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Merzbow vortex, Merzbow dentelle

Merzbow, Merzbox, Enregistrements de 1979 à 1997, Extreme, 2001, MX4742

 

Aborder Merzbow, préparer l’attention

Dans la musique bruitiste, c’est l’incontournable, une montagne de musiques pulvérisées, la grande décharge de tous nos bruits archaïques, ancestraux, modernes, postmodernes, industriels, postindustriels, hyperindustriels… On pourrait même croire que tout bruitisme aboutit dans cette supernova en ébullition et, qu’aussi bien, tout bruitisme en provient, tant elle est gigantesque, capable de tout bouffer tout recracher, indistinctement. Y a-t-il encore un musicien aux manettes ou bien n’est-ce qu’un immense programme informatique qui décortique toutes les musiques et les transforme en bouillie à partir d’un concept ? Est-il possible de pousser plus loin la dépersonnalisation destructrice de tout matériau musical ? Ce bruit total qui en devient blanc appartient-il à quelqu’un, est-il situable ? Pour les initiés, Merzbow est peut-être trop « évident », trop présent depuis trop longtemps, trop constant et dès lors banalisé, peut-être une trop grande accoutumance le rend-il inaudible, fondu dans le décor ? Pour les néophytes, par contre, la découverte de cette zone d’ombre de la musique du XXe siècle, constituera presque à coup sûr, encore aujourd’hui, une agression, un scandale et se heurtera à l’impossibilité de consacrer du temps – soumettre son organisme au rituel de l’écoute – à une discographie aussi monstrueuse, flirtant en permanence avec les formes de l’extrême. Extreme, c’est aussi le nom du label où il publie en 2001 un objet discographique incomparable, chu d’un désastre obscur comme l’écrit Mallarmé, mais d’un désastre aussi très excitant : une mallette en caoutchouc noir (la Merzcase) contenant cinquante CD dont vingt inédits (!), un CD-ROM, un T-shirt, un copieux catalogue avec une biographie détaillée, des stickers, une médaille en bronze, un poster… Soit près de six mois de travail. L’objet en lui-même, à part, hors normes, concentrant la preuve d’une œuvre atypique et gigantesque, ne peut que conduire à examiner sérieusement ce qui se passe là-dedans, à y reconnaître un pan historique incontournable des musiques modernes.

 

Comment parler de la musique Merzbow, qu’en dire ? Quelques repères incontournables

Je ne suis pas un spécialiste de Merzbow mais, professionnellement, il y a longtemps que j’ai un coin de l’oreille toujours habité par cette marée noise, au point que toute écoute de quelque musique que ce soit en devienne hantée (« La marée, je l’ai dans le cœur, qui me remonte comme un signe », chantait Léo Ferré), parce qu’aussi bien, dans ce raz-de-marée sonore de Merzbow, toutes les musiques se trouvent, des plus tribales aux plus savantes, des plus spirituelles aux plus matérialistes, des plus banales aux plus excentriques, en provenance de tous les continents, c’est une autre manière de réaliser la mondialisation musicale. C’est hallucinant. Je me souviens du premier disque de lui arrivant en réunion d’écoute professionnelle (entre médiathécaires) : une claque. Quoi qu’il se soit passé depuis, il convient de ne pas renier cette claque. Puis, régulièrement, j’en ai écouté, j’en ai acheté ponctuelle ponctuellement pour les avoir sous la main, j’ai plongé plusieurs fois dans la Merzbox, chronologiquement, systématiquement (nous avions organisé une démonstration à la Médiathèque de Charleroi de ce box invraisemblable, avec écoute via un automate brassant les cinquante CD et exposition de collages de Thyllier, l’opération avait été baptisée « Sushis de bananes à la brume de miel mécanique »). Mais enfin, que raconter et que dire sur Merzbow, dans une notice générale, qui n’ait pas déjà été dit ? On lit un peu partout les mêmes informations – Dada, sons excessifs, bondage, noise, art mail, porno, théâtre de la cruauté –, et la meilleure synthèse en français de ce niveau de connaissance sur le musicien japonais est probablement l’article de Philippe Robert dans son livre Musiques expérimentales. Une anthologie transversale d’enregistrements emblématiques (Le Mot et le Reste, 2007).

