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Poésie

Tous, frêle roi, oblique fou, ou bien reine (Jorge Luis Borges)

Posted by arbrealettres sur 20 janvier 2020




    
Tous, frêle roi, oblique fou, ou bien reine
Opiniâtre, tour verticale et pions madrés,
Sur le parcours en noir et blanc de leur chemin
Recherchent et livrent une bataille rangée.

Ils ne savent pas que la singulière main
Du joueur qui les tient gouverne leur destin,
Ils ne savent pas qu’une rigueur de diamant
Asservit leur vouloir mais aussi leur parcours.
Le joueur, à son tour, se trouve prisonnier
(D’Omar est la sentence) d’un tout autre échiquier
Bâti de noires nuits et de blanches journées.

Dieu pousse le joueur et le joueur la pièce.
Quel dieu, derrière Dieu, débute cette trame
De poussière et de temps, de rêve et d’agonies ?

(Jorge Luis Borges)

 

Recueil: Les échecs
Traduction:
Editions: Seuil

5 Réponses to “Tous, frêle roi, oblique fou, ou bien reine (Jorge Luis Borges)”

  1. Sesgo alfil
    ———-

    Le fou suit son parcours oblique
    Sauf que la partie se complique,
    Et le voici désemparé ;
    Il reste soudain sans réplique.

    • Cases hexagonales
      ————

      On y voit un fou rouge, un fou bleu, un fou blanc,
      Marchant en diagonale, ancestrale coutume ;
      Un scribe est auprès d’eux, qui de sa fine plume
      Note sur un carnet leurs déplacements lents.

      Trois joueurs sont assis, ni buvant, ni parlant,
      Totalement au jeu, mais j’en vois un qui fume ;
      Son visage est baigné d’aromatique brume,
      La nicotine est là pour aider son talent.

      Tactiques ambitions, stratégiques pensées,
      Ils ne mesurent point l’énergie dépensée
      Les pièces sont poussées par une main de fer.

      Perdre n’amène point une honte éternelle,
      Leur lutte est bien courtoise et reste fraternelle ;
      C’est un passage ardu, ce n’est pas un enfer.

      • Bishops among madmen, y alfil loco
        ———————————–

        C’est Joking Black Bishop avec Maître Fou Blanc,
        Disant « Ah, Messaline, une bien belle échoppe » …
        Mais pourquoi publier ce poème interlope,
        Avec la gourgandine on fait toujours semblant.

        Ces deux fous se tenaient dans un rapport troublant,
        Ils fréquentaient tous deux la même Pénélope ;
        Sans pouvoir pervertir cette chaste antilope,
        Ils gaspillaient leurs jours en des jeux accablants.

        Désireux, mais en vain, de ses faveurs divines,
        Ils ont chacun subi les maux que tu devines ;
        Tout ça jusqu’à l’entrée d’un troisième larron.

        Un fou n’est jamais franc, sa démarche est oblique,
        La chose est confirmée par la rumeur publique ;
        Il se brûle une patte en tirant les marrons.

  2. Le seigneur d’Alpha Leonis
    ——–

    Ce prince rarement à son peuple s’adresse,
    Il n’aime pas non plus les fastes de la cour ;
    Il ne se répand point en amoureux discours,
    Sur son trône il voudrait cultiver la sagesse.

    Il s’est longtemps passé de reine ou de maîtresse,
    Mais il s’y résigna, pourtant, sur ses vieux jours ;
    Il ne fut pas déçu par ses tendres amours,
    Même si, certains jours, son coeur fut en détresse.

    À ses dons généreux les bardes ont recours,
    Il aime ceux qui font rimer des textes courts ;
    Il n’aime point les mots des universitaires.

    Il ne redoute point l’approche du trépas,
    D’aucune éternité n’étant dépositaire ;
    Il aura du bon vin pour son dernier repas.

    • Le roi d’Alpha Serpentis
      ————

      Je règne en un lieu chaotique,
      Ravitaillé par les corbeaux ;
      Notre soleil, pâle flambeau,
      Émet des lueurs pathétiques.

      Je voudrais être, en république,
      Un paysan dans ses sabots ;
      Mes ancêtres, dans leur tombeau,
      Ont eu ce rêve bucolique.

      Je suis un roi plein de candeur
      Et je fais fi de ma grandeur ;
      J’écoute les conseils des sages.

      Qu’est-ce donc que la majesté ?
      Cela n’a jamais rien été,
      Je veux transmettre ce message.

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