Pinocchio ou le dépassement de la délinquance juvénile


pinocchio2Pinocchio est un conte de fées écrit par Carlo Collodi en 1881 qui connut de nombreuses adaptations, notamment celle d’un dessin animée de Walt Disney en 1940. Bien que la version de Disney ait apporté des modifications significatives à l’histoire originelle, c’est à elle que je me réfère car il s’agit de la plus connue internationalement.

L’histoire est celle d’une marionnette créée par un menuisier, Geppetto, formulant le souhait d’avoir un garçon. Entendant ce souhait, la Fée Bleue donne vie à la marionnette qui s’appelle Pinocchio. Afin qu’il devienne un vrai petit garçon, il devra s’en montrer digne. Pour l’aider, il sera accompagné d’un criquet représentant la bonne conscience du pantin : Jiminy Cricket.
Stupéfait puis heureux, Geppetto offre un livre à Pinocchio et l’envoie dès le lendemain à l’école. Cependant, en chemin, le pantin est accosté par le Renard et le Chat qui le convainquent d’aller plutôt assister à un spectacle de marionnettes. Stromboli, le responsable du spectacle, promet la célébrité à Pinocchio qui devient figurant principal. Le succès est tel que Stromboli séquestre Pinocchio. C’est la Fée Bleue qui apparaît alors et pose des questions à Pinocchio. Honteux, celui-ci ment et voit son nez croître à chaque parole fallacieuse. Après avoir reconnu ses erreurs, la Fée le libère. C’est à nouveau au détour d’un chemin qu’il croise le Renard et le Chat qui l’invitent à découvrir l’Ile aux Plaisirs. Enthousiasmé, Pinocchio accepte et découvre un lieu où il est permis de jouer, de manger des sucreries, de casser les objets, de fumer, de boire en tout insouciance. Mais voilà, les enfants s’y transforment bien vite en ânes et sont envoyés dans les mines de sel comme esclaves. Les oreilles de Pinocchio se transforment en oreilles d’âne et une queue lui pousse. Avant la transformation complète, il s’enfuit de l’île avec Jiminy. Désespéré, il regagne la maison de Geppetto, qu’il trouve vide car son père est parti à sa recherche. Alors qu’ils sillonnent l’océan, ils se font engloutir par une baleine géante. Ils y retrouvent Geppetto, désespéré et malheureux. A l’aide d’un feu, Pinocchio parvient à faire expulser le radeau de Geppetto. Il ramènera son père sur le rivage mais y tombe inconscient. Touchée par le courage du pantin, la Fée Bleue apparaît lui redonne vie et le transforme en vrai petit garçon. Tout est bien qui finit bien.

Comme tous les contes de fées, Pinocchio reprend l’idée d’un chemin initiatique que le héros emprunte et qui le transforme : il y a un avant et un après. Maléfan (2005) a proposé une lecture lacanienne du conte selon laquelle le héros quitte la position psychotique pour accéder à la subjectivation en se reposant sur le désir du père et de la mère.

Afin de ne pas être redondant avec ce texte, j’aborderai ce conte sous un angle psycho-criminologique. En effet, je propose de considérer Pinocchio comme une figure métaphorique du mineur délinquant.

Notons d’emblée que Collodi écrit ce conte à une période où les juristes et les médecins se demandent comment traiter un problème social, celui des enfants livrés à eux-mêmes. La réforme de la justice héritière de la Révolution Française avait amené des solutions présumées efficaces et humaines à la délinquance : l’incarcération, le bagne ou l’exil. Les juristes déchantèrent toutefois rapidement face au succès mitigé de ces mesures afin d’atteindre l’idéal d’une société calme, responsable et éclairée. La déception parut d’autant plus flagrante pour ces jeunes, abandonnés par les adultes contraints de survivre comme ils le pouvaient, souvent en volant. Bien qu’ils pussent être mis en prison comme des adultes, certaines associations philanthropiques s’insurgèrent contre cette punition aussi inutile qu’inhumaine. Une réflexion philosophique émergea dès lors au sujet de ce phénomène :

« La délinquance des mineurs résulte, à leurs yeux [des philanthropes], de la misère, de l’ignorance, de l’abandon familial ou des mauvais exemples. Faute d’une ‘hygiène morale’ familiale propre à combattre ‘la perversité plus ou moins profonde des jeunes’, il faut combattre leurs mauvais penchants en substituant aux tuteurs défaillants les patrons de la société de patronage, seuls à même d’offrir de ‘bons exemples’, et les artisans, pères de famille de substitution, que les patrons choisiraient. » (Vimont, 2010)

Naît ainsi un projet ambitieux visant à créer des comités de patronage : le jeune délinquant serait confié à un patron à la moralité notoire censé lui transmettre les valeurs nécessaires à l’intégration dans la société. Vimont (2010) constate toutefois l’échec relatif des comités de patronage normands en 1844. Ces comités de patronage connaîtront des destins similaires dans plusieurs pays d’Europe occidentale. Dans le courant du vingtième siècle, ils seront remplacés par des organismes de l’État employant des professionnels de l’aide sociale. Le problème des mineurs délinquants n’est toutefois pas résolu et revient régulièrement sur le devant de la scène. En effet, les médias relaient régulièrement l’idée que « les jeunes délinquants » sont de plus en plus violents et de plus en plus… jeunes. Cette idée alimente une conception alarmiste de nos sociétés au sein desquelles les valeurs citoyennes s’effaceraient au profit de l’anarchie. Mucchielli (2004) déconstruit cette croyance en invoquant notamment des facteurs politiques comme causes de la hausse des interventions de police vis-à-vis des mineurs. Il est toutefois reconnu depuis longtemps que les adolescents et les jeunes adultes commettent statistiquement plus de délits que les personnes âgées ou les jeunes enfants. D’un point de vue sociologique, « la (petite) délinquance commence massivement à partir de la pré-adolescence (autour de 10 ans), s’accélère au début de l’adolescence jusqu’à atteindre un pic vers l’âge de 15-16 ans, stagne par la suite puis décroît très fortement à la fin de la vingtaine et au cours de la trentaine » (Mucchielli, 2004, p. 105-106).