 

Merzbow, Dada, guerre totale

Merzbow est le nom de scène noise de l’artiste japonais Masami Akita, né en 1956. Études d’art et acquisition spontanée d’une culture musicale fouillée tournée vers le psychédélisme, le rock progressif et le free jazz, historiquement, des formes musicales qui, dans leurs contextes respectifs, innovaient, renouvelaient le champ des esthétiques sonores et étaient liées à diverses formes de contestations sociales et politiques. Son projet a été aussi, bien entendu, influencé par l’art du bruit à travers le manifeste futuriste de Russolo. Son pseudonyme n’a rien de gratuit et l’inscrit dans une filiation délibérée, politique, avec Kurt Schwitters et ses diverses déclinaisons du concept Merz, forme d’art intéressé par les détritus et la récupération de matériaux existants. Merzbau était un projet de Schwitters consistant à construire une maison à partir d’objets trouvés, soit une œuvre que l’on habite, une enveloppe qui évolue. Ce qu’est bien le flux musical de Merzbow : une enveloppe sonore ininterrompue où habiter, un tissu qui ne cesse de croître en fonction des cellules que le cerveau tricote entre toutes les occurrences musicales et bruyantes flottant dans notre environnement. Il projette une continuation activiste de la posture dadaïste par rapport à ce que les horreurs de la Grande Guerre nous ont appris sur la nature humaine et ses régimes de gouvernance. C’est une musique de pertes de repères qui exacerbe le bouleversement des certitudes et le carnage se substituant au triomphe de la rationalité occidentale. C’est une musique de guerre à la guerre, une musique qui rappelle en permanence le rôle majeur des horreurs guerrières dans l’histoire de l’humanité. Une exacerbation sonore totale de la virilité jusqu’à l’autocastration (perceptible dans la dramaturgie qui sous-tend toute la recherche Merzbow). Cet esprit de conquête par la destruction aveugle, il l’actualise et le transpose dans le contexte de la société d’hyperconsommation, en description de la guerre totale que l’économie, grâce à ses nouveaux canaux communicants pénétrant de plus en plus profond dans les fibres de l’intime, livre aux affects individuels pour les soumettre aux pulsions du marché. On pourrait entendre ce déferlement comme la bande-son du formatage brutal et insoupçonné des sensibilités dans une sorte de camp de la mort de la consommation, consumation des désirs dans une pornographie outrée du vital. Pornoise est un titre Merzbow. Sauf que, en entendant exclusivement cette démesure déchaînée, qui correspond aux symptômes les plus évidents, on fait passer à la trappe tout un monde de nuances et un différentiel de moyens auquel il n’est jamais rendu justice. À ses débuts, Merzbow enregistre ses collages sonores sur cassettes, les emballe et les diffuse par mail art, dans des collages, visuels ceux-là, qui recyclent l’imagerie pornographique. C’est recourir à un mode de diffusion virale de l’art, artisanal – le mail art ne vise pas que le destinataire final mais tous les intermédiaires qui peuvent être amenés à voir, trieurs, postiers, tiers, soit le public collatéral –, tout en l’emballant dans des évocations de jouissances industrialisées, ce qui ne manque pas de jouer sur les paradoxes : l’excessive exhibition sexuée des corps attire le regard et gagne tous les niveaux du social alors que sa pornographie sonore rebute les oreilles, est jugée insoutenable.

 

Merzbow n’est pas sans filiation : il exacerbe un réseau de filiations

Il est une continuation « monstrueuse » du rock progressif et du free jazz. Ces influences sont encore très perceptibles dans ses premiers enregistrements où il recourt à une variété plus grande d’instruments qui restent audibles en tant que tels selon une organologie tentaculaire. Les phases musicales n’étant pas encore totalement déconstruites, on en perçoit mieux la généalogie. Au fil d’une production qui, d’année en année, adopte un rythme infernal, métabolisant de plus en plus intensément, dans son système sonore, la violence croissante et refoulée de nos sociétés démocratiques modernes, il va durcir ses imprécations soniques contre les flux subliminaux qui nous gouvernent, le cut-up deviendra de plus en plus impitoyable, vertigineux jusqu’à l’effroi – plus question que le corps du délit soit identifiable –, les superpositions et crash à incarcérations multiples vont complexifier la texture Merzbow. Tout sera de plus en plus haché menu dans de sculpturales densités sonores. L’effet de désorientation se radicalise au fur et à mesure que les machines facilitent l’organisation de cette complexité : l’ordinateur remplaçant le découpage et collage de bandes, les possibilités de manipulation/déformation/amplification du désastre deviennent infinies. Masami Akita renvoie le miroir de cet infini des moyens technologiques qui peut très bien ne plus rien vouloir dire, tellement il devient énorme, fourre-tout trop vaste à appréhender dans sa compression multicouches. Musique de la nausée. Une fois la machine Merzbow lancée, plus rien ne l’arrête, son amplitude ne cesse de croître, en autarcie, elle semble se nourrir d’elle-même, de ses propres réactions en chaîne.

