Arbrealettres

Poésie

La carpe et les carpillons (Jean-Pierre Claris de Florian)

Posted by arbrealettres sur 18 décembre 2020




    
La carpe et les carpillons

Prenez garde, mes fils, côtoyez moins le bord,
Suivez le fond de la rivière ;
Craignez la ligne meurtrière,
Ou l’épervier, plus dangereux encor.
C’est ainsi que parlait une carpe de Seine
À de jeunes poissons qui l’écoutaient à peine.
C’était au mois d’avril ; les neiges, les glaçons,
Fondus par les zéphyrs, descendaient des montagnes ;
Le fleuve enflé par eux s’élève à gros bouillons,
Et déborde dans les campagnes.
Ah ! Ah ! Criaient les carpillons,
Qu’en dis-tu, carpe radoteuse ?
Crains-tu pour nous les hameçons ?
Nous voilà citoyens de la mer orageuse ;
Regarde : on ne voit plus que les eaux et le ciel,
Les arbres sont cachés sous l’onde,
Nous sommes les maîtres du monde,
C’est le déluge universel.
Ne croyez pas cela, répond la vieille mère ;
Pour que l’eau se retire il ne faut qu’un instant.
Ne vous éloignez point, et, de peur d’accident,
Suivez, suivez toujours le fond de la rivière.
Bah ! Disent les poissons, tu répètes toujours
Mêmes discours.
Adieu, nous allons voir notre nouveau domaine.
Parlant ainsi, nos étourdis
Sortent tous du lit de la Seine,
Et s’en vont dans les eaux qui couvrent le pays.
Qu’arriva-t-il ? Les eaux se retirèrent,
Et les carpillons demeurèrent ;
Bientôt ils furent pris,
Et frits.
Pourquoi quittaient-ils la rivière ?
Pourquoi ? Je le sais trop, hélas !
C’est qu’on se croit toujours plus sage que sa mère,
C’est qu’on veut sortir de sa sphère,
C’est que… c’est que… je ne finirais pas.

(Jean-Pierre Claris de Florian)

 

Recueil: Fables
Traduction:
Editions:

Une Réponse to “La carpe et les carpillons (Jean-Pierre Claris de Florian)”

  1. Une trinité entre deux eaux
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    Trois magiques poissons de ce lac sont les maîtres ;
    Lesquels ne font sonner trompettes ni tambours ;
    Tu ne les entends point, mais ils ne sont pas sourds,
    L’un des trois reconnaît ton visage, peut-être.

    Ils règnent sur leurs gens sans les vouloir soumettre,
    N’ayant la main de fer ni le gant de velours ;
    Ils gouvernent un monde où personne n’est lourd,
    J’observe tout un peuple heureux de les connaître.

    Ces poissons sagement s’abstiennent de penser,
    Ils laissent les noyés aux profondeurs descendre,
    L’ondin se divertir et l’ondine danser.

    Lorsque nos bâtiments ne seront plus que cendres,
    Ils n’auront nul regret du primate insensé ;
    Je ne dis pas cela pour faire ma Cassandre.

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