Au Louvre, j’aime Romulus et Rémus recueillis par Faustulus de Pietro Berrettini dit Pierre de Cortone. S’il fallait une seule justification à la présence de ce tableau dans le catalogue déraisonné de ce blog, je répondrai que d’abord c’est mon blog et que je fais ce que je veux et ensuite j’évoquerai les premières versions latines, la splendeur de l’Italie et l’Histoire romaine. Tout y est dans ce tableau.
Pietro Berrettini est un exemple de ce que les américains nomment A Renaissance Man. Un touche-à-tout de génie mais cette traduction fait un peu dilettante. Un autre exemple de Renaissance Man serait Léonard de Vinci, vous pouvez ajouter Albert Dürer ou Pietro Berrettini. Des gens habiles dans un domaine, mais aussi compétents dans bien d’autres. Ainsi Pietro Berretini maîtrise la peinture, mais aussi l’architecture (il est contemporain du Bernin), la décoration, le dessin anatomique, etc. Si sur la fin de sa vie Pietro Berrettini deviendra un tifosi de la Fiorentina, il débute sa carrière sous l’influence de la Lazzio. Et son œuvre louvresque est constitué des piliers de la mythologie romaine.
Rappelons au passage le B-A-BA de la peinture italienne : une scène mythologique ou biblique dans un paysage idyllique. Dans ce tableau, Berrettini se sert à la source de Rome avec Rémus, Romulus, la louve, le Tibre. J’imagine que vos trop lointaines traductions de Tite-Live vont m’obliger à une présentation des personnages.
Le dieu Mars s’accoquine avec la vestale Rhéa Silvia et ne s’attarde pas, c’est normal, un Mars ça repart. Petit soucis, une vestale est normalement promise à une certaine virginité, à minima chasteté alors elle dépose ses enfants dans un couffin qui dérive sur le Tibre pour masquer ses agissements. A ce moment la panthère Bagheera entend les vagissements des petits… à moins qu’il s’agisse de la femme de Pharaon ? Je m’égare, c’est que l’enfant porté par les flots c’est un grand classique de toutes les civilisations. En Italie peu de panthère ou de pharaon, c’est donc une louve qui récupère les enfants, les allaite et leur apprend qu’il en faut peu pour être heureux. Comment une seule louve avec une seule gueule et pas de pouce préhenseur peut attraper deux enfants… ? C’est cela aussi la légende.
Tout aurait pu aller pour le mieux si le brave Faustulus, berger, n’avait décidé d’aller faire paître son troupeau sur les bords du Tibre. Découvrant les deux enfants, Faustulus les recueille et les confie à son épouse Acca Larentia. Laquelle a dû être ravie, en plus de ses douze mômes, de récupérer deux marmots à nourrir sur un pauvre salaire de berger. Où l’on découvre que ce n’est certainement pas Faustulus qui se charge des lessives, des repas et des courses. Je ne m’attarderai pas sur cette brillante idée de berger qui consiste à soustraire Rémus et Romulus à la protection d’une louve tout en laissant son troupeau sous l’égide de deux gamins qui se remémore le dernier match de foot et semblent bien peu concernés par la sécurité des bêtes et la promiscuité lupesque. D’autant que la louve a déjà était privée de ses deux sandwichs humains sortis de l’eau, il serait normal qu’elle se refasse la santé en grignotant un mouton.
Derrière le geste humaniste de sauver de jeunes enfants de la mâchoire acérée de la louve, je souhaite tordre l’image de l’italien macho. Si tel était le cas la légende romaine aurait dû consacrer Faustulus qui sauva les bambins des babines du loup. Au lieu de cela, ce fut pour madame Faustulus que les couronnes de lauriers furent tressées, pour avoir accroché deux bouches à ses tétons.
Madame Faustulus est Acca Larentia, là comme ça, cela ne vous dit rien, mais si je vous précise qu’Acca vient de Atta, la Mère ; que Larentia vient des Lares (les dieux de la maison qui protègent la famille) vous comprenez l’importance donnée à Acca Larentia dans l’imaginaire du latium. Cerise sur le gâteau, la légende veut que cette fort jolie femme fût gagnée par Hercule dans un temple et vous avez un mythe qui présente la nourrice de Romulus et Rémus sous les traits de Silvana Mangano bien plus que sous ceux d’une vieille veuve vénitienne velue.