 

Du principe de l’accumulation. Entre banalisation et hors normes

On dit volontiers qu’il joue sur la compression et l’accumulation, comme certains artistes vedettes de l’art contemporain. Ainsi, ce serait le flux intense et énorme, résultant de la superposition des œuvres successives qui importerait plus que les œuvres prises individuellement. Une de ses créations prise en particulier ne signifie pas grand-chose mais que la totalité, l’ensemble, la surcharge, la saturation qu’il faut ressentir comme si cette musique proliférante pouvait être partout à la fois, sans qu’on puisse y échapper – musique qui rend paranoïaque –, c’est cela qui lui donne sens. Je ne suis pas tout à fait d’accord. Quand on plonge trop et trop longtemps dans sa musique, s’installe certes l’impression de désorientation, d’un magma techno bouillant, indifférent, qui ne peut plus bouger tellement il s’est couvert d’appendices et d’extensions comprimées les unes sur les autres. On peut imaginer qu’au centre de ce maelström gigantesque subsiste un trou de silence mais comment le chercher ? On entend dire aussi que tout se ressemble, machinique. La surabondance de nuances survoltées, hypertrophiées, en ferait perdre la mesure. Avec le recul, en prenant une certaine distance, en écoutant des échantillons de périodes différentes, la perception, il me semble, est différente. Il faut traverser la gangue rébarbative. Comment expliquer que cette profusion agitée, saccadée, excessive soit, aussi, un mouvement plein de raffinement, une pulvérulence soignée ? C’est une montagne hurlante, l’immense dépotoir de tous nos bruits projetés dans l’espace, c’est une masse assourdissante. Mais c’est une montagne agitée d’infinis mouvements très fins, réfléchis au moins dans leur principe, dans ce qui les génère et les régénère pour qu’ils se multiplient et ne cessent de se dévorer et s’engendrer l’un l’autre. Dans la masse, grouillent de la dentelle et de grandes quantités de fines particules de silence pétrifié. C’est une œuvre non statique et toute de résonances. Comment amener et défendre un tel contraste, postuler de manière plausible le raffinement paradoxal de cette musique ? J’ai en fait trouvé une piste en lisant chez François Jullien, une description de l’apprentissage de la peinture dans la culture chinoise classique et, particulièrement, l’importance accordée à peindre (de) la montagne…

 

Merzbow vortex, Merzbow dentelle : quelques pistes pour ouvrir les pistes d’interprétation

De la musique comme montagne, de l’art d’en sonder les tensions, de déplacer les notions de beau : la « montagne dragon »

Rentrons directement dans une pensée de la montagne dépouillée de tout statisme : « La montagne à elle seule est condensation d’énergie, tel le corps du dragon nous décrit-on, en se dressant et se repliant, en s’inclinant et s’incurvant, en mêlant l’inerte à l’alerte, le massif et l’acéré, le rocheux et l’herbeux, le dense et le clairsemé, le désert et l’habité… Elle « acquiert de la physicalité par son assise » en même temps qu’elle « offre de l’animation par sa spiritualité », « devient fantasmagorique par ses transformations », « désobscurcit l’esprit par son humanité », « se tend en lignes contrastées par son mouvement », etc. » (François Jullien, Cette étrange idée du Beau, Grasset, 2010) La description de cette montagne qui bouge comme un dragon pourrait très bien être recyclée pour cerner une vision panoramique de la musique Merzbow.

 

La montagne tension

Continuons. À l’héritage occidental qui entend figer du beau en fondement de la métaphysique, François Jullien tend le miroir de la culture chinoise classique qui ne veut rien figer, mais présenter des « procès », les choses en mouvement. La différence est manifeste si l’on compare les manières de « rendre un paysage ». Je propose une première (longue) citation qui rendra explicite, je l’espère, dans quel sens j’entends déplacer l’approche que l’on fait habituellement de la musique Merzbow : « C’est pourquoi le peintre chinois ne peint pas un paysage, tel qu’il s’offrirait à la perception, mais plutôt les « tensions » à l’œuvre dans la « configuration » de tout paysage (notion de xing-shi), d’où viennent à celui-ci sa cohérence et son animation. Il faut prendre la mesure du Ciel et de la terre, dit Shitao, à la fois de la « hauteur » et de la « clarté » de l’un, de l’ »ampleur » et de la « consistance » de l’autre, « pour être en mesure de modifier-transformer l’insondable des montagnes et des eaux ». Un paysage dès lors n’est jamais un coin de nature, mais concentre en lui tout le jeu des oppositions-complémentarités à travers lesquelles, jusqu’à sa plus vaste échelle, du monde est porté à s’épandre et se renouveler. Car qu’est-ce qu’un paysage si ce n’est cette ressource inépuisable de transformation que les variations de l’encre et les infléchissements du pinceau tentent de faire ressortir et d’exprimer ? Aussi « sonder » est-il le verbe propre : le peintre explore au travers des formations diverses surgissant sous son pinceau ce fonds sans fond dont elles ne cessent d’émaner. Il ne veut pas en tirer une vérité, sensitive ou constructive (des Impressionnistes à Cézanne), ni non plus faire triompher de l’épaisseur des choses une qualité – tonalité – harmonique et « belle », car la beauté est toujours résultative : elle est l’aboutissement de tant de tentatives ébauchées et hisse cet état final et définitif dans l’intemporel. Mais, à travers cet engendrement continu de la figuration, le peintre, nous dit Shitao, fait éprouver la « vie » dans son essor. »

