Edward Munch (1863-1944)

Les mêmes objets et personnages dans des situations qui varient. Une unité de création dans ce que la vie sépare. « Il nous faut peindre des gens vivants, des gens qui respirent, souffrent et aiment (1889). » Les modèles posent devant l’artiste, la vie dépose l’artiste, le met à bas, le chahute, parfois le roue de coups, le voilà gémissant de honte, il ne comprend rien, il se recroqueville sur lui-même, il a peur, il crie. Il se relève en lançant un défi au secret.

Autoportrait, 1895

Dans cet univers incompréhensible, restent les sentiments qui font exister. Trouver la raison pour que les êtres se rapprochent. Sans cette conciliation, rien ne se produit. Bien sûr, l’amour. La fusion entre les êtres, mais aussi la séparation. La vie est tailladée d’étapes anodines. La puberté nous révèle à nous-mêmes. L’anxiété donne sa dimension à ce réel glacé qui nous entoure. La passion nous fait exploser en gerbes multicolores, teintées des noirceurs de la mélancolie et de la jalousie.

Exister, ce n’est pas durer, c’est se transformer. Personne pour en témoigner. Le temps qui fuit emporte tout. Il nous laisse ce dont il ne veut pas, l’inutile, le hideux, la sottise, la haine. Celui qui n’est pas capable d’inventer sa vie, il ne reste rien de lui. Un vol au vent, léger à s’appesantir dans l’estomac qui n’en finit de digérer. Nous existons par nos émotions. Cette façon de les vivre fait de nous un type. Des milliards de ceux qui nous frôlent, tous se ramènent à quelques types, les mêmes, revenant sans fin, revenants d’un autre monde, nous hanter.

Jeune fille se lavant, 1896

On pérore. Les discours reviennent sans cesse, à quoi bon et, surtout, à qui ? On revient au même point, rien ne sert de dire si l’on ne touche pas ces ombres autour de nous. On ne sort pas de son intériorité sans impunité. Des objets immuables, tout disparaît à une vitesse telle qu’on ne sait plus ce qui faisait cette barrière qui nous protégeait. Une mise à nue abat les murs de notre vie. La forteresse sociale de l’apparence. L’échec, la détresse, la guerre, la misère, il est simple de bouleverser le social. Des assises solides, au moindre vent, s’effondrent. Les morves de la parade coulent du masque de ceux qui continuent de jouer comme si de rien n’était. Rien n’existe si ce n’est cette intériorité souffrante qui n’en finit pas d’appeler au secours.

Inger Munch, 1892

Les thèmes sont en lui. Il les reprend pour en modifier le contexte. Pour qui se penche vers l’intérieur, on se trouve vite réduit à quelques tensions. Peu de forces dans l’existence, elles n’en sont que plus primordiales. Les collectifs sont sinistres, ils marquent un abandon de soi au profit de ceux auxquels on s’évertue à ressembler, pour plaire. Séduire est sinistre quand on abandonne sa dignité pour se fondre dans le vouloir d’autrui. Pourquoi n’ose-t-on pas se montrer tel qu’on est ? Peur d’un rejet ? Crainte d’aller au bout de soi ?

Promptement, s’inspirant de l’impressionnisme, Edward refuse le descriptif. Le contour n’explique rien, il révèle une expression. La réalité n’est rien, elle perd son privilège autoritaire, elle se plie à la volonté de l’artiste. Dans Musique militaire dans la rue Karl Johan, peint en 1889, les deux femmes traversant la rue ont la forme de violoncelles. Elles se dirigent en direction d’un garçon au tout premier plan devant un parapluie rouge. À 26 ans, il entre dans sa peinture et il en offre la clé. L’homme au chapeau haut de forme a un visage reconnaissable. Un portrait classique. Le garçon est stylisé, différent des autres. Aucun des autres personnages n’a de visage. Il est le témoin.

