LA PLUME ET L’ENCRIER

La plume et l'encrier

« La plume et l’encrier » est une histoire écrite par Hans Christian Andersen (1805-1875), romancier, dramaturge, conteur et poète danois, particulièrement connu pour ses nouvelles et ses contes de fées. Andersen était avant tout un conteur de génie et pas seulement un écrivain. Il racontait lui-même ses histoires tout en les animant avec des papiers découpés pour le plus grand bonheur des enfants. Ses contes visaient également les adultes, d’où sa grande renommée parmi les intellectuels dans toute l’Europe du XIXe siècle.

Cette histoire commence chez un poète avec l’intervention d’un mystérieux personnage. Celui-ci s’étonne à haute voix en pensant aux merveilleuses choses qui jaillissent de l’encrier lorsque le poète se met à l’ouvrage. Ce compliment réveille aussitôt l’encrier, qui prend à témoin la plume et les autres objets placés sur le bureau et se lance dans une tirade pour se glorifier. Il commence par dire qu’en lui résident les plus belles choses, même s’il avoue ne pas savoir réellement ce qui en sort lorsque la plume vient s’y plonger. Mais peu importe, il continue en affirmant que c’est de lui que naissent les œuvres du poète, même s’il confesse de nouveau ne rien comprendre aux subtilités de la poésie, mais savoir qu’il est la source de toutes ces belles choses lui suffit. Sur ces mots, la plume prend la parole pour se moquer de son infatuation. Pour cette dernière, l’encrier ne fait que fournir l’encre permettant de rendre visible ce qui vit en elle-même. Plus encore, c’est elle qui écrit toutes les belles choses qui constituent la poésie. Le poète et l’encrier sont finalement relégués, à ses yeux, à de simples outils au service de son génie. Le débat finit par s’essouffler et chacun reste camper sur ses positions pensant avoir démontré à l’autre sa supériorité.

C’est à ce moment que le poète arrive. Il vient d’assister au concert d’une talentueuse violoniste et son esprit est encore subjugué par la beauté de ce qu’il a contemplé. Il a eu une révélation. Le violon s’était littéralement animé sous les doigts de l’artiste et « avait exhalé son âme en débordantes harmonies. ». Plus encore, le violon et l’archet semblaient vivants et chanter d’eux-mêmes : « L’artiste était oublié, lui, qui pourtant les faisait ce qu’ils étaient, en faisant passer en eux une parcelle de son génie. ». C’est alors que sous le coup de l’inspiration, le poète pris sa plume pour écrire ce que lui dictaient ses impressions, et de ses réflexions naquit une parabole intitulée « l’Ouvrier et les instruments ». En effet, « ce serait folie à l’archet et au violon de s’enorgueillir de leurs mérites ! Et cependant nous l’avons cette folie, nous autres poètes, artistes, inventeurs ou savants. Nous chantons nos louanges, nous sommes fiers de nos œuvres, et nous oublions que nous sommes des instruments dont joue le Créateur. ».

La morale de cette histoire semble évidente : l’homme est l’instrument de Dieu et l’œuvre qu’il produit ne doit pas servir son orgueil, car tout le mérite revient au seul Créateur ! Très bien, mais si on s’arrêtait là, je pense qu’on raterait l’essentiel. Comme la plupart des contes, il peut être lu à différents niveaux qui sont souvent hiérarchisés entre eux et complémentaires. Ne pouvant pas aborder tous les points de vue dans le cadre de ce billet, j’ai donc choisi de partager quelques réflexions sur le processus de création, qu’il soit à l’œuvre dans la nature ou chez l’être humain, et qui semble être au cœur du conte de « La plume et l’encrier ». Pour ma part, je pense que le processus artistique est universel, itératif et incrémental. Il engage la totalité de l’être humain et s’appuie sur son intuition ou sa puissance de contemplation, son imagination et sa capacité à matérialiser ses pensées en actes concrets. Mais loin d’être uniquement séquentielles, toutes ces opérations se réalisent simultanément, ou à défaut dans un même élan. Les musiciens et les écrivains, et d’une manière générale tous les artistes, le savent très bien. L’encrier, la plume et le poète, ou encore le violon, l’archet et le violoniste, ne sont en définitive que les instruments au service d’une inspiration qui révèle les secrets d’un monde invisible ; et pour créer une œuvre universelle capable de transcender le temps et l’espace, il faut s’engager complètement, faire don de tout son être et finalement s’effacer jusqu’à oublier son propre nom, pour susciter le vide nécessaire d’où jaillira une nouvelle création…