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Olivier Rey

La foi du mathématicien

Chercheur au CNRS, professeur de mathématique à l’École Polytechnique et de philosophie à la Sorbonne, cet homme de savoir vit sa foi comme un long cheminement intérieur… et extérieur.

Rencontrer Olivier Rey c’est plonger dans l’histoire des religions, évoquer les philosophes grecs et s’interroger sur les mystères de la création du monde. Un puit de science qui n’accepte de parler de lui que pour mieux parler des sujets qui le préoccupent. Le dernier objet qui donne matière à sa réflexion ? L’orientation des poussettes pour enfant, thème de son dernier livre (Une folle solitude. Le fantasme de l’homme auto-construit, Seuil). En effet, jusque dans les années 1970, les enfants dans leurs poussettes étaient orientés face à l’adulte qui les promenait. À partir de cette période, on s’est mis à orienter les enfants vers l’avant. Loin d’être une plaisanterie, il s’agit pour l’auteur, à travers cette question, de nous entraîner dans une enquête passionnante au cœur du monde contemporain. « Ce petit fait, d’apparence anodine, m’a semblé révélateur d’un mouvement de grande ampleur : la promotion d’un individu n’héritant plus du passé, regardant d’emblée vers le futur et se construisant par lui-même. Or, sans racines, l’homme s’enfonce dans la barbarie. J’ai voulu retracer les origines de cette impasse, et trouver des solutions pour que soit préservé le terreau humain nécessaire à la formation de personnes libres. »

À 44 ans, Olivier Rey a suivi un parcours singulier. Porté par la logique scolaire, le jeune Nantais à une « révélation pour les mathématiques » en classes préparatoires aux grandes écoles. Après l’École Polytechnique, il obtient un doctorat de mathématiques, puis intègre le CNRS.  En parallèle, il se passionne pour la philosophie qu’il enseigne depuis quelques années à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Et lorsqu’on lui demande s’il n’y a pas un paradoxe entre ces deux domaines, il sourit : « La philosophie et les sciences ont été réunies jusqu’au Moyen-âge. C’est à l’époque moderne qu’il y a eu une scission. La philosophie a gardé l’ambition d’une compétence générale, quitte à ne pas avoir le même degré de certitude que la science qui, de son côté, ne peut produire un savoir sûr qu’en limitant son questionnement. »

Élevé dans une famille de tradition catholique mais opposée à la religion, Olivier Rey n’a pas reçu d’instruction religieuse. « Ma famille se disait athée, mais ma mère me lisait chaque soir des pages de la Bible. Une démarche très protestante ! Elle pensait que la religion avait eu un rôle structurant dans la culture européenne et qu’une connaissance des textes était nécessaire pour comprendre le monde dans lequel nous vivions. C’était la justification rationnelle qu’elle donnait à la transmission. J’avais 8 ans et je ne comprenais pas grand chose à l’histoire biblique, mais je pressentais malgré tout que ce texte s’adressait à moi et qu’il cherchait à me parler. »

Ce n’est que plus tard qu’Olivier Rey décide de revenir progressivement à la lecture de la Bible et au christianisme. « Je n’ai pas eu de conversion brutale pour la religion. Je dirai plutôt que c’est un long chemin qui n’est d’ailleurs pas encore achevé. Curieusement, c’est la lecture de Nietzsche, philosophe violemment anti-chrétien, qui m’a amené vers la religion. D’après Nietzsche, ce sont les principes chrétiens qui ont fini par tuer Dieu. Pour moi, ce sont les principes nietzschéens qui m’ont progressivement conduit, à travers l’étude des auteurs que lui-même avait lus, jusqu’aux Évangiles et à la tradition biblique ! » Le professeur reconnaît que la première familiarité qu’il a eu avec la Bible durant son enfance lui a incontestablement ouvert les portes de la spiritualité. « Les enjeux vitaux d’une personne résultent des questions qui ont été éveillées dans l’enfance ».

Lorsqu’on le sollicite sur Dieu, Olivier Rey répond sans tabou, mais il explique que la question n’est pas de savoir si Dieu existe ou non, mais s’il est présent ou absent. « De la même manière, la Grâce ne s’explique pas, c’est une chose sur laquelle l’homme n’a aucune maîtrise. Et plus on cherche à la maîtriser et moins ces moments surviennent. » S’il pratique la religion « en pointillé », Olivier Rey reconnaît que la Réforme, ce mouvement spirituel qui a profondément bouleversé l’église catholique, le touche intimement…même s’il avoue sa préférence pour le rite orthodoxe !

En cette période des préparatifs de Noël, le mathématicien avoue se sentir quelque peu extérieur aux rites religieux, faute d’y avoir été familiarisé durant son enfance : « Ces graines-là n’ont pas été semées ». C’est un regret. « Les rituels collectifs expriment le fait que le rapport à Dieu et le rapport aux autres vont de pair, sont intimement liés. » Même si dans le christianisme, les textes de références ne codifient pas un rite particulier, et insistent sur la disposition d’esprit davantage que sur les démonstrations extérieures. À l’emploi du mot « croyant », il préfère celui de « foi », plus intense et moins banalisé. « La foi a une dimension d’engagement personnel alors que la croyance est souvent envisagée comme quelque chose qui se constate. » Et d’assurer que moins on est prolixe sur sa relation à Dieu et mieux on se sent. « Le rapport à Dieu, c’est aussi faire l’expérience du silence. À certain moment, le langage est inadéquat. »

À la question de savoir si les mathématiques vont à l’encontre de la foi, Olivier Rey répond par la négative : « On oppose souvent le récit biblique à la science alors que ces deux domaines ne s’adressent pas aux mêmes facultés en nous. La science nous parle du rapport à l’objet quand la religion nous parle du rapport au sujet. Cette controverse est un peu ridicule. D’autant que l’on ne peut pas se construire uniquement grâce à la pensée scientifique, il faut d’abord passer par d’autres récits nécessaires à la construction de l’adulte. » Le professeur s’érige contre cet affrontement entre deux camps, la science et la religion, cette dernière ayant actuellement tendance à être vécue sur le mode purement émotionnel de l’effusion.

Et Olivier Rey de rappeler que l’on doit vivre sa relation à Dieu avant tout dans la non maîtrise et dans son rapport à autrui. Un homme pour qui la foi ouvre aux autres : « La fraternité repose sur le fait que nous avons tous le même Père ».

REPÈRES

1964 Naissance à Nantes

1983 Entre à l’École Polytechnique

1989 Doctorat de mathématiques. Il entre au CNRS

1991 Enseigne les mathématiques à l’École Polytechnique

1994 Le Bleu du sang (roman, Flammarion)

2003 Itinéraire de l’égarement – Du rôle de la science dans l’absurdité contemporaine (Seuil)

2005 Enseigne la philosophie à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

2006 Une folle solitude. Le fantasme de l’homme auto-construit (Seuil)

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