Musique militaire à Oslo, 1889

Munch est né dans une famille de la classe moyenne norvégienne. Son père Christian (1817-1889) est médecin militaire, c’est un homme pieux obsédé par l’enfer, sa mère, Cathrin Bjølstadt (1839-1868), appartient à une famille aisée de commerçants marins. Son milieu est étriqué. Comme chez le dramaturge norvégien Henrik Ibsen, la société bourgeoise est malade de morale et de mensonges. L’avant-garde est le moyen de s’affranchir de son milieu. Il reste en contact étroit avec sa famille grâce à une correspondance nourrie avec sa sœur Inger et sa tante, Karen Bjølstadt, sa mère adoptive (morte en 1931) depuis ses cinq ans, au moment où sa mère meurt de tuberculose. La mort a fait son nid. Sa sœur Sophie succombe au même mal quand il a 14 ans et son père s’éteint quand il a 26 ans. Le jeune Edward sait que son univers est une flamme vacillante.

La chambre mortuairede 1892, une pièce fermée où se tient la famille de Munch. Sa sœur Inger se dresse devant, désespérée, mais forte et courageuse. Edward s’appuie de dos sur elle. Les autres personnages sont emportés par la mort. Invisible, la mort est partout présente. Rien d’horrible à voir, si ce n’est cette pesanteur s’abattant sur des personnages vaincus. La mort donne un sens à la vie parce qu’elle la libère de tout ce que l’on ne peut changer par soi-même. La mort est horrible, elle casse, elle est l’occasion d’un nouveau départ. Selon les propos de Munch, « je ne peins pas ce que je vois, mais ce que j’ai vu. » C’est dans la mémoire qu’entrent les émotions. Elle déforme à notre convenance. C’est dans un souvenir qu’on veut faire durer que l’art prend naissance. En peignant la mort, on prend possession d’elle.

La chambre mortuaire, 1892

En 1881, il a 18 ans, Edward entre à l’école de dessin d’Oslo. Il se passionne pour l’art, la littérature et les idées philosophiques. Il se rend une première fois à Paris, en 1885, grâce à une bourse d’études. Il y séjourne trois semaines. Capitale artistique, il pense y trouver des amis partageant ses goûts. Son jugement est impitoyable : « … à Paris, brûlant du désir de voir le Salon, mais je n’ai ressenti que du dégoût… » Pour le Norvégien, il manque à cette peinture qu’il découvre la présence émotionnelle du peintre. La peinture française est magnifique, mais elle est froide, il lui manque l’expression. Il y revient malgré tout fréquemment. Il a besoin de voyager. Il se rapproche d’un van Gogh ou d’un Modigliani. Il entre en relation avec le milieu intellectuel et artistique. Garçon paisible et réservé, il est capable de colères terribles. Il y a une violence en lui qu’il a du mal à canaliser en dehors de son art. C’est un excessif. L’expression d’un calme absolu, éructe en brutalités assourdissantes.

En octobre 1892, il se rend à Berlin avec ses tableaux. En novembre, il participe à l’exposition du Verein Berliner Künstler où ses œuvres provoquent un scandale. Les Allemands n’y voient qu’un vague barbouillage bâclé. Seul le peintre norvégien Christian Krohg (1852-1925), son ancien maître et ami, l’apprécie : « il peint les objets d’une façon différente… Il ne voit que l’essentiel et ne peint que cela… ses tableaux ne paraissent pas achevés. Que si ! Ils sont bel et bien achevés… L’art est achevé quand l’artiste a dit tout ce qu’il a sur le cœur. » Les artistes allemands ne se solidarisant pas avec lui, l’exposition ferme une semaine plus tard. Comme c’est souvent le cas, la scandale suscite les intérêts. Il devient l’ami d’August Strindberg. L’exposition passe dans d’autres villes en attirant un public nombreux. En décembre, elle est de retour à Berlin. Munch devient célèbre, il vend. Il expose à Paris, en Allemagne et en Scandinavie.

