La "Question est vite répondue"​ pour les Managers
C'est qu'il n'y a pas de problème ?

La "Question est vite répondue" pour les Managers

Avez-vous remarqué que depuis toujours les managers ont pour mission de "trouver des solutions". Alors ils trouvent des solutions ! Ils les "mettent en œuvre" et hop ! Surgit alors la très magique "résistance au changement". et d'autres problèmes à régler plus les anciens, et nous voilà avec un besoin ... de management ! Mais là c'est une autre histoire. Le truc c'est que personne ne sait vraiment quel problème est résolu par cette géniale solution. Ou tout le monde pense le savoir.

Prenons un problème très simple et basique d'une histoire vécue dans ma vie d'ergonome : un service où les infirmières (IDE) ne portent pas leurs Equipements de Protection Individuelle (EPI), pourtant généreusement fournis par l'établissement,. Elles doivent le mettre (Env 5 Mn) lors d'une opération assez délicate qui dure 20 à 30 Mn : la désinfection (stérilisation à froid) à l'acide Péracétique (agressif pour les muqueuses et autres problèmes à moyen long terme) de certains dispositifs médicaux. Un CHSCT surgit sur le sujet lorsque certaines se plaignent d'irritations chroniques. Tous les acteurs de l'instance s'accordent après s'être copieusement menacés bien sûr : il faut que les IDE mettent leurs EPI. Et donc la décision de la direction (validée à tout niveau) sera : "Réaliser une affichette à mettre au-dessus des bacs de désinfection avec cet acide". Voilà. Une solution. Rondement menée. Le problème est résolu. Et d'ailleurs il ne reviendra plus sur le tapis. Et pourquoi ne revient-il pas ? Pas parce que les irritations ont cessé. L'affichette a pourtant été réalisée et positionnée. Alors quoi ? Les enjeux derrière ce problème (responsabilité, voire "bientraitance" des professionnels pour les managers, positionnement syndical, protection visible des salariés) ont étés résolus. Pfiout ! Dans bien des cas la solution n'est pas là pour "travailler" la situation, mais pour résoudre le problème que cette situation pose à celui qui d'une position de responsabilité quelconque en hérite. La solution est trouvée au problème des personnes autour de la table. Et la situation ? Personne n'est allé voir si ce n'est pour un "audit" de conformité.

Revenons un instant sur la solution. Que dit cette "affichette" ? Non, je ne parle pas de ce qui est écrit dessus, mais de ce qu'elle dit des représentations sur le travail des IDE en question par ceux qui ont présidé à sa mise en place. Elle dit que ceux qui travaillent ne "savent" pas : il faut le leur expliquer. Ceux qui parlent décident d'une position de surplomb : ils savent que les IDE ne savent pas, et qu'il faut "plus de pédagogie". Cette position de surplomb correspond au concept du "Cap et de la pédagogie" de Barbara Stiegler dont vous aurez remarqué que je suis friand. Et ce concept est assez raccord avec la façon dont nombre de managers se représentent eux-mêmes et se parlent : le capitaine du navire (entreprise / institution / établissement) qui donne le Cap (et le Sens bien sûr) a ses fidèles matelots qu'il convient de guider. Une vision très, très surannée du mangement, mais qui perdure pour beaucoup. Mispelblom Beyer dans son livre "encadrer un métier impossible" propose une image amusante de la chose : les managers se pensent comme la locomotive d'un train dont il faut tirer les wagons (les salariés) sur la bonne voie, vers les bonnes gares. Et voilà la locomotive qui démarre ... pour finir toute seule sur sa voie. Elle s'arrête, on regarde autour pour se rendre compte que ce qu'elle croyait être des wagons, c'est à dire "l'autre", sont en réalité, comme lui : des locomotives. Des êtres pensants, qui comme elle résolvent des problèmes complexes avec leurs solutions. Et cet impensé de l'autre a amené tout le monde à s'égayer sur différentes voies. Quelle angoisse pour qui voulait maîtriser la trajectoire de tous ! Et c'est cette angoisse qui est "cadrée" par notre affichette (et tous les avatars que vous pourriez lui imaginer). Pour que ça marche bien, il ne faut pas retourner à la rencontre de la situation, ou l'interroger trop en profondeur : il faut qu'elle soit conforme (et hop ! un Audit).