 

Les tensions de la musique montagne Merzbow

Je souhaite relever, avant d’aller plus loin, cette prééminence de la tension, des tensions et cette notion de l’œuvre pensée comme espace de modification-transformation qui doit rendre perceptible la dimension inépuisable de ce qui, ainsi modifie-transforme. L’esthétique de la tension saisie comme force transformatrice continue de nos paysages musicaux est quelque chose qui correspond à la musique Merzbow. Je souligne aussi que, cette musique étant souvent abordée sous l’angle de l’agression ressentie par l’auditeur, on la perçoit comme un art qui jette, crache, propulse. Mais c’est aussi une musique qui sonde, produisant un vrai travail d’expression dans lequel il faut entrer, qu’il faut examiner et pas simplement subir.

 

La montagne de tous les contraires

Je comparais la musique Merzbow à une montagne. Peindre (de) la montagne dans la culture chinoise classique, nous dit François Jullien, équivaut à peindre le nu dans l’apprentissage européen. Qu’en dit-il, en tant que sinologue ? « Considérons une/la montagne. Ou plutôt commençons par retirer cet article, défini ou indéfini peu importe, que ne connaît pas le chinois et qui déjà individualise et laisse se profiler une essence. « Montagne » (shan) : quelle pertinence peut-on encore accorder à cette nomination si la différence ne s’y présente plus sur fond de traits permanents lui « supposant » une identité ? » Peindre (de) la montagne, dit-il, c’est rendre compte de la manière dont la montagne actualise sa forme, « se modifiant à chaque pas ». Peindre (de) la montagne, c’est saisir l’aspect simultané de nombreuses montagnes : « Conséquence : « Tel est l’aspect d’une montagne en même temps que de dizaines ou de centaines de montagnes. Ne doit-on pas y prêter attention ? » La consistance propre à la montagne ne tient plus ici à rien d’autre qu’à la façon dont y sont simultanément contenus, et maintenus à égalité, tous ses aspects différents : la montagne est riche de sa disponibilité à chacun d’eux et les comprend tous (en quoi aussi elle est expressive de la sagesse). Ou reprenons sous d’autres angles. « Montagne » : à la considérer au printemps et en été, c’est ainsi ; à l’automne et en hiver, un autre ainsi (ou le matin, c’est ainsi, le soir un autre ainsi, etc.) : « Tel est l’état d’esprit d’une montagne en même temps que de dizaines et de centaines de montagnes. » Peut-on ne pas l’explorer ? »

 

Merzbow montagne esprit

C’est de cette simultanéité de tous les états de la montagne en une seule peinture que découlerait la spiritualité particulière de la montagne. En suivant le mouvement du pinceau, cela donne : « Au contraire, la « montagne » se tend-elle et s’anime-t-elle entre ces pôles générant de l’intensité et que le tracé du pinceau relie en se modifiant sans cesse ; se décantant de l’opacité et de la matérialité des choses par sa variance, elle laisse effectivement de sa masse se dégager une dimension d’ »esprit » ». J’invite donc à discerner, dans la masse Merzbow, une variance de ce genre venir dégager une semblable dimension d’esprit. Encore faut-il s’entendre sur cette notion d’« esprit » dans ce cas précis. Voici, une indication : « Or qu’est-ce que l’ »esprit », du moins selon sa conception chinoise, si ce n’est précisément ce qui fait « communiquer » en leur fond, les libérant de leur exclusive et, par suite, de leur opacité, tous les aspects opposés ? » On peut entendre, dans la musique Merzbow, brassées toutes les musiques, libérées de leur « exclusive », remontées de leur fond d’opacité. Masami Akita joue de presque tous les instruments, de façon indifférenciée : sans grande originalité, ce qui l’intéresse est de faire entendre de la guitare, du clavier, de la percussion, de faire fonctionner le ring modulator… À chaque fois il prend et présente un élément de la montagne musique, comme le peintre chinois, dans le même trait de pinceau, tente de réunir tous les possibles de la montagne. Merzbow aligne les sons, les échantillons instrumentaux comme pour constituer un registre de tous les possibles musicaux actuels. Le travail du pinceau est remplacé par les agencements après coup – coupage, collage, montage manuel ou numérique – qui hachent menu les échantillons, les réduisent en cristaux dont les facettes luisantes, abrasives, résonnent de tous les contraires, de toutes les tensions contenues dans toutes les musiques. Et ces contraires – les multiples facettes du beau et du laid mises sur le même pied – vibrent ensemble, de plus en plus à l’unisson, en magma. La musique montagne, la musique Merzbow, peut, enfin, s’entendre comme le corps d’une femme totalement figé, ficelé, strangulé par le dispositif bondage le plus totalitaire et le plus artistique à la fois. Plus rien ne bouge, mais quel bouillonnement doit emplir, quelles palpitations silencieuses doivent étourdir, éblouir et opaciser ce corps immense dans ses liens ? Et quel désir impossible doit-on ressentir devant ce corps interdit, interdit d’être sanglé, tordu et découpé dans les cordes physiques du désir ?

