Un peu de poésie vaniteuse : Révolte

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Bien le bonjour bande de gens, j’espère que vous allez bien ! On se retrouve pour notre petit rendez-vous du samedi, et savez-vous pourquoi un corbeau ressemble à un bureau ? A part pour une éventuelle couleur, les ailes qui s’étendent comme la table et la sonorité, j’avoue que mes cellules grises sont à la ramasse. Surtout que je dois inventer une nouvelle intro à chaque fois, c’est épuisant les enfants.

Bref, pour cette fois je vous propose un p’tit poème de Charles Cros, le nom vous dit quelque chose, à moi aussi, mais impossible de mettre la main dessus, aussi voilà une petite biographie : né en 1842 et mort en 1888, c’est un poète et inventeur français. Avec ses deux frères Antoine et Henry, il participe notamment au Cercle des poètes zutiques dont il est le créateur ; je crois vous avoir déjà conseillé L’Album zutique d’ailleurs, et je le refait, c’est un petit recueil de poèmes scabreux assez rigolo, écrit par les grands noms de l’époque 😛 Passionné de littérature et de sciences, il réalise entre autres un prototype de télégraphe automatique, et un procédé de photographie en couleurs qui est à l’origine du procédé actuel de trichromie. On lui doit également le phonographe, qu’il appelait au début le paléophone. Il contribue également au mouvement du Parnasse, et sa brillante œuvre de poète est ensuite une source d’inspiration pour le mouvement du surréalisme. Et pourtant, cette œuvre est restée ignorée de son vivant, comme quoi la vie peut être facile sans être simple. Le poème que je vous propose est tiré de son recueil Le Coffret de santal, et s’intitule « Révolte ».

Absurde et ridicule à force d’être rose,
À force d’être blanche, à force de cheveux
Blonds, ondés, crêpelés, à force d’avoir bleus
Les yeux, saphirs trop vains de leur métempsycose.

Absurde, puisqu’on n’en peut pas parler en prose,
Ridicule, puisqu’on n’en a jamais vu deux,
Sauf, peut-être, dans des keepsakes nuageux…
Dépasser le réel ainsi, c’est de la pose.

C’en est même obsédant, puisque le vert des bois
Prend un ton d’émeraude impossible en peinture
S’il sert de fond à ces cheveux contre nature.

Et ces blancheurs de peau sont cause quelquefois
Qu’on perdrait tout respect des blancheurs que le rite
Classique admet : les lys, la neige. Ça m’irrite !

Charles Cros est bien conscient des aléas de la poésie : tout comme il a écrit un poème pour se plaindre de son manque de succès (vous le trouverez sur sa page Wikipedia), ce poème est écrit pour mettre en évidence et critiquer les codes classiques et récurrents de la poésie, particulièrement la poésie symboliste. La femme, tant célébrée par les poètes depuis la nuit des temps, n’est plus du tout naturelle : elle devient « absurde et ridicule ». Trop blanche, trop blonde, des yeux trop bleus, elle dénature les codes de beauté qu’elle incarnait. On ne peut même plus parler d’une femme quelconque, toutes les femmes deviennent insignifiantes. On ne peut parler de la femme poétique en prose, car à l’époque la prose doit dépeindre le réel, et la femme poétique est justement absurde à force de codes qui dépassent le bon sens. Elle pose, c’est une poseuse qui irrite d’autant plus le poète. Alors le poète se révolte contre sa Muse.

Je ne m’attendais pas du tout à trouver un tableau, du moins facilement, pour illustrer ce poème, mais grâce au hasard d’Internet, j’ai trouvé au bout de 5mn, c’est-y-pas beau ? Auguste Toulmouche, en plus d’avoir un nom rigolo, est né en 1829 et mort en 1890, et c’est un peintre français. Son tableau Vanité ressemble beaucoup à un portrait en pied du même peintre, Rose Caron, je suis presque sûre que c’est la même personne dans la même pièce, mais passons. Vanité représente donc une femme qui embrasse son reflet, et elle me fait beaucoup penser à la femme idéalisée du poème, déjà par le jeu des couleurs : robe rose, peau blanche, cheveux blonds, elle n’a pas les yeux bleus, mais elle les tient ouverts pendant qu’elle s’embrasse, c’est une vraie vaniteuse. Elle peut l’être, car elle est effectivement belle, et elle se trouve dans un appartement qui lui fait un bel écrin, comme un poème de couleurs. Le tableau manque peut-être de la dimension critique du poème, mais il n’en est pas moins moqueur envers la femme. Toute femme finit par se flétrir, tout comme un idéal poétique finit par lasser ses lecteurs, jusqu’à son créateur lui-même ; peut-être est-ce aussi la vanité de ce créateur qu’il faut interroger, pour avoir pensé qu’il pourrait créer une œuvre éternelle.

Une réponse "

  1. Pingback: IMM #203 : 25 février au 3 mars 2019 | Sorbet-Kiwi

  2. Actinoptérygien de sinople
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    Ce poisson n’est pas rouge, il n’est pas non plus rose,
    Il est d’un joli vert, sauf s’il est amoureux ;
    Car quand ça lui arrive, il devient plutôt bleu,
    Je n’ai jamais compris quelle en était la cause.

    Il n’écrit pas de vers, mais pas non plus de prose,
    Sa plume ne saurait choisir entre les deux ;
    Il énonce parfois des propos hasardeux,
    Mais c’est très anodin, nul ne s’en indispose.

    Il aime l’eau de mer,et d’ailleurs, il en boit,
    Un jour il prit du vin, ce fut une aventure,
    Ce n’était pas vraiment conforme à sa nature.

    Souvent, sur une épave, il prélève du bois
    Pour orner le logis dans lequel il s’abrite,
    Mais par aucun auteur n’est sa maison décrite.

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