LE LOUP ET LE CHIEN

Chien Loup

Jean de La Fontaine (1621-1695) est connu pour ses « Fables », mais on lui doit également divers poèmes, pièces de théâtre, livrets d’opéra et autres contes imprégnés de la morale de son époque. Son inspiration puise dans les classiques de la culture gréco-latine, mais aussi dans la littérature orientale.

Le Loup et le Chien
Un Loup n’avait que les os et la peau ;
Tant les Chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli (1), qui s’était fourvoyé par mégarde.
L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l’eût fait volontiers.
Mais il fallait livrer bataille
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l’aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu’il admire.
Il ne tiendra qu’à vous, beau sire,
D’être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres (2), haires (3), et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? Rien d’assuré, point de franche lippée (4).
Tout à la pointe de l’épée.
Suivez-moi ; vous aurez un bien meilleur destin.
Le Loup reprit : Que me faudra-t-il faire ?
Presque rien, dit le Chien : donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants (5) ;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire ;
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons (6) :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse.
Le loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant il vit le col du Chien, pelé :
Qu’est-ce là ? lui dit-il. Rien. Quoi ? rien ? Peu de chose.
Mais encor ? Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? Pas toujours, mais qu’importe ?
Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.
Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.

La fable « Le Loup et le Chien » peut être lue à plusieurs niveaux afin d’en retirer une certaine sagesse. Dans ce sens, on peut y voir une apologie de la liberté, incarnée par le Loup, mais on peut aussi y découvrir d’autres enseignements. Par exemple, la soumission du Chien à son Maître (que refuse le Loup) n’est-elle pas une clé permettant la métamorphose de la conscience humaine ? Le Chien (la conscience éveillée) n’est-il pas l’avenir du Loup (le petit ego), tout comme Horus fut autrefois, dans la mythologie égyptienne, la revivification (ou la régénération) de son père le dieu Osiris moribond ?

(1) le poil luisant
(2) se dit proverbialement d’un homme pauvre qui n’est capable de faire ni bien ni mal (Furetière)
(3) homme qui est sans bien ou sans crédit (Furetière).
Ici : pauvre hère
(4) signifie au propre autant de viande qu’on en peut emporter avec la lippe, ou les lèvres (Furetière)
(5) portants et mendiants prennent un « s », pourtant, ce sont des participes présent ; ce n’est qu’à partir de 1679 que l’Académie déclarera qu’ils doivent rester invariables.
(6) restes

Source : http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/loupchien.htm