(PH) – Merzbow à la Médiathèque – Archipel de La Médiathèque, îlot Bruit. – Merzbow site –

La communion cannibale à la Maison Rouge

Tous Cannibales, La Maison Rouge, 12.02.11 – 15.05.2011

Introduction, album de famille.

Il y a, bien entendu, un alignement de documents historiques qui rappelle à la fois la profondeur de cette question cannibale dans notre devenir civilisationnel et la manière dont se fabrique des clichés : des cartes postales de l’Exposition Universelle de Paris en 1937, exhibition de peuples cannibales ainsi que d’autres photos ethnographiques légendées « retour victorieux, préparation du festin cannibale ». Dans cette exposition, les objets rituels « primitifs » de peuples anthropophages sont sur le même pied – statut, traitement, présentation – que les installations ou photos d’art contemporain. La thématique n’est pas organisée chronologiquement selon une progression du pire vers le meilleur : du plus ancien au plus présent, la totalité de l’anthropophagie est abordée dans son actualité comme indépassable. Le fait du cannibalisme réel – au sens propre – alimente un tabou qui donne sens à toutes les manières imaginables de « manger l’autre », le posséder, l’ingérer, l’assimiler pour mieux l’habiter…

Une commune dévoration.

L’entre-dévoration comme dynamique de vie, c’est ce que montre la Composition N°5 d’Alvaro Oyarzûn (2009, Rotring sur calque) : un organisme morcelé en réseau de membres racines tourmentées. La chair lignée, stratifiée comme l’aubier du bois, prend forme, se comprime, se dilate, se troue, tourne à gauche ou à droite, se lisse ou s’étrangle en d’improbables nœuds, selon les étapes cruciales et les tensions d’une relation amoureuse. Chaque phase critique est décrite dans le dessin – comme les stations d’un chemin de croix – en lien avec un trait saillant ou dépressif de cette morphologie éclatée. Se donne à voir la cartographie d’une existence cannibalisée par le contexte et les événements prédateurs : les mots qui laissent planer un mépris, les attentes interminables, les rendez-vous foireux, les phrases qui blessent, les ruptures successives… Une série de maternités – toiles anciennes, photos de Cindy Sherman ou Bettina Rheims – rappellent, du reste, que l’on débute dans la vie en se nourrissant de l’autre, encore que cette autre soit, dans les premiers stades, partiellement perçue comme nous-mêmes, confusion des chairs nourricières et se nourrissant. L’oralité dévorante nous habite (et quand j’ai la bouche pleine de bonnes choses mâchées, coule en moi une satiété maternante).

La banalité carnassière, sinistre ou cocasse.

Nous sommes immergés dans une Histoire grande consommatrice de corps, la guerre a cultivé le goût de l’horreur, le raffinement de la torture, de la destruction, du démembrement, de l’amputation. Les formidables gravures de Goya nous rappellent ce pan macabre de notre culture et le commissaire les a mises en perspective avec des œuvres récentes qui en travaillent l’héritage (notamment Jake & Dinos Chapman), ça ne se termine pas, cette histoire réaliste du « faire mal », de la boucherie sous toutes ses formes. Elle fait écho à une imagerie du conte très ancienne, superbement illustrée par Gustave Doré, L’ogre qui s’apprête à tuer ses filles, Les Pélerins mangés en salade… C’est la même veine que reprend le peintre Michaël Borremans, mais de manière terrible, bien plus impitoyable car, si les contes laissent toujours entendre qu’il y a une issue de secours, Borremans crée une atmosphère close, un enfermement, il n’y a pas d’autres règles. Cette petite fille qui joue avec une tête tranchée conservée dans une boîte – exactement comme on range sa plus belle poupée dans une ancienne boîte à chaussures – , qui joue à la regarder dans les yeux, à la dominer de façon absolue, accumulant de la salive entre ses joues puis la faisant couler dans la bouche ouverte de son trophée macabre, ne connaît pas d’autre monde. Et mon dieu, quand on est gosse et qu’on joue, combien de massacres perpétrons-nous, quelle allégresse de donner la mort pour de faux, de pulvériser les corps, faire gicler les organes.

La viande dans le paysage.