Ah que les légendes sont plus belles quand on dispose de l’ensemble des données. Acca Larentia avait un surnom lié à sa vie passée un peu dissolue : Lupa. La traduction la plus gracieuse de Lupa serait courtisane. Les petits cochons qui souhaitent une traduction moins gracieuse auront certainement fait le lien étymologique entre Lupa, la courtisane et Lupanar… Que Lupa la courtisane ou Lupa la louve soient homonymes est un hasard charmant qui permet d’imaginer Romulus et Rémus nourris par une louve alors qu’ils tétaient de la gourgandine. Canidé et/ou prostitué les romains n’ont jamais vraiment tranché, Acca Larentia fut célébrée pour la protection qu’elle apportait à la cité. Quant aux loups, les romains les célébraient à la mi-février lors des Lupercales, on sacrifiait alors un bouc au pied du figuier situé devant la grotte ayant accueilli les jumeaux. Badigeonnés du sang du bouc, des jeunes hommes poursuivaient les femmes pour les fouetter afin de les rendre fécondes. A la fin du Vème siècle le pape Gélase Ier (où nous découvrons qu’un pape s’est nommé Gélase) fit interdire la fête pour la remplacer par la vénération du saint patron des fiancés : Valentin. Pour la prochaine Saint-Valentin : « Be roman, flog her ! »
Pietro Berrettini représente un tableau au format surprenant, il est presque carré. Cette particularité combinée aux goûts de l’artiste donne l’impression que Fautulus et Acca Larentia emplissent tout le tableau. Les mouvements de tissus des personnages rajoutent à leur taille une dimension importante. Faustulus, en passeur est prêt à livrer le premier des jumeaux tandis qu’il indique la louve et le second qui attend ses bras libérateurs. De son côté Acca Larentia semble accueillir avec fierté ce don. C’est la servante la plus marrante avec ses yeux pétillants et son sourire, elle ne semble pas bien futée mais elle est gentille.
Non, Berrettini n’a pas représenté le Saint Esprit sous les plumes d’une colombe, c’est un clin d’œil à Vénus. La colombe c’est Vénus ; la chouette c’est Athéna, après on raille la complexité des avatars du panthéon hindouiste… Donc la colombe c’est le présage, c’est le lien avec Enée, la filiation troienne des futurs fondateurs de Rome. De la même manière la main de Faustulus montre l’enfant resté mais aussi la ville à construire.
Berrettini alterne avec le fabuleux, sous la forme de la masse des chairs, la puissance des muscles, l’épique enfance de Rémus et Romulus et un réalisme qui frise le Vittorio De Sica, Roberto Rossellini, Luchino Visconti et Giuseppe De Santis réunis avec le petit panier tressé, les fromages de brebis, la cahute en planches, les tentes pourries. C’est Affreux, sales et méchants qui aurait copulé avec le Gaffiot.
Vous connaissez, cette célèbre représentation de Romulus et Rémus tétant la louve, qui était dans tous les manuels de votre première année de latin. J’ai d’abord cherché au Musée du Louvre si Napoléon n’en aurait pas glissé une copie dans ses valises en revenant d’Italie. J’ai fait chou blanc. J’ai ensuite recherché dans la plus grande base de données de l’art romain antique, à savoir Galerie de vues de la Rome antique de Giovanni Paolo Pannini. J’ai presque encore fait chou blanc, une autre représentation des louveteaux est proposée par Pannini. Le Musée du Louvre dispose bien d’une représentation du canidé et des bambins, je m’excuse pour la facture de l’objet, je pense que nous la devons à un helléniste. Je ne vois que cette explication pour justifier l’objet que je ne porte pas en mon cœur.
Sinon il y a aussi cette version du Tibre avec sous la personnification magistrale du fleuve la louve et les marmots.
Dernier point, si Berrettini rend hommage à la Rome antique, il y a aussi une forme de figure de style attendu avec l’image du berger près de l’enfant qui vient de naître, une version différente de l’adoration des bergers, grand classique de la peinture classique. A moins qu’il ne faille imaginer un autre titre, par exemple : « Berger rendant Jésus à sa mère après lui avoir fait une bonne blague ». Et si vous ne me croyez pas, venez voir..
Sur le thème de Rome, ville éternelle au Musée du Louvre :
Bonjour, je ne sais pas si vous verrez ce commentaire mais je tenais à vous adresser mes meilleurs remerciements. Ce tableau est si peu connu et très peu de détails le concernant sont accessibles sur internet, cependant j’avais un travail de latin à faire sur cette œuvre et les infos de votre blog m’ont sauvé la vie. Je suis également très admiratif de la passion que vous avez pour l’histoire de l’art et l’antiquité, je rêverai d’avoir moi aussi une passion telle que mes connaissances seraient aussi approfondies et vastes sur un sujet que les vôtres. La manière dont vous rendez les explications claires et accessibles même pour un amateur est divine. On ressent vraiment votre passion si débordante en lisant cet article c’est très impressionnant. Je vous souhaite tout le meilleur et une bonne continuation !
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Merci beaucoup.
Travaillez le latin, gardez l’esprit curieux et votre âme d’enfant ou vous serez bien meilleur que moi.
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