Sixièmes choux

Il y a trois semaines, j’étais chez des amis, et j’ai vu dehors sur le mini-balcon qui prolonge la fenêtre la réserve de légumes de saison. Novembre est le mois où on achète les choux pour l’hiver. Ils se conservent au froid, l’extérieur se flétrit un peu, l’intérieur reste croquant. Cela m’a rappelé que j’avais oublié de raconter que c’est le sixième anniversaire de ce blog, commencé en novembre 2006. Depuis, les statistiques me disent qu’il y a eu 354.000 « pages vues » (un peu plus si on comptait ceux qui l’ont consulté depuis l’intérieur de la Grande Muraille, le site WordPress qui fait les comptes est inaccessible), et cet article est le 335 ième.

Je suis allé au marché de la seconde rue de Nankai, pas loin de chez nous, voir les choux de l’année proposés en grands tas aux clients. Les marchés de la ville ont un air d’abondance presque toute l’année, grâce aux vendeurs qui installent au bord du trottoir un camion de pastèques, ou d’oranges, ou de choux donc, avec une balance à l’arrière.

La municipalité n’aime pas ce genre de commerce, ça fait tiers-monde, ce n’est pas contrôlé, mais elle n’y peut rien, à part faire disparaître les lieux où les marchés se tiennent, remplacés par des jardins publics et des haies d’arbustes décoratifs, comme dans notre quartier. Notez la vieille dame en fauteuil roulant à petites roues et sans moteur, qu’on ne peut pas faire avancer soi-même. Elle a embauché le jeune homme en bleu pour faire son marché.

Le tas de choux est protégé par une couette en coton matelassée. La dame en contemplation est la patronne. Elle regarde ses jeunes vendeurs s’affairer.

Choux blancs du champ de jade yu tian baicai (jade champ blanc-chou), vendus 4 mao la livre, ce qui fait dix kilos pour un euro ; il faut un euro pour acheter huit yuans, et dans un yuan il y a dix poilsmao (comme le Président), ou dix cornesjiao (le nom officiel du décime de yuan).

Pour un yuan, on peut aussi acheter sur le marché une liasse de vingt billets de la Banque du Ciel, qu’on brûle pour virer l’argent aux ancêtres qui en ont besoin dans l’autre monde (cliquer sur l’image pour les voir plus grands). Les billets traditionnels sont à l’effigie de l’Empereur du Ciel (en haut) mais la nouvelle mode, depuis deux ou trois ans, est aux vrais billets socialistes d’il y a trente ou quarante ans, avec des portraits de travailleurs (les billets de la Banque populaire de Chine d’aujourd’hui sont tous des portraits de Mao jeune). Au dessus des billets, des lingots d’or combustibles.

Portrait d’une cliente rousse. Contrairement à la légende,  à la publicité télévisée, et aux portraits officiels des hauts cadres, les Chinois n’ont pas les cheveux noirs, mais châtain très très foncé. Quand même, elle s’est fait décolorer les cheveux; souvent c’est un désastre, mais ici dans un rayon de soleil j’aime bien.

Retour vers la station de métro. L’hypermarché Jialefu (Carrefour) sait que la tradition veut qu’on achète les choux d’hiver directement au camion. Aussi, où les mettre à l’intérieur ? Ils sont moins chers et moins beaux qui les meilleurs du marché. En avant, les bâtons blancs ne sont pas des poireaux, mais des « oignons » longs, qui eux aussi se conservent très bien l’hiver.

Bizarre. Le jeune vendeur que j’avais rencontré l’année dernière au même endroit est revenu, avec le même jean Diesel et les mêmes baskets Playboy. Je ne l’avais pas reconnu sur place et je m’en aperçois en regardant la photo. Est-ce un signal pour m’avertir que je tourne en rond dans les saisons de ma petite chronique ?

En fait, les signes de fatigue du destin se multiplient ces temps-ci. Mon ordinateur qui fonctionne en chinois, d’où sont partis les articles depuis avril 2011, est tombé en panne. Pas d’Internet, et beaucoup de choses qui ne fonctionnent plus. J’ai essayé de le ressusciter avec un autre exemplaire de Windows en chinois (à 20 yuans au Cyberworld de la rue Anshan ouest, que les gens de Tianjin connaissent bien). Ca n’a pas marché. Le Windows en français qui date de mon ancienne machine n’a rien donné non plus.  Je me suis rappelé que j’avais rangé quelque part un exemplaire de système Linux Ubuntu téléchargé un jour en me disant que je l’essaierai quand j’aurai envie de refaire de l’informatique. Etonnant: ça a fonctionné, tout marche bien sauf moi, qui suis un peu égaré, comme si j’habitais une nouvelle maison. J’ai quand même réussi à préparer et écrire cet article, c’est encourageant.

Autre signe: avant-hier matin mon petit tunnel sous la Grande Muraille s’est effondré aussi. Je n’ai plus accès aux sites étrangers interdits (Facebook, Youtube, Internet Archive, les blogs de WordPress, et bien d’autres; en général tous ceux qui ne se sont pas engagés à supprimer sur demande ce qui pourrait nuire à l’harmonie de la société; les sites Microsoft Live ne sont pas interdits). J’ai consulté mon fournisseur qui m’a envoyé de nouveaux codes d’accès en me prévenant que la technique du Ministère de la Sécurité de l’information s’est brusquement améliorée et qu’il faudra changer les codes souvent. Le premier code a duré une journée. Je vais en essayer un autre. Tout ça prend du temps.

4 commentaires sur “Sixièmes choux

  1. Cher vous ,pour ce 336ème post d’automne, en plus des choux sur les palliers il y avait dans vos posts des années passer les conduites de chaleurs,ces gros tuyaux gris qui serpentaient dans les deux mètres de haut et au-delà les avenues…et dont je n’ai jamais compris le principe;comme on dit ici  »yen auras pas de facile » :alors courage , l’été reviendra comme ils disent en France…

    J’aime

  2. Félicitations pour ces sixièmes choux, et courage pour vos pérégrinations tenaces sous la grande muraille ! Je lis toujours avec autant de plaisir et d’intérêt votre petite chronique, comme vous dites, j’avais reconnu le vendeur en jeans à l’arrière de son camion, et je me suis dit chouette, le revoilà ! Comme si vous nous ouvriez des raccourcis familiers vers la Chine, où je n’ai pourtant jamais mis les pieds… Alors merci, et chaleureuse septième année de choux à vous !

    J’aime

Laisser un commentaire