Une grande toile d’Oda Jaune (Sans titre, 2008, 270 x 500 cm) replace notre cannibalisme dans un paysage paisible, idyllique, la nature nous mange et nous la mangeons, ainsi elle se perpétue. C’est une campagne de bocages et montagnes comme on en voit dans l’arrière-plan de la peinture flamande. Ici, elle est au premier plan. Les cycles de la vie humaine épousent les reliefs végétaux, une dormeuse émerge d’une couverture d’herbe. Il y a de la chair en gestation dans une sorte de chrysalide se caressant d’une main (autoérotisme). Il y a des reliefs de charognes posés dans la verdure, des scènes d’équarrissage passent inaperçues dans l’atmosphère générale (même si une des carcasses de bestiole pend du ciel, immense), une femme cache les yeux de son amant (« coucou qui est là ? »), il y a des visiteurs nains et des formes géantes. La peintre représente des choses plus horribles, tel ce buste nu de femme dont le visage est dévoré par une tête de Nègre, qui lui rentre dedans, vient se loger sous son crâne, lui bouffer la cervelle. La femme est passive, aucun soubresaut, aucune violence ne parcourt cette image, on pourrait croire qu’elle se livre à son plaisir, s’imaginant absorber ainsi cette tête étrangère, familière de ses fantasmagories intimes. Nous regardons cette peinture les pieds posés sur la marqueterie que Wim Delvoye a fait réalisé avec des morceaux de charcuterie. L’effet est assez remarquable, renvoyant à quelques souvenirs de marbres ancestraux, religieux, lustrés, raffinés, énigmatiques. « La mosaïque évoque aussi bien une église baroque italienne que les motifs géométriques de l’art islamique. Delvoye substitue de la chair animale au marbre rouge qui, traditionnellement, évoque la chair christique. » (Guide du visiteur, Maison Rouge). Un sol banal à première vue, un dédale de profanation à y regarder de près.

Cosmologie ou bain de sang, polysémie du cannibalisme

Les photos de Pieter Hugo (Afrique du Sud), elles, dérangent, vraiment, elles actualisent le goût du sang, le goût du meurtre. Un grand format en couleurs, d’abord, un couple étrangement uni, la femme endormie sur les genoux de son amant. Mais il a les yeux injectés de sang, la bouche vampiresque dégouline d’hémoglobine et, elle, détendue, a le coup sanglant. Ça n’a rien de kitsch. Que du contraire : si on fait le lien avec les études ethniques récentes sur le retour des zombies en Afrique du Sud, ce portrait est résolument politique. Tout comme ses portraits d’albinos qui claquent comme des avis de recherche malsains si l’on sait qu’en Afrique les albinos sont accusés de pouvoirs maléfiques et qu’ils sont victimes de sacrifices humains quasiment sur tout le continent africain. Mourir étouffé dans sa chair, c’est ce que représente The Matrix of Amnesia de John Isaacs (sculpture en cire, 1998), un corps énorme, flasque, incapable de se porter, étalé comme une flaque, vidé, absorbé dans sa maladie, son hypertrophie incontrôlée, il est là et il n’est plus là, ce gros tas est aussi une absence, du rien. Gilles Barbier, lui, représente un corps allongé, ouvert comme pour une autopsie – acte de science, désir de connaître et d’expliquer le corps – mais dont tous les organes jaillissent en une floraison étoilée, voie lactée de viscères arborescents, c’est l’intérieur du corps qui fait rêver, un mystère qui s’épanouit. Tout le contraire de ce que fait suinter Adriana Varejâo (1964, Brésil) : un mur carrelé de blanc, salle de boucherie ou morgue, mais aussi tous les murs blancs impeccables de nos environnements hygiénistes (cuisine, salle de bain), qui craque, s’éventre, déverse toutes les tripes sanglantes refoulées de l’Histoire. Une immense plaie sans fond qui se remet à saigner, purulente. Ce ne sont pas de belles tripes fraîches mais des paquets de viscères bafouées, martyrisées, abîmées, broyées pour en extirper toute âme et dignité, c’est le retour de la chair indigène déchiquetée par la colonisation. Ce grouillement sanguinolent fascine : étrange comme on est porté à s’y identifier. Encore une histoire qui ne termine pas.

La danseuse et les larves, grouillement commun

Un corps de danseuse sanglé dans une combinaison en tapisserie florale – ce n’est pas un banal tissu, de loin, on peut croire à une peau tatouée, ou à une broderie de fleurs à même la peau -, agenouillée, provocante ou en douleurs. Poupée rituelle, hargneuse ou suppliante ? Equivoque. En s’approchant, en tournant autour, on découvre petit à petit la complexité de cette composition. Les cheveux jaillissent de la capuche, mais on ne trouve pas de visage. Pourtant, il y a une face et une expression. Mais non, c’est une alvéole de ruche d’abeilles. Ça lui va bien, on a presque cru que c’était sa vraie figure. C’est très sexuel, comme si elle portait un masque vulvaire, ça évoque le spectacle du sexe féminin, impersonnel et pourtant toujours absolument singulier, et pourtant c’est d’une ruche qu’il s’agit, une matière métaphoriquement sexuelle, renvoyant à tout ce que peut évoquer l’invitation à butiner. Le vêtement est lacé par le milieu, devant et derrière. Et transparent, il laisse voir la peau, la chair. Le regard s’y porte, curieux, et n’identifie pas immédiatement ce qu’il voit. L’intérieur du corps, de la viande, des viscères fleuris ? Non, des larves, ce corps rebondi, bien formé, sensuel et animal, est bourré de larves. Il regorge de vies. Une étrange association de mort et de vivant, qui mange quoi, qui mange l’autre ? La danseuse a un geste très personnel et jaillissant, plein d’expressivité, et ce qui, incontestablement, la dévore ne la détruit pas mais entre dans sa danse, en est une composante. Ce geste qu’elle possède et affirme est porté par un grouillement de vies animales qui la possède, se substitue à elle – ou qu’elle maîtrise, femme animale, maîtresse de toutes les larves des espèces vivantes ? La dévoration, ici aussi, est ambivalente, à double tranchant, principe créatif au fondement indécidable. Ce n’est qu’une toute petite partie de ce que montre cette exposition tonique, lumineuse. Le petit guide gratuit est très bien fait. Le catalogue, un numéro spécial d’Art Press, est très complet.