1892 est une année charnière. Le tableau Soir, rue Karl Johann, révèle un artiste qui a trouvé son style. L’impressionnisme disparaît au service de l’expression. Cette œuvre est d’une force inouïe. L’hypnotisme des personnages fascine. On pourrait croire des spectres. La mort et la solitude. Des gens qui s’ignorent. Pour l’histoire de l’art, il est le dernier des postimpressionnistes. Supprimer les intermédiaires, se concentrer sur l’important, sur l’effet. Clarifier sans déballage d’artifices. On est à l’opposé du symbolisme, même si l’esprit en reste proche.

Soir, rue Karl Johan, 1892

La puberté, la naissance de la femme, est rarement montrée par un homme. Le sujet est banal. L’adolescente nue cache de ses bras son sexe qu’elle vient de découvrir dans une expérience bouleversante. Elle fixe intensément ses yeux sur Edward. L’ombre est inquiétante, mais que lit-on sur le visage de la fille ? Aucune terreur, ni même une crainte. Cette adolescente est pleine de fureur dans les yeux. Une tension. Munch écrit : « Je m’effraie au spectacle de ma propre ombre. Une fois la lumière allumée, je vois tout à coup mon ombre énorme qui s’étend sur la moitié du mur et monte jusqu’au plafond. Et dans le grand miroir suspendu au-dessus du poêle, je me vois moi-même, ma propre face de revenant. Je vis avec les morts, ma mère, ma sœur, mon grand-père et mon père, surtout avec lui. (Manifeste de Saint-Cloud, 1890) » Le thème de l’angoisse et de la sexualité devient une constante de son œuvre. Cette femme qui s’éveille à sa sexualité réclame un homme, c’est la fatalité de la vie.

Puberté, 1893

Le Cri. « Un jour, je longeais un chemin… Le soleil se couchait, je me suis arrêté pour regarder le fjord, les nuages étaient teints en rouge, comme du sang. J’ai senti passer un cri dans la nature… J’ai peint les nuages comme du sang. Les couleurs hurlaient. » La scène est calme, rien d’inquiétant, les couleurs du soir. Une personne, une femme, se prend la tête dans les mains, une expression de terreur. Que regarde-t-elle ? Un ultime degré émotionnel. Un soulagement. Par son cri, l’artiste communie avec la nature. Une prise de conscience entraine corps et âme dans la danse de la vie. La force est là, l’humain reste maladroit à la saisir, la force continue son chemin, l’humain retourne à ses angoisses sans issues. Fusion de vie et de mort.

Le cri, 1893

Femme à trois stades. Il explique son tableau à Ibsen : « Ici, c’est la femme rêveuse, là, la femme avide de vivre et la femme nonnette, qui se dresse, pâle derrière les arbres. » De profil, la vierge en blanc, tout en arrondis dans une robe bouffante, rêve. Elle est associée à l’eau, en parfaite harmonie avec son milieu, faisant d’elle une nymphe aquatique tournée vers un avenir enchanteur. La femme nue provocante fait face au spectateur avec ses cheveux roux, sûre d’elle-même et de son charme dans une pose évoquant la débauche, les jambes écartées. Son visage maquillé, au contraire des autres, est réaliste, reconnaissable. Juste à côté, se discernant dans l’ombre, le visage pâle, les yeux baissés, mince, digne, la bouche serrée, la femme soumise n’est pas sans rappeler sa sœur, Inger. Le visage épuisé aux yeux baissés dominé par le noir, elle évoque une mort. Séparé par un arbre rouge, un visage d’homme, la tête penchée, triste, le teint blafard, la jambe amorçant un pas s’éloigne, il ne trouve pas sa place.