S’intéresser à la délinquance des adolescents garde donc toute sa pertinence scientifique d’autant plus que l’entrée dans la vie autonome « adulte » est de plus en plus tardive pour de raisons sociétales.

Que nous apprend Pinocchio au sujet du développement de l’enfant et son apprentissage des normes sociales ? L’histoire commence ainsi :

« Il était une fois… un morceau de bois.
Ce n’était pas du bois précieux, mais une simple bûche, de celles qu’en hiver on jette dans les poêles et dans les cheminées. »

D’emblée, Collodi nous dit que le bois dont est fait Pinocchio est un bois modeste proche du déchet. Geppetto est un artisan de condition modeste, celle-là même où la misère donne parfois naissance à la délinquance. D’un point de vue métaphorique, Geppetto représente une figure paternelle et le Fée Bleue une figure maternelle. C’est grâce à l’intervention combinée de ces deux personnages que Pinocchio vient à la vie : du désir d’enfant peut émerger la vie psychique. D’un point de vue psychologique, l’amour que les parents éprouvent et manifestent pour leur enfant est une condition nécessaire à son développement. Un nouveau-né qui ne reçoit aucune marque de tendresse, aucune attention dépérit. Ces échanges affectifs permettent à l’enfant de nouer des liens avec le monde et les personnes qui l’entourent. Cette capacité de lien s’avèrera décisive dans son développement ultérieur et son rapport avec les autres. Dès le début du conte, une pulsion de vie anime Pinocchio car des figures parentales expriment leur amour à son égard. Vient alors le moment de se confronter au monde extérieur, au social. Geppetto offre un livre à Pinocchio c’est-à-dire qu’il lui offre le langage, le savoir, la capacité à penser et à parler. Or voilà, le pantin face à un choix : aller à l’école ou aller voir le spectacle de marionnettes. Apprendre ou s’amuser ? Ce dilemme évoque les deux principes évoqués par Freud (1920) : le principe de plaisir et le principe de réalité. Le premier pousse l’individu à rechercher le plaisir immédiat sans concession. Le second « ne renonce pas à l’intention de gagner finalement du plaisir mais il exige et met en vigueur l’ajournement de la satisfaction, le renoncement à toutes sortes de possibilités d’y parvenir et la tolérance provisoire du déplaisir sur le long chemin détourné qui mène au plaisir » (Freud, 1920, p. 46).

Par deux fois, Pinocchio va choisir la voie de la satisfaction rapide du plaisir, au détriment de l’effort. Par deux fois, c’est la déception. La première fois, il rejoint le rang des marionnettes prisonnières du directeur tyrannique. La deuxième fois, il se transforme partiellement en âne. Ces deux épisodes portent un message moraliste : choisir la voie de la facilité mène à l’aliénation et à la bêtise. Pour être libre, il faut étudier et donc éprouver des moments de déplaisir. L’éducation des enfants repose sur l’intériorisation progressive de ce principe de réalité. Certains modèles psychologiques expliquent la délinquance par le recours privilégié au principe de plaisir : le voleur préfère voler rapidement un objet convoité plutôt que de travailler longtemps pour l’obtenir.

Après avoir choisi la voie de la facilité, Pinocchio se retrouve seul car ses parents ne font pas partie de cette voie. Ses parents, impuissants pour aider leur enfant, sont malheureux.

La baleine évoque clairement la prison et le désespoir qui engloutissent. Ce n’est qu’emprisonné que Pinocchio retrouve son père, au comble du désenchantement. C’est l’amour qu’il lui porte qui sera la clé de leur salut. Pinocchio décide de prendre son destin en main et de sauver son père adoré. Il imagine un stratagème pour sortir du ventre du cétacé et porte Geppetto jusqu’au rivage. Comme dans tous les contes de fées, la mort du héros est synonyme de maturation : le pantin immature meurt et le vrai petit garçon responsable naît. Cette maturation est permise grâce au lien d’amour vis-à-vis du père, à l’identification au rôle protecteur de celui-ci, à l’effort réalisé (selon le principe de réalité) et à la prise en compte du rôle tiers de la mère symbolique.

Pinocchio aborde donc le thème du dépassement du principe de plaisir au profit du respect des règles de vie en société. Le comportement transgressif laisse ainsi la place à un comportement adapté à la vie en collectivité. Jiminy Cricket est le personnage qui représente la conscience de Pinocchio, c’est-à-dire la prise en considération des règles sociales.

Le conte illustre ainsi un processus psychique central dans la construction identitaire : l’intériorisation de la loi symbolique au sein du psychisme. Cette intériorisation est classiquement conçue comme nécessaire à la vie sociale.

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2 commentaires pour Pinocchio ou le dépassement de la délinquance juvénile

  1. Buratino dit :

    Vous analysez la version de Disney… le livre d’origine où tout a un sens différent ! Lisez-le avant d’en parler !

    Par exemple : « L’histoire est celle d’une marionnette créée par un menuisier, Geppetto, formulant le souhait d’avoir un garçon. Entendant ce souhait, la Fée Bleue donne vie à la marionnette qui s’appelle Pinocchio. Afin qu’il devienne un vrai petit garçon, il devra s’en montrer digne. Pour l’aider, il sera accompagné d’un criquet représentant la bonne conscience du pantin : Jiminy Cricket » : ça, ce n’est pas le livre du tout, c’est du 100% Disney !

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