
Marie redoute ses visites à son frère, maintenant interné ; elle
ne reconnaît plus en cet homme alourdi le frère qui était si
proche d’elle dans son enfance. Si voir ou entendre ce frère lui
est devenu si pénible, c’est peut-être aussi parce qu’il présente
une image possible d’elle-même, ce qu’elle pourrait devenir sans
l’écriture. Kristeva explique que la « présence [de l’épilepsie et de
la folie] chez notre prochain nous inquiète d’autant plus que
nous les pressentons obscurément en nous-mêmes » (1988 :
274). Toutes les tendances qu’elle repère chez le frère –
dédoublement, invention de son ascendance, absence à soi-
même – nous avons vu qu’elle les éprouve à un moindre degré.
Pablo passe du « je » au « il » (P : 29), il replie le temps et il « parle
en points lancés » (P : 29) ; or n’est-ce pas ce que sa sœur fait elle
aussi dans ses récits ? Le frère, exilé de son pays, qui parle une
autre langue que la langue maternelle qu’il a oubliée, est un
double d’elle, un double effrayant, une image de la dépossession
de soi, de celui qui est passé entièrement de l’autre côté. En sa
présence, elle ressent la tentation de basculer de l’autre côté, l’ap-
pel d’un autre univers, que ce soit la réminiscence de l’attrait de
se jeter dans la cage de l’escalier du phare, ce qui la ferait passer
dans « un autre univers, indolore et blanc » (P : 30), ou celui de
traverser un rideau d’eau vertical, vision qui rappelle inévitable-
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ment l’image choisie par Jean Cocteau dans Orphée pour symbo-
liser le passage de la vie à la mort. Elle note le vide que Pablo a
créé en devenant fou. Sa folie est une sorte de mort, et elle avoue
que Pablo lui manque « comme s’il était mort, d’une mort sans
enterrement » (P : 162).
Cette image est d’autant plus douloureuse qu’elle a perdu
son frère Paul, et que le deuil de Paul est rendu très difficile à
cause du silence qui recouvre sa mort. Les parents, et surtout la
mère, ont inventé un récit de disparition pour couvrir ce qui
semble être un cas de mort subite du nourrisson : la lumière
l’aurait ravi dans son berceau. Ce frère devenu tabou se trans-
forme en fantasme : « Quand Pablo est devenu fou, c’est là seule-
ment que ce frère, qui n’avait pas vécu, s’est mis à exister. Une
histoire s’est élaborée peu à peu, un fantasme » (P : 104). Marie
se heurte à un mur quand elle tente d’aborder le sujet de Paul
avec sa mère.
Comme pour Pablo dont elle essaie de déchiffrer le délire,
Marie tente, dans la Maison des Morts, de donner un semblant
d’existence à Paul. Elle entreprend de lui construire un holo-
gramme, tentative qu’elle abandonne finalement au moment où
l’ordinateur lui propose une image d’elle en homme pour
l’hologramme de Paul. L’ordinateur l’a-t-il alors mise en présence
d’une image trop proche d’une de ses angoisses, celle de sa pro-
pre disparition ?
Les deux garçons deviennent unis, dans la conscience de
Marie, par la mort et la folie, causes de leur disparition à tous les
deux. La similitude de leurs noms encourage les substitutions. À
un moment, les phrases faisant référence aux deux frères se
mettent en miroir, chaque frère devenant le double de l’autre : à
« [l]ui, d’où il était, dans sa sidération, Pablo, fils de De Gaulle –
lui, ce pays, il n’en faisait pas toute une histoire » (P : 108) fait
écho « [l]ui d’où il était, dans sa sidération, lui, s’il était vivant
quelque part, le subitement mort, l’enfant perdu devenu grand,
lui, ce pays, il n’en faisait pas toute une histoire » (P : 109).
Chacun à sa façon, ses deux frères montrent à Marie les dangers
qui la bordent, la folie d’un côté, la mort de l’autre. Elle,
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En déplaçant plus son texte vers la fiction, par les variations sur
les noms propres, par le glissement temporel, Darrieussecq se
laisse une marge éthique encore plus grande. En effet, bien
qu’elle utilise des éléments autobiographiques, elle ne peut être
accusée d’« exproprier » ses proches – ou elle-même –, puisqu’elle
insiste aussi sur l’élément fictionnel qu’elle introduit dans ses
récits.
Le texte est donc sciemment présenté comme un double, à
la fois le même et fondamentalement différent de la réalité. Ce
dédoublement est redoublé, symbolisé par un texte lui-même
double : d’un côté, un texte en caractères gras, narré à la première
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Nous avons vu plus tôt que Marie était toujours prise entre
deux pays, deux mondes, deux états, toujours au bord de
quelque chose, aux limites du moi, des mots et du monde.