Femme à trois stades, 1895

La vigne rouge est fascinante. La maison carmin est un être vivant, figé par un obscur sort. Ses yeux bleu clair observent le monde d’une froideur apaisée. La couleur rouge, censée être de la vigne, évoque du sang et du feu contredisant le bleu. Le visage vert d’un homme contraste avec la maison. Cette façon de placer un visage au premier plan est héritée de l’impressionnisme, ici à des fins psychologiques. Est-il l’occupant de la maison rouge ? La bâtisse est pleine de vie, le visage, au seuil de la mort, est saisi par un événement qui le dépasse. Une tragédie, on ne sait laquelle se joue dans ce tableau. Le début ou la fin d’une histoire. L’homme est-il coupable d’un crime ?

La vigne rouge, 1898

La danse de la vie. « Une claire nuit d’été, où vie et mort, jour et nuit, marchent la main dans la main. » Ce tableau se trouve au cœur de l’inspiration du peintre. On retrouve ses thèmes chers. Il décrit son œuvre : « Au milieu de la toile, je dansais avec mon premier amour, il s’agissait d’un souvenir d’elle. C’est alors qu’entre la femme souriante aux boucles blondes qui veut arracher la fleur de l’amour, mais qui ne s’autorise pas à être elle-même cueillie. À l’opposé, une femme habillée de noir regarde pleine de chagrin le couple en train de danser, elle est l’exclue tout comme j’ai été exclu par sa danse. » L’homme est au centre, les femmes sont à sa périphérie. La jeune vierge épanouie seule attend son amant près d’une fleur. La vieille à la robe noire, l’ayant perdu depuis longtemps, regarde avec attention le couple du milieu qui se forme. Une femme séduisante avec une robe rouge (la couleur de la vigne), le sang des menstrues d’une adolescente. Un couple uni dans l’amour jusqu’à fusionner. La femme porte une robe blanche virginale s’abandonne au plaisir de l’homme. Derrière, la lune se reflète dans la mer formant comme le corps d’un grand prêtre.

La danse de la vie, 1900

Autoportrait à la bouteille de vin. Munch est à Weimar pour assister à une exposition de ses peintures. Il déjeune seul. L’assiette vide, le repas est fini, la bouteille l’est également. Il porte un costume vert, le vert de la nature puissante qui anime désormais son intériorité. La cravate est rouge vive et le rouge domine le lieu dans lequel il se trouve. Le rouge marque un changement, le vert implique une permanence. Le visage est sérieux, renfrogné. Sa tête entourée de rouge évoque une colère renfermée. Juste derrière lui, deux personnes se tournent le dos, une séparation impossible à réaliser puisque les deux se fondent l’un dans l’autre. À l’extrémité des tables, une femme ramassée sur elle-même attend. Ce tableau est une scène où se déroule un drame, un scénario coule de source même si on n’en possède aucune précision.

Autoportrait à la bouteille de vin, 1906

En 1908, une dépression nerveuse, aboutissement d’une longue crise psychique, l’amène, sur sa propre volonté, en clinique. Cette période marque une cassure dans son œuvre. Il rejette la compagnie humaine ne se satisfaisant que dans la contemplation de la nature. Néanmoins, il prend plaisir à se tenir au courant de ce qui se passe et à visiter de nombreuses expositions. Il est curieux de ce que font les jeunes générations. Dans son existence quotidienne, il est routinier, voire psycho rigide. Il garde néanmoins un sens aigu des réalités auxquelles il sait se plier avec intelligence. En se refermant, il s’ouvre au monde. Il mène son existence comme il peint. Il se sépare de ce qu’il juge superflu pour aller à l’essentiel, non sans brutalité.

On ne connait rien des êtres quand ils parlent. Plus ils sont bavards et sociaux, moins ils sont saisissables. Le mystère résiste mal aux actes, il perdure dans le blabla. Un artiste existe dans et par son œuvre. Il faut se méfier de ce que l’on croit connaître des autres. On peut comprendre les mots d’une phrase et passer à côté de son sens, de son sens intime. Nous ne connaissons rien des autres. Nous faisons semblant par arrangement social. Un des premiers rôles de l’artiste est de nous faire comprendre les limites de nos interprétations. On se perd aisément dans la psychologie des êtres. Pour cela, on les ramène dans le monde connu de la société, on passe à côté de tout.

