Arbrealettres

Poésie

Les arbres (Jules Renard)

Posted by arbrealettres sur 26 décembre 2016



C’est après avoir traversé une plaine brûlée du soleil
que je les rencontre.

Ils ne demeurent pas au bord de la route, à cause du bruit.
Ils habitent les champs incultes, sur une source connue des oiseaux seuls.

De loin ils semblent impénétrables.
Dès que j’approche, leurs troncs se desserrent.
Ils m’accueillent avec prudence.
Je peux me reposer, me rafraîchir,
mais je devine qu’ils m’observent et se défient.

Ils vivent en famille, les plus âgés au milieu,
et les petits, ceux dont les premières feuilles viennent de naître,
un peu partout, sans jamais s’écarter.

Ils mettent longtemps à mourir,
et ils gardent les morts debout jusqu’à la chute en poussière.

Ils se flattent de leurs longues branches pour s’assurer qu’ils sont tous là, comme les aveugles.
Ils gesticulent de colère, si le vent s’essouffle à les déraciner.
Mais entre eux aucune dispute. Ils ne murmurent que d’accord.

Je sens qu’ils doivent être ma vraie famille.
J’oublierai vite l’autre.
Ces arbres m’adopteront peu à peu, et pour le mériter,
j’apprends ce qu’il faut savoir :

Je sais déjà regarder les nuages qui passent.

Je sais aussi rester en place.

Et je sais presque me taire.

(Jules Renard)


Illustration

7 Réponses to “Les arbres (Jules Renard)”

  1. Lara said

    J’aime les arbres
    et ce « presque » à la fin me plait ..

  2. cporzio said

    très beau texte et belle photo, merci pour ce partage!

  3. midolu said

    Un peu avant, en lisant  » Solitude (Adonis) « , j’ai tout de suite pensé à cette  » Histoire Naturelle  » !
    Ce livre de Jules Renard est un de mes  » livres de chevet  » 🙂
    Il y a comme une chanson, un air dans ces textes, et dans celui-ci en particulier on entendrait le silence et cette communication dans la rencontre entre l’homme et la famille d’arbres.
    Comme Lara, j’apprécie ! Et j’aime aussi l’utilisation de la ponctuation.
    Merci !

    Une remarque : je pense que, dans la troisième phrase, il s’agit de  » sur une source connue des oiseaux seuls  » (et non  » comme « ) 😉

  4. Arbres impériaux
    ———-

    Ces arbres ont grandi sur la vaste terrasse,
    Adoucissant l’ardeur des étés assoiffants ;
    Sous leur ombre un penseur s’en va philosophant
    À propos des rapports du temps et de l’espace.

    Ceux-là ne craignent point la neige ni la glace
    Sous lesquelles je vois leurs sommets triomphants ;
    Ils savent consoler le vieillard et l’enfant,
    De tendres amoureux près d’un d’entre eux s’enlacent.

    Ces lieux sont fréquentés par un petit ours brun
    Qui de l’air forestier savoure les parfums ;
    Nous le voyons aussi danser dans l’aube claire.

    Quoi de plus apaisant qu’un grand arbre qui dort ?
    La dryade en rêvant peigne ses cheveux d’or,
    Songeant sans désespoir aux ans qui s’en allèrent.

Qu'est-ce que ça vous inspire ?