Kristeva, ayant noté cet écartèlement de l’étranger, propose deux
types d’étrangers « irréconciliables » :
D’une part, ceux qui se consument dans l’écartèlement entre
ce qui n’est plus et ne sera jamais : les adeptes du neutre, les
partisans du vide […]. D’autre part, ceux qui transcendent :
ni avant ni maintenant, mais au-delà, ils sont tendus dans une
passion certes à jamais inassouvie, mais tenace, vers une autre
terre toujours promise, celle d’un métier, d’un amour, d’un
enfant, d’une gloire (1988 : 21).
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Gill Rye
Institute of Germanic & Romance Studies,
University of London
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du terme. Elle ne raconte pas une histoire ; elle la dit. Ses récits
narratifs, bien que fondés sur la construction, de texte en texte,
de l’histoire crédible d’une vie, s’apparentent davantage à des
monologues ou à des tirades qui s’inscrivent dans le présent,
voire dans l’immédiat, même si les événements qu’elle décrit ont
eu lieu dans le passé et si l’ordre chronologique en souffre. Dès
la parution de son premier roman, Vu du ciel, en 1990, l’œuvre
d’Angot a été controversée et a suscité des réactions vivement
opposées. Dans les médias, la publication de deux critiques de
son roman Rendez-vous (2006) dans le magazine Lire – pour et
contre (Ferniot et Liger, 2006) – reflète la polémique médiatique
caractéristique de son œuvre. Pour les aficionados d’Angot,
comme Christine Ferniot, son travail est le fruit d’un engage-
ment important concernant les limites entre texte et vie, les fron-
tières entre écriture et réalité vécue, alors que pour « ceux
qu’[elle] énervai[t] » (Angot, 2002 : 27), comme Baptiste Liger, il
s’agit simplement d’une « diarrhée verbale » narcissique (Ferniot
et Liger, 2006).
Les divergences des réponses à l’écriture d’Angot sont au
cœur de cette étude. Il s’agit d’explorer comment son œuvre
contribue à la construction du sujet contemporain, sujet d’écri-
ture, mais également de lecture. Il s’agit aussi de procéder à une
investigation des raisons pour lesquelles l’œuvre d’Angot donne
lieu à des réactions si fortes chez son lectorat en examinant la
« politique de lecture » (the politics of reading) de ses textes. Cet
article a pour but de considérer ce qui est en jeu dans la lecture
des écrits d’Angot par l’examen des relations de pouvoir qui
sous-tendent son écriture, à l’aide d’exemples variés recueillis
dans toute son œuvre. Une première partie proposera un bref
panorama de la théorie contemporaine de la lecture et du
concept d’une « politique de lecture2 ». La partie suivante évalue
la « politique de lecture » de l’œuvre d’Angot en examinant les
2. J’ai considéré ce concept dans mon livre Reading for Change (Rye,
2001), mais ici j’inclus aussi les derniers développements d’études critiques sur
l’autofiction.
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Wilson, ce sont ces troubles qui peuvent avoir des effets forma-
teurs ou transformateurs.
Dans sa théorisation de l’interaction entre lecture et identité,
Lynne Pearce considère la lecture comme dialogue. Son modèle
dialogique de la lecture souligne, d’une part, un échange récipro-
que entre texte et lecteur, et paradoxalement, d’autre part, la
façon dont les dialogues évoluent également dans un système de
relations de pouvoir (Pearce, 1994 ; 1997). Ici, chaque lecteur
individuel négocie une lecture particulière, en dialogue, en
interaction avec le texte ou en opposition avec lui. Pearce met
l’accent sur le fait que le sujet est toujours impliqué dans le pro-
cessus de reconstitution et que cela est (partiellement) réalisé par
une « interaction dialogique avec les autres » (1994 : 9 ; notre
traduction). Ross Chambers (1990), quant à lui, étend la notion
de relations de pouvoir à une dynamique de séduction et d’alié-
nation. Pour Chambers, les textes doivent séduire leurs lecteurs.
Ce modèle de lecture souligne le pouvoir et la force du texte,
mais les lecteurs peuvent être complices de la séduction du texte
ou y résister. Selon la formule de Chambers, la séduction et la
résistance peuvent donc co-exister dans le processus de lecture,
produisant une dynamique de l’inclusion et de l’exclusion ; dy-
namique qui, comme j’espère le montrer plus loin, est particu-
lièrement pertinente en ce qui concerne la lecture d’Angot.
La lecture de l’autofiction est une expérience que l’on peut
considérer comme particulièrement agonistique3. Alex Hughes
(2001), lisant Serge Doubrovsky – l’inventeur du terme autofic-
tion – indique que, pour Doubrovsky, l’autofiction donne plus
de pouvoir au lecteur que l’autobiographie ; le lecteur est active-
ment séduit de façon similaire, mais l’autofiction ne permet pas
de le contrôler puisque le pacte autobiographique lejeunien est
rompu (Lejeune, 1975). Alors que pour Doubrovsky cela contri-
bue à l’angoisse de l’auteur et au désir d’impliquer le lecteur dans
le texte (Vilain, 2005 : 184), pour Thierry Poyet, qui critique la
3. Voir Worton et Still (1990) pour une lecture de l’agôn dans le contexte
de l’intertextualité.