Cendre, 1894

Munch se complait dans les extrêmes. La plupart des gens doivent affronter de terribles problèmes intérieurs. Ils les cachent, les ignorent, les oublient, ils sont rongés du dedans, mais survivent tant bien que mal. Le peintre est d’une autre trempe. Il affronte ses tourments et rêve de les chevaucher dans une course endiablée quel qu’en soit le prix. Il y a quelque chose d’insupportable et d’odieux dans la vie. Il souffre de claustrophobie et d’agoraphobie, il manque de liberté.

Le temps passe, rien ne reste qu’un cri dans une soirée tâchée des rougeurs du jour. Fixer l’instant fugitif, suspendre la fuite. Investir son désespoir dans un instant, à la fois pour l’immortaliser et s’en débarrasser à tout jamais. Edward répète la même toile avec quelques variantes. C’est dans la répétition qu’on condamne ce qui nous échappe.

Autoportrait en costume bleu. Munch sort de la clinique, guéri de sa dépression. « J’étais poussé à briser les surfaces et les lignes. J’ai senti que cette façon de peindre pouvait devenir une manière… J’ai peint une série de tableaux avec de larges bandes, des rayures marquées courant verticalement, horizontalement ou en diagonale. » Sa vision s’est modifiée. La réalité revient en force, presque rayonnante. L’homme est mature, il prend le temps de se regarder. Plus de théâtralité, un rapport direct avec la toile. L’arrondi si caractéristique de sa peinture laisse place à un tracé rassurant. Les couleurs ne sont plus mélangées, elles apparaissent en coups parallèles de brosse dans leur pureté, entrecoupée de blancs, une respiration.

Autoportrait en costume bleu, 1909

Munch découvre Le soleil. On retrouve une forme similaire, un rond avec un corps allongé en I en dessous, en forme quasi humaine. Cette fois, le soleil est le centre et sa puissance irradie le monde où dominent le bleu et le vert. Le rouge est parfaitement contrôlé par le jaune qui l’enserre de toutes parts. Une horizontalité différencie le ciel de la terre où repose une eau réconfortée. Tel un dieu rayonnant, le soleil apparaît comme la source de tout ce qui existe. En Occident, le soleil personnifie le principe masculin, l’homme a repris ses droits, il domine tout. Il s’agit d’une peinture murale se trouvant sur le mur facial du grand hall de l’université d’Oslo.

Le soleil, 1911

Munch n’est pas protecteur, encore moins conservateur. Le paradoxe de ce qui dure et de ce qui s’en va. Rien n’a retenir, un éternel retour. Munch admire Nietzsche. Il voit un travail comme un instant dans la continuité de ses efforts à pénétrer l’essence de la vie. Beaucoup de ses œuvres nous sont parvenues dans un état déplorable rendant difficile leur juste appréciation dans leurs contours et couleurs.

L’homme se nourrit de tensions psychologiques éprouvantes qui enrichissent son œuvre. Il ne vit pas replié sur lui-même. Aux yeux de beaucoup, il est un exalté à la recherche d’une originalité n’hésitant jamais à renverser une convention. Volonté de liberté. Il est direct et sincère. Nourri de la tradition misogyne d’un Schopenhauer, il est timide avec les femmes, mais il les admire. À la différence de son ami August Strindbergmarié plusieurs fois, il reste célibataire. « Je n’ai jamais aimé personne. »

Nu parisien, 1896

La femme est au cœur de son œuvre. Une femme inaccessible, observée, convoitée, rejetée. Durant sa convalescence après sa dépression nerveuse, en 1909, il écrit un poème, Alpha et Oméga, illustré de 18 lithographies. Alpha et Oméga sont les premiers êtres humains, l’équivalent d’Adam et Ève. Oméga, femme infidèle, ne peut être digne de la confiance de son compagnon. Son premier amant est un serpent que tue Alpha, viennent ensuite différents animaux sauvages. Elle est décrite comme un félin assoiffé de sang « quand elle regarde ses amants, ses yeux d’un bleu clair deviennent noirs avec des traces de rouge carmin… Elle se cache la bouche avec une fleur. Le cœur d’Oméga est volage. »