Pierre Hemptinne  – La Maison rouge. –

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L’art en guerre

« No Comment », Galerie Jacques CERAMI, du 12 septembre au 17 octobre 2009

ceramiAutre vernissage carolo.. C’est un beau programme, réfléchi, cohérent et engagé, que l’on peut voir chez Cerami sur les relations entre l’art et la guerre. Par le choix ramassé et judicieux, l’exposition actualise de manière efficace des questions du genre : « comment avoir un discours artistique, esthétique, ne reniant rien du beau et du savoir-faire plastique, sur l’innommable, le sans nom, l’horreur ». L’éclairage qui découle du rassemblement judicieux de ces travaux, de fait, redonne du sens à ce genre de questionnement. Plus : une évidence. Encore qu’il ne s’agit pas de traiter frontalement de la béance guerrière. Ce sont les impacts, les retombées, ce qu’il reste après son passage, la destruction. Les ruines physiques, les vies ravagées, les traces qui s’impriment pour longtemps, qui s’installent indélébiles pour toujours, des horizons traumatiques, devenus familiers, quotidiens, sur les écrans de télévision. Tout ça est connu, trop connu, insoluble, on y devient résigné voire indifférent. Or la dimension artistique et ses subtilités à sonder et révéler les impacts de la guerre, en recourant à des codes esthétiques où l’on préserve les valeurs civilisationnelles de toute déchéance, infiltre le terrain symbolique et révèle l’ampleur des mécanismes culturels qui nous rendent complices des guerres que l’on ne voit plus. Le côté artistique, sophistiqué dans sa démarche et ses techniques, est utile pour ouvrir les yeux, recommencer à sentir que l’horreur est là, sur tous les écrans et nous concerne. C’est l’occasion aussi d’interroger l’importance du photojournalisme dans l’émergence d’une photo artistique renouvelant le regard sensible sur les réalités des pays ravagés, détruits par les conflits. Plusieurs des artistes présentés ont été ou sont encore des photos journalistes (Kadir van Lohuizen, Jan Grarup…). Si l’on peut identifier un passage du photojournalisme à la photo d’art (ce n’est pas évident), cela concerne probablement, après un travail de terrain qui sensible, la volonté de montrer autrement, d’accorder un autre type d’attention, de dépasser la photo qui émeut dans les pages d’un journal ou un magazine. Du haut de ces ruines, des siècles nous contemplent… Les photos (noir et blanc) de van Lohuizen sur le Tchad, montrant la vie précaire dans des camps, dans des ruines, relèvent certes du reportage mais atteignent un tout autre statut, révèlent d’autres dimensions. Elles acquièrent l’aura d’un art soigné, travaillé, ce qui confère aux sujets traités une sorte de permanence, un dérangement insoutenable qui dure et va encore durer, se transforme en normes de vie. Même chose pour ses clichés libanais : les amas de gravats en prenant une surprenante beauté, loin de perdre tout mordant dénonciateur, frappent de manière inattendue, à retardement. En effet, se surprendre à conférer à ces « installations de ruines » une sorte d’immanence artistique, comme s’il s’agissait de la réalisation de monuments immenses, exceptionnels, conduit à mieux en mesurer la charge insoutenable. C’est bien le monument qui ressemble le mieux à l’esprit de notre civilisation.  La grande photo de Jan Grarup enfonce le clou de faon spécifique : sur fond de ciel biblique de plus en plus envahi par la noirceur en mouvement, dynamique, la carcasse d’un grand immeuble, juste des cases défoncées, décharnées, empilées, vacillantes. Ça ressemble au squelette d’un jeu de construction, mais on ne construit que des structures démolies, calcinées, des épaves. Les couleurs, la perspective, les ombres, l’emphase pervertie, les silhouettes éparpillées, la théâtralité brutale et sommaire : ici on est au pays des ruines éternelles. Bienvenue à Gaza. L’exposition « No Comment » ouvre un accès à des œuvres moins connues de Nina Berman dont les travaux sur les mutilés américains de la guerre en Irak ont été très médiatisés (surtout cette photo vue dans tous les journaux du mariage d’un défiguré, à son retour de guerre). Jacques Cerami en présente trois grands formats surprenants, confondants : ce sont les marges de la guerre, les à côtés, les moments de détente (!!), les phases de rémission, ces moments où temps de guerre et temps normal se confondent, se partagent l’espace, le territoire. Confusion. On peut constater que l’artiste a développé une science peu ordinaire de la scène de