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Cette technique engage les lecteurs dans le texte, mais réduit leur
possibilité de prendre leur distance et de mettre en place un
dialogue de lecture.
Dans l’œuvre d’Angot, l’inséparabilité du discours et du
métadiscours engage le lecteur dans le processus d’écriture (déci-
sion inclusive), mais nous devons également tenir compte de la
construction parallèle du lecteur, qui peut être inclus ou exclu.
L’attitude d’Angot, ou plutôt celle de la Christine textuelle, est
en effet extrêmement ambivalente. Dans Quitter la ville, par
exemple, Christine décrit de façon sarcastique les lettres qu’elle a
reçues de lecteurs, concluant par le commentaire suivant : « C’est
tous des cons, et ils sont plus nuls les uns que les autres » (Angot,
2000 : 125). Christine, comme d’ailleurs Angot, remarque que
de tels lecteurs imposent leurs propres interprétations à ses textes
et la critiquent parce qu’elle ne les inscrit pas dans leurs propres
paramètres. Lors d’un débat à la suite d’une lecture publique, elle
relate, encore une fois dans Quitter la ville, comment les lecteurs
répondent à sa place, même en sa présence. De telles remarques
sont certes justifiées et révèlent l’agôn de l’écriture et des relations
entre l’auteur et le lecteur. Toutefois, les lecteurs intradiégétiques
sont toujours perçus, même s’ils le sont à un faible degré, comme
des alter ego du lecteur extratextuel (nous), et nous pouvons
nous sentir insultés, violentés, coupables même.
En outre, agissant parallèlement, Christine anticipe nos pro-
pres lectures et interprétations de son œuvre. Tout au long de
l’œuvre d’Angot, Christine évite et contredit les efforts de caté-
gorisation de son écriture, comme dans les célèbres citations « ce
n’est pas une merde de témoignage comme on dit » (2000 : 13)
et « l’autofiction n’est pas possible » (2000 : 169). Néanmoins,
dans Pourquoi le Brésil ?, Christine dénonce ce genre d’exercice
dévalorisant lorsqu’elle est de l’autre côté de la barrière : « C’est la
nouvelle forme de censure, on prévoit d’avance vos réactions,
comme ça vous ne pouvez plus en avoir » (Angot, 2002 : 59).
Dans L’inceste, la contre-attaque est anticipée : « Prendre ce livre
comme une merde de témoignage ce sera du sabotage, mais vous
le ferez » (Angot, 1999 : 197). Le lecteur est ici interpellé ex-
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Comme nous l’avons vu, l’œuvre d’Angot explore les rela-
tions de pouvoir de différentes façons. De telles relations carac-
térisent également la dynamique du processus de lecture que les
théoriciens contemporains de la lecture ont considérée sous
l’angle de la séduction et de la résistance, de la coercition et de la
complicité, de l’inclusion et de l’exclusion. Néanmoins, la façon
dont les textes d’Angot entraînent le lecteur dans ces relations de
pouvoir résulte en une intensification de cette dynamique.
Comme le remarque si pertinemment Shirley Jordan, l’inceste
dévoile son aspect « absolument fondateur » et « essentiellement
contaminateur » dans l’œuvre d’Angot (2007 : 215 ; notre tra-
duction). La lecture devient donc trope de la narration de
l’inceste, tout comme la narration de l’inceste devient trope de la
lecture. Le miroir de la société et de soi que les textes d’Angot
tiennent pour nous refléter invite donc à une lecture qui rend
mal à l’aise. Le sujet qui est construit par les textes d’Angot, sujet
de lecture et sujet d’écriture, est ainsi à la fois agressif et vul-
nérable (Jordan, 2007), victime et bourreau. En outre, le lecteur
ou la lectrice d’Angot est activement confronté à sa propre agres-
sion, selon son degré de voyeurisme ou de naïveté, selon sa parti-
cipation émotive au texte ou son exclusion du texte, et comme
nous l’avons vu dans le cas d’Interview, il ou elle doit assumer la
responsabilité de ces prises de position de lecture. Ainsi que
Jordan l’a exprimé de façon succincte, « notre statut évolue de
celui de témoin à celui de lecteur » (2007 : 212 ; notre traduc-
tion). L’œuvre d’Angot est donc bien plus qu’un exemple gratuit,
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NOTICES BIOBIBLIOGRAPHIQUES
LA DERNIÈRE DURAS :
AUTOUR D’UN ROMAN DE L’ENTRETIEN
Florence de Chalonge 25
LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE
ET LA QUESTION DU POLITIQUE
Dominique Viart 105
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OBJECTIF : RÉEL
Bruno Blanckeman 223
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TABLE DES MATIÈRES
www.editionsnotabene.ca
ISBN : 978-2-89518-342-6