Ce qui la définit le mieux, l’amour, se retourne contre l’homme du fait de son tempérament changeant. L’homme l’ennuie. Parce qu’il n’est pas à la hauteur de ses espérances ? Elle fuit, laissant Alpha seul entouré d’une multitude d’enfants « cochons, serpents, singes, petits animaux sauvages et bâtards d’homme. » Un jour, quand Oméga revient d’une de ses fugues amoureuses, Alpha la frappe mortellement. « Penché sur son corps, il voit son visage, terrifié par son expression, la même qu’elle avait eue dans la forêt, quand il l’avait le plus aimée. Tandis qu’il la contemplait, ses enfants et les bêtes sauvages sautent alors sur lui et le mettent en pièces. » L’histoire d’une fusion rêvée, ratée. Une rencontre impossible par un malentendu misogyne. Sans doute est-ce la faute des femmes qui n’ont pas su, ni voulu se hisser à un niveau digne d’elles.

Anxiété, 1894

C’est un excessif en tout. Il est irascible, il boit, il ne prend guère soin d’une santé faible. Atteint de la manie de persécution s’accentuant avec l’âge, il s’éloigne de ses amis et se fait des ennemis. Il s’isole. Cet homme maladif, qui montre ses faiblesses, ses peurs et ses manques, est une force de la nature. Pour être artiste et mener à son terme son chemin, il faut disposer d’une force intérieure à toute épreuve. Dès que l’on se dénude devant les autres, on s’affaiblit. Beaucoup de ces forts en gueule ne le sont que dans la cachoterie, leurs silences noyés dans des flots de papotages. Fier-à-bras de ce qu’ils ne disent pas et de ce qu’ils ne font pas. S’exhiber est narcissique, mais c’est là où se trouve la lutte pour la vie.

Il n’invente pas un nouvel art. Il ne cherche pas la forme idéale. L’aspect esthétique passe au dernier plan. Raconter une histoire, une histoire intime, là est son but. Il tente d’aller au bout de lui-même. Il ne cherche pas à innover. Il prend possession de l’intensité pour en faire vibrer la réalité qu’il perçoit. « Mon art est une confession… une tentative de tirer au clair mon rapport avec la vie… Une forme d’égoïsme, mais je ne renonce pas à espérer qu’avec son aide je parviendrai à aider d’autres gens à se comprendre. » Il voyage en lui-même, dans le souci d’être compris, en conservant une attache avec la vie, très différent de la folie.

Entre l'horloge et le lit, autoportrait, 1940

Ce qui est exprimé compte davantage que la façon d’exprimer. Il est l’un des précurseurs, avec Gauguin et van Gogh, de l’expressionnisme allemand apparaissant avec le groupe Die Brücke. On l’appelle le Génie du Nord, sans doute pour en accentuer le côté énigmatique, fascinant. La Première Guerre mondiale a entrainé l’expressionnisme dans le sens d’une critique sociale plus acerbe que n’a pas Munch. Pour lui, il y a quelque chose d’inutile dans le social, un mauvais moment à passer. Ce qui explique sans doute qu’il ait disparu de l’histoire de l’art avant d’être redécouvert en force depuis quelques années. À sa mort, on découvre dans son atelier plus de 1000 tableaux non signés et non datés prouvant combien il ne se soucie guère de la société.

Comments
2 Responses to “Edward Munch (1863-1944)”
  1. thibaudd dit :

    Je ne maîtrise pas parfaitement l’oeuvre du Munch mais Le Cri est l’un de mes tableaux préférés… J’aime le trait, le visage malsain et attachant du personnage, etc. J’aime ce tableau

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