Actualité · Apprendre · Chez les chercheurs · Culture mathématique · Expo de maths · Maths pour tous · Partager les maths · Tous ensemble !

Les mathématiques, entre passion et poésie

J’ai regardé, grâce à un collègue qui m’en a fait cadeau (merci Stéphane !), une vidéo de Mediapart, dans la série Sciences Friction, malheureusement réservée aux abonnés. Cette émission accueillait le mathématicien David Bessis et Sophie Kucoyanis, éditrice chez Gallimard, grâce à qui « Récoltes et semailles » a été publiée.

David Bessis explique que pour pouvoir faire des maths il faut accepter d’être contredit, ne pas rejeter l’idée même de contradiction. C’est important, car beaucoup de gens pensent que quand on fait des maths, c’est bon ou c’est faux, point. Mais c’est bien plus délicat, dans tous les sens du terme, les mathématiques. Sophie Kucoyanis explique de son côté comment elle a découvert, “déplié”, la pensée d’un mathématicien de génie, en lien avec l’imagination et la créativité. Elle n’est elle-même pas familière des maths, ce qui donne un autre regard enrichissant.

Selon David Bessis, Grothendieck a proposé une vision “charnelle” de sa réflexion en maths. Grothendieck avait besoin d’image mentales, sans lesquelles il ne pouvait pas avancer. David Bessis cite aussi Bill Thurston, qui avait un problème visuel important et a dû faire progresser sa faculté de visualisation à cause de son handicap. Bill Thurston disait que c’était ça qui avait fait de lui un grand mathématicien. Réussir à faire des mathématiques et en expérimenter le bonheur n’est pas une question de naissance. On n’est ni prédestiné à faire des mathématiques, ni prédestiné au contraire. C’est la conjonction d’une véritable ouverture d’esprit et de travail, d’entraînement, qui permet d’y parvenir.

Craindre l’erreur et craindre la vérité est une seule et même chose. Celui qui
craint de se tromper est impuissant à découvrir. C’est quand nous craignons de nous tromper que
l’erreur qui est en nous se fait immuable comme un roc.

Grothendieck

Selon Sophie Kucoyanis, le mathématicien est le seul scientifique qui, au travers de son brouillon ou de son tableau noir, peut donner à voir sa réflexion, au sens de la façon dont il réfléchit. Je n’ai pas bien compris ce que veut dire Sophie Kucoyanis, et je vais y réfléchir. Pourquoi les seuls scientifiques ?

Un extrait d’une intervention de Grothendieck est diffusé pendant l’émission, dans lequel Grothendieck explique que beaucoup de conférences de mathématiques dans des événements réunissant des chercheurs sont pénibles pour la majorité des auditeurs, et que seuls quelques-uns comprennent. Il exprimait une véritable souffrance et l’extrait est intéressant et frappant. David Bessis explique pourquoi il a quitté la recherche : il a envie de raconter les mathématiques d’une autre manière et s’attaquer à une grande question : comment cela se fait-il qu’une toute petite partie de l’humanité aime les maths, les voie si belles, et que le reste de l’humanité y soit rétive ? Il voudrait faire avancer, simplement. Et c’est en fait terriblement complexe.

La citation de Grothendieck qui est plus haut dans l’article est discutée dans l’émission ; pour ma part, je l’avais découverte dans un document Eduscol :

J’ai trouvé que l’émission présente bien ce qu’est la démarche mathématique, ce qu’est l’exercice mental d’un mathématicien. Le fait que l’erreur soit nécessaire et que le rapport à l’erreur doive être paisible est bien mis en valeur, mais peut-être trop, car finalement c’est une évidence au fond. Et ce n’est pas parce que je fais des maths que j’écris cela, puisque mon mari non matheux m’a fait la même réflexion à la vision de l’émission. Ou alors c’est parce qu’il est enseignant, et que l’erreur est son carburant. Ou alors c’est parce qu’il enseigne aussi les maths maintenant, en tant que coordo Ulis, et qu’il s’interroge d’une façon très approfondie en maths ?

J’ai bien aimé l’éloge de la patience nécessaire pour faire des maths, qu’a exposée David Bessis. C’est quelque chose que j’essaie de transmettre à mes élèves, et c’est délicat dans le temps et l’organisation scolaire.

Je n’ai pas été d’accord avec Sophie Kucoyanis sur un point : je trouve que comprendre en mathématiques est complètement unique, tout à fait à part, par rapport aux autres disciplines. Comprendre fournit en effet du plaisir, dans toutes les disciplines, mais la compréhension mathématique me semble plus intime que toutes les autres. Mais là, peut-être est-ce parce que je fais des maths que je pense ainsi, ou plutôt que je ressens ainsi.

Quand à la fin de l’émission David Bessis expose que la communauté mathématique exclut les arguments d’autorité, qu’on se contredit sans prendre en compte de rapports hiérarchiques, mon mari a réagi, en trouvant cette position naïve. Je ne crois pas, pourtant. C’est vrai qu’en maths on ne peut pas tenir une affirmation fausse, car elle n’est pas un avis mais une contre-vérité. Peut-être sont-ce les mathématiciennes et les mathématiciens qui vivent une posture mentale plus candide, mais elle n’en est pas moins sincère…

Leave a Reply