Récapitulons :

  • Le manager sait ce qui est bon, ça n'est jamais bien compris (sinon "ils" feraient ce métier).
  • Les autres, quand ils sont de bonne volonté, ne "savent" pas. Il faut leur expliquer : Affichettes, formations, sensibilisations (je l'aime celui-là), Ateliers, ... .
  • Il faut les "cadrer" et les rendre conformes : Audits, inspections, injonctions, notes de services, .... .
  • Celui qui "sait", ne sait pas que ce qu'il gère c'est son stress, son désir de ne plus avoir à gérer la situation. Mais il a le pouvoir de forcer les autres à agir conformément à ses représentations (jamais l'inverse)

Pour la petite histoire : j'y suis allé. Pour prendre soin de patients qu'elles ne pouvaient laisser sans surveillance pendant l'activité de désinfection qui nécessitait 20 Mn, elles plaçaient ceux qui en avaient besoin dans une salle visible de la désinfection, et répondaient à ses appels fréquents. Avec les EPI à mettre et enlever (2*5 Mn à chaque fois), ces réponses devenaient impossible. Elles connaissent très bien les dangers et nuisances de l'acide Péracétique. Et aussi celles de la culpabilité de laisser une personne souffrir, voire de la mettre en danger. Elles ont donc opéré un choix tacite : privilégier la réponse au patient à leur sécurité à moyen terme. Sans doute que plus d'immédiateté des conséquences aurait pondéré le choix différemment, mais elles savaient avoir opéré ce choix. Mais ce choix n'aurait pas dû leur incomber seules. Il s'agit selon Daniellou d'un "conflit intrapsychique" hérité de l'environnement social et non socialement résolu ("Les conflits intrapsychiques qui se développent sont l’intériorisation des débats sociaux qui n’ont pas lieu entre différentes visions du travail et de sa qualité"; B. Dugué et J. Petit citant Daniellou). Un travail sur l'organisation du service et alternatives possibles ont permis d'en finir "pour de vrai" avec cette problématique. Bien sûr plein d'autres questions ont été soulevées ensuite : c'est bien là une situation complexe au sens de Edgard Morin. Lorsqu'il s'agit d'activités humaines, il n'est pas d'activité simple, ni même compliquée. Toutes sont complexes ! Alors les affichettes en première intention traitent visiblement autre chose que la complexité.

Nous croyons tous que nous non, on analyse vraiment. Nous avons tous des moments où on en a marre de se trimbaler ces questions. Et pourtant j'espère que lorsque se posera la question de l'achat de ce logiciel, de l'embauche de ce chargé de mission, de cette réorganisation, de cette formation imposée aux salariés, et autres "affichettes" vous poserez la question : "Mais c'est la solutions à quelle problématique au fait ?".

Ensuite ? Et si on imaginait que les personnes agissent dans des situations complexes et font ce qu'elles font pour des "raisons" ? Que ces raisons nous sont inconnues, les évidences trompeuses ? Qu'il est important de se questionner sur ses représentations du travail d'autrui, le statu de ses propres représentations, la façon dont on les interroge, et avec qui ? LA question est de se départir de ses évidences (Cf. J. Oury et sa chasse aux "ça va de soi"), de chercher des raisons, et de problématiser. Le pire c'est que je ne suis pas certain du tout que la question serait de chercher des "Solutions", il s'agit plus de dialectique avec le réel, les situations. La Solutionite n'a pas fini de nous gratter.

Tout ça pourrait faire l'objet d'un autre billet. à voir. Ca paraît complexe.

Fossile de John Bost( Le Repos)....les années ont passé, le questionnement persiste.

Thierry PARAVIS

Ergonome en service de prévention et de santé au travail

1 ans

Merci cher Caton Fabrice de cette friandise pour ergonomes, managers et partenaires sociaux de tous poils! Me permets-tu de l'enregistrer dans la chasse aux pépites sur www.carepact.fr?

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