guerre, ce coup d’œil qui, en situation, va capter les scènes où l’histoire et la biographie des gens ordinaires se retrouvent pris dans des dispositifs de guerre. Interpénétration des imaginaires et des perspectives. Des photos dotées d’une profondeur incroyable, dégageant des possibles narratifs presque angoissants : vous avez 5 minutes pour comprendre ce qui se passe dans ce coin de paysage et empêcher que la machine infernale explose. Ça se passe entre un enfant sur la pelouse, sous la main d’un adulte arrêté dans son geste, l’enfant regarde vers une rangée d’arbres où affluent des civils, des militaires, et encore plus loin, sur une autre diagonale anxiogène, une escadre d’hélicoptères. Ou, sous une netteté colorée, radieuse, bonne enfant, qui peut peut-être évoquer les scènes classiques de l’enfant innocent, une scène d’une noirceur insondable, un soldat détendu laissant un gosse toucher, jouer avec son arme. Certaines compositions, travaillant avec des plans opposés, tranchés et auréolés ou continus selon des nuances de netteté, de brillance, d’ombres et d’impression de luminosité suspendue, traçant un réseau de lignes dont les convergences, divergences, recoupement creusent le champ de vision en espace à facettes, en implicites tapis, ce qui confère à l’ensemble un halo mystérieux, tirant vers l’iconologie religieuse, comme ces tableaux traitant de l’annonciation. Collision entre guerre et quotidien, contre pied même du politiquement correct qui dénonce la guerre: dans ses gestes et tableaux ordinaires, elle s’inscrit et alimente le besoin de sacré et d’interdit. La machine infernale a déjà explosé. Enfant soldat. Enfance de l’art. Ce dont témoigne peut-être « Bombchild » de Ronny Delrue. Son installation est constituée d’étranges poupées, mal dégrossies, évoquant des fusées ratées, abîmées. Entre le monde de l’enfance et l’arsenal. Des corps anonymes transformés en bombes prêts à se faire exploser. Des enfants missiles. Des bébés explosifs. Des mouflets kamikazes. Placés sous des globes en verre. De ces globes familiers, qui recouvrent plus souvent des statues saintes, des objets de prières, de petits sanctuaires, des bibelots de dévotion. Une sacrée substitution qui dérange. Cela ressemble aussi à un élevage aussi, de petits être atrophiés, mis sous cloche, enrubannés, corsetés pour qu’ils ne grandissent plus, qu’ils ne pensent qu’à voler en éclat, culture de la haine. En accrochant au mur les dépouilles du guerrier, comme un fétiche, et en plaçant au centre de cet attirail une petite console pour regarder DVD et jouer (notamment aux jeux de massacre), Johan Muyle place en abîme malicieux les relations entre la guerre et les enfants, interroge ce grand mystère : « pourquoi les enfants jouent-ils si souvent à la guerre », ce qui perpétue, de génération en génération, une familiarité culturelle avec la guerre. C’est aussi l’occasion de rappeler l’utilisation des enfants-soldats : sur la console, deux petits films, l’un est un extrait d’une gaudriole de cape et d’épée, l’autre l’interview d’un officier africain qui essaie de faire croire que, lui, n’a jamais envoyé des enfants au front (il leur a donné une formation d’adulte, donc ce n’était plus des enfants)… Sans oublier le travail impressionnant d’Anne Wenzel : ses céramiques précises, méticuleuses, restituent la plasticité tragique, sans issue, des voitures piégées après explosion (couverture d’Art Press, mars 2009). Placées sous verre, il s’agit d’une vision étouffante. L’effet n’est pas provoqué que par la précision plastique de la réalisation de ces « maquettes » : mais c’est que, pour y parvenir, l’artiste a intériorisé de façon précise, réaliste, vivre et revivre en elle l’impact de ces pièges meurtriers, aveugles. Par ce cheminement qui implique l’imagination et le savoir-faire pratique, le travail de la main, en regardant semblable reconstitution, il est possible de « ressentir », de se saisir de l’horreur de manière plus matérielle, intériorisée, charnelle. Mieux que devant le spectacle télévisuel, sans recul, jouant bêtement la plongée dans le réel. L’art retrouve comme une sorte d’enfance, de fraîcheur, de raison première. Dans le recul où, finalement, il reste énormément à montrer, à révéler.  La richesse des réflexions que ces œuvres inspirent est due à leur qualité artistique, esthétique, à la diversité de leurs langages sensibles. L’art est utile, il n’est pas condamné aux futilités des industries culturelles. (PH)

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