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Poésie

Le sablier (Alfred Jarry)

Posted by arbrealettres sur 23 octobre 2019


 


 

Ettore Aldo Del Vigo -   (63)

Le sablier

Suspends ton cœur aux trois piliers,
Suspends ton cœur les bras liés,
Suspends ton cœur, ton cœur qui pleure
Et qui se vide au cours de l’heure
Dans son reflet sur un marais,
Pends ton cœur aux piliers de grès.

Verse ton sang, cœur qui t’accointes
À ton reflet par vos deux pointes.

Les piliers noirs, les piliers froids
Serrent ton cœur de leurs trois doigts.
Pends ton cœur aux piliers de bois
Secs, durs, inflexibles tous trois.

Dans ton anneau noir, clair Saturne,
Verse la cendre de ton urne.

Pends ton cœur, aérostat, aux
Triples poteaux monumentaux.
Que tout ton lest vidé ruisselle
Ton lourd fantôme est ta nacelle,

Ancrant ses doigts estropiés
Aux ongles nacrés de tes pieds.

VERSE TON ÂME QU’ON ÉTRANGLE
AUX TROIS VENTS FOUS DE TON TRIANGLE.

Montre ton cœur au pilori
D’où s’épand sans trêve ton cri,
Ton pleur et ton cri solitaire
En fleuve éternel sur la terre.
Hausse tes bras noirs calcinés
Pour trop compter l’heure aux damnés.
Sur ton front transparent de corne
Satan a posé son tricorne.
Hausse tes bras infatigués
Comme des troncs d’arbre élagués.
Verse la sueur de ta face
Dans ton ombre où le temps s’efface ;
Verse la sueur de ton front
Qui sait l’heure où les corps mourront.

Et sur leur sang ineffaçable
Verse ton sable intarissable.
Ton corselet de guêpe fin
Sur leur sépulcre erre sans fin,
Sur leur blanc sépulcre que lave

La bave de ta froide lave.
Plante un gibet en trois endroits,
Un gibet aux piliers étroits,
Où l’on va pendre un cœur à vendre.
De ton cœur on jette la cendre,
De ton cœur qui verse la mort.

Le triple pal noirci le mord ;
Il mord ton cœur, ton cœur qui pleure
Et qui se vide au cours de l’heure
Au van des vents longtemps errés
Dans son reflet sur un marais.

(Alfred Jarry)

Illustration: Ettore Aldo Del Vigo

 

2 Réponses to “Le sablier (Alfred Jarry)”

  1. Trinité de corpuscules
    —————

    Du triple petit dieu qui rêve dans la nuit,
    Le long discours emprunte un parcours circulaire ;
    Quelques théologiens jadis le calculèrent,
    Le plus sage d’entre eux parfaitement le suit.

    Son collègue pourchasse un démon qui s’enfuit,
    Ayant pris en pitié ce diable solitaire;
    Ce monde transcendant n’est pas égalitaire,
    L’arbitraire l’anime et le sort le conduit :

    La planète sans bruit tourne sur elle-même,
    Ne se posant jamais ce genre de problème ;
    Le vice ou la vertu, ça lui est bien égal.

    Pourtant, c’est différent, le bien n’est pas le mal,
    Un coeur s’en aperçoit, même un coeur d’animal ;
    Et Ronsard nous le dit en ses jolis poèmes.

    • Trois bras et pas de tête
      ———-

      Le tridextre est tenté par les choses brillantes,
      Lui qui pourtant ne peut percevoir leur éclat ;
      Pour le papier d’argent, celui du chocolat,
      Tu le vois accomplir des danses frétillantes.

      Ses doigts sont animés d’extases fourmillantes ;
      À force de vibrer souvent il s’envola,
      Mais pas pour très longtemps, la chose l’affola,
      Il ne put maîtriser cette course vrillante.

      Certains jours, il trépigne avec sauvagerie,
      Son ancêtre d’ailleurs se démenait ainsi,
      Qui est représenté dans notre imagerie.

      Or, quant à la tendresse, il la connaît aussi,
      Mais elle n’est pour lui que vaine songerie,
      Comme un rêve furtif, un nuage imprécis.

Qu'est-ce que ça vous inspire ?