L’année de la mort de Ricardo Reis, de José Saramago

L'année de la mort de Ricardo Reis, de José Saramago

La mort inattendue de Fernando Pessoa, le poète d’Orphée, a causé une douloureuse impression dans les milieux intellectuels, Un esprit admirable qui cultivait la poésie de manière originale et pratiquait la critique avec intelligence est mort avant-hier en silence, comme il avait toujours vécu, Mais comme la littérature au Portugal ne nourrit personne, Fernando Pessoa travaillait dans un bureau de commerce et, quelques lignes plus loin, Auprès de son tombeau, ses amis ont laissé des fleurs de nostalgie. Ce journal-ci ne dit rien de plus, un autre dit, autrement, la même chose, Fernando Pessoa, le poète extraordinaire de Mensagem, poème d’exaltation nationaliste, l’un des plus beaux qu’on ait écrits, a été enterré hier, la mort l’a surpris dans un lit chrétien de l’hôpital Saint-Louis, dans la nuit de samedi, en poésie, il n’était pas seulement Fernando Pessoa, mais aussi Alvaro de Campos, Alberto Caeiro, et Ricardo Reis, ça y est, il ne manquait plus que cette méprise, cette négligence, ce on-dit, quand nous savons bien, nous, que Ricardo Reis est cet homme qui lit le journal de ses propres yeux, ouverts et vivants, ce médecin de quarante-huit ans, un an de plus que Fernando Pessoa au moment où on lui a fermé les yeux

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas lu José Saramago, le prix Nobel de littérature portugais. Sans raison particulière d’ailleurs, car j’avais très vivement apprécié L’Evangile selon Jésus-Christ, que j’avais lu pour un projet (et qu’il faudra d’ailleurs que je relise pour un autre). Bref, pour mon pèlerinage littéraire à Lisbonne, c’est un des romans qui étaient dans ma valise, et que j’ai choisi car il met en scène Ricardo Reis, un des hétéronymes de Fernando Pessoa, et en fait un véritable personnage.

C’est un jour de pluie que Ricardo Reis débarque dans le port d’Alcantara, revenant pour la première fois à Lisbonne après 16 ans passés au Brésil. On est en 1936, Fernando Pessoa vient de mourir, et son hétéronyme erre dans la ville en quête de son identité.

Brillant hommage à Fernando Pessoa, ce roman labyrinthique tissé d’extraits de poèmes repose sur un jeu de miroir intertextuel : tout dans la ville fait signe vers la littérature et vers le poète portugais, dont l’étrange fantôme fait ça et là son apparition, sortant de son tombeau aux Prazeres (où il n’est plus) pour rendre visite à son double ; on trouve donc, incrustés dans la chair du texte, des fragments pessoens (comme le vendeur de billets de loterie, le « nous ne sommes rien », Adamastor et Camoes), et par un double effet de balancier, on se rend compte que Tabucchi, dans Requiemfait lui aussi de nombreuses références plus ou moins évidentes à ce roman de l’errance et de l’identité.

Reis erre, donc, figure de l’exil, ne sachant plus où il appartient, et c’est évidemment une expérience extraordinaire de errer avec lui dans des lieux qu’on a sous les yeux : la rua do Alecrim, le Chiado et la Baixa, le quai du Sodré, la place Camoes et le Rossio, la statue d’Eça de Queiroz et le terreiro do paço, Martinho da Arcada et le Brasileira…

Empreint de réalisme magique, le roman montre aussi une Europe chaotique et troublée où monte le fascisme, un Portugal au début de la dictature de Salazar et qui ne sait pas bien où il va, lui non plus. C’est donc la fin d’un monde que nous montre José Saramago dans ce roman finalement assez triste et nostalgique, où la mort rôde…

Un roman indispensable pour ceux qui ont voyagé, vont voyager, rêvent de voyager à Lisbonne !

L’Année de la mort de Ricardo Reis
José SARAMAGO
Traduit du portugais par Claude Fages
Seuil, 1988

8 commentaires

  1. Cat dit :

    Chouette ton visuel!

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    1. Merci ! J’ai dû batailler mais je voulais absolument faire cette photo !

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      1. Cat dit :

        Alors, c’est réussi!!!

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  2. ingannmic dit :

    J’ai adoré ce roman, alors que je n’accroche pas toujours avec Saramago. L’ambiance presque impalpable, la beauté de l’écriture… un presque chef-d’oeuvre, à mon humble avis !

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    1. Mais pourquoi presque ? C’est un chef-d’oeuvre 😉

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